Ce dimanche 19 octobre 2025 restera gravé dans l’histoire du Venezuela. Pour la première fois, le pays voit l’une de ses filles accéder à la sainteté reconnue par l’Église catholique. Carmen-Elena Rendiles, religieuse au parcours exceptionnel, sera canonisée par le Pape Léon XIV aux côtés de six autres bienheureux. Dans un pays meurtri par plus d’une décennie de dictature sous Nicolás Maduro, cette canonisation revêt une dimension particulière, celle d’un message d’espoir adressé aux chrétiens vénézuéliens et à l’ensemble de la société civile.
L’histoire de Carmen-Elena touche par sa profonde humanité. Née avec un handicap visible, elle a connu le rejet et la souffrance, tout en rayonnant d’une joie contagieuse qui interpellait tous ceux qui la rencontraient. Son lien étroit avec la France, à travers la congrégation religieuse qu’elle a rejointe, témoigne aussi de ces ponts spirituels qui unissent les continents et nourrissent la foi de millions de personnes.
Qui était Carmen-Elena Rendiles ?
Une vie marquée par le handicap
Carmen-Elena Rendiles voit le jour en 1903 dans une famille vénézuélienne. Dès sa naissance, elle porte sur son corps une différence qui marquera toute son existence : elle n’a pas de bras gauche. À une époque où le handicap était encore moins compris et accepté qu’aujourd’hui, cette particularité physique constitue un véritable défi, tant pour elle que pour son entourage.
Ce handicap visible s’accompagne d’autres souffrances, moins apparentes mais tout aussi réelles. Les témoignages de ceux qui l’ont connue évoquent des douleurs physiques chroniques et des épreuves psychologiques importantes. Dans le Venezuela du début du XXe siècle, une jeune femme avec un tel handicap devait affronter non seulement les limitations pratiques de sa condition, mais aussi le regard des autres, parfois empreint d’incompréhension ou de pitié mal placée.
Pourtant, Carmen-Elena refuse de se définir par son handicap. Elle cultive son apparence avec soin, reste élégante, soigne sa présentation. Cette attention à elle-même n’est pas vanité, mais plutôt une forme de dignité affirmée, une manière de dire au monde qu’elle est bien plus que son corps diminué.
Le rayonnement malgré la souffrance
Ce qui frappe particulièrement dans les témoignages sur Carmen-Elena, c’est le contraste saisissant entre ses souffrances et la luminosité qui émanait d’elle. Son sourire, souvent décrit comme radieux, son regard qualifié de lumineux, créaient autour d’elle une atmosphère particulière qui touchait profondément ceux qui la rencontraient.
Beaucoup de personnes qui l’ont côtoyée sont encore vivantes aujourd’hui, puisqu’elle n’est décédée qu’en 1977, il y a moins de cinquante ans. Leurs témoignages convergent tous vers cette impression d’une présence spéciale, d’une joie intérieure qui transcendait les épreuves physiques. Comment expliquer une telle capacité à rayonner malgré la douleur ? C’est précisément dans cette apparente contradiction que réside une partie du mystère de sa sainteté.
Cette force intérieure ne relevait pas du stoïcisme ou d’un simple courage moral. Les témoins parlent plutôt d’une paix profonde, d’une sérénité qui semblait puiser sa source ailleurs, dans une relation intime avec Dieu qui transformait sa perception de la souffrance. Carmen-Elena n’ignorait pas ses douleurs, elle ne les niait pas, mais elle les vivait d’une manière particulière, comme si elles devenaient porteuses d’un sens plus profond.
Le parcours spirituel de Carmen-Elena
Les refus et la persévérance
Très jeune, Carmen-Elena ressent un appel puissant vers la vie religieuse. Elle désire consacrer sa vie à Dieu, rejoindre une communauté où elle pourrait se mettre au service de la prière et de ses semblables. Mais son chemin vers cette vocation se révèle semé d’obstacles décourageants.
Les communautés religieuses auxquelles elle s’adresse lui ferment leurs portes, les unes après les autres. Son handicap physique semble incompatible, aux yeux de nombreux responsables de l’époque, avec les exigences de la vie conventuelle. On craint qu’elle ne puisse accomplir les tâches quotidiennes, qu’elle devienne un poids pour la communauté, qu’elle ne puisse suivre le rythme de vie imposé.
Chaque refus est une blessure supplémentaire pour cette jeune femme qui aspire simplement à vivre sa foi de manière radicale. Mais Carmen-Elena ne renonce pas. Sa détermination témoigne d’une certitude intérieure profonde : elle sait, avec une conviction inébranlable, que Dieu l’appelle à ce chemin particulier. Les portes qui se ferment ne font que renforcer sa patience et sa confiance.
Cette période de refus et d’attente forge son caractère spirituel. Elle apprend l’humilité, la patience, l’abandon à la volonté divine même quand celle-ci semble se manifester à travers des épreuves. Elle découvre que la sainteté n’est pas seulement dans l’accomplissement de grands projets, mais aussi dans la fidélité quotidienne malgré les déceptions.
L’entrée dans la vie religieuse
En 1927, après plusieurs années de recherche et de prière, Carmen-Elena trouve enfin une porte qui s’ouvre : celle de la congrégation des Servantes de Jésus dans le Saint-Sacrement. Cette communauté, d’origine française, accepte de l’accueillir malgré son handicap. C’est un tournant décisif dans sa vie.
Les Servantes de Jésus dans le Saint-Sacrement constituent une congrégation centrée sur l’adoration eucharistique et le service des plus pauvres. Pour Carmen-Elena, cette double dimension correspond parfaitement à ses aspirations profondes : nourrir sa vie intérieure par la contemplation du mystère eucharistique, et traduire cette contemplation en service concret auprès de ceux qui souffrent.
Son intégration dans la communauté ne se fait pas sans défis. Il faut adapter certaines tâches à ses capacités physiques, trouver des modalités de participation à la vie commune qui tiennent compte de ses limitations. Mais Carmen-Elena apporte à la communauté bien plus qu’elle ne reçoit. Son expérience personnelle de la souffrance et du rejet lui donne une sensibilité particulière aux détresses d’autrui, une capacité d’empathie et de compréhension qui enrichit toute la communauté.
Son œuvre et son action
Une fois intégrée à sa congrégation, Carmen-Elena s’investit pleinement dans la mission de sa communauté. Son action se déploie sur plusieurs plans, toujours marquée par cette alliance particulière entre contemplation et action qui caractérise sa spiritualité.
L’adoration eucharistique occupe une place centrale dans sa vie. Elle passe de longues heures en prière devant le Saint-Sacrement, cultivant cette relation intime avec le Christ qui est la source de sa force et de sa joie. Ces moments de contemplation ne sont pas une fuite du monde, mais au contraire le lieu où elle puise l’énergie nécessaire pour se tourner vers les autres avec un amour authentique.
Son service auprès des pauvres et des malades prend des formes diverses. Malgré son handicap, elle trouve toujours des moyens de se rendre utile, d’apporter du réconfort, de soulager les souffrances. Sa propre expérience de la limitation physique lui permet de comprendre de l’intérieur ce que vivent les personnes diminuées ou souffrantes. Elle ne les regarde jamais de haut, jamais avec pitié, mais toujours avec une reconnaissance profonde de leur dignité.
Carmen-Elena développe aussi un rayonnement spirituel qui dépasse largement le cadre de sa congrégation. Par ses conseils, son accompagnement, sa simple présence, elle devient un point de référence pour beaucoup de personnes en recherche spirituelle. Elle ne se pose pas en maîtresse spirituelle, mais témoigne simplement, par sa vie, de la transformation que l’amour de Dieu peut opérer dans une existence humaine.
Les liens avec la France
La congrégation française
Le lien de Carmen-Elena avec la France n’est pas anecdotique. Il passe d’abord par la congrégation qui l’a accueillie : les Servantes de Jésus dans le Saint-Sacrement sont nées en France, portant dans leur ADN spirituel la tradition catholique française avec ses richesses particulières.
Cette congrégation a été fondée dans un contexte historique marqué par un renouveau de la dévotion eucharistique en France. Le culte du Saint-Sacrement connaissait alors un développement important, nourrissant de nombreuses vocations contemplatives. Les fondateurs et fondatrices de ces congrégations cherchaient à allier l’adoration du mystère eucharistique avec un service concret des plus démunis, refusant une spiritualité qui se couperait des réalités sociales.
Quand cette congrégation s’implante au Venezuela, elle apporte avec elle cette spiritualité française, cet équilibre particulier entre contemplation et action, cette attention aux plus petits qui s’enracine dans une longue tradition française de charité chrétienne. Carmen-Elena devient ainsi l’héritière d’une richesse spirituelle qui traverse l’Atlantique pour s’enraciner dans le sol latino-américain.
L’accueil que cette congrégation française réserve à Carmen-Elena témoigne aussi d’une ouverture d’esprit remarquable pour l’époque. Là où d’autres communautés ne voyaient que les limitations du handicap, les Servantes de Jésus ont su discerner les dons spirituels et la vocation authentique de cette jeune femme vénézuélienne. Cette capacité à regarder au-delà des apparences, à reconnaître la grâce de Dieu même dans ce qui semble faiblesse humaine, fait partie de l’héritage que la congrégation transmet à Carmen-Elena.
L’influence spirituelle française
Au-delà de l’appartenance institutionnelle, Carmen-Elena s’inscrit dans un courant spirituel qui doit beaucoup à la France. La spiritualité eucharistique qu’elle cultive s’inspire de figures françaises marquantes, de sainte Marguerite-Marie Alacoque à saint Pierre-Julien Eymard, fondateur des Pères du Saint-Sacrement.
Cette influence française se manifeste aussi dans sa compréhension de la relation entre contemplation et action. La tradition spirituelle française, particulièrement au XIXe siècle, a développé une approche originale qui refuse d’opposer vie intérieure et engagement dans le monde. Des figures comme Vincent de Paul ou Louise de Marillac ont montré comment l’amour de Dieu doit se traduire concrètement dans le service des pauvres.
Carmen-Elena hérite de cette vision équilibrée. Elle ne conçoit pas la contemplation comme une fin en soi, mais comme la source qui nourrit l’action charitable. Inversement, son service auprès des autres n’est jamais un simple activisme social, mais reste toujours enraciné dans une relation vivante avec le Christ eucharistique. Cette synthèse harmonieuse entre les deux dimensions de la vie chrétienne porte la marque de la spiritualité française dont sa congrégation est porteuse.

La canonisation : un événement historique
Première sainte du Venezuela
Le Venezuela, pays de grande tradition catholique, n’avait jamais encore vu l’une de ses filles ou l’un de ses fils accéder aux honneurs de la canonisation. Cette absence ne reflétait pas un manque de sainteté parmi les Vénézuéliens, mais plutôt les contingences historiques et les hasards des processus de reconnaissance ecclésiale.
Avec Carmen-Elena Rendiles, le Venezuela entre dans un club encore restreint de nations ayant des saints reconnus par l’Église universelle. C’est un moment de fierté nationale légitime, mais qui dépasse largement le simple orgueil patriotique. Cette canonisation reconnaît la capacité de ce pays latino-américain à produire une sainteté authentique, enracinée dans sa culture tout en étant universellement significative.
Pour les catholiques vénézuéliens, Carmen-Elena devient une figure d’identification puissante. Elle n’est pas une sainte venue d’ailleurs, transplantée artificiellement dans leur contexte. Elle est née sur leur terre, elle a grandi dans leur culture, elle a vécu leurs joies et leurs épreuves. Sa sainteté n’est pas abstraite ou lointaine, mais incarnée dans une vie concrète que les Vénézuéliens peuvent comprendre de l’intérieur.
Cette canonisation enrichit aussi le calendrier liturgique du Venezuela. Désormais, les fidèles du pays pourront célébrer liturgiquement leur propre sainte, invoquer son intercession, méditer son exemple. Elle devient une patronne spirituelle pour tout un peuple, une figure de référence pour les générations à venir.
Le processus de canonisation
Le chemin vers la canonisation est long et rigoureux. Pour Carmen-Elena, ce processus a commencé bien après sa mort en 1977. L’Église procède avec prudence, vérifiant méticuleusement la vie, les vertus et l’impact spirituel de la candidate à la sainteté.
La première étape consiste à ouvrir une cause de béatification au niveau diocésain. Les autorités ecclésiales locales recueillent des témoignages, examinent les écrits de Carmen-Elena, étudient sa réputation de sainteté. Cette phase peut durer des années, nécessitant la collaboration de nombreux témoins, historiens et théologiens.
Si la cause est jugée recevable, elle est transmise à Rome, où la Congrégation pour les Causes des Saints poursuit l’examen. Les théologiens scrutent la conformité de la vie et de l’enseignement de Carmen-Elena avec la foi catholique. Des historiens vérifient l’authenticité des documents et des témoignages.
Pour être béatifiée, puis canonisée, l’Église demande généralement la preuve de miracles obtenus par l’intercession de la candidate. Ces miracles, souvent des guérisons médicalement inexpliquées, sont soumis à un examen scientifique rigoureux. Dans le cas de Carmen-Elena, de tels miracles ont manifestement été reconnus, permettant sa progression vers la canonisation.
Le 19 octobre 2025 marque l’aboutissement de ce long processus. Par la célébration de canonisation, le Pape Léon XIV inscrit officiellement Carmen-Elena Rendiles au catalogue des saints de l’Église universelle, la proposant comme modèle et intercesseur pour tous les fidèles.
Un signe fort dans le contexte vénézuélien
Le Venezuela sous la dictature
Depuis plus d’une décennie, le Venezuela traverse une des périodes les plus sombres de son histoire. Sous le régime autoritaire de Nicolás Maduro, le pays a connu une dégradation spectaculaire de sa situation politique, économique et sociale.
La dictature a progressivement étouffé les libertés démocratiques, muselé l’opposition, contrôlé les médias. Les élections sont systématiquement manipulées, les résultats falsifiés. Les opposants politiques sont emprisonnés, contraints à l’exil ou réduits au silence par la répression. L’appareil judiciaire, totalement inféodé au pouvoir, ne garantit plus aucune protection des droits fondamentaux.
Sur le plan économique, le pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde a sombré dans une pauvreté dramatique. L’hyperinflation a détruit le pouvoir d’achat des Vénézuéliens. Les pénuries de produits de première nécessité, de médicaments, d’électricité, sont devenues le quotidien des habitants. Des millions de personnes ont fui le pays, créant la plus grande crise migratoire de l’histoire récente de l’Amérique latine.
La société civile, y compris les institutions religieuses, subit les pressions constantes du régime. L’Église catholique, parce qu’elle ose parfois élever la voix pour défendre les droits humains et appeler au dialogue, fait l’objet de suspicions et d’intimidations. Les chrétiens vénézuéliens, comme l’ensemble de la population, vivent dans la peur et l’incertitude.
Un message d’espoir pour les chrétiens
Dans ce contexte oppressant, la canonisation de Carmen-Elena Rendiles prend une dimension particulière que soulignent les observateurs. François Bonfils, spécialiste du monde hispanique, note que « l’Église souhaite clairement encourager les chrétiens du Venezuela ». Ce n’est pas un hasard si cette canonisation intervient maintenant.
Pour les catholiques vénézuéliens qui luttent quotidiennement pour maintenir leur foi et leur espérance malgré les épreuves, Carmen-Elena devient un signe tangible que Dieu ne les abandonne pas. Sa vie même témoigne que la souffrance et les obstacles ne sont pas des impasses, mais peuvent devenir des chemins de sainteté.
Le message est puissant : une femme marquée par le handicap, rejetée à plusieurs reprises, qui a persévéré dans sa vocation malgré tout, peut devenir sainte. De même, un peuple meurtri, opprimé, appauvri, ne doit pas perdre espérance. La sainteté reste possible même dans les circonstances les plus difficiles, peut-être même particulièrement dans ces circonstances.
L’Église universelle, par cette canonisation, manifeste sa solidarité avec les chrétiens du Venezuela. Elle leur dit : « Nous vous voyons, nous connaissons vos épreuves, nous vous proposons l’une des vôtres comme modèle et intercesseur ». C’est un geste pastoral d’une grande importance symbolique, qui renforce le sentiment d’appartenance des Vénézuéliens à la grande famille catholique mondiale.
La résilience face à l’adversité
Carmen-Elena Rendiles incarne parfaitement la vertu de résilience dont ont tant besoin les Vénézuéliens aujourd’hui. Sa vie enseigne que les épreuves, aussi lourdes soient-elles, peuvent être traversées avec dignité et même transformées en sources de croissance spirituelle.
Face à un régime qui cherche à briser les résistances, à décourager toute opposition, à épuiser moralement la population, l’exemple de Carmen-Elena rappelle qu’une force intérieure existe, capable de résister aux pires adversités. Cette force ne vient pas d’un simple volontarisme, mais s’enracine dans une relation vivante avec Dieu qui transforme la perception même de la souffrance.
La résilience de Carmen-Elena n’était pas passive. Elle ne se contentait pas d’endurer ses épreuves en serrant les dents. Elle les vivait de manière active, les transformant en occasions de grandir spirituellement et de servir les autres. Cette résilience active offre un modèle précieux pour les Vénézuéliens : ne pas se résigner à subir la dictature, mais trouver des moyens de résister, de maintenir vivante l’espérance, de continuer à construire des liens de solidarité.
L’Église, en canonisant Carmen-Elena précisément maintenant, propose ainsi aux chrétiens du Venezuela un modèle de courage discret mais tenace. Sa sainteté ne s’est pas manifestée dans des actions d’éclat, mais dans la fidélité quotidienne, dans la capacité à sourire malgré la douleur, à rayonner malgré les limitations. C’est exactement ce type de sainteté dont ont besoin les Vénézuéliens ordinaires qui cherchent à rester humains et dignes dans les conditions inhumaines créées par la dictature.
L’héritage spirituel de Carmen-Elena
Son message actuel
Plus de quarante ans après sa mort, Carmen-Elena Rendiles parle encore avec force aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui. Son message, loin d’être daté ou confiné aux spécialistes de spiritualité, résonne avec les préoccupations contemporaines.
Dans une société obsédée par l’apparence, la performance, la réussite visible, Carmen-Elena rappelle que la valeur d’une personne ne se mesure pas à ses capacités physiques ou à ses accomplissements extérieurs. Son handicap, qu’elle n’a jamais caché mais qu’elle a refusé de laisser la définir entièrement, enseigne une leçon précieuse sur la dignité humaine inconditionnelle.
À une époque où la souffrance est souvent perçue comme un scandale absurde qu’il faudrait éliminer à tout prix, Carmen-Elena propose une autre approche. Elle ne glorifie pas la souffrance pour elle-même, ne tombe pas dans un masochisme morbide. Mais elle montre qu’il est possible de traverser la souffrance sans être détruit par elle, de la transformer même en occasion de croissance et de témoignage.
Dans un monde marqué par l’individualisme et la recherche du plaisir immédiat, sa vie consacrée au service des autres et à la contemplation du mystère de Dieu interroge. Elle pose une question radicale : qu’est-ce qui donne vraiment sens à une existence humaine ? Est-ce l’accumulation de biens, d’expériences, de satisfactions personnelles ? Ou est-ce la capacité à aimer, à se donner, à se tourner vers plus grand que soi ?
L’inspiration pour aujourd’hui
Carmen-Elena inspire particulièrement certaines catégories de personnes aujourd’hui. Les personnes en situation de handicap trouvent en elle une figure qui les comprend de l’intérieur. Elle ne leur parle pas de haut, depuis une position de force, mais partage leur expérience de la limitation, du regard parfois blessant des autres, de la fatigue d’avoir à justifier constamment son existence.
Son message pour elles est clair : le handicap ne ferme aucune porte essentielle. On peut être pleinement soi-même, rayonner, servir, aimer, même avec un corps diminué. La sainteté est accessible à tous, quelles que soient les limitations physiques. Carmen-Elena ne minimise pas les difficultés liées au handicap, mais elle affirme qu’elles n’ont pas le dernier mot sur une vie humaine.
Les personnes en souffrance, quelle que soit l’origine de cette souffrance, trouvent aussi en Carmen-Elena une compagne de route. Elle connaît la douleur chronique, les épreuves psychologiques, la fatigue de devoir toujours lutter. Elle ne propose pas de solutions miracles, mais témoigne qu’il est possible de garder espérance, de continuer à sourire, de trouver un sens même dans la souffrance apparemment absurde.
Pour ceux qui cherchent leur vocation dans la vie, qui font face à des obstacles et des refus, Carmen-Elena enseigne la persévérance. Elle a essuyé de nombreux rejets avant de trouver sa place, mais elle n’a jamais renoncé à son appel intérieur. Son exemple encourage à ne pas se décourager face aux portes qui se ferment, à continuer à chercher le chemin unique que Dieu prépare pour chacun.
Conclusion
La canonisation de Carmen-Elena Rendiles ce 19 octobre 2025 est bien plus qu’un événement religieux parmi d’autres. C’est un moment chargé de significations multiples qui se superposent et s’enrichissent mutuellement.
Pour le Venezuela, c’est une reconnaissance historique, l’accès d’un pays latino-américain au club des nations ayant produit des saints reconnus par l’Église universelle. C’est aussi, dans le contexte difficile de la dictature de Maduro, un message d’encouragement puissant adressé aux chrétiens et à toute la société civile. L’Église leur dit : vous n’êtes pas oubliés, votre souffrance a un sens, l’espérance reste permise.
Pour l’Église catholique mondiale, c’est l’opportunité de proposer un modèle de sainteté profondément incarné, enraciné dans l’expérience concrète du handicap et de la souffrance. Carmen-Elena ne correspond pas aux images conventionnelles de la sainteté triomphante. Elle témoigne d’une sainteté discrète, quotidienne, faite de fidélité patiente et de service humble.
Pour chaque personne qui découvrira son histoire, Carmen-Elena Rendiles offre un témoignage bouleversant de ce que la grâce de Dieu peut accomplir dans une vie humaine. Elle prouve que les limitations extérieures n’empêchent pas le rayonnement intérieur, que la souffrance acceptée avec foi peut devenir source de joie paradoxale, que l’amour authentique transforme tout.
Son lien particulier avec la France, à travers la congrégation qui l’a accueillie, rappelle aussi ces ponts spirituels qui unissent les continents et les cultures. La sainteté catholique n’est jamais purement locale, elle s’inscrit toujours dans une communion universelle qui traverse les frontières et les époques.
Alors que le monde contemporain peine souvent à donner un sens à la souffrance et tend à marginaliser les personnes en situation de handicap, Carmen-Elena nous interpelle. Elle nous invite à regarder autrement, à discerner la présence de Dieu là où on ne l’attendait pas, à reconnaître la dignité infinie de chaque personne humaine quelles que soient ses limitations.
Pour les Vénézuéliens qui traversent l’épreuve de la dictature, elle devient une patronne spirituelle particulièrement appropriée. Elle qui a connu le rejet, qui a dû persévérer face aux obstacles, qui a rayonné malgré la souffrance, comprend intimement ce qu’ils vivent. Son intercession prend tout son sens pour un peuple qui a besoin de courage, d’espérance et de cette résilience active qu’elle a incarnée toute sa vie.
La canonisation de Carmen-Elena Rendiles nous rappelle finalement que la sainteté reste possible aujourd’hui comme hier, dans les situations les plus difficiles comme dans les plus favorables. Elle n’est pas réservée à une élite spirituelle, mais accessible à tous ceux qui acceptent de se laisser transformer par l’amour de Dieu. C’est peut-être là le message le plus précieux que nous laisse cette première sainte du Venezuela : la sainteté est pour tous, maintenant, même dans les circonstances qui sembleraient l’exclure.



