Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là,
Jésus, marchant vers Jérusalem,
traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village,
dix lépreux vinrent à sa rencontre.
Ils s’arrêtèrent à distance
et lui crièrent :
« Jésus, maître,
prends pitié de nous. »
À cette vue, Jésus leur dit :
« Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés.
L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,
revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus
en lui rendant grâce.
Or, c’était un Samaritain.
Alors Jésus prit la parole en disant :
« Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ?
Les neuf autres, où sont-ils ?
Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger
pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
Jésus lui dit :
« Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
– Acclamons la Parole de Dieu.
La gratitude de l’étranger
Alléluia. Alléluia.
« Rendez grâce à Dieu en toute circonstance: c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. »
Alléluia. (1 Th 5, 18)
Frères et sœurs, nous entrons dans ce mystère simple et renversant: dix crient, dix sont purifiés, un seul revient; et c’est l’étranger. Nous portons ce récit dans notre aujourd’hui: trottoirs de nos villes, salles d’attente bondées, messages non lus, notifications et soupirs derrière des écrans. Entre Samarie et Galilée, entre périphérie et centre, entre l’indifférence et l’étonnement, nous apprenons la route du retour, le pas qui se retourne, la voix qui redevient pleine, le visage qui s’abandonne au merci.
« Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu! » Et Jésus nous dit: « Relève-toi et va: ta foi t’a sauvé. »
La Parole aujourd’hui
Le Seigneur marche vers Jérusalem. Sa trajectoire est une ligne tendue vers le don total. Nous, souvent, marchons vers nos agendas. Il traverse une région frontalière, entre Samarie et Galilée: zone floue, sas de méfiance, histoires inachevées. Ce n’est pas un lieu de carte postale; c’est un entre-deux, un seuil. C’est précisément là que la supplication monte.
Dix lépreux, écartés par leur maladie, arrêtés à distance, élèvent la voix: « Jésus, maître, prends pitié de nous. » Jésus ne pose pas d’analyses savantes; il ouvre une route: « Allez vous montrer aux prêtres. » Ils partent, et en chemin ils sont purifiés. L’un s’arrête, se retourne, revient sur ses pas. Il glorifie Dieu à pleine voix, se prosterne, et remercie. Et c’est un Samaritain, un étranger. Jésus s’étonne: « Les neuf autres, où sont-ils? » Puis il prononce la phrase qui ouvre un horizon: « Relève-toi et va: ta foi t’a sauvé. »
Aujourd’hui, ces versets nous invitent à trois déplacements: de l’éloignement au cri, de l’obéissance à la marche, de la guérison à l’action de grâce. Et au cœur: la découverte que la gratitude se révèle souvent chez celui que nous attendions le moins.
Les « lépreux » d’aujourd’hui
La lèpre isolait, marquait le corps et la réputation, creusait un fossé de peur. Nos sociétés modernes connaissent leurs propres lépres: elles portent des noms qui n’effraient pas moins.
- Burn-out silencieux, quand l’âme se fendille et la dignité s’effiloche.
- Addictions cachées, rivées aux écrans, aux substances, aux regards approbateurs.
- Dépressions recouvertes d’un sourire professionnel.
- Endettements étouffants qui brident le souffle.
- Précarités administratives: papiers manquants, droits suspendus, invisibilités lourdes.
- Isolements relationnels, dans des métropoles surpeuplées.
- Maladies chroniques, où le temps devient un couloir d’attente.
- Discriminations ressassées, stigmates qui ne se dissolvent pas dans de bonnes intentions.
À distance, ils s’arrêtent encore. Ils ne veulent pas déranger, ou ils ne croient plus qu’on les entendra. Le cri continue pourtant de flotter: messages envoyés tard la nuit, « Est-ce que tu as cinq minutes? », « Je n’y arrive plus », « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
La Parole ne promet pas des solutions instantanées. Elle offre une direction: « Allez vous montrer… » Va vers ce qui permet la reconnaissance de ta dignité; avance dans la lumière d’un chemin; renoue avec une communauté, un corps. Paradoxe humble: c’est en marchant que la guérison se fraye un passage.
Le chemin comme guérison
La guérison n’attend pas l’arrivée; elle commence sur la route. Ce n’est pas la magie d’un instant, c’est la fidélité d’un pas. Obéir à la Parole met déjà en mouvement: on sort du cercle, on entre dans une histoire, on se laisse rejoindre par une promesse.
- Tu appelles un ami après des mois de silence: déjà, un morceau de solitude tombe.
- Tu prends rendez-vous chez le médecin que tu redoutais: déjà, la peur perd de son empire.
- Tu écris un courriel d’excuses: déjà, la honte est moins oppressante.
- Tu te présentes à un guichet administratif: déjà, ton nom redevient audible dans la cité.
Le Christ guérit souvent en nous envoyant vers des médiations. Il n’écrase pas les institutions; il les redresse à leur vocation: reconnaître, réintégrer, valider la vie. « Allez vous montrer aux prêtres » devient aujourd’hui: allez vers celles et ceux qui peuvent attester que vous avez votre place parmi nous.

L’un s’arrête, se retourne, revient
L’étonnement chrétien tient dans ce retournement. Au milieu des bonnes nouvelles, une grâce s’allume. Un homme perçoit qu’il n’est pas seulement soulagé: il est rejoint, aimé, relevé. Il comprend que la vie n’est pas un dû, mais un don. Il revient sur ses pas, car la gratitude n’est pas linéaire: elle fait demi-tour, elle repart à la source. Et cette source a un visage.
Revenir, c’est reconnaître. Glorifier, c’est ne pas garder pour soi. Se prosterner, c’est consentir à recevoir. Rendre grâce, c’est entrer dans la liturgie du monde, où tout vient et tout retourne au Père, par le Fils, dans l’Esprit.
Le texte précise: « Or, c’était un Samaritain. » L’Évangile nous éduque: la gratitude la plus pure surgit parfois de la marge. Celui qui ne possédait pas les codes religieux semble mieux saisir la gratuité de Dieu. L’étranger n’est pas folklorique; il est théologique. Il dévoile que le salut déborde nos frontières.
Les neuf autres
Ne les jugeons pas trop vite. Ils ont obéi. Ils poursuivent vers les prêtres, peut-être pressés de retrouver famille, travail, nom. Ils ne sont pas des « ingrats » au sens moraliste; ils sont comme nous quand la joie de l’obtention efface la source du don. Ils ne font pas scandale; ils font la vie qui va vite. L’Évangile n’humilie pas; il ouvre une brèche: et si la plénitude ne consistait pas seulement à aller mieux, mais à revenir dire merci?
La distinction apparaît: tous purifiés; un sauvé. La guérison touche le corps; le salut embrase toute la personne. Il y a la fin de l’exclusion, puis il y a l’entrée dans l’alliance. La gratitude est ce seuil.
L’étranger aujourd’hui
Qui est l’étranger? Souvent, celui dont la voix nous dérange parce qu’elle n’emploie pas nos mots. L’étranger politique, social, religieux. Celui de l’autre rive idéologique. Celui qui n’entre pas dans nos calendriers. Parfois l’étranger est en nous: partie blessée, oubliée, reléguée au fond d’une pièce.
- Migrant qui, après un repas partagé, dit « merci » avec une clarté qui dénoue les langues.
- Adolescente éloignée de l’Église qui, en rendant un service, s’émerveille d’être utile.
- Collègue discrète qui envoie un message de gratitude à l’équipe et change l’atmosphère d’un bureau.
- Voisin musulman qui apporte des gâteaux pour une naissance et nous apprend la joie simple de la bénédiction.
- Personne âgée qui, dans l’ombre, égrène des merci silencieux et maintient la ville debout.
L’étranger ne nous menace pas; il nous évangélise. Il rappelle le cœur de l’Eucharistie: eucharistia, l’action de grâce. Notre liturgie dominicale est école du merci, éducation du regard, conversation de tous nos gestes avec la bonté de Dieu.
« Ta foi t’a sauvé »
Jésus ne dit pas: « Ton mérite t’a sauvé », ni « Ta juste pratique t’a sauvé. » Il dit: « Ta foi t’a sauvé. » La foi, ici, n’est pas un examen théorique; c’est un mouvement: voir, s’arrêter, se retourner, glorifier, remercier. La foi reconnaît l’origine: Dieu. Elle reconnaît la médiation: Jésus. Elle reconnaît l’horizon: la marche continue, « va ». La gratitude n’enferme pas; elle relance.
Nous apprenons alors une grammaire du salut. Il ne s’agit pas de collectionner des interventions divines, mais d’entrer dans une relation. Dire « merci » à Dieu ne flatte pas son amour-propre; cela transforme notre cœur. Nous passons de l’appropriation à la réception, de la crispation à l’offrande, de la peur à la confiance.

Scènes contemporaines
Imaginons quelques lieux où ce texte prend chair.
- Salle d’attente d’hôpital. Une femme reçoit un résultat rassurant. Elle compose un numéro. Elle pourrait courir dehors; elle s’arrête. Elle glisse un signe de croix presque timide et murmure: « Merci, Seigneur. » Un autre patient la voit, n’ose pas parler, mais son cœur se détend. Le merci est missionnaire sans bruit.
- Open space. Un salarié retrouvant l’énergie après des mois d’épuisement. Au lieu de se perdre dans le flot, il envoie un message de gratitude à l’équipe, nommant deux gestes concrets reçus. L’air change; on respire mieux. Le merci réhabilite le réel.
- Bureau de quartier. Une personne en situation irrégulière finit par obtenir un rendez-vous décisif. Elle sort avec un papier provisoire. Elle pourrait disparaître, mais revient sur ses pas, frappe doucement à la porte, et dit: « Je voulais juste dire merci. Que Dieu vous bénisse. » La fonctionnaire se tait, touche son cœur: il y a plus qu’un dossier. Le merci reforme un peuple.
- Parvis d’église. Un homme en marge de la foi, venu pour une demande de baptême tardif. Accueilli, il repart apaisé. Le dimanche suivant, il revient non pour réclamer mais pour louer. Sa voix est forte, un peu maladroite, bouleversante. L’assemblée comprend: le salut est ici.
- Cuisine familiale. Un adolescent prépare la table sans qu’on lui demande. Au moment de s’asseoir, la mère propose: « Aujourd’hui, chacun nomme un merci. » On rit, on hésite, on parle. Le repas devient eucharistie domestique.
Petits gestes, grande liturgie
La gratitude n’est pas un supplément d’âme; c’est une discipline. Comme on apprend un instrument, on apprend le merci.
- Trois mercis par jour. Le matin pour ce qui vient, le midi pour ce qui se tisse, le soir pour ce qui a tenu.
- Journal de reconnaissance. Noter deux déploiements, même infimes: une parole, une lumière, une odeur de café, un message inattendu.
- Merci adressé. Dire à quelqu’un ce qu’il a apporté précisément. Le merci vague nourrit la politesse; le merci précis nourrit la communion.
- Liturgie de la table. Avant de manger, un verset, un silence, une phrase: « Nous te rendons grâce, Seigneur, pour ce pain et pour celles et ceux qui l’ont préparé. »
- Louange dans l’épreuve. Sans dire que tout est bien, trouver une brèche: « Merci pour la présence de N., merci pour la force de tenir aujourd’hui. »
Le merci ne nie pas le mal. Il attire la lumière dans les fissures. Il ne remplace pas la justice; il la rend désirable.
L’étranger comme maître
De l’Ancien Testament à l’Évangile, l’étranger enseigne. Abraham accueille trois visiteurs; il reçoit la promesse. Le Samaritain du fossé s’arrête; il devient prochain. L’Emmaüs de l’inconnu ouvre les Écritures; nos cœurs se mettent à brûler. Dans notre monde crispé sur des identités inquiètes, l’étranger ouvre la maison. Il nous reconduit au centre: Dieu n’est pas jaloux de nos frontières; il est jaloux de nos cœurs.
- Accueillir un récit. Laisser quelqu’un raconter d’où il vient, sans corriger, sans récupérer.
- Donner rendez-vous. La gratitude grandit dans la régularité: une soupe partagée chaque jeudi, un atelier de langue, une prière commune mensuelle.
- Recevoir un don. Ne pas transformer l’autre en projet; le laisser nous faire du bien. L’hospitalité se renverse: je me laisse servir.
Le Samaritain qui revient est « missionnaire de la gratitude ». Il annonce: Dieu a agi; le Christ est digne de louange; le salut est plus que le bien-être.
Eucharistie et vie
Eucharistia: action de grâce. La Messe nous fait pratiquer le retour. Nous venons avec nos semaines, nos foules intérieures. Nous confessons, nous écoutons, nous offrons, nous recevons, nous sommes envoyés. Le cycle s’imprime en nous: reconnaître, rendre grâce, se donner, repartir.
- Liturgie de la Parole. Nous entendons une voix qui relève, comme les dix entendant « Allez… »
- Offertoire. Nous amenons la route: fatigue, projets, noms propres.
- Prière eucharistique. L’Église bénit et remercie au nom de tous, même de ceux qui ne savent pas encore revenir.
- Communion. Nous nous prosternons intérieurement, comme le Samaritain, et nous recevons la nourriture du salut.
- Envoi. « Va »: gratitude et mission ne se séparent pas.
La gratitude devient une forme de résistance. Elle résiste aux narrations de manque, aux algorithmes de comparaison, aux récits cyniques. Elle n’est pas naïveté; elle est prophétie.

Pratique d’examen
Pratiquons une liturgie simple chaque soir.
- Se rendre présent. Inspirer, expirer, dire: « Me voici, Seigneur. »
- Demander la lumière. « Esprit Saint, donne-moi ton regard. »
- Relire la journée. Chercher les traces: où ai-je été purifié? où ai-je reçu? où ai-je donné?
- Dire merci. Nommer sans confusion. S’arrêter, se retourner, revenir à la source.
- Demander pardon. Reconnaître les neuf fois où je suis parti sans revenir.
- Supplier pour demain. « Relève-moi et envoie-moi. »
Cet examen ne pèse pas; il allège. Il prépare le merci du lendemain.
Gratitude et justice
On objectera: la gratitude ne suffit pas; il faut la justice. Justement: la gratitude ouvre l’œil sur le bien, et donc sur l’injustice. Elle nous rend plus fins pour agir. Le merci ne remplace pas la réforme; il donne l’énergie de la vouloir sans haine.
- Dans une équipe, instaurer un « tour des mercis » en début de réunion. Puis, prendre une décision structurelle pour soulager une pression injuste.
- Dans une paroisse, tenir un « cahier des merveilles » où inscrire les actions de Dieu dans les vies. Puis, ouvrir une permanence d’écoute et d’aide.
- Dans une ville, célébrer un « dimanche de la gratitude » avec d’autres confessions et associations. Puis, lancer un projet commun d’insertion.
La gratitude n’est pas un sédatif; elle est un ferment.
Souffrir et remercier
« Rendez grâce en toute circonstance » ne signifie pas: « Rendez grâce de toute chose. » Nous ne remercions pas pour le mal, la violence, l’injustice. Nous remercions parce que Dieu reste Dieu au cœur du mal, parce que des étincelles de bonté s’allument, parce que la croix n’a pas le dernier mot. Il y a place pour la lamentation; elle n’est pas l’ennemie de l’action de grâce, elle est sa sœur. Les psaumes le savent: la louange monte souvent trempée de larmes.
- En deuil, remercier pour une date, un geste, une phrase laissée comme un sillon.
- En maladie, remercier pour un soignant, une amélioration, une visite.
- En conflit, remercier pour un début d’écoute, une trêve, un mot pacifié.
Le merci est une respiration de résurrection.
Témoignages
Marie, 42 ans, raconte: « J’avais traversé une année de fractures. Un jour, en sortant du cabinet, le médecin m’annonce: “Les marqueurs sont bons.” J’ai eu envie de courir. Je me suis arrêtée. J’ai fait demi-tour, je suis entrée dans l’église du coin. Je n’avais pas prié depuis longtemps. Je me suis assise, j’ai pleuré, et j’ai dit: merci. Depuis, je reviens chaque semaine. J’ai découvert la Messe: cette prière qui fait du merci notre respiration. »
Omar, 27 ans: « J’avais honte de demander de l’aide. Un soir, j’ai écrit à mon curé: “J’ai besoin de parler.” Il m’a répondu. On s’est vus. Je n’ai pas reçu de solution miracle. Mais j’ai reçu une marche. Après quelques semaines, j’ai senti que quelque chose en moi était purifié: la honte. Je suis retourné le voir, juste pour dire merci. Il a souri et m’a demandé: “Tu veux servir à la soupe du jeudi?” J’ai dit oui. C’était ma façon d’avancer. »
Élise, 16 ans: « Je me sentais étrangère à tout. Une amie m’a traînée à une veillée. J’ai dit que je ne croyais pas. À la fin, j’ai écrit sur un petit papier: merci pour la lumière que j’ai vue. J’ai eu peur de passer pour une hypocrite. Je me suis retournée et j’ai donné le papier. C’était mon retour. On m’a dit: “Relève-toi et va.” Alors je continue. »

Liturgie domestique
Pour une prière en famille, en colocation, en groupe d’amis:
- Chant d’ouverture ou simple refrain de louange.
- Lecture: « Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger… » Le texte de Lc 17, 11-19.
- Silence bref.
- Partage: chacun nomme un merci de la semaine et un « pas à faire ».
- Psaume de gratitude: « Bénis le Seigneur, ô mon âme » ou une prière simple inventée.
- Intercessions: pour les « lépreux » d’aujourd’hui, pour les étrangers, pour les neuf qui n’ont pas encore trouvé le chemin du retour.
- Notre Père.
- Geste: écrire un merci concret à quelqu’un; l’envoyer dans la semaine.
- Bénédiction d’envoi: « Va, ta foi t’a sauvé. »
Prière d’action de grâce
« Jésus, maître, prends pitié de nous.
Tu as entendu le cri de nos distances.
En chemin, tu nous purifies de la peur et de la honte.
Nous revenons vers toi, source de notre joie.
Reçois notre merci, humble et plein.
Fais de nous des étrangers au ressentiment,
des familiers de la louange,
des passants qui relient,
des témoins qui s’inclinent.
Relève-nous, et dis à nos vies: “Va.”
Car notre foi — petite mais réelle —
trouve en toi le salut. Amen. »
Culture du merci au travail
La gratitude peut structurer nos espaces professionnels.
- Commencer les réunions par un tour rapide de reconnaissance: un fait, un nom, un pourquoi.
- Inscrire les mercis dans les processus: remercier l’effort, pas seulement le résultat.
- Cultiver le feedback bienveillant: dire la vérité sans écraser, nommer le bien sans flatter.
- Célébrer les étapes: même modestes, elles deviennent mémorielles de l’équipe.
- Mettre à l’honneur un « étranger » du service: un métier invisible, un partenaire, un agent d’entretien. Leur donner la parole.
Ces gestes luttent contre la lassitude et la compétition. Ils élargissent l’âme.
Merci et numérique
Nos écrans amplifient les voix; ils peuvent aussi amplifier la gratitude.
- Règle des 3 mercis: chaque jour, trois messages de reconnaissance, publics ou privés.
- Commentaires qui élèvent: nommer ce qui a nourri, éviter l’ironie et la suspicion faciles.
- Pauses de louange: couper 5 minutes l’algorithme, lire un psaume, respirer, remercier.
- Écologie des notifications: protéger des espaces pour entendre Dieu et entendre les autres.
Le merci empêche nos doigts de lancer des pierres. Il les habitue à lever la main pour bénir.
Retour et mission
Le Samaritain revient pour rendre gloire et repart envoyé. Le merci n’est pas un séjour; c’est un pont. Notre monde attend des ponts. Les communautés chrétiennes existent pour ce trait d’union: lieux où la gratitude est célébrée, apprise, transmise.
- Proposer une « veillée du merci » mensuelle: témoignages, chant, Parole.
- Créer un « mur de mercis » à l’église: post-it, dessins, intentions.
- Offrir des « cartes de gratitude » à distribuer: un mot, une bénédiction.
- Former des « visiteurs de consolation »: écouter, reconnaître, encourager à nommer les grâces.
Le merci, répété, construit des routes. Et sur ces routes, des étrangers deviennent des frères.
Quand je n’y arrive pas
Il y a des jours sans. Aucun mot ne monte. Le merci semble déplacé. Alors, empruntons la voix de l’Église. La liturgie porte quand je ne peux plus. Un « Je vous salue Marie » chuchoté. Un « Gloire au Père ». Une bougie allumée. Un « Kyrie eleison ». La foi de l’autre me porte. Le Samaritain qui revient me rappelle que le Christ est là, même quand mes lèvres se taisent. Dieu connaît le poids de mes pas. Il recueille ma fatigue. Et parfois, contre toute attente, un merci minuscule germe. Il suffit.
Théologie du seuil
Entre Samarie et Galilée. Entre éloignement et proximité. Le Christ choisit le seuil pour révéler le salut. Nos vies sont pleines de seuils: commencements, transitions, au-revoirs. Le merci y fait office de charnière. Il ferme une porte sans amertume, en ouvre une autre sans angoisse excessive. Il garde la mémoire, sans emprisonnement.
- Merci à une saison: ce que j’ai reçu, ce que je laisse.
- Merci à une personne: ce qu’elle a fait, ce qu’elle m’a appris.
- Merci à Dieu: pour sa patience, pour sa fidélité qui ne calcule pas.
Ce merci-là ne gomme pas les blessures; il les incorpore à l’histoire de salut.

La question du Christ
« Les neuf autres, où sont-ils? » Ce n’est pas un reproche glacial; c’est une question qui nous cherche. Où suis-je, aujourd’hui? Parmi les neuf pressés, des justes pressés? Ou parmi ceux qui s’arrêtent et reviennent? Peut-être suis-je l’un et l’autre, selon les jours. Le Christ, lui, reste sur la route, patient. Il recueille le merci de l’étranger et, par lui, relance l’appel aux neufs: « Revenez. » L’Église ne dresse pas un camp des méritants; elle apprend à faire demi-tour.
Gestes concrets pour la semaine
- Écrire une lettre de gratitude à une personne vivante qui a changé votre vie. La lui lire si possible.
- Appeler quelqu’un à qui vous n’avez jamais dit merci explicitement.
- Faire mémoire, chaque soir, de trois grâces et d’un « retour » à accomplir le lendemain.
- Offrir une action de grâce eucharistique en semaine pour une intention précise.
- Accueillir un étranger (au sens large): café, repas, marche, écoute sans agenda.
- Glisser un merci dans un espace numérique souvent agressif.
- Donner un merci à Dieu au milieu d’une épreuve: un seul mot peut suffire.
Bénédiction
Seigneur Jésus,
tu as traversé nos frontières et tu nous as rejoints dans nos distances.
Tu as entendu le cri des dix et tu as reçu le retour de l’un.
Apprends-nous l’art du merci,
la science du demi-tour,
la joie de la louange.
Que l’étranger, que nous croisons et que nous sommes,
soit notre maître et notre frère.
Dis à nos vies: « Relève-toi et va. »
Et que ta Parole nous sauve.
Frères et sœurs, recevons cet envoi: allez, et partout où vous irez, que votre premier mot et votre dernier geste soient un merci. Le monde y reconnaîtra une Église qui se souvient.



