La paysanne bourguignonne qui garda 46 ans le secret d’une mission mariale.

Paris, 1876. Une religieuse s’éteint dans l’anonymat d’un hospice. Ses consœurs la surnommaient « la sœur du poulailler ». Personne ne sait qu’elle est à l’origine de la Médaille miraculeuse, diffusée à des millions d’exemplaires depuis 1832. Catherine Labouré a vécu une double fidélité : au secret des apparitions de Marie rue du Bac en 1830, et au service silencieux des pauvres. Son histoire réconcilie mystique et quotidien, visionnaire et servante. Elle nous rappelle qu’aucune mission, aussi extraordinaire soit-elle, ne dispense du banal travail de chaque jour.
La fille de ferme devenue messagère
Enfance et responsabilités précoces
Catherine naît le 2 mai 1806 à Fain-lès-Moutiers, petit village de Bourgogne. Huitième de dix enfants, elle perd sa mère à 9 ans. La scène reste gravée : l’enfant grimpe sur une chaise, embrasse la statue de la Vierge et murmure « Maintenant, c’est toi ma maman ». Elle rejoint une tante à Saint-Rémy avant de revenir à la ferme en 1818.
À 12 ans, Catherine devient fermière de facto. Elle commande aux serviteurs, gère le fournil, le verger, l’étable, le poulailler. Debout avant l’aube, elle prépare les repas des ouvriers, trait les vaches, conduit le troupeau. Elle veille sur un frère infirme et accueille son père au retour des champs. Aucune plainte, aucun apitoiement : elle fait ce qui doit être fait.
L’appel dans le silence
Catherine passe de longues heures dans l’église de Fain, devant un tabernacle vide. La Révolution a décimé le clergé : le prêtre ne vient que pour mariages et enterrements. Dans ce silence, un appel monte. Une nuit, elle rêve d’un vieux prêtre. Lors d’une visite chez les Sœurs de Châtillon (1824-1826), elle reconnaît saint Vincent de Paul sur une image : c’était lui.
Son père veut la marier. Elle refuse. Il l’envoie alors à Paris, chez son frère restaurateur. Catherine devient servante, découvre la misère ouvrière, le travail des enfants en usine. Sa décision se cristallise : elle servira les pauvres comme Fille de la Charité. Son père cède enfin.
Rue du Bac : trois apparitions
Le 21 avril 1830, Catherine entre au séminaire de la Maison-Mère, rue du Bac. Quatre jours plus tard, les reliques de saint Vincent sont transférées à la chapelle de la rue de Sèvres. Grande joie pour la jeune novice.
Nuit du 18 au 19 juillet 1830. Veille de la fête de saint Vincent. Un enfant mystérieux réveille Catherine : « Venez à la chapelle, la Sainte Vierge vous attend ». Elle hésite, suit. Marie apparaît, s’assoit dans le fauteuil du directeur. Catherine s’agenouille, pose les mains sur ses genoux. Conversation intime de deux heures. Marie annonce des malheurs : révolution, violence. Dix jours plus tard éclatent les Trois Glorieuses (27-29 juillet).
Le 27 novembre à 17h30, seconde apparition pendant l’oraison commune. Catherine voit Marie debout, vêtue de blanc, les mains rayonnantes. Autour d’elle s’inscrit : « Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». La voix intérieure commande : « Faites frapper une médaille sur ce modèle ». L’image se retourne : un M surmonté d’une croix, deux cœurs (Jésus et Marie), douze étoiles.
Décembre 1830 : troisième apparition, semblable à la seconde. Marie précise : « Vous ne me verrez plus, mais vous entendrez ma voix dans vos oraisons ». Catherine obéit, se tait, reprend sa vie ordinaire.
46 ans d’effacement
En février 1831, Catherine quitte la rue du Bac. Bilan de sa directrice : « Forte, taille moyenne. Sait lire et écrire pour elle. Le caractère a paru bon. L’esprit et le jugement ne sont pas saillants. Assez de moyens. Pieuse, travaille à la perfection ». Appréciation tiède pour une visionnaire.
Elle est nommée à l’hospice d’Enghien, près de la place de la Nation (Paris 12e). Son confesseur, l’abbé Aladel, sceptique au début, finit par faire frapper la médaille en 1832. Les guérisons se multiplient. On parle de « médaille miraculeuse ». Catherine se tait. Personne ne connaît l’identité de la voyante.
Quarante-six ans durant, elle sert les vieillards et les immigrés avec une simplicité totale. On la surnomme « la sœur du poulailler ». Pas d’extase visible, pas de prophéties publiques. Elle écoute, lave, soigne, console. Sa vie mystique reste invisible, noyée dans la routine.
Confession ultime et mort paisible
Le 30 octobre 1876, Catherine se confie à sa supérieure, Sœur Dufès. Elle a 70 ans, sent venir la fin. Elle raconte tout : les apparitions, la mission, le secret gardé. Sœur Dufès écrit. Catherine meurt le 31 décembre 1876, sans agonie, avec un sourire paisible.
Le soir même, au réfectoire, Sœur Dufès lit le témoignage. Stupeur générale. La petite sœur du poulailler était la messagère de Marie. Son corps, exhumé en 1933, est retrouvé intact. Il repose aujourd’hui dans une châsse de verre, chapelle rue du Bac. Pie XII la canonise en 1947.

Quand le surnaturel épouse l’ordinaire
Fait établi
Les apparitions de la rue du Bac sont documentées par le témoignage direct de Catherine, recueilli par son confesseur et sa supérieure. L’Église les a reconnues en 1836, quatre ans après la frappe de la médaille. La diffusion rapide (plusieurs millions d’exemplaires dès 1839) et les conversions associées (notamment celle d’Alphonse Ratisbonne en 1842) ont consolidé la crédibilité du message. Le corps incorrompu de Catherine, visible depuis 1933, ajoute un signe matériel à l’événement spirituel.
Légende associée
Plusieurs récits populaires brodent autour du mystère. On dit que l’enfant qui guida Catherine était son ange gardien, voire l’archange Gabriel. Certains témoignages tardifs affirment qu’elle aurait prédit des événements politiques ou ecclésiastiques précis. Ces amplifications, non vérifiées, nourrissent une piété parfois naïve. L’essentiel demeure : Marie a confié à une humble fille un message de confiance et de protection.
Portée symbolique
Catherine incarne la compatibilité entre contemplation et action. Elle voit Marie, mais continue à traire les vaches. Elle reçoit un message universel, mais ne cherche ni gloire ni reconnaissance. Sa sainteté tient moins aux visions qu’à la fidélité quotidienne. Elle démythifie le mysticisme spectaculaire : la vraie vision, c’est celle qui éclaire le service du frère, pas celle qui grise l’ego.
Message du jour
Le secret comme ascèse
Catherine a gardé le silence 46 ans. Non par orgueil du mystère, mais par obéissance et humilité. Le secret protège la mission : révéler trop tôt, c’est risquer l’instrumentalisation, la curiosité malsaine, l’agitation stérile. Marie ne demande pas de publicité, mais une médaille et une prière. Catherine comprend que sa part, c’est l’effacement.
Cette discrétion évangélique résonne avec la parole de Jésus : « Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta droite » (Mt 6,3). La sainteté authentique se méfie des projecteurs. Elle préfère l’ombre du service à la lumière des honneurs.
Servir sans séparation
Catherine ne scinde jamais prière et travail. Ses mains qui ont touché les genoux de Marie lavent les plaies des vieillards. Ses yeux qui ont vu les rayons de grâce s’occupent du poulailler. Pas de divorce entre vie intérieure et tâches manuelles. Tout devient lieu de présence divine : l’étable comme la chapelle, le colombier comme le tabernacle.
Cette unité de vie répond à la consigne de saint Paul : « Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur » (Col 3,23). Pas besoin d’apparitions pour sanctifier la routine : il suffit d’y mettre l’amour.
L’image du semeur discret
Catherine sème sans voir la moisson. La médaille se diffuse, des grâces se déversent, elle l’ignore ou feint de l’ignorer. Elle ressemble au semeur de la parabole (Mc 4,26-29) : il jette la graine, puis dort, travaille, vit. La semence germe « il ne sait comment ». Catherine plante, Dieu fait grandir. Elle accepte de n’être qu’un outil, pas un spectateur de son propre succès.
Prière
Invocation
Marie, conçue sans péché, toi qui t’es montrée à Catherine dans la simplicité d’une chapelle silencieuse, apprends-nous à accueillir ta présence dans l’ordinaire de nos vies. Que nos mains, occupées aux tâches du jour, restent ouvertes à ta grâce. Que nos cœurs, distraits par mille soucis, se recentrent sur l’essentiel : aimer Dieu, servir nos frères.
Demande de grâce
Seigneur, donne-nous l’humilité de Catherine. Qu’aucune mission, si haute soit-elle, ne nous détourne du service humble. Qu’aucune apparente banalité ne nous empêche de reconnaître ta visite. Fais de nos journées un long chapelet d’actes d’amour, discrets et fidèles, sans attente de retour.
Force dans l’épreuve
Quand le secret pèse, quand l’incompréhension blesse, quand la routine use, donne-nous la patience de Catherine. Elle a gardé 46 ans la mémoire d’une nuit de juillet, sans amertume ni vanité. Apprends-nous cette endurance douce, cette constance sans éclat. Que notre force ne soit pas dans les consolations sensibles, mais dans la certitude d’être aimés et envoyés.
Fidélité dans le service
Ô Marie, médiatrice de toutes grâces, intercède pour nous auprès de ton Fils. Obtiens-nous la grâce de voir, dans chaque visage souffrant, le Christ qui attend notre compassion. Que nos mains distribuent tes rayons de lumière : écoute pour les isolés, soin pour les malades, dignité pour les pauvres. Que notre vie entière devienne médaille vivante, témoin silencieux de ta tendresse.

À vivre
- Prière du chapelet en méditant les mystères de Marie : Consacre 15 minutes à réciter au moins un dizain, en te représentant Marie penchée vers Catherine. Demande-lui de t’aider à reconnaître sa présence discrète dans ta journée.
- Acte de service anonyme : Pose un geste concret pour quelqu’un sans qu’il sache que c’est toi : un coup de fil à une personne seule, un don à une association, un mot d’encouragement glissé sans signature. Imite l’effacement de Catherine.
- Examen de conscience sur la discrétion : En fin de journée, relis tes conversations et tes actes. As-tu cherché la reconnaissance ? As-tu parlé de toi plus que nécessaire ? Demande pardon et renouvelle ton engagement à servir pour Dieu seul, pas pour l’image que tu donnes.
Mémoire et lieux
Chapelle de la Médaille Miraculeuse, Paris
Le 140 rue du Bac (Paris 7e) est le lieu exact des apparitions. La chapelle, construite au XIXe siècle, accueille chaque année des millions de pèlerins. Le corps de Catherine repose dans une châsse de verre sous l’autel latéral droit. À côté, le fauteuil où Marie s’est assise la nuit du 18 juillet 1830. L’atmosphère reste simple, presque austère, fidèle à la discrétion de Catherine. Les murs portent les témoignages de grâces obtenues : plaques de remerciement, béquilles abandonnées, photos de guérisons.
Fain-lès-Moutiers, Côte-d’Or
Le village natal conserve la maison familiale et l’église où Catherine priait devant le tabernacle vide. Un petit musée retrace son enfance bourguignonne. Les Bourguignons honorent leur « petite sœur des champs » chaque 28 novembre, date des apparitions. Une statue de bronze la représente en costume de Fille de la Charité, tenant une médaille.
Hospice d’Enghien, Paris 12e
Près de la place de la Nation (métro Reuilly-Diderot), l’hospice où Catherine a passé 46 ans est devenu une maison de retraite. Une plaque commémorative rappelle son passage. La salle où elle soignait les vieillards a été transformée en chapelle. Les Filles de la Charité y organisent des temps de prière le 31 décembre, anniversaire de sa mort.
Diffusion mondiale
La Médaille miraculeuse a été frappée à plus d’un milliard d’exemplaires. On la trouve dans les sanctuaires du monde entier. La conversion d’Alphonse Ratisbonne (1842), juif athée devenu prêtre après une vision de Marie identique à celle de la médaille, a lancé sa renommée internationale. Des églises lui sont dédiées en Amérique latine, en Afrique, en Asie. Partout, le message reste le même : recours à Marie, confiance en sa médiation.
Iconographie et culture
Catherine est souvent représentée à genoux devant Marie rayonnante, ou tenant une médaille. Les vitraux de la rue du Bac, réalisés au XXe siècle, illustrent les trois apparitions. Le peintre Émile Signol a fixé l’iconographie classique : Catherine en robe bleue des Filles de la Charité, regard humble, mains jointes. Des films, bandes dessinées et récits jeunesse perpétuent sa mémoire. Les Filles de la Charité, présentes dans 94 pays, continuent son œuvre auprès des malades et des exclus.
Liturgie
- Lectures possibles : Sg 3,1-9 (les âmes des justes sont dans la main de Dieu) ; Ps 15 (le Seigneur est mon héritage) ; Lc 1,26-38 (l’Annonciation, modèle de l’accueil humble de Marie).
- Chant d’entrée : Ave Maria de Lourdes ou Ô Marie, conçue sans péché, reprenant l’invocation de la médaille.
- Hymne de louange : Magnificat (Lc 1,46-55), cantique de Marie célébrant l’action de Dieu pour les humbles.
- Intentions de prière universelle : Pour les Filles de la Charité et tous les soignants ; pour les personnes isolées et les vieillards ; pour ceux qui portent un secret difficile ; pour la reconnaissance de la présence mariale dans l’ordinaire.
- Chant de communion : Je vous salue Marie ou Regarde l’étoile, invitant à l’imitation de Marie.
- Envoi : Marie, Mère de grâce, rappelant la mission de témoignage discret et de service dans le monde.


