Le premier voyage officiel du pape Léon XIV se déroule en Turquie, du 27 au 30 novembre 2025, avant de se poursuivre au Liban. Le Saint-Père visite un pays où le christianisme est numériquement faible mais où la foi reprend vie après un siècle de violences et de pressions étatiques. Une rencontre historique à l’occasion du 1700e anniversaire du concile de Nicée.
Silence après le Credo. L’appel à la prière des mosquées environnantes résonne de l’autre côté des vitraux verts. Deux femmes en tailleur en madras prennent une grande inspiration. Leur voix enveloppe toute la nef. C’est le dernier dimanche du temps ordinaire mais, dans la cathédrale du Saint-Esprit d’Istanbul, c’est surtout le dernier dimanche avant l’arrivée du pape Léon XIV en terre turque.
Pour cette communauté catholique minuscule — à peine 33 000 fidèles sur 85,8 millions d’habitants, soit 0,04 % de la population —, la visite du souverain pontife représente bien plus qu’un événement médiatique. Elle incarne la reconnaissance d’une existence discrète mais tenace, d’une foi qui survit dans l’ombre des minarets, d’une espérance qui refuse de s’éteindre malgré un siècle de tragédies.
Car la Turquie n’est pas n’importe quelle terre pour le christianisme. C’est ici, à Antioche, que les disciples de Jésus furent pour la première fois appelés « chrétiens ». C’est ici que saint Paul naquit, à Tarse, et qu’il entreprit ses voyages missionnaires qui allaient changer la face du monde. C’est ici, à Éphèse, que la tradition situe les dernières années de la Vierge Marie. Et c’est ici, à Nicée — l’actuelle Iznik —, qu’en 325, près de 300 évêques venus de tout l’Empire romain formulèrent le Credo que récitent encore aujourd’hui catholiques, orthodoxes et protestants du monde entier.
Une terre berceau du christianisme devenue hostile
L’héritage des premiers siècles
L’Anatolie — ce vaste plateau qui constitue aujourd’hui l’essentiel du territoire turc — fut l’un des premiers foyers du christianisme hors de Palestine. Les Actes des Apôtres en témoignent abondamment. Saint Paul y multiplia les communautés, de la Galatie à la Phrygie, de la Cappadoce à l’Asie proconsulaire. Les sept Églises de l’Apocalypse — Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée — se trouvent toutes sur ce territoire.
Les grands Pères de l’Église orientale y naquirent et y enseignèrent. Basile de Césarée y organisa un monachisme florissant dont les vestiges rupestres de Cappadoce témoignent encore. Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse y élaborèrent une théologie trinitaire qui fait toujours autorité. Irénée de Lyon, bien que mort en Gaule, était originaire de Smyrne, l’actuelle Izmir.
Mais c’est le concile de Nicée qui reste l’événement fondateur. En 325, l’empereur Constantin, récemment converti au christianisme, convoqua dans son palais d’été de cette petite ville de Bithynie une assemblée d’évêques chargée de résoudre une crise majeure : la querelle arienne. Le prêtre Arius d’Alexandrie affirmait que le Christ, bien que divin, avait été créé par le Père et n’était donc pas éternel. Les évêques réunis rejetèrent cette doctrine et formulèrent le fameux Symbole de Nicée, affirmant que le Fils est « engendré, non pas créé, consubstantiel au Père ».
Ce Credo, complété au concile de Constantinople en 381, demeure la profession de foi commune aux trois grandes confessions chrétiennes. Le réciter à Nicée même, 1700 ans plus tard, revêt une portée œcuménique considérable. C’est précisément ce que le pape Léon XIV vient accomplir, répondant à l’invitation du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier.
Le temps des massacres et de l’effacement
Comment une terre si profondément chrétienne a-t-elle pu voir sa population croyante réduite à une fraction infime ? La réponse tient en un siècle de violence systématique et de politiques d’homogénéisation ethnique et religieuse.
Au début du XXe siècle, les chrétiens représentaient encore environ 20 % de la population de l’Empire ottoman, soit plusieurs millions de personnes. Les Arméniens, présents depuis des millénaires sur le plateau anatolien, comptaient entre 1,5 et 2,5 millions d’âmes. Les Grecs orthodoxes peuplaient les côtes égéennes et pontiques. Les Assyro-Chaldéens et les Syriaques habitaient les confins mésopotamiens.
Le génocide arménien de 1915 constitue la tragédie fondatrice. Planifié et exécuté par le gouvernement des Jeunes-Turcs en pleine Première Guerre mondiale, il fit entre 800 000 et 1,5 million de victimes arméniennes. Les méthodes furent systématiques : arrestation et exécution des élites intellectuelles et religieuses le 24 avril 1915 à Constantinople, désarmement et massacre des soldats arméniens de l’armée ottomane, déportation des femmes, enfants et vieillards vers les déserts de Syrie dans des « marches de la mort » où la faim, la soif et les violences décimaient les colonnes de déportés.
Parallèlement, les chrétiens assyro-chaldéens et syriaques subirent un sort similaire — le « Sayfo » (« épée » en araméen) —, avec des estimations variant entre 300 000 et 700 000 morts. Les Grecs pontiques du nord-est de l’Anatolie connurent également des massacres qui firent environ 300 000 victimes.
L’avènement de la République turque en 1923 ne mit pas fin aux souffrances. Le traité de Lausanne organisa un « échange de populations » qui contraignit plus d’un million de Grecs orthodoxes d’Anatolie à quitter leurs terres ancestrales pour la Grèce, tandis que des musulmans de Grèce étaient envoyés en sens inverse. Istanbul, Constantinople la cosmopolite, ville aux deux tiers chrétienne en 1914, devint exclusivement turque et musulmane.
Les décennies suivantes virent se poursuivre l’érosion. Le pogrom d’Istanbul de 1955 cibla les Grecs et leurs commerces. De nouvelles vagues d’expulsion eurent lieu en 1964. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un millier de Grecs à Constantinople, berceau pourtant de leur présence millénaire, et environ 60 000 à 65 000 Arméniens dans tout le pays.
Un statut juridique précaire
Le traité de Lausanne de 1923, acte de naissance de la Turquie moderne, prévoyait la protection des minorités « non-musulmanes ». Mais l’État turc a choisi d’interpréter restrictivement ce texte, n’accordant le statut de minorité reconnue qu’aux Arméniens apostoliques (non catholiques), aux Grecs orthodoxes et aux Juifs.
Les autres communautés chrétiennes — catholiques latins, chaldéens, syriaques, protestants — se retrouvent ainsi dans un vide juridique. Sans personnalité juridique, elles ne peuvent ni posséder de biens immobiliers, ni ouvrir de compte bancaire en leur nom propre, ni créer de séminaires pour former leur clergé. Chaque acte de la vie ecclésiale devient un parcours d’obstacles administratifs.
Même les communautés reconnues ne sont pas à l’abri des entraves. Le séminaire orthodoxe de Halki, sur l’île de Heybeliada dans la mer de Marmara, est fermé depuis 1971 par décision des autorités turques. Cette fermeture empêche le patriarcat œcuménique de former ses futurs prêtres sur le sol turc, l’obligeant à recruter des clercs étrangers soumis aux aléas des visas et des autorisations administratives. Malgré les appels répétés de l’Union européenne et les promesses occasionnelles des gouvernements successifs, le séminaire reste clos.
Ankara refuse également de reconnaître le titre « œcuménique » du patriarche de Constantinople. Pour les autorités turques, Bartholomée Ier n’est que l’« İstanbul Rum Patriği », le « patriarche grec d’Istanbul », simple gestionnaire d’un culte local, et non le primus inter pares des quelque 300 millions d’orthodoxes dans le monde.

Vivre sa foi dans l’ombre des minarets
Le quotidien d’une minorité invisible
« 99 % de la population est musulmane en Turquie », martèle régulièrement le président Recep Tayyip Erdogan. Chaque fois qu’il prononce cette phrase, les chrétiens du pays ressentent le poids de l’effacement. Lorsqu’il évoque « nous, les Turcs, les Kurdes, les Arabes, tous frères », il omet systématiquement de citer les minorités non-musulmanes. Une omission qui en dit long sur leur place dans l’imaginaire national.
Les chrétiens de Turquie n’ont jamais été véritablement intégrés dans l’espace public. Malgré la laïcité officielle proclamée par les réformes kémalistes des années 1920-1930, ils ont toujours été perçus comme des éléments étrangers au corps national, des « agents de l’étranger » potentiels. Le mot « Arménien » est encore parfois utilisé comme une insulte.
Cette méfiance se traduit par des discriminations concrètes. Certains postes de la fonction publique restent en pratique fermés aux non-musulmans, bien qu’aucun texte ne l’interdise formellement. Les cours obligatoires de « culture religieuse » dans les écoles publiques se concentrent exclusivement sur l’islam sunnite, sans aucune représentation des perspectives chrétiennes. Les représentants des communautés protestantes ne sont pas invités aux réunions interreligieuses organisées par le gouvernement.
Pour beaucoup, l’invisibilité est devenue une stratégie de survie. Une catéchiste italienne née en Turquie témoigne : « Il y a toujours quelqu’un qui me regarde avec un mélange de curiosité et de défiance. Je reconnais que quand je vais au marché, je cache la croix sous un châle, on ne sait jamais. » L’historien Rifat Bali, spécialiste des minorités en Turquie, résume ainsi cette condition : « Nous avons choisi l’invisibilité pour vivre sur cette terre. »
Des conversions qui reprennent
Paradoxalement, c’est dans ce contexte difficile qu’un phénomène inattendu se produit : des conversions au christianisme, certes limitées en nombre, mais significatives par leur existence même.
Selon certaines estimations, il existerait dans le pays environ 35 000 domiciles privés secrètement utilisés comme églises de maison. Les mouvements évangéliques, en particulier, connaissent un réel succès depuis les années 1980. De nouveaux temples — parfois de simples auditoriums — s’ouvrent continuellement dans les principales villes : Istanbul, Izmir, Ankara, Mersin, Diyarbakir.
Un pasteur protestant turc, Ender Pecker, dont la famille d’origine est musulmane, témoigne de cette vitalité discrète : « Les laïcs s’efforcent de témoigner d’une présence crédible, active et joyeuse. Les occasions peuvent être de réunir des enfants de différentes Églises pour peindre des œufs de Pâques, ou de célébrer le dimanche dans différentes églises afin de garantir une périodicité qui, si elle venait à manquer, conduirait facilement à la fermeture du lieu de culte. »
Ces convertis vivent leur foi dans la clandestinité. La conversion de l’islam au christianisme n’est pas criminalisée en droit turc, mais elle reste socialement inacceptable. Les chrétiens d’arrière-plan musulman risquent d’être déshérités par leur famille, poussés au divorce, ou de perdre la garde de leurs enfants. Une femme d’origine musulmane, baptisée secrètement, raconte : « Ce soir, je renais à une nouvelle vie. J’étais musulmane par tradition, comme tous en Turquie, mais j’allais rarement à la mosquée. Puis j’ai fait un rêve, j’ai commencé à lire la Bible, j’ai trouvé un prêtre, et une communauté. »
La symbolique de Sainte-Sophie
Le 24 juillet 2020, le président Erdogan réalisa un vieux rêve des milieux islamo-nationalistes : la reconversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée. Ce joyau de l’architecture byzantine, construit au VIe siècle par l’empereur Justinien et consacré à la Sagesse Divine, était devenu musée en 1934 sous Mustafa Kemal Atatürk, symbole d’une Turquie laïque et ouverte sur son passé pluriel.
La décision d’Erdogan fut vécue comme une provocation par les chrétiens du monde entier. Le patriarche Bartholomée déclara que cette transformation risquait de « tourner le monde chrétien contre l’islam ». Le pape François se dit « très affligé ». L’archevêque de Grèce qualifia cet acte d’« impie », tandis que les cloches des églises orthodoxes grecques sonnèrent le glas en signe de deuil.
Pour les chrétiens de Turquie, Sainte-Sophie n’est pas n’importe quel édifice. C’est le siège symbolique du patriarcat œcuménique, l’équivalent pour l’orthodoxie de ce que Saint-Pierre de Rome représente pour le catholicisme. Certes, le bâtiment avait déjà été mosquée de 1453 à 1934, mais sa transformation en musée avait représenté une reconnaissance de son histoire plurireligieuse. Le retour au culte musulman exclusif efface cette reconnaissance.
L’année suivante, l’église Saint-Sauveur-in-Chora, autre joyau byzantin célèbre pour ses fresques et mosaïques exceptionnelles, connut le même sort. Ces décisions s’inscrivent dans une politique de réislamisation assumée par le pouvoir, qui utilise les symboles religieux à des fins de mobilisation électorale auprès de sa base conservatrice et nationaliste.

L’espérance d’une visite pontificale
Dans les pas des prédécesseurs
Léon XIV est le cinquième pape à se rendre en Turquie à l’époque contemporaine. Paul VI ouvrit la voie en 1967, rencontrant le patriarche Athénagoras dans un climat de réconciliation après les excommunications mutuelles de 1054, levées en 1965. Jean-Paul II s’y rendit en 1979, célébrant la messe à la cathédrale du Saint-Esprit d’Istanbul et confiant aux catholiques locaux une mission particulière : « Vous êtes appelés plus que d’autres à être les artisans de l’unité. »
Benoît XVI effectua un voyage délicat en 2006, quelques semaines après son discours de Ratisbonne qui avait provoqué l’indignation dans le monde musulman. Il multiplia les gestes d’amitié envers l’islam, se recueillant notamment pieds nus dans la Mosquée bleue aux côtés du grand mufti. François, en 2014, poursuivit cette diplomatie du dialogue, visitant lui aussi Sainte-Sophie — alors encore musée — et rencontrant le patriarche Bartholomée pour affirmer leur commune quête de l’unité chrétienne.
C’est d’ailleurs François qui avait prévu de se rendre à Iznik pour le 1700e anniversaire du concile de Nicée. Sa mort en avril 2025 transmit ce projet à son successeur. Léon XIV, premier pape américain de l’histoire, a choisi de faire de ce voyage œcuménique sa première sortie internationale, signifiant ainsi l’importance qu’il accorde au dialogue entre chrétiens.
Le programme d’une visite chargée de sens
Du 27 au 30 novembre 2025, le pape Léon XIV traversera la Turquie en plusieurs étapes soigneusement orchestrées. L’arrivée à Ankara, la capitale, permet les rencontres protocolaires avec le président Erdogan et les autorités civiles. Un moment délicat, tant les sujets sensibles abondent : droits de l’homme, situation des minorités, transformation de Sainte-Sophie, fermeture du séminaire de Halki.
Le pape rencontrera également les responsables de la Diyanet, la présidence turque des Affaires religieuses. Cette institution étatique, dotée d’un budget de 3,8 milliards de dollars pour 2025 — dépassant celui de plusieurs ministères —, incarne l’influence croissante de l’islam sunnite dans les structures de l’État. Le dialogue avec ses représentants revêt une importance stratégique.
Le cœur du voyage se situe à Iznik, l’ancienne Nicée. Sur le site des fouilles archéologiques de l’ancienne basilique Saint-Néophyte, le pape participera à une prière œcuménique en présence du patriarche Bartholomée. Une déclaration commune sera signée, réaffirmant l’engagement des deux Églises vers l’unité. Les Églises orthodoxes de la « pentarchie » du premier millénaire — Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem — ont été invitées par le patriarche œcuménique. Seule notable absente : l’Église orthodoxe russe, en rupture de communion avec Constantinople depuis 2018.
À Istanbul, le pape célébrera une messe pour la communauté catholique locale dans l’enceinte de la Volkswagen Arena, espace suffisamment vaste pour accueillir les fidèles venus de tout le pays. Il visitera une résidence de personnes âgées tenue par les Petites Sœurs des Pauvres, où se côtoient chrétiens de diverses confessions. Et il se rendra à la mosquée Sultan Ahmet, la célèbre Mosquée bleue, perpétuant le geste de ses prédécesseurs.
Un message d’unité et de paix
La devise choisie par Léon XIV pour l’étape turque — « Un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême » — résume l’intention du voyage. Dans sa lettre apostolique In unitate fidei, publiée avant son départ, le pape a insisté sur la « valeur œcuménique » du concile de Nicée et appelé à « marcher ensemble pour atteindre l’unité et la réconciliation ».
Pour les chrétiens de Turquie, cette visite est un rayon de lumière dans une existence souvent difficile. Elle leur dit : vous n’êtes pas oubliés. Votre foi, même minoritaire, compte aux yeux de l’Église universelle. Votre fidélité dans l’épreuve est un témoignage pour le monde entier.
« C’est une grande joie pour moi, successeur de Pierre », avait déclaré Jean-Paul II en 1979 aux catholiques d’Istanbul, « de m’adresser aujourd’hui à vous avec les paroles mêmes que saint Pierre adressait il y a dix-neuf siècles aux chrétiens qui étaient alors, comme aujourd’hui, une petite minorité sur ces terres. » Quarante-six ans plus tard, la situation n’a guère changé. Mais la foi, elle, persiste.
Dans la cathédrale du Saint-Esprit, ce bâtiment baroque érigé en 1846 par les Français et devenu le principal lieu de culte catholique d’Istanbul, une statue du pape Benoît XV trône dans le jardin. L’inscription rappelle qu’il fut le « bienfaiteur des peuples sans distinction de nationalité ni de religion » pendant les heures tragiques de la Première Guerre mondiale. C’est dire si la mémoire des souffrances passées reste vive en ces murs.
Mais les fidèles qui s’y retrouvent chaque dimanche — Turcs de souche, descendants de familles latines, réfugiés chaldéens venus d’Irak, expatriés européens — refusent de se laisser définir par le malheur. « Pas besoin d’être nombreux quand on aime l’Évangile », confie l’un d’eux. Cette phrase pourrait résumer l’esprit de la communauté chrétienne de Turquie : une minorité certes, mais une minorité vivante, priante, espérante.
Après la Turquie, Léon XIV s’envolera pour le Liban, autre terre meurtrie où les chrétiens, bien plus nombreux qu’en Turquie, font face à des défis immenses. La devise de cette seconde étape — « Heureux les artisans de paix » — résonne avec une acuité particulière alors que les frappes israéliennes continuent de frapper le pays du Cèdre malgré le cessez-le-feu.
Mais pour les chrétiens de Turquie, le moment présent appartient à l’espérance. Le successeur de Pierre vient chez eux, sur cette terre où Pierre lui-même n’est jamais venu mais où son compagnon Paul a tant œuvré. Il vient célébrer les 1700 ans d’un Credo qui les unit à des milliards de croyants à travers le temps et l’espace. Il vient leur dire que leur petitesse n’est pas insignifiance, que leur discrétion n’est pas effacement, que leur fidélité dans l’adversité est un trésor pour l’Église tout entière.
Dans la nef de la cathédrale du Saint-Esprit, après la messe du dimanche, les fidèles échangent des nouvelles, partagent un café, s’enquièrent des uns et des autres. Au-dehors, l’appel à la prière continue de résonner depuis les minarets voisins. Deux mondes coexistent, séparés par quelques mètres et des siècles d’histoire tumultueuse. Mais pour un bref moment, dans cette bulle de foi partagée, les chrétiens de Turquie se savent partie d’une famille bien plus vaste que leur petit nombre ne le laisse supposer.
Et c’est peut-être là le sens profond de la visite du pape Léon XIV : rappeler que l’Église n’est pas une question de nombre. Elle est une communion de croyants, liés par une foi commune exprimée il y a 1700 ans à quelques kilomètres de là, dans une petite ville de Bithynie où des évêques venus de tout l’Empire romain osèrent affirmer que Jésus de Nazareth était « vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père ». Cette foi-là, les chrétiens de Turquie la portent encore, envers et contre tout. Et c’est peut-être leur plus beau témoignage.


