« Dieu a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 29-36)

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Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères,
    les dons gratuits de Dieu et son appel
sont sans repentance.
    Jadis, en effet, vous avez refusé de croire en Dieu,
et maintenant, par suite du refus de croire d’une partie d’Israël,
vous avez obtenu miséricorde ;
    de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire,
par suite de la miséricorde que vous avez obtenue,
mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi.
    Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire
pour faire à tous miséricorde.

    Quelle profondeur dans la richesse,
la sagesse et la connaissance de Dieu !
Ses décisions sont insondables,
ses chemins sont impénétrables !
    Qui a connu la pensée du Seigneur ?
Qui a été son conseiller ?
    Qui lui a donné en premier
et mériterait de recevoir en retour ?
    Car tout est de lui,
et par lui, et pour lui.
À lui la gloire pour l’éternité !
Amen.

            – Parole du Seigneur.

Ouvrir à la miséricorde universelle : accueillir la sagesse surprenante de Dieu dans notre résistance

Quand le refus de croire devient la porte de la miséricorde universelle : Dépasser les certitudes pour accueillir l’inattendu

Comment expliquer l’amour inconditionnel de Dieu lorsque tout semble s’opposer à la foi, à la cohésion spirituelle, ou même à la logique humaine ? Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, renverse toutes les perspectives habituelles : là où l’on voit fermeture, il annonce effraction de la grâce. À travers le paradoxe du refus de croire (« incrédulité »), Paul dévoile une pédagogie divine qui n’exclut personne de la miséricorde. Cet article s’adresse à toute personne en quête de sens, tiraillée entre effort personnel et abandon à la grâce, croyant ou curieux, pour qui le texte biblique reste à la fois un appel et un mystère. Plongeons dans cette parole bouleversante : et si notre résistance était déjà travaillée par la miséricorde ?

Voyage au cœur d’un appel paradoxal à la grâce

Ce parcours articule quatre grandes étapes : d’abord, comprendre le contexte et le choc du texte biblique ; ensuite, analyser sa dynamique profonde ; puis, explorer trois axes essentiels (la gratuité du salut, le mystère d’Israël, et les implications pratiques du refus et de la miséricorde) ; enfin, relier l’originalité de Paul à la tradition chrétienne, ouvrir des pistes de méditation, et offrir des repères concrets pour une vie transformée.

Contexte

Saint Paul écrit la lettre aux Romains vers l’an 57, probablement depuis Corinthe, à une communauté cosmopolite marquée par les tensions entre chrétiens d’origine juive et païenne. La question brûlante : comment comprendre le destin d’Israël, peuple élu, à l’heure où nombre de Juifs refusent la foi dans le Christ, alors que des païens entrent dans la communauté chrétienne ? Le chapitre 11 s’inscrit dans la triple méditation de Paul sur la justice, la fidélité divine et la réconciliation universelle. Ce passage intervient après une longue argumentation sur le mystère du rejet d’Israël : « car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentir ». Paul annonce une relecture bouleversante : le refus de croire n’est ni une fatalité ni une faute irrémédiable, mais l’occasion pour Dieu de déployer une miséricorde universelle.

Sur le plan liturgique, ce texte est lu lors des offices marquant la miséricorde divine ou les méditations sur le salut universel. Spirituellement, il interroge le rapport de chaque croyant à son histoire personnelle : nul ne possède le salut ni ne mérite plus que l’autre. Théologiquement, il offre une clef pour comprendre la logique du don gratuit, opposée à toute logique de mérite ou d’exclusion.

Voici l’extrait étudié, mis en perspective :

« Frères, les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance. Jadis, en effet, vous avez refusé de croire en Dieu, et maintenant, par suite du refus de croire d’une partie d’Israël, vous avez obtenu miséricorde ; de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire, par suite de la miséricorde que vous avez obtenue, mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi. Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde. » (Rm 11, 29-32)

Paul ne propose pas ici une simple morale : il invite à reconnaître la profondeur du dessein de Dieu, qui accueille dans le don là où l’homme n’attend que sanction. La prise de conscience naît : même dans la dureté, Dieu prépare le chemin de l’ouverture. Le scandale du refus devient, dans la logique paulinienne, la condition de l’universalité du salut. Ce texte questionne chacune de nos frontières, nos jugements et nos attentes.

La miséricorde n’est jamais logique : elle retourne le refus en ouverture, et fait de chaque histoire, même la plus fermée, le lieu d’avènement du don. (Paul, Augustin, François)

Analyse

L’idée directrice du texte n’est pas de présenter un Dieu capricieux ou arbitraire, mais d’exprimer la cohérence bouleversante d’une miséricorde qui transcende toutes les logiques humaines. La dynamique centrale repose sur l’inversion du schéma classique : la foi n’est pas le fruit d’un mérite personnel, mais une grâce reçue dans l’histoire où le refus et l’accueil s’entrecroisent.

Paul ne dresse jamais la liste des « bons croyants » ; il part du constat que tous, juifs et païens, ont expérimenté à leur façon le refus de croire. Ce refus n’est pas le dernier mot. Dieu, loin de s’enfermer dans le jugement, transforme la fermeture humaine en ouverture de sa propre miséricorde. Le paradoxe : le refus n’est plus obstacle, mais passage obligé ; c’est parce que certains refusent, que d’autres sont accueillis, et réciproquement. La logique du don dépasse le mérite, explose les frontières, et invite chacun à quitter une posture d’autojustification.

L’analyse du texte dévoile une tension entre deux pôles : le scandale du refus (incrédulité) et la promesse du don (miséricorde). Cette tension n’est pas résolue par l’exclusion de l’un ou de l’autre, mais par leur réconciliation dans le dessein de Dieu. Paul invite à une humilité radicale : « Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? » Il déconstruit la prétention humaine à posséder le sens ultime du salut. La portée existentielle s’impose : au cœur de nos limites, Dieu ouvre à l’inouï, à l’inespéré, à l’accueil de celui qui était hors champ.

Spirituellement, ce texte prépare à l’accueil de la miséricorde là où la fermeture semblait définitive. Théologiquement, il pose les bases de la gratuité du salut, et d’une solidarité universelle qui interdit toute supériorité ou exclusion. Dieu n’est pas un juge implacable, mais celui qui retourne le refus en don.

La gratuité du salut, une révolution silencieuse

Saint Paul martèle une affirmation qui bouleverse tous les automatismes religieux : « les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance ». Autrement dit, Dieu ne reprend pas ses dons, quels que soient les cheminements humains. Cette gratuité détonne dans un monde obsédé par la dette, l’échange, le mérite. Elle est difficile à accueillir : l’humain préfère souvent imaginer une justice contractuelle.

La gratuité divine suppose une relation libérée du marchandage : là où l’homme calcule, Dieu donne sans attendre de retour. En prenant acte du refus de croire, Paul ne stigmatise pas, il universalise : personne ne peut se targuer d’être favorisé ou damné a priori. La grâce opère toujours sur le terrain de la surprise. Cette perspective invite à réélaborer la notion de conversion : il ne s’agit pas de « mériter », mais de se laisser rejoindre dans la pauvreté, l’incapacité à croire pleinement. La révolution de Paul est silencieuse : la miséricorde devient le critère premier, transformant chaque refus en opportunité pour le don.

Israël, le peuple de la promesse au cœur du paradoxe

Paul s’appuie sur la contradiction vécue par Israël : peuple élu, porteur de la révélation, il expérimente le refus de croire au Christ, tandis que les païens se convertissent. Cette tension n’est pas tragédie, mais dynamique du salut : « vous avez obtenu miséricorde grâce à leur refus, et ils obtiendront miséricorde gràce à la vôtre ».

Pour Paul, Israël occupe toujours une place centrale : l’histoire du refus n’est pas une condamnation, mais un passage. Le lien n’est jamais rompu ; au contraire, la miséricorde s’y manifeste avec force. Cette vision met en garde contre toute tentation de supériorité chrétienne : l’Église naît d’un geste paradoxal de Dieu, qui se sert du refus pour élargir le cercle du salut.

Spirituellement, méditer cette dynamique invite à sortir des dualismes exclusifs (eux/nous), pour embrasser une fraternité universelle. Le peuple dont l’histoire semblait close est re-ouvert à la grâce, non par son mérite, mais par l’initiative de Dieu. Ainsi, chaque histoire de fermeture, chaque traversée du refus, devient le lieu possible d’un relèvement.

Refus, miséricorde et conversion pratique

À première vue, la formule de Paul pourrait sembler désespérante : « Dieu a enfermé tous les hommes dans le refus de croire ». Mais elle ouvre au contraire à une prise de conscience : tous, d’une manière ou d’une autre, expérimentent le manque, le doute, la fermeture. Ce constat peut libérer de la honte ou du jugement ; il invite à une humilité partagée.

Loin de l’accusation, Paul propose une éthique de la miséricorde : chacun reçoit la grâce non parce qu’il dépasse le refus, mais parce que le refus devient l’occasion de l’accueil. La conversion chrétienne devient passage : reconnaître ses failles, consentir à être relevé, et se savoir solidaire de tous dans le don reçu. La miséricorde n’est donc pas une récompense, mais le fruit d’une relation où l’amour de Dieu surmonte le refus.

Concrètement, ce dynamisme invite à revisiter la place du doute, de la fermeture, du manque de foi : plutôt que signes d’exclusion, ils sont appel à recevoir, à ouvrir un espace à la visite de Dieu, capable de transformer la nuit en aurore.

« Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! » (Rm 11, 36)

Héritage et tradition : la miséricorde à travers les siècles

Les Pères de l’Église, de Saint Augustin à Grégoire le Grand, ont médité cette logique paradoxale du refus et de la miséricorde. Augustin commente ce passage comme l’expression de la patience divine : Dieu ne désespère jamais de ses créatures, et transforme leur refus en occasion de relèvement. Pour lui, la miséricorde est la clef de l’histoire : elle traverse les échecs et prépare la fidélité.

La tradition médiévale, avec Thomas d’Aquin, insiste sur le don gratuit de la grâce : personne ne possède Dieu, tout est reçu, même la capacité de croire. La liturgie, dans ses prières sur la miséricorde (dimanche de la miséricorde dans le rite catholique), reprend cette logique : Dieu ne se lasse pas de pardonner, relevant chacun sans mesure.

Contemporainement, la spiritualité du pape François ou de l’orthodoxie insiste sur l’universalité du pardon : « le salut est toujours possibilité, jamais propriété ». Le refus devient le lieu précis où Dieu vient, non pour punir, mais pour transformer, ouvrir, relancer. La tradition voit donc dans ce texte paulinien la clef de la pédagogie divine : être enfermé dans le refus, c’est paradoxalement être préparé à recevoir pleinement la miséricorde.

Marcher dans la miséricorde : 7 étapes pour incarner le message

  1. Commencer chaque journée par l’accueil de ses limites et de ses résistances, sans honte ni peur.
  2. Résister à la tentation du jugement des autres : leur refus, leurs doutes, sont autant d’occasions d’apprendre la patience.
  3. Relire l’histoire de son propre refus (petit ou grand), et y discerner les moments où la miséricorde est survenue sans raison apparente.
  4. Prier chaque soir pour recevoir la grâce de consentir à être relevé, même dans l’incapacité à croire pleinement.
  5. Méditer Rm 11, 29-36 au moment d’une difficulté ou d’une fermeture intérieure.
  6. S’engager dans une démarche de pardon, envers soi-même et envers autrui, en invoquant la gratuité du don.
  7. Se rappeler que la conversion est un don reçu, non une performance : demander la grâce de l’ouverture.

Au-delà du refus, la révolution douce de la miséricorde

Ce passage bouleverse toute logique humaine : le refus, loin d’être fatal, devient espace de grâce, laboratoire de miséricorde. Paul invite à quitter les schémas du mérite et du jugement, pour accueillir la surprise divine, qui retourne la fermeture en commencement. La force transformative de Rm 11, 29-36 réside dans son universalité : nul n’est exclu, aucun choix n’est définitif, tant que la miséricorde travaille le secret de chaque histoire.

Mettre en œuvre ce message révolutionne non seulement la vie intérieure (libération du poids du mérite, accueil de la miséricorde dans la faiblesse), mais aussi la vie sociale : cesser d’opposer, commencer de réconcilier, ouvrir la porte à tous les possibles. La parole de Paul résonne comme un appel à la conversion du regard, de la relation, de la vie. À chaque refus, qu’il soit personnel, collectif, historique, Dieu prépare déjà la venue de la miséricorde. À nous de faire le pas, d’oser recevoir et transmettre.

Pratiques pour vivre le message

  • Relire et méditer Rm 11, 29-36 chaque semaine pour en voir les résonances dans sa vie.
  • Tenir un journal des occasions où le refus (le doute, la résistance) a préparé une ouverture imprévue.
  • Se rappeler, lors de tentations de jugement, la dynamique universelle de la miséricorde.
  • Proposer un groupe de partage sur le thème du don gratuit : échange d’expériences, lectures croisés.
  • Intégrer une prière pour la miséricorde universelle dans la routine quotidienne ou communautaire.
  • Chercher l’occasion de pardonner un proche, avec la conscience de la gratuité du pardon.
  • Lire un auteur classique sur la miséricorde (Augustin, François d’Assise, Pape François) pour élargir sa perspective.

Références

  • Bible, Lettre aux Romains, chapitres 9 à 11.
  • Saint Augustin, Commentaires sur la Lettre aux Romains.
  • Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, questions sur la grâce.
  • Pape François, Misericordiae Vultus, Bulle d’indiction du jubilé de la miséricorde.
  • Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile.
  • Jean Chrysostome, Homélies sur la Lettre aux Romains.
  • Hans Urs von Balthasar, La vérité est symphonique : Aspects de la doctrine chrétienne.
  • Liturgie catholique, Office du dimanche de la miséricorde.

Équipe Via Bible
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