Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

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CHAPITRE 1

Luc 1.1 Plusieurs ayant entrepris d’écrire l’histoire des faits accomplis parmi nous,Plusieurs. Quels sont ces hommes nombreux qui, dès les premières années du Christianisme, avaient entrepris d’écrire la vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et quelle idée doit‑on se faire de leurs tentatives ? Les anciens commentateurs ont souvent pris en mauvaise part les expressions plusieurs et entrepris. Ils ont vu, dans la première, la désignation des Évangiles apocryphes, ou même hérétiques, qui ne tardèrent pas à envahir d’une manière étrange l’Église primitive, et par suite, dans la seconde, un blâme vigoureux adressé par S. Luc aux auteurs des « Essais » en question. « En disant ils ont essayé, il porte une accusation latente contre ceux qui, sans la grâce du Saint‑Esprit, ont tenté d’écrire des évangiles. Matthieu, Luc, Marc et Jean n’ont pas essayé d’écrire, mais ont écrit ». Origène, Hom. 1 in Lucam. cf. S. Ambr. Expositio in Luc. l. 1 , 4, Salmeron, Tolet, etc., h. l. Mais tous les exégètes modernes sont d’accord pour reconnaître, comme le faisaient déjà Maldonat et Luc de Bruges, que ces deux expressions n’ont ni par elles‑mêmes, ni dans le contexte, une signification aussi sévère. « Plusieurs » ne saurait s’appliquer aux écrits apocryphes et hérétiques qui se parèrent du nom d’Évangiles, attendu que ces écrits n’existaient pas encore quand S. Luc publia sa biographie du Sauveur : ce mot désigne donc des auteurs inconnus, dont les écrits furent peu à peu relégués dans l’oubli, quand Dieu eût donné à l’Église, et que celle‑ci eût marqué du sceau de son autorité, les quatre Évangiles canoniques. Le verbe entrepris est un choix assez heureux, parce qu’il suppose assez souvent, et c’est ici le cas, une entreprise délicate, importante, qui n’est pas sans difficulté. Aussi, sans blâmer précisément ces essayistes, puisqu’il se place, au v. 3, sur la même ligne qu’eux, S. Luc fait peut‑être une allusion indirecte à l’imperfection, au caractère insuffisant de leurs œuvres. Il montre du moins qu’ils n’ont pas épuisé le sujet, et, s’il prend la plume à son tour, c’est assurément pour le traiter dans des conditions plus avantageuses. – L’histoire des choses qui se sont accomplies. On devine sans peine de quelles choses S. Luc veut parler. Il s’agit évidemment des faits admirables qui composent la vie de Notre‑Seigneur. « Parmi nous » peut désigner soit, d’une manière générale, le monde entier, c’est‑à‑dire le monde contemporain de Jésus, soit le cercle beaucoup plus restreint, mais chaque jour grandissant, des amis et disciples du Sauveur. Ce second sens paraît le plus probable, puisque c’est un chrétien qui s’adresse ici à un chrétien ; c’est aussi le plus communément admis. – Accomplies. Peut‑être, en employant cette expression, l’écrivain sacré voulait‑il faire une allusion aux anciennes prophéties, que Jésus avait si parfaitement réalisées. Il est vrai que des auteurs anciens et modernes, en assez grand nombre et faisant autorité (spécialement le traducteur syrien Origène, Théophylacte, Euthymius, Érasme, Grotius, Hug, Olshausen, etc.) donnent à ce participe le sens de « tout à fait accréditées », « su avec certitude » ; mais ce sens n’est possible que lorsqu’on l’applique aux personnes (v.g. Romains 4, 21 ; 14, 5), il ne l’a pas quand il s’agit des choses.

Luc 1.2 conformément à ce que nous ont transmis ceux qui ont été dès le commencement, témoins oculaires et ministres de la parole, – Dans le verset qui précède, l’évangéliste a signalé un fait : « plusieurs ayant entrepris… » ; il indique dans celui‑ci la source à laquelle avaient puisé les nombreux écrivains qu’il se propose d’imiter en les perfectionnant. Transmis désigne la tradition orale, dont le rôle était si considérable dans l’Église naissante. – Témoins oculaires et  ministres de la parole... S. Luc avait‑il en vue deux catégories distinctes d’individus, ou tout à fait les mêmes, désignés sous un double caractère ? La seconde est certainement plus conforme à la construction du texte grec primitif, qui place les deux substantifs sur une même ligne, rattachés aux mêmes mots, et paraît ainsi représenter une catégorie unique de personnages, ceux qui furent tout ensemble témoins et auxiliaires, c’est‑à‑dire les disciples de Jésus dans le sens strict. D’après cela, l’expression « dès le commencement » ne désignerait pas les premières années du Sauveur (Kuinoel, Olshausen, Bisping, etc.) mais seulement le début de sa Vie publique ; elle aurait une signification relative et non absolue. Cette interprétation nous est suggérée par Jésus‑Christ lui‑même , qui disait un jour à ses apôtres : « vous aussi, vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi DÈS LE COMMENCEMENT », Jean 15, 27 ; cf. Actes 1, 21-22 et Luc. 3, 23. Il nous reste à préciser le sens de la parole. D’anciens exégètes, tels qu’Origène, S. Irénée, S. Athanase, Euthymius, voient sous ce terme le Logos personnel ou Verbe divin ; mais il est difficile de croire qu’ils aient voulu donner ici une interprétation stricte, attendu que le substantif parole n’est employé de la sorte que dans le quatrième Évangile. S. Luc a voulu parler seulement de la prédication évangélique, qui est le langage, le discours par excellence ; ou, mieux encore, des actions de Jésus en général, ce qui correspondrait aux « choses » du v.1. – La tradition apostolique, voilà donc la base sur laquelle s’étaient appuyés les écrivains mentionnés par S. Luc : base excellente, qui sera également la sienne. Il suit de là que S. Matthieu n’est pas compris dans les « plusieurs », puisqu’il avait été personnellement témoin et ministre de la parole. S. Marc en faisait‑il partie d’après la pensée de S. Luc ? C’est possible en soi mais si peu vraisemblable, que la plupart des exégètes se décident pour la négative, à quelque école du reste qu’ils appartiennent.

Luc 1.3 j’ai résolu moi aussi, après m’être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l’origine, de t’en écrire le récit suivi, excellent Théophile, – L’évangéliste fait part maintenant au lecteur de sa méthode, des principes directeurs qu’il suivra en tant qu’historien de Jésus. – j’ai résolu moi aussi. S. Luc s’autorise en quelque sorte de l’exemple des écrivains qui l’ont précédé. Ce qu’ils ont fait, il est pareillement en droit de l’entreprendre. Mais il insinue ensuite délicatement en quoi il essaiera de les surpasser. Quatre expressions choisies indiquent les qualités qu’il s’efforcera de donner à sa narration. 1°. Il sera aussi complet que possible, après m’être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l’origine. Dans la version grecque, le verbe signifie littéralement « suivre pas à pas » ; les meilleurs auteurs grecs l’appliquent comme S. Luc aux investigations intellectuelles. cf. Polyh. 1, 12 ; Démosth. Pro corona, c. 53, etc. 2°. S. Luc remontera jusqu’à l’origine la plus reculée de l’histoire du Sauveur, car « il se propose d’introduire dans son tableau même l’aurore du jour » qui en forme le fond (Bisping). Les vv. 5 et ss. Nous montreront ce que S. Luc a entendu par le « commencement de toutes les choses. ». 3° Il racontera avec toute l’exactitude dont il sera capable ; la méthode suivie par lui dans son récit comme dans ses recherches sera « critique », selon l’expression qui est à la mode aujourd’hui. 4° Il organisera les événements d’après un ordre régulier, qui sera généralement celui de la chronologie, dans l’ordre. Nous avons vu en divers endroits de la Préface, §§ 5 et 8, que S. Luc a été fidèle à toutes ses promesses. Il est plus complet qu’aucun autre évangéliste (cf. S. Ambr. Exp. in Luc. 1, 11) ; il remonte non‑seulement jusqu’à l’Incarnation du Verbe, mais jusqu’à la conception du Précurseur ; il est un narrateur très exact ; enfin un ordre lumineux règne à peu près partout dans ses pages. – De t’en écrire le récit suivi, excellent Théophile. Ces mots renferment la dédicace de l’ouvrage. Voyez la Préface, § 4. Mais qu’était ce « très excellent Théophile » auquel S. Luc adressait ainsi premièrement et directement son Évangile ? Les avis ont été de tout temps très partagés sur ce point. De la signification mystique de son nom (ami de Dieu), on a parfois conclu (Hammond, Leclerc, E. Renan, etc.), à la suite d’Origène, Hom. 1 in Luc., de S. Épiphane, Haer. l. 51, et de Salvianus, lettre 9 ad Salonium, que c’était un personnage purement idéal et supposé, destiné à représenter tout lecteur chrétien, de la façon de la Philothée de S. François de Sales. Mais c’est à bon droit que les exégètes rejettent pour la plupart ce sentiment : car, d’un côté, il est contraire à l’ensemble de la tradition, laquelle a vu très généralement dans Théophile un personnage historique et réel, vivant en même temps que S . Luc ; d’un autre côté, il est suffisamment réfuté par l’épithète excellent associé au nom de Théophile. En effet, on ne donne pas de titres honorifiques à un être imaginaire ; or cet adjectif, équivalent au « splendidus » des Latins, apparaît soit dans les écrits du Nouveau Testament (cf. Actes 23, 26 ; 24, 3 ; 26, 25), soit sur les monuments antiques devant le nom de personnages officiels et distingués. On a inféré de là, sans doute avec raison, que le Théophile auquel est dédié le troisième Évangile était selon toute apparence un homme d’un rang assez élevé, par exemple un magistrat supérieur. Tout prouve aussi qu’il était chrétien, et d’origine païenne. Toutefois on n’a pas voulu se borner à ces idées générales : toutes sortes d’hypothèses furent faites pour déterminer sa personne et sa patrie. C’est ainsi qu’on l’a identifié tantôt avec le grand‑prêtre juif du même nom, fils d’Anne, ant. 18, 5, 3 ; 19, 6, 2), tantôt avec un autre Théophile, habitant d’Athènes, mentionné par Tacite, annal. 2, 55, 2, tantôt avec le célèbre Philon d’Alexandrie, tantôt avec deux autres homonymes dont l’un, d’après les Recognit. Clementinae, l. 10, c. 7, aurait été l’un des premiers citoyens de la ville d’Antioche, dont l’autre, d’après les Constit. Apostol. 7, 46, serait devenu le troisième évêque de Césarée de Palestine. Tout cela est bien hasardé. On a pourtant conjecturé d’une manière assez ingénieuse que Théophile habitait probablement l’Italie quand S. Luc lui dédia son Évangile ou du moins le livre des Actes. Tandis que partout ailleurs les éclaircissements géographiques abondent, ils cessent tout à coup dans le dernier chapitre des Actes ; dès qu’il est question de l’Italie, l’écrivain sacré se borne à mentionner les localités, supposant que son illustre ami est suffisamment renseigné sur leur compte. Et cependant plusieurs de ces localités sont sans importance, comme « Forum Appii, Tres Tabernae » : c’est donc que Théophile les connaissait, et il ne pouvait guère les connaître qu’à la condition d’être domicilié dans le pays.

Luc 1.4 afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. – S. Luc consacre la dernière partie de cet intéressant Prologue à exposer le dessein qui lui avait fait prendre la plume. Il veut que son lecteur principal, et tous les autres avec lui, soient confirmés dans la foi chrétienne par une connaissance plus approfondie de l’Évangile. – Des enseignements que tu as reçus. Ici, de même qu’au v. 2, paroles désigne l’enseignement évangélique, ou les événements qui lui servaient de base. Du verbe grec correspondant à enseigner, nous avons fait « catéchiser, catéchèse, catéchisme, catéchumène ». Dans cette entrée en matière digne d’Hérodote ou de Thucydide, le rationaliste Baur se complaît à voir l’œuvre d’un faussaire. Ewald, autre rationaliste, en admire au contraire la modestie délicate, l’aimable candeur ; caractère qui est en effet très frappant. Au point de vue théologique, cette  pièce a une grande importance, car elle est d’un précieux secours pour déterminer la nature de l’inspiration. S. Luc « parle comme aurait fait un auteur ordinaire, qui relève sa fidélité, son exactitude et la parfaite connaissance qu’il a des choses qu’il raconte. L’inspiration du Saint Esprit n’exclut pas la science, la diligence, la fidélité de l’écrivain. Plus sa dignité est relevée, et plus les choses qu’il raconte sont divines et surnaturelles, plus il doit apporter d’exactitude et de fidélité à s’instruire et à s’éclaircir de tout ». D. Calmet, Comment. Litt. sur S. Luc, p. 267 et suiv. Si Dieu est le principal auteur des saintes lettres, il laisse pourtant quelque chose à faire aux hommes qu’il inspire.

Luc 1.5 Aux jours d’Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre, nommé Zacharie, de la classe d’Abia et sa femme, qui était une des filles d’Aaron, s’appelait Élisabeth. – Le style de S. Luc, si classique dans les vv. 1-4, se transforme tout à coup au début du cinquième. Au lieu de belles périodes admirablement cadencées, nous ne trouvons plus, pendant quelque temps, que les phrases courtes et simples de la prose hébraïque, rattachées sans art les unes aux autres par des conjonctions, et chargées d’aramaïsmes. Ce contraste provient sans nul doute des documents hébreux dont S. Luc se servit pour cette partie de sa narration, et qu’il y inséra même dans une large mesure, se contentant de les traduire et de les abréger. – Aux jours d’Hérode… Voilà déjà de l’hébreu très pur. Les récits orientaux commencement ordinairement par c’était au temps de, nous en avons plusieurs exemples dans la Bible. cf. Ruth, 1, 1 ; Esther 1, 1, etc. Quant au mot jours, il indique la date de l’incident que l’évangéliste se propose d’exposer tout d’abord. Sur cette date assez vague (714-750 de la fondation de Rome) et sur Hérode‑le‑Grand, voyez l’Évangile selon S. Matth. – Roi de Judée. Il s’agit ici de la Judée dans le sens large, c’est‑à‑dire de la Palestine entière, puisque tel était le territoire gouverné par Hérode. Plus loin, 3, 1, il ne sera question que d’une Judée notablement restreinte. – Un prêtre nommé Zacharie. L’Évangile, le livre le plus universel, le plus catholique qui ait jamais existé, débute par un épisode dont une simple famille juive est le théâtre. Voici d’abord, dans les vv. 5-7, quelques détails intéressants sur les deux héros de l’épisode, Zacharie et Élisabeth. Le premier, dont le nom signifie « Dieu se souvient », n’était pas le grand‑prêtre d’alors, comme on l’a souvent redit à la suite de S. Augustin, mais un simple prêtre, ainsi qu’il ressort de plusieurs circonstances du récit. L’expression « un prêtre » ne saurait désigner qu’un prêtre ordinaire. De plus, le souverain Pontife du judaïsme n’appartenait à aucune classe spéciale, tandis que Zacharie, nous allons le voir, faisait partie de celle d’Abia. Enfin le grand‑prêtre n’était jamais « de semaine », et n’avait pas besoin de tirer au sort pour savoir quelles seraient ses fonctions. Tout au plus pourrait‑on dire que Zacharie était grand‑prêtre par alternance, et encore n’est‑ce là qu’une simple hypothèse qui présente peu de garanties. – De la classe d’Abia. C’est‑à‑dire l’une des familles sacerdotales telles qu’elles se trouvaient organisées soit à l’époque de David, soit après le retour de la captivité Babylonienne. S. Luc lui donne ici la même signification. Sous David, les descendants d’Aaron formaient vingt‑quatre familles, qui portaient le nom de leurs chefs respectifs ; celle d’Abia était la huitième, 1 Chroniques 24, 10. Le saint roi décida qu’elles serviraient dans le temple à tour de rôle pendant une semaine, du samedi au samedi : ce qui faisait deux semaines seulement chaque année (indépendamment des grandes solennités, pour lesquelles les besoins du culte exigeaient le concours de la plupart des prêtres). Après l’exil, il ne revint en Palestine que quatre familles sacerdotales (cf. Esdr. 2, 37-39) ; mais on les partagea en vingt‑quatre classes, auxquelles on donna les anciens noms pour garder le souvenir du passé. Voyez Josèphe, Antiq. 7, 15, 7. C’est donc à la huitième de ces classes qu’appartenait Zacharie. – Et sa femme était d’entre les filles d’Aaron. Les prêtres avaient le droit de se marier dans n’importe quelle tribu d’Israël (cf. Lévitique 21, 7 ; Ézéchiel 44, 22) ; mais la femme que Zacharie s’était choisie faisait partie comme lui de la race sacerdotale. L’évangéliste n’a pas relevé ce détail sans une intention particulière : il voulait évidemment mettre en relief la noble origine de Jean‑Baptiste, en montrant qu’il se rattachait et par son père et par sa mère à l’illustre famille d’Aaron, la plus glorieuse qui existât alors après celle de David, dont devait naître le Messie. Voyez dans Josèphe, Vita, 1, combien l’origine sacerdotale passait alors pour glorieuse. – Élisabeth : en hébreu, « le serment de Dieu », nom qui n’est pas moins significatif que celui de Zacharie. La femme d’Aaron l’avait déjà porté, Exode 6, 23, et l’on conçoit qu’il ait été souvent donné aux filles des prêtres en l’honneur et en souvenir de leur aïeule.

Luc 1.6 Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur, d’une manière irréprochable. – Zacharie et Élisabeth avaient encore une autre noblesse plus précieuse que celle du sang ; c’était la noblesse de la vertu. L’Évangéliste se hâte de nous l’apprendre en traçant leur portrait moral. – Ils étaient tous deux justes. « Juste » représente toute la perfection dont on était capable sous le régime de l’ancienne Alliance. Éloge bien significatif durant ce triste règne d’Hérode, où il régnait, soit dans le peuple juif en général, soit en particulier dans le corps des prêtres, une si profonde corruption. S. Joseph, Matth. 1, 19, et le vieillard Siméon, Luc, 2, 25, ont également mérité de le recevoir dans l’Évangile. Les mots « devant Dieu » indiquent, ainsi que l’ont noté fréquemment les saints Pères, la sincérité, la vérité de cette justice qui brillait dans les deux saints époux. « La vie d’un grand nombre qui, vue de l’extérieur, plaît au monde déplaît souvent à Dieu. Allez‑y prudemment avec les louanges. L’évangéliste dit au sujet de Zacharie et d’Elizabeth : ils étaient justes tous les deux devant Dieu. Apparaître juste aux yeux des hommes ne mérite pas de vraie louange. » St. Grégoire, Moral. l. 35, c. 5. La suite de la phrase, marchant sans reproche…, explique encore, en la paraphrasant, cette belle épithète de « justes ». D’après cette manière de parler, les commandements divins sont pour ainsi dire une voie royale sur laquelle s’avancent les justes et les saints. – Dans tous les commandements… est emphatique : tous les préceptes de Dieu sans exception. Faut‑il, avec la plupart des exégètes modernes, voir dans les commandements l’indication des préceptes moraux, et dans les préceptes celle des préceptes cérémoniaux ? On le peut ; mais nos deux substantifs n’indiquent pas par eux‑mêmes cette différence. Au fond ils sont à peu près synonymes. D’après l’étymologie, le premier désigne les lois divines en tant qu’elles sont l’expression d’un ordre imposé par le Souverain Maître, le second ces mêmes lois en tant que leur accomplissement parfait est pour l’homme une source de justification. – Sans reproche… complète l’éloge. Aussi pouvons‑nous dire avec Maldonat : « L’évangéliste ne pouvait pas déclarer leur sainteté avec des mots plus louangeurs, plus glorieux et plus honorables ».

Luc 1.7 Ils n’avaient pas d’enfants, parce qu’Élisabeth était stérile et ils étaient l’un et l’autre avancés en âge. – Malgré le bonheur qu’ils trouvaient dans l’accomplissement de la loi de Dieu, Zacharie et Élisabeth avaient cependant un grand chagrin : ils n’avaient pas d’enfant. L’évangéliste fait connaître le motif de cette douloureuse privation : Élisabeth était stérile ; et, si tel avait été le passé, l’avenir n’offrait plus aucune espérance au point de vue humain, attendu qu’ils étaient tous deux avancés en âge. Ces détails donnés par S. Luc ont pour but manifeste de mieux faire ressortir l’étendu du miracle qu’il va bientôt raconter. Comme l’a dit le poète Juvencus :

« Ce ne fut pas pour eux un fils, 

car avec le déclin des années, 

c’était plutôt un don fait à des parents qui avaient perdu l’espoir d’avoir un rejeton ».

Jean‑Baptiste sera un enfant de miracle, comme autrefois Isaac et Samuel. « Quand Dieu ferme l’utérus de quelqu’un, il le fait dans le but de l’ouvrir de nouveau d’une façon plus admirable; et pour qu’on sache que ce qui naît ne vient pas de la concupiscence mais est un don divin. » Évangile apocryphe de la Nativité de Marie, ap. Thilo, Cod. apocryph. t. 1, p. 332. Ce fut certainement le cas pour Élisabeth.

Luc 1.8 Or, pendant que Zacharie s’acquittait devant Dieu des fonctions sacerdotales, dans l’ordre de sa classe, – Après cette courte entrée en matière (vv. 5-7), nous arrivons au fait qu’elle devait préparer : un fils est miraculeusement promis à Zacharie et à Élisabeth, vv. 8-22 ; puis il est bientôt miraculeusement conçu, vv. 23-25. – Lorsqu’il accomplissait… les fonctions du sacerdoce. Zacharie est donc de service dans le temple avec la classe d’Abia. C’est là, dans le lieu saint qui était comme le palais royal habité par Dieu, que l’attendent les bienfaits célestes. Sur la note simplement accidentelle « selon le rang de sa classe », divers exégètes, en particulier Scaliger, Limbrun, van Till, Bengel, et Wieseler, ont échafaudé tout un système chronologique. D’une part le premier livre des Maccabées, 4, 38 et ss., raconte que Judas Maccabée restaura et réorganisa le culte du temple ; d’autre part, le talmud mentionne expressément que c’était la première des classes sacerdotales qui était en fonction au mois de Ab (août) quand le temple fut détruit par les Romains. Partant de là, ces auteurs ont essayé de fixer la date exacte de la nativité du Précurseur, tantôt en redescendant, tantôt en remontant le cours des années, jusqu’à ce qu’ils rencontrassent le tour de la classe d’Abia six mois avant la naissance de Jésus‑Christ. Mais leurs calculs sont plus ingénieux que solides, comme le montre la variété de leurs appréciations.

Luc 1.9 il fut désigné par le sort, selon la coutume observée par les prêtres, pour entrer dans le sanctuaire du Seigneur et y offrir l’encens. – Le sort jouait un très grand rôle chez tous les peuples anciens, qui lui attribuaient généralement un caractère religieux, parce qu’ils voyaient en lui l’expression d’une volonté supérieure, des indications toutes providentielles. cf. Jonas 1, 7 ; Actes 1, 24 et ss. C’est pourquoi, à Jérusalem, lorsque les prêtres de semaine avaient à se partager les différentes fonctions qu’ils devaient remplir dans le temple, au lieu de faire cette distribution d’une manière arbitraire, ils l’opéraient en recourant au sort. Les Rabbins nous ont conservé sur ce point des détails que le lecteur verra sans doute avec intérêt. Voici d’abord les cérémonies quotidiennes qui étaient réservées aux prêtres, et l’ordre d’après lequel il fallait les accomplir : « L’autel majeur (celui du sacrifice) l’emporte sur l’autel mineur. L’autel mineur l’emporte sur les deux morceaux de bois fixés sur l’autel majeur. Ces deux morceaux de bois l’emportent sur l’enlèvement des cendres de l’autel intérieur. L’enlèvement des cendres de l’autel intérieur l’emporte sur l’entretien des cinq lampes. L’entretien des cinq lampes l’emporte sur l’aspersion du sang du sacrifice perpétuel. L’aspersion du sang du sacrifice perpétuel l’emporte sur l’entretien des deux lampes restantes. L’entretien des deux lampes restantes l’emporte sur brûler de l’encens ou des victimes. Brûler des victimes l’emporte sur placer les parties du sacrifice sur l’autel. Placer les parties du sacrifice sur l’autel l’emporte le sacrifice non sanglant. Le sacrifice non sanglant l’emporte sur les deux pains du souverain pontife. Les deux pains du souverain pontife l’emportent sur la libation. La libation l’emporte sur les sacrifices ajoutés. ». Gloss. In Tamid, c. 6. Au moment de faire le partage, les prêtres se réunissaient dans le Gazzith ou salle des pierres taillées, qui était située dans les dépendances du temple, et où devaient régulièrement se tenir les séances de ce genre. L’expression latine « atrium » désigne tantôt une grande pièce rectangulaire communiquant immédiatement avec le vestibule et pouvant servir de lieu de réunion, tantôt une cour intérieure entouré de galeries et de portiques, tantôt enfin par synecdoque la maison même dont l’atrium faisait partie. Le Talmud nous montre le maître des cérémonies convoquant ses collègues pour cette opération : « Le préfet leur dit : Venez et tirez au sort pour choisir celui qui immolera la victime, qui répandra le sang, qui enlèvera les cendres de l’autel intérieur, qui nettoiera le cierge, qui apportera à l’autel élevé les parties, la tête, une patte, les deux épaules, la queue de l’épine dorsale, l’autre patte, la poitrine, le cou, les deux côtés, les viscères, la farine, les deux pains, et le vin. Voilà quelle est la tâche de celui qui a été choisi par le sort. ». Tamid, cap. 3, hal. 1. Ailleurs, Ioma, fol. 25, 1, on nous apprend la manière dont se faisait le tirage au sort. « Les prêtres l’entourèrent en cercle, et le préfet s’approchant enleva le chapeau de la tête de l’un ou de l’autre. Ils connurent par là qu’il leur avait enlevé le sort. » La glose ajoute, f. 22, 1 : « Les prêtres se tinrent debout en cercle. S’approchant, le préfet enleva un chapeau de la tête de l’un d’entre eux, et il commença par lui les tirages au sort. Chacun élève son doigt à l’énoncé du chiffre. Le préfet dit : « Là où se termine le chiffre, à celui‑là est assignée une fonction par le sort. Il compte de la même façon, par exemple cent ou soixante, selon le nombre des prêtres présents. Il commence à compter par celui à qui il a enlevé le chapeau, et il fait le tour jusqu’à ce qu’il ait atteint le chiffre fixé. A chaque personne où il arrête de compter, c’est à elle qu’est communiqué le pouvoir d’où vient le sort. Il en est ainsi pour tous les tirages au sort. ». – Pour y offrir l’encens. Tel fut le rôle qui échut à Zacharie : il était regardé comme le plus honorable de tous ceux qui étaient exercés par les simples prêtres. Celui auquel il incombait entrait deux fois chaque jour, le matin et le soir, dans la partie du temple nommée le Saint et y encensait l’autel des parfums. Ici encore, grâce au Talmud, nous pouvons fournir d’intéressant détails sur cette fonction, telle qu’elle se pratiquait au temps de Notre‑Seigneur. Le prêtre qui en était chargé était accompagné de trois auxiliaires : le premier nettoyait l’autel, adorait et sortait ; le second apportait sur l’autel quelques charbons ardents extraits du brasier des holocaustes, adorait et sortait ; le troisième recueillait les grains d’encens tombés à terre, et ne cessait de rappeler à l’officiant qu’il devait user d’une grande vigilance, puis il adorait et sortait. Enfin le célébrant, demeuré seul dans le Saint, versait sur les charbons de l’autel une quantité déterminée d’encens, et, à son tour, il adorait et se retirait.

Luc 1.10 Et toute la multitude du peuple était dehors en prière à l’heure de l’encens. – Les heures de l’encensement coïncidaient avec celles du sacrifice perpétuel immolé le matin  et le soir, et ces deux cérémonies étaient les plus solennelles du culte quotidien : aussi les personnes pieuses y accouraient‑elles en grand nombre. De là cette multitude mentionnée par l’Évangile. Il n’est donc pas besoin, pour expliquer une pareille affluence, de supposer avec divers auteurs que l’annonciation de Zacharie eut lieu en un jour de fête ou de Sabbat. La foule n’entrait pas dans le temple proprement dit ; elle restait dans les cours qui l’entouraient, unissant ses prières à celles du prêtre, de sorte que les deux parfums, le parfum matériel et le parfum mystique, s’élevaient ensemble, l’un comme une figure, l’autre comme une réalité, vers le trône de Dieu. Une clochette indiquait aux assistants le moment précis où le prêtre répandait l’encens sur l’autel, car le voile qui séparait le Saint du parvis les empêchait de voir cette cérémonie.

Luc 1.11 Mais un ange du Seigneur lui apparut, debout à droite de l’autel de l’encens. – Après ces détails préliminaires, vv. 8-10, l’historien sacré arrive à l’apparition de l’ange Gabriel, et il note en passant l’impression qu’elle produisit sur Zacharie, vv. 11 et 12. Le phénomène décrit au v. 11 ne consista pas en une vision extatique ; ce fut une apparition extérieure, réelle, qui tomba sous les sens du saint prêtre. L’autel de l’encensement ou des parfums, qu’il ne faut pas confondre avec celui des holocaustes, était en bois de sittim (sorte d’acacia) recouvert d’or. Il se dressait vers le milieu du Saint, un peu du côté de l’Orient. Au nord se trouvait la table des pains de proposition, au sud le chandelier à sept branches : c’est donc auprès de ce candélabre, situé à droite de l’autel, que se tenait l’Archange lorsque Zacharie l’aperçut tout à coup. Des renseignements aussi positifs prouvent le caractère tout à fait historique de l’incident. Telle fut la première des apparitions angéliques qui se rattachent à l’Enfance de Jésus. Les Évangiles en racontent plusieurs autres : v. 26 ; 2, 9 ; Matth. 1, 20 ; 2, 13 et 19. Remarquons que c’est dans le sanctuaire de Dieu que la naissance prochaine du Précurseur sera prophétisée. Il convenait que ce lieu, si souvent témoin des manifestations divines, fût en ce moment le centre d’où s’échapperaient les premiers rayons lumineux qui devaient former bientôt le soleil évangélique.

Luc 1.12 Zacharie, en le voyant, fut troublé et la crainte le saisit. – L’homme est toujours saisi d’effroi à la vue du surnaturel quand il se présente sous cette forme. La Bible nous en fournit de nombreuses preuves. cf. Exode 15, 16 ; Judith, 15, 2 ; Daniel 8, 17 et 18 ; 10, 7-9 ; Actes 10, 4 ; 19, 17 etc. – Et la frayeur le saisit. Répétition emphatique de la même idée avec des expressions plus fortes, à la manière du style hébraïque (Cf. Genèse 15, 12) pour mieux décrire la terreur de Zacharie.

Luc 1.13 Mais l’ange lui dit : « Ne crains pas, Zacharie, car ta prière a été exaucée, ta femme Élisabeth te donnera un fils que tu appelleras Jean. – C’est la parole amie, rassurante, adressée habituellement par les anges en pareil cas. cf. v. 30 ; 2, 10 ; Apocalypse 1, 17. « Comme c’est le propre de la fragilité humaine d’être troublé par la vision d’une créature spirituelle, c’est le propre de la courtoisie angélique de consoler par des gentillesses les mortels qui tremblent à la vue des anges. » Bède le Vénérable, h. l. La première parole céleste qui retentit dans le Nouveau Testament est ainsi une parole d’encouragement et de consolation. Elle est immédiatement suivie de la grande nouvelle qui était le motif de l’apparition. – Ta prière a été exaucée… Mais quelle était cette prière à laquelle l’ange fait tout d’abord allusion ? Il s’est formé sur ce point deux sentiments contradictoires. Maldonat, Bengel, Olshausen, Meyer, MM. Bisping, Schegg, Godet, etc. pensent que Zacharie, en offrant l’encens au Seigneur, venait de formuler avec une ardeur nouvelle la prière que pendant longtemps il avait adressée à Dieu chaque jour : Donnez‑nous un fils. Et, au premier regard, le contexte paraît favoriser cette opinion, puisque l’ange ajoute aussitôt : « Tu auras un fils », semblant établir ainsi une connexion très étroite entre la prière de Zacharie et la promesse qui va suivre. Néanmoins, en étudiant le texte de plus près, on est frappé de plusieurs difficultés sérieuses qui vont à l’encontre de cette interprétation. L’évangéliste n’a‑t‑il pas dit , v. 7, que Zacharie et Élisabeth avaient perdu moralement tout espoir d’avoir un fils ? Bien plus, dans un instant, quand l’ange aura achevé son message, Zacharie ne sera‑t‑il pas saisi d’étonnement, et n’objectera‑t‑il pas sa vieillesse et celle d’Élisabeth ? Aussi les SS. Pères (notamment S. Augustin, S. Jean Chrysostome, Bède le Vénérable), et après eux la plupart des exégètes, ont‑ils cru que la prière de Zacharie avait un autre objet, plus relevé, plus général, plus sacerdotal : Il avait prié pour l’avènement du Messie. « Il faut ici un peu de perspicacité. Car il n’est pas vraisemblable que celui qui offre un sacrifice pour les péchés du peuple, pour le salut et la rédemption du genre humain, ait pu prier pour avoir des enfants, après avoir mis de côté les besoins et les aspirations de tous, lui, un homme âgé ayant une épouse également âgée. Surtout qu’aucune personne ne désespère obtenir ce qu’il demandait instamment dans ses prières. En conséquence, ce qui lui a été dit : ta prière a été exaucée, se rapporte à la prière qu’il adressait à Dieu pour le peuple, à savoir que le salut, la rédemption du peuple et l’abolition des péchés se feraient par le Christ. On annonce en plus à Zacharie qu’un fils lui naîtrait, qui serait le précurseur du Christ. » St Augustin, De quaestion. Evangel., l. 2, q. 1. Cette dernière réflexion du saint Docteur montre la liaison qui existe entre les premières paroles de l’ange, ta prière a été exaucée, et les suivantes : Élisabeth t’enfantera un fils. A la joyeuse promesse, l’ange associe un ordre : tu donneras le nom de Jean… Comme Isaac dans l’Ancien Testament, comme Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans le Nouveau, S. Jean reçoit son nom directement du ciel ; et quel beau nom. Jean signifie « Dieu est propice, Dieu a fait grâce », et exprime de la façon la plus claire les intentions bienveillantes du Seigneur à l’égard de son peuple. L’idée de la Rédemption y est contenue toute entière. Il est vrai qu’il avait été souvent porté à des époques antérieures (cf. 2 Rois 25, 23 ; 2 Chroniques 17, 15 ; 23, 1 ; 28, 23 ; Néhém. 6, 18 ; 12, 13) ; mais alors c’étaient des hommes qui l’avaient imposé, et jamais sa signification n’avait été réalisée.

Luc 1.14 Il sera pour toi un sujet de joie et d’allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance,Un sujet de joie et d’allégresse. Deux substantifs pour mieux indiquer la vivacité de la joie des parents du Précurseur. Mais ce n’est pas seulement dans le cercle intime d’une famille juive que cette merveilleuse naissance répandra le bonheur : elle réjouira un grand nombre d’hommes, pour les motifs qui seront développés dans les vv. 16 et 17. Et en effet, l’Église entière ne célèbre‑t‑elle pas chaque année joyeusement la Nativité de S. Jean Baptiste ? Des païens mêmes, au dire des anciens, n’ont‑ils pas fêté régulièrement cet anniversaire par des réjouissances publiques ? Voyez D. Calmet, Comment. Littér. sur S. Luc, p. 174.

Luc 1.15 car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni rien qui enivre, car il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère. – Comme le montre la particule car, l’ange va maintenant indiquer les causes de cette joie universelle. Il le fait à trois points de vue : 1° par rapport à la nature intime, au caractère moral de l’enfant de bénédiction qui vient d’être promis à Zacharie, 2° par rapport à l’influence qu’il exercera sur les autres hommes, 3° par rapport à son emploi en tant que Précurseur du Messie. 1° Nature morale de l’enfant, v. 15. S. Jean sera grand ; mais, ce qui vaut mieux, il sera grand devant le Seigneur, c’est‑à‑dire qu’il possédera la véritable grandeur. « Est ici signifiée la singularité de la grandeur : que le Seigneur le rendra grand » Luc de Bruges. En effet, être grand devant Dieu, ce n’est pas jouir des honneurs terrestres, mais c’est posséder la vertu, la sainteté à un degré éminent, et nous savons combien Jean‑Baptiste a été grand sous ce rapport. L’accomplissement de cette prédiction de l’ange peut se résumer dans les paroles prononcées plus tard par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, Matth. 11, 11 : « parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’en a pas paru de plus grand que Jean‑Baptiste ». La grandeur spirituelle de l’enfant sera manifestée par deux signes, l’un extérieur, l’autre intérieur. Extérieurement, il mènera la vie parfaite, qui consiste toujours, chez tous les peuples et à toutes les époques, dans la mortification des sens, dans un régime austère ; il sera donc jusqu’à un certain point un Nazir perpétuel (par opposition au Nazaréat temporaire), à la façon de Samson, Jud. 13, 4, de Samuel, 1 Samuel 1, 11, et des Réchabites, Jérémie 35, 6 et ss. Ni rien qui enivre désigne toutes les liqueurs enivrantes autres que le vin, la bière par exemple, l’hydromel et plusieurs espèces de cidre ou de boissons fermentées dont les Orientaux ont toujours fait leurs délices. cf. Pline, Hist. Nat. 14, 19. S. Jérôme, lettre ad Nepot., donne aussi d’intéressants détails à ce sujet : « Sicera, dans la langue hébraïque, signifie toute potion qui peut enivrer, qu’elle soit faite avec du blé, avec du sucre de pomme, des rayons de miel cuit, une potion barbare, ou les fruits des palmiers réduits en liqueur, ou formant un liquide épais et coloré après cuisson. ». – Intérieurement, S. Jean aura une marque bien plus excellente encore de sa grandeur : il recevra dans leur plénitude les dons de l’Esprit divin, car telle est la force de cette formule toutes les fois qu’elle est employée dans les écrits bibliques. Les mots suivants, « dès le sein de sa mère », indiquent le moment auquel commencera cette effusion merveilleuse de l’Esprit Saint : elle aura lieu dès avant la naissance du Précurseur, dans la circonstance racontée plus bas, v. 41, et se continuera durant toute sa vie. Cf. S. Ambr. Expos. in Luc. 1, 33 ; Orig. Hom. 4 in Luc.

Luc 1.16 Il convertira beaucoup d’enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu, – 2° L’enfant annoncé à Zacharie exercera sur ses semblables une puissante influence religieuse. Il les détournera du mal, il les conduira vers Dieu, en un mot il les convertira. Toutefois cette influence sera bornée dans ses limites : elle s’étendra aux seuls Juifs, et encore, hélas. Ne les atteindra‑t‑elle pas tous ; un grand nombre du moins consentiront à la subir. Nous verrons le Précurseur accomplir admirablement ce rôle durant son ministère public, prêchant la fuite du péché, la connaissance du Christ, et ramenant ainsi les fils d’Israël à Dieu qui, en vertu de l’alliance du Sinaï, est justement appelé par l’évangéliste leur Dieu spécial. Ramener les âmes au Seigneur, c’est aussi la fonction principale du prêtre. 

Luc 1.17 et lui-même marchera devant lui, dans l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants et les indociles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple parfait. » – 3° Au point de vue de sa vocation proprement dite, Jean‑Baptiste sera le Précurseur du Messie. – Et il marchera devant lui… « lui » ne peut se rapporter qu’à Dieu, cf. v. 16, et pourtant, d’après l’idée, il est certain qu’il s’agit ici du Messie. La conclusion est manifeste : Donc le Messie est Dieu, le Messie est le Dieu de l’ancienne Alliance. Cf. Patrizi, de Evang. Lib. 3, Dissert. 4, 7 et 8. Du reste, ce n’est pas là une notion nouvelle, puisque les Prophètes décrivaient déjà l’avènement du royaume messianique sous la figure d’une entrée solennelle de Dieu parmi son peuple. cf. Isss 40, 3 ; Malachie 3, 1. L’ange fait tout à coup un rapprochement des plus élogieux pour Jean‑Baptiste, quand il dit qu’il viendra dans l’esprit et la vertu d’Élie, car Élie est un des plus saints, un des plus grands personnages de l’Ancien Testament. Le Précurseur héritera donc, plus encore qu’Élisée, de l’esprit de ce réformateur célèbre ; il agira avec une vigueur et une autorité semblables à la vigueur et à l’autorité d’Élie. Plus tard, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ fera lui‑même un rapprochement identique, et il dira publiquement que Jean‑Baptiste était une copie parfaite du prophète Élie. cf. Matth. 11, 14 et le commentaire ; 17, 10-12. – Pour ramener les cœurs des pères vers les enfants. Les paroles qui précèdent étaient une allusion évidente de l’oracle de Malachie, 3, 1, et 4, 5 ; mais voici que l’ange Gabriel cite maintenant d’une manière littérale, pour les appliquer à Jean‑Baptiste, les dernières lignes de cette prophétie, 4, 6 : « Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères ». La locution « ramener le cœur » signifie rendre favorable, bien disposer, concilier. La difficulté porte sur « les pères » et sur « les fils » dont S. Jean, le nouvel Élie, devait unir et pacifier les cœurs séparés. D’après Théophylacte, les pères représenteraient la nation juive, les fils seraient au contraire les apôtres de Jésus. Suivant Théodoret les pères sont également la figure des Juifs, mais les fils symbolisent les païens. D’autres exégètes assez nombreux (Maldonat, Meyer, Bleek, etc.) prennent ces deux expressions à la lettre : l’ange annoncerait simplement que les liens de famille, alors brisés dans un grand nombre de maisons par les discordes politiques et religieuses qui avaient envahi la nation théocratique seraient renoués heureusement par le Christ et par son précurseur. A ces interprétations, nous préférons celle qu’admettent communément les anciens auteurs et la plupart de modernes. Les « pères » ne sont autres que les Abraham, les Isaac, les Jacob, et les autres patriarches, glorieux ancêtres du peuple choisi. Les « fils » représentent les Juifs contemporains de Notre‑Seigneur et de S. Jean. Autant ceux‑là étaient pleins de foi au Messie, autant ceux‑ci étaient incrédules, malgré leur attente superstitieuse : de là une sorte d’animosité bien naturelle des premiers à l’égard de leurs descendants. Or, en amenant les fils à la vraie croyance messianique, le Précurseur leur rendra les Patriarches propices ; il réunira ces cœurs longtemps séparés. On trouve une pensée analogue dans Isaïe, 29, 22 et ss. : « Jacob n’aura plus désormais à rougir, et son front désormais ne pâlira plus. Car, lorsqu’il verra, lui et ses enfants, l’œuvre de mes mains au milieu d’eux, ils sanctifieront mon nom, ils sanctifieront le Saint de Jacob, et ils révéreront le Dieu d’Israël. ». cf. Ibid. 63, 16 et ss. – Et les indociles à la sagesse des justes. Littéralement, il ramènera les rebelles au sentiment des justes. Les justes sont identiques aux pères, les rebelles identiques aux fils. – De manière à préparer au Seigneur… : But final de la sainte activité du Précurseur : ses exemples et sa prédication prépareront au Messie, parmi les Israélites, un noyau parfaitement disposé à le recevoir et à profiter des grâces qu’il apportera au monde. Ces paroles de l’ange, qu’on a trouvées « vagues et décolorées » (Reuss, Hist. Évangél. p. 123), ne pouvaient être au contraire ni plus nettes, ni plus précises. Elles expriment admirablement le caractère et la vie de Jean‑Baptiste. Elles ouvrent de splendides horizons messianiques, dont nous constaterons bientôt la réalité.

Luc 1.18 Zacharie dit à l’ange : « A quoi reconnaîtrai-je que cela sera ? Car je suis vieux et ma femme est avancée en âge. » – Ce verset raconte l’accueil fait par Zacharie aux promesses de l’ange. A quel indice reconnaîtrai‑je la vérité de votre prédiction ? Ainsi Zacharie demande un signe dont la réalisation immédiate lui prouvera que son interlocuteur est sincère et véridique. Il rappelle ensuite l’obstacle qui s’oppose à ce qu’il devienne père, comme on le luit promet : « car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge » : les lois de la nature ne le permettraient pas. Les fonctions religieuses des Lévites cessant quand ils avaient atteint leur cinquantième année (cf. Nombres 4, 3 ; 8, 24 et ss.), on a parfois prétendu que Zacharie n’avait pas encore cinquante ans lorsque l’ange Gabriel lui apparut, de sorte que le mot « vieux » ne désignerait pas ici un âge bien avancé. Mais cette observation manque tout à fait de justesse, attendu que l’ordonnance en question ne concernait pas les prêtres : le Talmud le dit formellement.

Luc 1.19 L’ange lui répondit : « Je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu, j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette heureuse nouvelle. – Au doute de Zacharie, le messager céleste répond de deux manières : il lui présente d’abord ses lettres de créance, v. 19, puis il lui accorde le signe qu’il désirait, v. 20. Ses lettres de créance consistent dans l’indication de son nom, de son titre, de sa mission. Son nom est Gabriel, nom célèbre qui rappela aussitôt à Zacharie deux des passages les plus importants de la prophétie de Daniel, 8, 16 ; 9, 21. Son titre est celui d’assistant au trône de Dieu : Gabriel était donc l’un des sept anges supérieurs (Daniel 10, 13 ; Tobie 12, 15) qui, à la manière des esclaves de l’Orient (cf. 1 Rois 10, 8 ; 17, 1 ; 18, 15 ; Psaume 133, 1 ; 134, 2, etc.) se tiennent constamment debout devant leur auguste Maître, toujours prêts à exécuter ses ordres. Sa mission actuelle consistait précisément à porter la bonne nouvelle contenue dans les vv. 13-17, et il venait de s’en acquitter fidèlement. – Annoncer cette bonne nouvelle est une des expressions favorites de S. Luc, et qui a fait justement donner à l’archange Gabriel le surnom d’Évangéliste céleste. Comme tout se suit admirablement dans les plans divins. Il y a environ cinq siècles, ce même ange annonçait à Daniel, au sein de la profane Babylone, le futur établissement du royaume du Messie, non sans fixer une date fameuse ; et voici qu’il annonce maintenant à Zacharie, dans l’enceinte du temple de Jérusalem, que les temps sont accomplis et que ses anciennes promesses vont enfin se réaliser.

Luc 1.20 Et voici que tu seras muet et ne pourras parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps. » – Le signe accordé à Zacharie est en même temps une punition sévère : et voici que tu sera muet… L’ange ajoute aussitôt : et tu ne pourras plus parler. Zacharie ne demeurera silencieux que parce qu’il lui sera impossible de parler. Ces derniers mots ne sont donc pas une tautologie, comme on l’a prétendu sans raison. Le mutisme miraculeux de Zacharie durera jusqu’au jour où ces choses arriveront, c’est‑à‑dire, jusque vers l’époque de la naissance de l’enfant, plus exactement jusqu’au jour de sa circoncision. La cause du châtiment est ensuite clairement indiquée ; Zacharie n’est pas puni pour avoir demandé un signe : d’autres l’avaient fait avant lui, presque dans les mêmes termes (cf. Genèse 15, 8 ; Jud. 6, 47) sans que le Seigneur leur adressât le moindre reproche. Il est châtié, l’ange le dit, parce que sa foi a un moment défailli, parce que lui, prêtre du Très‑Haut, a mis en doute la vérité des paroles d’un messager divin. Les premiers exégètes chrétiens aimaient déjà à montrer le rapport parfait qui existe entre la faute de Zacharie et sa punition : « Pour que celui qui a exprimé son incrédulité en parlant, apprenne à croire en se taisant. », Bède le Vénérable, h. l. – Gabriel, avant de se retirer, affirme que toutes ses paroles se réaliseront en leur temps, au temps d’ailleurs prochain, que la Providence de Dieu avait fixé de toute éternité.

Luc 1.21 Cependant le peuple attendait Zacharie et il s’étonnait qu’il demeurât si longtemps dans le sanctuaire. – Pendant que cette scène avait lieu dans l’intérieur du Saint, le peuple se demandait avec étonnement pourquoi la cérémonie de l’encensement durait si longtemps ce jour là. D’ordinaire, en effet, quelques instants suffisaient pour l’accomplir, et voici qu’on ne voyait pas sortir Zacharie. Lui serait‑il arrivé quelque malheur ? Un détail raconté par le Talmud montre combien facilement ces Juifs religieux s’inquiétaient en pareilles circonstances : « Le souverain pontife exprima une prière dans le saint des saints…Il ne prolongea pas sa prière pour ne pas susciter de crainte dans le peuple. L’histoire rapporte le cas d’un grand prêtre qui avait prié très longtemps. On était même prêt à entrer derrière lui. On dit que c’était Siméon le juste. Ils lui demandèrent : « Pourquoi t’est‑tu si longtemps attardé ? » Il répondit : « J’ai prié pour le temple de votre Dieu, pour qu’il ne soit pas détruit. » Ils lui répondirent. « C’est bien. Mais tu ne dois quand même pas t’attarder si longtemps ». Babyl. Ioma, f. 43.

Luc 1.22 Mais étant sorti, il ne pouvait leur parler et ils comprirent qu’il avait eu une vision dans le sanctuaire, ce qu’il leur faisait comprendre par signes et il resta muet. – L’apparition de Zacharie fut loin de mettre fin à l’étonnement de la foule. A l’émotion qui se trahissait sur sa physionomie, on reconnut immédiatement qu’il avait été témoin de quelque événement extraordinaire ; en découvrant aussitôt après que l’usage de la parole lui était enlevé, on conjectura que cet événement avait dû être surnaturel, tant on était accoutumé, par la lecture de l’histoire nationale et sacrée, aux interventions divines, surtout dans le temple. Ainsi donc, concluant de l’effet à la cause, les assistants comprirent « qu’il avait eu une vision ». Vision désigne ici une apparition extérieure. Zacharie, par des gestes répétés, leur apprit que leur hypothèse était exacte ; mais il ne donna sans doute à personne la clé du mystère qui lui avait été révélé. – Il resta muet. Dans ce prêtre juif, devenu muet tandis qu’il exerçait ses fonctions sacerdotales au cœur même du temple, les Pères ont vu un profond symbole. Par là, disent‑ils, était figuré le silence auquel la religion mosaïque allait être prochainement réduite par la propagation de l’Évangile. Voir en particulier Origène, Hom. 5 in Luc ; S. Ambroise, Enarr. in Luc, l. 1, 41 et 42.

Luc 1.23 Quand les jours de son ministère furent accomplis, il s’en alla en sa maison. – Ce verset et les deux suivants racontent la conception miraculeuse de S. Jean Baptiste. Lorsque les jours… C’est‑à‑dire, d’après les explications données plus haut, à la fin de la semaine. Il s’en alla. Durant leur semaine de service, les prêtres ne sortaient pas du temple et il leur était interdit d’aller dans leurs habitations privées. Du reste, ils étaient pour la plupart domiciliés hors de Jérusalem, et tel était le cas pour Zacharie, ainsi que nous le verrons en expliquant le v. 39.

Luc 1.24 Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, conçut et elle se tint cachée pendant cinq mois, disant : – L’accomplissement des divines promesses ne se fit pas longtemps attendre : « quelque temps après » ne peut indiquer ici qu’un intervalle de temps assez court. – Elle se tenait cachée… Dans la pensée d’Élisabeth, cet isolement devait durer jusqu’au jour de la naissance de son enfant ; mais, comme l’écrivain sacré le dira bientôt (cf. Les vv. 26 et 39), Marie vint y mettre un terme au sixième mois. De là ce « cinq mois » mentionné d’une façon expresse : c’est une date qui en prépare une autre. Mais pourquoi Élisabeth se cachait‑elle ainsi ? On a expliqué sa conduite par les raisons les plus variées, parfois même les plus invraisemblables. « Parce qu’elle n’était pas assez certaine, aux premiers mois, d’être enceinte », dit Rosenmüller (Scholia in Luc. p. 21) à la suite de Paulus. C’était, suivant de Wette, une simple précaution hygiénique, destinée à écarter d’Élisabeth et du fruit de son sein tout accident fâcheux. Plusieurs Pères et divers exégètes (Origène, S. Ambroise, Théophylacte, Euthymius, etc.) pensent que cette retraite avait pour mobile la délicatesse de la pudeur : « Son enfantement faisait rougir l’âge », écrit S. Ambroise. Bleek croit qu’elle était dictée par un besoin profondément senti de reconnaissance, de recueillement et de prière. Nous préférons admettre, avec un assez grand nombre d’auteurs (entre autres MM. Von Burger, Bisping, van Oosterzee), qu’Élisabeth, de même que la Très Sainte Vierge d’après le premier Évangile (Matth. 1, 18-20 ; voyez le commentaire), se cachait par respect pour le secret du ciel. Le Seigneur lui avait tout à coup accordé une grâce inespérée ; mais elle ne croyait pas qu’il lui appartînt à elle‑même de la révéler aux hommes. Elle voulut donc attendre dans la solitude qu’il manifestât par le cours ordinaire des événements l’immense faveur qu’il avait daigné lui faire.

Luc 1.25 « C’est une grâce que le Seigneur m’a faite, au jour où il m’a regardée pour ôter mon opprobre parmi les hommes. » Voilà ce que le Seigneur a fait pour moi. Parole toute hébraïque ; nous ne croyons pas que la phrase introduite par elle ait aucun rapport avec les raisons pour lesquelles Élisabeth entrait dans sa pieuse retraite. Les mots sont emphatiques. C’est à Dieu, et à Dieu seul que la sainte épouse de Zacharie rapporte la gloire de sa maternité. Comme Eve, elle s’écrie : « J’ai formé un homme avec l’aide de l’Éternel ». – Aux jours où il m’a regardée… Le Seigneur, d’après une pensée qui revient à chaque instant dans la Bible, est censé avoir jeté du haut du ciel un regard favorable sur Élisabeth, en vue de faire cesser la longue épreuve qu’elle avait endurée. – Mon opprobre parmi les hommes. Rachel, devenue mère après plusieurs années de stérilité, s’écriait aussi avec bonheur : « Dieu a enlevé mon opprobre. » Genèse 30, 23. Chez les Juifs en effet, et en générale dans tout l’Orient, la privation d’enfants a toujours été considérée comme un indice du mécontentement divin et par suite, comme une grande humiliation. cf. 1 Samuel 1, 6, 11 ; Isaïe 4, 1 ; 47, 9 ; 54, 4, etc.

L’annonciation de Marie et l’Incarnation du Verbe. 1, 26-38

Luc 1.26 Au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, 27 auprès d’une vierge qui était fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph et le nom de la vierge était Marie.– L’évangéliste commence par donner quelques précieuses indications de temps, de lieu et de personnes. – 1° Le temps : au sixième mois. Non pas le sixième mois d’une manière absolue, c’est‑à‑dire le sixième mois de l’année juive, mais, comme il ressort clairement de tout le contexte, et spécialement du v. 24, le sixième mois de la grossesse d’Élisabeth. cf. le v. 36. S. Jean‑Baptiste aura donc six mois de plus que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. – 2° Le lieu : Une ville de Galilée appelée Nazareth. Sur cette ville privilégiée et sur la province de Galilée, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 2, 23. – 3° Les personnes sont Gabriel, Marie et Joseph. Les semaines prédites à Daniel sont maintenant écoulées, et Gabriel, après avoir préludé, vers la fin de l’Ancien Testament et sur le seuil du Nouveau, à sa belle mission d’aujourd’hui, est enfin d’une manière complète l’ange de la Rédemption. Marie est l’héroïne du récit. Sans donner aucun détail sur la vie antérieure de celle qui va devenir bientôt la mère du Christ, S. Luc se borne à dire qu’au moment où elle reçut le message de l’ange elle était vierge, bien qu’elle eût été fiancée quelque temps auparavant à S. Joseph. Sur cette signification du participe fiancée, voyez notre commentaire sur s. Matthieu, 1, 18 et ss. De l’homme qui devait jouer un rôle si important durant les premières années du Verbe incarné, notre évangéliste dit simplement qu’il était de la maison de David, par conséquent de race royale. S. Matthieu complète cet éloge en ajoutant au nom de Joseph l’épithète significative de « juste ». Les mots « de la maison de David » ne retombent pas sur Marie (S. Jean Chrysost.), ni tout à la fois sur Marie et Joseph (Théophylacte, Euthymius, Bengel, Patrizi, etc), mais seulement sur S. Joseph, comme l’admettent la plupart des exégètes d’après la construction même de la phrase. Il est certain néanmoins que Marie appartenait aussi à la famille de David. cf. les vv. 32 et 69.

Luc 1.28 L’ange étant entré où elle était, lui dit : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. » – L’ange « entra » : preuve qu’au moment où elle reçut la visite du célèbre paranymphe, Marie était dans l’intérieur de sa chambre, comme plusieurs Pères l’ont affirmé. Gabriel salue celle qui sera dans quelques instants sa Reine et la reine de tout l’univers. De même que les rois de la terre envoient solennellement leurs plus fidèles ministres proposer à quelque glorieuse princesse une union vivement désirée, de même Dieu l’a choisi pour porter à Marie des propositions toutes célestes, et pour contracter avec elle, au nom du ciel, un engagement incomparable : « Gabriel a été envoyé pour fiancer la créature au Créateur », S. Grég. le Thaumaturge . Dans les premières paroles de l’ange (v. 38), complétées par l’Église de manière à devenir l’ « Ave Maria » cher à tous les cœurs catholiques, et commentées souvent d’une manière exquise par des compositeurs célèbres (Cherubini, Vittoria, Mozart, Mendelsohn, Niedermayer, Guilmant, Saint‑Saëns, etc.), plusieurs commentateurs distinguent à bon droit quatre parties : la salutation et les trois grâces de la Très Sainte Vierge. – 1. La salutation : Chez les anciens peuples, les formules de salutation étaient plus caractéristiques qu’aujourd’hui. Chaque nation employait un mot distinct, parfaitement approprié à ses mœurs et à sa vie. Le Romain belliqueux souhaitait la force et la santé ; le Grec ami du plaisir disait, le sourire sur les lèvres : sois heureux. Chez les vieilles tribus de l’Orient qui, dans le principe, menaient une vie nomade exposée à mille dangers imprévus, à mille rencontres fâcheuses, on se saluait par ces mots : « La paix soit avec vous. ». Et, tel était au temps de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ le mode de salutation usité dans toute la Palestine. C’est donc de la formule Schalôm lâk que l’ange dût se servir pour saluer la Vierge Marie. Serarius blesse grièvement la vérité étymologique lorsqu’il fait dériver le mot latin « Ave » de l’hébreu Havvah, « vive. », et que, partant de là, il met dans la pensée de l’ange une allusion au nom de la première femme et le raisonnement que voici : « Ève ne fut pas Mère de la vie, mais de la mort. Toi en vérité, o Marie, tu es vraiment l’Ève, Mère de la vie, de la gloire et de la grâce ». Toutefois, l’idée qui accompagne l’erreur de Serarius est assurément pleine d’à propos. On la retrouve souvent chez les Pères d’occident, auxquels elle a inspiré d’ingénieuses comparaisons entre Ève et Marie. Dès les premiers siècles, on avait découvert qu’en lisant au rebours les lettres du mot « Ave », on obtient « Eva », le nom de la première femme. Or, Jésus étant le second Adam, on fut amené à appeler Marie une seconde Ève, tout aussi différente de son type que Jésus le sera lui‑même du premier homme. C’est pour cela que l’Église chante dans l’ « Ave Maris stella » la strophe suivante :

Recevant cette salutation

de la bouche de l’ange, 

établis‑nous dans la paix 

en changeant le nom d’Ève

-2. La triple grâce de la Très Sainte Vierge. -a. Pleine de grâce : c’est de la grâce considérée par rapport à Marie elle‑même. Le texte grec signifie proprement « qui a reçu la grâce, ornée de la grâce ». Depuis longtemps déjà Dieu s’était complu à enrichir des grâces les plus singulières celle qu’il destinait à être la Mère de son Fils, et, entre les mains de la Vierge fidèle, ces trésors s’étaient multipliés chaque jour. Marie était donc véritablement pleine de grâces au moment de la visite de l’Archange, comme le font remarquer à l’envi les saints Pères (voyez leurs paroles dans Luc de Bruges, Cornelius a Lapide, etc., et les théologiens. Aussi la bulle « Ineffabilis » (8 déc. 1854) a‑t‑elle tiré du mot grâce un argument en faveur de l’Immaculée conception de Marie. – b. La grâce de la Sainte Vierge par rapport à Dieu. Parfois, les anciens Juifs employaient cette même formule pour se saluer. cf. Ruth, 2, 4, etc. Mais alors elle avait seulement la valeur d’un souhait, d’une prière. Prononcée par l’ange Gabriel, elle exprima quelque chose de plus qu’un désir (Que le Seigneur soit avec vous!) ou qu’une promesse (le Seigneur sera avec vous) ; elle affirme un fait qui existait déjà depuis longtemps : Le Seigneur EST avec vous. – c. La grâce de Marie par rapport au genre humain : Tu es bénie entre les femmes. Ces mots, qui manquent dans plusieurs manuscrits importants (B, L, divers minuscules) et dans quelques versions anciennes (l’arménienne, la copte, la syrienne, etc.), sont rejetés par beaucoup de critiques, comme un emprunt fait au v. 42. Mais rien n’empêche qu’un tel éloge n’ait été adressé deux fois à Marie. Il place à bon droit la Sainte Vierge au‑dessus de toutes les femmes sans exception, puisqu’elle les dépasse toutes par sa sainteté incomparable et par ses glorieux privilèges. Elle est la femme idéale, de même que son divin fils est l’homme idéal.

Luc 1.29 Marie l’ayant aperçu, fut troublée de ses paroles et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.L’ayant aperçu. Effet produit sur la vierge de Nazareth par l’apparition de l’ange et par son langage élogieux. Dans le texte grec, nous lisons ayant vu. Elle fut troublée par ses paroles, le premier motif du trouble qui s’empara de Marie fut donc la vue de l’ange, et il n’y a en cela rien que de très naturel. Mais ce trouble avait, dans les paroles mêmes du divin message, une cause encore plus sérieuse : elle était troublée par son discours. C’est pourquoi l’évangéliste, devenu psychologue, ajoute que l’humble et pure jeune fille cherchait en elle‑même quels pouvaient bien être le sens et le but d’une telle salutation.

Luc 1.30 L’ange lui dit : « Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. – L’archange se hâte de rassurer Marie, en lui exposant le rôle sublime qu’elle était appelée à jouer dans l’œuvre de la Rédemption, vv. 30-33. Les mots vous avez trouvé grâce devant Dieu servent d’introduction à la grande nouvelle. « Trouver grâce devant quelqu’un » est une phrase familière à la langue hébraïque, pour signifier qu’on possède la faveur de la personne en question. La dignité incomparable qui va être offerte à Marie montre jusqu’à quel point elle avait trouvé grâce devant Dieu.

Luc 1.31 Voici que vous concevrez en votre sein et vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus. 32 Il sera grand, on l’appellera le Fils du Très-Haut, le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, il régnera éternellement sur la maison de Jacob 33 et son règne n’aura pas de fin. » – Pour une Juive familiarisée comme l’était Marie avec les prophéties de l’Ancien Testament, les paroles contenus dans ces trois versets étaient aussi claires que le jour, car elles contenaient une description populaire du Messie, un résumé des prophéties messianiques les plus célèbres. L’enfant que l’ange promet à Marie devait avoir tous les titres, remplir tous les ministères attribués par Dieu et par la voix publique au Libérateur impatiemment attendu. Ce portrait était d’une ressemblance trop frappante pour n’être pas aussitôt reconnu, et la Sainte Vierge n’eût certainement pas mieux compris si Gabriel se fût borné à lui dire : Vous êtes destinée par Dieu à devenir la mère du Messie. Dès les premiers mots, vous concevrez dans votre sein (pléonasme à la façon des Hébreux), l’ange fait une allusion évidente à la prédiction d’Isaïe, 7, 14 (cf. Matth. 1, 23 et le commentaire). A son Fils, Marie devra donner un nom, dans lequel sera exprimée en abrégé la grâce apportée par lui sur la terre. En effet, Jésus signifie Sauveur, ou plus complètement, Dieu sauve. Gabriel trace ensuite une description magnifique de l’avenir réservé à l’enfant de Marie. Il sera grand ; non seulement « grand devant Dieu », comme Jean‑Baptiste (cf. v. 15), mais grand par antonomase, le plus grand de tous les hommes. – Il sera appelé Fils du Très‑Haut. Voyez S. Marc, 5, 7, et le commentaire. Les titres de Fils du Très‑Haut, de Fils de Dieu (v. 35), ne désignent pas toujours nécessairement une filiation divine dans le sens strict. La Bible et les Rabbins les appliquent souvent aux Juifs en général, aux anges, aux hommes qui, par des fonctions élevées, représentent la divinité sur la terre, au Messie enfin, en tant qu’il devait être le juste par excellence et l’ami privilégié de Dieu. Mais le contexte prouve que nous devons les entendre ici d’une manière littérale et d’après toute leur valeur théologique. L’enfant de Marie sera véritablement Fils de Dieu, puisqu’il sera engendré par Dieu lui‑même. – Dieu lui donnera… Doué de deux natures, l’une divine, l’autre humaine, Jésus aura comme deux pères distincts, l’un au ciel, l’autre ici‑bas, dont Marie était la fille. Il héritera donc du trône de son père terrestre, et, le royaume juif étant théocratique, c’est le Seigneur lui‑même qui l’installera sur ce trône. Tous les mots de l’ange ont donc leur portée, et tous ils correspondent à quelque prophétie de l’Ancien Testament. cf. 2 Samuel 7, 12-16 ; Mich. 4, 7, etc. – Il régnera éternellement sur la maison de Jacob. La « maison de Jacob », c’est d’abord la nation juive, issue de ce grand patriarche selon la chair, et héritière directe des promesses du ciel. Mais c’est aussi, comme le prouvera la vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, la postérité spirituelle d’Israël, composée, sans distinction de race, de tous ceux qui croiront au Messie ; c’est, en un mot, la sainte Église du Christ. On comprend maintenant que le royaume de Jésus doive durer à tout jamais, puisque l’Église a des promesses de vie éternelle, et qu’elle ne cessera d’exister sur la terre que pour arriver à sa glorieuse consommation dans le ciel. La répétition emphatique et son règne n’aura pas de fin, a pour but d’insister sur cette perpétuité, qui d’ailleurs avait été si formellement annoncée par les Prophètes : « Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas, et son règne ne sera jamais détruit », Daniel 7, 14. cf. Isaïe 9, 7. Sur le royaume du Christ, voyez encore Jérémie 33, 15-26 ; Ézéchiel 34, 23 et ss.; Osée. 3, 5, etc.

Luc 1.34 Marie dit à l’ange : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » – D’après les idées juives de cette époque, être mère du Messie et devenir mère de Dieu n’était pas nécessairement une seule et même chose, car la divinité du Messie était à peine pressentie d’un petit nombre : la masse du peuple était dans le vague et l’incertitude touchant l’origine du Libérateur promis. Assurément Marie, si versée dans les Saintes Écritures, connaissait ce mystère, et elle avait compris, d’après les paroles de l’ange, que c’était la dignité de mère de Dieu qui lui était offerte. Pourquoi donc demande‑t‑elle : Comment cela se fera‑t‑il ? Hâtons nous de dire que cette question différait bien de celle de Zacharie (v. 18 ; voyez S. Ambroise, Expos. in Luc. 2, 15), et qu’elle n’était nullement le résultat d’un doute. « la Vierge Marie n’entra en aucune défiance de ce que l’ange lui annonçait, quand elle dit: «Comment cela se fera‑t‑il, car je ne connais pas d’homme ? » Elle ne doutait pas de la chose, mais elle s’informait de la manière », dit S. Augustin, De civit. Dei, lib. 16, c. 24. Et Marie avait une raison spéciale d’interroger l’ange sur ce point, comme elle l’indique en ajoutant : car je ne connais pas d’homme. Au premier regard, ces paroles peuvent sembler étonnantes, puisque S. Luc vient de dire, v. 27, que Marie était alors fiancée à S. Joseph. Mais il ne faut pas beaucoup de temps pour découvrir leur signification véritable. Pour quiconque les étudie sans idées préconçues, elles supposent de la manière la plus évidente qu’à une époque antérieure de sa vie Marie avait consacré à Dieu sa virginité par un engagement irrévocable. Autrement, elles n’auraient aucun sens. « Pourquoi demander avec étonnement comment elle deviendra mère, si elle entrait dans le mariage comme les autres, pour avoir des enfants ? » Dom. Calmet in h. l. Ainsi donc, de concert avec S. Joseph, Marie avait promis au Seigneur de rester vierge. Dans cet état de choses, c’était pour elle plus qu’un droit de demander à l’envoyé du ciel des éclaircissements sur le « comment » de sa maternité. Ainsi l’a compris la tradition toute entière (S. Aug. Lib. de Virg. c. 4 ; S. Greg. Nyss. Orat de Christi nativ. ; S. Anselm. Lib de excell. Virgin ; S. Bernard. Serm. 4 de Assumpt. ; voir Petavius, Dogm. Theol. t. 6 de Incarnat. 14, c. 3, § 9 et ss.) ; ainsi l’admettent à l’envi tous les théologiens du moyen âge et tous les exégètes catholiques des temps modernes. Cette interprétation est même si naturelle et si obvie, que plusieurs écrivains protestants ne peuvent s’empêcher de la trouver acceptable. Le temps présent « connais » désigne aussi par sa généralité le passé et l’avenir. Cet emploi, très fréquent dans les langues arabe et syriaque, n’était pas inconnu des classiques grecs et latins.

Luc 1.35 L’ange lui répondit : « L’Esprit-Saint viendra sur vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. – Gabriel s’empresse de répondre à la demande si légitime de Marie. Qu’elle se tranquillise au sujet de la dignité maternelle qui lui a été proposée, car la chair et le sang n’y auront aucune part : c’est l’Esprit Saint qui produira divinement en elle le corps du Verbe incarné. Telle est la substance des explications qu’il lui donne. – L’Esprit‑Saint viendra sur vous. Au commencement du monde, Genèse 1, l’Esprit de Dieu était descendu sur la nature encore informe, et l’avait prédisposée aux transformations admirables qu’elle devait ensuite subir : de même, le germe de vie déposé dans le sein de Marie devait être le fruit de son opération mystérieuse. – Et la vertu du Très‑Haut vous couvrira de son ombre. « Nous remarquons dans la réponse de l’ange le parallélisme qui est toujours, chez les Hébreux, l’expression de l’exaltation du sentiment et le caractère du style poétique. L’ange aborde le plus saint des mystères ; sa parole devient un chant », Godet, h. l. La phrase exprime donc tout à fait la même idée que la précédente, il n’y a de différence que dans les termes. La « vertu » (l’énergie créatrice et toute puissante du Seigneur) équivaut à l’Esprit‑Saint et représente la troisième personne de la Sainte Trinité. « Vous couvrira de son ombre » est synonyme de « surviendra en vous », mais avec une belle image en sus, pour fortifier la pensée. On a pourtant interprété de manières bien diverses cette ombre dont la Vertu du Très‑Haut devait couvrir Marie pour la rendre mère du Christ : peut être, en comptant bien, trouverait‑on plus de quinze explications différentes émises dans le cours des siècles. Voyez Cornelius à Lapide, hoc. Loco. Suivant l’opinion qui est très communément admise de nos jours, il y a dans la métaphore de l’ombre une allusion aux théophanies de l’Ancien Testament, c’est‑à‑dire aux manifestations de la substance divine sous la forme d’une nuée qui recouvrait l’arche d’alliance. En tout cas, le langage humain ne pouvait pas désigner en termes plus clairs et plus chastes le mystère admirable qui allait bientôt s’accomplir. Marie, comme le chante l’Église, réunira sur sa tête les deux plus belles couronnes de ce monde, la dignité d’une mère et la pureté d’une vierge. – C’est pourquoi l’être saint.. Conçu par l’opération du Saint Esprit, le fils de Marie sera nécessairement lui‑même une chose sainte ; il sera nécessairement aussi le Fils de Dieu, et le monde entier le reconnaître comme tel (voyez le v. 32 et l’explication). Rien n’est plus rigoureux que cette double déduction de l’ange.

Luc 1.36 Déjà Élisabeth, votre parente, a conçu elle aussi, un fils dans sa vieillesse et c’est actuellement son sixième mois, à elle que l’on appelle stérile : – Les Prophètes, quand ils prédisaient au nom du ciel un événement important, mais surhumain, annonçaient parfois un autre événement plus rapproché, dont la réalisation devait prouver la vérité de leurs paroles. Comme eux, le messager céleste donne à Marie un signe qui lui démontrera qu’elle n’a pas été trompée. La vierge de Nazareth obtient ainsi, sans le demander, ce que Zacharie n’avait reçu qu’en punition de son incrédulité. Ce signe miraculeux lui est notifié avec toutes ses circonstances : Et voici qu’Élisabeth… Quand on précise à ce point, on ne craint pas d’être démenti par les faits, et quiconque prophétise une chose si difficile, mérite qu’on lui ajoute foi, alors même qu’il en prédit une autre mille fois plus difficile encore. Si une femme stérile et âgée peut devenir mère, pourquoi une vierge n’enfanterait‑elle pas ? – A propos des mots « votre parente », on s’est souvent demandé comment Marie et Élisabeth pouvaient être parentes, puisque celle‑ci était de la tribu de Lévi, et celle‑là de la tribu de Juda. Mais il n’existe sur ce point aucune difficulté réelle. Pour créer entre elles des liens de parenté il suffisait d’un mariage entre leurs familles. Par exemple, la mère de la Sainte Vierge était peut‑être la fille d’Aaron, ou bien la mère de sainte Élisabeth pouvait appartenir à la race de David.

Luc 1.37 car rien n’est impossible à Dieu. » – Par ces paroles, l’ange rattache à un principe commun, qui est la toute puissance de Dieu, les deux naissances miraculeuses qu’il a prophétisées. Sans doute les choses annoncées par Gabriel dépassent les forces de la nature ; mais le Créateur est‑il donc enchaîné par les lois qu’il a posées ? Plusieurs exégètes (Meyer, Olshausen, etc.) traduisent : Aucune parole divine ne saurait demeurer sans effet. Mais cette interprétation est peu naturelle.

Luc 1.38 Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. » Et l’ange la quitta. – L’Archange a accompli sa mission. Il se tait, et attend respectueusement la réponse de Marie. Quel instant solennel. « O bienheureuse Marie, le siècle captif au complet demande ton consentement… Ne tarde pas, Vierge ! Donne vite une réponse à l’envoyé, et reçois le fils » S. Augustin, Serm. 17, de tempore). cf. S. Bernard, Serm 4 sup. Missus, et Faber, Bethlehem, p. 74 et 75. Marie, sûre désormais de conserver la virginité qui lui est si chère, n’a aucun motif de refuser ce que le Seigneur lui demande. Aussi répond‑elle, dans le double sentiment de son humilité et de son ardent désir : Voici la servante du Seigneur. Il y a là une foi sublime. Heureux de cet assentiment, l’ange s’éloigna, et aussitôt, selon l’opinion commune des théologiens, eut lieu le mystère de l’Incarnation. Du sang le plus pur de Marie l’Esprit Saint forma le corps de Jésus, et l’unit à une âme humaine qu’il créa au même instant : le Verbe prit possession de ce corps et de cette âme, et le mystère fut accompli. « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » – Après avoir adoré les anéantissements du Verbe, il faut admirer ici la beauté, la grandeur du caractère de Marie. Comme elle est bien, autant du moins que cela était compatible avec une nature créée, à la hauteur du rôle qui lui est offert. Quel « type idéal de pureté, d’humilité, de candeur, de foi naïve et forte. » Bougaud, Jésus‑Christ, 2è éd. p. 147. Vraiment, dit un autre écrivain, « Marie apparaît sur le vieux tronc du judaïsme comme la fleur sur l’arbre, pour annoncer la saison de maturité ». Admirons aussi la narration de S. Luc, si sobre, si exquise, si délicate, si simplement sublime. Ce n’est pas ainsi que l’Annonciation est racontée dans les Évangiles apocryphes. Voyez Thilo, Tischendorf et Brunet. Est‑il surprenant qu’un tel épisode, où l’humain et le divin s’associent de la manière la plus étonnante, ait été fréquemment reproduit par l’art chrétien, à l’aide du pinceau ou du ciseau ? Voyez Rohault de Fleury, l’Évangile, études iconograph. et archéolog. t. 1 p. 11 et ss. ; Grimouard de S. Laurent, Guide de l’art chrétien, t. 4 pp. 101 et ss. Parmi ces nombreux chefs‑d’œuvre nous préférons, à cause de leur grâce, de leur piété et de leur pureté, les tableaux de Fra Angelico, de Lorenzo di Credi, de Baroccio, du Guide, de Nic. Poussin, et les sculptures des cathédrales d’Amiens et de Reims. « La Anunciacion » a aussi inspiré un beau cantique à Moratin.

La visitation et le « Magnificat », 1, 39-56.

Luc 1.39 En ces jours-là, Marie se levant, s’en alla en hâte au pays des montagnes, en une ville de Juda.La joie que lui avait apportée la maternité divine et ses délicieux entretiens avec le Verbe incarné dans son sein ne firent pas oublier à Marie les dernières paroles de l’ange : « Et voici qu’Élisabeth… ». En les entendant, elle avait senti un mouvement intérieur de l’Esprit Saint qui la pressait d’aller visiter sa parente. Docile à la voix de Dieu, elle se mit bientôt en chemin pour se rendre auprès d’Élisabeth. « Quand Marie entendit cela, elle ne manifesta pas d’incrédulité envers l’oracle, ni d’incertitude envers le messager, ni de doute au sujet de l’exemple donné. Avec grand empressement, elle se dirigea toute joyeuse vers la montagne », S. Ambroise, h. l. Le Messie allait d’ailleurs se servir de cette rencontre des deux mères pour sanctifier son Précurseur. – Se levant… s ‘en alla … entra… salua… : on reconnaît, dans cette accumulation rapide des détails, le style pittoresque de l’Orient. En ces jours‑là, c’est‑à‑dire, très peu de temps après l’Annonciation. Cela ressort du participe se levant, employé ici à la façon hébraïque pour désigner une grande promptitude ; 2° d’un rapprochement entre les vv. 26, 56 et 57. Élisabeth est déjà au sixième mois de sa grossesse ; Marie demeure trois mois auprès d’elle et revient sinon avant, du moins peu de temps après la naissance de Jean‑Baptiste : ces dates supposent que la mère du Christ ne différa pas son voyage au‑delà de quelques jours. – Elle s’en alla vers les montagnes. Le nom de Juda, que nous trouvons à la ligne suivante, montre que, dans cette région montagneuse où se rendit Marie, il faut voir le massif de hauteurs qui forme au Sud de Jérusalem un plateau élevé dont l’altitude varie entre 450 et 750 mètres. Le lieu spécial vers lequel la Vierge de Nazareth se dirigeait avec un saint empressement est désigné par les mots dans une ville de Juda. La généralité de l’expression employée par l’évangéliste et, d’un autre côté, le désir bien naturel de connaître au juste la patrie de S. Jean‑Baptiste, a fait naître des hypothèses assez nombreuses. Plusieurs anciens (entre autres S. Ambroise et Bède le Vénérable) se sont déclarés en faveur de Jérusalem, quoiqu’il paraisse de prime abord bien difficile que la capitale juive ait été désignée par un nom aussi vague. D’autres ont pris parti pour Machéronte, ou pour Emmaüs. D’autres encore (en particulier le P. Patrizi, de Evang. Lib. 3, Dissert. 10, c. 1), identifient la ville de Zacharie et d’Élisabeth avec l’antique cité de Juta, mentionnée déjà dans le livre de Josué (15, 55 ; 21, 56) comme une ville sacerdotale. Mais aucun manuscrit ne favorise cette hypothèse. C’est Hébron qui a réuni de nos jours le plus grand nombre de suffrages. Le double caractère noté par S. Luc convient du reste parfaitement à cette localité célèbre, car elle s’élevait au milieu des montagnes les plus élevées de la Judée, et c’était un des séjours attribués par Josué aux descendants d’Aaron dans la tribu de Juda. cf. Josué 21, 11-13. Quoi qu’il en soit de toutes ces conjectures, la ville en question étant située au Sud et à quelque distance de Jérusalem, le voyage entrepris par Marie devait durer de quatre à cinq jours. Probablement assise sur une ânesse, d’après la coutume ancienne et moderne de la Palestine, couverte de l’habillement traditionnel et pittoresque de sa contrée (robe rouge et manteau bleu, ou robe bleue et manteau rouge, avec un grand voile blanc qui enveloppe tout le corps), accompagnée d’une servante ou jointe à quelques Galiléens qui se rendaient à Jérusalem, Marie franchit la plaine de Jesréel, les montagnes d’Éphraïm, la Samarie et une grande partie de la Judée avant d’arriver chez Élisabeth. Tout paraît prouver que S. Joseph ne vint pas avec elle. Il n’était alors que son fiancé ; l’évangéliste ne mentionne pas sa présence, et surtout, comment expliquer ses doutes ultérieurs relativement à la grossesse de Marie (Matth. 1, 19), s’il eût entendu les paroles que les deux mères prononcèrent en s’abordant (vv. 42 et ss.).

Luc 1.40 Et elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Or, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, l’enfant tressaillit dans son sein et elle fut remplie du Saint-Esprit. – Arrivée au terme de son voyage, Marie se fit indiquer la maison de Zacharie, et, étant entrée, elle salue Élisabeth. « Elle lui souhaita la paix », dit la version syriaque, faisant allusion aux paroles dont la Sainte Vierge se servit suivant la coutume pour saluer sa cousine. L’évangéliste signale cette salutation à cause des merveilleux effets qu’elle produisit sur‑le‑champ. C’était le signal attendu par la grâce. A l’instant même, l’enfant d’Élisabeth reconnut à sa manière la présence de son Messie et de son Dieu : l’enfant tressaillit en son sein. Quoique toutes les mères sentent parfois leurs enfants s’agiter en leur sein, il est évident que S. Luc a voulu relater ici un fait extraordinaire, un tressaillement surnaturel, qui eut pour cause la proximité du Verbe incarné (« Divinement dans l’enfant, non humainement par l’enfant », S. Ambr.). Le Précurseur saluait ainsi le Rédempteur. « Celui qu’il n’a pas pu saluer de la langue et de la voix, dans l’exultation de son âme, il l’a salué avec ses gestes ». Ludolph. Saxon. Vita J. C. p. 1, c. 6. cf. Bossuet, l. c. 3è élév. Au même instant, Élisabeth fut remplie du Saint‑Esprit, et ce divin Esprit lui révéla soudain tout ce qui s’était passé en Marie, comme nous allons le voir par les versets suivants.

Luc 1.42 Et élevant la voix, elle s’écria : « Vous êtes bénie entre les femmes et le fruit de vos entrailles est béni.– Elle s’écria d’une voix forte. Expressions pleines d’emphase pour introduire l’allocution inspirée de sainte Élisabeth. Elles attestent la vive émotion, le saisissement qui s’empara de la mère de S. Jean sous l’influence de l’Esprit de Dieu. Élisabeth commence par louer Marie dans les mêmes termes que l’ange : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, puis elle loue le fruit qu’elle porte dans son sein virginal : Le fruit de votre sein est béni. « Béni soit l’arbre, et béni soit le fruit de l’arbre. Bénie la tige de la racine de Jessé. Bénie aussi la fleur qui a poussé sur une telle racine ». Ludolph Saxon., ubi supra. 

Luc 1.43 Et d’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ?– On l’a vu par le verset précédent, Élisabeth sait tout. On comprend donc que tout à coup elle s’interrompe afin d’exprimer son étonnement, sa reconnaissance, au sujet d’une visite si honorable pour elle. Comment ai‑je mérité une pareille condescendance ? La mère de mon Seigneur chez moi. Du reste, la façon entrecoupée dont parle Élisabeth est vraiment remarquable. Elle passe d’une idée à l’autre à chaque verset ; ses phrases ne se suivent pas parfaitement. Mais que cela est naturel et vrai : Tel est bien le langage de l’émotion, de la surprise et de l’enthousiasme. – « Parmi les paroles d’Élisabeth, dit Olshause, Biblischer Commentar, h. l., il faut remarquer la mère de mon Seigneur. Nous ne pourrons jamais expliquer ce titre de Seigneur appliqué à un enfant qu n’est pas encore né, à moins de supposer qu’Élisabeth, éclairée par l’Esprit‑Saint, reconnut la nature divine du Messie, tandis qu’elle saluait Marie comme sa mère. Ce passage est donc parallèle au v. 17, et Seigneur y correspond à Dieu. » Plusieurs autres commentateurs protestants (Brown, Alford, etc.) raisonnent, et bien justement, de la même manière. Il n’y a pas à douter en effet que cette expression ne signifie en cet endroit Mère de mon Dieu.

Luc 1.44 Car votre voix, lorsque vous m’avez saluée, n’a pas plus tôt frappé mes oreilles, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. – Élisabeth raconte maintenant à sa cousine le miracle qui avait eu lieu au moment où celle‑ci lui disait en l’abordant : La paix soit avec vous. Elle explique en même temps la manière dont elle a connu les miracles opérés en Marie. Éclairée divinement par l’Esprit‑Saint, elle a compris que le tressaillement surnaturel de son enfant était produit par la présence du Verbe incarné. Aux mots l’enfant a tressailli, Élisabeth ajoute une observation importante : c’est d’un mouvement de joie que Jean a tressailli dans le sein maternel. De ce détail, presque tous les anciens écrivains ecclésiastiques ont conclu que le Précurseur avait été en cet instant même doué de raison. « Irénée dit que le Seigneur en prit connaissance, et qu’il le salua dans l’exultation. » Tertullien : « Il appelle l’enfant qui a reconnu son Dieu ». Et Origène enseigne la même chose en plus de mots. Saint Ambroise : « Il avait la capacité de comprendre celui qui avait la capacité d’exulter ». Jansenius, Comment in h. l. S. Augustin est à peu près seul à soutenir l’opinion contraire : « Cette exultation faite sans connaissance rationnelle ». Il est possible que cette illumination intérieure ait été pour Jean‑Baptiste aussi transitoire que brillante et soudaine : tel est du moins l’avis d’un certain nombre de Pères et de théologiens. Selon d’autres, elle aurait duré constamment depuis cette époque. En même temps qu’il jouissait de sa raison d’une manière anticipée, le future Précurseur était purifié de la tache originelle. Il n’existe pas le moindre doute à ce sujet, car telle a toujours été la croyance universelle de l’Église. 

Luc 1.45 Heureuse celle qui a cru car elles seront accomplies les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur. » – Élisabeth termine son allocution par un bel éloge de la foi si parfaite de Marie : Bienheureuse celle qui a cru. On voit encore par ce détail que la révélation faite à sainte Élisabeth n’avait pas moins été circonstanciée que rapide ; elle avait déroulé sous les yeux de la mère de S. Jean, comme un admirable panorama, tout ce qui s’était passé entre l’ange et Marie. D’après le texte grec, Élisabeth n’adresse pas directement à sa cousine les paroles de ce verset, mais elle parle à la troisième personne. Elle proclame par manière d’aphorisme une vérité générale (cf. Psaume 73, 13 ; 145, 7 ; Proverbes 16, 20) qu’elle applique néanmoins à Marie. Comme on l’a dit, sa pensée semble se perdre dans une sorte de contemplation, et sa parole, cessant d’être une apostrophe à sa cousine, devient un hymne à la foi.  Bienheureuse celle qui a cru, CAR les paroles de Dieu s’accompliront.

Luc 1.46 Et Marie dit : « Mon âme glorifie le Seigneur. – Telles furent les félicitations que Marie reçut d’Élisabeth. Pour toute réponse, transformée par l’Esprit‑Saint en une lyre harmonieuse, elle entonne son admirable cantique : Mon âme glorifie le Seigneur. Elle répond aux louanges de sa cousine par la louange de Dieu. Les grandes merveilles accomplies par Dieu avaient inspiré plusieurs fois déjà des cantiques à des femmes d’Israël. Les plus célèbres étaient ceux de la sœur de Moïse, Exode 15, 21, de Débora, Judith 5, d’Anne, mère de Samuel, 1 Samuel 2. Il était réservé à Marie de chanter la merveille des merveilles, l’œuvre de la Rédemption, dans un hymne qui est le couronnement de tous les cantiques de l’ancienne Alliance, le prélude de tous les cantiques du Nouveau Testament. Hymne sublime en effet dans sa simplicité ; chant magnifique d’action de grâces, dont l’Église se sert chaque jour pour remercier Dieu de ses bienfaits. Au point de vue de la forme, le « Magnificat » a tous les caractères que la poésie revêtait chez les Hébreux : on y trouve le rythme, et surtout le parallélisme des membres. Il ressemble aux Psaumes eucharistiques de David. Ce beau poème s’échappa spontanément du cœur de Marie, sous l’inspiration divine, à l’occasion des paroles d’Élisabeth : c’est donc une véritable improvisation, l’effusion jusque‑là comprimée d’une âme profondément émue par les grâces du ciel, mais qui n’avait pas encore trouvé l’occasion de s’épancher au dehors. – Et Marie dit. Les exégètes, rapprochant ces simples mots « Marie dit » de la formule « Elle s’écria d’une voix forte » (v. 42) qui avait introduit l’allocution de la mère de S. Jean, aiment à faire ressortir la profonde quiétude qui règne dans le cantique de Marie. C’est là en réalité un caractère frappant du Magnificat, dont le lyrisme respire un calme vraiment divin. – Mon âme glorifie le Seigneur… La plupart des poèmes hébreux peuvent se diviser en strophes, qui sont plus ou moins bien marquées par la « direction »nouvelle donnée aux pensées. Les exégètes modernes, appliquant ce principe au cantique de Marie, ont essayé de le partager en stances à peu près égales, qui correspondent à autant d’idées nouvelles. Mais l’accord ne règne pas entre eux, les divisions de ce genre ayant toujours quelque chose de subjectif. Ewald, von Burger, Godet, etc., admettent quatre strophes : vv. 46-48a, 48b-50, 51-53, 54-55. Les Drs Schegg et Reischl n’en admettent que deux : vv. 46-49, louange à Dieu pour la part personnelle qu’il a faite à Marie dans le mystère de la Rédemption ; vv. 50-55, louange à Dieu pour les bienfaits qu’il n’a cessé d’accorder soit aux petits en général, soit spécialement à Israël. M. L. Abbott en distingue trois : vv. 46-49, 50-53, 54 et 55. Nous adoptons cette division qui nous semble la plus logique. – Première strophe. Marie témoigne au Seigneur la plus vive reconnaissance pour sa maternité divine. La pensée contenue dans les premiers mots du cantique, Mon âme glorifie le Seigneur, retentit à travers le Magnificat tout entier et « l’on pourrait, dit M. Schegg, la répéter comme un refrain après chaque verset ». Elle est pour ainsi dire le thème que Marie se propose de développer : toutes les idées qui suivent en seront de simples variations.

Luc 1.47 Et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon Sauveur, – Les paroles mon esprit a tressailli d’allégresse en Dieu mon Sauveur correspondent, en vertu du parallélisme, à Mon âme glorifie le Seigneur. Mon esprit tressaille d’allégresse, mon âme glorifie, sont des hébraïsmes bien connus pour : je tressaille, je glorifie. L’âme dont il est ici question tient comme le milieu entre l’esprit et le corps : elle est inférieure à l’esprit : celui‑ci au contraire comprend les puissances les plus relevées de notre être intérieur. Ce sont donc toutes les parties de l’âme de Marie qui sont doucement et saintement agitées. C’est le salut messianique, promis depuis si longtemps, et sur le point d’être accordé au monde par son intermédiaire, qui suscite la joie la plus vive dans le cœur de Marie.

Luc 1.48 parce qu’il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Voici, en effet, que désormais toutes les générations me diront bienheureuse, – Si les paroles qui précèdent étaient un cri de reconnaissance jeté vers le ciel, celles‑ci expriment la plus parfaite humilité. De nouveau (cf. le v. 38) Marie se nomme l’humble servante du Très‑Haut. Elle parle de sa petitesse, de sa bassesse : elle est pourtant fille de rois, elle est même la plus pure et la plus sainte des créatures ; mais qu’est‑ce que tout cela devant la grandeur et la sainteté de Dieu : Aussi, pour représenter la bonté du Seigneur à son égard, emploie‑t‑elle encore le verbe pittoresque « a jeté les yeux », qui désigne un regard défavorable, mais jeté de haut en bas, par conséquent, un regard de grande condescendance. cf. Genèse 31, 42 ; 1 Samuel 1, 11 ; 2 Rois 14, 26, etc. De l’expression de son indignité, Marie, divinement éclairée, rapproche celle de sa gloire future : Car voici que …. Elle sait que son nom sera désormais inséparable du nom du Messie‑Dieu ; elle voit, dans la suite des siècles, les hommages publics et privés qu’elle recevra sur toute la terre, de la part de toutes les générations. Élisabeth vient d’être (vv. 42 et 45) le premier anneau ce cette chaîne glorieuse ; mais depuis lors les chants de louange et d’amour n’ont jamais cessé de retentir dans l’Église catholique en l’honneur de Marie. Les protestants nous accusent à tort d’adorer la Vierge de Nazareth ; nous n’adorons que Dieu. Mais nous vénérons d’un culte spécial la Mère de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ et aimons en elle notre propre mère. Ceux‑là seuls refusent de s’associer à nos hommages, qui ne comprennent pas le sens de ces deux titres.

Luc 1.49 parce qu’il a fait en moi de grandes choses, Celui qui est puissant et dont le nom est saint – Motif pour lequel chaque génération s’inclinera devant Marie et s’écriera : Bienheureuse. Dieu a fait en elle de grandes choses. Combien de merveilles le Seigneur n’avait pas opérées en la Très Sainte Vierge. Elles se résumaient toutes dans sa maternité divine. Mais seul le Tout‑Puissant avait pu réaliser de telles merveilles ; aussi Marie rappelle‑t‑elle le pouvoir infini de celui qu’elle loue. – Et son nom est saint. Marie vient de prononcer l’un des noms de Dieu. Or les Orientaux unissent presque toujours aux noms divins une épithète de louange (Dieu, qu’il soit béni, etc.) Les Hébreux, à qui le Seigneur avait donné tant de marques de sa sainteté, louaient de préférence cette perfection, et divers passages des saintes Lettres (cf. Isaïe 6, 3 ; 57, 15 ; Psaume 98, 3 ; 110, 9, etc.) prouvent qu’ils donnaient surtout à Dieu l’épithète de Saint quand ils avaient récemment parlé de sa puissance. Marie se conforme à ce pieux usage. Le signe et la chose signifiée se confondant en Dieu, dire que « son nom » est saint c’est affirmer la parfaite sainteté de son essence.

Luc 1.50 et dont la miséricorde s’étend d’âge en âge, sur ceux qui le craignent. – Deuxième strophe, vv. 50-53. La mère du Christ généralise maintenant sa pensée : elle loue la bonté divine s’exerçant d’une manière universelle envers les humbles et les petits. Elle ne parle donc plus directement d’elle‑même et des faveurs spéciales dont elle a été l’objet. Néanmoins, tout ce qu’elle va dire lui convient encore à un degré suréminent. Quelle pauvre a été plus enrichi ? Quelle âme humble plus élevée ? Le v. 50 émet l’idée principale, qui est ensuite développée par des exemples dans les trois suivants. – Sa miséricorde … sur ceux qui le craignent. La crainte de Dieu était, sous l’Ancien Testament, une vertu des plus étendues, qui comprenait, de même que la justice, des devoirs très multiples, et l’accomplissement parfait des volontés célestes. Voilà pourquoi on promet une si magnifique récompense à ceux qui la pratiquent. La locution d’âge en âge est empruntée à l’hébreu et signifie : constamment ; d’une génération à la suivante, sans qu’il y ait jamais de trêve.

Luc 1.51 Il a déployé la force de son bras, Il a dissipé ceux qui s’enorgueillissaient dans les pensées de leur cœur, – Les exégètes se demandent à propos des vv. 51-53 si, en les prononçant, Marie avait à l’esprit le passé, le présent ou l’avenir. Dans le premiers cas, elle aurait décrit à grands traits l’histoire juive, où l’on voit à chaque instant le bras tout‑puissant de Dieu délivrer et soutenir son peuple, renverser les trônes cananéens, etc. Dans le second cas, elle eût peint sous des couleurs poétiques la conduite habituelle de Dieu à l’égard des justes qui le craignent et des impies qui le méprisent. Dans la troisième hypothèse, elle tracerait un tableau prophétique du règne futur du Messie. « Maintenant, dit Meyer qui adopte cette dernière opinion (Comment. h. l. ; de même Jansénius, Kistemaker, de Wette, Olshausen, etc.), Marie contemple la catastrophe messianique que son Fils doit produire, et, à la façon des Prophètes, elle l’annonce comme un fait accompli, tant elle est sûre de sa réalisation ». Mais les paroles de Marie nous paraissent bien générales pour convenir d’une manière exclusive aux temps messianiques. Peut‑être sont‑elles bien générales aussi pour désigner des faits particuliers de l’histoire sainte, et nous serions tentés de dire avec Maldonat, h. l. : « Je suis, moi, Bède le vénérable qui pense qu’on ne peut noter ou désigner aucun exemple du passé ou du futur qui soit fait parce qu’il devait être fait, mais parce que Dieu peut et a coutume de le faire ». Les faits signalés par Marie ont lieu indistinctement à tous les âges et dans tous les pays : ce sont des actes habituels de la Providence. Toutefois, nous préférons adopter la première opinion (avec Luc de Bruges, Noël Alexandre, Sylveira, Massi, etc.), parce que l’aoriste n’a jamais le sens du présent dans les écrits du Nouveau Testament. – Il a déployé la force de son bras. Bel anthropomorphisme, qu’on rencontre plusieurs fois dans les livres poétiques de la Bible. cf. Psaume 88 , vv. 9-14, etc. Le bras étant le siège de la vigueur, cette expression signifie que Dieu a pour ainsi dire ramassé toutes ses forces, comme un guerrier qui se prépare à lutter contre ses ennemis. Et, de ce bras auquel rien ne peut résister, il a dispersé ceux qui s’enorgueillissaient dans les pensées de leur cœur. Le verbe grec correspondant à dispersé est un mot des plus énergiques : Dieu a dispersé, balayé devant lui les impies « rends‑les semblables au chaume qu’emporte le vent » (Psaume 82, 14). – Dans les pensées de leur cœur. L’expression est d’origine hébraïque pour le fond comme pour la forme. Nous l’expliquerons en rappelant au lecteur un principe de la psychologie des Hébreux. Dans les saints Livres, le cœur est habituellement envisagé comme le siège non‑seulement des désirs, mais encore des pensées. Les anciens Hébreux avaient vu, en se repliant sur eux‑mêmes, que le plus souvent les pensées dérivent du cœur comme de leur première source, et qu’elles ne passent dans l’intellect qu’après avoir pris naissance dans les inclinations de la volonté. C’est pour cela qu’ils parlaient d’hommes « orgueilleux dans les pensées, dans l’esprit de leur cœur ». L’orgueil affecte immédiatement l’esprit : mais cette estime déréglée de sa propre excellence provient toujours d’un amour immodéré de soi‑même.

Luc 1.52 Il a renversé de leur trône les puissants et il a élevé les petits, 53 Il a comblé de biens les affamés et les riches, il les a renvoyés les mains vides. – Deux antithèses frappantes, qui confirment l’exemple précédent. Les orgueilleux, ennemis de Dieu, sont d’ordinaire les favoris de la fortune, les puissants et les riches de ce monde. Leurs souvenir amène naturellement celui des petits et des pauvres, chez lesquels on trouve plus souvent la crainte du Seigneur et l’accomplissement de ses préceptes. Marie caractérise en termes pittoresques la conduite de Dieu à l’égard des uns et des autres. Les puissants, « les dynastes », comme le dit le texte grec, il les renverse de leurs trônes ; les riches, il les renvoie privés de tout. Au contraire, il exalte les humbles, il comble de biens les pauvres qui mouraient de faim. Les livres de l’Ancien Testament sont remplis de sentences analogues. cf. Ecclésiastique 10, 14 ; Psaume 17, 28 ; 34, 11, etc. Notons encore, avant de quitter cette strophe, le beau croisement des membres dans les antithèses qu’elle contient. « Dans le premier contraste (v. 51), les justes occupent la première place, les orgueilleux la seconde ; dans le second au contraire (v. 52), les puissants occupent la première, de manière à se rattacher immédiatement aux orgueilleux du v. 51, et les petits la seconde. Dans la troisième enfin (v. 53), les affamés viennent en premier lieu, se liant aux petits du v. 52, et les riches forment le second membre. L’esprit passe ainsi, comme par une sorte d’ondulation, du semblable au semblable, et le sentiment n’est pas heurté, comme il l’eût été par une symétrie qui eût présenté à chaque fois les membres homogènes du contraste dans le même ordre ». Godet.

Luc 1.54 Il a pris soin d’Israël son serviteur, se ressouvenant de sa miséricorde, 55 ainsi qu’il l’avait promis à nos pères, envers Abraham et sa race, pour toujours. » – Ces deux versets forment la troisième strophe du Magnificat. Marie y exprime en termes emphatiques la part spéciale qu’aura le peuple juif au salut opéré par le Messie‑Dieu qu’elle porte dans son sein. – Il a relevé Israël son serviteur. Par le mystère de l’Incarnation, Dieu a donc soulevé de terre, en lui tendant une main secourable, la nation théocratique, désignée ici comme en tant d’autres passages de la Bible par le nom mystique du patriarche Jacob. – Se souvenant de sa miséricorde. Belle expression. Dieu avait semblé oublier sa miséricorde à l’égard du peuple juif, auquel il avait infligé depuis tant d’années de si profondes humiliations, de si rudes souffrances. Mais voici qu’il se ressouvient enfin de sa bonté. – Selon ce qu’il avait dit à nos pères. C’est une proposition incidente, une sorte de parenthèse, qui explique Dieu traitera maintenant Israël avec compassion. Ne s’y est‑il pas engagé depuis longtemps par des promesses solennelles, réitérées vingt fois aux premiers pères du peuple juif ? Les mots Abraham et sa race indiquent l’objet de la miséricorde divine. Sans doute il y avait des siècles qu’Abraham n’était plus : Marie peut néanmoins affirmer que Dieu, en traitant avec tendresse la postérité de ce grand patriarche, usera par là‑même de miséricorde envers lui, parce qu’un père est supposé, après sa mort comme de son vivant, prendre part au sort de ses enfants, se réjouir avec eux de leur bonheur. – Pour toujours. Cette formule, qui termine souvent les psaumes, sert aussi de conclusion au cantique de Marie. C’est un cri de vive confiance jeté à la fin du Magnificat. La lignée spirituelle du père des croyants durera jusqu’à la fin des temps. Pendant les siècles des siècles, Dieu se souviendra envers elle de ses miséricordes. « Et toi Israël, mon serviteur, Jacob que j’ai élu, semence de mon ami Abraham, dans lequel je t’ai saisi et t’ai appelé de loin, je t’ai dit : tu es mon serviteur. Je t’ai élu et ne t’ai pas rejeté. Ne crains pas, car je suis avec toi. Ne t’éloigne pas, car je suis moi ton Dieu. Je t’ai fortifié et je te suis venu en aide, et la droite de mon juste te reçoit ». Isaïe 41, 8-10. – Tel est le cantique de la Très Sainte Vierge. Mais nous n’avons pas dit encore que, si on l’examine attentivement, on ne tarde pas à découvrir qu’il paraît être en grande partie un écho, et même une reproduction de divers pages de l’Ancien Testament. Presque toutes ses expressions ramènent à la pensée soit le cantique d’Anne, 1 Samuel 2, 1-10, soit certains psaumes, etc., comme le prouvent les ressemblances suivantes : Que mon âme magnifie le Seigneur. Psaume33. 4 : « Magnifiez le Seigneur avec moi ». Et mon esprit a exulté en Dieu. 1Samuel 2, 1 : « Mon cœur a exulté dans le Seigneur ». Qui a regardé la bassesse de sa servante. 1Samuel 1, 11 : « Si, en regardant, tu vois l’affliction de ta servante. » Toutes les générations me diront bienheureuse. Genèse 30, 13 : « Bienheureuse me diront les femmes ». Il a fait pour moi de grandes choses. Psaume 70, 19 : « Tu as fait de grandes choses ». Saint est son nom. Psaume 110, 9 : « Saint et terrible est son nom. ». Sa miséricorde de génération en génération pour ceux qui le craignent. Psaume 102, 17 : « La miséricorde d’éternité en éternité sur ceux qui le craignent ». Il a montré de la puissance avec son bras. Psaume 117, 16 : « La droite du Seigneur produit de la puissance ». Il disperse les esprits au cœur superbe. Psaume 88 11 « Tu humilies les orgueilleux, et tu disperses tes ennemis. » Il a déposé les puissants de leur trône et a exalté les humbles. Ecclésiastique 10,14 Le Seigneur renverse le trône des princes et fait asseoir à leur place les hommes doux. Il a comblé de biens les affamés, et renvoyé les riches les mains vides. 1 Samuel 2, 5 : « Les repus chercheront un lieu où manger, et les affamés seront rassasiés ». Se souvenant de sa miséricorde, comme il a parlé à nos pères, Abraham. Michée 7, 20 : « Tu donneras la vérité à Jacob, la miséricorde à Abraham, que tu as juré à nos pères aux temps anciens ». De cette ressemblance manifeste, les rationalistes se sont hâtés de conclure que le Magnificat ne saurait être l’œuvre personnelle de Marie, qu’il est apocryphe par conséquent ; par conséquent aussi que les divers événements dont il est entouré dans le troisième Évangile sont de même l’œuvre d’un faussaire. Affirmations qu’une simple réflexion peut réduire à néant. Si ce principe était vrai, que toute œuvre littéraire doit avoir été contrefaite quand elle a une certaine analogie avec des écrits plus anciens, combien de livres cesseraient d’être authentiques. Virgile imite parfois les discours ou les descriptions d’Homère : donc l’Énéide a été composée deux ou trois siècles après Virgile. Le cantique de Jonas et la prière d’Habacuc sont des compilations des psaumes, etc. : donc les prophéties de Jonas et d’Habacuc sont apocryphes : Sont‑ce là des conclusions bien légitimes ? La vraie critique raisonne autrement. Elle se contentera de dire, mais en toute vérité : Donc Virgile connaissait les poèmes d’Homère, donc Jonas et Habacuc avaient lu les psaumes. En effet, une lecture sérieuse de la Bible prouve que les écrivains sacrés connaissaient à fond les parties de l’Écriture antérieures à leur époque et qu’ils aimaient, dans l’occasion, à en citer les paroles. Les réminiscences ou allusions que nous avons remarquées dans le Magnificat s’expliquent de la même manière. Marie avait lu et relu les saints Livres : au moment donc où elle ouvrait la bouche pour louer et remercier son Dieu, les textes inspirés se présentèrent en foule à sa mémoire. Se les appropriant, elle les employa parce qu’ils contenaient la parfaite expression de ses sentiments privés. Quoi de plus naturel ? Et en réalité tout, dans le Magnificat, est admirablement adapté à la situation de Marie, convient à merveille à la Vierge de Nazareth devenue Mère du Christ. Il est donc en ce sens une œuvre tout à fait originale. Ce n’est pas ainsi qu’on aurait inventé après coup, car on eût alors avidement recherché des idées et des formules neuves. – Il n’est peut‑être pas de compositeur célèbre qui n’ait annoté le beau cantique de Marie : les œuvres les plus renommées sont celles d’Orlando di Lasso, de Palestrina, de Bach, de Mendelsohn, de Moralès, de Sheppard. On a du peintre Botticelli un incomparable chef‑d’œuvre » (Rio) qui représente la Vierge écrivant le Magnificat.

Luc 1.56 Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois et s’en retourna chez elle. – En terminant le récit de la Visitation, S. Luc nous apprend que la Sainte Vierge demeura « environ trois mois »auprès d’Élisabeth, et qu’ensuite « elle revint dans sa maison », c’est‑à‑dire à Nazareth. Le départ de Marie eut‑il lieu avant ou après la naissance de Jean‑Baptiste ? Le texte sacré ne le dit pas expressément. Toutefois, en le mentionnant avant de raconter la nativité du Précurseur, il semble indiquer assez clairement que Marie avait repris le chemin de la Galilée quand le temps d’Élisabeth fut accompli ». D’ailleurs, le but du voyage de la Mère de Dieu n’avait pas été précisément de soigner sa cousine : aucun motif de charité ne la retenait donc dans la maison de Zacharie. Un certain nombre de commentateurs anciens et modernes croient néanmoins que Marie demeura plus longtemps auprès d’Élisabeth : suivant eux, le v. 56 serait placé par anticipation avant la naissance de S. Jean. – Le mystère de la Visitation a inspiré de beaux tableaux à Raphaël, au Pinturicchio, à Ghirlandaio, à Jouvenet, etc.

Luc 1.57 Cependant, le temps s’accomplit où Élisabeth devait enfanter et elle mit au monde un fils.Construction toute hébraïque, que l’on croirait reproduite d’après la Genèse, 25, 24 : « Les jours où elle devait accoucher s’accomplirent ».

Luc 1.58 Ses voisins et ses parents, ayant appris que le Seigneur avait signalé en elle sa miséricorde, se réjouissaient avec elle. – L’heureuse mère est bientôt entourée d’un cercle intime, formé des voisins, des amis et des parents de la famille, venus pour la féliciter. Dans cette merveilleuse naissance, chacun reconnut un grand bienfait de Dieu. L’expression « le Seigneur avait signalé envers elle sa miséricorde » est un nouvel hébraïsme. cf. Genèse 19, 19 et 1 Samuel 12, 24. – se réjouissaient avec elle », de sorte que nous avons ici un premier accomplissement de la prophétie de l’ange, v. 14. – Belle peinture d’Andrea del Sarlo.

Luc 1.59 Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l’enfant et ils le nommaient Zacharie d’après le nom de son père.Ils vinrent a sans doute pour sujet les « voisins et parents » du verset précédent, à moins qu’on ne préfère traduire d’une manière générale : On vint, c’est‑à‑dire, ceux‑là vinrent qui devaient circoncire l’enfant. Cette opération n’était nullement réservée aux prêtres : tout les israélites, même les femmes, pouvaient l’accomplir. Cependant, comme elle était assez délicate, on ne la confiait généralement qu’à des personnes expérimentées. Elle était accompagnée de vives réjouissances auxquelles prenaient part les parents et les amis de la maison : c’était en effet un saint événement, qui faisait entrer un nouvel être dans l’alliance de Dieu. La circoncision devait avoir lieu le huitième jour qui suivait la naissance ; telle avait été l’ordonnance expresse du Seigneur, Genèse 17, 12 ; Lév. 12, 13. Cette loi ne souffrait pas même d’exception quand le huitième jour tombait un samedi. cf. Jean 7, 23. Aucun local particulier n’avait été fixé pour la cérémonie : quoique les Juifs l’accomplissent aujourd’hui dans leurs synagogues, elle se passait alors le plus souvent au sein même des familles, et c’est ici le cas, puisque Élisabeth joue un rôle important dans la scène suivante , et qu’elle ne pouvait quitter sa maison avant quarante jours. Sur la circoncision dans le Judaïsme ancien et moderne, voyez Léon de Modène, Cérémonies et coutumes des Juifs, 4è partie, ch. 8 ; Coypel, Le judaïsme, esquisse des mœurs juives, pp. 96 et ss. – Ils l’appelaient du nom de son père : Littéralement conformément au nom, d’après le nom. Suivant un antique usage qui remontait jusqu’à l’époque d’Abraham (cf. Genèse 17, 5, 15 ; 21, 3 et 4), on associait très ordinairement à la cérémonie de la circoncision l’imposition du nom de l’enfant. Le choix de ce nom était le plus souvent réservé au père ; mais, dans la circonstance présente, les assistants, voulant sans doute faire à Zacharie une agréable surprise, et supposant d’ailleurs son consentement, se hâtèrent de donner son nom au fils de sa vieillesse. Voir au livre de Ruth, 4, 13-16, un détail analogue. Ils avaient même déjà prononcé le nom, lorsque Élisabeth les arrêta tout à coup par sa protestation énergique.

Luc 1.60 Mais sa mère, prenant la parole : « Non, dit-elle, mais il s’appellera Jean. » – Il ne sera pas fait selon votre désir, mais l’enfant sera appelé Jean. On s’est souvent demandé par quelle voie Élisabeth avait appris le nom destiné divinement à son fils. La plupart des modernes pensent qu’elle le tenait de Zacharie, qui avait dû lui raconter par écrit tous les détails de l’apparition dont il avait été favorisé dans le temple. Les anciens (Théophylacte, Euthymius) au contraire affirment d’une voix unanime qu’elle le connut par révélation, au moment de la circoncision de l’enfant. Tel est aussi l’avis de plusieurs exégètes, même rationalistes ou protestants. « L’esprit de tout le récit, et l’étonnement exprimé au sujet de l’accord des deux époux, nous fait préférer la supposition que le désir de la mère lui venait également d’une inspiration subite ». Reuss, Hist. Évangélique, p. 33. Nous partageons complètement cette antique opinion.

Luc 1.61 Ils lui dirent : « Il n’y a personne dans votre famille qui soit appelé de ce nom. » 62 Et ils demandaient par signe à son père comment il voulait qu’on le nommât. – L’objection des assistants suppose qu’alors, comme de nos jours, il était d’usage d’imposer aux enfants le nom de l’un de leurs propres parents. Rebutés du côté de la mère, les amis trop empressés s’adressent à Zacharie lui‑même, et le prient de leur indiquer le nom qu’il a choisi pour son fils. De ce qu’ils lui adressent leur demande par signes, beaucoup d’exégètes anciens et modernes, entre autres S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, Jansénius, Maldonat, Lightfoot, Grotius, Alford, Plumptre, Abbott, ont conclu qu’il n’avait pas été seulement frappé de mutisme depuis l’apparition de l’ange, mais aussi de surdité. Nous dirons à la suite de plusieurs autres commentateurs que cette conclusion ne nous paraît pas suffisamment justifiée. On parle très souvent par signes aux personnes simplement muettes. Dans le cas actuel, un signe pouvait suffire, Zacharie ayant assisté à la délibération précédente. Au reste, l’ange, au v. 20, n’avait parlé que du mutisme, et, au v. 64, il n’est question que de « sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia ».

Luc 1.63 S’étant fait apporter une tablette, il écrivit : « Jean est son nom » et tous furent dans l’étonnement.– Les Latins usaient de petites tablettes enduites de cire, sur lesquelles on écrivait au moyen d’un stylet ou poinçon d’acier, d’os ou d’autre matière. Ces planchettes étant primitivement en bois de pin. – Son nom est Jean. L’emploi du temps présent a ici quelque chose d’emphatique, d’énergique. La question n’est pas à discuter, veut dire Zacharie ; mon fils s’appelle Jean : il n’y a pas à s’occuper d’un autre nom pour lui. « Ce premier écrit du nouveau testament commence par le mot grâce » (allusion à la signification du nom de Jean). « Il déclara sur des tablettes, exprimant avec ses mains ce qu’il pensait, et prononçant le nom de son fils, non de la bouche, qui était muette, mais avec un poinçon dont il grava sur la cire, selon l’usage de ces anciens temps, ce que la voix même n’aurait pas pu déclarer d’une manière si éclatante » (Tertullien). Quand ils lurent les deux mots hébreux écrits par Zacharie, les assistants furent vivement surpris. Il s’étonnaient de voir Zacharie et Élisabeth complètement d’accord pour introduire un nom étranger dans leur famille.

Luc 1.64 Au même instant sa bouche s’ouvrit et sa langue se délia et il parlait, bénissant Dieu.– L’admiration de l’assemblée dut être à son comble lorsque, tout à coup, sa bouche s’ouvrit et sa langue se délia. Cette bouche avait été fermée d’une manière miraculeuse ; elle s’ouvre aussi par l’effet d’un miracle, et au moment même que l’ange avait prédit, v. 20. L’incrédulité avait enlevé à Zacharie l’usage de la parole ; c’est un acte de foi et d’obéissance qui le lui rend, comme le fait remarquer S. Ambroise. Il cesse d’être muet aussitôt qu’il a donné à son fils le nom prescrit par Dieu. De ces deux organes du langage mentionnés à la façon hébraïque par S. Luc, le premier est plus général, le second plus spécial. – Il parlait en bénissant Dieu. Zacharie consacre à Dieu les prémices de la faculté qu’il venait de recouvrer merveilleusement après un silence de neuf ou dix mois. Les hommages ici mentionnés ne sont autres que le cantique « Benedictus », dont la vraie place serait à cet endroit ; mais l’évangéliste l’a renvoyé un peu plus bas pour insérer, par mode de parenthèse, une note relative à l’impression que produisirent dans toute la contrée les miracles qui avaient accompagné la naissance du futur Précurseur. Telle est du moins l’opinion la plus naturelle et la plus commune. On n’a aucun motif sérieux de penser que Zacharie composa plus tard seulement, et pour ainsi dire à tête reposée, son cantique d’action de grâces, qui est au contraire, dans le même sens que le « Magnificat », une vive improvisation.

Luc 1.65 La crainte s’empara de tous les habitants d’alentour et partout dans les montagnes de la Judée, on racontait toutes ces merveilles.66 Tous ceux qui en entendirent parler les recueillirent dans leur cœur et ils disaient : « Que sera donc cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. »La crainte s’empara … Il s’agit de ce mystérieux effroi dont sont presque toujours saisies les personnes témoins de phénomènes surnaturels. cf. Marc. 4, 41. Après avoir rempli tout le voisinage d’une sainte frayeur, le bruit des merveilles racontées ci‑dessus envahit peu à peu la contrée entière, les montagnes de la Judée (voyez le commentaire du v. 39). On en faisait l’objet de mutuels entretiens. – Ils les conservèrent dans leur cœur : Locution hébraïque, qui signifie « peser attentivement, prendre pour objet de la considération la plus attentive ». L’évangéliste nous fait entendre l’écho de ces profondes réflexions : Que pensez‑vous que sera cet enfant ? Évidemment, un enfant venu au monde en de pareilles conditions devait être prédestiné par Dieu à de grandes choses. Les mots suivants, car la main du Seigneur…, ne sont pas, comme on l’a quelquefois affirmé (Ewald, Kuinoel, Paulus, etc.), la continuation des réflexions populaires ; c’est un jugement personnel de S. Luc, destiné à appuyer, à justifier ces réflexions. On avait raison de parler ainsi, puisque la main du Seigneur (belle métaphore pour dire : la protection toute‑puissante de Dieu) était visiblement avec l’enfant.

Le Benedictus (vv. 67-79)

Luc 1.67 Et Zacharie, son père, fut rempli de l’Esprit-Saint et il prophétisa, en disant :  – Ces mots nous ramènent au v. 64 auquel ils servent de développement. Nous allons apprendre en effet la manière dont Zacharie, après avoir recouvré l’usage de la parole, se mit à louer et à remercier le Seigneur. Mais, ajoute l’évangéliste pour caractériser d’avance le « Benedictus », ses remerciements, ses louanges furent bien plus l’œuvre de Dieu que la sienne propre : ils lui furent inspirés d’en haut, il fut rempli du Saint‑Esprit. De tous les membres de cette saint famille il est dit qu’ils furent tour à tour remplis de l’Esprit‑Saint. cf. Les vv. 15 et 41. – Il prophétisa. Ce verbe désigne ici tout à la fois un oracle prophétique et un chant lyrique, enflammé, jaillissant du cœur comme les sources jaillissent des montagnes. Et tel est bien le cantique de Zacharie. C’est d’une part une prédiction surnaturelle, relative au rôle du Christ et de son Précurseur, et dans laquelle, a‑t‑on dit justement, « le père s’efface derrière le prophète », derrière le prêtre. C’est d’autre part un bel hymne religieux, une poésie sacrée en tous points conforme, comme le « Magnificat », aux lois de la versification hébraïque. Son style est aussi complètement hébreu, même sous le manteau grec dont S. Luc l’a revêtu ; à tel point que le plus modeste hébraïsant pourrait sans peine le reconstituer à peu près tel qu’il dût être prononcé. La construction est donc naturellement peu élégante dans nos traductions grecque et latine ; elle paraît même au premier regard assez enchevêtrée, les propositions étant rattachées l’une à l’autre par des infinitifs et des cas d’apposition, de manière à former seulement deux longues phrases continues. Mais, avec un peu d’attention, la clarté ne tarde pas à se faire ; il n’y a qu’à bien suivre chaque anneau de la chaîne. Le « Benedictus » a deux parties nettement indiquées. Dans la première, vv. 68-75, Zacharie remercie Dieu de l’avènement du Christ ; dans la seconde, vv. 76-79, il expose le rôle de son fils à l’égard de ce divin Rédempteur. Chaque partie peut se subdiviser en deux strophes : vv. 68-70, 71-75 ; 76-77, 78-79.

Luc 1.68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’il a visité et racheté son peuple. – Première strophe de la première partie : Béni soit le Seigneur qui daigne enfin nous envoyer le Libérateur promis depuis longtemps. vv. 68-70. A l’Epepheta divin Zacharie répond par un joyeux Alléluia. Et cet alléluia, qu’il emprunte aux doxologies par lesquelles se terminent plusieurs livres du Psautier (cf. Psaume 40 ; héb. 41, 14 ; 71, héb. 72, 18 ; 105, héb. 106, 48), il l’adresse à Dieu, le Dieu d’Israël. Rien de plus naturel qu’une telle dédicace, puisque c’est Dieu qui envoie le Messie, puisque Israël doit jouir en premier lieu de la délivrance opérée par le Christ, enfin puisque c’est un prêtre juif qui chante ce cantique. Du reste, dans le « Benedictus », le salut messianique est envisagé exclusivement au point de vue de la nation privilégiée : il n’y est qu’indirectement question de la rédemption des païens. – Motif pour lequel le Seigneur est béni : Il a visité son peuple : par cette expression les écrivains de l’Ancien Testament désignent souvent un gracieux et puissant secours venu du ciel. Il a délivré son peuple : littéralement d’après le grec, il a fait une rançon pour son peuple. cf. Matth. 20, 28, où Jésus dira lui‑même qu’il est venu pour donner sa vie en rançon pour plusieurs. Les prétérits « a visité », « a racheté », « a suscité » sont à remarquer. Il semble en effet que le futur ou le présent conviendrait mieux, puisque la naissance du Précurseur est bien loin d’avoir accompli le salut d’Israël. Mais, dans cette naissance, Zacharie voit d’une manière anticipée la réalisation de l’œuvre entière du Messie. Ce sont donc là des « prétérits prophétiques », comme les nomment les grammairiens. cf. le v. 54.

Luc 1.69 Et qu’il a suscité une Force pour nous sauver, Dans la maison de David, son serviteur, – Le poète inspiré expose comment a eu lieu la rédemption de la nation choisie : Dieu lui a envoyé un protecteur invincible dans la personne du Messie. Littéralement : Dieu nous a suscité une corne de délivrance. La force de plusieurs espèces d’animaux réside en effet dans leurs cornes : munis de ces armes offensives et défensives, ils ne craignent aucun ennemi et affrontent tous les dangers. Cette métaphore revient assez fréquemment dans les saints Livres. cf. 1 Samuel 2, 10 ; Psaume 17, 3 ; 88, 18 ; 148, 16 ; Ecclésiastique 47, 8, etc. – Dans la maison de David son serviteur. Comme au v. 54, cf. Actes 4, 25. Dans un psaume messianique, 131, 17, le Seigneur promet de susciter « une corne » à David. Zacharie annonce que Dieu a tenu sa promesse : il nous montre la corne de salut érigée dans la maison, en d’autres termes, parmi les descendants du saint roi. De part et d’autre la corne symbolise le Christ.

Luc 1.70 Ainsi qu’il l’a promis par la bouche de ses saints, de ses prophètes, dès les temps anciens. – Mais ce n’est pas seulement à David que le Seigneur avait promis la rédemption de la nation juive par le Messie ; tous les prophètes avaient successivement prédit cette merveille de la miséricorde divine, comme le rappelle le père de S. Jean. En réalité, l’Ancien Testament, et surtout sa partie prophétique, se résume dans l’idée du Messie.

Luc 1.71 Pour nous sauver de nos ennemis et du pouvoir de tous ceux qui nous haïssent.– Les vv. 71-75 qui forment la seconde strophe de la première partie du Bénédictus, décrivent l’œuvre du Messie d’après ses traits principaux. Le salut chanté par Zacharie vient donc du Christ, et c’est à la nation juive qu’il est accordé. Mais quels sont les ennemis dont le Sauveur par excellence délivrera les Juifs ? Notons bien que l’auteur du cantique est un prêtre et non un simple patriote. Il ne serait donc pas naturel de supposer qu’il avait spécialement en vue les ennemis extérieurs et politiques de son peuple, les Romains par exemple ; sa pensée se portait d’une manière directe sur les ennemis spirituels des Juifs, les démons, le péché sous toutes ses formes. Voyez Théophylacte, Maldonat, etc. Ce n’est d’ailleurs qu’en ce sens que la prophétie de Zacharie s’est accomplie. Les mots ceux qui nous haïssent sont synonymes de nos ennemis. Cette répétition, due au parallélisme poétique, est très fréquente dans les écrits de l’Ancien Testament. cf. Psss. 17, 18, 41 ; 20, 9 ; 43, 11 ; 54, 13 ; 67, 2 ; 88, 24 ; 105, 10, etc.

Luc 1.72 Afin d’exercer sa miséricorde envers nos pères. Et de se souvenir de son pacte saint, Pour exercer sa miséricorde envers nos pères : Hébraïsme que nous avons déjà rencontré au v. 58. En envoyant son Christ sur la terre, Dieu manifestera sa bonté infinie à l’égard du peuple juif, et particulièrement à l’égard des saints patriarches qui avaient été les fondateurs de la nation théocratique, nos pères (cf. v. 55). Ceux‑ci en effet, du fond des limbes où ils vivaient, désiraient ardemment la venue du Messie, soit pour eux‑mêmes, afin de pouvoir jouir complètement de Dieu dans le ciel, soit pour leurs descendants, dont les intérêts n’avaient pas cessé de leur être chers. Le Seigneur exercera donc envers eux une miséricorde réelle et personnelle. Luc de Bruges nous paraît exprimer l’idée de Zacharie d’une manière incomplète, lorsqu’il dit : « Je ne crois pas qu’il s’agisse ici du salut propre des pères. Mais, en regardant les pères, il a voulu montrer sa bienveillance sur leurs descendants. » – Et se souvenir de son alliance sainte. Le testament dont Dieu veut bien se souvenir pour en exécuter les clauses n’est autre que l’alliance solennellement contractée par lui avec Abraham, Isaac et Jacob, ainsi qu’il est dit au verset suivant.

Luc 1.73 selon le serment qu’il fit à Abraham, notre père, De nous accorder que, – Zacharie fait ici allusion à la circonstance racontée dans la Genèse, 22, 16-18. cf. Hébreux 6, 13 et 14.

Luc 1.74 sans crainte, Affranchis du pouvoir de nos ennemis, nous le servions, 75 avec une sainteté et une justice dignes de ses regards, tous les jours de notre vie. – Ces deux versets expriment le but principal de la Rédemption, qui était la gloire de Dieu procurée par des hommes menant une vie sainte et parfaite. – Sans crainte, mis en avant d’une manière emphatique, est ensuite développé par les mots délivrés de la main… (voyez le v. 71 et l’explication). – Servions désigne le culte divin dans son ensemble, ainsi qu’il ressort de l’expression plus énergique du texte grec. Quand on est sous l’impression de la crainte, en butte aux attaques incessantes de dangereux ennemis, généralement on ne sert pas aussi bien le Seigneur qu’au milieu du calme et de la paix. Mais le Messie apportera précisément cette paix et ce calme, de sorte qu’on pourra se livrer en toute liberté aux choses de Dieu. – La première partie du v. 75 désigne la manière dont les Juifs délivrés par le Christ pourront servir Dieu. La seconde partie indique la durée de ce service. Les mots sainteté et justice sont à peu près synonymes, bien qu’ils représentent des nuances différentes. Ces nuances sont assez difficiles à déterminer. D’après les uns, il faudrait voir dans la sainteté une qualité purement négative, l’absence de souillure, et dans la justice une qualité positive, le culte proprement dit. Selon d’autres, le premier substantif correspondrait à une disposition intérieure, le second à la conduite extérieure. Ou bien encore, la sainteté se rapporterait aux relations des hommes avec Dieu, la justice aux relations des hommes entre eux.

Luc 1.76 Quant à toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant la face du Seigneur, pour lui préparer les voies, – Avec cette belle apostrophe commence la seconde partie du cantique. – Première strophe, vv. 76 et 77 : rôle de S. Jean. – Et toi, petit enfant. Zacharie a attendu jusqu’à ce moment pour parler de son fils ; c’est que, dans les événements qu’il décrit, Jean ne doit paraître qu’au second plan, n’avoir qu’un rôle secondaire. – Tu seras appelé le prophète du Très‑Haut. De Jésus il avait été dit « il sera appelé Fils du Très‑Haut », v. 32 ; à Jean on n’assigne que la fonction de prophète. Noble fonction pourtant, dont le fidèle accomplissement lui valut un magnifique éloge de Jésus, Matth. 11, 9, et la confiance de toute la nation juive. – Tu marcheras devant la face du Seigneur. Zacharie indique par ces paroles la manière spéciale dont son fils sera le prophète du Très‑Haut. Il sera prophète en tant qu’il sera le précurseur du Messie, en tant qu’il annoncera la prochaine manifestation du divin Rédempteur et que, à la façon de l’Orient, il marchera devant lui comme un héraut, lui préparant en tous lieux une voie royale. Comp Isaïe 40, 3 ; Matth. 3, 3 et le commentaire. Du titre « Seigneur » attribué ici au Christ, on a légitimement conclu à la divinité de Jésus.

Luc 1.77 pour apprendre à son peuple à reconnaître le salut dans la rémission de leurs péchés : – En préparant les voies du Messie selon ce qui vient d’être dit, Jean procurera aux Juifs, peuple privilégié du Seigneur, « la science du salut » ; il leur apprendra comment ils pourront être sauvés. – Pour la rémission de leurs péchés. Ici encore, l’on voit combien sont pures les idées messianiques de Zacharie. La rédemption qu’il annonce ne sera pas politique et sociale ; avant tout elle sera spirituelle et religieuse : elle aura pour fin la justification des pécheurs. Sur la réalisation de cette prédiction par S. Jean‑Baptiste, cf. 3, 3 ; Matth. 3, 6 ; Marc. 1 , 4, 5. La strophe comprise dans les vv. 76 et 77 répond donc à cette question : Pourquoi le Messie devait‑il avoir un Précurseur ? La nation théocratique avait été égarée ; mille préjugés régnaient parmi elle touchant la personne et l’œuvre du Christ ; le péché l’enlaçait de toutes parts. Il fallait donc qu’elle fût instruite et purifiée, afin de se trouver prête quand viendrait son Libérateur.

Luc 1.78 par l’effet de la tendre miséricorde de notre Dieu, grâce à laquelle nous a visités, d’en haut, le Soleil levant, 79 pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix. » – Seconde strophe de la seconde partie : Effets produits par la venue du Messie. – Ici plus que jamais il est manifeste que le Christ est l’objet principal, le commencement et la fin du cantique de Zacharie. S. Jean n’apparaît que d’une manière accessoire : on dit deux mots de lui, puis on revient immédiatement au Messie. Ces dernières paroles de Zacharie sont les plus belles et les plus fortes de son chant inspiré. – Par la tendre miséricorde… se rattache à « la rémission de leurs péchés », et signale la cause efficiente de la rémission des péchés, la source d’où découlera la grâce qui sanctifiera tant de coupables. Le sens spécial du mot « entrailles » (car sa tendre miséricorde est aussi traduit par « ses entrailles de miséricorde ») dans ce passage se retrouve chez tous les peuples cf. Colossiens 3, 12 Ainsi donc, comme élus de Dieu, saints et bien-aimés, revêtez-vous d’entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience. – Le soleil levant nous a visités d’en haut. Quel beau nom donné au Messie. Plus tard Jésus lui‑même s’appellera la lumière, Jean 8, 12 ; 9, 5 ; le quatrième Évangile (1, 9) dira de lui : « Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme ». Ici on nous montre le Sauveur à son début sous la noble et gracieuse figure d’un soleil levant, qui promet une radieuse journée. Cette métaphore remonte d’ailleurs à l’Ancien Testament, où le Messie est plusieurs fois comparé à une brillante lumière : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière ; Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort une lumière resplendit » (Isaïe 9, 2). L’astre du jour semble sortir de régions souterraines, mais le soleil de justice viendra d’en haut, du sein de Dieu. – Ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort représente d’une manière figurée les Juifs, dont l’état moral était alors si misérable. « L’ombre de la mort » est un synonyme énergique des ténèbres : les régions où règne la mort sont censées couvertes des ombres les plus noires. – Pour diriger nos pas… Continuation de l’image. Grâce au soleil du Messie, les pauvres voyageurs qui cherchaient jusque‑là péniblement leur route la trouveront sans peine, et c’est une route qui les conduira à la paix, au bonheur. Zacharie termine son hymne sacerdotal par cette douce perspective du salut dans le Messie. Comme Marie, il a chanté un abrégé de l’Évangile ; comme Marie, il a résumé les idées les plus saillantes de l’Ancien Testament relatives au Christ. Pas un mot de son cantique n’est tombé à terre ; tout s’est passé ainsi qu’il le prédisait, et le prêtre chrétien peut dire chaque jour avec plus de vérité que le prêtre juif père du Précurseur : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël qui visite et rachète son peuple ». – On a un beau « Benedictus » de Haydn.

Luc 1.80 Or l’enfant croissait et se fortifiait en esprit et il demeura dans le désert jusqu’au jour de sa manifestation devant Israël. – Ce verset résume les trente premières années du Précurseur. Malgré leur grande concision, les renseignements qu’il renferme suffisent pour nous montrer la manière dont Jean‑Baptiste fut préparé à ses hautes fonctions. – L’enfant croissait. Ce verbe indique la croissance physique de l’enfant. Quoique issu de parents affaiblis par l’âge, Jean, grâce à une bénédiction spéciale du Seigneur, devenait tous les jours plus robuste et se développait dans d’excellentes conditions. Sa croissance morale, marquée par les mots « et se fortifiait en esprit », n’était pas moins rapide, car Dieu se plaisait à l’honorer de toute sorte de dons. Et il demeura dans le désert. La solitude a‑t‑on dit, est la patrie des grands hommes. Ce fut la patrie de l’austère Jean‑Baptiste. Son exemple, Élie, avait vécu assez longtemps dans le désert ; pour lui, il y passa la plus grande partie de sa vie, n’ayant sans doute que de rares communications avec les hommes, et plongé tout entier en Dieu et dans les choses divines. On ignore l’âge exact auquel il quitta sa famille pour se retirer dans le désert ; mais ce dut être d’assez bonne heure. Le désert semble supposer que Jean n’avait pas de résidence fixe, mais qu’il passait d’une solitude à l’autre. Le désert de Juda, où S. Matthieu nous le montre au début de son ministère, était précisément entouré de plusieurs autres districts presque inhabités où il put se fixer tour à tour. Voyez notre commentaire S. Matth. p. 66. – Jusqu’au jour de sa manifestation. La manifestation de S. Jean‑Baptiste eut lieu quand il commença à se manifester d’une manière officielle comme le héraut et l’avant‑coureur du Messie, 3, 1-3. – Les Esséniens ayant, d’après le témoignage de Pline, Hist. Nat. 5, 17, plusieurs établissements dans le désert de Juda, il a été de mode dans un temps de prétendre que Jean‑Baptiste était entré en relations avec eux et avait adopté en partie leurs doctrines. Mais l’Essénisme du Précurseur est aujourd’hui abandonné par tous les critiques sérieux, aussi bien que l’Essénisme de Jésus (voyez S. Matth.). Jean fut formé directement par l’Esprit‑Saint ; il n’avait donc pas besoin de leçons humaines, surtout de leçons provenant d’une source qui était hérétique et schismatique au point de vue de la religion juive. – Parmi les nombreuses peintures composées en vue de reproduire quelque scène de la vie de S. Jean au désert, on signale au premier rang celles de Murillo et du Guerchin.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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