Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

Share

CHAPITRE 10

Les soixante‑douze disciples. Luc 10, 1-24.

Luc 10.1 Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze autres et les envoya devant lui, deux à deux, dans toutes les villes et tous les lieux où lui-même devait aller. – Le titre de Seigneur est plein d’emphase dans ce passage : c’est en effet comme Seigneur et Maître que Jésus procède à l’organisation d’un groupe spécial parmi ses nombreux disciples. A mesure qu’il approche du terme de sa vie terrestre, le Sauveur multiplie les institutions destinées à la propagation rapide de l’Évangile, à la prompte diffusion de son Église. Néanmoins le collège des soixante‑douze disciples ne devait pas être permanent comme celui des Douze : son existence ne fut que temporaire et transitoire. Il n’est plus question des Soixante‑douze dans la Bible après leur retour. Mais ils formèrent un noyau de missionnaires zélés, qui durent être plus tard d’utiles auxiliaires pour les Apôtres. – Soixante douze autres. « Autres », selon Schleiermacher et Meyer, par opposition aux messagers mentionnés naguère, 9, 52 ; plus probablement, de l’avis commun, par opposition aux apôtres (9, 2 et ss.). Ce nombre, qui équivaut à six fois celui des apôtres, est probablement symbolique. On l’a rapproché, suivant qu’on le lisait dans la Vulgate ou dans le Text. Receptus, tantôt des 72 membres qui composaient le Sanhédrin juif, tantôt des 70 vieillards que Dieu avait adjoints à Moïse comme assesseurs (Nombres 11, 16 et ss.), tantôt des 70 ou 72 peuples issus de Noé (Genèse 10). Les partisans de cette dernière opinion voient dans l’institution des 72 disciples un symbole de l’universalité de l’Évangile. Mais en tout cela il n’y a rien de bien certain. – Il les envoya deux à deux : de la même manière et pour le même motif qu’autrefois les apôtres, Marc. 6, 7 : « Des frères sont plus intraitables qu’une ville forte », Proverbes 18, 19. – Devant lui est un hébraïsme dont la signification se trouve expliquée par les mots dans toutes les villes et tous les lieux… Le Dr Sepp donne, dans sa Vie de Jésus, la liste des Soixante‑Douze : mais c’est une liste toute subjective et légendaire, car Eusèbe, Hist. Eccl. 1, 12, était déjà dans l’impossibilité de la reconstituer.

Luc 10.2 Il leur dit : « La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. – Avant de jeter ce filet d’amour sur les provinces méridionales de la Palestine, avant de faire un vif et dernier appel aux intelligences et aux consciences par ces nombreux prédicateurs qu’il répandait à travers toute la contrée, et dont il venait ensuite en personne confirmer l’enseignement, Jésus adressa naturellement à ses envoyés quelques instructions relatives à leur ministère, vv. 2-12. Il était dans l’ordre même des choses qu’elles eussent une grande analogie avec les recommandations faites aux Douze avant leur première mission (voyez Matth. 9, 37-10, 16 et parall., car c’est avec la rédaction de S. Matthieu, la plus complète des trois, qu’il faut surtout établir la comparaison). Elles débutent également par une réflexion qui a trait au manque d’ouvriers évangéliques, v. 2. Puis, après une rapide allusion (v. 3) aux dangers qui menacent les missionnaires du Christ, elles interdisent à ceux‑ci tout ce qui pourrait ressembler à un sentiment de défiance envers la Providence de Dieu, v. 4. Elles indiquent ensuite aux disciples ce qu’ils auront à faire soit au début (vv. 5 et 6), soit durant le cours (vv. 7-9), soit à la fin (vv. 10 et 11) de leur ministère dans chaque localité. Elles se terminent par l’annonce du châtiment terrible que Dieu réserve aux cités incrédules, vv. 12-16. – La moisson est grande… cf. Matth. 9, 37 38 et le commentaire. Jésus avait dit, dès le commencement de sa vie publique : « Voici, je vous le dis, levez les yeux, et regardez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson » (Jean 4, 35). Et, depuis cette époque déjà lointaine, la moisson évangélique avait couvert des milliers de champs nouveaux. – Mais les ouvriers sont peu nombreux. Voici pourtant que Notre‑Seigneur a douze apôtres et soixante douze disciples pour l’aider à rentrer sa récolte. Mais, qu’étaient ces quatre‑vingt‑quatre moissonneurs, suivant la juste réflexion d’Euthymius ? Aujourd’hui l’on peut dire encore à un autre point de vue que « les ouvriers sont peu nombreux ». Sans doute, « Voici que le monde est rempli de prêtres, mais pour la moisson du Seigneur on trouve difficilement un moissonneur. Nous acceptons le travail sacerdotal, mais nous en remplissons rarement la charge. », S. Grég., Hom. 17 in Evang. – Priez donc le maître de la moisson... Le corrélatif grec de « envoyer » est très énergique, et exprime fort bien qu’il y a urgence dans l’envoi.

Luc 10.3 Partez : voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. – L’image change subitement : les moissonneurs spirituels du royaume messianique nous apparaissent comme de timides agneaux entourés de loups dévorants. Jésus ne pouvait insinuer avec plus de clarté ni avec plus de force que ses missionnaires devaient être prêts à mourir pour lui, voyez Matth. 10, 16 et le commentaire. Il avait alors des ennemis très nombreux et très acharnés à sa perte, et il prévoyait que la haine portée au Maître rejaillirait bientôt sur les disciples. – Comme des agneaux. Parlant aux Douze, Matth., l. c., Notre‑Seigneur avait dit « comme des brebis ». L’expression grecque employée ici par S. Luc ne se trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament. – « Ce fut le signe manifeste d’un triomphe éclatant le fait que, entourés d’ennemis comme des agneaux par des loups, les disciples les aient quand même convertis », S. Jean Chrysost., Hom. 14 in Matth. Voyez une belle réflexion du même genre dans S. Augustin, Serm. 64, c. 1.

Luc 10.4 Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales et ne saluez personne en chemin. – Jésus interdit aux soixante‑douze, comme autrefois aux apôtres, 9, 3, tout préparatif humain : il veut que le prédicateur de l’Évangile soit pauvre, désintéressé, « De peur que, accaparée par les choses temporelles, l’âme ne se soucie moins des éternelles », S. Grég., l. c. – Ne saluez personne en chemin. Autre détail propre à ce passage. Il faut se souvenir, pour le bien comprendre, que les Orientaux ont toujours été de grands formalistes. En Orient, saluer quelqu’un ne consiste pas simplement, comme chez nous, à faire un geste rapide, ou à échanger quelques brèves paroles : quand cette opération est faite selon toutes les règles, elle devient très complexe et peut facilement consumer deux ou trois heures. De même qu’Élisée à Giézi, 2 Rois 4, 29, Notre‑Seigneur interdit aux messagers de l’Évangile ces détails inutiles et encombrants. Hâtez‑vous, leur dit‑il, allez droit au but. Votre temps est trop précieux pour que vous le perdiez à débiter ou à entendre de vaines formules. S. Ambroise a très bien exposé le sens de cette injonction : « Ce n’est pas l’empressement à faire des gestes de civilité qui est blâmé, mais est supprimé un obstacle qui freine la dévotion, pour que quand Dieu commande, les choses humaines se retirent. La salutation est une belle chose, mais plus belle encore est la mise en exécution immédiate des ordres divins. Ce sont des choses honnêtes qui sont prohibées, pour ne pas empêcher le ministère qu’on ne peut remettre à plus tard sans faute », Expos., h. l. cf. Euthymius.

Luc 10.5 Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : « Paix à cette maison. » 6 Et s’il s’y trouve un enfant de paix, votre paix reposera sur lui, sinon, elle reviendra à vous. – Ce que les disciples devront faire en entrant dans une localité pour y prêcher la bonne nouvelle. Voyez Matth. 10, 12, 13 et le commentaire. – Un enfant de paix est un hébraïsme propre à ce passage de S. Luc (S. Matth., l. c., a « digne ») ; mais les locutions analogues ne manquent pas dans les écrits du Nouveau Testament. cf. Matth. 9, 15 ; 23, 15 ; Luc. 16, 8 ; 20, 36 ; Jean 12, 36 ; 16 ; 12 ; Éphésiens 2, 2 ; 5, 6 ; 1 Thessaloniciens 5, 5 ; 2 Pierre 2, 14 etc. – Reposera sur lui : belle image (S. Matth. : « vienne sur »). – Reviendra à vous est une manière hébraïque de dire que l’effet souhaité ne sera pas produit. Voyez Sylveira et Luc de Bruges, h. l.

Luc 10 7 Demeurez dans la même maison, mangeant et buvant de ce qu’il y aura chez eux, car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas d’une maison dans une autre. 8 Dans quelque ville que vous entriez, si l’on vous reçoit, mangez ce qu’on vous présentera, 9 guérissez les malades qui s’y trouveront et dites-leur : Le royaume de Dieu est proche de vous. – Conduite que les envoyés de Jésus devront tenir tant qu’ils séjourneront dans une localité. Aux apôtres aussi le Seigneur avait recommandé de ne pas changer de résidence, à la manière d’hommes difficiles ou inconstants ; mais actuellement il ajoute un détail nouveau : mangeant et buvant … car l’ouvrier est digne… Cette seconde proposition (S. Paul, 1 Timothée 5, 18, la cite comme une parole scripturaire) contient le motif de la première. Asseyez‑vous sans scrupule à la table de vos hôtes, car, en leur donnant les biens éternels, vous méritez largement l’humble compensation qu’ils vous offrent sur cette terre. Voyez le beau développement écrit sur ce thème par l’Apôtre des Païens, 1 Corinthiens 9, 3 et ss. – Ne passez pas de maison en maison est un commentaire de demeurez dans la même maison, de même que la phrase mangez ce qui vous sera présenté développe et explique mangeant et buvant : Jésus ne saurait tolérer, dans ses ministres, des exigences indignes de l’Évangile : il veut qu’ils sachent se contenter du logis et de la nourriture qui leur sont offerts. On peut aussi, à la suite de Noël Alexandre, h. l., et de plusieurs exégètes (Sepp, Schegg, etc.), voir dans les paroles « mangez ce qu’on vous servira » une recommandation destinée à mettre les disciples à l’aise relativement aux lois pharisaïques qui interdisaient certains aliments. Voir 1 Corinthiens 10, 27, un conseil identique de S. Paul. – Guérissez les malades… Comme les apôtres, les soixante‑douze avaient par conséquent reçu le don de guérir les malades. – Dites‑leur : Le pronom, qui retombe en apparence sur « malades », désigne en réalité tous les habitants de la maison (figure de style fréquente dans les saints Livres). – Le royaume de Dieu est proche de vous : tel devait être le thème général de la prédication des nouveaux missionnaires. 

Luc 1010 Mais dans toute ville où vous entrerez, si l’on ne vous reçoit pas, allez sur les places publiques et dites : 11 La poussière même de votre ville, qui s’est attachée à nous, nous l’essuyons contre vous, sachez cependant ceci, c’est que le royaume de Dieu est proche. – Règles à suivre pour le cas, nullement chimérique, où toute une population ferait aux disciples un accueil défavorable. Voyez Matth. 10, 14 et le commentaire. – Dites. Cette union du langage à l’action n’existe pas dans le discours adressé aux apôtres. Les paroles dont les missionnaires insultés devront accompagner leur geste symbolique sont d’une grande énergie : Nous ne voulons pas même emporter d’auprès de vous un seul grain de poussière. – Sachez cependant… Les disciples, quoique rejetés, annonceront quand même la grande nouvelle. Il est vrai qu’elle revêtira dans cette circonstance un caractère terrible. Prenez garde. L’heure de votre châtiment est proche.

Luc 10.12 Je vous le dis, il y aura, en ce jour-là, moins de rigueur pour Sodome que pour cette ville. – Voyez Matth. 10, 15 et le commentaire. – Je vous le dis est solennel. – En ce jour là désigne le jour formidable du jugement messianique. – Il y aura moins de rigueur pour Sodome… Sodome, en effet, malgré ses vices épouvantables, n’aura pas abusé d’autant de grâces, n’ayant pas reçu d’aussi vives lumières que les cités au milieu desquelles a retenti la prédication de l’Évangile.

Luc 1013 Malheur à toi, Corozaïn. Malheur à toi, Bethsaïde. Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l’avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles auraient depuis longtemps fait pénitence, assises sous le cilice et la cendre. 14 C’est pourquoi, il y aura, au jugement, moins de rigueur pour Tyr et pour Sidon que pour vous. 15 Et toi, Capharnaüm, qui t’élèves au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers. – Jésus vient de parler en général des villes qui se refuseront à recevoir ses envoyés, vv. 10-12. Cette pensée lui rappelle de tristes souvenirs personnels. Trois localités importantes des bords du lac, honorées entre toutes par sa présence, par son enseignement, par ses miracles, n’étaient‑elles pas demeurées incrédules ? Au moment où il va quitter la Galilée pour n’y plus revenir, il lance contre elles un adieu terrible, qui consiste en un triple anathème, vv. 13-15. S. Matthieu, 11, 20-24 (voyez le commentaire), nous a déjà présenté ces malédictions de Jésus, et d’une manière un peu plus complète, mais avec un autre enchaînement. D’après sa chronologie elles se rattacheraient à Luc 7, 35 par conséquent elles appartiendraient à une époque beaucoup moins avancée. Elles nous paraissent mieux convenir à la date que leur assigne notre évangéliste, car elles étaient alors plus justifiées. Divers auteurs admettent néanmoins qu’elles purent bien être répétées deux fois. – Corozaïn, Bethsaïda : deux cités juives, opposées à deux villes païennes, Tyr et Sidon, et menacées de châtiments beaucoup plus grands que ces dernières, qui eussent fait pénitence de leurs crimes, et renoncé à leurs trafics sordides, à leur luxe coupable, si elles avaient été témoins des miracles de Jésus. – Assises sous le cilice et la cendre (détail propre à S. Luc) est une belle personnification : Tyr et Sidon nous apparaissent comme deux pénitentes humblement assises à terre, revêtues d’un cilice, la tête couverte de cendre. – Et toi, Capharnaüm… Des trois villes maudites, Capharnaüm était la plus ingrate, ayant été la plus privilégiée, puisqu’elle avait eu le bonheur de servir de résidence habituelle à Jésus. Aussi l’anathème qui la concerne a‑t‑il un caractère plus grave, plus emphatique. – Pour l’accomplissement intégral de cette prophétie, cf. commentaire S. Matth.  L’historien Josèphe, La Guerre des Juifs, 3, 10, 8, immédiatement après avoir décrit, dans un passage célèbre, les splendeurs du lac et de la plaine de Gennésareth, raconte les maux affreux que les légions romaines firent subir à toute la contrée. Quelques pages plus haut, 3, 7, 31, il confessait que « c’était Dieu, à n’en pas douter, qui avait amené les Romains pour punir les Galiléens et pour faire détruire les villes par leurs ennemis avides de sang ». Cela se passait trente ans à peine après la mort de Jésus.

Luc 10.16 Celui qui vous écoute, m’écoute et celui qui vous méprise, me méprise, or celui qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé. » – Conclusion de l’instruction pastorale adressée aux soixante‑douze disciples. L’idée qu’elle renferme est des plus consolantes pour eux, puisqu’elle identifie en quelque sorte les envoyés messianiques, passés, présents et à venir, au Christ lui‑même et à son Père. Du reste l’ambassadeur, dans tous les temps et dans tous les pays, est censé ne former qu’une seule personne morale avec celui qu’il représente. Voyez des pensées analogues dans Matth. 10, 40 et Jean 13, 20. – Méprise. Le verbe grec du texte primitif est encore plus fort, car il exprime l’idée d’un renversement, d’une destruction.

Luc 10.17 Les soixante-douze revinrent avec joie, disant : « Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en votre nom. » – En juxtaposant ainsi le départ et le retour des soixante‑douze disciples, S. Luc nous donne à penser 1° qu’il ne s’était passé dans l’intervalle aucun fait notable, 2° que leur absence ne fut pas de longue durée. Le ministère que Jésus leur avait confié pouvait au besoin s’accomplir en quelques jours. Il est possible aussi que l’évangéliste, omettant quelques événements intermédiaires, ait réuni les deux incidents d’après une connexion logique, pour achever d’un seul coup ce qu’il avait à dire des soixante‑douze et de leur œuvre. – Le récit paraît supposer que les disciples revinrent tous ensemble auprès de leur Maître. Rien n’empêche d’ailleurs que Jésus ne leur eût fixé un jour et un lieu précis de rendez‑vous. – Avec joie. La joie qui remplissait leurs cœurs se lisait sur leurs visages : elle va se manifester dans leurs paroles. – Les démons même nous sont soumis. Il y a une emphase visible dans ce « même ». On voit que les disciples ne s’attendaient pas au fait qu’ils exposent à Jésus avec une simplicité naïve, semblant mettre à l’arrière‑scène tous les autres actes de leur ministère. En réalité, si nous nous reportons à l’allocution du Sauveur, nous ne voyons pas qu’il leur eût conféré en termes exprès le pouvoir de chasser les démons (cf. v. 9). Et voici néanmoins que les possédés avaient été guéris quand on avait invoqué sur eux le nom du divin Maître. De là l’étonnement et la joie des disciples (le présent « sont soumis » indique une expérience récente).

Luc 10.18 Il leur répondit : « Je voyais Satan tombant du ciel comme la foudre. – Au retour des soixante‑douze disciples S. Luc rattache trois admirables paroles de Jésus. cf. v. 21 et 23. Les vv. 18-20 renferment la première. – Je voyais Satan… Assez généralement, les Pères (S. Cyprien, S. Ambroise, S. Jean Chrysostome, etc.), aiment à supposer que Jésus fait appel en ce passage à ses souvenirs et que, pour donner une leçon tacite d’humilité aux Soixante‑douze, trop humainement affectés de leur succès sur les démons, il leur propose le terrible châtiment de Lucifer, comme s’il leur eût dit : Défiez‑vous de l’orgueil, car c’est lui qui a précipité Satan de son trône glorieux. De mes propres yeux je l’ai vu autrefois tomber du ciel. Mais de grands exégètes catholiques, entre autres Maldonat, Corneille de Lapierre, Dom Augustin Calmet, s’accordent à penser, d’un côté que rien n’autorise à prendre en mauvaise part la joie et les paroles des disciples, de l’autre que l’intuition à laquelle Notre‑Seigneur fait allusion est loin de remonter si haut. Elle avait eu lieu, disent‑ils, pendant la mission même des Soixante‑douze. Ceux‑ci venaient de raconter joyeusement à leur Maître leurs glorieux triomphes sur les puissances infernales. Vous ne m’apprenez rien, répondit le Sauveur, car, vous suivant d’un regard prophétique, je voyais Satan dépossédé partout, sur votre parcours, de son pouvoir usurpé. Nous trouvons, comme Calmet, ce second sentiment « plus simple et plus littéral ». Dans tous les cas, quelle majesté dans cette courte description de Jésus. Pouvait‑il mieux dépeindre les effets merveilleux de son Incarnation, les victoires remportées par le royaume de Dieu sur le royaume de l’esprit mauvais ? « Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors » (Jean 12, 31). Et la parole de Jésus est toujours vraie. Le « je voyais » dure encore, puisque les bons prêtres continuent chaque jour l’œuvre des premiers disciples. – Tomber du ciel comme la foudre : magnifique métaphore, probablement empruntée à Isaïe, 14, 9-15. Ces mots expriment une chute rapide en même temps que la perte d’un grand pouvoir. cf. les figures analogues de Cicéron : « tomber des astres », ad Attic. Ep. 3, 21 ; « retrancher du ciel », Philippiens 2, 42.

Luc 10.19 Voilà que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions et toute la puissance de l’ennemi et elle ne pourra vous nuire en rien. – Selon le Textus receptus, Jésus confirmerait ici d’une manière formelle à ses disciples les pouvoirs dont ils avaient usé sans les avoir officiellement reçus ; selon les manuscrits Sin., B, C, L, X, etc., et la Vulgate, il leur explique les récents triomphes qui leur ont mis au cœur une joie si vive : Ne vous étonnez pas ; en réalité je vous avais armé d’une puissance irrésistible contre les démons. Les expressions employées par Notre‑Seigneur sont d’une vigueur remarquable. Elles représentent les envoyés évangéliques sous les traits de fiers conquérants qui foulent aux pieds, selon l’antique usage de l’orient (cf. Psaume 109, 1) et en signe d’une victoire totale, leurs ennemis vaincus. L’ennemi qu’elles désignent surtout, c’est Satan ; mais c’est aussi, d’une manière générale, toute l’armée de ce chef terrible, c’est‑à‑dire tous ses suppôts. Or, parmi les auxiliaires de Satan, Jésus mentionne en particulier (peut être par allusion au psaume 90, v. 13) les serpents et les scorpions, animaux redoutés, choisis à bon droit comme des spécimens frappants de tous les éléments naturels hostiles à notre espèce que les démons peuvent utiliser contre nous. La manière dont le Sauveur rattache à Satan tout ce qui, dans le monde présent, est capable de nous nuire, a quelque chose de très profond et de très instructif. Aussi la pensée du v. 19 nous semble‑t‑elle avoir été affaiblie par les exégètes qui ne voient dans les serpents et les scorpions que des emblèmes des esprits mauvais. – Rien ne pourra vous nuire. Les ambassadeurs du Christ demeureront inviolables parmi tant d’adversaires ; leur Maître le leur répétera quelque temps après sa résurrection, Marc. 16, 10.

Luc 10.20 Seulement ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. »Seulement sert de transition à une nouvelle idée, qui nous ramène au v. 17, et met fin à la première parole de Jésus. – Ne vous réjouissez pas… Sous cette tournure hébraïque, il est aisé de reconnaître la vraie pensée du Sauveur. « Il ne reproche pas, mais il enseigne et conduit à la perfection. Il ne leur interdit pas de se réjouir de ce que les démons leur soient soumis, mais il les avertit de se réjouir davantage de ce que leurs noms sont inscrits dans le ciel », Maldonat, Comment. in Luc. 10, 17. Jésus suggère donc aux disciples un motif de joie supérieure et beaucoup plus parfaite. Chasser les démons n’est, comme disent les théologiens, qu’une grâce donnée gratuitement, qui ne prouve pas absolument l’amitié de Dieu (cf. Matth. 7, 22-23 ; 1 Corinthiens 13, 2). On peut la posséder et se damner quand même. Elle ne saurait constituer le vrai bonheur. Mais savoir qu’on est prédestiné, qu’on jouira sans fin de la vue de Dieu, voilà une source de joies solides auxquelles on peut se livrer sans réserve. – La belle figure vos noms sont écrits dans les cieux revient fréquemment dans la Bible. cf. Exode 32, 32 et ss. ; Ézéchiel 13, 9 ; Daniel 12, 1 ; Malachie 3, 16 ; Philippiens 4, 3 ; Apocalypse 3, 5 ; 13, 8, etc. Elle provient de la coutume immémoriale et universelle d’inscrire les citoyens d’une ville ou d’un état sur des registres spéciaux. Dieu est censé avoir pareillement son grand livre qui contient la liste de tous les élus. « Ce livre est la connaissance de Dieu par laquelle il a prédestiné ceux qu’il a d’avance élus », S. Augustin, in Psalm. 68, 29. Ainsi donc, sans image, « Il ne voulait pas que les disciples se réjouissent de l’avoir emporté sur les démons, mais du salut remporté de haute lutte », Tertull. adv. Marc., l. 4. cf. Jérémie 17, 13, où les impies sont menacés d’avoir leurs noms écrits sur la terre, sur le sable mouvant d’où ils disparaîtront bientôt.

Luc 10.21 Au même moment, il tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit-Saint et il dit : « Je vous bénis, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et les avez révélées aux petits enfants. Oui, je vous bénis, ô Père, de ce qu’il vous a plu ainsi. 22 Toutes choses m’ont été données par mon Père et personne ne sait ce qu’est le Fils, si ce n’est le Père et ce qu’est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. » – Seconde parole rattachée par Jésus au retour des Soixante‑douze. Elle consiste en une louange qu’il adresse à son Père, v. 21, et en une révélation sur les liens étroits qui l’unissent au Père céleste, v. 22. Nous la retrouvons textuellement dans S. Matth. 11, 25-27. Pour l’enchaînement nous donnons ici encore la préférence à S. Luc qui fixe une date plus précise : en cette heure même, au lieu du vague en ce même temps de S. Matthieu. – Il tressaillit : précieux détail, propre à notre évangéliste. Le verbe grec désigne, comme son corrélatif latin, un sentiment de vive jouissance qui inonda toute l’âme de Jésus, et occasionna ce divin épanchement. « L’évangéliste a eu tout a fait raison de dire il tressaillit. L’exultation, le tressaillement de joie, signifie une sorte de saut hors de soi, quand, par exemple, à cause de la surabondance de la joie intérieure, les signes de la joie font éclater les portes », Stella. Cette allégresse de Jésus ne fut pas le résultat d’un mouvement purement humain : elle fut produite en son cœur par l’Esprit Saint lui‑même, ajoute S. Luc. – Je vous bénis… cf. commentaire S. Matth. Notre‑Seigneur Jésus‑Christ loue Dieu, son Père bien‑aimé, pour deux détails spéciaux de sa conduite providentielle. 1° Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents (sages et prudents selon la chair) ; 2° vous les avez révélées aux petits (moraux, c’est‑à‑dire aux humbles). Voyez 1 Cor 1, 23 et ss., le motif de ces étonnantes « faiblesses de Dieu », comme les appelle Tertullien dans son langage énergique (contr. Marc., l. 2, c. 27). Ainsi donc, « à l’orgueil de l’intelligence il est répondu par l’aveuglement ; à la simplicité du cœur qui veut la vérité, par la révélation » Gess (Lire Bossuet, Panégyrique de S. François d’Assise). – Oui, je vous bénis, Père. Jésus s’arrête un moment, afin de se réjouir à la pensée qu’il a plu au Seigneur d’agir ainsi plutôt que de toute autre manière. – Les lignes suivantes (v. 22), sont du plus grand prix pour le dogme catholique, car elles affirment aussi nettement que possible la nature divine de Jésus. Mais elles jettent les rationalistes dans un embarras facile à comprendre. Pour s’en défaire, ils ont recours à leurs moyens accoutumés, rien moins que scientifiques. C’est une « intercalation tardive » s’écrie M. Renan. M. Réville, Histoire du dogme de la divinité de Jésus‑Christ, p. 17, les attribue de même « à l’influence d’une théologie ultérieure ». Mais ce n’est pas par des assertions fantaisistes qu’on renversera les textes de l’Évangile. – Le Christ Jésus a reçu de Dieu son Père la toute‑puissance ; il n’est connu que par son Père d’une manière adéquate ; seul il connaît à fond la nature de son Père : telles sont les trois vérités que Notre‑Seigneur daigne nous dévoiler dans ce passage. Les mots et celui à qui le Fils aura voulu le révéler sont bien consolants pour nous. Prions‑le de nous faire dans le temps et dans l’éternité cette précieuse révélation.

Luc 10.23 Et se tournant vers ses disciples, il leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez. 24 Car, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu. » – Troisième parole de Jésus. S. Matthieu, qui la cite également, 13, 16-17 (voyez le commentaire), la rattache aux paraboles du royaume des cieux, lesquelles demeuraient cachées pour la foule, mais que le Sauveur expliquait à ses disciples. – Se tournant vers ses disciples : détail pittoresque. Tandis qu’il parlait à son divin Père, Jésus avait sans doute tenu ses yeux élevés vers le ciel. Maintenant il se retourne vers les siens, pour les féliciter de ce qu’ils comptaient parmi les privilégiés à qui Dieu avait fait de bienheureuses révélations (v. 21). – Ce que vous voyez… Le prénom vous, répété à deux reprises devant voyez, est plein d’emphase. Vous, mes disciples si favorisés. Quelles merveilles leurs yeux ne purent‑ils pas contempler en Jésus. « Nous avons vu sa gloire », s’écriera S. Jean avec un enthousiasme bien légitime. – Beaucoup de prophètes et de rois. Dans le passage parallèle de S. Matthieu, on lit : « Beaucoup de prophètes et de justes ». Parmi les rois juifs qui avaient ardemment souhaité voir la personne sacrée du Messie, nous pouvons nommer David, Salomon à ses beaux jours, Ézéchias. Maïmonide (in Sanhedr. 11, 1) disait aussi que « les prophètes et les hommes saints avaient vivement souhaité de voir les jours du Messie ».

Luc 10, 25-27. Ce n’est pas sans surprise qu’on voit des critiques intelligents, tels qu’Ewald, de Wette, Baumgarten‑Crusius, Sepp, etc., identifier l’épisode du bon Samaritain avec le fait raconté plus tard par S. Matthieu, 22, 34-40, et par S. Marc, 12, 28-34. Le début seul présente quelques analogies ; mais soit pour la date, soit pour la suite du récit, les dissemblances sont aussi frappantes que possible. – Dans ce passage, le style de S. Luc est d’une pureté qu’on a souvent admirée. D’assez nombreuses expressions y sont employées qui n’apparaissent pas ailleurs dans le Nouveau Testament.

Luc 10.25 Et voici qu’un docteur de la Loi, s’étant levé, lui dit pour l’éprouver : « Maître, que ferai-je pour posséder la vie éternelle ? »Et voici… Formule pittoresque. L’évangéliste ne précise ni le lieu ni l’époque de l’incident, il se contente de l’aligner à la suite du retour des Soixante‑douze, qu’il suivit probablement de près. – Un docteur de la loi. « Docteur de la loi » et « scribe » sont équivalents, nous avons vu déjà que S. Luc use plus volontiers du premier de ces deux titres. – S’étant levé : autre détail pittoresque, duquel on a conclu, et ce semble à bon droit, que la scène se passa dans une maison. Jésus parlait sans doute, et ceux qui l’écoutaient étaient assis autour de lui. Tout à coup le scribe se lève pour proposer une question ; mais son mobile n’était pas pur, ainsi qu’il résulte de la remarque pour l’éprouver. Il avait donc une arrière‑pensée insidieuse, espérant, par exemple, que Jésus rehausserait un divin précepte aux dépens des autres, ou qu’il dirait quelque chose de contraire aux traditions reçues, ce qui fournirait aussitôt la matière  d’une accusation. – Que dois‑je faire pour posséder la vie éternelle ? Le jeune homme riche adressera bientôt, 18, 18 et parall., une demande identique à Notre‑Seigneur, mais dans un but pratique et sérieux. Posséder : mieux, hériter, la vie éternelle étant comparée à un magnifique héritage que le Seigneur donnera aux élus. cf. Matth. 5, 5 et le commentaire.

Luc 10.26 Jésus lui dit : « Qu’y a-t-il d’écrit dans la Loi ? Qu’y lis-tu ? » – Jésus, ainsi interrogé, aimait à poser au questionneur une contre‑question « Car il n’était pas digne de la moindre réponse celui qui n’interrogeait pas en toute sincérité », Maldonat. C’est d’ailleurs une méthode très naturelle, que les professeurs emploient souvent pour répondre aux objections de leurs disciples. – Qu’y a‑t‑il d’écrit dans la loi ? « Dans la loi » est mis en avant par emphase. Docteur de la loi, que vous dit la loi sur ce point ? Chargé par vos fonctions d’enseigner la Thora, vous devez savoir mieux que personne ce qu’elle enseigne. Qu’y lis‑tu ? répète le Sauveur, usant d’une locution souvent employée par les Rabbins quand, dans une discussion, ils demandent à leurs adversaires une citation de l’Écriture.

Luc 10.27 Il répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur, de toute ton âme, de toute tes forces et de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même. » – La réponse du légiste est exacte, car nous verrons dans un instant qu’il n’avait pas compris le sens complet des paroles qu’il cite. C’est la réponse donnée par Jésus lui‑même à un autre Docteur en des circonstances analogues, Marc. 12, 29-31. Elle se compose de deux textes bibliques réunis, Deutéronome 6, 5 et Lévitique 19, 18. Voyez‑en l’explication détaillée dans S. Matth. et S. Marc.

Luc 10.28 Jésus lui dit : « Tu as bien répondu, fais cela et tu vivras. »Tu as bien répondu, lui réplique Jésus ; en effet, il avait donné un excellent sommaire de la loi juive, unissant comme deux parties inséparables le précepte de l’amour du prochain et le précepte de l’amour de Dieu. Toutefois, bien répondre ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle ; voilà pourquoi le Sauveur ajoute : fais cela, et tu vivras. Pratiquez les commandements que vous avez mentionnés avec tant d’à‑propos, et vous vivrez de cette vie éternelle au sujet de laquelle vous m’interrogiez. cf. Romains 12, 10 ; 13, 8 ; Galates 5, 13. – Excellente réflexion morale de Bède le Vénérable : « En répondant au docteur de la loi, le Sauveur nous montre le chemin parfait de la vie céleste ».

Luc 10.29 Mais cet homme, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » – Le légiste, mis dans l’embarras par la direction inattendue que Jésus venait de donner à l’entretien, avait réellement à s’excuser, à se justifier devant toute l’assistance d’avoir voulu entamer une controverse sur une prétendue difficulté qu’il avait ensuite lui‑même si promptement et si aisément résolue. Essayant donc de montrer que sa première question n’était pas aussi vaine qu’elle pouvait le paraître, les termes de la Loi manquant parfois de clarté et ayant besoin d’un commentaire, il ajoute : Et qui est mon prochain ? Relativement à Dieu mes obligations sont claires : je le reconnais ; mais il n’en est pas de même concernant le prochain. Tout d’abord, quel est‑il, ce prochain que je dois aimer comme moi‑même ? Voilà bien le Juif d’alors, aux sentiments étroits et particularistes, ne voulant pas admettre, les Talmuds en font foi, que tous les hommes sont ses frères en Dieu, établissant au contraire de vastes catégories d’exceptions. Par exemple, Ioma, 1, 7, il est permis à un Juif d’enlever, en un jour de sabbat, les décombres qui sont tombées sur un autre Juif ; la même opération est expressément interdite s’il s’agit d’un païen. Un passage du livre Aruch va jusqu’à dire que les païens ne sont pas compris dans le mot « prochain ». Mais ne nous irritons pas trop contre cette question étrange, puisqu’elle nous a valu « l’une des plus belles pierre précieuse de l’Évangile » (Curci). cf. Wiseman, Mélanges religieux, etc., 1, les Paraboles du N. T., p. 52 et ss.

Luc 10.30 Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba entre les mains des brigands, qui le dépouillèrent et l’ayant chargé de coups, se retirèrent, le laissant à demi-mort.Jésus reprit : expression solennelle pour introduire la parabole. Notre‑Seigneur, cette fois encore, ne fera pas au scribe une réponse directe ; mais il saura lui démontrer, par un exemple dramatique, plus clair et plus saisissant que les plus belles théories, quelle est l’extension du précepte de l’amour du prochain. – Un homme. La nationalité de cet homme est laissée à dessein dans le vague.« Jésus a bien fait d’utiliser un terme générique, car son discours s’appliquait à toute l’humanité », Chaîne des Pères Grecs La morale de l’histoire n’en sera que plus évidente. Néanmoins, il ressort du contexte (il descendait de Jérusalem à Jéricho) et les exégètes admettent généralement qu’il était juif. Seul, et sans raison aucune, Olshausen en fait un païen. – Il descendait de Jérusalem à Jéricho. Le verbe descendait est ici d’une parfait exactitude, car l’on sait que la ville de Jéricho, bien qu’elle ne soit séparée de Jérusalem que par une distance de 7 heures de marche, est située à moins 274 mètres par rapport au niveau de la mer alors que la capitale juive est à une altitude de 754 mètres : le dénivelé est donc de 1028 mètres. La route qui unit les deux cités a toujours joui d’une réputation tristement célèbre. Elle traverse un affreux désert, où les collines calcaires dénudées, d’une blancheur éblouissante quand le soleil les éclaire, alternent avec des vallées sans eaux, et également dénudées. Voyez Lamartine, Voyage en Orient. Mais elle est encore plus dangereuse que pénible. S. Jérôme, De locis hebraicis (s.v. Adummim), assure qu’elle portait le nom d’Adummim (cf. Josué 15, 7 ; 18, 17) par allusion au sang humain répandu par les bandits. Ailleurs (In Jerem. 3, 2) il ajoute : « Les Arabes, gens adonnés à la piraterie, envahissent aujourd’hui encore la Palestine, et bloquent les routes de Jérusalem à Jéricho ». Et elle demeura longtemps autant infestée de brigands qu’à l’époque de Jésus et de S. Jérôme. On courrait le risque, à quelque détour de chemin, ou derrière une anfractuosité de rocher, ou dans un étroit défilé, d’avoir le sort du malheureux Juif dont parle la parabole. – La conduite cruelle de ces bandits est décrite en termes pittoresques. 1° Ils le dépouillèrent de tout, même de ses vêtements, ainsi que faisaient encore les Bédouins de cette région. 2° Comme il résistait, ils le frappèrent sans pitié. 3° Enfin ils le laissent étendu sans connaissance, exposé à une mort certaine s’il ne lui arrivait un prompt secours.

Luc 10.31 Or, il arriva qu’un prêtre descendait par le même chemin, il vit cet homme et passa outre. – A côté du blessé le divin narrateur amène coup sur coup trois hommes, un prêtre juif, un lévite et un Samaritain, dont il dépeint la conduite de la manière la plus graphique. – Or il arriva… : hasard tout providentiel assurément. – Un prêtre descendait… Ce prêtre va donc, lui aussi, de Jérusalem à Jéricho. Tout porte à croire qu’il avait son domicile dans cette dernière cité, car, bien qu’elle ne fût pas une ville sacerdotale, nous savons que des milliers de prêtres et de lévites y résidaient alors. Il y retournait tranquillement, après avoir passé au temple sa semaine d’office. Voyez Luc. 1, 8, 23 et le commentaire. – L’ayant vu il passa outre. Le verbe grec choisi pour exprimer ce départ inhumain est d’une grande rigueur : il passa outre vis‑à‑vis de lui. Ce prêtre avait de nobles sentiments. Il aperçoit un homme étendu sur la route et il passe.

Luc 10.32 De même un lévite, étant venu dans ce lieu, s’approcha, le vit et passa outre. – La conduite du lévite sera pire encore. Parvenu sur le théâtre du crime, il fait un mouvement de plus que le prêtre : il s’approche du blessé pour mieux voir, tandis que le premier passant était resté de l’autre côté du chemin. Sa curiosité a donc été éveillée ; mais son cœur demeure glacé. Et pourtant la loi juive contenait ce texte formel : « Si tu vois l’âne ou le bœuf de ton frère tomber en chemin, tu ne le mépriseras pas, mais aideras ton frère à le relever », Deutéronome 22, 4 (cf. Exode 23, 5). Que ne devait‑on pas faire pour un frère malheureux.

Luc 10.33 Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui et, le voyant, fut touché de compassion. – Quel contraste. Tacite a beau vanter la miséricorde que les Juifs se témoignaient entre eux (Hist. 5, 5 : Ils s’empressent de s’entre‑aider) : un prêtre et un lévite ont laissé, sans lui porter secours, un de leurs coreligionnaires mourant sur le grand chemin. Mais voici qu’un Samaritain va faire avec amour ce qu’ils ont négligé honteusement. Un Samaritain. Ce nom  signifiait pour les Juifs un ennemi national, un excommunié, un homme pire qu’un païen. Nous lisons en effet au livre de l’Ecclésiastique, 50, 27-28 : « Il est deux nations que mon âme déteste, et il en est une troisième que je ne puis souffrir : ceux qui habitent les montagnes de Séir, les Philistins et le peuple insensé qui réside à Sichem ». Ce héros de notre touchante histoire ne vient pas de la capitale juive, que les Samaritains ne fréquentaient guère ; le texte sacré nous le représente simplement sous les traits d’un voyageur ordinaire. Comme le prêtre, il aperçoit le blessé ; comme le lévite, il s’en approche : mais il éprouve un sentiment qui n’avait pénétré dans le cœur ni du prêtre ni du lévite, sentiment qui va lui dicter les actes généreux décrits dans les deux versets suivants. « Celui qui fait don de choses matérielles, communique une chose qui est extérieure à lui‑même. Celui qui donne au prochain des pleurs et de la compassion lui donne quelque chose qui vient de lui‑même », S. Grégoire (Moral. 20, 36). Le Samaritain commença donc par donner ce qu’il avait de mieux, la pitié de son cœur. Et pourtant il avait dû reconnaître que le blessé était un Juif, un ennemi de sa nation.

Luc 10.34 Il s’approcha, pansa ses plaies, après y avoir versé de l’huile et du vin, puis il le mit sur sa propre monture, le mena dans une hôtellerie et prit soin de lui. – Sans s’arrêter à la pensée que les brigands ne sont peut‑être pas loin et qu’il court lui‑même un grand danger, il se met à panser de son mieux les plaies du malheureux. Les bander était bien la première opération à faire, pour arrêter l’hémorragie. Tout en s’y livrant, le Samaritain versait le mélange de vin et d’huile qui a depuis porté son nom (baume du Samaritain). C’est là du reste un grand remède de l’antiquité, et il convenait à merveille dans le cas actuel, le vin étant un abstersif qui devait purifier les plaies, l’huile un linitif qui en pouvait calmer l’irritation. « Les fractures d’os d’animaux domestiques ne se soignaient pas autrement que celles des jambes humaines. On les entourent de lainages imbibés d’huile et de vin. », Columelle, 7, 5, 18. « Des laines engraissées avec de l’huile et du vin fournissent plusieurs remèdes », Pline, Hist. Nat. 29, 9. Les Orientaux voyagent rarement sans emporter avec eux une petite provision de ces deux liquides. Cf. Genèse 28, 18. – Il le mit sur sa propre monture… Il allait donc lui‑même à pied, soutenant doucement le malade. – Il le mena dans une hôtellerie. Le mot grec désigne une auberge proprement dite, où l’on peut se procurer des vivres en même temps que le couvert, et pas seulement un caravansérail oriental, qui ne fournit que le simple gîte. C’est au Khan Hadrour, dont les ruines sont situées à mi‑chemin entre Jérusalem et Jéricho, que la tradition conduit les deux héros de la parabole.

Luc 10.35 Le lendemain, tirant deux deniers, il les donna à l’hôte et lui dit : Aie soin de cet homme et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. – Compatissant pour le passé, tendrement serviable dans le présent, le bon Samaritain songe aussi à l’avenir du pauvre blessé. Le lendemain donc, obligé de se remettre en route, il tira de sa bourse deux deniers. La somme remise à l’hôtelier correspondait alors à la solde de deux journées de travail ; elle devait suffire pour défrayer les dépenses du malade deux jours durant, et le Samaritain supposait que, ce délai passé, il n’aurait plus besoin d’aucun secours. Au reste, le généreux bienfaiteur est prêt à compléter au besoin son œuvre de miséricorde : tout ce que tu dépenseras de plus... Quel beau type de la charité chrétienne : Mais aussi, quel saisissant portrait de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même. En effet, « les Pères unanimes ont reconnu dans cette parabole un sens mystique. Le Juif qui descend de Jérusalem à Jéricho, et qui est dépouillé et laissé pour mort, est Adam notre premier père qui, par son péché, est déchu de son innocence, et a perdu toutes les grâces que Dieu lui avait données en le créant (ou, mieux encore, « Cet homme….désigne le genre humain qui, désertant la cité céleste dans nos premiers parents, s’est affaissé dans la misère de ce siècle et de l’exil, a été, par la fraude de l’ennemi antique, spolié de sa robe d’innocence et d’immortalité, et grièvement blessé par les vices émanant du péché originel », Hugo de S. Victor, Annotat. in Luc., h. l.). Les voleurs qui le blessent et le dépouillent sont les démons. Le prêtre et le lévite qui passent sans secourir ce misérable représentent la loi de Moïse, avec tous ses sacrifices et ses cérémonies, incapables de guérir nos blessures. Le charitable Samaritain est Jésus‑Christ. L’hôtellerie où il porte son malade est l’Église. L’huile et le vin sont les sacrements… Ceux à qui il recommande le blessé sont les pasteurs de l’Église ». D. Calmet, Comment. littéral sur S. Luc, 10, 30 (voyez les textes des SS. Pères dans la Chaîne d’or de S. Thomas, dans Cornelius a Lapide). La parabole du bon Samaritain a également attiré l’attention des peintres. J. Fr. Gigoux et Vanloo en ont représenté d’une manière assez heureuse la scène principale.

Luc 10.36 Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de l’homme qui tomba entre les mains des brigands ? – Pour la seconde fois (cf. vv. 25, 26, 29) Jésus répond à une question du Légiste par une contre‑question. Jusqu’au bout cet homme est condamné à résoudre lui‑même le problème qu’il avait soulevé avec des intentions si peu avouables. Il semble néanmoins, à première vue, que Notre‑Seigneur n’emploie pas le mot prochain dans le sens qu’exigerait la parabole. Duquel de ces trois hommes le blessé a‑t‑il été le prochain ? Qui d’entre eux l’a traité comme son prochain ? Tel ne devrait‑il pas être le tour donné à l’interrogation ? Peut‑être, si Jésus eût voulu suivre sa pensée en toute rigueur. Mais, comme le disait S. Augustin, de Doctrina christ., l. 1, c. 30, « le nom même suppose le rapport mutuel de deux êtres ; nous ne pouvons être le prochain de quelqu’un, qu’il ne soit le nôtre ». Le nom de prochain impliquant la notion de réciprocité, il n’y avait pas le moindre inconvénient à renverser les termes, et, de la sorte, le Sauveur montrait avec plus de force à son antagoniste que la différence de religion, les préjugés de race, les haines invétérées, etc., toutes choses qui séparaient les Juifs des Samaritains, n’empêchent pas les hommes d’être vraiment « prochain » les uns à l’égard des autres.

Luc 10.37 Le docteur répondit : « Celui qui a pratiqué la miséricorde envers lui. » Et Jésus lui dit : « Toi aussi, va et fais de même. » – Il eût été plus simple de répondre : « le Samaritain ». Mais le Scribe ne peut se résoudre à prononcer ce mot abhorré ; il fait donc usage d’une circonlocution. Tant mieux d’ailleurs, car, en parlant ainsi, il entrait plus intimement dans la pensée de Jésus ; il énonçait un principe, au lieu de s’arrêter à un fait isolé. – Vas et fais de même. De nouveau (cf. v. 28), le divin Maître invite le Scribe à l’action, conformément du reste à la première demande de celui‑ci (v. 25). Allez et imitez ce modèle. La difficulté qu’il avait proposée est en effet une de celles dont a dit avec tant de justesse que « le problème est résolu si l’on aime ». – Le temps n’a rien enlevé de sa vérité, de sa beauté, à la pressante injonction de Jésus. Les païens pouvaient bien affirmer brutalement qu’un homme est comme un loup pour un autre homme qui ne le connaît pas. La religion instituée par Jésus ne voit dans les hommes que des frères auxquels elle prescrit de s’entr’aimer toujours.

Marthe et Marie. Luc 10, 38-42.

Nous avons ici, en quelques lignes, une belle étude psychologique de S. Luc. Le caractère des deux sœurs est tracé de main de maître. C’est aussi d’une manière magistrale que S. Augustin, de Verbis Domini, Serm. 27, et S. Bernard, In Cantic. Serm. 7, ont commenté ce récit, et que Jouvenet, Lesueur, Ary Scheffer, l’ont reproduit avec leur pinceau. 

Luc 10.38 Pendant qu’ils étaient en chemin, Jésus entra dans un village et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison.Pendant qu’ils étaient en chemin : Cette date générale nous fait souvenir que Jésus est en route pour Jérusalem. cf. 9, 51, 57 ; 10, 1. – Il entra dans un village. « S. Luc ne nomme pas ce bourg, mais S. Jean dit son nom et l’appelle Béthanie. » Origène. cf. Jean 11, 1 et 12, 1. Notre‑Seigneur s’était donc bien rapproché à cette époque de la capitale juive, aux portes de laquelle était situé le tranquille village habité par Marthe et Marie. Il y était venu à l’occasion d’une des fêtes mentionnées par S. Jean, 7, 2, 10 ; 10, 22. – Une femme nommée Marthe. Ce nom, qui n’apparaît nulle part dans l’Ancien Testament, est mentionné par Plutarque (Marius, 17) comme celui d’une prophétesse juive qui accompagne le fameux général romain dans plusieurs de ses campagnes. Sa forme n’est pas hébraïque, mais araméenne. Il est probable que ce n’était pas la première fois que Jésus faisait à Marthe l’honneur de séjourner dans sa maison : la scène entière suppose au contraire des relations antérieures familières.

Luc 10.39 Elle avait une sœur, nommée Marie, qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole, – Sur l’identité de Marie, sœur de Marthe, avec Marie Madeleine, voyez 7, 50 et le commentaire. Le frère de Marthe et de Marie, S. Lazare, n’apparaît pas plus dans le troisième Évangile que dans les narrations de S. Matthieu et de S. Marc. Il était réservé à S. Jean de décrire les liens étroits qui l’unissaient à Jésus et le glorieux miracle de sa résurrection. – Assise aux pieds de Jésus. Le texte latin insinue que plusieurs personnes étaient alors assises auprès de Jésus. L’attitude de Marie est désignée d’une manière pittoresque par les mots aux pieds de Jésus. Les anciens auteurs juifs (cf. Actes 22, 3) disent que les disciples se tenaient ainsi accroupis à la façon orientale aux pieds de leurs maîtres, par humilité et par respect. – Écoutait sa parole. Elle écoutait Jésus dans une sainte quiétude, recueillant avidement chacun des paroles du Maître bien‑aimé. Marie, sœur de Marthe et de Lazare, aura bien le même caractère dans le quatrième Évangile : nous l’y retrouverons avec sa nature calme, son âme contemplative, et son cœur livré tout entier à Jésus.

Luc 10.40 tandis que Marthe s’empressait aux divers soins du service. S’étant donc arrêtée : « Seigneur, dit-elle, cela ne vous fait rien que ma sœur me laisse seule pour faire le service ? Dites-lui donc de m’aider. » – Marthe aussi reviendra dans le récit de S. Jean avec le caractère bien tranché que nous lui voyons ici, et qui forme un contraste si frappant avec celui de Marie. Quelle différence en effet entre ces deux sœurs, et dans les manifestations de leur amitié pour Jésus. Pour mieux opposer au repos de l’une la fiévreuse activité de l’autre, S. Luc emploie une expression des plus énergiques, quoique très élégante : elle était tirée en divers sens, allant, venant, s’inquiétant, s’agitant, comme le font les maîtresses de maison aux jours où elles reçoivent de grands et de nombreux personnages. Jésus était sans doute accompagné de ses disciples, ce qui ne devait pas diminuer la sollicitude hospitalière de sainte Marthe. Voilà donc les deux sœurs, profondément dévouées l’une et l’autre au Sauveur, mais l’honorant par des procédés si divers. « Pour préparer un repas au Sauveur, Marthe s’occupait de soins nombreux ; Marie sa sœur aima mieux être nourrie par lui ; elle laissa donc Marthe aux occupations multipliées du service, et pour elle, elle s’assit aux pieds du Seigneur et écoutait tranquillement sa parole… L’une des deux sœurs s’agitait, et l’autre était à table ; l’une préparait beaucoup et l’autre n’envisageait qu’une chose ». – S’étant donc arrêtée. Le verbe grec semble indiquer d’abord un mouvement de Marthe pour s’approcher de Jésus, puis un brusque arrêt auprès de l’hôte auguste. Son langage, respectueux et familier tout ensemble, exprime alternativement une plainte et un désir. Elle se plaint du Seigneur lui‑même : cela ne vous fait rien… ; mes soucis ne vous inquiètent guère. Des mots suivants, ma sœur me laisse seule…, nous pouvons induire que Marie, après avoir aidé sa sœur pendant quelque temps, l’avait ensuite laissée, pour venir prendre aux pieds du Maître la position dans laquelle nous l’a montrée l’évangéliste. Elle avait compris qu’elle honorait ainsi beaucoup mieux Notre‑Seigneur, et qu’elle mettrait plus parfaitement à profit le temps précieux de sa visite. – Dites‑lui donc… demande Marthe comme conclusion de son observation plaintive. Elle n’ose ordonner elle‑même à Marie de quitter sa place d’honneur, craignant, ou de recevoir un refus, ou plutôt de manquer de respect au divin Maître qui conversait avec elle ; mais elle pense tout concilier en priant Jésus d’interposer son autorité.

Luc 10.41 Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous agitez pour beaucoup de choses.Marthe, Marthe… Répétition pleine de gravité, comme plus loin Simon, Simon (22, 31), pour introduire un affectueux reproche. – Vous vous inquiétez et vous agitez… « Le Seigneur répondit à Marthe pour Marie ; et il devint son avocat celui‑là même qui avait été interpellé », S. Aug. de Verb. Dom. Le Seigneur blâme doucement la sœur mécontente, de ce qu’elle est en ce moment trop préoccupée, trop troublée. Les deux verbes qui décrivent cette surexcitation de Marthe dans le texte grec sont très expressifs. Le premier représente la sollicitude intérieure poussée à un degré extrême ; le second se dit de l’agitation extérieure (les classiques l’emploient pour désigner l’eau trouble).

Luc 10.42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. » – Belle et riche paroles. Mais les exégètes ne sont d’accord ni sur sa forme primitive, ni sur sa signification réelle. Nous ne notons que comme une curiosité d’exégèse l’opinion de Nachtigall et de Stolz, selon laquelle Jésus aurait voulu dire à Marthe : Une seule d’entre vous suffit pour le service ; laissez donc votre sœur auprès de moi ! La pensée du Sauveur doit être plus profonde. Toutefois, des auteurs importants, anciens et modernes (S. Basile, S. Cyrille, Théophylacte, Corneille de Lapierre ; Wetstein, etc.) la rendent encore moins profonde : « A quoi bon tant de choses ? Un seul plat ne suffirait‑il pas ? » Il y a, dans cette interprétation littérale, je ne sais quoi de trivial, qui ressemble à un manque de goût et qui paraît peu digne de Jésus. Aussi vaut‑il mieux, avec la plupart des exégètes, prendre cette « chose » au sens figuré : Une seule chose est nécessaire, la vie de l’âme, le divin amour, la pensée du ciel et du salut ; le reste n’est qu’accessoire et on doit le rejeter au second rang. Et pourtant ce sens, quoique plus relevé, n’est pas encore le plus exact parce qu’il est trop général. La vraie pensée de Jésus se trouve mieux indiquée par la suite de ses paroles. Dans l’éloge qu’il fait de Marie, le Sauveur commente en effet lui même, en affirmant implicitement que la sœur de Marthe pratiquait alors « l’unique nécessaire », qui consiste par conséquent à se livrer sans réserve à l’amour de Jésus, à oublier pour lui les choses extérieures. – Marthe a choisi la meilleure part. « La meilleure » : donc celle de Marthe n’était pas mauvaise en elle‑même, comme l’observaient déjà les SS. Pères, quoiqu’elle fût d’une nature inférieure. « Le Seigneur ne blâma pas l’œuvre, mais établit une distinction entre les devoirs », S. August. Serm. 27 de Verbis Domini. « Le bon travail de Marthe n’a pas été blâmé, mais il a été enlevé à Marie parce qu’elle avait choisi une part meilleure », S. Ambr. h. l. – Qui ne lui sera pas retirée. En effet, dit encore S. Augustin, « Elle a choisi ce qui demeurera toujours. Elle s’assoyait aux pieds de notre Tête. Plus elle s’humiliait en s’assoyant, plus elle comprenait. L’eau se retire dans l’humilité d’une vallée encaissée ». En effet, les doux entretiens avec Jésus peuvent durer toujours ici‑bas, et ils ne cesseront jamais au ciel. – Dans Marthe et dans Marie, telles que nous les présente cet épisode, nos grands mystiques ont vu, et à bon droit, les types de la vie active et de la vie contemplative. Marie la Carmélite, Marthe la sœur de charité ; Marie qui a plus trait de ressemblance avec l’apôtre S. Jean, Marthe l’émule de Pierre ; Marthe qui veut donner beaucoup, Marie qui ouvre son âme pour recevoir beaucoup de Jésus. Rôles beaux, quoique divers. C’est la Providence de Dieu qui les départit à chacun. Ils se complètent l’un l’autre, et la main active de Marthe, associée au cœur aimant et calme de Marie, a produit des merveilles dans l’Église et dans la société. Quoique la part de Marie ait quelque chose de plus céleste, le mieux, dans les situations ordinaires, est d’unir les natures de Marthe et de Marie.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

Sommaire (cacher)

A lire également

A lire également