Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

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CHAPITRE 12

Il est aisé de dire, avec Rosenmüller et d’autres exégètes protestants, à propos de ce chapitre : « Luc regroupe plusieurs choses qui ont été dites à des époques diverses, dont il n’est pas nécessaire de démontrer l’enchaînement : ce sont des sortes d’aphorisme ». Qu’importe que les éléments dont il se compose apparaissent pour la plupart en d’autres parties de l’histoire évangélique ? Nous avons admis à la suite des meilleurs exégètes que Notre‑Seigneur a dû répéter en différentes circonstances plusieurs de ses principaux enseignements, et l’étude approfondie des textes sacrés nous confirme de plus en plus dans cette opinion. Il nous répugnera toujours de croire que les évangélistes ont fait des compilations arbitraires des paroles de Jésus, que telle partie de leur récit, donnée par eux comme un discours suivi, n’est en réalité qu’une simple recueil de morceaux choisis. Au reste, pour ce qui est de ce passage, S. Luc démontre par deux notes historiques (vv. 22, 54) qu’il ne l’a nullement arrangé à sa guise, mais qu’il a raconté les faits et les discours d’après leur réalité objective. De plus, si un certain nombre des pensées se retrouvent ailleurs, elles sont diversement combinées, elles subissent des variations pour le fond et pour la forme : et cela suffit pour prouver la non‑identité. – Les formules d’introduction et de transition mentionnées plus haut divisent ce chapitre en quatre parties : vv. 1-12, première série d’avertissements aux disciples ; vv. 13-21, la parabole du riche insensé ; vv. 22-53, seconde série d’avertissements aux disciples ; vv. 54-59, un enseignement d’une très grande importance pour le peuple.

Luc 12.1 Sur ces entrefaites, les gens s’étant rassemblés par milliers, au point de s’écraser les uns les autres, Jésus se mit à dire à ses disciples : « Gardez-vous avant tout du levain des Pharisiens, qui est l’hypocrisie. Sur ces entrefaites établit une connexion étroite entre la scène qui précède et tout ce discours. Tandis que Jésus était à table avec les Pharisiens et les accablait de si justes reproches, un concours énorme de peuple s’était donc fait non loin de là, et le Sauveur, dès qu’il sortit (11, 53), fut entouré par cette foule avide de le voir et de l’entendre. Les gens s’étant rassemblés par milliers, au point de s’écraser les uns les autres. – A ce point qu’on se marchait les uns sur les autres : détail pittoresque, analogue à plusieurs précisions de S. Marc, 1, 33 ; 2, 2 ; 3, 9 ; 6, 31. – Jésus se mit à dire à ses disciples. Ces mots déterminent la portion spéciale de son immense auditoire à laquelle Jésus adressa d’une manière directe ses premiers avertissements : il avait surtout en vue les disciples, rangés autour de lui. Toutefois ses paroles devaient également profiter à la foule ; c’est pourquoi il les prononçait devant toute l’assistance. Elles se ramènent à trois graves leçons : Fuyez l’hypocrisie pharisaïque, ne craignez pas les persécutions humaines, soyez fermes dans la foi. La première est contenue dans les vv. 1-3. – Gardez‑vous du levain des Pharisiens : voilà contre quoi les disciples doivent se mettre en garde avec la plus grande vigilance, et Jésus exprime aussitôt ce qu’il entend par le levain des Pharisiens : qui est l’hypocrisie… Défiez‑vous, veut‑il dire, de ces loups revêtus de peaux d’agneaux, et n’allez pas imiter leur conduite. Voyez dans S. Matthieu, 16, 6, et dans S. Marc. 8, 15, la même idée reproduite antérieurement par Notre‑Seigneur.

Luc 12.2 Il n’y a rien de caché qui ne doive être révélé, rien de secret qui ne doive être connu. – Un jour viendra où tout sera dévoilé ; les actions les plus secrètes, les desseins les mieux dissimulés seront mis en pleine lumière, et alors les hypocrites seront démasqués. Jésus se sert à bon droit de ce motif pour presser plus fortement les siens d’éviter l’hypocrisie pharisaïque.

Luc 12.3. – Car, ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira dans la lumière ; et ce que vous avez dit à l’oreille, dans les chambres, sera prêché sur les toits. – Le rideau sera donc tiré de dessus toutes choses. Mais la publicité, terrible pour les uns (les Pharisiens), auxquels elle apportera la honte, sera glorieuse pour les autres (les disciples), car elle proclamera la vérité de leur prédication, la légitimité de leur conduite. Les expressions proverbiales employées par Notre‑Seigneur désignent d’une manière pittoresque les commencements timides du ministère apostolique, comme le prodigieux éclat donné ensuite à l’Évangile. A propos de la locution toute orientale « sera prêché sur les toits », rappelons que les toits des maisons en Palestine sont généralement plats. Du haut de ces terrasses, qui sont d’ailleurs peu élevées, on se fait très bien entendre des gens groupés dans les rues, sur les places, ou sur les toits voisins, et une nouvelle ainsi publiée obtient en un clin d’œil du retentissement dans toute une ville. – S. Matthieu, 10, 26 et 27 (voyez le commentaire), place également sur les lèvres de Jésus, mais d’après une liaison toute différente et avec quelques modifications dans la forme, les aphorismes des vv. 2 et 3. Notez la tournure poétique de ces proverbes ; le parallélisme des mots s’y dessine clairement :

Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, 

rien n’est caché qui ne sera connu.

Ce que je vous dis dans les ténèbres, 

dites‑le en pleine lumière,

ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez‑le sur les toits

Or, c’est justement en cela que consiste le caractère principal de la poésie hébraïque.

Luc 12.4 Mais je vous dis, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui après cela ne peuvent rien faire de plus. 5 Je vais vous apprendre qui vous devez craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne, oui, je vous le dis, craignez celui-là. – Deuxième leçon, vv. 4-7 : Dieu vous protège, ne craignez pas les hommes. – Jésus vient de prédire la publicité qui sera donnée plus tard à l’Évangile. Mais cette publicité même devait attirer de terribles persécutions sur les prédicateurs de la bonne nouvelle : c’est pourquoi le divin Maître les rassure. – A vous, qui êtes mes amis. Quelle tendresse dans cette appellation. Nulle part ailleurs, dans les Évangiles synoptiques, les disciples ne reçoivent de Jésus le doux nom d’amis. Mais nous retrouverons ce titre dans le quatrième Évangile, 15, 15. – Ne craignez pas… Le Sauveur affirme d’abord à ses chers disciples qu’ils n’ont rien à craindre des hommes, alors même que ceux‑ci les condamneraient aux derniers supplices ; car, ajoute‑t‑il pour motiver son assertion, quand les hommes ont donné la mort à ceux qu’ils persécutent, ils ont épuisé toute leur puissance. – Je vais vous apprendre… Mais si les hommes, fussent‑ils des bourreaux, n’ont rien de vraiment redoutable, il est quelqu’un qui est formidable jusqu’au‑delà de la mort corporelle : c’est Dieu, car il a le pouvoir d’envoyer à tout jamais dans l’enfer ceux qui l’ont offensé. Aussi Jésus répète‑t‑il sur un ton grave et solennel : craignez celui‑là. Voyez d’ailleurs, sur ces deux versets, Matth. 10, 28 et le commentaire. – S. Luc n’emploie qu’en cet endroit le mot géhenne pour désigner l’enfer.

Luc 12.6 Cinq passereaux ne se vendent-ils pas deux as ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu. 7 Mais les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc pas : vous êtes de plus de prix que beaucoup de passereaux. – Après avoir rassuré ses disciples en face des dangers à venir, en leur montrant l’impuissance de leurs persécuteurs, Jésus les rassure encore par une touchante peinture des bontés paternelles de Dieu à leur égard. Deux exemples, choisis à dessein dans le domaine des plus petites choses, sont apportés à preuve. 1° Qu’y a‑t‑il de moins précieux que les petits oiseaux ? Ils tombent si nombreux dans les pièges de divers genres que leurs dressent les oiseleurs orientaux, qu’on peut, aujourd’hui comme au temps de Notre‑Seigneur, en livrer cinq à l’acheteur pour une somme dérisoire. Et pourtant, chacun d’eux est l’objet d’une providence très particulière. Quelle belle variante du passage parallèle de S. Matthieu, 10, 29 : « Deux moineaux ne sont‑ils pas vendus pour un as ? ». – En oubli devant Dieu est un hébraïsme. Cette locution a d’ailleurs une excellente base psychologique, les personnes dont nous nous souvenons étant en quelque sorte présentes à notre esprit et à notre cœur. – 2° Les cheveux mêmes… Même nos cheveux, et ils ont encore beaucoup moins de valeur qu’un humble oiseau, attirent l’attention de la divine providence. Dieu en connaît le nombre (entre 100000 et 150000) et pas un seul ne tombera sans sa permission. Grand motif de confiance, dit Jésus en tirant la conclusion de son raisonnement : Ne craignez donc pas. Combien de passereaux, ajoute‑t‑il avec une charmante simplicité, ne faudrait‑il pas pour valoir un homme. cf. Matth. 10, 30, 31 et le commentaire.

Luc 12.8 Je vous le dis encore, quiconque m’aura confessé devant les hommes, le Fils de l’homme aussi le confessera devant les anges de Dieu, 9 mais celui qui m’aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu. – Troisième leçon, vv. 8-12 : Gardez soigneusement la foi, même au milieu des persécutions. La profession de l’Évangile peut coûter cher aux disciples sans doute ; mais, s’ils y persévèrent, elle leur assure une récompense magnifique. Quelle récompense que s’entendre proclamer chrétien fidèle par Jésus lui‑même, devant toute les phalanges angéliques, c’est‑à‑dire au jugement général auquel les anges assisteront. Toutefois, à la récompense est opposée un châtiment terrible, qui atteindra les lâches apostats. Une nuance délicate, propre à la rédaction de S. Luc, mérite d’être notée. Plus haut, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ avait promis de reconnaître lui‑même, en présence des anges, ceux qui l’auraient courageusement reconnu et confessé devant les hommes ; maintenant qu’il s’agit d’une condamnation épouvantable, il évite de se mettre personnellement en scène, et il dit d’une manière générale : sera renié. Voyez sur ces deux versets Matth. 10, 32, 33 et le commentaire.

Luc 12.10 Et quiconque parlera contre le Fils de l’homme, obtiendra le pardon, mais pour celui qui aura blasphémé contre l’Esprit-Saint, il n’y aura pas de pardon. – Autre grand péril qui menace la foi des disciples : ils sont exposés non‑seulement à renier leur Maître, mais encore à blasphémer contre l’Esprit‑Saint, ce qui est une faute énorme, à tout jamais irrémissible. – Quiconque parlera contre le Fils : une parole en passant, comme serait de renier par faiblesse Jésus et son Église. Malgré la brièveté de ce péché, on peut obtenir un prompt et généreux pardon pourvu qu’on se repente ; mais le crime désigné par les mots blasphémé contre l’Esprit-Saint ne saurait être pardonné, parce qu’il consiste, nous l’avons dit ailleurs (Evang. S. Matth. 12, 31-32) dans la haine de la vérité reconnue comme telle, et qu’il suppose l’endurcissement volontaire dans le mal. Jésus répète ici à ses disciples la grave instruction qu’il avait autrefois adressée aux Pharisiens. cf. Matth. 12, 31 et 32 ; Marc. 3, 28-30.

Luc 12.11 Quand on vous conduira devant les synagogues, les magistrats et les autorités, ne vous mettez pas en peine de la manière dont vous vous défendrez, ni de ce que vous direz, 12 car le Saint-Esprit vous enseignera à l’heure même ce qu’il faudra dire. » – Jésus a promis aux siens, pour soutenir leur foi, une splendide couronne dans la bienheureuse éternité, v. 8 ; il leur promet encore dans le même but un secours tout particulier de l’Esprit Saint à l’heure de leurs plus graves dangers. Ils seront conduits comme des criminels tantôt devant les tribunaux religieux des Juifs, tantôt devant les tribunaux civils des païens ; mais qu’ils demeurent calmes quand même. Or, c’est un fait d’expérience que ce qui trouble surtout un accusé durant la pénible attente de son procès, ce sont d’une part les réponses à faire aux interrogatoires des juges : la manière de les présenter, ce que vous répondrez (la substance même), les arguments de la plaidoirie (ce que vous direz). Mais, précisément sur ces deux points, les disciples du Christ peuvent garder la paix de l’âme, car, à l’heure même, l’Esprit de Dieu leur inspirera des improvisations vigoureuses, qui réduiront leurs adversaires au silence. Les magnifiques discours des Pierre, des Étienne, des Paul, Actes 4, 8 et ss. ; 7, 2 et ss. ; 23, 1 et ss. ; 24, 10-21 ; 26, 2-29, prouvent que Jésus n’avait pas fait à ses amis une vaine promesse.

Luc 12.13 Alors du milieu de la foule quelqu’un dit à Jésus : « Maître, dites à mon frère de partager avec moi notre héritage. » – Étrange interruption en effet. Jésus parle d’intérêts tout spirituels, tout célestes, et voilà que, profitant sans doute d’une courte pause, un inconnu, préoccupé uniquement de ses intérêts matériels, le conjure de la façon la plus inopportune de l’aider à recouvrer une partie de son patrimoine, qu’un frère aîné semble avoir retenue injustement. Mais comme cette inopportunité même montre bien l’exactitude de S. Luc à suivre l’ordre historique des événements. – On ne saurait dire en termes précis quel était le point en litige : la généralité des mots partager avec moi notre héritage ne le permet pas. D’après la loi mosaïque, Deutéronome 21, 17, l’aîné recevait une double part des biens du père ; mais la fortune de la mère était divisée en portions égales entre tous les enfants. Du moins, l’impression produite par le début du récit est que le suppliant avait été réellement lésé dans ses droits. Ce n’était ni la première ni la dernière fois que la division existait entre des frères à propos d’héritage. On a parfois soutenu, mais sans le moindre fondement, que l’auteur de l’interruption était un disciple de Notre‑Seigneur. Sa requête prouve au contraire qu’il ne connaissait pas du tout l’esprit du divin Maître. Seulement, il avait compris que Jésus était un homme d’une profonde sagesse ; il avait entrevu qu’il jouissait d’une grande autorité : c’est pourquoi il avait imploré son arbitrage, dans l’espoir de recouvrer grâce à lui sa propriété.

Luc 12.14 Jésus lui répondit : « Homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? » – La réponse du Sauveur est un refus formel, et un refus empreint d’une certaine sévérité (sur l’emploi de Homme, voyez Romains 2, 1-3). Évidemment, elle fait allusion aux dures paroles qui furent un jour adressées à Moïse par un de ses concitoyens mécontent de son intervention, Exode 2, 14 : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ?». Le royaume de Jésus n’est pas de ce monde : Notre‑Seigneur ne veut donc se mêler ni d’affaires d’héritage, ni d’affaires politiques (cf. Matth. 22, 17 et parall.), tout cela étant étranger à sa mission, et n’ayant aucun rapport direct avec l’établissement de la vraie religion. « Il faisait bien de dédaigner les biens de la terre celui qui était descendu pour les divins…Ce n’est donc pas sans raison qu’est rebuté ce frère qui voulait assigner le dispensateur des choses célestes à des choses périssables », S. Ambroise, h. l. Plus tard, il est vrai, S. Paul recommandera aux chrétiens de juger entre eux leurs affaires contentieuses, 1 Corinthiens 6, 1-6 ; mais le cas n’était plus le même. S. Augustin, constamment dérangé dans ses occupations intellectuelles et mystiques par la foule des plaideurs qui venaient le prier d’être leur arbitre, regrettait, nous dit‑il (Enarrat. in Psaume 118, 115), de ne pouvoir répondre à la suite de Jésus : « Qui m’a établi… ? ». – Juge ou faire vos partages : Deux expressions techniques, dont la première désigne le juge chargé de trancher la question de droit, la seconde l’expert qui divise l’héritage conformément à la sentence des tribunaux.

Luc 12.15 Et il dit au peuple : « Gardez-vous avec soin de toute avarice, car, dans l’abondance même, la vie d’un homme ne dépend pas des biens qu’il possède. » – « A l’occasion de ce demandeur stupide, il s’est efforcé de prémunir les foules et les disciples, par des préceptes et des exemples, contre cette peste de l’avarice », Bède le Vénérable, h. l. – gardez‑vous de toute avarice. Le motif allégué par Jésus, car un homme fût‑il dans l’abondance…, Maldonat, « tous les docteurs conviennent que la vie de l’homme ne consiste pas du tout dans l’abondance des richesses ». L’opulence ne fait pas vivre une minute de plus ; elle n’est pas une condition essentielle de l’existence humaine, ni du bonheur humain.

Luc 12.16 Puis il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche dont le domaine avait beaucoup rapporté. – Jésus commente par une belle parabole, par un frappant exemple, l’importante vérité qu’il vient d’énoncer en termes généraux. – Un homme riche. C’est le héros du récit exposé par le divin Maître ; triste héros pourtant, car nous ne découvrirons en lui rien de spirituel ni d’élevé : il est mondain jusqu’à la moelle des os. Quoiqu’il possède déjà beaucoup, son idéal est de posséder encore davantage. Mais voici que ses désirs vont être pleinement satisfaits : le domaine lui rapporta beaucoup de bien. Les exégètes anciens et modernes font observer à bon droit que l’homme riche présenté par Notre‑Seigneur comme un modèle à éviter avait une fortune très légitimement acquise. « Il ne pensait ni à s’emparer des champs de ses voisins, ni à déplacer les bornes délimitant les parcelles de terre, ni à dépouiller le pauvre, ni à tromper le simple », S. August., Serm. 178, 2. Cette façon de s’enrichir est tout à fait innocente, mais n’en est pas moins périlleuse. cf. Maldonat, h. l. En effet, il y a longtemps que le sage l’a prophétisé, Proverbes 1, 32 : « La prospérité des insensés les détruira ». cf. Ecclésiaste 5, 10. Les grecs et les Latins avaient d’ailleurs des maximes analogues, fruits d’une expérience souvent vérifiée. « L’argent stimule l’avare, sans le rassasier » (axiome romain).

Luc 12.17 Et il s’entretenait en lui-même de ces pensées : Que ferai-je ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte. – Ce verset et les deux suivants contiennent un monologue d’une parfaite exactitude psychologique, et admirablement décrit. – Que ferai‑je ? Se demande avec anxiété le riche propriétaire, mis subitement dans l’embarras. Et quel embarras. Je n’ai pas de place pour mettre ma récolte... « La richesse trouble l’homme plus que la pauvreté », S. Augustin. « O angoisse née de la satiété ! La fertilité de son champ angoisse l’âme de l’avare. Car il dit : que ferai‑je ? Il montre par là que l’intensité de ses désirs l’opprime ; et qu’il peinait pour un assemblage de petites choses », S. Greg. Moral. 15, 22. C’est le cas de citer le vers de Virgile, Georg. 1, 49 : « Les moissons abondantes de blé rompent les granges. » Ou celui de Tibulle, 2, 5, 84 : « Cérès distend les granges pleines de blé. » Le vieux proverbe a raison : « L’inquiétude suit l’augmentation de la richesse ». Si la plupart des hommes se tourmentent parce qu’ils n’ont pas tout ce dont ils ont besoin ou tout ce qu’ils désirent, il en est d’autres qui s’inquiètent parfois à propos de leur superflu, dont ils ne savent que faire. Comme s’il n’y avait pas des pauvres pour les délivrer de ce souci. « Tu as pour entrepôt le sein des pauvres, la maison des veuves, les bouches des enfants. », S. Ambroise, de Nabuthe, 7. cf. S. August. Serm 36, 9 ; S. Basile, ap. Cat. S. Thom. ; Ecclésiastique 29, 12. Mais c’est l’égoïsme qui donne ici le ton. Le riche de notre parabole ne pense qu’à lui‑même, comme le montre le pronom « je » répété cinq fois avec emphase.

Luc 12.18 Voici, dit-il, ce que je ferai. J’abattrai mes greniers et j’en construirai de plus grands et j’y amasserai la totalité de mes récoltes et de mes biens. 19 Et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as de grands biens en réserve pour beaucoup d’années, repose-toi, mange, bois, fais bonne chère. – Après avoir cherché pendant quelque temps d’une manière anxieuse, il arrive enfin à une solution qu’il a tout lieu de croire excellente. Ses greniers sont trop étroits, qu’importe ? Il les détruira, et il en construira de plus vastes, capables de contenir ses splendides récoltes. Et que dira‑t‑il à sa pauvre âme, qu’il n’envisage pas ici comme la partie supérieure de son être, mais comme le siège des plaisirs et le centre des jouissances ? Il lui tiendra un langage d’Épicurien : Tu as beaucoup de biens en réserve pour de nombreuses années. Il se délecte dans cette pensée ; mais quelle erreur est la sienne : Un païen va lui faire la leçon : « Une chose appartient à quelqu’un. En une seconde soit par la demande, soit par la vente, soit par la violence ou la mort, elle change de propriétaire, et ses droits sont cédés à d’autres », Horat. Ep. 2, 2, 171. On dirait qu’il veut copier les sentiments et les paroles de cet autre riche que le livre de l’Ecclésiastique, 11, 18 et 19, signale pour le condamner : « Tel s’enrichit à force d’être économe et regardant, mais voici ce qu’il y gagne : Quand il dit : « Enfin le repos. Maintenant je vais jouir de mes biens », il ignore combien de temps cela va durer : il devra laisser ses biens à d’autres et mourra ». – Repose‑toi, mange, bois, fais bonne chère. Quelle émotion, quelle rapidité, dans cette dernière ligne du soliloque. Le malheureux semble jouir déjà par avance. Mais il ne jouira pas longtemps, bien qu’ « il avait escompté de longues périodes de sécurité », Tertullien.

Luc 12.20 Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même on te redemandera ton âme et ce que tu as mis en réserve, pour qui sera-t-il ? – Fin terrible d’un beau rêve. Peu importe du reste le moyen auquel Dieu aura recouru pour se faire entendre : nous n’avons pas à nous inquiéter de ce détail (voyez dans Maldonat le résumé des anciennes opinions), car l’essentiel consiste dans les paroles mêmes. – Insensé. Celui sur qui retombe cette épithète avait pourtant paru si sage. Il avait combiné des plans si ingénieux. Mais en réalité il n’était qu’un insensé. « Quelle sotte chose que vouloir disposer du temps. Nous ne contrôlons même pas le lendemain. Quelle grande démence il y a dans les ambitieux projets des commerçants ! J’achèterai, je construirai, je croirai, j’exigerai, j’obtiendrai des honneurs. Jusqu’à ce que la lassitude de la vieillesse me réduise à l’inactivité », Sénèque, Ep. 101. cf. Jacques 3, 13 et 14. C’est le Nabal du Nouveau Testament cf. 1 Samuel 25, 25. – Cette nuit même… c’est‑à‑dire dans quelques instants, dans quelques heures tout au plus, car on le suppose étendu sur son lit pendant la nuit, et demeurant éveillé par suite de ses préoccupations et de ses projets. – On te redemandera ton âme : l’emploi du temps présent indique aussi un très court délai. Le on, forme plurielle, a été diversement interprété. On lui a fait désigner tour à tour des assassins (Paulus, Bornemann), les anges de la mort (von Gerlach, etc. cf. Job. 33, 22), Dieu lui‑même (ce serait alors un pluriel de majesté). Laissons‑lui, à la suite de Jésus, son « effrayante obscurité » (Trench). cf. v. 48 : 14, 35. – Ce que tu as mis en réserve… Tirant le voile sur le sort qui attend dans l’autre vie une âme aussi mondaine, la parabole revient, et c’est son dernier détail, sur les richesses accumulées par celui dont elle raconte la triste histoire. A qui appartiendront tant de trésors ? Les ennuis causés par cette incertitude sont fréquemment signalés dans les saints Livres. Psaume 38, 7 : « il amasse, mais qui recueillera ? » ; Ecclésiaste 2, 18 et ss. : « Je déteste tout ce travail que j’accomplis sous le soleil et que je vais laisser à mon successeur. Qui sait s’il sera sage ou insensé ? Ce sera lui le maître de tous ces travaux accomplis par ma sagesse sous le soleil. Cela aussi n’est que vanité. ». cf. Psaume 48, 16-20 ; Jérémie 17, 11 ; Job. 27, 16 et 17.

Luc 12.21 Il en est ainsi de l’homme qui amasse des trésors pour lui-même et qui n’est pas riche devant Dieu. » – Conclusion et morale de la parabole. Jésus met en regard deux sortes de trésors, les trésors matériels, périssables, et les trésors spirituels, éternels. Il nomme ingénieusement les premiers amasser des trésors pour soi‑même, et les seconds être riche par rapport à Dieu. Malheur à quiconque ne thésaurise que pour lui‑même, dans des vues égoïstes. Il périra, et ses richesses périront avec lui. « Tu es captif et esclave de ton argent. Tu sers ton argent qui ne te sert pas pour ta servitude. Tu accumules un patrimoine qui t’écrase de la lourdeur de son poids. Tu ne te souviens plus de ce que Dieu a répondu au riche qui empilait avec une sotte exultation la débordante récolte de ses fruits. Pourquoi engranges‑tu pour toi seul tes richesses, toi qui augmentes la valeur de ton patrimoine avec tes souffrances, pour qu’en devenant plus riche en ce monde, tu deviennes plus pauvre devant Dieu ? », S. Cyprien de Carthage, de Op. et Eleemos.

Luc 12.22 Jésus dit ensuite à ses disciples : « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. 23 La vie est plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement. – Après avoir répondu à l’interpellation singulière (v. 13) qui l’avait interrompu au milieu des avertissements qu’il donnait aux disciples, Jésus s’adresse de nouveau d’une manière plus spéciale à ces derniers. Mais, au lieu de reprendre la suite de ses premières leçons, il continue de parler pendant quelque temps (vv. 22-34) du sujet sur lequel on l’avait amené, et il profite de cette occasion pour redire quelques‑unes de ses plus belles maximes du sermon sur la montagne. cf. Matth. 6, 25-34 et le commentaire. « Il a enseigné plus haut qu’il fallait nous garder de l’avarice…Et puis, développant au fur et à mesure toute sa pensée, il ne nous permet pas même de nous soucier de ce qui est nécessaire, arrachant par là la racine de l’avarice ». Cette réflexion de Théophylacte indique fort bien l’enchaînement et la gradation des pensées. – C’est pourquoi je vous dis… C’est pourquoi, puisque tel est le sort misérable de ceux qui s’attachent aux biens temporels. – Ne soyez pas inquiets. L’anxiété trop vive à l’égard des choses nécessaires à la vie (Notre‑Seigneur mentionne les deux principales, la nourriture et les vêtements) ressemblerait à l’avarice, et ne nous détournerait pas moins de notre fin que l’amour exagéré des richesses. – Les paroles du v. 23 contiennent la démonstration logique de l’avertissement qui précède. « L’âme (i.e. la vie) est plus importante que la nourriture, et le corps que le vêtement… C’est comme s’il disait : le Dieu qui a procuré ce qu’il y a de meilleur, comment ne donnera‑t‑il pas ce qui vaut le moins ? », S. Cyrille de Jérusalem, Chaîne des Pères Grecs.

Luc 12.24 Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni cellier ni grenier et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que ces oiseaux ? – Jésus continue de fortifier son grave avertissement par des preuves. Passant à des faits d’expérience, et argumentant encore selon la méthode « à plus forte raison », il allègue les raisons les plus touchantes, et en même temps les plus convaincantes, pour nous engager à nous confier pleinement en la Providence de Dieu. – Considérez les corbeaux. Dans S. Matthieu, 6, 26, c’étaient les « oiseaux du ciel » en général qui étaient apportés en exemple ; Jésus mentionne ici les corbeaux d’une manière spéciale et pittoresque, parce que ces oiseaux, d’après la croyance des anciens (cf. Job. 38, 41 ; Psaume 147, 9 ; Aristote, Hist. anim. 2, 7 ; Hist. Nat. 7, 5), auraient au début de leur existence des difficultés particulières pour se nourrir. « En effet, dit naïvement Théophylacte suivant cette vieille tradition, les corbeaux, après avoir engendré les petits, ne les nourrissent pas, mais les abandonnent. Le vent leur porte à travers les airs une merveilleuse pâture ; ils la reçoivent dans leur bec entr’ouvert et sont ainsi nourris. »

Luc 12 25 Qui de vous pourrait, à force de soucis, ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? 26 Si donc les moindres choses sont au-dessus de votre pouvoir, pourquoi vous inquiétez-vous des autres ? – Autre raisonnement : lequel d’entre les hommes, fût‑il un génie, serait capable, après de longues, d’habiles et de pénibles combinaisons, d’agrandir sa vie d’une coudée, c’est‑à‑dire de quelques jours, ou de quelques semaines ? Au lieu de à sa taille, d’anciens manuscrits latins portent à bon droit à la durée de sa vie. – Si donc vous ne pouvez… C’est la conclusion de l’argument. Si nous ne pouvons de nous‑mêmes réaliser ce qui est moindre, et Jésus désigne par là l’humble allongement de notre vie signalé plus haut, combien plus serions‑nous impuissants à pourvoir à tous nos besoins matériels. Notre incapacité nous invite donc à nous reposer sur Dieu.

Luc 12 27 Considérez les lis, comment ils croissent, ils ne travaillent ni ne filent et je vous le dis, Salomon dans toute sa gloire n’était pas vêtu comme l’un d’eux. 28 Si Dieu revêt de la sorte l’herbe, qui est aujourd’hui dans les champs et qui demain sera jetée au four, combien plus le fera-t-il pour vous, hommes de peu de foi. – L’exemple des lis après celui des corbeaux. Jésus décrit d’abord (v. 27), en se servant d’une comparaison bien forte pour quiconque est familiarisé avec l’histoire juive, la beauté de ces gracieuses fleurs. Un lis, dit‑il, est mieux vêtu que le roi Salomon. Et pourtant l’art israélite avait su réaliser des merveilles sous ce prince en fait de splendides ornements. Le Sauveur indique ensuite au moyen d’un frappant contraste le néant de ces végétaux éphémères : aujourd’hui dans les champs, dans toute leur splendeur ; demain jetés au four, pour faire cuire de simples aliments (voyez S. Matth.). Aussi la jolie fleur ne porte‑t‑elle plus maintenant que le nom d’herbe. Donc, combien plus vous‑mêmes. Un homme créé à l’image de Dieu n’a‑t‑il pas infiniment plus de valeur qu’un lis ?

Luc 12.29 Vous non plus, ne cherchez pas ce que vous mangerez ou ce que vous boirez et ne soyez pas dans l’anxiété. 30 Car ce sont les gens de ce monde qui se préoccupent de ces choses, mais votre Père sait que vous en avez besoin. – Nouveaux motifs de confiance absolue en la Providence divine : se préoccuper du vêtement et de la nourriture, ce serait imiter les païens, ce serait oublier que Dieu est notre Père. – Vous, avec emphase ; ne vous inquiétez pas plus que les oiseaux du ciel, pas plus que les lis des champs. – Ne soyez pas dans l’anxiété. Agité par les angoisses d’une âme suspendue entre différentes craintes, ou entre la crainte et l’espérance. – Par les gens de ce monde il faut entendre, par opposition aux Juifs, les nations païennes, dont la vie et les aspirations ont toujours été dirigées vers les jouissances matérielles et mondaines. – Votre Père : Dieu est notre Père, et un tel père ne subviendra‑t‑il pas certainement aux besoins de ses enfants ?

Luc 12.31 Au reste, cherchez le royaume de Dieu et tout cela vous sera donné par surcroît. – Après avoir dit plus haut à ses disciples, v. 29, qu’ils ne devaient pas se livrer à des inquiétudes exagérées par suite de leurs nécessités temporelles, Jésus désigne maintenant à leur activité un vaste domaine sur lequel elle pourra s’exercer en première ligne et sans réserve, le royaume de Dieu. A quiconque fera du céleste royaume l’objet principal de ses recherches, il promet une ample satisfaction des légitimes besoins de la vie.

Luc 12.32 Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plus à votre Père de vous donner le royaume. – La pensée de Jésus s’élève par degrés. Il a condamné sévèrement l’avarice, vv. 15-21 ; il a même condamné, comme une tendance païenne, la sollicitude exagérée à l’égard des nécessités de la vie, vv. 22-31. Montant encore plus haut, voici qu’il recommande à ses disciples le détachement parfait, vv. 32-34. – Petit troupeau (cf. Jérémie 50, 45 ; Zacharie 13, 7). Nom bien humble, mais bien touchant, sorti directement du cœur de Jésus. Les brebis fidèles de ce bon Pasteur ne formaient en effet, pour le nombre, pour la condition, pour les qualités extérieures, qu’un tout petit troupeau, sur lequel le monde jetait des regards de mépris. Mais Dieu les contemplait avec les yeux d’un père, et il leur destinait dans sa bonté, et même il mettait ses complaisances à leur destiner une récompense grandiose, le royaume par excellence, le royaume des cieux. Voyez le Psaume 22, qui est un commentaire parfait de ce passage. – « Donc, pour posséder le royaume des cieux, méprisez les choses terrestres », S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs Jésus va tirer la même conclusion.

Luc 12.33 Vendez ce que vous avez et donnez l’aumône. Faites-vous des bourses que le temps n’use pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où les voleurs n’ont pas d’accès et où les mites ne rongent pas. – cf. Matth. 19, 21 ; Actes 4, 34-37. C’est là sans doute un conseil de perfection ; mais où se serait trouvée la perfection chrétienne, si les Apôtres et les premiers missionnaires de Jésus ne l’avaient pas pratiquée ? Il est des cas en effet où les conseils deviennent des préceptes. – Faites‑vous… Par ce nouvel emprunt au Discours sur la montagne (cf. Matth. 6, 19-21 et le commentaire), Jésus développe et appuie sa recommandation : En donnant aux pauvres le produit de vos biens, vous placerez au ciel un capital dont l’intérêt vous sera richement et infailliblement servi pendant toute l’éternité. – Des bourses qui ne s’usent pas. Les bourses des anciens consistaient souvent en de petits sacs de cuir que l’on suspendait au cou par une courroie : quand elles étaient vieilles et usées, elles perdaient facilement l’argent. – Un trésor inépuisable : mot rare et expressif. Ici‑bas, un trésor diminue vite quand on y puise fréquemment : les trésors confiés à Dieu ne cesseront jamais d’être pleins. Quel encouragement aux bonnes œuvres. – Le voleur, le ver : les deux grands ennemis de nos trésors terrestres. Mais ni les « coupeurs de bourse », comme disaient déjà les anciens, ni les vers qui rongent les beaux vêtements ne pourront pénétrer au ciel.

Luc 12.34 Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. – Profonde vérité psychologique, par laquelle le divin instructeur termine ses avertissements relatifs aux biens de ce monde. Notre cœur suit notre trésor, c’est un fait d’expérience journalière ; si donc ce trésor est au ciel, notre cœur sera toujours tourné en haut, et tel était précisément le résultat que Jésus se proposait d’atteindre en parlant à ses disciples.

Luc 12.35 Ayez la ceinture serrée autour de la taille et vos lampes allumées. – La parole de Jésus prend un nouvel essor. Après avoir prêché sous différentes formes le détachement des biens de ce monde, voici qu’elle nous conduit d’emblée à la fin des temps, au second avènement du Christ, pour nous recommander d’une manière pressante la vigilance, vv. 35-40, et la fidélité, vv. 41-48. Le langage figuré domine dans cette partie de l’instruction. Trois comparaisons (la première et la dernière sont presque des paraboles), vv. 35-38, 39 et 40, 41-48, toutes empruntées à la vie de famille de l’antique Orient, nous montrent de la façon la plus pittoresque comment nous devons veiller, être fidèles. Voyez dans S. Matthieu, 24, 42-50, des pensées et des images analogues, faisant partie d’un discours plus récent, prononcé peu de jours avant la Passion. – Première comparaison, vv. 35-38 : Les serviteurs qui attendent leur maître. Jésus trace d’abord le rôle d’un serviteur vigilant, vv. 35-36, puis il décrit la récompense magnifique qui lui est réservée. – Que vos reins soient ceints. Première image pour dire : Soyez prêts quand le Fils de l’homme fera son avènement (cf. v. 40). Le vêtement principal des Orientaux consiste en une longue robe flottante : pour l’empêcher de gêner les mouvements, on la relève d’ordinaire, mais surtout quand on veut marcher ou travailler, par une ceinture enroulée autour des reins. cf. 1 Rois 4, 46 ; 2 Rois 4, 29 ; 9, 1 ; Job. 38, 3 ; Jérémie 1, 17 ; Actes 12, 8 ; etc. Les Romains faisaient de même pour leur toge. Que les disciples de Jésus soient donc constamment ceints. cf. Éphésiens 6, 14. – Et vos lampes allumées… Pensée identique, exprimée par une seconde image. Les serviteurs dont parle la parabole sont censés attendre pendant la nuit (v. 38) le retour de leur maître. Qu’ils aient soin par conséquent de tenir leurs lampes allumées, de manière à ne pas perdre un temps précieux pour les éclairer quand le maître se présentera.

Luc 12.36 Soyez semblables à des hommes qui attendent le moment où leur maître reviendra des noces, afin que, dès qu’il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt.Soyez semblables à des hommes (c’est‑à‑dire à des serviteurs, comme il résulte du contexte). Ce verset explique le précédent. – Où leur maître reviendra des noces. Le maître revient d’une fête nuptiale quelconque à laquelle il a été invité. Il ne s’agit nullement de ses noces personnelles, comme on l’a parfois prétendu ; rien du moins ne l’indique dans le récit. – Dès qu’il est emphatique et porte l’idée principale. Les serviteurs doivent être si vigilants, qu’ils soient en état d’ouvrir la porte au premier signal, sans le moindre délai, car un maître n’aime pas à attendre, et il ne convient pas qu’il attende.

Luc 12.37 Heureux ces serviteurs que le maître, à son retour, trouvera veillant. Je vous le dis en vérité, il se ceindra, il les fera mettre à table et s’approchera pour les servir. – Ces serviteurs attentifs jouiront en effet d’un bonheur ineffable, que Jésus dépeint dans la seconde moitié du verset, en gardant les couleurs de sa comparaison. Changeant de rôle avec eux, le maître reconnaissant leur dira de s’asseoir à la table préparée pour lui‑même, et il se fera une joie de les servir de ses propres mains. S’approchera pour les servir. Quelle belle figure pour désigner le festin éternel du ciel que Dieu tient en réserve pour ses fidèles amis. cf. Apocalypse 3, 20 ; 19, 9. Du reste, dès ici‑bas, Jésus réalisa à l’égard des Apôtres sa solennelle promesse, ainsi que le raconte le disciple bien‑aimé en des termes si émus : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du repas, … Jésus… se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture ». Jean. 13, 1-5.

Luc 12.38 Qu’il arrive à la deuxième veille, qu’il arrive à la troisième, s’il les trouve ainsi, heureux ces serviteurs. – Répétition de la même pensée, avec un nouveau détail exprimé graphiquement : Heureux les serviteurs dévoués qui attendront leur maître avec fidélité, alors même qu’il retarderait son retour jusque bien avant dans la nuit. Des quatre parties de la nuit juive, Notre‑Seigneur ne mentionne ni la première (de 6 à 9 heures du soir) ni la dernière (de 3 à 6 heures du matin), la solennité du mariage ayant lieu pendant celle‑là et le décorum ne permettant guère d’être encore en fête ou à travers les rues durant celle‑ci. Le maître est supposé rentrer de 9 heures à minuit (la seconde veille), ou de minuit à trois heures (la troisième veille).

Luc 12 39 Mais sachez bien que si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. 40 Vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne pensez pas. » – Seconde comparaison pour exhorter les disciples à la vigilance : le père de famille qui fait le guet afin de surprendre les voleurs au moment où ils viendront piller sa demeure. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu, 24, 43-44. Le v. 39 propose la comparaison, le v. 40 indique la conclusion que nous en devons tirer pour notre conduite pratique : être toujours prêts à voir apparaître le « jour du Seigneur », puisqu’il doit survenir « comme un voleur dans la nuit », 1 Thessaloniciens 5, 2. 

Luc 12.41 Alors Pierre lui dit : « Est-ce à nous que vous adressez cette parabole, ou bien est-ce aussi à tous ? » – A son tour S. Pierre interrompt Notre‑Seigneur pour lui adresser une question. Ces détails minutieux (cf. vv. 1, 13, 22), soigneusement conservés par S. Luc, montrent combien il tenait à l’ordre historique des faits, et réfutent mieux que tout autre argument l’opinion étrange, signalée déjà à plusieurs reprises, d’après laquelle il aurait compilé à son gré les instructions de Jésus. – A nous… ou à tous ? Le pronom nous désigne évidemment les disciples (vv. 1 et 22), par opposition à la masse du peuple qui entourait alors le divin Maître. Jésus, dans sa première comparaison, avait parlé de serviteurs ; or, les Apôtres et les disciples étaient par antonomase ses serviteurs personnels. S. Pierre voudrait donc savoir si la parabole les concernait exclusivement, ou bien si elle était universelle dans son application. Tel sera le point de départ de la troisième comparaison annoncée plus haut (note du v. 35), celle du majordome récompensé ou puni selon que son maître, arrivant à l’improviste, le trouvera fidèle ou infidèle.

Luc 12.42 Le Seigneur répondit : « Quel est l’économe fidèle et sage que le maître établira sur ses serviteurs, pour distribuer, au temps convenable, la mesure de froment ? – Jésus ne répond pas directement à la demande du prince des Apôtres ; il semble même continuer son discours comme s’il n’en tenait aucun compte. Et pourtant il fait en réalité une réponse claire, quoique indirecte, puisqu’il se met à parler, non plus d’un serviteur en général, mais d’un intendant préposé à tous les domestiques de la maison. « L’exemple suivant semble être proposé aux dispensateurs, c’est‑à‑dire aux prêtres », S. Ambroise, h. l. cf. Théophylacte. Dans les vv. 42-44 il s’agit des bons majordomes et de leur récompense ; dans les vv. 45-48, des mauvais intendants et de leur punition. – Quel est… La forme interrogative rend la pensée plus piquante. Pierre et les autres disciples sont ainsi invités à réfléchir attentivement, pour voir s’ils ne seraient pas eux‑mêmes figurés par celui dont Jésus va décrire la conduite bonne ou mauvaise. – l’économe, un serviteur supérieur, à qui l’on confiait la juridiction sur les autres serviteurs, et parfois diverses fonctions non moins délicates, telles que la comptabilité en tout ou en partie. Les adjectifs fidèle, sage, désignent fort bien les deux qualités principales d’un majordome. « Tout ce que l’on demande aux intendants, c’est d’être trouvés dignes de confiance », disait S. Paul au sujet de la première, 1 Corinthiens 4, 2. Xénophon paraît les commenter l’une et l’autre quand il écrit, Mem. 3, 4 : « Les bons intendants sont comme les bons généraux. Leurs obligations consistent à commander et à rendre leurs inférieurs bien disposés et obéissants, à distribuer les récompenses et les châtiments, à être les gardiens fidèles des possessions, à se montrer soigneux et industrieux, à procurer des auxiliaires et des alliés, enfin à vaincre tous les ennemis ». – Pour leur donner au temps convenable… Expression qu’on ne trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament. Nouvelle allusion aux coutumes anciennes. Au lieu de distribuer journellement aux esclaves leur nourriture, en la leur donnait parfois pour tout un mois, et tel était en particulier le cas à Rome, du moins en ce qui concerne le pain. La portion mensuelle consistait en quatre boisseaux de blé, ce qui correspondait par jour à un peu plus de deux livres.

Luc 12.43 Heureux ce serviteur, que le maître, à son arrivée, trouvera agissant ainsi. 44 Je vous le dis, en vérité, il l’établira sur tous ses biens. – cf. Matth. 24, 45-47 et le commentaire. Le v. 43 énonce en termes généraux la récompense de l’intendant fidèle ; le suivant la détermine d’une manière explicite : il l’établira sur tout ce qu’il possède ; rôle d’autant plus glorieux et sublime que le maître de la parabole ne diffère pas de Dieu. 

Luc 1245 Mais si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître tarde à venir et qu’il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, 46 le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne s’attend pas et à l’heure qu’il ne sait pas et il le fera déchirer de coups et lui assignera sa part avec les infidèles. – Voyez S. Matthieu, 24, 48-51 et l’explication. Quel triste contraste. Nous entendons ici l’odieux soliloque d’un majordome infidèle qui, spéculant sur l’absence prolongée de son maître, abuse indignement de l’autorité qu’on lui a confiée. Mais aussi, comme il sera châtié quand le père de famille, rentrant au moment où on l’attendra le moins, surprendra le coupable en flagrant délit. Il sera condamné à d’affreux supplices (car les maîtres avaient sur leurs esclaves le droit de vie et de mort). Mais les mots et lui donnera sa part avec les infidèles représentent une peine plus terrible encore d’après ce passage parallèle de l’Apocalypse, 21, 8 : « la part qui leur revient, c’est l’étang embrasé de feu et de soufre, qui est la seconde mort. ».

Luc 12.47 Ce serviteur-là qui aura connu la volonté de son maître et qui n’aura rien tenu prêt, ni agi selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups. 48 Mais celui qui ne l’aura pas connue et qui aura fait des choses dignes de châtiment, recevra peu de coups. On exigera beaucoup de celui à qui l’on a beaucoup donné et plus on aura confié à quelqu’un, plus on lui demandera. – A l’idée du châtiment infaillible qui atteint les mauvais serviteurs de Dieu, ces versets en ajoutent une autre. Ils nous apprennent que la punition sera en raison directe de la culpabilité, et que la culpabilité se mesurera d’après le degré de connaissance. Rien de plus juste, par conséquent, que les jugements divins. – Le serviteur qui a connu la volonté… Tel était l’économe mentionné précédemment, tels étaient les Apôtres et les disciples de Jésus. cf. Jean 15, 15. En pareil cas, lorsqu’on désobéit on ne peut apporter aucune excuse, car l’on a commis une faute de pure malice ; aussi est‑on châtié en toute rigueur de justice. On sait que le fouet était le châtiment habituel des esclaves. – Celui qui ne l’aura pas connue… Au serviteur grièvement coupable, et grièvement puni parce qu’il a enfreint en pleine connaissance de cause les ordres de son maître, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ en oppose un autre, qui a transgressé les mêmes ordres, mais sans le savoir, et de celui‑ci encore il affirme qu’il sera châtié, quoique avec moins de sévérité. On est tout d’abord surpris de cette assertion. « Pourquoi l’ignorant est‑il puni ? » se demandait déjà Théophylacte. Mais il donne aussitôt la vraie réponse : « Parce que, tandis qu’il pouvait s’instruire, il ne l’a pas voulu, et que, par sa paresse, il est lui‑même la cause de son ignorance ». Il s’agit donc d’une ignorance coupable, puisque Jésus parle d’un serviteur, et qu’un serviteur ne peut guère ignorer que par sa faute la volonté de son maître. cf. Romains 2, 12. Du reste, depuis la législation mosaïque jusqu’à nos jours, il n’est pas de code pénal qui n’inflige quelque punition pour les délits commis par ignorance. cf. Lévitique 5, 17-19. – On exigera beaucoup de celui à qui l’on a beaucoup donné… Autre règle des jugements divins. Elle est analogue à la précédente, quoique un peu plus générale. La pensée qu’elle exprime est répétée deux fois de suite dans deux phrases parallèles : les verbes donné (un don pur et simple) et confié (un dépôt) établissement seuls une légère différence, qui existe d’ailleurs beaucoup plus dans la forme que dans l’idée. 

Luc 12.49 Je suis venu jeter le feu sur la terre et comme je désire qu’il soit déjà allumé. – « Quel lien ces mots ont‑ils avec ce qui précède, écrit Maldonat sur ce passage, je n’estime pas devoir le chercher. Car ils ont été dits par d’autres personnes, et peut‑être en d’autre temps et en d’autres lieux, par le Christ. ». Beaucoup d’exégètes se rangent à ce sentiment ; mais il en est d’autres aussi, et nous sommes de ce nombre, qui ne le partagent pas. Nous avons plus d’une fois indiqué nos raisons dans le cours de ce chapitre. Quoiqu’il ne faille pas chercher toujours dans les discours de Notre‑Seigneur une suite de pensées qui s’enchaînent rigoureusement, nous ne croyons pas qu’on soit en droit de reprocher aux vv. 49-53 un manque absolu de liaison avec les parties antérieures de l’instruction. Jésus vient d’exhorter assez longuement les siens à la vigilance, à la fidélité. Il achève maintenant la double série de ses avis par une idée analogue à celle que nous avons lue dès le début, vv. 4-9 ; c’est‑à‑dire que, rappelant aux disciples présents et à venir la lutte inévitable qu’ils devaient soutenir contre le monde, il les presse, et tout d’abord par son propre exemple, d’opposer un cœur courageux aux persécutions qui les attendent. – Je suis venu jeter le feu sur la terre. Tite de Bosra (Cat. S. Thomae) trouve à bon droit dans cette parole une allusion à l’origine divine du Sauveur : « Il faut rattacher cela à sa venue du ciel. Car s’il était venu de la terre sur la terre, il n’aurait pas dit : je suis venu envoyer le feu sur la terre ». Mais le sens exact du texte considéré dans son ensemble n’est pas aussi clair que cette légitime déduction. La difficulté principale porte sur le mot feu, au sujet duquel les exégètes sont loin de s’accorder. La plupart des Pères (voyez les citations dans Maldonat) l’entendent de l’Esprit Saint. Nous dirons néanmoins, d’accord cette fois avec l’illustre Jésuite : « Si nous regardons ce qui précède et ce qui suit, nous ne voyons pas clairement le lien qui les rattache l’un à l’autre ». Théophylacte et Euthymius pensent que Jésus a voulu parler du feu du zèle ou de la charité ; mais nous rejetterons encore cette opinion pour le même motif. N’est‑il pas à la fois plus simple et plus littéral, comme s’exprime D. Calmet (cf. Luc de Bruges), de croire qu’il s’agit du feu de la persécution, de la discorde religieuse que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, quoique prince de la paix, devait nécessairement lancer au milieu de la société qu’il venait régénérer ? Les vv. 51-53 le prouvent, ainsi que l’observait déjà très judicieusement Tertullien, Adv. Marc. 4, et ce sentiment est confirmé par plusieurs passages de la Bible où les mots feu, flamme, désignent le malheur, la souffrance. – Et comme je désire qu’il soit déjà allumé ? Jésus ne pouvait pas désirer en elles‑mêmes les persécutions dirigées contre son Église naissante, les effervescences si terribles des guerres de religion : Mais il les désirait en pensant aux conséquences heureuses qu’elles devaient produire. Puisque la lutte du mal contre le bien était nécessaire, puisqu’elle devait contribuer à répandre partout et à affermir son royaume, il ne pouvait s’empêcher de souhaiter qu’elle embrasât au plus tôt le monde entier. « Comme un conquérant qui brûle d’ardeur de voir commencer une bataille dont le gain lui est assuré, et qui doit le remettre en possession de ses États injustement usurpés », D. Calmet.

Luc 12.50 Je dois encore être baptisé d’un baptême et quelle angoisse en moi jusqu’à ce qu’il soit accompli. – Mais, avant que les flammes de la persécution viennent créer dans le monde un immense incendie, Jésus devait subir le premier, et plus que tous les siens, les plus violentes épreuves. C’est pour cela qu’il s’écrie, prononçant une autre parole sublime : Je dois encore être baptisé d’un baptême… Nous avons la métaphore de l’eau après celle du feu ; mais ici le sens ne saurait être douteux, cette même locution désignant d’une manière très claire dans le second Évangile (10, 38 et 39 ; voyez le commentaire) les eaux amères de la Passion, qui étaient sur le point de passer sur Notre‑Seigneur comme une inondation terrible. De nouveau le divin Maître nous fait connaître les sentiments de son cœur en face de cette sombre prévision : quelle angoisse en moi jusqu’à ce qu’il soit accompli…. Il n’y a qu’un instant il éprouvait de vifs désirs (v. 49) ; les commentateurs hésitent pour déterminer son impression actuelle, le verbe dans le texte grec pouvant désigner, d’après son usage biblique et profane, les angoisses de la crainte ou les élans les plus ardents de la volonté. Divers modernes adoptent le premier sens et voient, dans cette exclamation de Jésus, « un prélude de Gethsémani » (Gess), « la première trace du conflit qui se livrait dans l’âme du Christ à l’approche de sa mort » (Neander), « un cri indéniable de lamentation arraché à la faiblesse humaine du Dieu‑homme » (Stier). Nous préférons, à la suite de S. Ambroise, de Théophylacte et de la plupart des auteurs catholiques, nous arrêter à la seconde acception, d’après laquelle Jésus manifesterait au contraire, par suite de son amour pour nous, un ardent désir de consommer au plus tôt sa Passion, afin de nous racheter au plus tôt.

Luc 1251 Pensez-vous que je sois venu établir la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais bien la division. 52 Car désormais, s’il y a cinq personnes dans une maison, elles seront divisées, trois contre deux et deux contre trois, 53 le père sera divisé contre son fils et le fils contre son père, la mère contre sa fille et la fille contre sa mère, la belle-mère contre sa belle-fille et la belle-fille contre sa belle-mère. » Dans ce verset et dans les deux suivants, Notre‑Seigneur expose d’une manière dramatique les effets de la persécution prédite un peu plus haut. C’est, quant à la pensée, la reproduction exacte d’une prophétie qu’il avait faite autrefois aux Douze (Matth., 10, 34-35) ; mais l’expression est plus vivante et plus complète. Le tour interrogatif donné aux premières paroles, pensez‑vous que je sois venu établir la paix…, la réponse emphatique Non, l’assertion solennelle vous dis‑je, méritent déjà l’attention sous ce rapport. Il est vrai que division n’a pas le caractère pittoresque de glaive. Mais l’énumération qui suit, et qui commente pour ainsi dire le mot division, la description des deux camps ennemis que le Christianisme est venu créer dans une même famille, sont certainement dignes de S. Luc. – Cinq personnes seront divisées. Les cinq membres de la famille sont, d’après le v. 53, le père, la mère, la fille, le fils et la belle‑fille, c’est‑à‑dire la femme du fils, ce dernier étant censé n’avoir pas encore de ménage à part et vivre dans la maison de ses parents. – Trois contre deux et deux contre trois. Deux représente le père et la mère, trois désigne les enfants. Ceux‑ci ont accepté la religion de Jésus ; ceux‑là se sont endurcis dans leurs vieux préjugés : détail délicat et d’une grande vérité psychologique. Ainsi donc les liens les plus forts et les plus saints ont été soudainement brisés à l’occasion du Christ et de sa doctrine. – Le père contre le fils… la belle‑fille contre sa belle‑mère. La lutte du père avec le fils et de la mère avec la fille : la guerre part du sein même de la famille, il n’y a donc pas de mouvement ; le conflit de la mère avec la bru vient du dehors, et elle éclate en outre avec plus d’intensité.

Luc 12.54 Il disait encore au peuple : « Lorsque vous voyez un nuage se lever à l’ouest, vous dites aussitôt : La pluie vient et cela arrive ainsi. 55 Et quand vous voyez souffler le vent du sud, vous dites : Il fera chaud et cela arrive. 56 Hypocrites, vous savez reconnaître les aspects du ciel et de la terre, comment donc ne reconnaissez-vous pas le temps où nous sommes ? – Les paroles contenues dans ces versets sont une répétition légèrement variée de Matth. 16, 1-4 (voyez l’explication). – Lorsque vous voyez un nuage s’élever à l’ouest … par conséquent, du côté de la Méditerranée. Les vents, en traversant la mer, s’imprègnent de vapeurs qui ne tardent pas à se transformer en nuages pluvieux. Aussi, dès que les Juifs voyaient les nuages accourir des régions occidentales, ils s’écriaient spontanément, sans qu’ils eussent besoin de réfléchir : la pluie vient, et ils ne se trompaient pas, car une antique expérience leur donnait raison, cela arrive. cf. 1 Rois 18, 44. – Quand vous voyez souffler le vent du sud… C’est le contraire. Les vents d’Est, avant d’arriver sur la Palestine, traversent les déserts d’Arabie où ils deviennent brûlants : ils apportaient donc infailliblement aux Juifs de grandes chaleurs. cf. Job. 37, 17. – Hypocrites. Par cette épithète sévère, mais juste, le Sauveur flagelle l’inconséquence que ses concitoyens manifestaient dans leur conduite. Lorsqu’il fallait simplement apprécier l’aspect du ciel et de la terre, ils étaient des physionomistes parfaits ; mais, dès qu’il était question d’apprécier ce que Jésus appelle le temps où nous sommes, c’est‑à‑dire les jours de salut que sa présence et son œuvre leur avaient apportés, ils n’y entendaient plus rien. Quelle triste contradiction. Sans doute, « il est utile de connaître les pluies qui vont venir… ainsi que l’intensité des vents. Il importe au navigateur de prévoir les périls de la tempête ; au voyageur, les changements de temps ; au cultivateur, l’abondance des fruits », S. Basile, Hom. 6 in Hexam. Aussi, comme le dit le poète (Virg. Georg. 1, 351-353) : « Pour que nous apprenions ces choses par des signes certains, 

le Père lui‑même a établi les canicules, les pluies et les vents frigorifiques ». Mais ne devait‑on pas avoir l’esprit encore plus ouvert aux signes par lesquels le Dieu de la révélation avait rendu si visible l’approche de l’ère messianique ?

Luc 12.57 Et comment ne discernez-vous pas de vous-mêmes ce qui est juste ? – Jésus répète solennellement son blâme, en appuyant sur les mots par vous-mêmes, montrant ainsi que des illettrés eux-mêmes, aidés de leur simple bon sens, étaient capables de discerner ce qui est juste, c’est‑à‑dire, comme il résulte du contexte, les justes jugements par lesquels Dieu se vengera de ceux qui auront méconnu son Christ.

Luc 12.58 En effet, lorsque tu te rends avec ton adversaire devant le magistrat, tâche en chemin de te dégager de sa poursuite, de peur qu’il ne te traîne devant le juge et que le juge ne te livre à l’officier de justice et que celui-ci ne te jette en prison. 59 Je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n’aies payé jusqu’à la dernière obole. »Cette petite parabole est intimement liée au v. 57, qu’elle a pour but de confirmer. A peu de différence près, Jésus l’avait déjà proposée dans le discours sur la montagne, Matth. 5, 25 et ss. ; mais alors il s’en servait pour recommander d’une manière spéciale la charité à l’égard du prochain, tandis que l’application actuelle est généralisée, spiritualisée pour ainsi dire. L’idée dominante est celle‑ci : Pendant qu’il en est temps encore, faites la paix avec Dieu s’il a sujet d’être irrité contre vous, de crainte que vous n’encouriez des châtiments éternels. Les détails particuliers, qu’il ne faut d’ailleurs pas presser outre mesure dans l’explication, sont empruntés aux coutumes judiciaires des anciens. – Obole. Dans le texte primitif, c’était la plus petite des monnaies divisionnaires chez les Grecs, la huitième partie de l’« as ». On voit par là combien seront rigoureux les jugements divins.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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