Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

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CHAPITRE 14

Luc 14.1 Un jour de sabbat, Jésus étant entré dans la maison d’un des principaux Pharisiens pour y prendre son repas, ceux-ci l’observaient. – L’évangéliste ne mentionne ni le lieu, ni la date. La scène se passa vraisemblablement dans une autre contrée que l’épisode raconté à la fin du chap. 13. – Dans la maison d’un des principaux pharisiens. Expression qu’il ne faut pas vouloir trop presser, car les Pharisiens, en tant que parti, n’avaient pas de chefs officiels. Elle signifie simplement que l’hôte était un des hommes influents de la secte. On n’a aucune raison spéciale de faire de lui un chef de synagogue, ou même un membre du Sanhédrin (Grotius). – pour y prendre son repas, le Sauveur était entré dans la maison des Pharisiens sur une invitation formelle. – Un jour de sabbat. Cette circonstance de temps est importante pour la suite du récit. cf. v. 3 et ss. Elle s’accorde fort bien avec la coutume, toujours précieusement suivie par les Juifs, de fêter le samedi par des repas plus soignés, plus copieux, auxquels ils invitent leurs parents, leurs amis, et même les étrangers et les pauvres. cf. Tobie 2, 5 ; Néhémie 8, 9-12. « Il est interdit de jeûner le sabbat. Les hommes sont tenus, au contraire, de prendre plaisir au boire et à la nourriture. La convivialité est de rigueur le sabbat plus que pour les autres jours », Maimonide, Sabb. c. 30. « Accueille le sabbat avec un vif appétit : que ta table soit couverte de poisson, de viande, et d’un vin généreux. Que les sièges soient moelleux et ornés de splendides coussins ; que l’élégance sourie dans la manière dont la table sera garnie. » Telles étaient les recommandations des Rabbins, et on les prenait si bien au sérieux que la sainte joie du sabbat dégénérait souvent en excès de tout genre, comme nous l’apprennent non seulement les Pères de l’Église (cf. S. Jean Chrys. de Lazaro, Hom. 1 ; S. August. Enarrat. 2 in Ps. 32, 2 ; Serm. 9, 3), mais les païens eux‑mêmes, Plutarque par exemple, qui en prend occasion de railler les Juifs. – Ceux‑ci l’observaient. Toute l’assistance était donc occupée à épier les paroles et les actes du Sauveur. Cela prouve dans quel esprit avait eu lieu l’invitation. cf. 6, 7 ; 20, 20 ; Marc. 3, 2 ; Psaume 36, 32. Mais, « Bien qu’il connaisse la malice des Pharisiens, le Seigneur s’est quand même fait leur convive, pour être de quelque profit, par ses miracles et par ses paroles, à tous ceux qui étaient présents », S. Cyrille, Cat. D. Thom. L’amour de Jésus ne se lassait jamais.

Luc 14.2 Et voici qu’un homme hydropique se trouvait devant lui. – La narration est pleine de pittoresque. Quelque temps avant que le repas commençât (cf. v. 7), voici qu’un homme atteint d’hydropisie, maladie toujours grave et souvent incurable (notez l’expression technique, on ne la retrouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament), apparut tout à coup devant Jésus. Ce n’était certainement pas un convive. Peut‑être, ainsi qu’on l’a conjecturé, avait‑il été amené là par les Pharisiens comme un piège vivant pour le Sauveur. Mais, selon la juste remarque de Maldonat, il semble que dans ce cas « l’évangéliste n’aurait pas passé cela sous silence, lui qui n’a pas tu que les Pharisiens avaient les yeux fixés sur le Seigneur pour l’observer ». Nous croyons donc plus probable que le malade, profitant de la liberté des mœurs orientales, s’était glissé de lui‑même dans la maison avec l’espoir d’être guéri. Quoi qu’il en soit, le piège, s’il existait, fut promptement déjoué par Notre‑Seigneur.

Luc 14.3 Jésus, prenant la parole, dit aux Docteurs de la Loi et aux Pharisiens : « Est-il permis de faire une guérison le jour du sabbat ? » 4 Et ils gardèrent le silence. Lui, prenant cet homme par la main, le guérit et le renvoya. – Jésus va répondre aux plus secrètes pensées de ses adversaires. Précédemment déjà, 6, 9, nous avons vu le Sauveur prendre l’initiative dans une circonstance analogue, et couvrir les Pharisiens de confusion par cette simple question. Le résultat fut ici le même : ils gardèrent le silence, n’osant ni parler ni remuer. Complètement justifié par un pareil silence (car, si l’acte qu’il méditait eût été illégal, ces maîtres en Israël, publiquement consultés, n’étaient‑ils pas tenus de l’en avertir ?), Jésus répond lui‑même d’une manière pratique à sa question : ayant pris doucement le malade par la main, il le guérit. Admirons le récit, qui n’est pas moins rapide que les faits.

Luc 14.5 Puis, s’adressant à eux, il dit : « Qui de vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits, ne l’en retire aussitôt le jour du sabbat ? » – Le miracle accompli, Notre‑Seigneur légitime sa conduite par un raisonnement irréfutable, que nous avons déjà rencontré en substance dans le premier Évangile, 12, 11 (voyez le commentaire), à propos d’une guérison du même genre. cf. aussi Luc. 13, 15. Il en appelle à leur propre manière de faire, et montre la contradiction dans laquelle ils tombent lorsque, d’une part, ils lui reprochent avec tant d’acrimonie les guérisons qu’il opère aux jours de sabbat, tandis que, d’autre part, ils ne craignent pas, en ces mêmes jours, de se livrer à de gros travaux pour extraire d’un fossé, d’une citerne, leur âne ou leur bœuf qui y est tombé. – Les anciens exégètes, rapprochant ce miracle de la guérison racontée un peu plus haut (13, 15) par S. Luc, ont ingénieusement relevé l’à‑propos avec lequel Jésus modifie ses démonstrations, de façon à les mieux faire cadrer avec les circonstances extérieures. « Notre‑Seigneur compare très‑justement l’hydropique à un animal tombé dans un puits, une telle maladie provenant de l’excès des humeurs : de même, parlant de cette femme courbée depuis dix‑huit ans et qu’il avait délivrée, il la compare à un animal qu’on délie pour le mener à l’abreuvoir. ». S. August. Quaest. Evangel. 2, 29.

Luc 14.6 Et à cela ils ne surent que lui répondre.– Plus haut, v. 4, les Pharisiens s’étaient tus parce qu’ils n’avait pas « voulu » répondre ; maintenant leur silence est forcé et provient de l’embarras. Quelle riposte auraient‑ils pu faire à la démonstration si frappante de Jésus ? C’est ainsi que Notre‑Seigneur débarrassait peu à peu l’institution sabbatique des observances mesquines sous lesquelles l’étouffait à demi une tradition inintelligente.

Luc 14.7 Ensuite, ayant remarqué l’empressement des invités à choisir les premières places, Jésus leur dit cette parabole : – Plus haut, Notre‑Seigneur avait parlé à toute l’assemblée : actuellement il se propose de donner une instruction spéciale aux invités, à l’occasion d’un abus qu’il signalera encore plus tard, 20, 46, et que l’évangéliste retrace ici en termes pittoresques. Le tableau de ces misérables petites manœuvres se dresse de lui‑même sous les yeux du lecteur. Elles devaient se renouveler fréquemment, comme on pourra en juger par ce fait étrange emprunté au Talmud, où l’on voit peintes au vif les prétentions orgueilleuses du parti rabbinique. Un jour que le roi Alexandre Jannée donnait à dîner à plusieurs satrapes persans, Siméon ben Schétach se trouvait au nombre des convives. A peine entré dans la salle du festin, le Rabbi alla tout droit s’asseoir entre le roi et la reine, à la place d’honneur. Et, comme on lui reprochait cette arrogante intrusion : N’est‑il pas écrit dans le livre de Jésus fils de Sirach (Ecclésiastique 15, 5), répondit‑il sans hésiter : « Exalte la sagesse, et elle t’exaltera et te fera asseoir parmi les princes ? » Voilà jusqu’où allait l’infatuation des théologiens juifs à cette époque : les leçons du Sauveur venaient donc fort à propos pour guérir cette autre forme d’hydropisie, l’hydropisie du cœur. Ayant remarqué. Jésus est observé par ses adversaires (cf. v. 1) ; mais lui aussi il observe : seulement, il le fait par esprit de charité, tandis que leur but manifeste était la malice. – Nous prenons le mot parabole dans un sens large. cf. l’Évangile selon S. Matth. Maldonat suppose sans raison que Notre‑Seigneur aurait placé ici une vraie parabole, omise par S. Luc, et dont la morale seule serait restée.

Luc 14.8 « Quand tu seras invité par quelqu’un à des noces, ne prends pas la première place, de peur qu’il n’y ait un homme plus considéré que toi 9 et que celui qui vous aura invités l’un et l’autre ne vienne te dire : Cède-lui la place et qu’alors tu ne commences avec confusion à occuper la dernière place. – L’emploi de la seconde personne au singulier, dans les vv. 8-10, communique à l’apostrophe beaucoup de vie et de chaleur. – A des noces, c’est‑à‑dire à un repas de noces. Avec quelle délicatesse le bon Maître donne sa leçon. Il semble ne faire aucune allusion directe à ce qui se passait sous ses yeux. – Ne prends pas à la première place. La place du milieu sur chaque lit de table à trois places était regardée comme la plus honorable, et le lit central recevait les principaux convives. – Celui qui vous a invités : ellipse selon la mode hébraïque. – La scène est admirablement décrite : nous voyons les personnages se mouvoir, nous entendons leurs paroles ; je crois apercevoir l’orgueilleux invité qui, la rougeur au front et tout décontenancé, s’en va de la première à la dernière place, au bout du lit le plus éloigné.

Luc 14.10 Mais lorsque tu seras invité, va te mettre à la dernière place, de cette façon, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : Mon ami, monte plus haut. Alors ce sera pour toi un honneur devant les autres convives.– Nouveaux détails pittoresques, mais pour recommander une conduite toute contraire à celle du v. 8, et pour signaler les avantages de la modestie. Voyez des conseils analogues au livre des Proverbes, 25, 6 et 7, et dans le Talmud, Vajikra Rabba, f. 164, 4. De cette façon indique moins le but qu’un résultat, car Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ne voulait évidemment pas enseigner ici une pratique de simple politesse mondaine, basée sur des motifs égoïstes, c’est‑à‑dire mettre un orgueil plus raffiné à la place de la grossière vanité. Sa pensée va plus loin que ses paroles, et, sous cette forme aimable, il cache une leçon de profonde humilité, comme le prouve la sentence générale du v. 11.

Luc 14.11 Car quiconque s’élève sera abaissé et quiconque s’abaisse sera élevé. Car quiconque s’élève… Nous retrouvons ailleurs (18, 14 ; Matth. 23, 12) ce même adage solennel. Il correspond à un décret providentiel dont l’expérience prouve la fidèle exécution. Même le paganisme en avait entrevu la vérité ; témoin ce mot si juste échappé à Ésope, un jour qu’on lui avait demandé quelle était l’occupation des dieux : « Abaisser les orgueilleux, relever les humbles ». Et les hommes, précisément parce qu’ils sont tous orgueilleux, aiment comme Dieu, à élever les humbles et à rabaisser les orgueilleux.

Luc 14.12 Il dit aussi à celui qui l’avait invité : « Lorsque tu donnes à dîner ou à souper, n’invite ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour et ne te rendent ce qu’ils auront reçu de toi.Il dit aussi : nouvelle formule de transition. cf. v. 7. – Dîner ou souper. Le premier de ces deux substantifs désigne le repas du matin, ou grand déjeuner ; le second, le repas du soir, le dîner. – N’invite ni tes amis… Notre‑Seigneur mentionne quatre catégories de personnes qui sont habituellement invitées aux repas des riches. En premier il place les amis, ces frères que l’on s’est soi‑même choisis, comme dit le poète arabe ; viennent ensuite les frères selon la nature, puis les parents en général, enfin les voisins. Il est vraisemblable que c’est sur ces derniers seulement que retombe l’épithète riches. Cependant, de nombreux exégètes la rattachent aux quatre substantifs qui précèdent, et cela est au moins vrai dans la pensée. – De peur qu’ils ne t’invitent… Ces mots contiennent le motif de la recommandation du Sauveur. Hélas. Ils expriment une crainte que le monde ne connaît guère, puisqu’il est plus que jamais de mode d’inviter afin d’être soi‑même réinvité (sur l’ancienne coutume de rendre repas pour repas, voyez Xénophon, Sympo. 1, 15). Mais alors on a reçu sa récompense. cf. 6, 24 ; Matth. 6, 2, 5, 16. cf. aussi le vers de Martial :

« Tu demandes des charges, Sexte, non des amis ». S. Ambroise écrivait de même : « Être généreux envers ceux qui nous le rendent est un signe d’avarice ».

Luc 14.13 Mais, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles, 14 et tu seras heureux de ce qu’ils ne peuvent te rendre la pareille, car cela te sera rendu à la résurrection des justes. »Mais introduit un frappant contraste. – Aux quatre catégories de riches et d’amis qu’on invite dans l’espoir d’obtenir d’eux en retour quelque faveur, Jésus oppose quatre catégories de malheureux dont on n’a rien à attendre ici‑bas, sauf peut‑être quelque sentiment ou parole de reconnaissance (les estropiés : de même au v. 21. Mais, en revanche, quelle belle récompense on recevra de celui qui ne perd pas de vue un simple verre d’au donné en son nom. Aussi Notre‑Seigneur, avec une emphase visible, proclame‑t‑il bienheureux quiconque se rendra digne de l’obtenir. – L’expression à la résurrection des justes correspond à la résurrection de vie de S. Jean, 5, 29 (cf. Psaume 1, 5), et désigne les joies éternelles du ciel. – Il est à peine besoin de noter que ce conseil de Jésus est présenté, comme plusieurs autres, sous une forme paradoxale, à la manière de l’Orient, et qu’on tomberait dans d’étranges exagérations si on voulait le pratiquer à la lettre, d’une façon absolue, ainsi que l’ont fait plusieurs sortes d’illuminés. « Jésus laisse à leur place les invitations qui naissent des devoirs naturels et civils. Il en prescrit de meilleures, mais n’enlève pas totalement les obligations humanitaires », dit un ancien commentateur. Le but du Sauveur n’est pas de brouiller les relations sociales, mais de mettre la charité à la place de l’égoïsme, de rappeler aux siens la pensée des pauvres. « N’invite pas… » du v. 12 signifie donc : « n’invite pas seulement… mais aussi… ». D’ailleurs la Loi mosaïque exhortait déjà fortement les riches à inviter les pauvres dans certaines circonstances particulières. cf. Deutéronome 12, 5-12 ; 14, 28-29 ; 15, 11 ; 26, 11-13 ; Néhémie 8, 10. Le Talmud parle dans le même sens : « R. Siméon a avancé ceci : celui qui se réjouit pendant les jours de fête sans donner à Dieu la part qui lui revient, cet homme‑là est un envieux. Satan le hait, l’accuse, le livre à la mort, et lui inflige de grands supplices. Donner à Dieu sa part c’est rendre heureux les pauvres, autant que chacun le peut », Sohar Genes. f. 8, col. 29. Les païens eux‑mêmes avaient compris cette vérité : « Pour que quelqu’un soit libéral, je veux qu’il donne à ses amis, mais, par amis, j’entends les pauvres. Je ne parle pas de ceux qui donnent abondamment à ceux qui peuvent donner abondamment en retour », Pline, Ep. 9, 30. « A nos fêtes, nous devons inviter, non pas nos amis, mais les pauvres et les misérables : s’ils ne peuvent nous récompenser, ils appelleront par leurs vœux des bénédictions sur nous ». Platon, Phèdr. 233. cf. Cicéron, de Offic. 1, 15 ; Dio Chrys. 1, 252. 

Luc 14.15 Un de ceux qui étaient à table avec lui, ayant entendu ces paroles, dit à Jésus : « Heureux celui qui aura part au banquet dans le royaume de Dieu. »Un de ceux qui étaient à table… L’occasion de la parabole est rapidement indiquée par cette petite introduction historique. – L’exclamation Heureux celui qui… se rattachait d’une manière assez naturelle aux dernières paroles de Jésus (cf. v. 14) : elle y ajoutait la métaphore bien connue, qui compare le bonheur éternel des cieux à un joyeux festin. Voyez 23, 29 ; Matth. 8, 11 ; Apocalypse 19, 9. Sortait‑elle spontanément d’un cœur pieux et sincère ? Ou bien n’était‑ce qu’un expédient habile pour détourner la conversation d’un sujet qui devait être peu agréable pour la plupart des assistants ? Il est assez malaisé de le déterminer avec certitude. Déjà les anciens exégètes étaient en désaccord sur ce point : aujourd’hui les voix se partagent de la même manière, et tandis que les uns, prenant en mauvaise part les paroles de l’interrupteur, les regardent presque comme une platitude (Farrar), les croient tout à fait hors de saison (Stier), les autres y voient une marque de joyeux enthousiasme (Olshausen) et de vive sympathie pour Jésus (Trench). Extérieurement, rien ne montre qu’elles fussent dictées par l’hypocrisie ; mais la défiance est bien permise quand il s’agit des relations de la secte pharisaïque avec Notre‑Seigneur.

Luc 14.16 Jésus lui dit : « Un homme donna un grand repas et y convia beaucoup de gens. Sur la non identité de cette parabole avec celle que nous lisons au chap. 22 de S. Matthieu, vv. 1 et ss., cf. commentaire S. Matth. Sans doute, elles représentent l’une et l’autre le royaume des cieux sous l’emblème d’un festin auquel un grand nombre d’hommes sont invités, et dont beaucoup s’abstiennent d’une manière pleine d’irrévérence. Mais, indépendamment des circonstances de temps et de lieu, qui diffèrent certainement, « là s’arrête le parallélisme. Dans S. Matthieu, le festin est donné par un roi, les invitations sont rejetées avec dédain, ce qui constitue un acte de rébellion, lequel est consommé par le meurtre des serviteurs, mais est bientôt puni par la mort des rebelles ; les bons et les mauvais sont réunis dans la salle du festin, et, finalement, un des convives est mis à la porte… parce qu’il ne s’est pas revêtu d’une robe nuptiale. Ici, au contraire, c’est un homme privé qui donne le repas ; les invitations sont déclinées avec quelque apparence de respect, de façon à dénoter plutôt l’indifférence qu’un antagonisme ouvert ; le châtiment ne consiste que dans l’exclusion des premiers invités…; il n’y a pas la moindre trace d’un incident analogue à celui de l’hôte dépourvu de vêtement nuptial ». – En toute hypothèse Jésus ne se laissa ni distraire, ni troubler par l’exclamation de ce convive. Il saisit au contraire l’occasion pour donner à toute l’assemblée une troisième leçon empruntée, comme les deux précédentes, à la circonstance du moment. – Un homme. « Cet homme est Dieu le Père, selon que les images sont configurées à la ressemblance de la réalité ». – Il y a une emphase visible dans les adjectifs « grand, beaucoup », qui relèvent la richesse du festin, la multitude des invités, c’est‑à‑dire, d’un côté, la munificence avec laquelle Dieu traitera ses élus, de l’autre, l’infinie bonté qui lui fait offrir le salut à tous les hommes. Mais, directement et d’après le contexte, les « nombreux » appelés les premiers sont les chefs de la théocratie juive (cf. S. Cyrille, in Cat. S. Thom.) ; le « grand festin » auquel on les invite représente le royaume du Messie, l’Église chrétienne, soit ici‑bas, soit dans son éternelle consommation.

Luc 14.17 A l’heure du repas, il envoya son serviteur dire aux invités : Venez, car tout est déjà prêt. – Nous avons déjà mentionné ailleurs (Evang. selon S. Matth. p. 241) la coutume orientale qui consiste à lancer, au moins dans les grandes occasions, plusieurs invitations consécutives. La dernière a lieu au moment même du festin sous une forme très pressante. Venez, car le repas est prêt. Crient les serviteurs de celui qui offre le repas dans les villes syriennes, à la porte des invités. Ici, le serviteur n’est autre que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, qui a daigné prendre par amour pour nous la forme d’un esclave, Philippiens 2, 7. On peut aussi lui associer S. Jean‑Baptiste et les Apôtres, attendu qu’ils forment ensemble comme un tout moral ; mais c’est surtout de sa personne divine qu’il s’agit, car il annonçait avec une autorité et avec un zèle incomparables : tout est déjà prêt.

Luc 14.18 Et tous, unanimement, se mirent à s’excuser. Le premier lui dit : J’ai acheté une terre et il faut que j’aille la voir, je te prie de m’excuser. – Le divin narrateur appuie évidemment sur « unanimement » et sur « tous » ; car il est frappant de voir tous les invités s’excuser, c’est‑à‑dire s’abstenir, et il n’est pas moins étonnant qu’ils le fassent tous, d’un seul cœur, comme par suite d’une entente. – Jésus‑Christ signale, par manière d’exemple, trois des excuses qui furent alléguées. La première consistait dans le récent achat d’un domaine, ou même, selon le sens ordinaire en grec du mot terre, d’un simple champ, que l’acquéreur voulait visiter au plus vite : non sans doute qu’il l’eût acheté sans mais il avait hâte d’y pénétrer en maître pour la première fois, de le parcourir avec toute la joie qu’éprouve un nouveau propriétaire quand il contemple un immeuble après lequel il a longuement soupiré et que souvent il n’a pu obtenir qu’en triomphant de mille difficultés.

Luc 14.19 Le second dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs et je vais les essayer, je te prie de m’excuser. – Seconde excuse : Une emplette si importante ne mérite‑t‑elle pas qu’on aille immédiatement s’assurer de sa valeur ? Il ne m’est donc pas possible d’assister à votre repas.

Luc 14.20 Un autre dit : Je viens de me marier et c’est pourquoi je ne puis aller. – Si les excuses alléguées précédemment partaient d’un amour exagéré pour les biens de ce monde, la troisième provenait de la concupiscence de la chair, « qui entrave de nombreuses personnes » ajoute S. Augustin, de Verb. Dom. Serm. 33. Il est remarquable que celui qui la profère se montre dans son langage plus arrogant que les deux autres invités, comme l’a noté S. Grégoire, Hom. 36 in Evang. : « Celui qui, à cause d’une maison de campagne ou d’un bœuf de labour, refuse de participer au banquet de celui qui l’a invité mêle à son refus quelques paroles de politesse. Car, quand il a dit je te prie, la modestie résonne dans sa voix ». Oui, au moins dans la voix, quoique en refusant de venir, il se montrait méprisant dans son action. Le second se mettait pourtant plus à l’aise que le premier, car, tout en s’excusant, il se contentait de dire : Je pars, sans indiquer qu’il agissait d’après une nécessité vraie ou supposée (v. 18, il est nécessaire que …). Quant au troisième, il dit tout court, sans la moindre formule courtoise pour pallier son refus : Je ne puis aller ; lisez : Je ne veux pas y aller. Après tout, si la Loi juive (Deutéronome 24, 5) dispensait les nouveaux mariés du service militaire, pourquoi ne se seraient‑ils pas exemptés d’assister à un festin ? Cf. ce mot prononcé par Crésus en vue d’obtenir que son fils n’assistât pas à la grande chasse officielle qui eut pour lui une si fatale issue : « Ne me parlez pas davantage de mon fils ; je ne puis l’envoyer avec vous. Nouvellement marié, il n’est maintenant occupé que de ses amours… » (Hérodote, 1, 36). Un exégète allemand, Herberger, a supposé d’une manière bien ingénue que les trois invités de la parabole figuraient, dans l’intention du Sauveur, les trois sectes juives de ces temps, « les Esséniens adonnés à l’agriculture, les Pharisiens semblables à des taureaux violents et orgueilleux, les Sadducéens charnels ». Il y a plus de vérité dans ce distique d’Hildebert : « La maison de campagne, les bœufs, l’épouse exclurent du banquet les appelés. Le monde, les soucis, la chair ferment le ciel aux renés (baptisés).

Luc 14.21 Le serviteur étant revenu, rapporta ces choses à son maître. Alors le père de famille irrité dit à son serviteur : Va vite dans les places et les rues de la ville et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. – Quand il eut appris toutes ces choses, le « père de famille », comme on l’appelle maintenant, éprouva une juste colère. Sans doute les excuses qu’on lui avait transmises étaient jusqu’à un certain point plausibles en elles‑mêmes : aucune du moins n’était directement mauvaise ; mais elles étaient si tardives, n’arrivant qu’à l’heure du repas. Et puis, ne consistaient‑elles pas toutes en des intérêts mondains, qui devaient céder la place aux intérêts spirituels mis en cause dans notre parabole ? Il y avait une véritable impudence à les présenter ; on ne pouvait les recevoir sans affront. Néanmoins, après un premier mouvement d’irritation, le père de famille semble oublier les insulteurs, pour ne songer qu’au moyen de trouver promptement d’autres convives. Sa résolution est bientôt prise : Va vite dans   les places…, dit‑il à son serviteur ; le temps presse, puisque tout est prêt (v. 17). Il l’envoie sur les places et aussi dans les rues, dans les rues étroites de l’Orient, à travers lesquelles un cavalier ne peut souvent passer qu’à grand peine. Le mot de la ville est important pour l’application de la parabole, car il montre que le Seigneur va prendre encore dans le sein d’Israël les convives destinés à remplacer les invités indignes : « la ville » représente en effet d’une manière métaphorique la théocratie juive. Toutefois, au lieu des Pharisiens et des Sadducéens, des Scribes et des prêtres qui ont refusé de venir, il appelle maintenant les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, par lesquels sont figurées les brebis égarées de la maison d’Israël, les publicains et les pécheurs et l’ensemble du peuple. A part une légère interversion dans les derniers mots, l’énumération est ici la même qu’au v. 13, comme si Notre‑Seigneur voulait nous montrer une réalisation toute céleste du conseil qu’il avait donné précédemment.

Luc 14.22 Le serviteur dit : Seigneur, il a été fait comme vous l’avez commandé et il y a encore de la place. 23 Le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies et ceux que tu trouveras, force-les à entrer, afin que ma maison soit remplie. – Nous venons de voir la colère de l’hôte offensé faire place à un sentiment de profonde bienveillance ; mais voici que cette bonté, car c’est la bonté divine, se manifeste sous une forme vraiment incomparable. Après quelque intervalle, le serviteur fidèle et intelligent accourt auprès de son maître, et lui raconte en quelques mots comment il a exécuté ses ordres. Mais, ajoute‑t‑il non sans emphase, il y a encore de la place. Que faut‑il faire pour combler les vides ? La réponse à cette demande tacite ne se fait pas attendre : Désormais, ne te borne pas à parcourir les rues de la ville, mais va dans les routes qui conduisent du dehors à la cité, va même dans les modestes « sentiers qui longent les haies de la campagne » (Reuss) et amène bon gré mal gré tous ceux que tu rencontreras, force-les à entrer. Cette fois, tout le monde en convient, il en s’agit plus des Juifs, mais des Païens, auxquels le Sauveur prédit ici de la façon la plus aimable leur conversion au Christianisme. Ils forment la troisième classe des invités de notre parabole. « force-les » ne contient évidemment aucun appel à la violence extérieure. La coaction dont parle le père de famille est celle que Cicéron (ad Din. 5, 6) définit si bien : « Prêche la parole. Insiste en temps opportun et importun. Argumente, supplie, morigène en toute patience et doctrine ». cf. Luc. 24, 29 ; Actes 16, 15. C’est celle que S. Paul recommande à Timothée : « Émouvoir quelqu’un par des raisons, des arguments, même par des prières souvent répétées ». C’est celle à laquelle l’Église fait allusion dans cette belle prière : « Toi qui nous es propice, contrains nos volontés rebelles à se tourner vers toi ». Quoi que disent les protestants, les catholiques n’en connaissent pas d’autre. Cela rejoint l’ordre de s’arracher l’œil ou de se couper la main (Matthieu 5, 29 Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi car il vaut mieux pour toi qu’un seul de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. 30 Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi car il vaut mieux pour toi qu’un seul de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne), ce ne sont pas des paroles de Jésus à prendre au pied de la lettre. Les baptêmes forcés comme les mutilations corporelles sont des péchés mortels pour la  grâce justifiante en notre âme. On a un autre exemple au verset 27, où Jésus demande de « haïr » sa famille la plus proche et même sa propre vie : or il faut préserver sa vie et aimer ses proches, c’est donc un autre cas où le sens littéral est opposé à ce qu’il faut comprendre. Cette manière de s’exprimer vise à marquer les esprits, à faire retenir un enseignement dont le vrai sens contredit le sens littéral.

Luc 14.24 Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon festin. » – Terrible conclusion. Les mots je vous le dis ont fait croire à certains commentateurs que Jésus la formula en son propre nom, s’adressant à toute l’assemblée, puisque le dialogue n’avait eu lieu jusque là qu’entre le père de famille et un seul serviteur. Mais il est plus probable qu’il faut regarder cette phrase finale comme faisant encore partie de la parabole. Cela ressort de l’expression de mon festin, d’après laquelle l’hôte figuratif semble être toujours en scène. Au reste, le pluriel « vous » s’explique par la présence soit des autres serviteurs, soit des nouveaux convives. Mais la sentence retombait quand même en plein sur les Pharisiens qui entouraient alors Notre‑Seigneur.

Luc 14.25 Comme une grande foule cheminait avec lui, il se retourna et leur dit :  – Autre préambule historique, servant d’introduction à un nouvel épisode du dernier grand voyage. Après la scène qui précède, Jésus s’est remis en marche dans la direction de Jérusalem. Des foules nombreuses se pressent sur ses pas, composées sans doute en grande partie de pèlerins qui se rendaient également à la capitale pour la prochaine fête. En apparence, tout ce peuple lui est profondément dévoué ; mais il sait, lui qui connaît les secrets des cœurs, combien, dans la plupart, l’affection pour sa divine personne est superficielle, de sorte qu’il suffira d’un léger coup de vent pour transformer cette foule inconstante. Et cependant l’heure est décisive, car on est à la veille de sa Passion : il faut donc que tous sachent à quel prix l’on devient et l’on reste vraiment disciple du Christ. C’est pourquoi il leur parle en termes énergiques, comme ce ministre qui disait à chacun de ses fonctionnaires, en des jours périlleux : « Êtes‑vous prêt à sacrifier votre tête ? ». – Il se retourna et leur dit, est un détail pittoresque.

Luc 14.26 « Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. – C’est quelque chose assurément de venir à Jésus, de se mettre à la suite de Jésus, comme faisait ce bon peuple ; mais Notre‑Seigneur s’inquiétait peu, surtout alors, d’avoir de simples compagnons de voyage, quelque attachement qu’ils lui témoignassent par ailleurs. A l’adhésion extérieure, il voulait à bon droit qu’on joignît l’adhésion intérieure, la seule réelle, et il en indique les conditions : conditions difficiles, puisqu’elles se résument dans l’abnégation la plus complète, et dans le sacrifice courageusement accepté. – Et ne hait pas… Le Sauveur nomme les êtres qui sont le plus chers à l’homme, un père, une mère, une épouse, des enfants, des frères, des sœurs, et, quoique la nature et Dieu nous fassent un devoir de les aimer tendrement, il nous commande de les haïr, sous peine de n’être pas chrétiens ; bien plus, à cette énumération déjà si étonnante, il ajoute un mot qui la rend plus étonnante encore : et même sa propre vie ; il veut que nous nous haïssions nous‑mêmes. Mais on comprend qu’il ne parle pas d’une haine absolue. C’est une manière hardie de nous signifier que nous devons être disposés à détester au besoin les objets auxquels nous tenons le plus, s’ils étaient pour nous un obstacle à la perfection chrétienne. Voyez Matth. 10, 37 et le commentaire de S. Jérôme. Mais quel langage, malgré cette restriction. Comme il devait frapper, sous sa forme paradoxale, tous ceux qui entouraient alors Jésus. Et comme il frappe encore tous ceux qui le méditent sérieusement.

Luc 14.27 Et quiconque ne porte pas sa croix et ne me suis pas, ne peut pas être mon disciple. – Après avoir exigé de ses disciples le renoncement poussé jusqu’à ses dernières limites, un amour devant lequel pâlit tout autre amour, Jésus leur indique, par une figure déjà bien forte, mais que sa mort ignominieuse devait rendre plus expressive encore, la vie de rudes sacrifices, de souffrances perpétuelles, qui est dans l’essence du christianisme : Celui qui ne porte pas sa croix… cf. 9, 23, Matth. 10, 38 ; 16, 24. Notez, dans la phrase ne peut pas être mon disciple, la place donnée par emphase au pronom possessif « mon ». De même vv. 26 et 33.

Luc 14.28 Qui de vous, en effet, s’il veut bâtir une tour, ne s’assied pas auparavant pour calculer la dépense et s’il a de quoi l’achever ? – Deux exemples admirablement choisis vont montrer maintenant à la foule enthousiaste qui suit Jésus à quelle humiliation, à quels dangers s’exposerait quiconque abandonnerait la foi chrétienne après l’avoir pendant quelque temps professée. Le premier est celui d’un constructeur imprévoyant, qui commence un édifice et se voit bientôt dans la honteuse impossibilité de le continuer, faute de moyens suffisants. – Qui de vous… Le tour interrogatif et l’apostrophe directe donnent une grand vie à la pensée. – S’il veut bâtir une tour. Nous ne croyons pas, malgré l’avis contraire de plusieurs exégètes, que le mot « tour » contienne la moindre allusion à la tour de Babel. Quand donc on a une fois arrêté dans sa pensée le projet d’une construction, il est de la prudence la plus élémentaire de faire quelques sérieux calculs pour voir d’une part combien elle coûtera, d’autre part si l’on dispose de ressources suffisantes pour la mener à bonne fin. – Ne s’assied pas auparavant… détail pittoresque, destiné à mettre en relief le caractère grave, approfondi, des calculs. Les hommes pressés restent debout : au contraire, quand on s’assoit pour méditer sur une question, on témoigne déjà par cette seule attitude que l’on est décidé à prendre tout le temps nécessaire.

Luc 14.29 De peur qu’après avoir posé les fondements de l’édifice, il ne puisse le conduire à sa fin et que tous ceux qui le verront ne se mettent à le railler, 30 disant : Cet homme a commencé à bâtir et il n’a pu achever. – Motif pour lequel on ne doit entreprendre d’élever un édifice considérable qu’après avoir bien mesuré ses forces. On deviendrait l’objet de la risée publique, si l’on ne pouvait l’achever en entier. Rien de plus ridicule en effet que « ces bâtiments incomplets, ouverts à tous les vents et à toutes les pluies du ciel » (cf. Shakespeare, Henry 2, Actes 1, sc. 3), que la malignité du peuple nomme, et n’est‑ce pas un peu son droit ?, la Folie d’un tel ou d’un tel. Quelle est la petite ville de province qui n’ait à raconter quelque histoire de ce genre ? Comme dit un proverbe allemand : Engager les travaux, et ne réfléchir qu’ensuite, a conduit plus d’un homme à de grandes souffrances. Il n’en est pas autrement au moral et dans l’application. La perfection chrétienne est un palais splendide à construire (cf. 6, 47 et ss. ; Matth. 7, 24-27 ; Éphésiens 2, 20-22 ; 1 Corinthiens 3, 9 ; 1 Pierre 2, 4-5). Or, dit S. Grégoire de Nysse (in Cat. D. Thom.), « de même qu’il ne suffit pas d’une pierre pour construire une tour, de même il faut plus d’un commandement pour conduire l’âme à la perfection ». Par conséquent, que l’on suppute bien de quoi on est capable, avant de se faire disciple de Jésus. Quelle honte n’y aurait‑il pas ensuite à revenir sur ses pas.

Luc 14.31 Ou quel roi, s’il va faire la guerre à un autre roi, ne s’assied d’abord pour délibérer s’il peut, avec dix mille hommes, faire face à un ennemi qui vient l’attaquer avec vingt mille ?  – De plus, ainsi qu’il ressort du second exemple, à côté de la honte on trouverait le danger. La première comparaison avait été prise dans le domaine de la vie privée ; celle‑ci est empruntée à la conduite d’un roi inexpérimenté, qui a follement engagé le bonheur et les intérêts de toute une nation dans une guerre imprudente. Elles se complètent mutuellement, présentant la même vérité sous deux aspects distincts, comme les paraboles du grain de sénevé et du levain (Matth. 13, 31-33), du trésor caché et de la perle (Matth. 13, 44-46), de la pièce neuve servant à rapiéceter des vêtements usés et du vin nouveau mis dans de vieilles outres (Matth. 9, 16 et 17). – Avec dix mille homme… contre… vingt mille. La lutte sera donc dans la proportion de deux contre un, c’est‑à‑dire tout à fait inégale, à moins que le premier roi n’ait des chances exceptionnelles de succès. Ce sont précisément ces chances qu’il devra mûrement examiner avant de se lancer dans une expédition qui pourrait devenir désastreuse. Témoin Crésus, témoin Amasias (2 Rois 14, 8-12), témoin Josias (2 Rois 23, 29 et 30). – Divers exégètes, curieux de tout savoir, d’entrer dans les détails les plus minutieux des paraboles pour en faire l’application mystique (voyez S. Matth.), ont recherché ce que pouvaient bien figurer les nombres 10.000 et 20.000, quel est l’anti-type du second roi, etc. Ils ont trouvé que les 10.000 soldats représentent les dix commandements de la Loi, que le roi auquel la victoire semble d’avance réservée est l’emblème de Dieu (ce qui est étrange puisque alors nous serions supposés marcher au combat contre lui avec quelques chances favorables), ou de Satan (ce qui n’est pas moins étrange puisque Jésus nous recommanderait de capituler avec l’enfer). En face de ces idées singulières ou contradictoires, nous préférons dire avec Corneille de Lapierre (in v. 32) : « C’est le propre de la parabole qu’il n’y ait pas d’équation parfaite entre le signe et la chose signifiée », et, avec Maldonat : « Il ne faut pas chercher curieusement qui est ce roi,….car, comme nous l’avons dit, la guerre…. n’est rien d’autre que d’entreprendre quelque chose d’ardu ».

Luc 14.32 S’il ne le peut, tandis que celui-ci est encore loin, il lui envoie une ambassade pour négocier la paix. – Si le premier belligérant reconnaît qu’il ne peut poursuivre la guerre qu’en s’exposant à une issue fatale, il se hâte, tandis qu’il en est temps encore, c’est‑à‑dire avant que l’ennemi n’ait envahi son territoire, d’envoyer à celui‑ci une ambassade chargée de négocier la paix. – La morale est aisée à tirer. La vie chrétienne est une guerre perpétuelle (cf. Matth. 12, 19 ; 1 Corinthiens 16, 13 ; 1 Thessaloniciens 5, 8 ; Éphésiens 6, 11 et ss.; 2 Timothée 3 et 4 ; 4, 7), et toute guerre suppose des difficultés, des fatigues, des dangers sans nombre. Jésus le rappelle à ceux qui le suivent, pour qu’ils sachent bien ce qui les attend s’ils persistent à devenir ses disciples. Toutefois, il est manifeste qu’il ne faut pas trop prendre ces deux comparaisons à la lettre, car il en résulterait qu’en de nombreuses circonstances on ne devrait pas même essayer de poser le fondement d’une vie chrétienne, de combattre les bons combats du salut ; or, demande judicieusement Maldonat, « Comment le Christ pourrait‑il nous détourner de devenir chrétiens ? ». Ici encore nous sommes donc en face d’expressions paradoxales, dont le but est de relever les difficultés que rencontre nécessairement quiconque veut être un vrai chrétien. C’est une manière énergique de dire : L’entreprise est ardue ; mais faites de généreux efforts, et vous parviendrez à réussir. Autrement, prenez garde à la banqueroute spirituelle, à la totale défaite de votre âme, c’est‑à‑dire à l’apostasie.

Luc 14.33 Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède, ne peut être mon disciple. – Ces paroles nous ramènent aux vv. 26-27 et résument toute la leçon qui précède. Elles redisent en effet d’une manière énergique que le renoncement universel est la condition essentielle pour être vraiment disciple de Jésus. Notez l’emphase des mots tout ce qu’il possède.

Luc 14.34 Le sel est bon, mais si le sel s’affadit, avec quoi lui donnera-t-on de la saveur ? 35 Inutile et pour la terre et pour le fumier, on le jette dehors. Que celui qui a des oreilles entende. » – Conclusion de ce petit discours, sous la forme d’une troisième figure, qui paraît avoir été chère à Notre‑Seigneur, puisqu’elle revient jusqu’à trois reprises dans les pages évangéliques (cf. Matth. 5, 13 ; Marc. 9, 50) ; il est vrai qu’à chaque fois il s’agit d’une application nouvelle. En cet endroit, voici quel est l’enchaînement le plus probable : Quiconque ne se sentirait pas à la hauteur de l’abnégation parfaite que je vous prêche, ressemblerait au sel affadi, qui n’est bon qu’à être jeté dans la rue et foulé aux pieds. – Le sel est bon. Mais si le sel perd sa vertu, comment pourra‑t‑on la lui rendre ? Avec quoi l’assaisonnera-t‑on ? Dans l’impossibilité de l’utiliser à quelque chose, parce qu’alors il ne peut servir d’engrais, ni d’une manière directe, ni médiatement, c’est‑à‑dire mêlé au fumier, on le jette dans la rue pour s’en débarrasser. – Que celui qui a des oreilles… Grave réflexion finale prononcée par Jésus en mainte circonstance. Réfléchissez. Décidez‑vous. Voyez si vous consentez à devenir mes disciples.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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