CHAPITRE 18
Luc 18. 1 Il leur adressa encore une parabole, pour montrer qu’il faut prier toujours et sans se lasser. – Il leur adressa encore, indique que cette parabole fait suite aux discours du Christ précédents, et qu’elle a été prononcée à la même époque. L’unité générale du sujet traité corrobore cette opinion. En effet Jésus lui‑même, en achevant sa parabole, v. 8, prendra soin de la rattacher aux graves enseignements qui précèdent (17, 22, 37), c’est‑à‑dire à l’avènement suprême du Fils de l’homme. La liaison logique sera donc celle‑ci : Priez sans cesse en attendant ma venue ; par là seulement vous échapperez aux graves dangers qui menacent votre salut. Il n’est donc pas nécessaire d’admettre avec Schleiermacher, Olshausen, etc., que plusieurs incidents intermédiaires ont été omis par l’évangéliste. – Il faut prier toujours. C’est assez rarement que le but des paraboles évangéliques est ainsi indiqué d’avance par les écrivains sacrés : nous trouverons encore plus bas, v. 9, une préface du même genre. La parabole du juge inique est donc destinée à démontrer, par un argument tiré de l’absence de ressemblance, comme s’exprime S. Augustin (De Verbis Dom. Serm. 36), la nécessité où nous sommes de persévérer constamment dans la prière. Déjà il a été dit (voyez 11, 5 et le commentaire) qu’elle n’est pas sans analogie avec la parabole de l’ami importun. Seulement elle a un caractère plus général, à cause de la manière dont elle est mise en rapport avec la fin des temps. Il va de soi qu’on ne doit pas trop presser la signification de l’adverbe « toujours ». C’est une hyperbole populaire, qui s’applique moins à l’acte extérieur (paroles prononcées, mains jointes ou tendues, genoux à terre) qu’à cette disposition intérieure en vertu de laquelle un vrai disciple de Jésus vit toujours en esprit d’oraison, en communion intime avec son Dieu. Nous avons, en tant qu’hommes, des devoirs et des soucis multiples, qui absorbent une partie de nos journées ; malgré cela, il ne tient qu’à nous de faire de notre existence une « grande et unique et continuelle prière » (Origène). En effet, « Car ton désir, c’est ta prière ; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle… Le refroidissement de la charité, c’est le silence du cœur ; la flamme de la charité au contraire est le cri du cœur… Prie en paroles au temps requis, et que toute ta vie soit prière en permanence », S. Augustin, Enarr. in Psaume 37, 14. La prière est la respiration de l’homme moral : il faut donc prier toujours de même que l’on respire sans cesse. – Sans se lasser. Ne jamais nous décourager, malgré les divines lenteurs à exaucer notre demande, et en vue des dangers perpétuels que nous courons. L’Église militante doit être une Église suppliante : ses prières sont les armes dont elle a besoin pour lutter victorieusement. L’équivalent grec de se lasser est un mot expressif, aimé de S. Paul. cf. 2 Corinthiens 4, 1, 16 ; Galates 6, 9 ; Éphésiens 3, 13 ; 2 Thessaloniciens 3, 13. Il signifie proprement « être lâche » et se dit souvent des soldats qui abandonnent leur poste ; au moral il peut se traduire par défaillir. Combien de tristes défaillances sous le rapport de la prière, malgré les fréquentes exhortations parallèles à celle‑ci qu’on rencontre dans les écrits apostoliques (Romains 1, 10 ; Colossiens 4, 12 ; 1 Thessaloniciens 5, 17 ; 2 Thessaloniciens 1, 11. cf. Ecclésiastique 18, 12). « Plusieurs ne prient qu’avec nonchalance, dans la phase de leur conversion: ils ont d’abord de la ferveur, puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence : ils se croient en sûreté. L’ennemi veille : et toi, tu dors… Ne cessons donc pas de prier. Un retard dans ce qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus ». S. Aug. Enarr. in Psaume 65, 24.
Luc 18.2 Il dit : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne se souciait pas des hommes. – Après cette petite introduction, la scène s’ouvre, et nous voyons paraître (vv. 2 et 3) les deux principaux acteurs : un troisième personnage, le persécuteur de la veuve, demeure à l’arrière‑plan. – Il y avait dans une ville un juge. D’après la législation mosaïque, Deutéronome 6, 18, chacune des villes de la Palestine devait avoir ses juges et son tribunal local. Divers passages des Évangiles (cf. Matth. 5, 21 et s.) prouvent que cette prescription était encore en vigueur à l’époque de Jésus. – Qui ne craignait pas Dieu… Deux précisions seulement pour caractériser ce juge : mais comme la peinture est achevée. La conscience est morte en lui, puisqu’il ne craint pas Dieu ; mais peut‑être redoutera‑t‑il au moins l’opinion publique, et sera‑t‑il contraint de respecter le droit sous l’influence des jugements humains ? Pas davantage : il ne se souciait pas des hommes. Les deux tables de la Loi n’existent pas pour lui. Quels arrêts arbitraires, iniques, infâmes, seront rendus par un tel juge. Ce cas n’est pas rare en Orient, où bon nombre de « cadis » tout‑puissants, irresponsables, rendaient la justice selon leur bon plaisir et portaient des sentences sans appel. D’ailleurs les classiques emploient parfois ces deux mêmes expressions pour critiquer les juges de la Grèce et de Rome. cf. Hérodote, 2, 133, Tite‑Live, 3, 5.
Luc 18.3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait à lui, disant : Fais-moi justice de mon adversaire. – L’antithèse ne pouvait pas être plus frappante. En face de ce despote impie et sans pudeur, la parabole place une femme, bien plus, une veuve, c’est‑à‑dire, dans toutes les littératures, le type universellement admis de ce qu’il y a de plus faible, de moins à redouter, et en même temps de ce qu’il y a de plus digne de pitié (cf. le mot de Térence : « Que les dieux m’aiment au point que je n’ose pas faire à cette veuve ce qu’elle m’a fait ». Aussi le Législateur et les Prophètes juifs signalent‑ils l’oppression des veuves comme une des formes les plus odieuses de la tyrannie. cf. Exode 22, 22 ; Deutéronome 10, 18 ; 27, 19 ; Isaïe 1, 17, 23 ; Ézéchiel 22, 7 ; Malachie 3, 5 ; etc. – Qui venait auprès de lui. L’imparfait est à noter, car il indique un fait souvent réitéré : « elle venait souvent » (Grotius). – Fais‑moi justice. La phrase du grec est toute juridique. L’adversaire ne désigne pas un ennemi quelconque, mais la partie adverse dans une affaire litigieuse. Ici, l’adversaire est supposé injuste, influent, décidé à fouler aux pieds le droit de la veuve, si rien ne l’en empêche. « Cette même veuve peut très‑bien être considérée comme l’image de l’Église : celle‑ci est dans la désolation jusqu’à la venue du Seigneur, qui cependant la protège maintenant encore d’une manière mystérieuse », S. Augustin, Quaest. Evang. 2, q. 45. Elle a pour adversaires le monde et le démon.
Luc 18. 4 Et pendant longtemps il ne le voulut pas, mais ensuite il dit en lui-même : même si je ne crains pas Dieu et ne me soucie pas des hommes, 5 cependant, parce que cette veuve m’importune, je lui ferai justice, afin qu’elle ne vienne pas sans cesse me tourmenter. – il ne voulut pas. Chacun des deux acteurs demeura ainsi dans son rôle pendant longtemps. Le juge dont on a tracé plus haut le portrait s’inquiétait bien peu des plaintes et des larmes d’une veuve sans crédit. Son délai à rendre justice figure les retards que Dieu met parfois à exaucer nos requêtes, quoique « s’il arrive le contraire de ce que nous avons souhaité, nous devons le supporter patiemment, rendre grâces à Dieu en toutes choses, et reconnaître que la volonté de Dieu a été meilleure pour nous que ne l’eût été notre propre volonté. ». S. Aug. lettre 130. Il sera pourtant vaincu dans cette lutte qui paraît inégale. – Mais ensuite il dit en lui‑même… Voici que tout à coup le juge tient conseil avec lui‑même. Monologue triste mais trop réel de l’histoire du cœur humain. Il commence par une horrible profession de foi, écho vivant de la description anticipée de Jésus (v. 2) : même si je ne crains pas Dieu… C’est avec la même arrogance sacrilège que parlent les Cyclopes dans Homère, Odyss. 9, 275-278. – La particule cependant va donner au discours une direction qu’on n’oserait attendre après un tel exorde. Elle introduit le motif par lequel le juge inique s’excuse en quelque sorte de manquer de constance. Motif très noble assurément. Parce que cette veuve m’importune. Elle l’ennuie dans le présent, et elle finira par lui « casser la tête » (non pas au sens propre, mais au sens métaphorique).
Luc 18 6 Entendez, ajouta le Seigneur, ce que dit ce juge inique. 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient à lui nuit et jour et il tarderait à leur égard ? – Le ajouta le Seigneur. S. Luc interrompt momentanément par cette formule le récit du Sauveur, pour mieux mettre en relief l’antithèse qui va suivre, vv. 6 et 7, et qui contient l’application de la parabole. – Entendez ce que dit ce juge… A première vue il semble qu’il eût été plus naturel de dire : Voyez ce qu’a fait cette veuve et imitez‑la. Mais il y a précisément dans ce tour rapide, inattendu, quelque chose qui frappe l’attention, et qui fortifie beaucoup la pensée. – Et Dieu ne ferait pas justice… Quelle juxtaposition hardie. Dieu, la souveraine justice et la souveraine bonté ainsi comparé à un monstre d’iniquité. Toutefois, l’argumentation de Jésus n’en sera que plus irrésistible. « Si donc il l’exauça, quoiqu’il trouvât ses réclamations si importunes, comment ne nous exaucerait pas Celui qui nous presse de le prier? » S. August., Serm 115, 1. Et puis, ceux que Dieu exauce de la sorte sont ses élus (ce mot apparaît ici pour la première fois dans S. Luc), c’est‑à‑dire ses enfants de choix, qu’il aime de toute éternité d’un amour infini ; enfin, comme la veuve de la parabole, ils implorent constamment son secours contre leurs ennemis : ils font donc à son cœur une sainte violence. Remarquez l’énergie du verbe crier ; le verbe grec correspondant a une force plus grande encore.
Luc 18.8 Je vous le dis, il leur fera bientôt justice. Seulement, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » – Je vous le dis : assertion pleine de solennité, comme de coutume. Jésus, répondant à sa propre question (v. 7), affirme que Dieu ne manquera pas de faire justice à ses amis. Promptement (ou bientôt) ne signifie pourtant pas qu’ils seront exaucés dès leur première demande, ce qui serait contraire au but de la parabole, mais que la grâce leur arrivera aussitôt que le moment en sera marqué dans le plan providentiel. Cette heure venue, il n’y aura pas un instant de retard. cf. 2 Pierre 3, 8 ; S. Aug. Enarr. in Psaume 91, 6. ; Ecclésiastique 35, 21 et ss.). – Seulement, quand le Fils de l’homme viendra… Transition à la pensée finale, cri douloureux qui s’échappe du cœur de Jésus ; quand il aura fait son apparition glorieuse à la fin des temps. cf. 17, 24-37. – Trouvera-t-il… « Par cette question oratoire, il dit que sont rares ceux qu’on peut trouver fidèles sur la terre », Theophylacte. – trouvera-t-il la foi sur la terre. « Sur la terre », par opposition au ciel d’où il viendra. « La foi », c’est‑à‑dire cette confiance spéciale dont il a parlé dans la parabole, et sans laquelle il n’y a pas de prière persévérante. C’est habituellement au manque de foi qu’il faut attribuer la défaillance dans la prière. « Si nous perdons la foi, la prière disparaît ; en effet, qui prie sans croire ? » S. August. de Verb. Dom. Serm. 36. Sur la défection d’un grand nombre de croyants aux derniers jours, voyez Matth. 24, 12, 24 ; 2 Thessaloniciens 2, 3 ; 1 Pierre 3, 3-4.
Luc 18.9 Il dit encore cette parabole en vue de quelques gens persuadés de leur propre perfection et pleins de mépris pour les autres : – Ici encore le but de l’instruction est nettement indiqué d’avance. Les auditeurs que Jésus avait spécialement en vue, Pharisiens selon les uns, plus probablement, selon les autres, disciples imbus de l’esprit pharisaïque, manifestaient les deux grands symptômes d’une des plus graves maladies morales, l’orgueil, et Jésus désirait les guérir. – Persuadés de leur propre perfection… : A leurs propres yeux, ils étaient des saints. – Pleins de mépris pour les autres. Le verbe grec que S. Luc est le seul à employer parmi les évangélistes (cf. 23, 11) signifie proprement « anéantir, traiter de néant ». L’idée de sa propre excellence et le mépris des autres vont ensemble, aussi bien que l’humilité et la charité. A ces orgueilleux, Jésus va montrer de la manière la plus dramatique l’horreur qu’ils inspirent à Dieu. – On peut voir, dans le Pharisien et dans le publicain de notre parabole, la figure des réprouvés de Dieu et des Païens reçus en grâce. S. Augustin développe une réflexion où il critique ceux des juifs qui refusèrent Jésus. Certains Juifs se vantaient de leurs mérites, alors que certains païens confessèrent leurs péchés. Enarr. in Psaume 74, 8. cf. Hug de S. Victor, Annot. in Luc. h. l.
Luc 18.10 « Deux hommes montèrent au temple pour prier, l’un était Pharisien, l’autre publicain. – Deux hommes. Ces deux personnages sont des types bien connus, choisis aux antipodes de la société juive contemporaine de Notre‑Seigneur. Le premier, Pharisien, représente la perfection des mœurs, l’orthodoxie complète de la foi : l’autre, publicain, la démoralisation et l’indifférence religieuse. Autant celui‑là était estimé, vénéré, autant celui‑ci était souverainement méprisé. – Ils montèrent au temple pour prier. Le temple était en effet, comme nos églises, « une maison de prières », 19, 46, et les pieux Israélites aimaient à s’y rendre pour invoquer Dieu, spécialement à certaines heures consacrées, telles qu’étaient celles de l’encensement, du sacrifice quotidien. Le verbe « monter » est d’une parfaite exactitude topologique, car le temple était bâti sur le mont Moria.
Luc 18.11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : O Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni encore comme ce publicain. – Deux portraits vont mettre sous nos yeux le Pharisien et le publicain en prières. Les touches sont peu nombreuses, mais avec quelle finesse psychologique elles ont été choisies. – Le Pharisien, debout… Les deux priants sont debout (cf. v. 13) conformément à l’usage qui prévalait chez les Juifs (cf. 1 Rois 8, 22 ; 2 Chroniques 6, 12 ; Marc. 11, 25 etc.) ; mais il est difficile de ne pas voir une intention particulière dans les expressions différentes qu’emploie le divin narrateur, d’après le texte grec, pour décrire cette attitude ; ici, le verbe est plein d’emphase, et semble indiquer une posture hardie, affectée. cf. Matth. 6, 5. Divers exégètes nous montrent le Pharisien superbe s’isolant à dessein de la foule des suppliants pour éviter leur contact qui pouvait le souiller. – O Dieu, je vous rends grâces. Ce début est irréprochable, car l’action de grâces est une partie essentielle de la prière ; malheureusement, sous prétexte d’exprimer à Dieu sa reconnaissance, c’est son éloge personnel que fait ensuite le Pharisien dans les termes les plus audacieux. « Que demande‑t‑il donc à Dieu? Qu’on examine ses paroles, et on ne le trouvera pas. Il est monté pour prier ; mais au lieu de prier Dieu, il se loue », S. Aug. Serm 115. Il divise l’humanité en deux catégories, de manière à former à lui seul la première, qui est évidemment toute parfaite, tandis qu’il jette avec dédain « le reste des hommes » dans la seconde. Et que sont, pour lui, les autres hommes ? Il les caractérise à l’aide de trois épithètes qui désignent trois des vices les plus honteux : voleurs, injustes, adultères. Puis, ses regards s’étant alors arrêtés sur l’humble publicain qui priait à distance, il le mêle à sa prétendue prière, se servant de lui comme d’un fond obscur sur lequel les brillantes couleurs de ses propres vertus ne devaient que plus splendidement ressortir. « Ce n’est plus là se réjouir, c’est insulter » S. Augustin, Enarr. 1 in Psaume 70, 2.
Luc 18.12 Je jeûne deux fois la semaine, je paie la dîme de tous mes revenus. » – Le Pharisien passe maintenant de l’éloge de sa personne à celui de ses œuvres : c’est le côté positif de sa sainteté après le côté négatif. Il mentionne avec complaisance deux œuvres de surérogation qu’il accomplit. 1° Je jeûne deux fois la semaine. La loi n’avait institué qu’un jeûne annuel (Lévitique 26, 29-31 ; Nombres 29, 7.) ; mais c’était assez l’usage pour quiconque faisait profession de piété en Israël, comme aussi pour quiconque voulait se donner des aires de piété, de jeûner deux fois par semaine. cf. Taanith, f. 54, 3. Ailleurs déjà, Matth. 6, 16, Jésus a dépeint l’affectation avec laquelle les Pharisiens pratiquaient le jeûne. Au reste, disaient‑ils, « le jeûne l’emporte sur l’aumône, car l’aumône n’atteint que notre bourse, tandis que le jeûne retombe sur notre corps ». R. Eliézer, Berach. f. 32, 2. – 2° Je paie la dîme... C’était la dîme universelle, au lieu de la dîme restreinte ordonnée par le Législateur, laquelle ne concernait que les produits des champs et du bétail (voyez Matth. 23, 23 et le commentaire). – Encore une fois, quelle prière. Ne dirait‑on pas un créancier qui rappelle ses droits à son débiteur ? Mais de telles dispositions n’étaient pas rares dans le monde pharisaïque ; témoin cette autre prière que Rabbi Nechunia ben Hakana avait coutume de faire au sortir de son cours : « Je vous remercie, Seigneur mon Dieu, de ce que ma part m’a été assignée parmi ceux qui visitent la maison de la science, et non parmi ceux qui travaillent au coin des rues ; car je me lève de bonne heure et ils se lèvent de bonne heure : des l’aurore je m’applique aux paroles de la loi mais eux à des choses vaines ; je travaille et ils travaillent : je travaille et je reçois une récompense, ils travaillent et ils n’en reçoivent aucune ; je cours et ils courent : je cours à la vie éternelle, tandis qu’ils courent vers l’abîme ». Berachoth, f. 28, 2. Que ne mettaient‑ils en pratique cette belle recommandation des Piké Aboth, 2, 13 : « Quand tu pries, ne fais pas étalage de tes bonnes actions, mais prie pour obtenir miséricorde, et pour demander la grâce de Dieu ».
Luc 18.13 Le publicain, se tenant à distance, ne voulait pas même lever les yeux au ciel, mais il frappait sa poitrine en disant : O Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur. – Admirable contraste. C’est, de toutes manières, le tableau d’une parfaite humilité. 1° Dans le choix du lieu : Il s’est placé loin du sanctuaire, près duquel au contraire se tient le Pharisien orgueilleux. 2° Dans l’attitude : Il n’osait pas même lever les yeux au ciel : il n’osa pas même, tant était vif le sentiment de sa misère, se permettre ce geste si naturel aux suppliants (cf. Psaume 123, 12). cf. ce passage de Tacite, Hist. 4, 72 : « Il se tenait debout, attristé par la conscience qu’il avait de son crime, les yeux fixés par terre. ». De plus, il se frappait la poitrine, à la façon des vrais pénitents de tous les âges (cf. 8, 52). 3° Dans sa prière même, si différente de celle du Pharisien, profond soupir qui part d’un cœur contrit et humilié : Ayez pitié de moi, moi, le pécheur par excellence. C’était beaucoup dire en peu de mots ; en effet, « Celui qui se reconnaît un humble pécheur prie Dieu suffisamment, et plaide assez éloquemment sa cause devant le tribunal de sa conscience » (Maldonat).
Luc 18.14 Je vous le dis, celui-ci descendit justifié dans sa maison, plutôt que celui-là, car quiconque s’élève sera abaissé et quiconque s’abaisse sera élevé. » – Je vous le dis : cf. v. 8. Conclusion pleine de majesté sur les lèvres du Fils de l’homme : Je vous l’affirme, car je le sais. – Celui‑ci descendit justifié : Le publicain rentra donc chez lui (dans sa maison, détail pittoresque) pur de tout péché : son humble prière avait percé les nuées, sa contrition avait été un sacrifice propitiatoire d’agréable odeur. Le Pharisien aussi quitte le temple, sans doute avec la conscience d’avoir grandement honoré Dieu et accru la somme de ses mérites. Mais quel arrêt terrible est porté contre lui dans l’euphémisme plutôt que l’autre. Car cela revient évidemment à dire qu’il est revenu réprouvé. « L’orgueil du Pharisien est descendu réprouvé du temple, et l’humilité du publicain s’est élevée devant les yeux de Dieu, qui l’a approuvée » S. Augustin, cf. Euthymius, h. l. – Car quiconque s’élève… Jésus aime à clore ses paraboles par un axiome moral, qui rattache une instruction particulière au vaste ensemble de la philosophie chrétienne. Celui qu’il cite actuellement nous est déjà connu (cf. 14, 11 ; Matth. 23, 12) ; mais il n’était pas possible de le répéter plus à propos.
Luc 18, 15-17 = Mth 19, 13-15 = Mc. 10, 13-16.
Luc 18.15 Des personnes lui apportaient aussi leurs petits enfants pour qu’il les touchât, ce que voyant, ses disciples les réprimandèrent. – Leurs petits enfants : Dans le grec, des « nourrissons » (cf. 2, 16), expression propre à S. Luc, et moins générale que « enfants » des deux autres évangélistes. C’étaient donc de tout petits enfants que des mères avaient apportés à Jésus pour qu’il les bénît. – Ses disciples les réprimandèrent. Les disciples ne voyaient en cela qu’une démarche importune, dont ils voulurent délivrer leur Maître. L’imparfait dénote la continuité de l’acte. Aux efforts répétés des mères pour s’approcher du Sauveur, on opposait des menaces répétées.
Luc 18. 16 Mais Jésus appela ces enfants et dit : « Laissez les petits enfants venir à moi et ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. 17 En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n’y entrera pas. » – Jésus appela ces enfants et dit... Ce beau détail est propre à S. Luc. – A l’action le divin ami des petits enfants joint la parole : Laissez…venir à moi… Il indique ensuite pourquoi il lui est si agréable de se voir entouré de cette troupe innocente. Puis, profitant de cette occasion pour donner un grave enseignement aux disciples, il prend à témoin la divine vérité (je vous le dis) que non‑seulement le royaume des cieux appartient aux enfants, mais qu’ils n’appartient qu’à eux seuls et à leurs semblables. Sur ces paroles, pour lesquelles il y a une coïncidence verbale entre S. Luc et S. Marc, voyez notre commentaire. S. Luc n’achève pas la scène : « Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains. » Marc 10, 16.
Luc 18, 18-30 = Mth. 19, 16-30 Mc.10, 17-31.
Voyez dans S. Matthieu et dans S. Marc des détails plus complets, plus précis, plus dramatiques. S. Luc abrège et condense les faits : comme ci‑dessus, il se rapproche davantage du second synoptique en citant les paroles de Jésus. Pour le fond de l’explication, nous renvoyons le lecteur à nos commentaires des deux premiers Évangiles.
Luc 18.18 Alors un chef lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? » – La désignation « un chef » est une particularité de notre évangéliste (Matth. et Marc ont simplement : quelqu’un) ; mais on a de la peine à en bien déterminer le sens. D’après quelques‑uns, elle équivaudrait à « membre du Sanhédrin » . Lui laissant sa généralité, nous conclurons simplement que le héros de cette histoire jouissait d’une haute position en même temps que d’une grande fortune (vv. 23). – Ce jeune homme désirait ardemment le salut, mais il sentait que, pour l’obtenir, le trésor de ses bonnes œuvres était encore insuffisant : il était donc à la recherche de quelque action généreuse capable de lui assurer ce céleste héritage, et il avait pensé que Jésus pourrait la lui indiquer.
Luc 18.19 Jésus lui dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. – Notre‑Seigneur, au début de sa réponse, semble traiter d’une manière bien sévère un homme qui l’interrogeait avec candeur et humilité. Mais il voulait éviter tout malentendu, et montrer à son interlocuteur qu’il n’acceptait pas le titre de Bon Maître dans un sens commun, comme s’il eût été un simple Docteur juif. – Nul n’est bon, si ce n’est Dieu. Assertion claire comme le jour, si l’on envisage, et c’est le cas, toute l’étendue de la bonté. cf. le mot de Platon, Phèdre 27 : « Être un homme bon est impossible ; Dieu seul peut avoir cet honneur ». cf. 1 Jean 3, 5.
Luc 18.20 Tu connais les commandements : Ne commets pas l’adultère, ne tue pas, ne dérobe pas, ne porte pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère. » – Le décalogue, tel est le chemin qui le conduira droit au ciel.
Luc 18.21 Il répondit : « J’ai observé tout cela depuis ma jeunesse. » – Cette réponse dénote la surprise. Quoi. Me suffirait‑il de n’être ni adultère, ni homicide, ni voleur ? Mais c’est là une perfection banale, que j’ai pratiquée toute ma vie.
Luc 18.22 Ayant entendu cette réponse, Jésus lui dit : « Une chose te manque encore : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi. » – Il demande un acte héroïque, Jésus le lui indiquera. Qu’il renonce à tout pour suivre le « bon Maître ». Par ce généreux sacrifice il rendra son salut moralement certain.
Luc 18.23 Mais lui, ayant entendu ces paroles, devint triste, parce qu’il était fort riche. – C’était trop pour sa vertu : il voulait les choses du ciel, mais à condition de ne pas abandonner celles de la terre. – Devint triste: Le texte grec marque un sentiment de tristesse poignante.
Luc 18.24 Voyant qu’il était devenu triste, Jésus dit : « Qu’il est difficile à ceux qui possèdent la richesse d’entrer dans le royaume de Dieu. 25 Il est, en effet, plus facile qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » – Jésus aussi fut attristé, car il avait conçu, comme le raconte S. Marc, 10, 21, une vive affection pour ce jeune homme. – Qu’il est difficile… Notre‑Seigneur ne fit cette réflexion qu’après le départ du jeune homme riche. Les païens eux‑mêmes admettaient que « ceux qui sont très riches ne sont pas bons ». Stobée, 93, 27. – Voyez dans S. Matth., l’explication du célèbre proverbe il est plus facile à un chameau…, qui nous représente une véritable impossibilité humaine. « Le Seigneur eût‑il nommé une mouche au lieu d’un chameau, que la chose serait encore impossible », dit S. Augustin. D’après l’Évangile apocryphe « selon les Hébreux », Jésus se serait alors adressé d’une manière plus spéciale à S. Pierre.
Luc 18.26 Ceux qui l’écoutaient dirent : « Qui peut donc être sauvé ? » 27 Il répondit : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » – Ceux qui l’écoutaient : c’est‑à‑dire les disciples, d’après le contexte (v. 28). cf. Matth. et Marc. Jésus les rassura en dirigeant leurs pensées vers la toute‑puissance de Dieu, si fréquemment célébrée dans les Saintes Écritures ; Jérémie 32, 17 ; Zacharie 8, 6 ; Job. 41, 2, etc.
Luc 18.28 Pierre dit alors : « Voyez, nous avons tout quitté et vous avons suivi. » – L’ardent et généreux S. Pierre prend alors la parole au nom des Douze (cf. Matth. 19, 28), pour rappeler à Jésus dans un élan d’amour (nullement par vaine complaisance, comme le disent quelques protestants) avec quelle joie ils ont tout quitté pour s’attacher à lui.
Luc 18.29 Il leur dit : « Je vous le dis, en vérité, nul n’aura quitté sa maison, ou ses parents, ou ses frères, ou son épouse, ou ses enfants, à cause du royaume de Dieu, 30 sans qu’il ne reçoive beaucoup plus en ce temps même et dans le monde à venir la vie éternelle. » – Quelles splendides espérances. La nature de l’acte méritoire est d’abord indiquée : quitter sa maison, ou ses parents, ou ses frères (d’après les autres synoptiques, Jésus mentionne séparément les frères et les sœurs, et, à leur suite, le père et la mère ; il clôt la nomenclature par les champs)… Nous apprenons ensuite le motif qui doit inspirer ce renoncement universel : pour le royaume de Dieu ; il doit être pur et surnaturel. Enfin la récompense est décrite en peu de mots ; elle est promise soit pour le temps présent, évidemment, « non pas en même espèce, mais en mérite et en valeur » D. Calmet ; soit pour la vie future.
Luc 18, 31-34 = Mth 20, 17-19 Mc 10, 32-34.
Luc 18.31 Ensuite Jésus prit à part les Douze et leur dit : « Voici que nous montons à Jérusalem et que va s’accomplir tout ce que les prophètes ont écrit du Fils de l’homme. – Notre‑Seigneur prend à part les Douze, pour leur réitérer la triste nouvelle qu’il leur avait annoncée déjà plusieurs fois (cf. 9, 22, 44 ; 17, 25). Elle allait bientôt s’accomplir, et il voulait préparer encore les siens au grand scandale de la croix. – Tout ce que les prophètes ont écrit… va s’accomplir. Cette idée générale, qui introduit solennellement les détails de la Passion (vv. 32 et 33), est propre au troisième Évangile. Jésus embrassait alors d’un seul regard toutes les prophéties de l’Ancien Testament relatives au Christ souffrant, entre autres les suivantes : Psaume 16, 10 ; 21, 7-8 ; 49, 15 ; Isaïe 53 ; Daniel 9, 26 ; Zacharie 11, 12 et ss. ; 12, 10 ; 13, 7.
Luc 18.32 Il sera livré aux païens et moqué et injurié et couvert de crachats, 33 et après l’avoir flagellé, on le mettra à mort et il ressuscitera le troisième jour. » – Voyez l’explication détaillée dans nos commentaires sur S. Matthieu et sur S. Marc. Il n’est pas sans intérêt de noter que S. Luc, l’évangéliste des Païens, ne fait ici aucune mention du rôle joué par les Sanhédrins dans la Passion de Notre‑Seigneur, et passe immédiatement à celui des païens : il sera livré aux Païens (c’est‑à‑dire aux Romains). – On le flagellera. détail spécial. – On le fera mourir. S. Matthieu est seul à nommer explicitement le genre de mort. – Et le troisième jour… La douloureuse énumération se termine d’une manière inattendue par une perspective de bonheur et de gloire.
Luc 18.34 Mais ils ne comprirent rien à cela, c’était pour eux un langage caché, dont ils ne saisissaient pas le sens. – Mais ils ne comprirent rien… Cette fine observation psychologique est encore une particularité de S. Luc. Mais nous l’avons déjà rencontrée plus haut (9, 45 ; voyez le commentaire) à l’occasion d’une prédiction semblable. – Ce langage leur était caché. Expression pittoresque. – Et ils ne saisissaient pas. Répétition dont Fr. Luc explique très bien la portée : « La répétition de ces pléonasmes nous enseigne à quel point les apôtres étaient réfractaires à l’idée même de la mort de Jésus ». Les apôtres avaient, à propos du Messie, des idées fixes qui les aveuglaient. Rien ne dévoile mieux, sous ce rapport, l’état de leur âme que les visées ambitieuses des fils de Zébédée, qui se firent jour immédiatement après cette prophétie du Sauveur, dans un scène omise par S. Luc, mais racontée par les deux autres évangélistes. L’on comprend que Jésus ait eu à cœur d’étouffer ces espérances terrestres.
Luc 18, 35-43 = Mth 20, 29-34 ; Mc 10, 46-52.
Luc 18.35 Comme Jésus approchait de Jéricho, il arriva qu’un aveugle était assis sur le bord du chemin, demandant l’aumône. – C’était alors le 7 ou le 8 nisan, une semaine environ avant la mort de Notre‑Seigneur. Sur les antilogies apparentes des récits évangéliques à propos de ce miracle, voyez S. Matth. L’exégèse est impuissante à résoudre le problème d’une manière entièrement satisfaisante, malgré les nombreux systèmes d’harmonie (on en compte au moins une quinzaine) proposés tour à tour par les apologistes ; mais aucun homme sérieux, même dans le camp rationaliste, n’oserait en induire aujourd’hui le défaut de véracité des Évangiles.
Luc 18.36 Entendant passer beaucoup de gens, il demanda ce que c’était. – La foule qui se pressait sur les pas de Jésus était sans doute en grande partie composée de pèlerins, qui allaient à Jérusalem pour la Pâque. – Il demanda ce que c’était : Détail propre à S. Luc.
Luc 18. 37 On lui dit : « C’est Jésus de Nazareth qui passe. » 38 Aussitôt il s’écria : « Jésus, fils de David, ayez pitié de moi. » – La foule désigne simplement le Sauveur par son nom populaire, « Jésus de Nazareth » (v. 37). L’aveugle plein de foi lui donne sans hésiter son vrai titre, « Fils de David », c’est‑à‑dire Messie. cf. Matth. 1, 1 ; 9, 27 et le commentaire.
Luc 18.39 Ceux qui marchaient devant le réprimandèrent pour le faire taire, mais il criait beaucoup plus fort : « Fils de David, ayez pitié de moi. » – Ceux qui marchaient en avant, c’est‑à‑dire ceux qui étaient en tête du cortège. Ce détail est spécial au troisième Évangile. – Comme précédemment les apôtres (v. 18), ces gens voulaient débarrasser Jésus d’un mendiant importun. L’intention était bonne ; mais qu’ils connaissaient mal celui qu’ils prétendaient protéger de la sorte.
Luc 18.40 Alors Jésus s’arrêtant, commanda qu’on le lui amenât et quand l’aveugle se fut approché, il lui demanda : – Jésus ordonna qu’on le lui amenât. Détail pittoresque, bien naturel dans la circonstance, et propre à S. Luc. S. Marc raconte comment l’aveugle sut courir lui‑même auprès de Jésus.
Luc 18.41 « Que veux-tu que je te fasse ? » Il dit : « Seigneur, que je voie. » – Que je voie. Ainsi interpellé, ce n’est plus une vague prière qu’il adresse à Jésus : il le conjure instamment de lui rendre la vue.
Luc 18. 42 Et Jésus lui dit : « Vois. Ta foi t’a sauvé. » 43 À l’instant il vit et il le suivait en glorifiant Dieu. Et tout le peuple, voyant cela, donna louange à Dieu. – Vois est encore une particularité de S. Luc. – De même en glorifiant Dieu, et tout le peuple… rendit gloire à Dieu. On a remarqué que notre évangéliste aime à signaler les sentiments de reconnaissance auxquels donnaient lieu les miracles du Sauveur. cf. 5, 26 ; 7, 17 ; 9, 43 ; 13, 37 ; 17, 15 ; 23, 47.


