Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

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CHAPITRE 20

Luc 20, 1-8 = Mth 21, 23-27 ; Marc. 11, 27-33.

Luc 20.1 Un de ces jours-là, comme Jésus enseignait le peuple dans le temple et qu’il annonçait la bonne nouvelle, les Princes des prêtres et les Scribes survinrent avec les Anciens, – « Saint Luc semble ne pas distinguer les jours : il trace l’histoire des vendeurs et des acheteurs chassés du temple, mais il passe sous silence les différentes courses de la ville à Béthanie, et de Béthanie à la ville, le figuier maudit, l’étonnement des disciples et la réponse sur la puissance de la foi ; il dit seulement ceci : Il enseignait tous les jours dans le temple » S. August. Accord des Évangélistes 2, 69. Ces jours représentent les derniers jours que Notre‑Seigneur passa à Jérusalem entre son triomphe et sa mort ; « un » de ces jours fut le mardi saint, d’après S. Marc, 11, 20 (voyez le commentaire). Nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises dans le troisième Évangile (5, 17 ; 8, 22) cette formule générale. – Il enseignait le peuple. Le mot suivant, annonçait la bonne nouvelle, tant aimé de notre évangéliste et de S. Paul (ils l’emploient à eux deux jusqu’à 45 fois), précise la nature de l’enseignement actuel du Sauveur dans le temple : il prêchait l’Évangile, la bonne nouvelle ; il parlait du royaume messianique. – Survinrent. Le verbe grec signifie souvent : arriver à l’improviste, avec des intentions hostiles. Il caractérise beaucoup mieux que les expressions parallèles de S. Matthieu et de S. Marc le but que se proposait la députation du Sanhédrin, quand elle vint tout à coup interrompre le discours de Jésus.

Luc 20.2 et lui dirent : « Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses, ou qui vous a donné cette autorité ? » – La question a deux parties bien distinctes : 1° Par quelle autorité… Quelle est la nature de votre mandat ? 2° (avec la particule ou pour servir de transition) par quel intermédiaire vous a‑t‑il été transmis, d’où vient‑il ? Les Sanhédristes avaient autrefois adressé une demande du même genre à S. Jean-Baptiste, mais dans un esprit moins hostile, Jean 1, 19 et ss. Elle est si parfaitement conforme à toutes les habitudes rabbiniques, telles qu’elles nous sont dévoilées par le Talmud, que Strauss lui‑même n’hésite pas à admettre l’authenticité de cette scène.

Luc 20.3 Jésus leur répondit : « Moi aussi je vous ferai une question. Répondez-moi. 4 Le baptême de Jean était-il du ciel ou des hommes ? » – Quelle majesté, quel calme, quelle douceur dans la réponse de Jésus. Mais aussi quel à propos tout divin pour confondre ses adversaires pendant cette « journée des tentations ». cf. vv. 20 et ss., 27 et ss. ; Marc. 12, 28 et ss. – Répondez‑moi. Les paroles du Sauveur sont citées plus complètement dans les deux autres récits. – Le baptême de Jean… En d’autres termes, Jean‑Baptiste était‑il un prophète ou un imposteur ?

Luc 20.5 Mais ils faisaient entre eux cette réflexion : « Si nous répondons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi n’avez-vous pas cru en lui ? 6 Et si nous répondons : Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean était un prophète. »Ils pensaient en eux‑mêmes. Embarrassés par ce tour inattendu donné à l’entretien, ils délibèrent entre eux pour chercher une échappatoire. – Si nous répondons… Comme ils pèsent habilement toutes les éventualités possibles. Mais en vain ; ils ne réussiront pas à trouver une issue honorable, dès lors qu’ils ne s’inquiètent que de leur vanité personnelle, et nullement des droits de la vérité. – Tout le peuple nous lapidera. Mot très fort, employé en ce seul endroit du N. T. La réflexion des Sanhédristes est spéciale à S. Luc sous cette forme énergique (cf. S. Matth. et S. Marc). La crainte qu’ils expriment était d’ailleurs très sérieuse, comme le démontrent divers faits du Nouveau Testament, relatifs soit à N.S. Jésus‑Christ, Jean 10, 31, soit à S. Étienne, Actes 7, 56-59. La lapidation était le supplice légal pour les délits religieux, et les foules juives ne craignaient pas à l’occasion de l’infliger sommairement. – Car il est persuadé que Jean était un prophète. Encore une expression vigoureuse, propre à S. Luc. Le temps du verbe grec indique une certitude parfaite, immuable. Et c’était vrai. Josèphe affirme également que la foi du peuple à la mission divine de S. Jean était aussi ardente qu’unanime. Ant. 18, 5, 2.

Luc 20.7 Ils lui répondirent donc qu’ils ne savaient d’où il était. – S. Matthieu et S. Marc emploient le langage direct : « nous ne savons pas ». D’après un beau proverbe talmudique, l’homme doit apprendre à sa langue à dire « je ne sais pas », et en effet, dans bien des cas, une pareille réponse est noble parce qu’elle est humble ; mais c’était ici un lâche mensonge.

Luc 20.8 « Et Moi, leur dit Jésus, je ne vous dis pas non plus par quelle autorité je fais ces choses. » – Parfaite application de l’axiome : « Réponds à l’insensé selon sa folie, sinon il va se prendre pour un sage. », Proverbes 26, 5. Si vous êtes incompétents pour porter un jugement sur l’autorité de S. Jean‑Baptiste, vous l’êtes aussi au sujet de la mienne. – Voyez du reste l’explication détaillée de tout ce passage dans nos commentaires sur S. Matthieu et sur S. Marc.

Luc 20, 9-19 = Mth 21, 33-46 ; Mc. 12, 1-12.

Luc 20.9 Alors il se mit à dire au peuple cette parabole : « Un homme planta une vigne et la loua à des vignerons, puis il s’en alla pour un temps assez long en pays étranger. – D’après les autres évangélistes, Jésus aurait continué de s’adresser aux délégués du Sanhédrin quand il exposa la parabole des vignerons perfides. Les deux choses furent vraies en même temps, puisque les Sanhédristes aussi bien que la foule étaient alors auprès de Notre‑Seigneur. cf. v. 19. – Un homme planta une vigne. S. Luc ne dit rien des soins multiples dont avait été entourée cette plantation. Le propriétaire symbolise Dieu ; les vignerons figurent les chefs spirituels de la nation juive, qui est elle‑même représentée par la vigne. cf. Isaïe 5, 1-7. – Il fut longtemps hors du pays (cf. 8, 29) est un détail spécial. Il faut entendre, par cette longue absence du propriétaire, le temps qui s’écoula depuis l’alliance du Sinaï et l’entrée des Juifs dans la Terre promise jusqu’à la venue du Messie, c’est‑à‑dire environ 2000 ans. « Il s’est passé beaucoup de temps avant qu’on ne voie une exaction. Car, plus la libéralité est indulgente plus inexcusable est l’opiniâtreté », S. Ambroise, Exp. in Luc. 9, 23.

Luc 20.10 La saison étant venue, il envoya un serviteur aux vignerons, afin qu’ils lui donnassent du produit de la vigne. Mais eux, l’ayant battu, le renvoyèrent les mains vides. 11 Il envoya encore un autre serviteur, mais, l’ayant aussi battu et traité indignement, ils le renvoyèrent les mains vides. 12 Il en envoya un troisième, mais, lui aussi, les vignerons le blessèrent et le jetèrent dehors. – Suivant la loi juive, Lévitique 19, 23-25, on ne pouvait jouir des fruits d’une vigne que cinq ans après sa plantation. Elle était censée impure les trois premières années, et, la quatrième, les fruits appartenaient au Seigneur comme prémices. – Il envoya un serviteur. Ce serviteur et les deux suivants sont le type des prophètes qui furent, aux différentes périodes de l’histoire juive, des intermédiaires entre Dieu et son peuple. – Ils le battirent. Les outrages vont croissant, comme aussi la patience vraiment divine du propriétaire. Un homme ne subirait pas deux fois impunément de pareilles injures. 

Luc 20.13 Alors le maître de la vigne se dit : Que ferai-je ? J’enverrai mon fils bien-aimé, peut-être qu’en le voyant ils auront pour lui du respect. » – Sublime délibération, que S. Luc seul a relatée complètement. Comme en d’autres circonstances solennelles, Genèse 1, 26 ; 6, 7, Dieu tient pour ainsi dire conseil avec lui‑même avant de prendre une décision importante pour l’humanité. – J’enverrai mon fils. C’est encore la miséricorde qui l’emporte ; mais la miséricorde poussée à son extrême limite. – Peut‑être éprouveront‑ils du respect. Cet anthropomorphisme est très bien commenté par S. Jérôme : « En disant : ils respecteront mon fils, il ne dit pas cela comme s’il l’ignorait.  Car qu’est‑ce qui est inconnu au père de famille qui tient lieu ici la place  de Dieu ? Mais on dit toujours que Dieu se pose des questions pour laisser de la place à la libre volonté de l’homme ». 

Luc 20.14 Mais lorsque les vignerons le virent, ils se dirent entre eux : Celui-ci est l’héritier, tuons-le, afin que l’héritage soit à nous. – Les vignerons aperçoivent à distance et reconnaissent le fils de leur propriétaire. Aussitôt ils délibèrent à leur tour ; mais c’est pour prendre une horrible résolution : « Celui‑ci est l’héritier ; tuons‑le ». Sur ce titre d’héritier, appliqué à Notre‑Seigneur, voyez Hébreux 1, 2. Avec quelle force et quelle clarté tout ensemble Jésus dévoile devant le peuple les trames honteuses de ses chefs et le motif réel de la haine dont ceux‑ci le poursuivaient. Ces hommes ont fait de la théocratie leur propriété, et, ce pouvoir qu’ils ont exploité jusqu’ici à leur profit, ils ne peuvent se résoudre à le déposer entre les mains du Fils, qui vient le réclamer au nom de son Père.

Luc 20.15 Et l’ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent. Que leur fera donc le maître de la vigne ? 16 Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à d’autres. » Ce qu’ayant entendu, ils dirent : « A Dieu ne plaise. »L’ayant chassé hors de la vigne… Les trois récits mentionnent cette circonstance. Naboth, que les SS. Pères citent volontiers comme une figure de la mort du Messie, avait été pareillement traîné hors de sa vigne avant d’être lapidé, 1 Rois 21, 13. cf. S. Ambroise, Expos. in Luc. 9, 33. – Que leur fera donc le maître de la vigne… Comparez le Que ferais‑je du v. 13. Mais la conclusion sera bien différente. – Il viendra… S. Luc, comme S. Marc, semble mettre cet arrêt sévère sur les lèvres de Notre‑Seigneur, tandis que, d’après S. Matthieu, il aurait été proféré par les Sanhédristes. Il n’y a pas d’antilogie réelle, car l’on peut dire, ou bien (et c’est le plus probable) que le second et le troisième des synoptiques abrègent, ou bien que Jésus répéta, pour l’accentuer, la juste sentence que ses adversaires avaient portée contre eux‑mêmes. – A Dieu ne plaise. (qu’il n’en soit pas ainsi!). Cette formule déprécatoire, qui n’apparaît qu’en ce passage des Évangiles, mais que S. Paul emploie jusqu’à dix fois dans la seule lettre aux Romains, fut sans doute prononcée par le peuple, comme pour détourner un mauvais présage. L’assistance avait donc compris le sens de la parabole. – Il donnera la vigne à d’autres. Substitution terrible, mais parfaitement légitime. cf. Actes 13, 46.

Luc 20.17 Mais, fixant le regard sur eux, Jésus dit : « Qu’est-ce donc que cette parole de l’Écriture : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre angulaire ? 18 Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé et celui sur qui elle tombera, sera écrasé. »Mais lui, les regardant… détail pittoresque, propre à S. Luc. Le grec (regarder dedans) marque un regard fixe, pénétrant. – Qu’est‑ce donc que ceci qui est écrit… Donc, c’est‑à‑dire, dans le cas où votre « qu’il n’en soit pas ainsi » serait exaucé, comment s’accompliraient les Écritures, qui prédisent aux ennemis du Christ les châtiments les plus rigoureux ? Jésus donne ainsi plus de force à sa menace à l’insérant dans une révélation divine. Le passage cité, la pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient…, est tiré du même Psaume 117 (v. 22) auquel la foule empruntait naguère ses vivats enthousiastes (19, 38). Il exprime sous une forme nouvelle et plus énergique la pensée développée dans la parabole ; car Jésus est la pierre d’abord méprisée, puis placée au point fondamental de l’édifice, tandis que les constructeurs, comme plus haut les vignerons, figurent les autorités juives. Voyez S. Matth. – Quiconque tombera sur cette pierre… Ces paroles composent un vers antithétique, avec gradation ascendante de la pensée dans le second hémistiche. Les corrélatifs grecs des verbes briser et écraser sont très expressifs. Le second, qui est encore plus énergique que le premier, a le sens de passer au crible. Voyez dans 1 Corinthiens 1, 13, la réalisation de cette menace.

Luc 20.19 Les Princes des prêtres et les Scribes cherchèrent à se saisir de lui à l’heure même, mais la crainte du peuple les retint, car ils comprenaient bien que c’était pour eux que Jésus avait dit cette parabole. – Jésus n’avait pas seulement refusé de répondre à la « question dictatoriale » des Sanhédristes ; il avait en outre dénoncé à la face du peuple leur conduite anti‑théocratique et fait retentir au‑dessus de leurs têtes le tonnerre des vengeances célestes. Aussi, plus irrités que jamais, se mettent‑ils à délibérer encore (cf. 19, 47 et ss.) pour trouver le moyen de s’emparer de lui sur‑le‑champ (à cette heure même : c’est là un détail propre à S. Luc) ; mais de nouveau la crainte du peuple les retint. – Car ils avaient reconnu que c’était contre eux qu’il avait dit cette parabole. Ils disaient juste. C’était la réalisation de l’adage « si l’on change le nom, cette histoire s’applique à vous ». Cette réflexion, commune aux trois synoptiques, est précieuse, parce qu’elle nous révèle le but immédiat de la parole des vignerons homicides.

Luc  20, 20-26 = Mth. 22, 15-22 Mc. 12, 13-17

Voyez nos commentaires sur S. Matthieu et sur S. Marc. 

Luc 20.20 Ils ne le perdirent donc pas de vue et lui envoyèrent des espions qui feignaient d’être justes, pour le surprendre dans ses paroles, afin de le livrer à l’autorité et au pouvoir du gouverneur. – Petit préambule historique, plus complet dans le troisième Évangile que dans les deux autres. S. Luc a de vigoureux coups de pinceau pour décrire la conduite basse et hypocrite des ennemis de Jésus. – ne le perdirent donc pas de vue : en mauvaise part, comme en d’autres endroits. cf. 6, 7 ; 14, 1 ; 17, 20. – Ils envoyèrent des espions. Le mot grec, employé seulement en ce passage du N. T., est classique pour désigner les hommes perfides. Ils se postent en embuscade dans des lieux secrets,  d’où ils tendent des embûches aux autres. Les récits parallèles nous apprennent que ces émissaires étaient les disciples des Pharisiens. – Qui feindraient d’être justes. Expression parfaitement choisie, puisqu’elle signifie : faire l’hypocrite ; on ne la trouve qu’en cet endroit du N. T. « Justes », des modèles de justice au point de vue de la loi juive, et de la théocratie.- Pour le surprendre dans ses paroles. C’était l’objet direct de ce noir complot : surprendre sur les lèvres de Jésus quelque parole compromettante. cf. Ecclésiastique 8, 11. Puis, comme conséquence naturelle en cas de réussite, le livrer au gouverneur romain, car ils avaient perdu le « droit du glaive ». L’autorité désigne l’autorité romaine en général ; la puissance du gouverneur est plus spécial et représente le pouvoir délégué du « procurateur » qui exerçait ses fonctions au nom de l’empereur.

Luc 20.21 Ces gens l’interrogèrent en ces termes : « Maître, nous savons que vous parlez et enseignez avec droiture et avec impartialité, mais que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. 22 Nous est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? » – Non contents de se couvrir du masque de la perfection légale, les tentateurs essaient encore de dissimuler leurs embûches derrière un faux‑semblant de courtoisie, de déférence. Leurs compliments ont dans S. Luc un coloris spécial : Nous savons que vous parlez et enseignez (la parole de l’homme privé et l’enseignement du docteur) avec droiture (sans dévier de la ligne droite). On a dit très justement qu’il y a dans ces éloges pharisaïques quelque chose d’aussi affreux que dans le baiser du traître Judas. – Nous est‑il permis de payer le tribut à César ? S. Luc fait seul usage d’un mot grec qui désigne la taxe annuelle de capitation et les impôts fonciers, par opposition à l’impôt sur les marchandises. Étrange question, qui n’avait nullement embarrassé le saint roi Ézéchias, non plus que le prophète Jérémie, non plus qu’Esdras et Néhémie ; car, sans cesser d’être de vrais Israélites, il n’hésitèrent pas à reconnaître la suzeraineté de Ninive, de Babylone ou de la Perse ; mais les principes étroits des Pharisiens avaient suscité des scrupules touchant un point parfaitement clair. Aussi Jésus, par sa réponse, pouvait‑il attirer sur lui les représailles soit des Romains, s’il disait Non, soit de ses compatriotes, s’il disait Oui.

Luc 20.23 Jésus, connaissant leur fourberie, leur dit : « Pourquoi me tentez-vous ? 24 Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l’effigie et le nom ? » Ils lui répondirent : « De César. »Montrez‑moi un denier. S. Luc, comme S. Marc, mentionne dès maintenant le denier par anticipation ; car Notre‑Seigneur ne demanda pas une pièce de monnaie déterminée, mais d’une manière générale une pièce de monnaie, suivant la rédaction plus précise de S. Matthieu. – De qui porte‑t‑il l’image… Cette simple question contenait déjà la solution du problème. – Ils lui répondirent : de César. Hélas. Ce n’était plus la monnaie nationale et sacrée, que battaient naguère les princes asmonéens. C’était un denier romain avec l’effigie de Tibère, l’empereur actuellement régnant.

Luc 20.25 Et il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » – Cette célèbre réponse de Jésus est reproduite de façon pratiquement identique par les trois évangélistes. Les tentateurs avaient demandé s’il était permis de donner le tribut : Jésus leur répond qu’ils sont tenus de le rendre, c’est‑à‑dire de le payer comme une dette. « Donc », car le Sauveur tire une conséquence de leur propre langage, v. 24. – A César ce qui est à César : l’impôt et tout ce qui est encore dû à César outre l’impôt, car Jésus élargit la pensée. – Et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette parole du Sauveur, que l’Église catholique a toujours prise pour base de ses théories diplomatiques, démontre combien se trompent ceux qui prétendent que le Christianisme constitue un danger pour l’État. Voyez aussi Romains 13, 6 et 7, où la même vérité est fortement inculquée. Mais n’entendrons‑nous pas bientôt (23, 2) les Pharisiens affirmer que Jésus avait défendu de payer l’impôt à César ?

Luc 20.26 Ainsi ils ne purent le prendre en défaut sur aucune parole devant le peuple et admirant sa réponse, ils gardèrent le silence.Et ils ne purent rien reprendre dans ses paroles… Cette première réflexion est propre à S. Luc. Elle contient une nouvelle indication du but que s’étaient proposés les adversaires de Notre‑Seigneur, qui voulaient le surprendre dans ses paroles (v. 20). – Devant le peuple est emphatique : en face de la foule, qui se montrait en masse favorable à Jésus, et qu’on espérait détacher de sa personne en le déconsidérant. – Ayant admiré sa réponse… Autrefois, les Docteurs de Jérusalem avaient admiré la sagesse du divin Enfant (2, 47) ; maintenant ils admirent malgré eux celle de l’homme mûr. – Ils se turent est une autre particularité de S. Luc. « Que dire contre Jésus après une parole si sage, si simple, si précise ? A quel tribunal l’accuser ? César est satisfait, Dieu est glorifié, ses ennemis sont pris par leurs propres paroles et réduits à se taire. Il déjoue tous leurs vains artifices avec une sagesse qu’on ne peut assez admirer, avec une douceur inaltérable et une majesté toute divine » (Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, médité, 5è éd. t. 4, P. 4 et 5).

Luc 20, 27-40 = Mth. 22, 23-33 Mc 12, 18-27.

Luc 20.27 Quelques-uns des Sadducéens, qui nient la résurrection, s’approchèrent alors et l’interrogèrent :Quelques‑uns des Sadducéens. Sur cette secte du Judaïsme, voyez S. Matth. Jusqu’ici les Sadducéens s’étaient montrés beaucoup moins hostiles à Jésus que le parti pharisaïque, car la mondanité épicurienne est plus tolérante que le fanatisme ; mais aujourd’hui tous les chefs de la nation juive luttent contre le Messie.

Luc 20.28 « Maître, lui dirent-ils, Moïse nous a donné cette loi : Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d’enfant, que son frère prenne sa femme et suscite des enfants à son frère.Moïse à écrit… Les Sadducéens exposent d’abord le principe sur lequel ils appuieront ensuite leur objection. Ce principe consiste en une loi édictée par Moïse et connue sous le nom de loi du lévirat. cf. Deutéronome 25, 5 et 6. – Ayant une femme, meurt sans laisser d’enfants… Comparez les nuances d’expression dans les trois récits.

Luc 20.29 Or il y avait sept frères, le premier prit une femme et mourut sans enfant. 30 Le second prit sa femme et mourut aussi sans enfant, 31 le troisième la prit ensuite et de même tous les sept et ils moururent sans laisser d’enfant. 32 Après eux tous, la femme mourut aussi. – Exposé de la difficulté, sous la forme d’un cas de conscience probablement imaginaire, quoique possible (cf. Tobie 6, 14), et présenté de manière à jeter du ridicule sur le dogme de la résurrection. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu 22, 23-33.

Luc 20.33 Duquel donc, au temps de la résurrection, sera-t-elle la femme, car elle l’a été de tous les sept ? » – C’est la conclusion de toute l’argumentation qui précède, vv. 28-32. – Duquel sera‑t‑elle l’épouse ?

Luc 20.34 Jésus leur dit : « Les enfants de ce monde se marient et sont donnés en mariage, – A la question des Sadducéens un Rabbin quelconque aurait répondu (car les Docteurs juifs avaient examiné le cas) en affirmant que la femme appartiendrait dans l’autre monde à son premier mari. Solution bien mesquine à côté de celle de Jésus, qui ouvre en partie pour nous les portes du ciel et nous permet de jeter sur l’état futur des prédestinés un regard ravi. – Les enfants de ce monde : Hébraïsme pour désigner les hommes tels qu’ils vivent présentement sur la terre. Ailleurs (par ex. 16, 8 ; voyez le commentaire) cette locution est employée au point de vue moral et signale la partie la plus dépravée du genre humain ; mais tel n’est pas ici le cas. – Se marient et sont donnés en mariage (les femmes qui sont données en mariage par leurs parents). Plus haut, 17, 27, ce même détail était noté comme l’indice d’une vie sensuelle et mondaine ; il apparaît simplement en ce passage comme une nécessité de la condition actuelle des hommes, par opposition à l’état des bienheureux (vv. 35 et 36). Le verbe grec correspondant à donnée en mariage (littéralement : être donnée en mariage au dehors) ne se trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament.

Luc 20.35 mais ceux qui ont été trouvés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts, ne prennent pas de femme et n’ont pas de mari, – Le monde à venir est mis en contraste avec « de ce monde ». Notre‑Seigneur ne parlait alors que des élus. cf. 11, 36 ; 2 Thessaloniciens 1, 5 ; Apocalypse 3, 4. Comparez aussi la locution rabbinique : « digne du monde futur ». – Ne se marieront pas… Les verbes sont au présent dans le texte grec, de même qu’au v. 34.

Luc 20.36 aussi bien ne peuvent-ils plus mourir, puisqu’ils sont comme les anges et qu’ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection. – Jésus explique pourquoi il n’y aura plus de mariages dans le ciel. Il existe, tel est son raisonnement, une étroite corrélation entre la mort et la génération charnelle, celle‑ci n’ayant d’autre but que de réparer les brèches produites par celle‑là. Quand la mort sera détruite le mariage cessera de même. Actuellement il faut des naissances quotidiennes, sans quoi l’espèce humaine ne tarderait pas à disparaître : quand l’espèce sera devenue immobile, immortelle, il n’y aura plus besoin d’individus nouveaux. L’arbre de l’humanité ne poussera plus de branches fraîches, sa croissance étant complète. – Ils sont comme les anges. Le Seigneur, poursuivant son argumentation, indique les motifs pour lesquels les ressuscités ne sauraient mourir. Leur nature sera transformée, car 1° ils participeront à l’état angélique (voyez S. Matth.), 2° ils seront fils de Dieu, par là‑même qu’ils seront fils de la résurrection (hébraïsme qui équivaut à « ressuscités »). Nos pères mortels ne peuvent nous communiquer qu’une vie mortelle ; Dieu, lorsqu’il deviendra notre père d’une manière toute admirable par le grand acte de la résurrection, lequel est « une espèce de génération nouvelle pour l’immortalité » (D. Calmet, h. l.), fera passer dans nos membres transfigurés quelque chose de son essence spirituelle, et dès lors ils ne pourront plus mourir. – On le voit, si S. Luc a omis le début de la réponse du Sauveur (cf. Matth. 22, 29 ; Marc. 12, 24), en revanche quelles particularités précieuses n’a‑t‑il pas conservées.

Luc 20.37 Mais que les morts ressuscitent, c’est ce que Moïse lui-même a fait connaître dans le passage du Buisson, lorsqu’il nomme le Seigneur : Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. – Après avoir réfuté les idées préconçues des Sadducéens sur la condition des bienheureux dans l’autre vie (vv. 34 à 36), Notre‑Seigneur, dans cette seconde partie de sa démonstration (vv. 37 et 38), leur prouve par les saintes Écritures la certitude de la résurrection. Voyez l’explication détaillée dans S. Matth. – Moïse lui-même a fait connaître : Moïse lui‑même sur qui vous prétendez vous appuyer pour nier la résurrection des morts. – Dans le passage du buisson. Ainsi que nous l’avons montré dans notre commentaire du second Évangile, cette locution désigne le chap. 3 de l’Exode, où est racontée l’apparition de Dieu à Moïse auprès du buisson ardent. Comparez les exemples suivants empruntés au Talmud : Berach. Fol. 2, 1, c’est‑à‑dire Isaïe 6, 6 ; fol. 4, 2, c’est à dire Daniel 9, 21. Voyez dans le commentaire de Fritzsche sur la lettre aux Romains 11, 2, l’emploi de formules analogues chez les écrivains romains et grecs. – Les deux autres synoptiques citent directement les paroles du Seigneur à Moïse ; S. Luc se sert du langage indirect, pour abréger.

Luc 20.38 Or il n’est pas Dieu de morts, mais des vivants, car tous sont vivants devant lui. » – Quelle force, quelle profondeur, et en même temps quelle simplicité de raisonnement. – Tous sont vivants devant lui. Ces mots, propres à S. Luc, sont destinés à démontrer que Dieu est par excellence le Dieu des vivants. cf. Romains 14, 8-9.

Luc 20.39 Quelques-uns des Scribes, prenant la parole, lui dirent : « Maître, vous avez bien parlé. » – Ce détail n’est raconté que par S. Luc. – Les Scribes étaient généralement hostiles à Jésus ; ils ne purent néanmoins s’empêcher d’admirer la sagesse avec laquelle il avait réfuté les sceptiques Sadducéens : quelques‑uns d’entre eux lui adressèrent même un éloge public : vous avez bien parlé. – Notre évangéliste omet ici, probablement parce qu’il en avait raconté plus haut (10, 25 et ss.) un semblable, l’épisode relatif au plus grand commandement, qui eut lieu, suivant les deux autres synoptiques (Matth. 22, 34-40 ; Marc. 12, 28-34), aussitôt après que Jésus eut réduit les Sadducéens au silence.

Luc 20.40 Et ils n’osaient plus lui poser aucune question.  – cf. Matth. 22, 46 ; Marc. 12, 34. Le texte grec peut être interprété selon deux nuances de la même pensée. D’après la première leçon, les Scribes louent Jésus, mais se gardent bien de le questionner davantage ; d’après la seconde, qui est plus expressive, leurs louanges avaient pour but de masquer leur retraite.

Luc 20, 41-44 = Mth 22, 41-46 ; Mc 22, 35-37.

Luc 20.41 Jésus leur dit : « Comment dit-on que le Christ est fils de David ? 42 David lui-même dit dans le livre des Psaumes : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, 43 jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds. – La scène se passa encore dans le temple (Marc. 12, 35), et de nombreux Pharisiens étaient alors réunis autour de Jésus (Matth. 22, 41). – Comment dit‑on… ? D’une manière générale : Dans quel sens dit‑on … – Puisque David lui‑même… c’est‑à‑dire : Et pourtant David lui‑même semble affirmer le contraire. – Le Seigneur a dit à mon Seigneur. La traduction littérale du texte hébreu serait : Oracle du Seigneur (Dieu) à mon Seigneur (Adonaï). – Assieds‑toi à ma droite. C’est la place d’honneur que Dieu donne à son Christ, symbole des pouvoirs égaux aux siens qu’il lui confie. – Jusqu’à ce que je fasse… cf. 1 Corinthiens 15, 25.

Luc 20.44 David l’appelle donc Seigneur, comment peut-il être son fils ? » – A la fin de son raisonnement, Jésus réitère sa question en la précisant davantage : Comment est‑il possible d’être en même temps l’inférieur et le supérieur de quelqu’un ? Aujourd’hui, un enfant du catéchisme répondrait à cette difficulté. Le Messie, dirait‑il, est fils de David par sa génération temporelle, et le Seigneur de David par sa génération éternelle. Mais c’était alors la plus délicate, la plus complexe des questions théologiques. Aussi, pour la seconde fois dans ce jour mémorable, les Docteurs furent‑ils contraints d’avouer leur ignorance. cf. v. 7.

Luc 20, 45-47 = Mth. 23, 1-36 ; Mc. 12, 38-40.

Luc 20.45 Tandis que tout le peuple l’écoutait, il dit à ses disciples : – Petite introduction historique, dont le premier détail, tandis que tout le peuple (avec emphase sur tout), est propre à notre évangéliste. Ce fut donc en présence d’une foule considérable (cf. Matth. 23, 1) que Jésus dénonça les vices des docteurs juifs. Toutefois, comme l’expriment les paroles suivantes, il dit à ses disciples, il s’adressait alors plus spécialement à ses apôtres et à ses disciples, qu’il voulait prémunir contre les mauvais exemples venus de si haut.

Luc 20.46 « Gardez-vous des Scribes, qui se plaisent à se promener en longues robes, qui aiment à être salués dans les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les festins : – S. Matthieu mentionne les Pharisiens à côté des Scribes. Comme les docteurs de la loi étaient les membres les plus influents du parti pharisaïque, nous avons ici la partie pour le tout. – Qui se plaisent à se promener… Ces divers détails mettent admirablement en relief l’esprit d’ostentation des Scribes. Sur la robe, voyez 15, 22 et le commentaire. Le Talmud dénonce également et menace du tribunal suprême « les hypocrites qui se drapent dans leurs robes pour faire croire qu’ils sont de vrais Pharisiens ».

Luc 20.47 ces gens qui dévorent les maisons des veuves et font pour l’apparence de longues prières, subiront une condamnation plus sévère. » – Expression toute classique, cf. Hom. Od. 4, 318. C’était là, d’après Exode 22, 21 et s., un crime dont la voix s’élevait jusqu’au ciel. cf. Isaïe 10, 1, 2. Josèphe aussi, Ant. 18, 2, 4, reproche aux Pharisiens d’exercer une influence abusive sur le monde féminin. Mais le reproche du Sauveur est encore plus explicitement confirmé par ce passage du Talmud (Sota Hieros, 20, 1) : « Il y en a qui conspirent avec les orphelins pour enlever à la veuve ses aliments. Les richesses de n’importe quelle veuve sont la proie du Sabbat.  R. Éleazar a dit à l’une d’entre elles : la plaie des Pharisiens te touche ». – Sous prétexte de longues prières. Ils unissaient ainsi l’hypocrisie à la rapacité. Mais leur châtiment équivaudra à leur malice.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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