Chapitre 21
Luc 21, 1-4 = Marc. 12, 41-44.
Luc 21.1 Jésus, levant les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le Tronc. – Ayant levé les yeux pour contempler la scène nouvelle qui se passait autour de lui. S. Marc raconte en effet qu’après avoir maudit les Pharisiens et les Scribes, Jésus était venu s’asseoir contre le trésor du temple, et c’est là que nous le retrouvons après un court intervalle. Le Tronc, le trésor du temple est, comme le disaient déjà S. Cyrille et Quinte‑Curce (3, 13), dérivé du persan et du grec, et servait à désigner ici les treize troncs en forme de trompettes dans lesquels les Juifs jetaient les aumônes qu’ils destinaient aux frais du culte, à l’embellissement du temple, etc.
Luc 21.2 Il vit aussi une veuve très pauvre qui y mettait deux petites pièces de monnaie, – Il vit aussi une pauvre veuve. Dans le texte grec, pauvre est un diminutif plein de délicatesse, qui n’est pas employé ailleurs dans le Nouveau Testament. – Deux petites pièces de monnaie. C’était un peu plus qu’un de nos centimes. Les prescriptions talmudiques ne permettaient pas d’offrir une seule pièce.
Luc 21 3 et il dit : « Je vous le dis, en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres.4 Car tous ceux-là ont donné de leur superflu en offrande à Dieu, mais cette femme a donné de son indigence tout ce qu’elle avait pour vivre. » – Plus d’un spectateur dut sourire dédaigneusement quand l’humble veuve glissa son offrande dans le tronc : Jésus loue au contraire publiquement cet acte, dont il dévoile toute la générosité. – En vérité… Affirmation solennelle, pour mieux relever le grand principe qui va suivre. – Elle a mis plus que tous les autres. Et pourtant, d’après S. Marc, « de nombreux riches avaient donné beaucoup ». Mais Dieu juge autrement que les hommes. « Car s’il y a de l’ardeur, on est bien reçu avec ce que l’on a, peu importe ce que l’on n’a pas. », 2 Corinthiens 8, 12. Les païens eux‑mêmes admettaient ce juste critère. « Ce n’est pas la somme qui détermine le plus ou le moins, mais la condition de celui qui donne », Xénoph. Anab. 7, 7, 36. cf. Memorab. 1, 3, 3. « La magnanimité ne se mesure pas d’après la grandeur du don, mais d’après le rapport qui existe entre lui et la fortune du donataire », Aristote, Ethic. 4, 2. Le Talmud raconte qu’un grand‑prêtre, ayant durement refusé une poignée de farine qu’une pauvre femme lui offrait pour le temple, fut réprimandé par Dieu dans une vision et obligé d’accepter ce modeste sacrifice. « Et quel mérite y a‑t‑il à cela ? » nous disait un jour un gentilhomme aussi généreux que riche. – Celle‑ci a donné de son indigence : l’acte de cette femme était donc vraiment héroïque. « La petite somme d’argent est celle qui a le plus de valeur parce que le montant d’argent dépensé ne se calcule pas d’après ce qui est donné mais d’après ce qui reste. Personne n’a plus donné que celle qui ne s’est rien réservé », S. Ambroise De viduis, c. 5. Les anges seuls, avec Dieu, sont capables de supputer les gros intérêts qu’a produits l’obole de la pauvre veuve.
Discours sur la ruine de Jérusalem et sur la fin du monde. Luc 21, 5-36 = Matth. 24, 1-51 ; Marc. 13, 1-37.
Luc 21.5 Quelques-uns disaient que le temple était orné de belles pierres et de riches offrandes, Jésus dit : – De prime‑abord on croirait, d’après S. Luc, que cette nouvelle scène avait encore lieu sous les parvis ; mais les deux autres synoptiques nous apprennent qu’au moment où elle commença Jésus franchissait l’enceinte du temple (Matth. « Jésus était sorti » ; Marc. « comme Jésus sortait »). Il abrège donc ; mais il est aisé de compléter son récit. Il faut vouloir trouver de la contradiction quand même dans les Saints Évangiles pour conclure de cette variante, et d’autres semblables, que les écrivains sacrés sont en opposition les uns avec les autres. La vérité consiste à dire qu’ils parlent avec plus ou moins de précision. Les « quelques‑uns » qui attirèrent l’attention du Sauveur sur les beautés et les richesses du temple n’étaient autres que les disciples. – Orné de belles pierres… Voyez, au sujet de ces magnifiques monolithes, l’Evang. selon S. Marc. – Orné de riches offrandes. détail spécial. Il s’agit, comme le prouve l’emploi du mot grec correspondant à dons, classique dans ce sens, des dons sacrés que les personnages les plus célèbres et les plus divers (entre autres, Auguste, Julie, Ptolémée Evergète, etc.) avaient tenu à honneur d’offrir au temple de Jérusalem, de manière à en faire « un sanctuaire d’une immense opulence », suivant l’expression de Tacite, Hist. 5, 8. Les principaux étaient, indépendamment de coupes, de couronnes et de boucliers sans nombre, la chaîne d’or offerte par Agrippa, la table et le candélabre de la reine Hélène d’Adiabène, et surtout l’énorme cep d’or, d’un travail exquis, aux grappes atteignant la taille d’un homme, qu’Hérode‑le‑Grand avait fait placer au‑dessus du portique. Voyez le Talmud, Middoth, 3, 8 ; 2 Maccabées 3, 2 ; 5, 16 ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 13, 3 ; La Guerre des Juifs, 5, 5, 4.
Luc 21.6 « Des jours viendront où, de tout ce que vous regardez-là, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée. » – Jésus fait à ses disciples une réponse terrible. – Des jours viendront : après environ 40 années. – Il ne restera pas pierre sur pierre. Voyez 19, 44, et le commentaire.
Luc 21.7 Alors ils lui demandèrent : « Maître, quand ces choses arriveront-elles et à quel signe connaîtra-t-on qu’elles sont près de s’accomplir ? » – De nouveau S. Luc condense les faits. Jésus est maintenant assis au sommet de la montagne des Oliviers, entouré de ses quatre disciples les plus intimes, Pierre et André, Jacques et Jean, et ce sont eux qui l’interrogent familièrement pour lui faire expliquer la parole de mauvais augure proférée sur le seuil du temple. Voyez les passages parallèles. – Quand ces choses arriveront‑elles, et à quel signe… ? Deux questions que le Sauveur ne traitera pas de la même manière : à la première il ne fera qu’une réponse vague et indirecte, parce qu’il ne jugeait pas utile d’instruire les apôtres sur ce point ; mais il donnera de précieux renseignements sur la seconde.
Luc 21.8 Jésus répondit : « Prenez garde qu’on ne vous séduise, car plusieurs viendront sous mon nom, disant : Je suis le Christ et le temps est proche. Ne les suivez donc pas. – Prenez garde d’être séduits. Début frappant et solennel, qu’on trouve dans les trois rédactions. – Car plusieurs viendront… Jésus fait connaître clairement aux siens les hommes dangereux qui pourraient les séduire. – Sous mon nom, c’est à dire en usurpant mon nom. – Le temps est proche. détail propre à S. Luc. Le temps par antonomase, le temps fixé pour l’inauguration du royaume messianique. – Ne les suivez donc pas. Cette recommandation de Jésus est encore une spécialité de notre évangéliste. – Tel est le premier prélude, qui consiste dans l’apparition de faux Christs.
Luc 21.9 Et quand vous entendrez parler de guerres et de révoltes, ne soyez pas effrayés, il faut que ces choses arrivent d’abord, mais la fin ne viendra pas sitôt. » – Second prélude : ébranlements formidables dans le monde politique. – Guerres et révoltes. Le grec a « des guerres », par opposition à des combats isolés. Le mot grec correspondant à « révoltes » signifie littéralement des perturbations, des tumultes. cf. 1 Corinthiens 14, 33 ; Jacques 3, 16. – Ne soyez pas effrayés, expression énergique que nous retrouverons plus loin, 24, 37 ; littéralement : ne soyez pas émus, agités. – Il faut que ces choses arrivent : par conséquent demeurez calmes entre les bras de la divine Providence, en attendant la fin. – sitôt est une nuance propre à S. Luc.
Luc 2110 Il leur dit alors : « Une nation s’élèvera contre une nation et un royaume contre un royaume. 11 Il y aura de grands tremblements de terre, des pestes et des famines en divers lieux et dans le ciel d’effrayantes apparitions et des signes extraordinaires. – Alors… formule de transition, pour mettre en relief les idées qui vont suivre. Jésus reprend et développe sa prédiction du v. 9. – De grands tremblements de terre. Troisième prélude. Aux commotions politiques, signalées sous une nouvelle forme dans le v. 10, s’ajouteront celles de la nature. Les grands bouleversements physiques coïncident fréquemment avec les grandes crises de l’histoire. – Le détail qui suit, d’effrayantes apparitions dans le ciel (des apparitions terribles), et des signes extraordinaires (des phénomènes précurseurs d’une crise), est propre à S. Luc. « Des signes évidents annoncèrent le siège et la ruine de Jérusalem, car une étoile en forme de glaive et une comète furent suspendues sur la ville durant une année entière ; en pleine nuit la plus massive des portes du temple s’ouvrit d’elle‑même, et, chose fabuleuse en apparence, mais racontée par des témoins dignes de foi, avant le coucher du soleil on vit des chariots et des troupes de guerriers armés s’élancer à travers les rues et environner les cités ». Josèphe, Les Guerres des Juifs, 6, 5. cf. Tacite, Hist. 5, 13 ; 4 Esdras 5, 4.
Luc 21.12 Mais, avant tout cela, on mettra les mains sur vous et l’on vous persécutera, on vous traînera dans les synagogues et dans les prisons, on vous traduira devant les rois et les gouverneurs, à cause de mon nom. – Nouveau détail, spécial. S. Matthieu dit vaguement : « alors » ; nous apprenons au contraire par la rédaction de S. Luc que les persécutions dirigées contre l’Église, soit avant la destruction de l’état juif, soit avant la fin du monde, devaient ou doivent précéder tous les autres préludes (« avant tout cela »), c’est‑à‑dire, les guerres, les révolutions des empires, etc. Cela eut lieu en effet, comme nous le voyons au livre des Actes, avant la ruine de Jérusalem : ce signe se réalisa le premier de tous. Il en sera de même aux derniers jours du monde. – On mettra les mains sur vous… Les détails de cette violente persécution sont plus nombreux dans notre Évangile que dans les deux autres. C’était là du reste une ancienne prophétie de Jésus aux Douze. cf. 12, 11 ; Matth. 10, 17 et ss. – On vous traduira devant les rois… Les autorités païennes, aussi bien que les autorités juives, traitèrent les premiers fidèles avec la plus grande cruauté. – Les mots à cause de mon nom se rapportent au verset tout entier.
Luc 21.13 Cela vous arrivera, afin que vous me rendiez témoignage. – Cela vous arrivera… Bonne traduction du verbe grec, qu’on trouve seulement ici et Philippiens 1, 19, et qui indique habituellement un résultat heureux. Cette parole de Jésus contient donc une consolation. – Pour que vous rendiez témoignage. Quelques‑uns sous‑entendent : de la vérité (que je sois le Christ) ; d’autres : de leur perversité ; d’autres, plus probablement : de votre foi. On lit dans S. Marc avec une nuance : « ce sera pour eux un témoignage ».
Luc 21.14 Mettez donc dans vos cœurs de ne pas penser d’avance à votre défense, – Mettez donc dans vos cœurs, c’est‑à‑dire : prenez cette ferme résolution. – Vous n’aurez pas à méditer d’avance … Le texte grec est ici d’une énergique brièveté qui défie toute traduction. cf. le passage parallèle de S. Marc (13, 11). Les disciples de Jésus ne devront pas, en vue de leur apologie, se confier aux artifices de la rhétorique. Ils auront un secours plus puissant que l’éloquence humaine.
Luc 21.15 car je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront ni répondre, ni résister. – Quelle emphase visible dans ce car je… – Je vous donnerai… Métonymie très expressive, qu’on trouve dans toutes les langues. cf., pour l’idée, 12, 11-12 ; Matth. 10, 19-20 ; Exode 4, 15-16 ; Jérémie 1, 9. – Une sagesse. Le Seigneur fournira aux siens les pensées non moins que les paroles. – Vos adversaires ne pourront résister. Voyez au livre des Actes, 4, 14 ; 6, 10, la réalisation littérale de cette promesse, et l’influence irrésistible des arguments que l’Esprit Saint inspirait aux Apôtres. Plus tard, combien de fois les juges païens ne furent‑ils pas réduits au silence par les réponses des martyrs. – Vos ennemis. L’expression grecque correspondante est chère à S. Paul et à S. Luc : ils sont seuls à l’employer dans le Nouveau Testament. – La forme donnée à la pensée de Jésus dans ce verset est propre à notre évangéliste. cf. Marc. 13, 11.
Luc 21.16 Vous serez livrés même par vos parents, par vos frères, par vos proches et par vos amis et ils feront mourir plusieurs d’entre vous. – C’est la persécution domestique après la persécution publique et officielle. – Vous serez livrés. Même vos parents et vos amis vous persécuteront. cf. 1, 34 ; 12, 53, où nous avons déjà vu la désunion se glisser dans les familles à l’occasion du Christianisme. – Vos parents, vos proches… Désignation, en gradation descendante, des quatre sortes de personnes desquelles, habituellement, nous n’avons à attendre que de l’affection. – Ils feront mourir plusieurs d’entre vous. Les quatre apôtres qui entendaient cette prophétie, S. Pierre, S. André, S. Jacques et S. Jean, subirent tous plus tard le martyre.
Luc 21.17 Vous serez en haine à tous à cause de mon nom. – Universalité de la persécution : vous serez en haine à tous. cf. 12, 7 ; Matth. 10, 30. « ainsi, sur le point même où ils disent du mal de vous en vous traitant de malfaiteurs… », écrivait déjà S. Pierre aux premiers fidèles (1 Pierre 2, 12. cf. 2 Pierre 4, 18). Mais les victimes injustement persécutées pourront se consoler en pensant qu’elles souffrent pour le nom de Jésus.
Luc 21.18 Cependant pas un cheveu de votre tête ne se perdra, – Promesse d’une protection toute particulière durant la persécution. Nous avons déjà rencontré ailleurs (12, 7 ; Matth. 10, 30) cette assurance donnée aux disciples par Jésus. La forme pittoresque sous laquelle elle est exprimée marque très bien la sécurité. C’était du reste une locution proverbiale qui avait cours depuis longtemps chez les Juifs. cf. 1 Samuel 14, 45 ; 2 Samuel 14, 11 ; 1 Rois 1, 52. Voyez aussi Actes 27, 34. Mais, ici, n’est‑elle pas en contradiction avec le v. 16, où il est dit « l’on fera mourir plusieurs d’entre vous » ? Plusieurs rationalistes l’ont prétendu. Toutefois, comme l’admettent franchement d’autres rationalistes, l’antilogie n’est qu’apparente, et il est aisé de la faire tomber, soit en suppléant quelque idée sous‑entendue, par exemple : « Tant que vous serez utiles au service de Dieu », ou bien : « Sans la volonté divine » (de Wette) ; soit en appliquant ce verset à l’église considérée dans son ensemble : « La chrétienté ne souffrira rien de fâcheux, alors même que plusieurs particuliers perdraient la vie » (Godet) ; soit en prenant la phrase au spirituel : « Votre salut est assuré quand même » ; soit enfin, d’après M. Schegg, en voyant ici la règle et plus haut (v. 16) l’exception. Telle nous paraît être la meilleure solution de la difficulté. Elle n’a rien de subtil et elle s’harmonise fort bien avec l’histoire qui nous montre le Seigneur protégeant d’une manière merveilleuse la masse des fidèles, dans le cours des persécutions, tout en permettant le martyre d’un grand nombre.
Luc 21.19 par votre constance, vous sauverez vos âmes. – Ces paroles encore sont propres au récit de S. Luc, quoique Notre‑Seigneur les eût également proférées en d’autres circonstances (cf. 9, 14 ; Matth. 16, 25), et qu’elles existent sous une forme équivalente dans les passages parallèles de S. Matthieu (24, 13) et de S. Marc (13, 13). – Vous sauverez vos âmes. Mieux, d’après le texte grec, « vous acquerrez ». Vos âmes, par conséquent le salut éternel.
Luc 21.20 Mais lorsque vous verrez des armées investir Jérusalem, sachez alors que sa désolation est proche. – Lorsque sert de transition à cette nouvelle série de prédictions terribles. – Jérusalem entourée par une armée. Dans le grec, « par des armées » au pluriel, pour noter le grand nombre des assaillants. Et, en réalité, Jérusalem fut attaquée de trois côtés à la fois, par trois colonnes d’investissement qui formaient comme autant d’armées. S. Luc semble avoir remplacé à dessein par ce détail très clair l’expression toute judaïque « abomination de la désolation », qu’emploient S. Matthieu et S. Marc pour désigner les signes précurseurs de la ruine de Jérusalem. Il a du moins conservé le mot désolation à la fin de la phrase.
Luc 21.21 Alors que ceux qui seront dans la Judée s’enfuient dans les montagnes, que ceux qui seront dans la ville en sortent et que ceux qui seront dans les campagnes n’entrent pas dans la ville. – C’est grâce à cette pressante recommandation de Jésus que les chrétiens de la Judée durent d’échapper aux horreurs indicibles du siège. – Ceux qui seront dans la ville… il faut comprendre au milieu de Jérusalem, d’après le v. 20, et non au milieu de la Judée, ce qui serait une tautologie. détail propre à S. Luc. – Ceux qui sont dans les campagnes, par opposition à la ville ; selon d’autres, mais moins bien, dans les provinces. C’est encore un détail propre à notre évangéliste. – N’entrent pas dans la ville. En temps de guerre, les habitants des campagnes sont portés à se réfugier dans les places fortes du voisinage à l’approche des armées ennemies cf. Jérémie 4, 5-6. Cette circonstance, à laquelle se joignit le pèlerinage annuel des fêtes pascales, accumula dans Jérusalem une multitude énorme de Juifs qui périrent misérablement. Plusieurs ayant essayé de s’enfuir, le farouche sicaire Simon de Gérasa les fit égorger sans pitié. cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 4, 9, 10.
Luc 21.22 Car ce seront des jours de châtiment, pour l’accomplissement de tout ce qui est écrit. – Nouvelle particularité de S. Luc. Jésus indique pourquoi on devra fuir alors bien loin de Jérusalem : ce sera pour ne pas s’exposer à partager la triste destinée de cette ville coupable. – Des jours de châtiment : les jours de la vengeance divine, la ruine de Jérusalem étant irrévocablement et depuis longtemps décrétée. – Afin que s’accomplisse tout ce qui est écrit. Les menaces du Seigneur avaient retenti aux oreilles des Juifs depuis les jours de Moïse, Deutéronome 28, et les derniers prophètes les avaient solennellement reproduites. cf. Daniel 9, 26 et s. ; Zacharie 11 ; 14, 42.
Luc 21.23 Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là, car la détresse sera grande sur la terre, grande la colère contre ce peuple.– Comme dans les deux autres synoptiques, c’est là un Malheur plein de compassion. Ce « malheur » est motivé par de terribles détails, dont la mention est propre à S. Luc (vv. 23b et 24). – Une grande détresse : mots tout à faits expressifs dans le texte grec, pour désigner une angoisse suprême. – Sur la terre : plus probablement dans un sens restreint, c’est‑à‑dire, sur la terre juive, en Palestine, ainsi qu’il ressort des mots suivants, colère contre ce peuple. Le pronom « ce » est dédaigneux et terrible.
Luc 21.24 Ils tomberont sous le tranchant du glaive, ils seront emmenés captifs parmi toutes les nations et Jérusalem sera foulée aux pieds par les païens, jusqu’à ce que les temps des païens soient accomplis. – Jésus indique maintenant de quelle manière se manifestera la colère divine. – Ils tomberont sous le tranchant du glaive. Belle et forte figure, employée fréquemment dans les littératures sémitiques. cf. Genèse 34, 26 ; Deutéronome 13, 15 ; Josué 8, 24 ; Hébreux 11, 34. – Et ils seront emmenés captifs. D’après l’historien Josèphe, La Guerre des Juifs, 6, 9, 2, le nombre des Juifs qui périrent à Jérusalem fut de 1.000.000 ; celui des captifs, de 97000. « Après que le soldat fut las de tuer, Titus ordonna qu’on gardât les jeunes hommes les plus robustes et les mieux faits, pour orner son triomphe. Pour les autres qui étaient au‑dessus de l’âge de 17 ans, il les envoya en Égypte pour y travailler au mines. Titus en distribua un grand nombre d’autres dans les provinces, pour servir dans les théâtres aux spectacles du peuple, pour être exposés aux bêtes, etc. Ceux qui n’avaient pas 17 ans furent vendus et menés pour esclaves en divers endroits ». D. Calmet, h. l. La prédiction se réalisa donc à la lettre. On eût dit que la nation entière s’était donnée rendez‑vous dans sa capitale pour s’y faire égorger ou charger de chaînes. – Et Jérusalem sera foulée aux pieds… Ici encore la prophétie s’est accomplie en toute rigueur : Jérusalem a été prise, saccagée, foulée aux pieds tout à tour par les Romains, par les Perses, par les Sarrasins, par les Francs, par les Turcs. Les Juifs, ses anciens maîtres, y étaient simplement tolérés, moyennant une redevance qu’ils payaient au sultan. Et cependant, après l’exil de Babylone, ils l’avaient précisément fortifiée « on édifia tout autour de la montagne de Sion un rempart élevé, avec de puissantes tours, de peur que les païens ne viennent piétiner ces lieux comme auparavant », 1 Maccabées 4, 60. Cruelle ironie du sort. – Jusqu’à ce que le temps des païens soit accompli. Ces derniers mots présentent quelque obscurité. Les exégètes ne sont pas d’accord sur ce qu’il faut entendre par les « temps des païens », dont l’accomplissement mettra un terme au châtiment d’Israël. Il est peu probable que ce soit « jusqu’à la fin du monde », comme l’ont pensé Euthymius, F. Luc, etc. Le délai ainsi accordé aux Païens doit avoir des limites plus précises. Peut‑être les temps en question représenteraient‑ils l’époque où les peuples non‑juifs seront à leur tour mûrs pour le jugement, ou bien celle durant laquelle ils continueront à être les exécuteurs des vengeances divines, ou mieux encore, croyons‑nous, les jours qui leur seront accordés à eux‑mêmes pour se convertir. Telle était déjà l’opinion de Bède le Vénérable : « Jusqu’à ce que la plénitude des Païens entre dans l’Église du Christ », et un passage de la lettre aux Romains, 11, 25, « La cécité frappera en partie Israël jusqu’à ce que la plénitude des Païens entre », semble la favoriser singulièrement. Mais l’expression demeure en partie mystérieuse, et il est difficile de la préciser davantage.
Luc 2125 Et il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles et, sur la terre, les nations seront dans l’angoisse et la consternation, au bruit de la mer et des flots, 26 les hommes séchant de frayeur dans l’attente de ce qui doit arriver à la terre entière, car les puissances des cieux seront ébranlées. – Comme les deux premiers évangélistes, S. Luc passe tout à coup aux derniers jours du monde, conduisant ses lecteurs d’un horizon rapproché à un horizon lointain. Il abrège d’abord notablement, quand il se borne à mentionner des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles (cf. Matth. 24, 29 ; Marc. 13, 24 et 25, où la description de Jésus est plus développée) ; mais il signale ensuite plusieurs détails particuliers et très expressifs, à partir des mots et sur la terre. – Sur la terre : par opposition aux signes du ciel. – les nations seront dans l’angoisse. Expression très énergique dans le texte primitif, qui s’emploie soit au propre, soit au figuré. – Les mots bruit de la mer et des flots indiquent ce qui produira la perplexité des peuples, les vagues s’avanceront mugissantes, menaçant de tout engloutir. – Comme dans notre explication du passage parallèle de S. Matthieu (24, 29), nous prenons à la lettre ces prédictions de Jésus, tout en admettant qu’elles sont exposées d’après les idées populaires et non dans le langage des savants. Les prophètes décrivent de la même manière l’agonie du monde, les convulsions suprêmes qui annonceront sa dissolution. cf. Amos 8, 9 ; Joël, 2, 30 et s. ; Isaïe 13, 9-13 ; 34, 2 ; Ézéchiel 32, 7, 8, etc. Comparez ces beaux vers de Lucain, qui expriment des faits analogues : « Ainsi, quand se rompra la chaîne par laquelle le monde est lié, quand les siècles qui forment la vie de l’univers trouveront leur agonie, le chaos antique ressaisira son énorme proie ; on verra les astres du ciel se confondre et lutter ; leurs flammes expirer dans l’océan, les rivages refuser leurs digues à la mer, et la mer les envahir… » (Pharsale, 1, 72) – Les hommes séchant de frayeur. Quelle énergie de langage. – Dans l’attente : une attente pleine d’inquiétude, l’anxiété d’un mal imminent. – Les puissances des cieux. Sur cette locution, voyez S. Matth. Eschyle nomme les astres « les brillants roitelets ».
Luc 21.27 Alors on verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec une grande puissance et une grande gloire. – Après qu’auront paru les phénomènes décrits dans les vv. 25 et 26, le Fils de l’homme viendra avec grande puissance et majesté. Le premier avènement de Jésus avait eu lieu au contraire dans la faiblesse et l’humilité.
Luc 21.28 Quand ces choses commenceront à arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance approche. » – Tout ce verset est propre à S. Luc. – Lorsque ces choses commenceront à arriver : les signes terrestres et célestes qui viennent d’être mentionnés. Ces signes devant avoir une certaine durée, Jésus attire l’attention des disciples sur le « début » de leur apparition. Aussitôt, dit‑il, que vous les reconnaîtrez d’après ma prédiction, regardez et levez la tête. C’est‑à‑dire, élevez votre cœur, « soyeux heureux et debout » dit Cicéron (pro Font. 11) parlant tout ensemble au propre et au figuré. Cette belle métaphore est basée sur l’expérience universelle. « Ils ont coutume de lever la tête et de regarder en haut ceux qui ont l’âme bonne et sereine, et ceux qui ont bon espoir de se dégager du mal. Ceux qui sont tristes et affligés, et qui n’ont aucun espoir d’échapper au mal, baissent la tête et regardent la terre », Fr. Luc. – Car votre délivrance approche. Expression aimée de S. Paul. cf. Romains 3, 24 ; 8, 23 ; 1 Corinthiens 1, 30 ; Éphésiens 1, 7 ; Hébreux 9, 15 ; 11, 35, etc. Ce qui troublera le reste des hommes devra donc réjouir les chrétiens, parce que ce sera pour eux l’annonce de la délivrance, du bonheur éternel.
Luc 2129 Et il leur dit cette comparaison : « Voyez le figuier et tous les arbres : 30 dès qu’ils se sont mis à pousser, vous savez de vous-mêmes, en les voyant, que l’été est proche. 31 De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche. – Petite parabole pour résumer et pour faire ressortir, à l’aide d’une image claire et simple, les enseignements des vv. 25-28. – Et il leur proposa cette comparaison. De nouveau (cf. v. 10) S. Luc interrompt le discours de Jésus par une formule de transition qui lui est propre. – Voyez le figuier… Jésus se trouvait alors sur le mont des Oliviers, et cet arbre y croissait en abondance, comme l’indique le nom de Bethphagé, « maison des figues ». De plus, le mouvement de la végétation avait déjà commencé. cf. Matth. 21, 19. – Et tous les arbres est une particularité de S. Luc. Les autres synoptiques ne citent que le figuier. – dès qu’ils se sont mis à pousser, signifie émettre des fleurs ou des feuilles. Comparez les nuances des récits parallèles. – De même, quand vous verrez… Morale de la parabole. Elle est exprimée en termes à peu près identiques dans les trois synoptiques : notre évangéliste a seulement le royaume de Dieu (le royaume du Messie dans sa glorieuse consommation) au lieu de la vague locution « à votre porte » de S. Matthieu et de S. Marc.
Luc 2132 Je vous le dis, en vérité, cette génération ne passera pas, que tout ne soit accompli. 33 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. – Conclusion de la partie prophétique du Discours, vv. 8-31. Ici encore il existe une ressemblance frappante entre les trois récits. Voyez l’explication dans S. Matth. – Mes paroles ne passeront pas… « Car tirées de l’éternité, elles possèdent en elles le pouvoir de demeurer. Mais les autres choses, i.e. le ciel et la terre, en vertu de leur condition même de créatures tirées du néant, sont nécessairement par elles‑mêmes vouées au changement et au non être », S. Hilaire, Hom. in Evang. h. l
Luc 21.34 Prenez garde à vous-mêmes, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent par l’excès du manger et du boire et par les soucis de la vie et que ce jour ne fonde sur vous à l’improviste, – Prenez garde à vous. Le pronom est emphatique. Des phénomènes extérieurs qu’il vient d’annoncer pour un avenir plus ou moins lointain, Jésus ramène l’attention des disciples sur leur propre personne. – De peur que vos cœurs ne s’appesantissent. Locution très expressive. Un cœur alourdi est entraîné vers la terre par son propre poids ; il est incapable de s’élever vers les hautes sphères où Jésus voudrait le conduire. – Par l’excès du manger et du boire : deux substantifs fréquemment associés par les classiques grecs et latins. Le vice de l’ébriété était poussé à ses dernières limites chez les peuples de l’antiquité. cf. Cicéron, Att. 13, 52 ; Philippiens 2, 25 ; Verr. 5, 11 ; Sénèque, ad Helvid. 9 ; Juvénal, 6, 427, etc. S’enivrer n’avait rien d’humiliant, même dans la haute société, mais faisait partie du « bon ton ». Jésus met ses disciples en garde contre toutes ces horreurs. cf. 1 Thessaloniciens 5, 6 ; 1 Pierre 4, 7 : soyez sobres. – Jésus ajoute : une inquiétude exagérée, toute mondaine, relativement aux nécessités quotidiennes de la vie, est bien capable aussi de rendre le cœur pesant, incapable de vraie vertu. cf. 8, 14. – Et que ce jour ne fonde sur vous à l’improviste… Si le cœur est ainsi gâté ou préoccupé, comment serait‑il attentif ? Et, s’il n’est pas attentif, il sera inévitablement surpris par le dernier jour, nommé ce jour par antonomase.
Luc 21.35 car il viendra comme un filet sur tous ceux qui habitent la face de la terre entière. – Belle et vivante image d’une ruine qui survient à l’improviste. Nous retrouvons la même métaphore dans Isaïe 24, 17 ; Romains 11, 9 ; 1 Timothée 3, 7, et tout particulièrement Ecclésiaste 9, 12 : « L’homme ne connaît même pas son heure : comme le poisson pris au filet fatal, comme l’oiseau pris au piège, ainsi en est‑il des fils d’Adam surpris par le moment fatal qui tombe sur eux à l’improviste. » D’autres fois, 12, 39, 40 ; 1 Thessaloniciens 6, 3 ; Apocalypse 3, 3 ; 16, 15, etc. la mort et le jugement sont représentés sous la figure d’un voleur qui arrive également quand on s’y attend le moins. – Il viendra comme un filet sur tous… Jésus désigne ainsi l’universalité du jugement. Remarquez l’emphase de tous, toute.
Luc 21.36 Veillez donc et priez sans cesse, afin que vous soyez trouvés dignes d’échapper à tous ces maux qui doivent arriver et de paraître debout devant le Fils de l’homme. – Veillez : mot principal de cette exhortation pratique. – Priant sans cesse. Dans le texte grec, le verbe prier n’est pas celui que les autres évangélistes emploient habituellement pour exprimer l’idée de la prière : S. Matthieu seul en fait une fois usage (9, 38) ; mais nous le trouvons quinze fois dans les écrits de S. Luc, et six fois dans ceux de S. Paul. Notez cette association de la vigilance et de la prière (cf. 18, 1 ; Éphésiens 6, 18) : la prudence humaine serait insuffisante sans les divins secours que la prière nous obtient. – Afin que vous soyez trouvés dignes d’échapper… cf. 20, 26. – Paraître debout devant le Fils de l’homme : c’est‑à‑dire, d’après Psaume 1, 5 et Malachie 3, 2, vous tenir avec confiance pour louer et aimer éternellement Dieu dans le ciel. C’est là un doux et consolant horizon que nous ouvre Jésus.
Luc 21.37 Pendant le jour, Jésus enseignait dans le temple et il en sortait pour aller passer la nuit sur la montagne qu’on appelle des Oliviers. – enseignait dans le temple. Imparfait qui exprime une coutume, des faits réitérés. cf. 19, 47 et 48. Le discours eschatologique ayant été prononcé le mardi soir, et Jésus, depuis lors n’étant plus retourné au temple, la présente note est évidemment rétrospective ; elle résume la vie de Notre‑Seigneur à partir du dimanche des rameaux jusqu’au mardi saint. – La nuit il sortait. Le texte primitif signifie « il passait la nuit en plein air » ce qui d’ordinaire ne présente pas d’inconvénient en Judée au début du printemps. S. Jean nous apprend néanmoins, 18, 18, que la nuit de l’arrestation de Jésus fut froide. D’après Matth. 21, 17, Jésus reçut l’hospitalité à Béthanie durant la nuit du dimanche au lundi. C’était pour échapper aux embûches de ses ennemis que le Sauveur quittait ainsi Jérusalem chaque soir.
Luc 21.38 Et tout le peuple, dès le matin, venait à lui pour l’écouter dans le temple. – Tout le peuple : expression emphatique. – dès le matin. Quel admirable tableau de l’affection des multitudes pour Jésus. Elles avaient peine à attendre le retour de l’aube, et se réunissaient de grand matin sous les galeries du temple, afin d’être là dès que le Docteur tant goûté reprendrait son enseignement interrompu la veille. Hélas. Pour un grand nombre, ces beaux sentiments ne devaient pas être de longue durée. cf. 23, 18.


