Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

Share

CHAPITRE 22

Luc vv. 1-2 = Matth. 26, 3-5 ; Marc. 14, 1-2.

Luc 22.1 La fête des Azymes, qu’on appelle la Pâque, approchait, – D’après les rédactions plus précises de S. Matthieu et de S. Marc, la fête de la Pâque et des pains sans levain allait avoir lieu deux jours après. Sur les noms fête des Azymes et Pâques, voyez S. Matth. Le second est ajouté ici par manière d’explication pour les chrétiens convertis du paganisme, qui pouvaient ne pas comprendre le premier.

Luc 22.2 et les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient comment ils feraient mourir Jésus, car ils craignaient le peuple.Les princes des prêtres et les scribes cherchaient… L’imparfait exprime très bien la continuité des supputations, des recherches. De même S. Marc mentionne les grands prêtres et les scribes. S. Matthieu mentionne les princes des prêtres et les anciens du peuple. En réunissant les trois récits nous voyons qu’il s’agit du Sanhédrin tout entier. – Ce que les membres du Grand Conseil se demandaient avec anxiété, ce n’était pas s’ils se débarrasseraient de Jésus : leur haine l’avait condamné à mort depuis longtemps ; ils cherchaient seulement un moyen aisé de le faire disparaître, car ils craignaient le peuple. Voyez les récits plus complets de S. Matthieu et de S. Marc.

Luc 3-6 = Matth. 26, 14-16 ; Marc 14, 10-11.

S. Luc omet ici, sans doute parce qu’il l’avait raconté plus haut (7, 37 et ss.) un fait analogue, l’onction de Marie, que les autres synoptiques intercalent entre le complot du Sanhédrin et le perfide marché de Judas.

Luc 22.3 Or, Satan entra dans Judas, surnommé Iscariote, du nombre des Douze,Satan entra dans Judas. Cette expression énergique pour stigmatiser le crime du traître est propre à S. Luc et à S. Jean (13, 2, 27). Rien ne pouvait mieux dépeindre la malice de Judas : c’était une malice satanique, digne du prince des démons et développée sous son influence. Néanmoins, ces paroles ne doivent pas s’entendre d’une possession physique et proprement dite (cf. 8, 30, 32 et ss. ; 11, 26), mais seulement d’une possession morale. C’est dans le cœur de Judas, non dans son corps, que Satan avait pénétré.

Luc 22.4 et celui-ci alla s’entendre avec les Princes des prêtres et les magistrats, sur la manière de le leur livrer. alla s’entendre: résume l’horrible négociation que Judas entama avec les Sanhédristes, et dont S. Matthieu donne le cynique début : Que voulez‑vous me donner, pour que je vous le livre ? ». – Magistrats (certaines versions ajoutent : « du temple ») est une particularité de S. Luc. On désignait ainsi les chefs de la milice lévitique chargés de maintenir l’ordre dans le temple. cf. 2 Rois 12, 9 ; 25, 18 . En réalité il n’existait qu’un seul commandant du temple (Néhémie 2, 8 ; 7, 2 ; Jérémie 20, 1 ; cf. 2 Maccabées 3, 4 ; Actes 4, 1 ; 5, 24) ; mais il avait sous lui des officiers subalternes, et ils sont tous mentionnés indistinctement dans ce passage. Il était naturel qu’ils fussent consultés dans le cas présent, car personne mieux qu’eux ne pouvait rendre compte de l’état des esprits, et des difficultés plus ou moins grandes que présentait l’arrestation de Jésus.

Luc 22.5 Eux, pleins de joie, promirent de lui donner de l’argent.  – Ils se réjouirent de cette offre spontanée, inattendue, qui semblait rendre désormais facile l’exécution de leur sinistre projet. S. Marc et S. Luc ont seuls signalé ce détail. – Ils promirent : ce qui suppose que la chose fut débattue de part et d’autre. Cette expression est donc plus forte que celles des récits parallèles. Vraisemblablement, Judas eut deux entrevues avec les princes des prêtres ; c’est à la seconde, après qu’il eût rempli la condition de son infâme contrat, que les trente deniers lui furent comptés.

Luc 22.6 Il s’engagea de son côté et il cherchait une occasion favorable de leur livrer Jésus à l’insu de la foule.Il s’engagea : il consentit à l’arrangement proposé, et se mit aussitôt en devoir d’exécuter sa part de la convention. – A l’insu de la foule : c’est‑à‑dire sans tumulte, d’une manière toute pacifique. Ce détail est propre à S. Luc.

Luc 227 Arriva le jour des Azymes, où l’on devait immoler la Pâque. 8 Jésus envoya Pierre et Jean : « Allez, leur dit-il, nous préparer le repas pascal. » 9 Ils lui dirent : « Où voulez-vous que nous le préparions ? » – Notre évangéliste a seul conservé les noms des deux envoyés de Jésus. Comme il s’agissait d’une mission de confiance, il n’est pas étonnant que le Sauveur ait choisi ses disciples les plus intimes. En plusieurs autres endroits de l’Évangile ou des Actes nous trouvons S. Pierre et S. Jean fraternellement associés. cf. 5, 10 ; Jean 13, 23-25 ; 20, 2-10 ; 21, 20 et s. ; Actes 3, 1-11 ; 4, 13-22 ; 8, 14-25. – D’après les récits parallèles, c’est des apôtres que serait partie l’initiative sur ce point. S. Luc l’attribue au contraire à Jésus, et il est probable qu’il raconte les faits d’après leur ordre réel, parce qu’il est le plus complet. Les autres synoptiques, pour abréger, auront supprimé la question du Sauveur, tandis que S. Luc remet celle des apôtres (où voulez‑vous que nous la préparions ?) dans son vrai milieu primitif. 

Luc 22.10 Il leur répondit : « En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau, suivez-le dans la maison où il entrera,EN entrant dans la ville : détail propre à S. Luc : les autres narrateurs ne déterminent pas le lieu de la rencontre. – Vous rencontrerez un homme… Le Dr Sepp a lu dans son imagination féconde que cet homme était l’esclave de Nicodème. – Portant une cruche : sur la tête, suivant la mode orientale. – Suivez‑le dans la maison… S. Cyrille d’Alexandrie (ap. Mai, p. 369) avait parfaitement compris le but de ces indications mystérieuses. Voyez S. Matth. 

Luc 2211 et vous direz au maître de cette maison : Le Maître te fait dire : Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? 12 Et il vous montrera un grand cénacle meublé : préparez-y ce qu’il faut. »La salle : expression que nous avons précédemment rencontrée (2, 7) ; mais ici, au lieu de désigner une hôtellerie, elle a simplement le sens de « cénacle » : salle à manger, ou étage supérieur ou se trouvait la salle la manger. Dans le grec, littéralement : une chambre haute. – Chambre haute : Cette chambre devait être munie de tout le mobilier nécessaire pour la célébration de la Pâque. Jésus veut un appartement digne de sa dernière cène.

Luc 22.13 Ils partirent et trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et ils préparèrent la Pâque. – La rencontre des disciples et du porteur d’eau eut lieu probablement vers la porte de la Fontaine, située au S.E. de Jérusalem, non loin de la piscine de Siloé. Quant à la maison, « La tradition la plus commune est à l’effet que cette maison fut celle de Jean appelé Marc » (Sylveira).

Luc 12, 14-23 = Mth 26,20-30 Mc 17-26 Jn 13

Luc 22.14 L’heure étant venue, Jésus se mit à table et les douze Apôtres avec lui, l’heure étant venue : c’est‑à‑dire l’heure fixée légalement pour la cène pascale. « Le soir venu », disent les deux autres synoptiques avec plus de précision. – se mit à table. Depuis longtemps les Juifs avaient cessé de manger la Pâque debout et en tenue de voyageurs. – Les douze apôtres avec lui. Sur le placement des convives de Jésus nous ne connaissons que les détails conservés par S. Jean, 13, 23 et s. (voyez le commentaire).

Luc 22.15 et il leur dit : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. – Ce petit discours du Sauveur (vv. 15 et 16), prononcé au début du festin légal, ne se trouve que dans le troisième Évangile. – J’ai désiré d’un grand désir est un hébraïsme (cf. Genèse 31, 30. cf. la traduction des Septante), d’où l’on a quelquefois induit que S. Luc s’est servi pour ce passage d’un document aram éen. Cette répétition corrobore singulièrement l’idée (cf. Matth. 13, 14 ; Jean 3, 29 ; Actes 4, 17 ; 5, 18) ; elle exprime une grande intensité de désirs. – manger cette Pâque avec vous. « Cette Pâque » avec emphase, cette Pâque entre toutes les autres, soit parce que c’était la dernière, soit à cause de l’institution de la sainte Eucharistie (voyez Bossuet, Explication des prières de la Messe, 23). Voilà pourquoi l’eucharistie était appelée par les anciens la désirée. Et quand ceux qui venaient d’être baptisés étaient amenés de la sainte fontaine à l’autel pour recevoir l’eucharistie, ils récitaient ou chantaient ce psaume, selon la coutume de l’Église : comme le cerf désire… ». – Avant de souffrir. C’est, croyons‑nous, le seul endroit des Évangiles où ce verbe est employé d’une manière absolue, sans déterminatif d’aucun genre. – Le verset, après avoir commencé par un sentiment de joie, se termine par une parole de tristesse.

Luc 22.16 Car, je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu’à la Pâque parfaite, célébrée dans le royaume de Dieu. »– Jésus explique davantage le motif de son ardent désir. L’agneau pascal, que Jésus allait manger pour la dernière fois, était une figure ; dans le royaume de Dieu parvenu à sa consommation, c’est‑à‑dire, dans le ciel, ce type sera complètement réalisé. Notre‑Seigneur fait donc allusion par ces paroles à la Pâque éternelle des cieux, où il n’y aura plus d’ombres imparfaites, mais une réalité magnifique.

Luc 22.17 Et prenant une coupe, il rendit grâces et dit : « Prenez et partagez entre vous. Il s’élève ici une assez grosse discussion entre les commentateurs. Le calice mentionné dès cet endroit par S. Luc, et par lui seul, est‑il identique à celui dont il sera question au v. 20, c’est‑à‑dire au calice de l’Eucharistie ? Ou bien serait‑ce simplement une des coupes du festin légal (voyez S. Matth.), en particulier la première ou la troisième ? Ces deux sentiments ont été adoptés par des exégètes d’un égal renom, depuis l’antiquité jusqu’à nous. « Ce calice appartient à l’ancienne Pâque à laquelle Jésus désirait mettre un terme », Bède le Vénérable. De même Théophylacte, Cajetan, F. Luc, D. Calmet, Grotius. D’autre part, Origène (in Matth. Tract. 30), S. Cyprien (lettre ad Caecil. 83), S. Augustin (Quaest. Evangel. l. 1, c. 42), Maldonat (h.l.), Langen (die letzten Lebenstage Jesu, p. 191 et s.), etc., pensent que S. Luc parle dès maintenant de la coupe eucharistique, pour la signaler une seconde fois plus loin (v. 20) à sa place véritable, avec la formule qui servit à la consacrer. La raison qu’ils allèguent nous paraît assez plausible. Si le calice du v. 17 est un de ceux du festin légal, Jésus, en s’abstenant d’y toucher (v. 18), aura contrevenu sans motif apparent aux règles de la Pâque sur un point assez grave, ce qui semble opposé à sa manière habituelle de faire. Sans doute, la double mention du calice de l’Eucharistie paraît tout d’abord surprenante, car elle accuse un défaut d’ordre dans le récit. Mais on peut fort bien répondre que S. Luc a été conduit à anticiper de quelques instants par la symétrie qui existe entre les paroles antérieures de Jésus, vv. 15-16, et celles du v. 18. Il aurait donc suivi un certain ordre logique, quitte à revenir plus loin à la marche réelle des faits. – Partagez entre vous : de telle sorte que chacun ait sa part. Recommandation très naturelle, Jésus ne voulant consacrer qu’une seule coupe pour tous ses convives.

Luc 22.18 Car, je vous le dis, je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. » – S. Matthieu et S. Marc placent cette assertion solennelle à la fin de la cène eucharistique : d’après l’opinion que nous venons d’adopter à propos du v. 17, c’est alors en effet qu’elle fut prononcée. Les partisans du sentiment contraire supposent, tantôt qu’elle termina le repas légal, tantôt que Jésus la répéta deux fois. Voyez‑en l’explication dans S. Matth. Le parallélisme signalé plus haut entre ce verset et le 16ème est vraiment très frappant.

Luc 22.19 Puis il prit du pain et ayant rendu grâces, il le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, qui est donné pour vous : faites ceci en mémoire de moi. »Il prit du pain : « dans ses mains saintes et vénérables », ajoutent la plupart des liturgies. « Ces mains qui avaient opéré tant de merveilles, donné la vue aux aveugles, guéri les maladies et multiplié les pains dans le désert », Lebrun, Explication des prières et des cérémonies de la messe, Paris 1777, t. 1, p. 458. Les liturgies mentionnent un autre geste de Jésus : « les yeux levés au ciel ». – Il le rompit. « Le pain était si mince parmi les Hébreux, ainsi que parmi les autres Orientaux, qu’on le rompait toujours avec les doigts pour le distribuer, sans se servir du couteau ». Lebrun, l.c., p. 460. – En disant… Avant de consacrer le pain en son corps, Jésus dit à ses disciples : « Prenez et mangez » (Matth. 1 Corinthiens 11), mots omis par S. Luc. – Les paroles de la consécration présentent des différences selon les récits de S. Matthieu, S. Marc, S. Luc, S. Paul. Les récits se groupent deux à deux : il existe un très grand rapport de ressemblance d’une part entre S. Matthieu et S. Marc, de l’autre entre S. Luc et S. Paul son maître (cf. la Préface, § 3). Ces derniers donnent la formule d’une manière beaucoup plus complète, évidemment telle qu’elle fut prononcée, car si l’on comprend qu’on ait pu l’abréger, on ne concevrait pas que les écrivains sacrés se fussent permis d’y ajouter d’eux‑mêmes quoi que ce soit. – Qui est donné pour vous. « Qui EST donné pour vous (au présent), parce que c’était déjà un vrai sacrifice, dans lequel Jésus‑Christ se trouvait réellement, et qu’il offrait par avance à son Père… » D. Calmet. Ou encore, l’emploi du temps présent peut signifier la proximité de l’oblation sanglante de Jésus sur la croix, oblation préfigurée dans l’institution de la divine Eucharistie. – Faites ceci… Autre particularité de S. Luc et de S. Paul. Ce sont là de merveilleuses paroles, au moyen desquelles Jésus créa le sacerdoce chrétien, comme il venait de créer le sacrement de l’autel. « Faites cela », c’est‑à‑dire : A votre tour prenez du pain, dites que c’est mon corps, et, entre vos mains de même qu’actuellement entre les miennes, il sera changé en ma chair. Ce pouvoir sacré n’est pas limité. Faites cela demain, toujours, vous et vos successeurs. Ainsi l’a justement compris l’Église primitive, où l’on voit, dès les temps les plus reculés, la messe célébrée en vertu de cet ordre du Sauveur. cf. Concile de Trente, Session 20, c. 1 ; Bellarmin, Controv. de Sacrif. Missae, l. 1, etc. – En mémoire de moi. La Pâque juive avait été instituée comme un mémorial de la délivrance de l’esclavage égyptien : « Ce jour‑là sera pour vous un mémorial », Exode 12, 14. cf. 13, 9. La nouvelle aussi sera commémorative, mais d’une délivrance supérieure, la délivrance de l’esclavage du démon, opérée sur la croix par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ.

Luc 22.20 Il fit de même pour la coupe, après le souper, disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, lequel est versé pour vous. – « Dans la mention du calice, en établissant un testament signé par son sang à lui, il confirme la substance du corps.  Car le sang ne peut appartenir à aucun autre corps qu’à un corps charnel », Tertullien.De même : de la même manière que le pain, c’est‑à‑dire avec action de grâces et bénédiction. – Après le souper. De même S. Paul, l. c. ; c’est‑à‑dire, après la cène légale. – Ce calice est… Comparez les formules de consécration dans les récits de S. Matthieu, S. Marc, S. Luc, S. Paul. Nous retrouvons ici nos deux groupes, avec leurs nuances caractéristiques ; mais les différences sont plus accentuées. La première partie de la formule est moins claire dans les rédactions de S. Luc et de S. Paul ; aussi est‑il probable, selon le principe « la leçon plus difficile doit être préférée », que telles furent véritablement les paroles de Jésus. – Cette coupe que je vous offre, dit Jésus, est la nouvelle alliance en mon sang. L’ancienne Alliance avait été scellée dès son origine par du sang répandu, Genèse 15, 8 et ss. Plus tard, Exode 12, 22 et s. ; 24, 8, c’est encore en faisant couler du sang qu’on la renouvela. La nouvelle Alliance est pareillement ratifiée par du sang versé, mais c’est le sang précieux du Sauveur. cf. Hébreux 15, 18-22. Or, comme la coupe eucharistique, dès qu’elle eût été consacrée, contenait réellement le sang de Jésus, il est évident que la phrase « Ce calice est la nouvelle Alliance en mon sang », équivaut à celle‑ci : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance » (S. Matth., S. Marc). – Pour vous. Dans les deux autres synoptiques : « pour la multitude ». La liturgie romaine dit en unissant les deux expressions : « pour vous et pour la multitude ». – Lequel est versé, preuve que le contenu de la coupe était dès lors du sang, non du vin. De ce vin consacré, comme du pain transubstantié, Notre‑Seigneur affirme solennellement la vertu propitiatoire et l’union morale avec son sacrifice du lendemain. D’après le récit de S. Paul, Jésus répéta en cet endroit l’injonction finale du v. 19 : Faites ceci en mémoire de moi. – Appuyé sur les paroles du Sauveur, nous croyons à la présence réelle comme nous croyons à l’Incarnation et à la Résurrection. Signalons les formules de consécration usitées dans les principales liturgies. Elles se rattachent toutes de très près aux récits évangéliques, dont elles combinent parfois les variantes, et auxquels parfois aussi elles ajoutent quelques développements. Liturgie romaine : Car ceci est mon corps.  Car ceci est le calice de mon sang, du testament nouveau et éternel, mystère de foi, qui sera répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgies de S. Jacques et de S. Marc : Ceci est mon corps qui est rompu pour vous et qui est donné en rémission des péchés. Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup, et qui est donné en rémission des péchés. Liturgies de S. Basile et de S. Jean Chrysostome : Ceci est mon corps qui est rompu pour beaucoup en rémission des péchés. Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgie éthiopienne : Ceci est mon corps qui les livré pour vous en rémission des péchés. Amen. Ceci est le calice de mon sang qui est répandu pour vous et pour la rédemption de plusieurs. Amen. Liturgie copte : Car ceci est mon corps qui est rompu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Car ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgie de S. Cyrille : Ceci est mon corps qui est livré pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés.  Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés. Liturgie arménienne: Ceci est mon corps qui est distribué pour vous en expiation des péchés.  Ceci est mon sang du nouveau testament qui est répandu pour vous et pour beaucoup en expiation et en rémission des péchés. Liturgie mozarabe : Ceci est mon corps qui est livré pour vous.  Ceci est le calice du nouveau testament dans mon sang, qui est répandu pour vous et pour beaucoup  en rémission des péchés. Voyez Lebrun, Explication de la Messe, t. 2 et 3, passim.

Luc 22.21 Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi à cette table.Cependant sert de transition à un sujet douloureux, la trahison de l’un des Douze (vv. 21-23). S. Luc abrège notablement cet épisode, dont les détails complets sont surtout fournis par S. Matthieu, 26, 21-25, et par S. Jean, 13, 18-30. – Voici que la main… relève fortement le caractère affreux du crime dévoilé par Jésus. Il en est de même du contraste établi par les paroles suivantes : « celui qui me trahit est avec moi à cette table. C’est par la main que se fit la trahison.  C’est avec la main que quelqu’un est livré aux ennemis. C’est aussi avec la main que de la nourriture a été prise pour être mangée. C’est comme s’il disait : cette main avec laquelle il met dans sa bouche la nourriture de ma table, c’est celle‑là même qui me livrera à mes ennemis », F. Luc.

Luc 22.22 Quant au Fils de l’homme, il va selon ce qui a été décrété, mais malheur à l’homme par qui il est trahi. »Le Fils de l’homme s’en va. La plupart des exégètes regardent ce « va » comme un euphémisme pour « va mourir » ; ce qui est très conforme à l’usage classique. On pourrait néanmoins conserver ici au verbe sa signification ordinaire. – Selon ce qui a été décrété. Belle expression, aimée de S. Luc. cf. Actes 2, 23 ; 10, 42 ; 16, 26, 31 : selon qu’il a été fixé de toute éternité par les décrets divins. La pensée est plus restreinte dans les récits parallèles : « comme il est écrit ». – Mais malheur à l’homme… Terrible mais juste sentence de damnation prononcée contre Judas. Les décrets de la Providence ne l’empêchaient pas d’être libre : à lui donc toute la responsabilité de son épouvantable trahison. [Faisons une comparaison. Le fait que Dieu, dans sa prescience, sache quelle porte vous allez prendre pour sortir d’une pièce qui comporterait deux portes de sortie, n’influence pas votre liberté de sortir par la porte de droite ou par la porte de gauche. De même pour Judas. Dieu savait qu’il allait trahir, désespérer et donc se damner mais Judas avait reçu toutes les grâces suffisantes pour échapper à la damnation.]

Luc 22.23 Et les disciples se mirent à se demander les uns aux autres quel était celui d’entre eux qui devait faire cela. – Le récit de S. Luc décrit fort bien, malgré sa brièveté, la vive émotion que produisit parmi les apôtres cette prédiction inattendue. – Quel était celui d’entre eux… On voit par ces détails avec quelle habileté Judas avait caché son jeu, puisque les soupçons de ses confrères ne paraissent pas s’être portés sur lui plutôt que sur un autre. – A propos du traître, nous avons à examiner rapidement ici une question qui n’est ni sans intérêt ni sans difficulté. Il s’agit de savoir s’il assista comme les autres à la cène eucharistique, ou si son départ du cénacle (cf. Jean 13, 30) eut lieu avant l’institution du divin sacrement de l’autel. La plupart des Pères (Origène, S. Cyrille, S. Jean Chrysostome, S. Ambroise, S. Léon, S. Cyprien, S. Augustin ; voyez Corn. a Lapide, in Matth. 26, 20) et des anciens exégètes ou théologiens ont admis le premier de ces deux sentiments. Le second, qui a prévalu fin XIXème siècle, à tel point que les commentateurs sont presque unanimes à l’adopter, est loin cependant d’être une création moderne. On peut alléguer en sa faveur une tradition qui, pour être moins glorieuse que la précédente, n’en a pas moins une valeur réelle, spécialement sur un point qui n’intéresse d’une manière directe ni la foi ni les mœurs. Tatien, Ammonius, S. Jacques de Nisibe, les Constitutions Apostoliques, S. Hilaire, excluaient déjà Judas Iscariote du banquet eucharistique. Théophylacte assure que, de son temps, plusieurs partageaient cette opinion. Plus tard elle a été soutenue par Rupert de Deutz, Pierre Comestor, le pape Innocent III, Turrianus, Salmeron, Barradius, Lamy, etc. Pour qu’une telle dissidence se soit produite, il faut assurément que le texte évangélique présente une certaine liberté. Nous avons donc à comparer entre eux les divers récits pour voir s’ils favorisent une opinion plutôt qu’une autre. D’après S. Matthieu (26, 21-30) et S. Marc (14, 18-26), Jésus célébra d’abord la Pâque à la façon des Juifs ; puis, avant de passer à l’institution de la sainte Eucharistie, il prédit à ses disciples que l’un d’eux le trahirait. Judas lui demanda comme les autres : Est‑ce moi Seigneur ? Et reçut une réponse affirmative. Alors seulement Notre‑Seigneur consacra le pain, le vin, et communia les assistants. Nous avons vu (vv. 15-23) que S. Luc coordonne les faits d’une autre manière. A la suite du repas légal Jésus institue l’Eucharistie, qu’il distribue aux convives ; puis il parle du traître qui doit bientôt le livrer à ses ennemis. Quant à S. Jean (13, 21-30), il a omis, comme l’on sait, la cène eucharistique. Sa rédaction nous montre Jésus lavant les pieds des apôtres, se troublant, et annonçant qu’il sera prochainement trahi. Le disciple bien‑aimé se penche sur la poitrine du Sauveur et le prie de lui faire connaître le traître ; Jésus le lui indique en donnant un morceau trempé à Judas, auquel il dit en même temps : Ce que tu fais, fais‑le plus vite. Le misérable sort aussitôt pour consommer son crime. – Il ressort de ce résumé que S. Luc paraît trancher nettement la question dans le sens de la première opinion, puisqu’il ne place qu’après l’institution de l’Eucharistie la prédiction relative au traître, laquelle, suivant les trois autres récits, fut prononcée en présence de Judas. Mais 1° l’autorité des deux premiers évangélistes, dont l’un avait été témoin oculaire, ne contrebalance‑t‑elle pas celle du troisième ? 2° Entre le v. 17 et le v. 30 S. Luc semble ne s’être pas préoccupé de suivre rigoureusement l’ordre chronologique. On dirait qu’il procède par fragments, se bornant à ranger les uns à la suite des autres, presque sans transition, les divers événements qu’il expose. C’est ainsi que les vv. 17 et 18 nous ont paru n’être pas à leur place, et nous en dirons tout à l’heure autant des vv. 24-30. D’après cela, nous pouvons croire qu’il a anticipé, en racontant l’institution de la sainte Eucharistie avant la dénonciation du traître. 3° Selon S. Jean Jésus, voulant congédier le traître, lui donna une bouchée. Cette bouchée n’était autre chose qu’un petit morceau d’agneau pascal, que le père de famille présentait quelquefois à un ou à plusieurs convives vers la fin du repas liturgique (voyez notre commentaire de Jean 13, 26 et 27). Or la cène légale et la cène eucharistique ayant été complètement distinctes, de sorte que la seconde commença seulement après que la première eut été achevée, nous sommes en droit de conclure que Judas reçut la bouchée et quitta la salle du festin avant la consécration des saintes espèces. 4° Si l’on veut faire appel aux raisons de convenance, il paraît difficile d’admettre que Jésus ait laissé profaner l’un de ses plus grands mystères dès le premier moment de son institution. Pour ces divers motifs, nous regardons comme plus probable le sentiment d’après lequel Judas n’assista pas à la création de la Pâque chrétienne.

Luc 22.24 Il s’éleva aussi parmi eux une dispute, pour savoir lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand.Une dispute. Le mot grec désigne à proprement parler une querelle d’ambition. On ne s’attendrait guère à voir une dispute de ce genre surgir parmi les apôtres à un pareil instant, c’est‑à‑dire aussitôt après l’institution de la sainte Eucharistie. C’est pourquoi la plupart des exégètes supposent, et à bon droit, croyons‑nous, qu’ici encore S. Luc aurait quelque peu interverti l’ordre historique des faits, pour unir logiquement diverses paroles de Jésus. Sans admettre avec Maldonat que la querelle en question remontait à une semaine au moins en arrière (Matth. 20, 20 et parall.), ce qui nous paraît exagéré, nous dirons à la suite de Salmeron, « Cette question que l’on soulève n’est pas éloignée de la vraisemblance : est‑ce que cela a eu lieu avant l’ablution des pieds ? ». De même D. Calmet. Peut‑être fut‑elle occasionnée par le placement des convives (Bède le Vénérable, Hofmann, Keil, Langen, etc.) au début du repas. – Devait être estimé le plus grand : formulation sophistiquée, fréquente chez les classiques romains et grecs. – Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que les apôtres se montraient chatouilleux sur ce point d’honneur. cf. 9, 46 ; Mth. 18, 1 ; Marc. 9, 34.

Luc 22.25 Jésus leur dit : « Les rois des nations dominent sur elles et ceux qui leur commandent sont appelés Bienfaiteurs. – Jésus arrête dès son début cette triste discussion, en proposant à ses amis une considération bien capable de leur montrer jusqu’à quel point ils s’écartaient alors de l’esprit chrétien. cf. Matth. 24, 35 ; Marc. 10, 42, et le commentaire. – Bienfaiteurs. Vers l’époque de Jésus, le titre d’Evergète (bienfaisant, bienfaiteur) se donnait en effet avec une étonnante facilité aux rois et aux dynastes. Cyrus, deux Ptolémée, Antigone Doson de Macédoine, Mithridate V du Pont, Artavazdes d’Arménie, et bien d’autres, le portèrent : même des tyrans l’avaient reçu. cf. Diod. 2, 26 ; Athen. 549.

Luc 22.26 Pour vous, ne faites pas ainsi, mais que le plus grand parmi vous soit comme le dernier et celui qui gouverne comme celui qui sert. Ne faites pas ainsi : Il ne faut pas que les mœurs du paganisme s’introduisent dans le corps apostolique. – Mais que le plus grand… devienne le plus petit. Expression pittoresque. Dans les familles, le plus jeune a la dernière place, et, spécialement en Orient, c’est à lui que reviennent la plupart des petites corvées domestiques, de sorte qu’il est souvent comme le serviteur de tous. – Et celui qui gouverne… c’est la même pensée sous une autre figure. Voyez dans 1 Pierre 5, 3, jusqu’à quel point la leçon de Jésus fut comprise des siens. L’Église aura donc son aristocratie, qui sera tout ensemble une aristocratie de grandeur et d’humilité.

Luc 22.27 Car quel est le plus grand, de celui qui est à table, ou de celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. – Jésus interpose ici un raisonnement d’expérience, pour mieux inculquer son assertion antérieure. – Voici deux hommes, dont l’un est mollement étendu sur un sofa, devant une table bien garnie, tandis que l’autre, debout, sert le premier : quel est le supérieur ? Personne ne saurait s’y méprendre. Et pourtant, continue le Sauveur, résumant toutes les relations qu’il avait eues avec ses apôtres depuis sa vie publique, moi, votre chef (emphatique), je me suis fait votre serviteur. Pensons au lavement des pieds, qui allait suivre, ou selon d’autres, qui avait immédiatement précédé ces paroles.

Luc 22.28 Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, – Après ce doux reproche, Jésus relève le courage des apôtres en louant leur fidélité à son service et en leur promettant des places glorieuses dans son royaume. – Vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves. Le Sauveur désigne par ce nom les tribulations de divers genres, les persécutions, qu’il avait eues constamment à endurer depuis le début de son ministère ; or les Douze lui étaient demeurés fidèles quand même, quoiqu’ils s’exposassent ainsi au mépris, à la haine de leurs compatriotes. Avec quelle bonté Jésus les en remercie. Bientôt, il est vrai, ils devaient fuir et l’abandonner à l’heure de sa plus grande détresse ; mais cette défaillance momentanée n’effaçait pas tant d’actes de dévouement et de noble courage.

Luc 2229 et moi, je vous prépare un royaume, comme mon Père me l’a préparé, 30 afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume et que vous soyez assis sur des trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. » Et moi je vous prépare… « Le pronom moi et la conjonction et, que l’on trouve dans l’antithèse mise entre le Christ et ses disciples, ont un relief singulier. Vous, vous avez fait cela pour moi : vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations.  Moi, en retour, je fais cela pour vous : je vous préparerai un royaume », Maldonat. Le verbe « prépare » ne doit pas se prendre ici dans le sens d’une disposition testamentaire, car le contexte s’y oppose (comme mon Père me l’a préparé) ; il contient du moins une promesse solennelle. Évidemment, la conjonction comme exprime une similitude, non une égalité. – Afin que vous mangiez et buviez. Jésus décrit par deux images pittoresques les splendeurs de ce royaume qu’il vient de promettre aux apôtres. La première est celle d’un festin splendide, comme en d’autres endroits de l’Écriture (Psaume 16, 15 ; 35, 9 ; Luc. 14, 15, etc.). Les mots à ma table paraissent indiquer un privilège spécial réservé aux amis les plus fidèles du Sauveur. «Comme ce ne sont pas tous ceux qui demeurent dans une maison royale qui prennent leur repas à la table du roi, mais seulement ceux de la plus haute noblesse, ceux‑là seuls à qui le roi fait cet honneur », écrit Maldonat avec sa justesse habituelle. – Assis sur des trônes. Seconde métaphore, qui exprime la puissance réservée aux apôtres dans le ciel, de même que la précédente était l’emblème de leurs joies éternelles. Peu de temps auparavant, le Sauveur avait déjà parlé aux siens dans les mêmes termes de ce pouvoir judiciaire. cf. Matth. 19, 26 et le commentaire. – Quelles paroles. et c’est la veille de sa mort ignominieuse que Jésus distribue des trônes et des couronnes.

Luc 22.31 Et le Seigneur dit : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment,Le Seigneur dit encore (cf. 8, 13). Bien qu’elle soit omise dans les manuscrits B, L, T, et plusieurs versions, cette phrase est suffisamment garantie par la plupart des anciens témoins. Elle introduit la seconde partie de l’entretien, vv. 31-34. – Simon, Simon. Répétition pleine de solennité. Jésus va faire à S. Pierre une promesse grandiose, digne d’être associée, par son sujet comme par son importance, à Matth. 16, 17-19, et à Jean 21, 15-17. – Satan vous a réclamés. Prenez bien garde. L’enfer et son chef (cf. Marc. 1, 13) étaient dans une grande agitation ce jour‑là, mais la ruine de Judas ne leur suffisait pas. Le verbe réclamer est une expression énergique. C’est probablement une allusion à la première page du livre de Job. Satan est censé avoir demandé au Seigneur, sans la permission duquel il ne peut agir, carte blanche pour tenter S. Pierre et les autres apôtres restés fidèles. – Pour vous cribler comme le froment. Autre expression énergique, qui désigne fort bien la violence des moyens qu’emploiera le démon afin d’ébranler la foi du groupe des 12 apôtres et d’anéantir ainsi dans sa base l’Église de Jésus. cf. Amos, 9, 8 et 9. Les cribles des anciens étaient faits tantôt de feuilles de papyrus ou de parchemin dans lesquelles on avait pratiqué un grand nombre de petites ouvertures, tantôt d’un tissu de soie, ou de crins de cheval.

Luc 22.32 mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères. – « Leur ayant montré le danger, il leur montre le remède », Maldonat. – J’ai prié pour toi. Que majesté dans ce « J’ai ». Jésus oppose sa personne divine et son intercession toute‑puissante à la personne et à la demande de Satan. Déjà, comme le temps du verbe l’indique, la prière de Jésus est montée vers Dieu puisque Jésus est Dieu fait homme. Plus haut, v. 31, le Sauveur annonçait que les pièges de Satan menaçaient tous les apôtres ; maintenant il déclare que sa prière a été formulée d’une manière spéciale en faveur de Simon. Ce détail est vraiment remarquable. Mais en voici l’explication : afin que ta foi ne défaille pas. Il y a donc une importance particulière à ce que la foi de S. Pierre n’éprouve pas de défaillance totale, absolue. Notons en passant 1° que cette prière de Jésus a été nécessairement exaucée (cf. Jean 11, 42. « La défense en justice est préférable à une tentative de troubler l’ordre, S. Ambroise) ; 2° que le reniement de S. Pierre n’a pas été réellement un abandon de la foi, quoique ce fût une faute grave (voyez Sylveira, Maldonat, et même Grotius, h. l.) [Ce n’est qu’à partir de la Pentecôte, que les apôtres furent confirmés en grâce et ne tombèrent plus jamais dans le péché mortel]. – Quand tu seras converti… Il n’y a pas moins d’emphase dans ce « Et toi » que dans le « J’ai ». Toi aussi, fais à l’égard de tes frères ce que j’ai fait envers toi. Le mot converti signifie « repenti, revenu à la pénitence », ainsi qu’on l’a toujours généralement compris ; il insinue par conséquent la chute passagère que Jésus va bientôt prédire en termes formels à Simon, v. 34, et aussi sa prompte conversion. – Affermis tes frères : c’est‑à‑dire les autres apôtres, comme il ressort très clairement du contexte. Le verbe grec correspondant exprime une solidité à toute épreuve. cf. 1 Thessaloniciens 3, 2 ; 1 Pierre 5, 10 ; 2 Pierre 1, 12 ; etc. Quel beau parallèle du « Tu es Pierre, et sur cette pierre je construirai mon Église, et les forces des enfers ne l’emporteront pas sur elle ». De part et d’autre les conclusions dogmatiques sont les mêmes. En premier lieu la primauté de S. Pierre : « Il est évident que tout ce discours du Seigneur présuppose que Pierre est le premier des apôtres » ; Bengel l’admet avec beaucoup d’autres protestants. En second lieu, le privilège de l’infaillibilité pour le prince des apôtres : « Qui peut douter que S. Pierre n’ait reçu par cette prière (de Jésus) une foi constante, invincible, inébranlable, et si abondante d’ailleurs, qu’elle fut capable d’affermir, non seulement le commun des fidèles, mais encore ses frères les apôtres et les pasteurs du troupeau, en empêchant Satan de les cribler ». Bossuet, Méditat. sur l’Evang., 70è jour. Le Christ a promis à Pierre ce qu’il n’a pas promis aux autres. Car il n’a pas dit : j’ai prié pour vous comme il leur avait dit avant : je vous prépare un royaume. C’est à Pierre seul qu’il a dit : J’ai prié pour toi pour que ta foi ne défaille pas. Et pour faire comprendre qu’un privilège d’infaillibilité était attribué à Pierre en tant que chef de l’Église, il ajoute : et quand tu seras converti, confirme tes frères. Pierre n’aurait pas pu confirmer ses frères s’il n’avait pas été inébranlable dans la foi. De toutes ces choses… on retient que Pierre a reçu du Christ le privilège insigne d’infaillibilité. En troisième lieu, les papes successeurs de S. Pierre participent naturellement à ce double privilège. « Cette parole, Affermis tes frères, n’est pas un commandement que Jésus fasse en particulier à S. Pierre ; c’est un office qu’il érige et qu’il institue dans son Église à perpétuité… Une éternelle succession fut destinée à S. Pierre. Il devait toujours y avoir un Pierre dans l’Église pour confirmer ses frères dans la foi ». Bossuet, l.c., 72è jour. C’est‑à‑dire que chaque pontife romain possède la primauté soit d’honneur soit de juridiction, et l’infaillibilité. Voir Saint Robert Bellarmin, Controverses 3, de Rom. Pontif. l. 4, c. 2-7 ; Billuart et Perrone, dans leurs traités « de Ecclesia » ; Charles-Amable de La Tour d’Auvergne-Lauraguais, La tradition catholique sur l’infaillibilité pontificale, t. 1, p. 54 et ss.

Luc 22.33 Seigneur, lui dit Pierre, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. » – S. Pierre a compris que, tout en lui conférant de glorieuses prérogatives, Jésus révoquait en doute sa complète fidélité ; n’écoutant donc que l’élan de son amour, il réplique par une courageuse parole, qu’un prochain avenir pourra bien démentir, mais qu’un avenir plus éloigné réalisera d’une façon littérale. – Avec vous est mis en avant, par emphase. – Je suis prêt. Hélas. Il présumait trop de ses forces, car il n’était pas encore vraiment préparé. – En prison et à la mort. Belle gradation : même jusqu’à la mort. La prison et la mort, telles étaient les deux formes sous lesquelles Simon‑Pierre se représentait les dangers qui menaçaient alors Notre‑Seigneur.

Luc 22.34 Jésus lui répondit : « Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui, que tu n’aies nié trois fois me connaître. » – Jésus ne se borne plus à une simple insinuation, il affirme catégoriquement. Il emploie cette fois, peut‑être avec une certaine pointe d’ironie, le nom messianique qu’il avait lui‑même donné à son futur vicaire (Pierre au lieu de Simon), v. 31. – Le coq ne chantera pas… Manière pittoresque de dire : Avant la prochaine aurore tu m’auras renié trois fois. Voyez S. Matth., et l’Evang. selon S. Marc. – Les nuances qui existent entre les récits évangéliques à propos de cette triste prédiction faite par Jésus à S. Pierre, et les places différentes qu’ils paraissent lui attribuer, ont donné lieu à plusieurs interprétations. S. Augustin pense que Notre‑Seigneur la répéta jusqu’à trois reprises dans la soirée ; d’autres sont pour une seule prédiction diversement relatée ; d’autres, en assez grand nombre (Cornelius a Lapide, Noël Alexandre, Luc de Bruges, etc.), supposent qu’elle fut prononcée au moins deux fois, d’abord au cénacle d’après S. Luc et S. Jean (12, 36-38), puis sur le chemin de Gethsémani, d’après S. Matthieu (26, 30-35) et S. Marc (14, 26-31).

Luc 2235 Il dit encore à ses disciples : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? De rien, » lui dirent-ils. 36 Il ajouta : « Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne et de même celui qui a un sac et que celui qui n’a pas d’épée vende son manteau et en achète une.Lorsque je vous ai envoyé. Allusion à la première mission des apôtres, 9, 3 et ss. et parall. Jésus, voyant ses amis si pleins de confiance, juge bon de les ramener à la douloureuse réalité de la situation. – Sans sac, sans bourse. cf. 9, 3 ; 10, 4. Le « sac » désigne la bourse, la « bourse » la valise où l’on mettait les provisions. – Avez-vous manqué quelque chose ? C’étaient alors d’heureux temps, qui ne devaient plus revenir pour les apôtres. Eux‑mêmes, dans leur réponse (« rien »), reconnaissent que la Providence avait alors amplement pourvu à tous leurs besoins. – Mais maintenant. Les circonstances sont désormais bien changées, comme l’explique Jésus par un langage pittoresque. A l’avenir, plus d’hospitalité généreuse, spontanée, offerte aux envoyés du Prophète vénéré ; ils devront donc se munir d’argent et de provisions. En outre, comme ils auront à courir de sérieux dangers, étant devenus pour la plupart des hommes un objet de haine, il sera bon qu’ils se préparent à la lutte, qu’ils aillent jusqu’à se munir d’un glaive. – Que celui qui n’a pas… Quelques exégètes (Kuinoel, Olshausen, etc.) prennent ces mots d’une manière absolue : Celui qui est sans avoir ; d’autres (en assez grand nombre de nos jours) sous‑entendent « un glaive » ; d’autres enfin (à la suite d’Euthymius), et telle est, croyons‑nous, la meilleure explication, traduisent : Que celui qui n’a ni bourse ni argent, etc. – Vende son manteau, il s’agit du vêtement de dessus, dont on peut se passer au besoin. Du reste, on se dispense de bien des choses pour sauver sa vie ; or il s’agit précisément ici d’avoir un glaive protecteur, et Jésus suppose qu’on ne se procurera de l’argent pour l’acheter qu’à la condition de vendre une partie de son vestiaire. – Achèter une épée. Étrange recommandation, qui dut vivement surprendre les apôtres. Il est vrai que nous ne les imiterons pas en la prenant à la lettre (v. 38). C’était une manière concrète, figurée, et très expressive de dire : Attendez‑vous à la haine, à la lutte, aux périls (voyez D. Calmet, h. l.).

Luc 22.37 Car, je vous le dis, il faut encore que cette parole de l’Écriture s’accomplisse en moi : Il a été mis au rang des malfaiteurs. En effet, ce qui me concerne touche à sa fin. » – Jésus motive sa recommandation. Le disciple n’est pas plus que le maître ; or le maître va être bientôt outragé, persécuté : il est donc naturel que les disciples s’attendent aussi à la persécution. – Il faut encore. Deux mots emphatiques : cela encore, comme tout le reste. – Cette parole de l’Écriture : par Isaïe au chap. 53 (v. 12), qui est un des points culminants de sa prophétie, et qui traite si admirablement des souffrances et des humiliations du Messie. Voyez le commentaire de M. Trochon, et le Manuel biblique de M. Vigouroux, t. 2, p. 525 et 526. – Il faut encore... : c’est une nécessité d’après le plan divin. – Il a été mis au rang des malfaiteurs. Dans le texte grec : des « sans loi », et par suite, « scélérat », homme qui ne tient aucun compte de la loi. Cette prophétie s’accomplissait peu d’heures après l’application que s’en faisait Jésus. Nous verrons en effet Notre‑Seigneur traité comme scélérat, crucifié entre deux bandits. – En effet introduit une explication des dernières paroles. Pourquoi la prédiction d’Isaïe est‑elle sur le point de se réaliser ? Réponse : ce qui me concerne touche à sa fin. Il y a deux manières d’interpréter cette réponse. 1° Tout ce qui a été écrit à mon sujet dans les saints Livres doit s’accomplir ; 2° ce qui me concerne approche de sa fin. Nous préférons le second sens, qui est plus littéral et plus naturel (cf. Euthymius, etc.).

Luc 22.38 Ils lui dirent : « Seigneur, il y a ici deux épées. » Il leur répondit : « C’est assez. »Il y a ici deux épées, s’écrient naïvement les disciples, se méprenant, comme dans une circonstance antérieure (Matth. 16, 6-12), sur la portée des paroles de Jésus. D’où provenaient ces deux glaives ? Peut‑être se trouvaient‑ils dans la maison ; peut‑être les apôtres les avaient‑ils apportés de Galilée en prévision des dangers que leur maître et eux‑mêmes courraient à Jérusalem. Du moins il est peu vraisemblable que ce fussent, comme le pense S. Jean Chrysostome, deux grands couteaux qui avaient servi à immoler l’agneau pascal. Nous verrons dans peu d’instants l’un de ces glaives entre les mains de S. Pierre. « Quelques‑uns ont expliqué ces deux glaives, de la puissance temporelle et spirituelle de l’Église ; mais cette explication est purement allégorique et ne prouve nullement ce pouvoir ». D. Calmet, h. l. cf. Maldonat. – Cela suffit. Non pas : deux glaives pourront suffire (avec ou sans ironie ; Théophylacte, Meyer, Sevin, etc.), mais « En voilà assez. » cf. 1 Maccabées 2, 33. Cette formule est usitée parfois pour éluder une conversation dans laquelle on préfère ne pas s’engager à fond.

Luc 22, 39-46 = Mth. 26, 36-46 Mc. 14, 32-42.

Luc 22.39 Étant sorti, il s’en alla, selon sa coutume, vers le mont des Oliviers et ses disciples le suivirent.Étant sorti. détail propre à notre Évangile ; il s’agit probablement de la sortie du cénacle (cf. Jean 18, 1). – Il s’en alla, selon sa coutume. Sur cette coutume, cf. 21, 37, et surtout Jean 18, 2. L’imparfait dénote peut‑être une marche grave et lente, car nous savons d’après S. Jean (14, 31 ; 17, 1 ; 18, 1), que, chemin faisant, Jésus parla longuement aux apôtres et adressa aussi à son Père une touchante prière. – Ses disciples le suivirent. Judas seul manquait. Il pourrait bien se faire que, caché dans l’ombre, il se soit assuré par lui‑même de la direction que prenait le Sauveur.

Luc 22.40 Lorsqu’il fut arrivé dans ce lieu, il leur dit : « Priez, afin de ne pas tomber en tentation. »Lorsqu’il fut arrivé dans ce lieu : au lieu qu’il avait en vue. La localité est clairement déterminée dans les autres narrations : c’était le jardin de Gethsémani. Voyez S. Matth. – Il leur dit. S. Luc abrège et omet de dire que Jésus, en entrant dans le jardin, s’était séparé du plus grand nombre de ses disciples, ne gardant auprès de lui que S. Pierre, S. Jacques‑le‑Majeur et S. Jean (cf. Les récits parallèles). C’est à ces derniers seulement qu’il dit : Priez, afin que vous ne succombiez pas à la tentation. La mention de ces paroles avant l’agonie est une particularité de S. Luc.

Luc 22.41 Puis il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre et s’étant mis à genoux, il priait,Il s’éloigna d’eux… Le verbe grec signifie se séparer, s’arracher ; il marque donc la répugnance qu’éprouvait Notre‑Seigneur en tant qu’homme à se séparer de ses amis pour aller seul affronter une angoisse extrême. – A la distance d’un jet de pierre. cf. Genèse 21, 16. détail pittoresque propre à S. Luc, comme le précédent. Jésus n’étant qu’à une petite distance de ses trois apôtres privilégiés, ceux‑ci, tant qu’ils furent capables de résister au sommeil (v. 45), purent être témoins des principaux détails de son agonie. – S’étant mis à genoux : locution souvent employée par S. Luc (cf. Marc. 15, 19). Chez les Juifs, « La façon habituelle de prier était debout. On priait à genoux sous la pression d’un urgent besoin », Grotius.

Luc 22.42 disant : « Père, si vous voulez, éloignez de moi ce calice. Cependant que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui se fasse. » – La prière de Jésus est exposée avec de légères variantes dans nos trois récits parallèles. – Père, si vous le voulez. « Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix », Philippiens 2, 8. L’obéissance fut le mobile perpétuel, unique, de Jésus. cf. Jean 5, 30 ; 6, 38. – Éloignez ce calice de moi. Voyez S. Matthieu 1, 19 et le commentaire. – Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne

Luc 22.43 Alors lui apparut du ciel un ange qui le fortifiait. – Tout est nouveau dans ce verset et dans le suivant : les faits qu’ils exposent appartiennent aux particularités les plus précieuses dont S. Luc a enrichi la biographie du Sauveur. Il est vrai qu’on a formulé des doutes sur leur authenticité, 1° parce qu’ils sont omis par d’importants manuscrits (A, B, R, T. De plus, E, G, V, Δ, qui les ont, les notent d’astérisques), 2° parce que cette omission est déjà signalée par S. Hilaire et S. Jérôme. Néanmoins, il est à peine croyable qu’ils aient été insérés frauduleusement dans le texte primitif du troisième Évangile. En effet, nous les trouvons dans l’immense majorité des manuscrits (en particulier dans le Cod. Sinaïticus, qui est peut‑être le Nestor en ce genre), dans les versions les plus anciennes et les plus célèbres, à part de rares exceptions (un seul manuscrit de l’Itala, quelques manuscrits de la traduction arménienne, etc.), dans les écrits des premiers Pères, notamment de S. Justin (Dial. c. Tryph, 103), de S. Irénée (3, 22, 2), de S. Hippolyte, etc. Voilà pour les preuves extrinsèques. Intrinsèquement, il n’y a rien, soit dans le style, soit dans les faits, qui s’oppose à l’authenticité du récit. De plus, on ne peut assigner aucun motif d’expliquer une aussi grave interpolation, tandis qu’il est aisé de concevoir que des préjugés dogmatiques aient été assez puissants en divers lieux pour faire omettre nos deux versets. On a cru l’apparition de l’ange et la sueur de sang inconciliables avec la divinité de Jésus, et l’on ne craignit pas de supprimer comme apocryphe le passage qui en renferme la narration. Voyez Galland, t. 3, p. 250 ; Bellarmin, De verbo Dei, 1, 16. Déjà Nicon reprochait aux Arméniens, et Photius aux Syriens, d’avoir enlevé les vv. 43 et 44 de leurs traductions. – Un ange lui apparut. Le verbe grec dénote le caractère extérieur de l’apparition : ce ne fut pas un fait purement interne, comme le prétend Olshausen. – Les anges avaient pour ainsi dire introduit Notre‑Seigneur sur cette terre (cf. 1, 26 et ss., 2, 9-13 ; Matth. 2, 13, 19) ; ils l’avaient assisté aux premiers jours de sa vie publique (Marc. 1, 13) ; ils se feront les témoins de sa Résurrection et de son Ascension : n’est‑il pas naturel que nous les trouvions auprès de lui au moment de ses plus cruelles souffrances ? Mais quel indice d’une angoisse indescriptible, intolérable pour la nature humaine abandonnée à ses propres forces. En même temps, quelle humiliation pour le Verbe incarné : Toutefois, il pouvait bien « recevoir la consolation d’un ange, lui qui par son humanité s’était rendu inférieur aux anges » (D. Calmet). – qui le fortifiait. Ce mot indique la nature de la consolation apportée du ciel à Jésus : elle consista dans une effusion de courage pour qu’il ne pliât pas sous son épouvantable fardeau. Plusieurs exégètes ont supposé que cet épisode n’eut lieu qu’à la fin de l’agonie du Sauveur, comme si ce n’était pas précisément en vue de cette agonie même qu’il avait reçu d’en haut un surcroît de forces ; d’autres ont affirmé d’une manière encore plus arbitraire que l’apparition s’était renouvelée trois fois, c’est‑à‑dire, après chacune des prières de Jésus.

Luc 22.44 Et se trouvant en agonie, il priait plus instamment et sa sueur devint comme des gouttes de sang découlant jusqu’à terre.  – Se trouvant en agonie. Le mot grec correspondant à agonie n’est employé qu’en cet endroit du Nouveau Testament : il indique une lutte violente, suprême, et peint sous une vive couleur les souffrances de Jésus en ce moment terrible. Mais le Sauveur, réconforté par la céleste apparition, opposait aux assauts réitérés de son agonie des élans toujours plus sublimes de prière et de résignation : il priait plus instamment. Le comparatif se rapporte soit à l’apparition de l’ange (à sa suite, la prière de Jésus fut plus fervente encore qu’auparavant), soit à chaque transe nouvelle de l’agonie (plus elles avaient de violence, plus le Seigneur priait). Voyez dans la lettre aux Hébreux, 5, 7 et ss., un beau développement de ce détail incomparable. – Et sa sueur devint… « Détail qui trahit le médecin », van Oosterzee. Mais dans quel sens faut‑il l’interpréter ? Nous n’avons pas à nous occuper des théories faciles de Strauss, de Schleiermacher, etc., qui voient ici ou un mythe, ou un embellissement poétique : il s’agit seulement de savoir si la sueur arrachée au corps sacré de Jésus par les tortures de son agonie consista en gouttes épaisses et larges comme seraient des gouttes de sang, ou bien si les expressions de S. Luc désignent une sueur tout à fait extraordinaire, dans laquelle le sang entrait pour une partie notable. Théophylacte, Euthymius, Bynaeus, Olshausen, Hug, etc., adoptent la première opinion parce que, disent‑ils, l’évangéliste montre lui‑même, en employant la particule comme, qu’il ne voulait pas parler d’une vraie sueur de sang. Nous leur répondrons 1° que le mot essentiel de ce passage est sang : la manière dont il est employé le prouve, car c’est à lui que se rapportent toutes les autres expressions du verset ; or ce mot perd sa principale raison d’être s’il ne désigne pas la nature même de la sueur : comme le dit justement Bengel, « Si la sueur n’avait pas été de sang, on aurait pu se passer de mentionner le sang,  car le mot gouttes suffisait à lui‑même pour décrire l’écoulement de la sueur » ; 2° que la comparaison ne porte ici ni sur la couleur, ni sur la quantité, mais sur la qualité : la phrase « sa sueur fut comme du sang » suppose donc qu’il y eut du sang, et en partie notable, dans la sueur de Jésus. 3° que leur interprétation donne un sens très faible et émousse entièrement le détail. D’ailleurs les exégètes les plus anciens et les plus distingués, tels que S. Justin, S. Irénée (sa pensée est formulée aussi nettement que possible : il n’eût pas sué des gouttes de sang, adv. Haer, 3, 22, 2), S. Athanase, S. Hilaire, Théodoret, S. Jérôme, S. Augustin, Érasme, Maldonat, D. Calmet, Sylveira, et presque tous les contemporains, catholiques, protestants et rationalistes, prennent parti sans hésiter pour la seconde opinion, dont nous croyons la vérité indiscutable. En outre, des faits nombreux, constatés dès les temps les plus reculés, démontrent jusqu’à l’évidence la possibilité d’une sueur de sang dans des conditions analogues à celle où se trouvait Notre‑Seigneur, c’est‑à‑dire parmi de mortelles angoisses. cf. Aristote, Histor. Animal. 3, 19 ; Théophraste, de Sudore, c. 12 ; Diodor. Sic. Hist. l. 17, c. 90 ; Rappelons enfin que c’est un médecin qui a pris soin de noter ce fait, circonstance qui ajoute un poids considérable au témoignage du troisième Évangile. Il est maintenant scientifiquement établi que sous la pression d’un extrême angoisse, un humain peut suer du sang – Qui coulait jusqu’à terre : Jusqu’à terre, tant cette sueur était abondante. « Que la goutte de sang qu’il a suée dans son agonie tombe sur la terre, que la terre ouvre sa bouche, qu’elle la boive et qu’elle crie au Père : meilleur que le sang d’Abel. », Drago Ostiensis, 4 Genèse n. 10. « Il était allé là pour prier.  Et il pria dans son agonie. Et il semblait alors qu’il ne pleurait pas seulement de ses yeux, mais de tous ses membres », S. Bernard, Serm. 3 de ramis.

Luc 22.45 Après avoir prié, il se leva et vint vers les disciples, qu’il trouva endormis de tristesse.Endormis de tristesse. S. Matthieu et S. Marc se bornent à signaler le fait ; S. Luc en indique la cause, et cette cause, toute physiologique, dénote encore le médecin. Quoique la tristesse soit souvent une cause d’insomnie, souvent aussi elle produit une tension qui ne tarde pas à engourdir les sens et à plonger dans un sommeil de plomb. cf. Jonas 1, 5. « Affaissé par l’anxiété de l’âme, le sommeil oppressa davantage son corps », Q. Curt. 4, 13, 17. « Décontenancé par les pitoyables lamentations, la torpeur oppressa son âme engourdie », Apul. 2.

Luc 22.46 Et il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, afin de ne pas entrer en tentation. » – De nouveau S. Luc abrège, et unit des paroles qui furent prononcées à divers intervalles. Comparez les récits parallèles. Jésus a maintenant repris, si l’on peut parler ainsi, la pleine possession de lui‑même : il est sorti victorieux de sa terrible agonie.

Luc 22, 47-53 = Matth. 26, 47-56 ; Marc. 14, 43-52 ; Jean 18, 2-11.

Luc 22 47 Comme il parlait encore, voici qu’une troupe de gens parut, celui qu’on appelait Judas, l’un des Douze, marchait en tête. Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. 48 Et Jésus lui dit : « Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser. » – C’est la description de l’infâme baiser de Judas. Le récit de S. Luc est pittoresque, rapide. Cette bande de loups furieux, comme on l’a justement appelée, qui tomba tout à coup sur le divin Agneau, était composée de soldats romains, de sergents d’armes du grand Conseil, de curieux, de fanatiques, et même de Sanhédristes. Voyez le v. 52. – Il s’approcha pour l’embrasser. Judas embrassa Notre‑Seigneur, ainsi qu’il ressort du contexte et des deux autres synoptiques. – Juda… S. Luc seul mentionne ces paroles de Jésus. Voir dans Matth. 26, 50, une autre petite allocution qui dut précéder celle‑ci. – Tu trahis… par un baiser : frappant contraste. Le baiser, signe ordinaire de l’affection, devenu le signal de la trahison la plus noire, à l’égard de la personne sacrée du Messie.

Luc 22.49 Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : « Seigneur, si nous frappions de l’épée ? » – Les détails de ce verset sont propres à S. Luc. – Deux incidents consécutifs retardèrent l’arrestation du Sauveur : les quatre évangélistes racontent de concert le premier (vv. 49-51) ; nous trouverons le second dans S. Jean, 18, 3-9. – Ceux qui étaient avec Jésus : c’est‑à‑dire les onze apôtres fidèles, qui s’étaient groupés autour de leur Maître à l’approche des sbires de Judas. – Si nous frappions de l’épée ? cf. 13, 23 ; Actes 1, 6 ; 19, 2 ; 21, 37, etc. Les disciples se souviennent de « l’entretien du glaive », et croient le moment venu de faire usage de leurs armes. « Les Galiléens avaient l’âme guerrière », comme le rappelle à propos D. Calmet (cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 3, 3).

Luc 22.50 Et l’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l’oreille droite. L’un d’eux frappa le serviteur… Quoique inutile, cet acte était plein de vaillance. On avait demandé l’avis du Sauveur ; mais l’ardent et généreux S. Pierre (cf. Jean 18, 10) frappa sans attendre la réponse. – Et lui coupa l’oreille droite. Le mot grec désigne l’oreille entière, et pas seulement le lobe charnu qui la termine. – Droite est un détail propre à S. Luc et à S. Jean.

Luc 22.51 Mais Jésus dit : « Restez-en là. » Et, ayant touché l’oreille de cet homme, il le guérit.Restez‑en là. Cette parole, un peu ambiguë dans le texte grec, a reçu des interprétations bien diverses. Plusieurs pensent que Jésus l’adressait aux Juifs venus pour l’arrêter. Ils la traduisent tantôt par « excusez cette résistance » ; tantôt par « permettez que je m’approche du blessé pour le guérir » ; tantôt par « laissez‑moi libre un instant pour que je le guérisse ». Mais ces explications sont recherchées, peu naturelles, et d’ailleurs réfutées par les mots Jésus prenant la parole, qui prouvent que Notre‑Seigneur voulait alors parler à ses disciples (cf. v. 49). Relativement aux apôtres un double sens est possible : « laissez faire mes ennemis » (« ne vous opposez pas à ce qui va arriver, car je dois permettre à mes ennemis de pousser la haine envers moi, jusqu’à s’emparer de ma personne, afin que les Écritures s’accomplissent », S. August., Accord des Évangélistes l. 3, c. 5, 47. cf. Maldonat, Luc de Bruges, Cajetan, etc.), ou bien : « ne résistez pas davantage » (Corn. a Lap., Noël Alexandre, Érasme, etc.). Nous adoptons de préférence cette dernière interprétation, qu’on trouve déjà dans la version syriaque. S. Luc omet ici une courte allocution que Jésus prononça dans le but d’expliquer aux siens pourquoi il se livrait sans résistance. cf. Matth. 26, 51 : Et voilà qu’un de ceux qui étaient avec Jésus, mettant l’épée à la main, en frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l’oreille. Particularité médicale, qui méritait bien d’être relevée par S. Luc.  Ce fut le dernier miracle de guérison opéré par Jésus : la bonté du divin Maître s’y manifeste admirablement.

Luc 22 52 Puis, s’adressant aux Princes des prêtres, aux officiers du temple et aux Anciens qui étaient venus pour le prendre, il leur dit : « Vous êtes venus comme après un brigand, avec des épées et des bâtons. 53 J’étais tous les jours avec vous dans le temple et vous n’avez mis pas la main sur moi. Mais voici votre heure et la puissance des ténèbres. » – Tout en refusant de répondre à la violence par la violence, le Sauveur proteste avec fermeté contre les procédés aussi lâches qu’injustes de ses adversaires. Dans ce passage, commun aux évangélistes synoptiques, trois détails sont propres à S. Luc. 1° au v. 52, la présence, parmi les rangs des soldats, des gardes et de la foule fanatique, d’un certain nombre de princes des prêtres, de capitaines des lévites (cf. note du v. 4) et d’anciens du peuple. C’est sur eux que retombe directement le fier reproche du Sauveur. Quelques rationalistes (Bleek, Meyer, etc.) ont trouvé cette présence peu naturelle : nous trouvons au contraire très naturel que des Sanhédristes et d’autres personnages influents soient venus surveiller une opération délicate, qui avait pour eux une si grande importance. 2° au v. 53, les mots pittoresques vous n’avez pas mis la main sur moi, au lieu de « vous ne m’avez pas arrêté » (S. Matth. et S. Marc). cf. Jérémie 6, 12. 3° La phrase finale mais voici votre heure, qui est d’une si grande énergie, en quelque sens du reste qu’on la prenne. Il est en effet deux manières de l’interpréter, au propre ou au figuré. Au propre, elle signifierait que les Sanhédristes, en venant arrêter Jésus au milieu de la nuit, se conduisaient comme les bandits et autres malfaiteurs, qui profitent ordinairement des ténèbres pour perpétrer leurs crimes. cf. Jean 3, 20. Au figuré, d’après une signification plus relevée, les mots la puissance des ténèbres, qui se rattachent à « votre heure » sous forme d’apposition, désigneraient Satan avec son ténébreux empire (cf. Colossiens 1, 13). Votre heure, telle serait alors la pensée de Jésus, est l’heure même du démon ; mon Père lui a concédé ce temps pour me nuire, et voici que vous vous faites ses complices. cf. Jean 8, 34, 44. Nous nous rangeons de préférence à cette explication, à la suite d’Euthymius, de Maldonat, de D. Calmet, de Keil, etc.

Luc 22.54 S’étant saisis de lui, ils l’emmenèrent et le conduisirent dans la maison du grand prêtre, Pierre suivait de loin. Luc 22, 54-62 = Matth. 26, 57, 58, 69-75 ; Marc. 14, 53, 54, 66, 72 ; Jean 18, 12-18, 25-27. Les quatre récits ont une ressemblance générale très frappante ; mais chacun d’eux a pareillement « ses nuances délicates et ses détails particuliers… S. Matthieu est celui qui fait le mieux ressortir la gradation des trois reniements », Godet. Voyez l’explication détaillée dans l’Évangile selon S. Matth. –  S’étant saisis de lui, dans le sens de saisir violemment, d’emmener prisonnier. – Dans la maison du grand‑prêtre. S. Luc est seul à dire que Jésus fut conduit dans la « maison » du prince des prêtres. Elle était située sur la déclivité septentrionale de la colline de Sion. Le prince des prêtres en question était Caïphe, d’après Matth. 26, 57. Sur la contradiction apparente qui existe entre S. Jean et les synoptiques, voyez notre explication du quatrième Évangile, l. c. – Pierre suivait de loin : « pour voir comment cela finirait », ajoute S. Matthieu.

Luc 22.55 Ayant allumé du feu au milieu de la cour, ils s’assirent autour et Pierre s’assit parmi eux.Ayant allumé du feu : un feu de charbon de bois, peut‑être dans un « brasero » à la façon orientale. – Au milieu de la cour : c’est‑à‑dire au milieu de la cour quadrangulaire, à ciel ouvert, qui occupe le centre des riches habitations de l’Orient. – Ils s’assirent autour : nouveau détail graphique. « Ils » désigne d’après le contexte les gardes du Sanhédrin.

Luc 2256 Une servante, qui le vit assis devant le feu, l’ayant regardé fixement, dit : « Cet homme était aussi avec lui. » 57 Mais Pierre renia Jésus, en disant : « Femme, je ne le connais pas. » – Premier reniement. Les quatre narrateurs sont d’accord pour dire qu’il fut occasionné par la question d’une servante. – Assis devant le feu, c’est‑à‑dire auprès du feu, dont l’éclat dessinait fortement les profils de ceux qui se chauffaient alentour. – Le fixa : le verbe grec indique un regard prolongé, pénétrant. cf. 4, 20. – Lui aussi : Les quatre évangélistes emploient cette forme emphatique, quoiqu’ils diffèrent pour la suite des paroles de la servante. L’apostrophe « Femme » n’a été conservée que par S. Luc.

Luc 22.58 Peu après, un autre l’ayant vu, dit : « Tu es aussi de ces gens-là. » Pierre répondit : « Homme, je n’en suis pas. » – Second reniement. Le détail chronologique par lequel il est introduit, un peu après, est propre au troisième Évangile. – Un autre, l’ayant vu… C’était sans doute l’un des gardes du grand Conseil. Les autres récits parlent encore d’une servante. Voyez la conciliation dans S. Matth., l. c., et dans notre commentaire sur S. Jean, 18, 27. – Homme : détail spécial, comme précédemment « femme ».

Luc 2259 Une heure s’était écoulée, lorsqu’un autre se mit à dire avec assurance : « Certainement cet homme était aussi avec lui, car il est de la Galilée. » 60 Pierre répondit : « homme, je ne sais ce que tu veux dire. » Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta. – Troisième reniement. Environ une heure plus tard est encore une précieuse particularité de S. Luc. – Un autre affirmait : c’était un parent de Malchus, d’après S. Jean ; d’autres se joignirent bientôt à lui, d’après S. Matthieu et S. Marc. Le mot grec correspondant à « affirmait » est très énergique, on ne le trouve qu’ici et Actes 12, 15. – Certainement est mis en avant par emphase : certainement cet homme est un disciple de Jésus ; le motif de certitude est ensuite exprimé : car il est de la Galilée. C’est aussi, comme la plupart des partisans de Jésus, un Galiléen. S. Pierre avait trahi sa nationalité par son accent. Voyez Matth. 26, 73 et le commentaire. – Je ne sais pas ce que tu veux dire. Cette troisième protestation fut accompagnée de serments et d’anathèmes destinés à la rendre plus éclatante, Matth. 26, 74. – Et aussitôt : les quatre récits notent cette circonstance ; mais S. Luc ajoute seul d’une manière emphatique : comme il parlait encore.

Luc 22.61 Et le Seigneur, s’étant retourné, regarda Pierre et Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. » 62 Et étant sorti de la maison, Pierre pleura amèrement. – Détail bien touchant que S. Luc a le mérite d’avoir seul conservé. Mais n’est‑ce‑pas en affaiblir la portée, la beauté, que de dire avec S. Augustin : « Ces paroles désignent uniquement un acte intérieur qui s’accomplit dans l’intelligence et dans la volonté. Dans son infinie miséricorde le Seigneur vint secrètement au secours de son apôtre, toucha son cœur, réveilla son souvenir, le visita par une grâce intérieure, l’émut jusqu’à lui faire verser des larmes extérieures et l’enflamma d’un immense repentir » (Grâce de Jésus‑Christ et péché originel, Livre 1, 49) ? ou avec S. Laurent Justinien (Lib. de triumphali Christi agone, c. 8) : « Il regarda Pierre non avec les yeux du corps mais avec le regard de sa piété » (de même Nicolas de Lyre, etc.) ? Nous le craignons. Les verbes grecs correspondant à regarder désignent des faits extérieurs, et nous n’avons ici aucun motif de leur attribuer un sens métaphorique. Luc de Bruges objecte, il est vrai, que le Seigneur n’a pu voir Pierre avec ses yeux corporels, vu que le premier se trouvait dans l’intérieur du palais, l’autre dans la cour. Mais l’objection tombe d’elle‑même si nous admettons, comme on le fait généralement, que cette scène émouvante et rapide eut lieu au moment où, après son premier interrogatoire devant le Sanhédrin, Jésus était conduit à l’appartement qui devait lui servir de prison jusqu’au matin. Traversant alors l’atrium, il se retourna lorsqu’il passa près de l’apôtre infidèle, et fixa sur lui un regard pénétrant, pour lui reprocher tacitement sa faute. cf. S. Jean Chrysostome, Théophylacte, etc. – Et Pierre se souvint. « Car il n’était pas possible qu’il demeurât dans les ténèbres de la négation celui que la lumière du monde regardait », S. Jérôme, in Matth. 26. Quoi d’étonnant que le cœur de S. Pierre ait été transpercé par ce regard de Jésus. – Au moral, d’après la belle application de S. Ambroise, il pleura en sanglotant. La faute le méritait bien. Si nous la considérons à la lumière de la vocation de S. Pierre, elle est inexcusable ; néanmoins, rapprochée du caractère de l’apôtre, elle s’explique ; rapprochée des circonstances du moment, elle perd de sa gravité ; enfin, si nous la rapprochons de nos propres péchés, l’accusation n’expirera‑t‑elle pas sur nos lèvres coupables ? (van Oosterzee)

Luc 22, 63-65 = Matth. 26, 67-68 ; Marc. 14, 65. S. Luc est le plus complèt des trois.

Luc 22.63 Or, ceux qui tenaient Jésus se moquaient de lui et le frappaient.Ceux qui tenaient Jésus : c’est‑à‑dire les appariteurs du grand Conseil, qu’on avait donnés à Jésus pour gardiens. cf. S. Marc, l. c. – Se moquaient de lui. L’imparfait dénote la continuité, la répétition des outrages, de même que dans les deux versets suivants. – Le frappaient. Les synoptiques emploient quatre expressions différentes pour décrire les cruelles voies de fait que Jésus eut alors à endurer.

Luc 22.64 Ils lui bandèrent les yeux et, le frappant au visage, ils l’interrogeaient, disant : « Devine qui t’a frappé. »Ils lui bandèrent les yeux. Voyez Marc. 14, 65 et le commentaire. Fra Angelico a reproduit admirablement ce détail. Par une innovation qui demandait quelque chose de plus que du génie, il a couvert les yeux du Sauveur d’un bandeau transparent, à travers lequel on voit reluire, outre la majesté de ses traits, la douce autorité de son regard. – le frappant au visage. Cette phrase est omise dans les manuscrits Sinait., B, K, L, M, etc. – Devine ou prophétise (S. Matth. ajoute : « Christ »)… Odieuse parodie pour moquer le pouvoir divin de Jésus de faire des miracles. Maintenant qu’il s’est laissé arrêté et maltraité, beaucoup y voient la preuve que ce que l’on disait de lui, ses miracles et son charisme de lecture du cœur humain n’étaient que des mensonges.

Luc 22.65 Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres injures. – C’est là une précieuse particularité de S. Luc. Elle nous montre combien Jésus eut à souffrir durant la dernière nuit de sa vie. 

Luc 22.66 Dès qu’il fit jour, les Anciens du peuple, les Princes des prêtres et les Scribes se réunirent et amenèrent Jésus dans leur assemblée. Ils dirent : « Si tu es le Christ, dis-le-nous. » – Luc 22, 66-71 = Matth. 27, 1 ; Marc. 15, 1a  – Divers auteurs (Maldonat, Corn. a Lapide, Jansenius, etc.) identifient ce passage de S. Luc avec Matth. 26, 57-66 et Marc. 14, 53-64 ; mais l’opinion commune des exégètes est que notre évangéliste parle ici d’un second interrogatoire de Jésus devant le Sanhédrin. Le premier jugement, raconté tout au long par les autres synoptiques, avait eu lieu pendant la nuit et peu de temps après l’arrestation du Sauveur : il correspond au v. 54, bien qu’il n’y soit pas mentionné formellement. Mais, d’après les lois alors en vigueur, il était nul et invalide (voyez S. Matth.). Pour lui donner un semblant de légalité, le grand Conseil tint de grand matin une nouvelle séance, on ignore en quel local, et se mit en devoir de ratifier sa sentence nocturne. S. Matthieu (26, 57-59 ; 27, 1) et S. Marc (14, 53-55 ; 15, 1) distinguent nettement les deux sessions du Sanhédrin ; S. Luc, s’il ne dit rien de la première, a seul conservé les détails de la seconde, de sorte qu’en réunissant les trois récits nous obtenons un exposé assez complet de la conduite du grand tribunal juif envers Notre‑Seigneur. – Les anciens du peuple. cf. Actes 22, 5. D’ordinaire, les anciens du peuple ne sont nommés qu’après les deux autres sections du Sanhédrin ; ils ouvrent la liste en cet endroit. – Amenèrent Jésus dans leur assemblée. Le verbe grec (litt. Ils conduisirent en haut) ferait allusion, d’après quelques commentateurs, à la situation élevée du local où l’assemblée se réunit ; mais il n’est pas nécessaire de presser ainsi le sens, ce verbe désignant parfois simplement l’action de conduire un prisonnier devant ses juges. – Si tu es le Christ… Les juges de Jésus, qui sont en même temps ses accusateurs, vont droit au point principal dans cette séance du matin. Ils veulent faire vite, on le voit au premier coup d’œil, quoiqu’une des fameuses « Prescriptions des Pères » fût : Agissez avec lenteur dans les jugements ; Pirké Aboth, 1, 1. Le Sanhédrin était en général renommé pour sa douceur (cf. Salvador, Institut. de Moïse, 2 ; Vie de Jésus, t. 2, p. 108) ; mais actuellement une rage farouche et aveugle le pousse.

Luc 22.67 Il leur répondit : « Si je vous le dis, vous ne le croirez pas, 68 et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas et ne me relâcherez pas. – Dans cette première partie de la réponse de Jésus brillent un sagesse et un calme vraiment divins. C’est un dilemme auquel les membres du grand Conseil auraient eu de la peine à répondre. Aussi n’y répondirent‑ils pas. Les deux parties de l’argument n’étaient que trop bien basées sur une expérience récente. – Si je vous le dis, vous ne le croirez pas. cf. Jean 8, 59 ; 10, 31 ; Matth. 26, 63-66. Si je vous interroge, vous ne me répondrez pas. cf. 20, 1-8 ; Matth. 22, 41-46. Ainsi donc, soit que Jésus eût ouvertement fait connaître aux magistrats juifs, sur leur demande, sa mission céleste, soit qu’il eût essayé d’argumenter avec eux, il n’avait trouvé auprès de ces hommes passionnés, haineux, que l’endurcissement volontaire. Il y a, dans ces paroles de Jésus, une protestation énergique, quoique indirecte, contre les procédés iniques de ses juges.

Luc 22.69 Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. » – Jésus accorde toutefois, quoique en termes menaçants, ce qu’il avait paru tout d’abord refuser. Comme à la fin du premier interrogatoire (cf. Matth. 26, 64, Marc, 14, 62 ; voyez le commentaire), il évoque devant ses ennemis l’image glorieuse et terrible du Fils de l’homme, assis à la droite de Dieu, et muni d’une puissance à laquelle rien ne pourra résister.

Luc 22.70 Alors ils dirent tous : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » Il leur répondit : « Vous le dites, je le suis. »Alors ils dirent tous. Cette locution est emphatique et pittoresque tout ensemble. En un mot : d’une façon tumultueuse. – Tu es donc le Fils de Dieu ? Ils ont compris, et ce n’était pas chose difficile, que Jésus avait voulu se désigner lui‑même en parlant du Fils de l’homme. cf. le Psaume 109, où le Messie est représenté comme trônant à la droite de Dieu son Père. – Vous le dites, je le suis. Formule orientale qui équivaut à une affirmation solennelle.

Luc 22.71 Et ils dirent : « Qu’avons-nous encore besoin de témoignage ? Nous l’avons nous-mêmes entendu de sa bouche. » – Le récit n’est pas moins dramatique que la scène elle‑même. – Qu’avons‑nous encore besoin de témoignage ? Il ne semble pas que le Sanhédrin ait fait comparaître des témoins à charge durant cette séance du matin : ces paroles font donc allusion à la session nocturne, durant laquelle de nombreuses dépositions avaient été reçues contre Jésus. cf. Matth. 26, 60 et ss. ; Marc. 14, 56 et ss.. Quant aux témoins à décharge, le Talmud a beau dire que, pendant quarante jours consécutifs, on fit inviter par des hérauts tous ceux qui croiraient pouvoir maintenir l’innocence de Jésus à se présenter devant le Sanhédrin, sans que personne répondît à l’appel : ces fables grossières dépassent le but. – On le voit, l’assemblée du matin ressembla beaucoup à celle de la nuit par ses divers détails : nous trouvons de part et d’autre à peu près les mêmes questions, les mêmes réponses, finalement la même condamnation ; ici et là les juges ont recours aux procédés les plus odieux, ici et là le divin accusé a une attitude digne du Messie : seulement, dans la dernière session les choses se passent avec une plus grande rapidité. Il n’y a pas de discussion proprement dite : on se borne à faire répéter au Sauveur ses paroles incriminées précédemment, et à ratifier l’arrêt de mort.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

Sommaire (cacher)

A lire également

A lire également