CHAPITRE 23
Luc 23.1 Alors toute l’assemblée s’étant levée, ils menèrent Jésus devant Pilate, – Luc 23, 1-25 = Matth. 27, 1-26 ; Marc. 15, 1-15 ; Jean 18, 28-19, 16. – Toute l’assemblée s’étant levée… Hébraïsme qui dénote la promptitude. cf. 1, 39 et le commentaire. « Tous » est une expression pleine d’emphase, dont il ne faut cependant pas presser le sens. Elle indique du moins que la plupart des Sanhédristes vinrent en ensemble au prétoire, dans l’intention évidente d’impressionner Pilate par cette manifestation solennelle, et d’obtenir plus aisément de lui la permission d’exécuter la sentence qu’ils avaient prononcée contre Jésus. Sur la perte du « droit de glaive », qui occasionnait cette démarche humiliante du grand Conseil des Juifs, voyez S. Matth. – Devant Pilate. Le prétoire était probablement installé dans la forteresse Antonia. La remise de Jésus à Pilate par les Juifs est signalée comme un fait important par les quatre récits évangéliques. En effet, c’est un nouveau stade du procès qui commence (van Oosterzee) ; de la juridiction spirituelle nous passons à la juridiction civile.
Luc 23.2 et ils se mirent à l’accuser, en disant : « Nous avons trouvé cet homme qui poussait notre nation à la révolte et défendait de payer les tributs à César, se disant lui-même le Christ-roi. » – Ils se mirent à l’accuser. S. Luc expose avec une parfaite netteté cet acte d’accusation, et distingue très bien les divers griefs. – Cet homme est dédaigneux en même temps que pittoresque. Les Sanhédristes, en prononçant ce mot, montraient Jésus à Pilate. Ils durent appuyer aussi sur le verbe nous avons trouvé. Ils disent qu’ils amènent Jésus non comme quelqu’un qui est accusé ou soupçonné de crime, mais qui a confessé et qui a été déclaré coupable. À ce superbe nous avons trouvé Pilate opposera plus loin, vv. 4, 14 et 15, son propre Je ne trouve rien et celui d’Hérode. Voyez du reste dans S. Jean, 18, 29 et ss., le début de cette négociation si habilement conduite de part et d’autre. poussait notre nation à la révolte. D’après cette première charge, qui est la plus générale et qui sera expliquée par les deux suivantes, Jésus était donc un Mecîth, comme disaient les Juifs, un séducteur qui donnait au peuple une fausse direction, qui troublait par conséquent la paix de l’État. – Deuxième charge : il empêche de payer l’impôt à César. Quelle infâme calomnie. cf. 20, 25 et les passages parallèles. Mais on voulait se débarrasser de Jésus par tous les moyens possibles. Or les Sanhédristes avaient compris que, pour gagner Pilate à leurs vues, il fallait donner à l’accusation une couleur politique. Jésus affirmant qu’il était le Messie, et le Messie, d’après les idées alors en vogue chez les Juifs, devant délivrer son peuple de toute servitude romaine, ce grief était capable de frapper le gouverneur. – Troisième charge : se disant le Christ‑roi. Cette dernière allégation avait une apparence de vérité ; mais les accusateurs défigurent avec malice le sens du mot Christ en le traduisant par roi, dans le but de faire accroire que Jésus s’était rendu coupable d’un crime de lèse‑majesté contre l’empereur. Voilà donc les autorités juives prises tout à coup d’un beau zèle pour les intérêts de Rome. Remarquons les ressources et la souplesse de leur haine. Quand le Sauveur avait comparu à leur propre barre, les Sanhédristes avaient donné au même titre de Christ la signification de Fils de Dieu, afin de motiver une accusation de blasphème ; maintenant ils ont besoin de prouver que Jésus est un rebelle : de là cette transformation.
Luc 23.3 Pilate l’interrogea, disant : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui répondit : « Tu le dis. » – S. Luc abrège notablement la scène. Voyez les trois autres narrations. C’est dans l’intérieur du prétoire, d’après S. Jean, que Pilate interrogea Notre‑Seigneur. – Es‑tu le roi des Juifs ? Il y a beaucoup d’emphase dans le prénom. La manière dont Pilate précise le sens du mot roi, en ajoutant des Juifs, est remarquable : il ne pouvait guère ignorer les espérances messianiques des Juifs ni leur nature. Au reste, sa question et la réponse de Jésus sont absolument identiques dans les trois synoptiques.
Luc 23.4 Pilate dit aux Princes des prêtres et au peuple : « Je ne trouve rien de criminel en cet homme. » – De retour vers les Sanhédristes, et vers la multitude toujours grossissante qui était accourue au prétoire, Pilate donna clairement son opinion sur le cas porté devant son tribunal : Je ne trouve rien de criminel dans cet homme. Cela revenait à la formule juridique il y a doute, que prononçaient les juges romains quand la culpabilité d’un accusé n’avait pas été démontrée. A quatre reprises, (ici, vv. 14-15, 20, 22), Pilate protesta ainsi de l’innocence de Jésus. Cette première conclusion paraît bien abrupte dans le troisième Évangile : les détails donnés par S. Jean la rendent très naturelle.
Luc 23.5 Mais redoublant leurs instances, ils dirent : « Il soulève le peuple, répandant sa doctrine dans toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici. » – redoublant leurs instances. Le verbe grec correspondant exprime énergiquement la crainte qui s’empara des Sanhédristes quand ils virent que leur proie était sur le point de leur échapper. – Il soulève le peuple. Autre verbe très expressif, que l’on trouve seulement ici et Marc. 15, 11. L’emploi du temps présent renforce encore l’idée : « il ne cesse d’agiter le peuple ». – Au simple énoncé du fait les Juifs ajoutent une explication ; en vue d’indiquer d’une part le moyen auquel Jésus avait recours pour révolutionner le pays, répandant sa doctrine, d’autre part le vaste déploiement de son activité, dans toute la Judée… Toute la contrée était donc troublée, suivant eux, par ce dangereux tribun. L’aveu a pour nous quelque chose de précieux. Les synoptiques étaient à peu près muets sur le ministère de Notre‑Seigneur en Judée, qu’il était réservé à S. Jean de décrire tout au long, les rationalistes n’ont pas manqué de trouver une contradiction perpétuelle entre les trois premiers Évangiles et le quatrième : mais voici que les plus ardents adversaires du divin Maître se chargent d’établir l’harmonie, en affirmant que Jésus n’avait pas été moins actif en Judée qu’en Galilée. cf. Actes 10, 37. – Où il a commencé : c’est en effet dans les régions septentrionales de la Palestine que Notre‑Seigneur s’était d’abord mis à prêcher d’une manière régulière et suivie. cf. 4, 14. Il est probable qu’en nommant la Galilée les Juifs espéraient susciter davantage la défiance de Pilate : Les Galiléens étaient alors une communauté turbulente, assez redoutée par Rome ; personne ne le savait mieux que le gouverneur actuel, qui avait eu à lutter contre eux. – Jusqu’ici, c’est‑à‑dire jusqu’à Jérusalem, au cœur même du pays. Ces derniers mots contenaient sans doute une allusion particulière à l’entrée triomphale du Sauveur.
Luc 23.6 Quand Pilate entendit nommer la Galilée, il demanda si cet homme était Galiléen, – Les Sanhédristes avaient frappé juste : le nom de la Galilée n’a pas en vain retenti aux oreilles de Pilate, puisqu’aussitôt le gouverneur veut savoir si Jésus (cet homme) est originaire de cette province. Tous ces détails, vv. 5-16, sont propres à S. Luc : ils complètent de la façon précieuse l’histoire de la passion du Sauveur.
Luc 23.7 et ayant appris qu’il était de la juridiction d’Hérode, il le renvoya à Hérode, qui se trouvait aussi à Jérusalem, en ces jours-là. – De la juridiction d’Hérode. Il s’agit d’Hérode Antipas, le fameux tétrarque de la Galilée et de la Perée (cf. 3, 1), provinces sur lesquelles Pilate n’avait aucune juridiction. – Il le renvoya à Hérode. C’est là de nouveau une expression technique du droit romain, Car il est renvoyé un coupable qui a été arrêté ailleurs. Il est envoyé au juge de son lieu d’origine ou de son domicile, Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 2, 20, 5. Le motif de ce renvoi est manifeste : tout montre que Pilate, en l’ordonnant, espérait échapper à une grave responsabilité, se délivrer d’une affaire épineuse dont il prévoyait la difficile conclusion. Il essaie donc de faire prononcer le jugement par un autre, car il n’ose pas encore condamner un homme dont il a reconnu l’innocence, et il manque du courage nécessaire pour l’élargir en face des réclamations de la foule. Le contexte (v. 12) montre que le procurateur se proposait en outre, quoique d’une manière secondaire, de reconquérir par cet acte de courtoisie les bonnes grâces du tétrarque, avec lequel il était en désaccord depuis un certain temps. Plus tard Vespasien eut pour Hérode Agrippa une attention analogue. cf. Flavius Josèphe l. c. 3, 10, 10. – Qui se trouvait aussi à Jérusalem. Antipas résidait ordinairement à Tibériade, la capitale de ses États ; mais, comme Pilate, il se trouvait alors à Jérusalem à l’occasion des solennités pascales (en ces jours‑là). Tout porte à croire qu’il occupait dans cette circonstance le palais des Asmonéens, situé à gauche du temple, au pied de la colline de Sion (voyez Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 2, 16, 3 ; Antiquités Judaïques 20, 8, 11), à moins qu’il ne se fût établi dans celui de son père, Hérode‑le‑Grand, bâti un peu plus à l’Ouest. C’est à tort que l’on a donné parfois à Hérode et à Pilate une seule et même résidence (Aberle, Lichtenstein).
Luc 23.8 Hérode eut une grande joie de voir Jésus, car depuis longtemps il en avait le désir, parce qu’il avait entendu beaucoup parler de lui et il espérait lui voir opérer quelque miracle. – Hérode eut une grande joie : beau détail psychologique, qui ouvre très bien cette nouvelle scène. Le monarque blasé se promet, à la vue de Notre‑Seigneur, un plaisir d’un genre particulier. – depuis longtemps il en avait le désir, désirs d’autant plus vifs qu’ils étaient demeurés inassouvis. Voyez 9, 7 et ss., les premières traces de ce désir d’Hérode. – Il avait entendu beaucoup parler de lui… Motif qui avait ainsi piqué la curiosité du tétrarque. Ayant appris que Jésus était un grand thaumaturge, cet homme frivole espérait en avoir quelques preuves « de visu », car il ne doutait pas que l’accusé n’essayât de gagner par tous les moyens la faveur du juge dont son sort dépendait.
Luc 23.9 Il lui adressa beaucoup de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. – Il lui adressa beaucoup de questions. Il n’a pas plu à l’Esprit‑Saint qui, lorsqu’il inspirait les écrivains sacrés, avait en vue notre utilité et non pas notre curiosité, de conserver une seule des vaines questions adressées par Antipas à Notre‑Seigneur. Au reste, la majestueuse attitude du Sauveur nous montre suffisamment le cas que nous devons en faire : Jésus ne lui répondit rien. Jésus avait répondu à Caïphe et à Pilate : il ne juge pas Hérode digne d’une seule parole, et se renferme dans un noble silence.
Luc 23.10 Or, les Princes des prêtres et les Scribes se trouvaient là, l’accusant avec opiniâtreté. – Les ennemis de Notre‑Seigneur ne se taisent pas. Dans cet admirable tableau nous les voyons debout, l’accusant sans relâche, car ils l’avaient accompagné chez le tétrarque, poussés par Pilate lui‑même (cf. v. 15) et encore davantage par leur haine implacable. Les Sanhédristes en seront pour leurs frais de zèle, car Hérode ne tiendra aucun compte de leurs accusations.
Luc 23.11 Mais Hérode, avec ses gardes, le traita avec mépris, après s’être moqué de lui et l’avoir revêtu d’une robe éclatante, il le renvoya à Pilate. – Pourtant il tiendra compte de son amour‑propre blessé, et il se vengera de la manière la plus mesquine de la déception, de l’humiliation que lui avait occasionnées le divin accusé. – Le traita avec mépris : expression très forte, littéralement : l’ayant réduit à néant. cf. Isaïe 53, 3. – Avec ses gardes. C’est là une expression hyperbolique, que la version syrienne rend justement par « avec ses officiers et ses gardes ». Suivant la coutume des princes orientaux, qui ne voyagent jamais sans un grand déploiement de luxe et de faste, Hérode avait amené à Jérusalem une suite considérable, en partie composée de soldats. – après s’être moqué de lui. Le texte primitif emploie encore une expression énergique. cf. 22, 63 ; voyez aussi 18, 32, où Jésus lui‑même s’en est servi pour prédire les scènes humiliantes de sa Passion. – L’avoir revêtu d’une robe éclatante. Ces mots complètent ceux qui précèdent, en déterminant par un détail spécial, caractéristique, la nature des outrages que Notre‑Seigneur eut à subir chez Hérode. On voulut tourner en dérision sa dignité royale. Une robe éclatante, lumineuse, brillante (cf. la Peschito syrienne). Il est notoire que dans l’antiquité les vêtements blancs étaient portés comme habits de gala par les plus illustres personnages. cf. Actes 10, 30 ; 26, 13 ; Apocalypse 15, 6 ; 19, 8 ; 22, 16 ; Tacite, Hist. 2, 89 ; Flavius Josèphe Ant. 8, 7, 3 ; La Guerre des Juifs, 2, 1, 1. Cette robe était ironique et moqueuse, elle voulait signifier qu’Hérode prenait Jésus pour un fou puisqu’à ses yeux, refuser de plaider sa cause auprès de lui, alors que Jésus se trouvait en situation de perdre la vie suite aux nombreuses accusations portées par les autorités juives, était une preuve très certaine de dérangement mental et ou même de folie furieuse. Hérode s’est rendu indigne de comprendre comment Dieu prendra occasion de la Passion pour susciter en retour dans le cœur de tant de saint(e)s des élans d’amour et de gratitude envers Jésus, vrai Dieu et vrai homme. – Théophyl. Jésus, dont toute la conduite est dirigée par une raison souveraine, et qui, au témoignage de David, règle tous ses discours avec prudence et jugement (Psaume 111, 5), crut plus utile pour Hérode de garder le silence dans cette circonstance. En effet, tout discours adressé à celui qui n’en fait aucun profit, devient pour lui une cause de condamnation : » Mais Jésus ne lui répondit rien. » — S. Ambroise. Jésus se tait et ne fait aucun miracle, parce qu’Hérode n’avait pas la foi qui mérite d’avoir des miracles, et que lui-même fuyait toute ostentation. Peut-être aussi, Hérode est-il la figure de tous les impies, qui ne peuvent voir et comprendre les miracles de Jésus-Christ, racontés dans l’Évangile, qu’à la condition de croire à la loi et aux prophètes. – M. Reuss, Hist. Évangélique, p. 676 et 677, fait à propos de ce verset, comme du reste beaucoup d’autres rationalistes, une étrange réflexion : « Les scènes insultantes et les mauvais traitements que la soldatesque fait essuyer à Jésus sont transportés par Luc dans le palais d’Hérode, tandis que, d’après les deux autres auteurs (S. Matth. et S. Marc), tout cela se passa dans le prétoire romain. L’une de ces versions est tout aussi plausible que l’autre ; toujours est‑il qu’il y en a deux ». Certainement, il y en a deux, et, l’aveu est précieux à recueillir, elles sont toutes deux très plausibles ; mais se contredisent‑elles, comme on voudrait l’insinuer ? Pas le moins du monde, puisqu’elles correspondent à des épisodes complètement distincts, qui n’eurent lieu ni au même endroit, ni devant les mêmes personnages, ni à la même heure, ni de la même manière. Le troisième synoptique raconte un fait que les deux premiers avaient omis ; puis, à son tour, il omet des détails exposés par eux. Les historiens profanes se conduisent tous les jours de cette façon : leur reprochera‑t‑on de se contredire ?
Luc 23.12 Le jour même, Hérode et Pilate devinrent amis, d’ennemis qu’ils étaient auparavant. – S. Luc termine par un détail psychologique digne de lui le récit de la comparution du Sauveur devant Hérode : Hérode et Pilate devinrent amis, d’ennemis qu’ils étaient… Il y a dans ce « le jour même » une emphase évidente. On a parfois pensé que leur inimitié avait éclaté à la suite de l’incident mentionné plus haut, 13, 1 ; d’autres l’ont rattachée aux dénonciations secrètes ou publiques qu’Antipas s’était permis de faire à Tibère contre Pilate (Flavius Josèphe Ant. 18, 4, 5) : mais on ne peut rien déterminer de certain sur ce point. Entre le gouverneur romain de la Judée et le tétrarque de la Galilée il existait des occasions perpétuelles de froissement ; le moindre conflit de juridiction avait pu rompre violemment des relations qui n’avaient jamais été bien intimes. Mais voici qu’aujourd’hui Jésus réconcilie ces deux hommes.
Luc 23.13 Pilate, ayant assemblé les Princes des prêtres, les magistrats et le peuple, – Ayant assemblé les princes des prêtres… Détail pittoresque. Pilate fait grouper autour de son tribunal, dressé en plein air, soit les accusateurs principaux de Jésus (par magistrats, il faut entendre les deux autres sections du Sanhédrin, c’est‑à‑dire les Scribes et les notables. cf. 24, 20), soit les masses populaires. Il comptait sur ces dernières pour le succès du plan qu’il avait déjà formé en vue de délivrer Jésus. C’est elles surtout qu’il va tâcher de convaincre et d’émouvoir, n’osant toujours pas faire acte d’autorité et prononcer un verdict d’acquittement.
Luc 23.14 leur dit : « Vous m’avez amené cet homme comme excitant le peuple à la révolte, je l’ai interrogé devant vous et je n’ai trouvé en lui aucun des crimes dont vous l’accusez, – Cette petite allocution (les v.14-16) est vivante et très habile. Elle est presque tout entière propre à notre évangéliste. – comme excitant le peuple à la révolte. Telle avait été en effet la première charge des Sanhédristes ; ils y étaient même revenus une seconde fois, v. 5, en voyant Pilate favorable à l’accusé. – je l’ai interrogé devant vous… L’interrogatoire privé que S. Jean a raconté tout au long, 18, 33 et ss., n’exclut pas la possibilité d’une enquête publique. On ne saurait donc légitimement opposer « devant vous » du troisième Évangile à la narration du quatrième. Voyez D. Calmet, h. l. – Je n’ai trouvé trouvé en lui aucun des crimes…, comme au v. 4.
Luc 23.15 ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui et, vous le voyez, rien qui mérite la mort n’a été prouvé contre lui. – Ni Hérode non plus. Nouvelle emphase. Hérode, l’un des vôtres, qui est très au courant de vos affaires. La phrase est elliptique. – rien n’a été prouvé contre lui… Chez le tétrarque, on n’a rien fait à Jésus qui marque qu’on l’ait jugé digne de mort (D. Calmet, Fr. Luc, etc.).
Luc 23.16 Je le relâcherai donc après l’avoir fait châtier. » – Après l’avoir châtié. Mot grec, que S. Luc est seul à employer dans le N. Testament (ici et 16, 22). Sur l’horrible supplice de la flagellation, voyez S. Matth. – Donc. Conclusion à laquelle on était loin de s’attendre, après de telles prémisses. Pourquoi punir Jésus s’il est innocent ? Mais Pilate veut faire une concession à la faveur populaire, en même temps qu’il espère épargner à Jésus, par ce moyen terme, les rigueurs d’une condamnation à mort.
Luc 23.17 [Pilate était obligé, au jour de la fête, de leur accorder la délivrance d’un prisonnier]. – Plusieurs critiques ont révoqué en doute l’authenticité de ce verset, qu’omettent les célèbres manuscrits A, B, K, L, les versions copte, sahidiq., et au sujet duquel il existe une grande confusion dans les divers textes qui le contiennent. Griesbach, Tischendorf et Tregelles le suppriment comme un emprunt fait à Matth. 27, 15. Néanmoins, sa présence dans la plupart des documents anciens (en particulier dans le Codex Sinaïticus) nous empêche de croire à une interpolation. – Pilate était obligé… est une locution propre à S. Luc. S. Matthieu et S. Jean parlent d’une coutume ; S. Marc mentionne simplement le fait. Celui qu’ils voulaient, ajoute S. Matthieu, pour montrer que le droit de grâce était exercé par les Juifs. – Au jour de la fête : comme dans les deux autres synoptiques, c’est‑à‑dire à chaque retour de la solennité pascale. Sur cet antique usage, voyez S. Matth.
Luc 23.18 Mais la foule tout entière s’écria : « Fais mourir celui-ci et relâche-nous Barabbas » – La foule tout entière s’écria… Expression très forte. Le terme grec a le sens de « à l’unanimité ». S. Matthieu et S. Marc racontent la pression que les princes des prêtres avaient exercée sur le peuple pour obtenir ce vote infâme. – Fais mourir celui‑ci. De même dans S. Jean, 19, 18. C’est, aux mauvais jours, l’horrible demande des foules surexcitées : A mort. Les païens criaient de même, quand ils demandaient la mort des premiers chrétiens. cf. Euseb. Hist. Eccles. 4, c. 14.
Luc 23.19 lequel avait été mis en prison à cause d’une sédition qui avait eu lieu dans la ville et d’un meurtre. – L’évangéliste caractérise en quelques mots l’homme qui eut l’honneur d’être préféré à Jésus. Sa description est la plus complète de toutes. Elle ajoute même à celle de S. Marc un détail intéressant : « dans la ville ». C’est donc à Jérusalem qu’avait eu lieu la tentative de soulèvement.
Luc 23.20 Pilate, qui désirait relâcher Jésus, les harangua de nouveau, 21 mais ils répondirent par ce cri : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » – Pilate les harangua de nouveau… Dans le grec, le verbe indique une allocution proprement dite. cf. Actes 21, 40. Quand le tumulte se fut un peu apaisé, Pilate essaya de faire quelques représentations à la foule touchant la monstruosité de son choix ; mais en vain : ce fut plutôt de l’huile jetée sur le feu. – Mais ils répondirent : L’imparfait fortifie l’idée. Cette fois‑ci, la foule désigne le genre de mort qu’elle désire pour Jésus, le cruel supplice de la croix, généralement usité dans les provinces romaines. Voyez aussi S. Matth.
Luc 23.22 Pour la troisième fois, Pilate leur dit : « Qu’a-t-il donc fait de mal ? Je n’ai rien trouvé en lui qui mérite la mort. Ainsi je le ferai châtier et je le renverrai. » – cf. les vv. 4 et 14. Ces efforts réitérés de Pilate pour sauver Notre‑Seigneur sont vraiment remarquables, selon la belle réflexion de Luc de Bruges : « Alors que les autres évangélistes présentent avec soin l’innocence du Seigneur, Luc insiste sur elle tout particulièrement. Car la narration de tout le procès de Pilate et toutes les tentatives de relâchement ont pour but de nous faire comprendre l’innocence de Jésus… que c’était plutôt pour les autres qu’il s’était offert ».
Luc 23.23 Mais ils insistèrent, demandant à grands cris qu’il fût crucifié et leurs clameurs allaient grandissant. – Description tout à fait dramatique, avec emphase sur la plupart des mots. Pilate ne réussit donc qu’à déchaîner un véritable orage de protestations, au milieu desquelles retentissaient comme un refrain sinistre les mots cent fois répétés « crucifie‑le. ». – A la fin du verset, la Recepta grecque indique que les princes des prêtres eux‑mêmes, oublieux de tout décorum, auraient mêlé leurs cris homicides à ceux de la foule. Mais ce n’est peut être là qu’une glose apocryphe.
Luc 23.24 Pilate prononça donc qu’il serait fait comme ils demandaient. – Pilate pronoça… Pilate aurait dû se souvenir en cet instant solennel d’une belle recommandation de la loi des douze Tables : « Les vaines paroles du peuple ne méritent pas d’être entendues quand elles désirent absoudre un criminel ou condamner un innocent », Lex 12, de poenis. Mais au contraire il finit par céder honteusement. Une expérience antérieure avait appris aux Juifs qu’on pouvait, en insistant avec force, triompher de ses volontés les plus opiniâtres. « Il craignait, dit Philon, Legat. ad Caium, p. 38, qu’ils n’envoyassent une ambassade (à Rome) pour dénoncer ses actes de mauvaise administration, ses extorsions, ses décrets injustes, ses châtiments inhumains, et cette crainte le réduisait à la plus grande perplexité. » C’est par conséquent l’intérêt personnel qui lui fit sacrifier Notre‑Seigneur avec une lâcheté que les Constitutions apostoliques stigmatisent à bon droit.
Luc 23.25 Il relâcha celui qu’ils réclamaient et qui avait été mis en prison pour sédition et meurtre et il livra Jésus à leur volonté. – Il relâcha celui… Au lieu de nommer simplement Barabbas, S. Luc (et ce détail lui est propre) rappelle d’une manière emphatique les antécédents du criminel que les Juifs avaient osé préférer à Jésus. cf. v. 190 ; Actes 3, 16. C’est une manière saisissante de mettre en relief toute l’horreur du forfait qu’il raconte. Aujoud’hui encore, on sent sous ces trois lignes, la vive émotion du narrateur. – Qu’ils réclamaient. Comme d’ordinaire en pareil cas, l’imparfait est pittoresque et marque la continuité. – Il livra Jésus à leur volonté. Autre locution énergique (S. Matthieu et S. Marc se contentent d’écrire : « il leur livra »). Nous savons quelle était, relativement à Jésus, la volonté de la foule en fureur.
Luc 23.26 Comme ils l’emmenaient, ils arrêtèrent un nommé Simon, de Cyrène, qui revenait des champs et ils le chargèrent de la croix, pour qu’il la portât derrière Jésus. – Luc 28, 26-32 = Matth. 27, 31-34 ; Marc. 15, 20-23 ; Jean 19, 16-17. Sans parler de la flagellation, ni des outrages particuliers que les soldats firent encore subir à Notre‑Seigneur (voyez les récits parallèles), S. Luc arrive directement au douloureux épisode du chemin de croix, au sujet duquel il a une longue et importante particularité (vv. 27-32). – Les préparatifs du supplice n’avaient pas demandé beaucoup de temps. Aussitôt après la sentence, tandis que se passaient les scènes cruelles du prétoire, les soldats de garde avaient été désignés, et munis de leurs provisions pour le reste de la journée : le convoi se mit donc promptement en marche. Nul doute que, selon la coutume barbare de ces temps, l’auguste victime n’ait été abreuvée sur tout le parcours d’injures et de coups (« Ils te perceront avec des lances quand tu marcheras en portant ta croix », Plaut. Most. 1, 1, 53). Sur l’intéressante légende du Juif errant, qui se rattache à ce fait. – Ils arrêtèrent un nommé Simon de Cyrène… Les autres synoptiques emploient l’expression légale « réquisitionner ». Voyez dans S. Matth., les détails relatifs à ce droit de réquisition et à la personne du Cyrénéen. – Qui revenait des champs. Cette circonstance a été souvent alléguée comme une grave objection contre le sentiment de ceux qui fixent la date de la mort du Sauveur au 15 nisan, c’est‑à‑dire au grand jour de la Pâque : mais le texte dit seulement que Simon revenait alors des champs, non qu’il y avait travaillé. – Porter la croix derrière Jésus. La plupart des peintres et quelques exégètes (Cajetan, Lipsius, van Oosterzee, Wordsworth) concluent de cet exposé, dont la forme est propre à S. Luc, que Jésus ne fut pas complètement déchargé de sa croix ; il aurait même continué d’en porter la partie la plus lourde, et tout son allégement eût consisté en ce que le Cyrénéen en soulevait la base. Mais c’est là une fausse interprétation des mots « derrière Jésus », que l’on doit prendre d’une manière absolue, comme il résulte des passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc (« pour porter sa croix »). Telle était déjà l’opinion de S. Jérôme, in Matth. 27, 32, et de S. Ambroise, Expos in Luc. l. 10, 107. Du concours prêté, quoique forcément, à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ par Simon de Cyrène, les anciens gnostiques concluaient que ce dernier avait été crucifié à la place de Jésus. cf. S. Irénée, ad. Haer. 1, 23 ; S. Epiph. Haer. 24, 3. – Sur la forme de la croix, voyez S. Matth. De curieuses traditions avaient cours autrefois touchant la nature du bois qui la composa. D’après Bède le Vénérable, l’inscription était en buis, la tige en cyprès jusqu’à l’inscription, la traverse en cèdre, la partie supérieure en pin. Guillaume Durand assure que le pied était de cèdre, la tige en cyprès, la traverse en palmier, la tête en olivier. Une légende populaire dit que toute la croix était en bois de tremble, et c’est de là, ajoute‑t‑elle, que provient l’agitation perpétuelle des feuilles de cet arbre (cf. Smith, de Cruce, 3, 13, veut qu’elle ait été de chêne, arbre assez commun en Palestine ; mais il résulte d’observations consciencieuses faites au microscope sur plusieurs reliques de la vraie croix (notamment par M. Decaisme, membre de l’Institut, et par M. P. Savi, professeur à l’université de Pise), que l’instrument du supplice de Jésus était en bois de pin. Voyez le Mémoire de M. Rohault de Fleury sur les Instruments de la Passion, pp. 61-63, 359 et 360.
Luc 23.27 Or, il était suivi d’une grande foule de peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. – Ce verset et les suivants jusqu’au 31ème décrivent une émouvante scène que notre évangéliste a seul conservée. – Il était suivi d’une grande foule… De tout temps les exécutions capitales ont attiré les foules. Il faut se souvenir en outre que Jérusalem regorgeait alors de monde à cause de la Pâque, et que le supplicié était le « prophète » célèbre au loin par sa doctrine et par ses miracles. – Et de femmes… Si la multitude mentionnée plus haut contenait un certain nombre d’ennemis du Sauveur et beaucoup de curieux, elle renfermait aussi des personnes au cœur pieux et compatissant qui, malgré la défense expresse du Talmud (« Ils ne le pleurèrent pas quand il fut conduit au supplice », Bab. Sanhedr., f, 42, 2. 27, 31), manifestèrent courageusement leur sympathie pour le divin condamné. Les femmes qu’il signale ne pleuraient pas en Jésus un crucifié quelconque. C’est à tort qu’on les a parfois identifiées avec les saintes Galiléennes qui accompagnaient habituellement Notre‑Seigneur (cf. v. 55), car, d’après les paroles de Jésus lui‑même, elles habitaient Jérusalem. Il n’est pas sûr qu’elles fussent déjà chrétiennes dans le sens strict. – Elles pleuraient à haute voix, elles se frappaient la poitrine, Fr. Luc. L’association de ces deux verbes nous fournit une représentation concrète des violentes manifestations de la douleur chez les Orientaux.
Luc 23.28 Se tournant vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants, – Se tournant vers elles. Détail pittoresque, qui provenait évidemment d’un témoin oculaire, peut‑être de quelqu’une des saintes femmes. Aucune d’elles ne dut oublier la douce expression des regards de Jésus, ni son visage pâle et ensanglanté. – Jésus dit… C’est peut‑être la seule parole que le Sauveur ait prononcée entre sa condamnation à mort et son crucifiement ; du moins nous n’en possédons pas d’autre. Elle est grave, solennelle, car elle porte tout entière sur la ruine prochaine de la capitale juive. – Filles de Jérusalem… Métaphore bien connue, d’après laquelle on appelait en hébreu les habitants d’une ville ses fils ou ses filles. cf. Cantique des Cantiques 1, 3 ; Isaïe 3, 16, etc. – Ne pleurez pas sur moi… « Si vous saviez les maux qui vous menacent, et qui doivent tomber sur votre ville, … sur vous‑mêmes et sur vos enfants, vous conserveriez vos larmes pour déplorer vos propres malheurs », D. Calmet. Plusieurs de ces femmes compatissantes purent être témoins des horreurs de la guerre romaine et du siège de Jérusalem, c’est‑à‑dire des terribles représailles suite au refus du Sanhédrin de reconnaître la venue du Christ-Messie, en la personne de Jésus.
Luc 23.29 car voici que des jours viennent où l’on dira : Heureuses les stériles et les entrailles qui n’ont pas enfanté et les seins qui n’ont pas allaité. 30 Alors les hommes commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous et aux collines : Couvrez-nous. – Jésus énumère dans ces deux versets les motifs du « pleurez sur vous‑mêmes ». Des jours approchent, dit‑il, où la plus grande bénédiction humaine, celle de la maternité, sera regardée comme un affreux malheur (v. 29), où une mort violente, à condition qu’elle soit subite, passera pour un sort enviable (v. 30). – Heureuses les stériles. La privation d’enfants avait été autrefois présentée par le prophète comme une malédiction. cf. Osée 9, 14. Au début du troisième Évangile, 1, 25, nous entendions sainte Élisabeth remercier Dieu de ce qu’il avait fait cesser son « opprobre » en lui donnant un fils. Et voici qu’à trois reprises coup sur coup, Jésus répète cette béatitude étrange et nouvelle. Mais il est des jours d’angoisses et de misères où une femme est heureuse en effet de n’avoir pas d’enfants ; et tels devaient être précisément ceux auxquels Notre‑Seigneur fait allusion dans sa terrible prophétie. Ne vit‑on pas alors des mères juives dévorer le fruit de leur propre sein ? cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 6, 3, 4. Voilà pourquoi les « bénédictions des seins et du sein maternel » promises aux temps antiques par Jacob, Genèse 49, 25, cessent maintenant d’être des bénédictions.
Luc 23.30 Alors les hommes commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous et aux collines : Couvrez-nous. – Dire aux montagnes… Ces paroles sont empruntées au prophète Osée, 10, 8, chez qui elles représentaient déjà une scène d’horrible désespoir. On ne saurait exprimer au moyen d’une image plus forte le désir d’échapper par une fin soudaine à d’intolérables calamités : aussi S. Jean dans l’Apocalypse, 6, 16, la met‑il sur les lèvres des réprouvés. cf. Isaïe 2, 10. L’historien Josèphe raconte, La Guerre des Juifs, 6, 9, 4, que les habitants de Jérusalem, dans l’espoir d’échapper aux horreurs du siège, se réfugièrent en grand nombre dans les égouts et les souterrains de la ville, où l’on trouva ensuite leurs cadavres par milliers.
Luc 23.31 Car, si l’on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? » – Le Sauveur justifie par une frappante comparaison les menaces implicites des deux précédents versets. – Si l’on traite ainsi le bois vert… L’idée semble si claire, malgré son vêtement imagé, qu’on a de la peine à s’expliquer les hésitations de plusieurs exégètes à son sujet. Comme on l’admet généralement, le bois vert (ce mot n’apparaît qu’en cet endroit du Nouveau Testament), c’est en général l’arbre encore debout, encore vivant, qui porte des fleurs et des fruits ; le bois sec, au contraire, c’est l’arbre coupé depuis longtemps, mis en réserve pour le feu. De même que ce dernier symbolise les pécheurs, à l’âme aride, stérile, de même le premier représente les justes, semblables, dit le psalmiste, 1, 3-4, à un arbre planté sur le bord des eaux, qui fournit son fruit en sa saison, et dont les feuilles ne tombent jamais. Voyez aussi Ézéchiel 20, 47 (cf. 21, 3-4). Or ici, d’après l’application immédiate, Jésus est le juste par excellence que figure le bois vert, tandis qu’Israël pécheur, impénitent, est le tronc desséché qui ne donne plus aucun espoir de récolte. Si donc Jésus subit de tels châtiments malgré son innocence, à quoi ne doivent pas s’attendre les Juifs, dont la malice crie vengeance vers le ciel ? Voyez 1 Pierre 4, 17, la même pensée, quoique plus générale, et exprimée sans figure. – Le divin Maître rentre dans son majestueux recueillement. Sur le chemin du Calvaire il venait de tenir au fond le même langage que pendant sa récente marche triomphale (cf. 19, 41-44) ; mais la ville où Dieu fait homme a été assassiné était sourde. – Sur la pieuse tradition relative à saint Véronique (ou Bérénice), qui aurait été l’une des femmes compatissantes mentionnées par S. Luc, et qui aurait essuyé de son voile la sainte face du Sauveur, voyez les Acta Sanctorum, Febr., t. 3, p. 451 et ss. ; Rohault de Fleury, l. c., p. 245 et ss.
Luc 23.32 Et l’on conduisait en outre deux malfaiteurs, pour les mettre à mort avec Jésus. – Ce détail encore est propre à S. Luc. Peut‑être ces deux autres hommes avaient‑ils fait partie, comme on l’a souvent conjecturé, de la bande commandée par Barabbas ; c’étaient des zélotes qui, sous le couvert du patriotisme, exerçaient à leur aise le brigandage et le vol. Or la croix était le châtiment habituel des malfaiteurs de cette espèce. cf. Flavius Josèphe La Guerre des Juifs, 2, 13, 12 ; Petrone, Satyricon, 3.
Luc 23.33 Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé Calvaire, ils l’y crucifièrent, ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche. Luc 23, 33-46 = Matth. 27, 34-50 ; Marc. 15, 27-37 ; Jean 19, 18-30. – Les trois autres évangélistes donnent le nom hébreu du célèbre monticule (Golgotha) ; S. Luc se borne à le traduire en grec (Crâne). Sur cette dénomination voyez S. Matth. – Ils l’y crucifièrent. D’après une fable talmudique (Gem. Bab., Sanh. 6), Jésus aurait été d’abord lapidé suivant les prescriptions de la loi juive, et les Romains n’auraient attaché à la croix qu’un corps sans vie. Le supplice subi par le divin Maître passait pour si humiliant que les Pères eurent plus d’une fois à répondre à des objections que les Juifs et les païens en tiraient contre sa dignité messianique ou sa nature divine. « Quelqu’un dira peut‑être : S’il était Dieu et s’il a voulu mourir, pourquoi n’a‑t‑il pas au moins choisi un genre de mort honorable ? Pourquoi de préférence la croix ? Pourquoi un supplice infâme indigne d’un honnête homme, même coupable ? », Lactance, Institutions Divines, 4, 26. Mais, selon la belle parole de S. Ambroise : « Nous avons déjà vu le trophée de la croix. Que le triomphateur monte sur son char, et sur la croix triomphale qu’il suspende les dépouilles des captifs du monde ». La croix si méprisée est devenue un ornement glorieux, dont les rois eux‑mêmes veulent parer leur diadème, et que les braves portent sur leur poitrine comme un signe d’honneur. – Ainsi que des malfaiteurs… Les quatre évangélistes ont relevé ce détail, dont nous avons indiqué ailleurs le caractère ignominieux (Evang. S. Marc). Une antique tradition attribue au bon larron la place de droite et celle de gauche au mauvais. – « Trois croix, l’une près de l’autre, écrivait S. Augustin, lettre 93, alias 48 ; sur la première nous voyons le malfaiteur qui fut sauvé, sur la seconde le malfaiteur qui fut réprouvé, sur celle du milieu le Christ qui absout l’un et qui condamne l’autre. En apparence, qu’y a‑t‑il de plus semblable que ces trois croix ? Mais qu’y a‑t‑il de plus dissemblable que les hommes attachés à leurs bras ? »
Luc 23.34 Mais Jésus disait : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Se partageant ensuite ses vêtements, ils les tirèrent au sort. – Le premier hémistiche de ce verset (Jésus disait… ils font) manque dans les manuscrits B, D, ainsi que dans les versions copte et sahidiq. ; mais cette omission doit être purement accidentelle, car on le trouve partout ailleurs. Il est cité par S. Irénée et par les Homélies Clémentines, 10, 20. – Père, pardonnez‑leur… Ces mots furent sans doute prononcés au moment où les clous pénétraient dans la chair sacrée de Jésus. Sous la pression de la douleur la douce Victime rompit de nouveau son majestueux silence, non pour se plaindre, mais pour pardonner à ses bourreaux. « Ce fut la première des paroles de Jésus pendant son agonie. L’humanité les a comptées. Il y en a sept, marquées au coin d’une élévation, d’une force, d’une tendresse, d’une douceur infinies. Ces sept paroles terminent la vie de Jésus comme les huit Béatitudes l’avaient ouverte, par la révélation d’une grandeur qui n’est pas de la terre. Seulement, il y a ici quelque chose de plus beau, de navrant, de poignant, de plus divin ». Bougaud, Jésus‑Christ, 2è édit., p. 548. Des sept paroles du Christ mourant (chantées dans une musique sublime par des compositeurs célèbres, surtout par Haydn), trois, dont elle‑ci, ne nous ont été conservées que par S. Luc, trois autres que par S. Jean, la septième est commune à la rédaction de S. Matthieu et de S. Marc. Les voici avec leur ordre probable : 1° Luc. 23, 34, « Père, pardonnez‑leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ; 2° Luc 23, 43, « En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis. » ; 3° Jean 19, 26-27, « Femme, voici ton fils… Voici ta mère » ; 4° Matth. 27, 46 et Marc. 15, 34, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as‑tu abandonné » ; 5° Jean 19, 28, « J’ai soif » ; 6° Jean 19, 30, « Tout est consommé » ; 7° Luc. 23, 46, « Père, je remets mon esprit entre vos mains ». Elles concernent les ennemis de Jésus, les pécheurs pénitents, Marie et le disciple bien‑aimé, les angoisses intérieures du divin patient, ses souffrances physiques, son œuvre et son Père céleste. La première et la dernière commencent par l’appellation filiale de « Père ». S. Bernard les nomme d’une manière pleine de charme « les sept feuilles toujours vertes que Notre vigne produisit quand elle fut élevée sur la croix ». – Pardonnez‑leur. « Il demandait déjà le pardon pour ceux de qui il était en train de recevoir des injures. Car il ne considérait pas que c’était par eux qu’il mourait, mais pour eux », S. August. Tractat. 31 in Jean. Les exégètes diffèrent d’avis sur l’application du pronom « leur ». Suivant les uns (Kuinoel, Ewald, Plumptre, etc.), il désignerait spécialement les soldats romains qui remplissaient l’office de bourreaux. Nous préférons admettre, à la suite du plus grand nombre, qu’il se rapporte en général à tous les ennemis de Notre‑Seigneur, et surtout ceux des Juifs qui étaient les vrais instigateurs de sa mort. Nous obtenons ainsi un sens plus large et plus profond pour cette parole aimante. Telle paraît d’ailleurs avoir été l’interprétation de S. Pierre et de S. Paul, qui y font une allusion manifeste, le premier dans un discours consigné au livre des Actes, 3, 17, le second dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, 2, 8. – Car ils ne savent ce qu’ils font. Jésus motive ainsi et appuie fortement sa demande de pardon. Il a toujours été reçu en effet, devant Dieu comme devant les hommes, que l’ignorance diminue d’ordinaire la malice du péché. Or, les Juifs, au moins pour la plupart, ne comprenaient certainement pas toute l’énormité du crime commis en crucifiant Notre‑Seigneur. Ils ne pensaient pas mettre à mort leur Messie et leur Dieu, quoique leur erreur fût loin d’être exempte de péché. – Partageant ensuite ses vêtements. Voyez les détails plus complets dans S. Jean, 19, 23-24. Les condamnés, avant d’être attachés à l’arbre de la croix, étaient dépouillés de leurs vêtements, que la loi romaine adjugeait aux licteurs ou à ceux qui en faisaient l’office.
Luc 23.35 Le peuple se tenait là et regardait. Les chefs se joignaient à lui pour railler Jésus en disant : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu. » – Et le peuple se tenait là, regardant. détail pittoresque, propre à S. Luc, et qui rappelle la prophétie de Zacharie, 12, 10 : « Et ils tourneront les regards vers moi, celui qu’ils ont percé ». cf. Psaume 21, 17. – Les chefs se moquaient. Les Sanhédristes, et non simplement les princes des prêtres. Le verbe grec est d’une grande énergie. cf. 16, 14 et Psaume 21, 8, dans la traduction des Septante. Les mots avec lui, omis par les meilleurs manuscrits (B, C, D, L, Q, X, Sinait.) et par plusieurs versions (copt., syr.), pourraient bien n’être qu’un glossème. La masse du peuple semble donc, d’après S. Luc, être demeurée silencieuse au pied de la croix. En dehors des Sanhédristes, ceux des Juifs qui insultaient Notre‑Seigneur étaient surtout des passants, selon les deux premiers synoptiques. – Il en a sauvé d’autres… Il existe de légères variantes entre les trois narrations, fait bien naturel, car les insulteurs ne tenaient pas tous absolument le même langage. – S’il est le Christ, l’élu de Dieu. L’addition de l’épithète élu (cf. Isaïe 42, 2), l’emploi d’un pronom péjoratif, sont des particularités de S. Luc. Aujourd’hui encore le Talmud outragent grossièrement Notre‑Seigneur, qu’ils désignent par le surnom de thalouï (pendu), non sans ajouter la plupart du temps quelque imprécation vulgaire. Quant aux chrétiens, ils les appellent les serviteurs du pendu.
Luc 23.36 Les soldats aussi se moquaient de lui, s’approchant et lui présentant du vinaigre, ils disaient : 37 « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même. » – Ce détail n’a été conservé que par S. Luc. A l’exemple des Juifs, les soldats romains qui montaient la garde autour des trois croix se mettent à insulter Jésus. – S’approchant et lui présentant du vinaigre. « Ceci est fort différent de la potion du vin avec de la myrrhe qu’on offrit à Jésus avant qu’il fût mis à la croix (Matth. 27, 34 ; Marc. 15, 23), et du vinaigre qu’on lui présenta après qu’il eût crié : J’ai soif (Jean 19, 28 et s., Matth. 27, 48 ; Marc. 15, 36) » D. Calmet, h. l. Par « vinaigre », il faut entendre la « posca », mélange d’eau et de vinaigre, qui était alors la boisson ordinaire des soldats romains. – Si tu es le roi des Juifs. L’insulte des rudes prétoriens n’est que l’écho de celle des prêtres ; elle présente toutefois une nuance caractéristique : « Roi des Juifs » au lieu de « Christ ». – A toutes ces injures Jésus n’oppose toujours que son silence. « Elle aurait pu parler. Les tortures du crucifiement ne troublaient pas l’intelligence, ne paralysaient pas les organes du langage. L’histoire signale des crucifiés qui, durant des heures entières, donnaient un libre cours à leur douleur, à leur rage ou à leur désespoir, tantôt en maudissant leurs ennemis sur lesquels ils crachaient (Senec. de Vit. beat. 19), tantôt en protestant jusqu’au bout contre l’iniquité de leur sentence, tantôt en implorant avec une humilité abjecte la pitié des spectateurs (Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, 4, 6, 1), tantôt en haranguant la multitude du haut de la croix, comme d’un tribunal, et lui reprochant ses vices et ses faiblesses (Justin, 22, 7). ». Mais Jésus ne parla que pour encourager, pour bénir, ou pour se consoler en confiant ses angoisses et son âme à son Père. Sa noblesse ne se démentit pas un instant.
Luc 23.38 Il y avait encore au-dessus de sa tête une inscription portant, en caractères grecs, latins et hébraïques : « Celui-ci est le roi des Juifs. » – Le titre de Roi des Juifs, donné d’une manière dérisoire à Notre‑Seigneur par les soldats, rappelle à S. Luc un fait qu’il n’avait pas encore mentionné, et qu’il insère ici. Sur cette tablette, voyez S. Matth. – En grec, en latin et en hébreu. L’authenticité de ces mots est assez bien garantie malgré leur omission dans B, L, Sinait. et quelques versions. Ils contiennent un précieux renseignement, dont nous sommes redevables à S. Luc et à S. Jean (19, 29). Les trois langues dans lesquelles fut écrite l’inscription étaient celles des trois nations les plus civilisées d’alors : le latin, langue de la force, le grec, langue de l’éloquence et de la sagesse, l’hébreu, langue de la vraie religion, rendirent ainsi témoignage à la royauté de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. « Cela fut un signe que les plus puissants parmi les païens comme les Romains, les plus sages comme les Grecs, et les plus religieux comme les Hébreux devaient être subjugués par le Christ Roi », Théophylacte, h. l. (cf. ce passage du Talmud : « Il y a trois langues, la latine pour la guerre, la grecque pour l’éloquence, et l’hébraïque pour la religion », Midr. Tillin, 31, 20). L’inscription avait été écrite en latin parce que c’était la langue officielle du juge qui avait prononcé la sentence ; puis on l’avait traduite en grec et en hébreu (plus exactement, en syro‑chaldéen) parce que c’étaient les idiomes usités en Palestine. – Celui‑ci est le roi des Juifs. Les paroles du titre varient légèrement dans chaque évangéliste, quoique l’essentiel soit partout identiquement conservé : Matthieu 27, 37 : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. » Marc 15, 26 : « Le roi des Juifs. » Jean 19, 19 : « Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. » Il est assez probable, comme on l’a souvent conjecturé, que ces nuances reproduisent les formes diverses qu’avait l’inscription dans chacune des trois langues. S. Marc aurait conservé le titre latin, car la brièveté de sa rédaction rappelle tout à fait le genre des écriteaux romains ; S. Jean le titre hébreu, parce qu’il mentionne, conformément aux usages juifs, le pays du crucifié à côté de son nom ; S. Luc enfin (ou S. Matthieu) le titre grec. (Selon d’autres, c’est S. Luc qui donnerait l’inscription latine. cf. Westcott, Introd. to the study of the Gospels, p. 307). Drach, L’inscription hébraïque du titre de la sainte Croix, Rome 1831. Rohault de Fleury, Mémoire sur les instruments de la Passion, p. 183 et ss. – Pilate l’affirmait donc d’une manière toute providentielle : « Dieu a régné par le bois ». cf. Psaume 46, 10, d’après la version des Septante ; Tertull. adv. Marc. 3, 19, etc.
Luc 23.39 Or, l’un des malfaiteurs pendus à la croix l’injuriait, disant : « Puisque tu es le Christ, sauve-toi toi-même et sauve-nous. » – L’un des malfaiteurs… l’injuriait. L’imparfait dénote des blasphèmes réitérés. S. Matthieu et S. Marc racontent d’une manière sommaire que Jésus fut aussi outragé par les malfaiteurs crucifiés à ses côtés : S. Luc expose tout au long cette scène émouvante, qui est une des perles de son Évangile. Sur l’antilogie apparente des récits, voyez S. Matth. – Puisque tu es le Christ. Quelques manuscrits anciens (B, C, L, Sinait.) donnent un sens interrogatif à la phrase : n’es‑tu pas le Christ ? C’est pour la troisième fois la même insulte (cf. vv. 35-37) ; mais elle retrouve ici son cachet juif, car les deux larrons étaient Israélites. Notez aussi l’addition significative sauve-nous.
Luc 23.40 Mais l’autre le reprenait, en disant : « Ne crains-tu donc pas Dieu, toi non plus, condamné que tu es au même supplice ? – Jésus continue de se taire ; mais voici qu’il trouve tout à coup un chaud défenseur. Ses meilleurs amis l’ont abandonné : si quelques‑uns d’entre eux commencent à s’approcher timidement du Golgotha, ils n’osent élever la voix en sa faveur ; le bon larron proteste contre la raillerie prononcée en dernier lieu, et fait une belle apologie du Christ souffrant. – Toi non plus… avec emphase. N’es‑tu pas dans une situation particulière qui devrait te rendre plus réservé que les autres ? – Condamné au même supplice (au même supplice que Jésus). Comme lui tu vas bientôt mourir ; il faut donc penser aux jugements divins.
Luc 23.41 Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes, mais lui, il n’a rien fait de mal. » – Après cette parole de réprimande, nous en trouvons une autre qui est tout ensemble une humble confession, et un magnifique éloge de Jésus. – Pour nous, c’est justice. Les rationalistes eux‑mêmes admirent ce beau détail. Il est si rare de voir un condamné accepter généreusement sa sentence en esprit d’expiation. – Mais lui n’a rien fait de mal. Dans le grec, littéralement, rien de déplacé, « rien qui ne convienne à un homme bon », selon la juste paraphrase de Maldonat. cf. 2 Thessaloniciens 3, 2. C’est une manière très délicate et très énergique d’affirmer que Jésus était tout à fait innocent. S’il n’avait rien fait qui fût simplement inconvenant, à plus forte raison rien qui méritât la mort. Ce verdict d’acquittement, rapproché de ceux de Pilate de d’Hérode, est significatif. Sur quoi le bon larron appuyait‑il ce remarquable témoignage ? Peut‑être sur la connaissance antérieure qu’il avait de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ (sans qu’il soit pourtant nécessaire d’admettre, comme l’ont fait arbitrairement Grotius, Michaelis, etc., qu’il était un disciple momentanément dévoyé du Sauveur) ; mais la conduite de Jésus depuis le début du chemin de croix avait pu suffire pour démontrer sa complète innocence à l’œil exercé d’un criminel.
Luc 23.42 Et il dit à Jésus : « Seigneur, souvenez-vous de moi, quand vous serez parvenu dans votre royaume. » – Le bon larron se tourne maintenant du côté de Notre‑Seigneur, et lui adresse une humble et sublime prière : Ne m’oubliez pas : voilà tout ce qu’il demande, certain du reste que si Jésus daigne se souvenir de lui, ce sera avec un sentiment de bonté, comme aussi, d’après les paroles suivantes (quand vous serez arrivé dans votre royaume), avec une parfaite efficacité. Le suppliant ne pouvait proclamer en termes plus formels sa croyance au caractère messianique de Jésus : le royaume auquel il fait allusion n’est autre en effet que celui du Christ, mentionné si fréquemment dans les SS. Évangiles et dans les Talmuds. Acte de foi vraiment admirable, vu les circonstances où se trouvait alors Notre‑Seigneur. « Le voleur ne méprisa pas celui qui pendait avec lui sur une croix », S. August. Serm. 23, 2. Mais ce grand coupable avait reçu de Jésus en peu de temps les enseignements les plus précieux. « La croix fut pour lui une école ; il y reçut l’enseignement du Maître ; et le gibet où le Sauveur était suspendu devint la chaire où il donnait ses instructions. » Id. Serm. 234, 2. Cf. les paroles analogues du Sauveur, Matth. 25, 31 : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire ». « Règne » ne désigne donc pas directement et immédiatement le ciel.
Luc 23.43 Jésus lui répondit : « Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. » – Jésus s’est tu en face des blasphèmes vomis de tous côtés contre sa personne divine ; mais il fait la plus douce réponse à la prière du larron pénitent. Nous le voyons apparaître comme roi céleste, promettant une place du paradis, de même qu’il s’était manifesté plus haut comme prêtre, quand il intercédait pour ses bourreaux (v. 34), et antérieurement encore comme prophète, lorsqu’il exhortait les femmes de Jérusalem (vv. 28-31). – Les mots En vérité, je te le dis accentuent à la façon ordinaire la certitude de la promesse. L’adverbe aujourd’hui ne dépend pas de « je te le dis », mais commence une proposition nouvelle. Quoique les « exégètes catholiques romains » aient à peu près unanimement protesté, depuis l’époque de Théophylacte jusqu’à nous, contre cette liaison qui rendrait la pensée « insipide et faible » (Maldonat), M. van Oosterzee leur reproche injustement de la soutenir. Sa partialité devient révoltante quand il ajoute qu’ils agissent ainsi « pour affaiblir autant que possible la preuve constamment tirée de ce texte contre le dogme du purgatoire » (Evangel. Lucae, 3è éd., p. 387). – A la date plus ou moins lointaine que le bon larron avait fixée (lorsque vous serez arrivé…), Jésus oppose cet « aujourd’hui » qu’il met en avant d’une manière emphatique. Non, pas seulement au jour de mon avènement, mais aujourd’hui même, avant peu d’heures. Il y a une nouvelle emphase dans le pronom avec moi, duquel les théologiens concluent d’ailleurs à bon droit que l’âme de Notre‑Seigneur descendit aux limbes aussitôt après sa mort. cf. 1 Pierre 3, 18 et s. – Tu seras avec moi dans le paradis. Pour avoir une juste idée de la promesse faite par Notre‑Seigneur au bon larron, nous avons à rechercher quel était alors le sens du mot Paradis. Ce substantif, introduit dans la langue hébraïque sous la forme de Pardès (Cantique des Cantiques 4, 13 ; Ecclésiaste 2, 5 ; Néhémie 2, 8), et, environ 400 ans avant Jésus‑Christ, dans la langue grecque, d’où découlent les équivalents latin, français et autre du mot paradis, n’est certainement pas d’origine sémitique. Les anciens et les modernes sont à peu près unanimes pour le rattacher directement à la langue persane. Voyez Xénophon, Anabas. 1, 2, 7 ; 4, 9, etc. ; E. Renan, Langues sémitiques, p. 153. Il signifie jardin parc, comme les mots congénères pardès en arménien et paradèça en sanscrit. Aussi les Septante l’ont‑ils employé Genèse 2, 8, 15 ; 3, 23, pour traduite la première partie de la locution gân Edên, jardin d’Eden, dont ils ont fait « jardin de délices ». Partant de là, les Juifs en vinrent peu à peu, par un rapprochement très naturel, à donner le même nom de paradis au lieu où les âmes des justes résident en attendant la résurrection. En ce sens, dans la théologie judaïque, le paradis ne diffère pas du « sein d’Abraham » que nous avons décrit plus haut (16, 22), et il est pareillement opposé à la Géhenne. Telle est ici, de l’avis de la plupart des Pères et des meilleurs exégètes (Maldonat, Cornel. a Lapide, etc.), l’application qu’en fait Notre‑Seigneur : c’est donc l’entrée prochaine dans le « limbe des patriarches » qui est promise au bon larron. Ce nom évoqua devant lui, pour le consoler parmi ses horribles souffrances, les douces images de la paix et du repos en Dieu. Dans la littérature chrétienne des premiers temps, 2 Corinthiens 12, 4 ; Apocalypse 2, 7, le mot paradis apparaît pour désigner le ciel proprement dit, et c’est dans cette acception relevée que nos idiomes européens se le sont incorporés. La strophe suivante, gravée sur la tombe de Copernic, contient une belle allusion au passage que nous venons d’expliquer : « Je ne demande pas un pardon semblable à celui de Paul, ni une grâce semblable à celle de Pierre, mais je prie avec ferveur pour que tu m’accordes la grâce que tu as donnée au larron sur le bois de la croix ». L’enseignement qui ressort de cette scène est infiniment précieux : il n’y a pas de repentir trop tardif. Mais, ajoutent les maîtres de la vie spirituelle, qu’on y prenne garde ; la Bible ne nous présente que ce seul exemple d’un homme qui se soit converti sur le point de mourir. – Le bon larron est honoré comme un Saint dans l’Église latine. Nous lisons au Martyrologe romain, 25 mars : « Du saint larron de Jérusalem qui mérita, après avoir confessé le Christ, de l’entendre dire : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ». Les Évangiles apocryphes n’imitent pas cette sage sobriété. Remontant trente années en arrière, ils nous racontent qu’au moment où la Sainte Famille fuyait en Égypte, elle fut assaillie par deux voleurs nommés Dismas et Gestats (ou bien Titus et Dumachus) : celui‑ci voulait la traiter brutalement, celui‑là au contraire la protégea. L’Enfant‑Dieu leur aurait alors prédit le drame du Calvaire tel qu’il vient de se réaliser sous nos yeux. cf. Brunet, les Evang. Apocryphes, 2è édit. pp. 77, 78, 102, 243. L’Évangile de Nicodème, ch. 27, relate en termes exprès l’entrée du bon larron dans les limbes. Voyez aussi les Acta Sanctorum, au 25 mars.
Luc 23.44 Il était environ la sixième heure, quand des ténèbres couvrirent toute la terre jusqu’à la neuvième heure. 45 Le soleil s’obscurcit et le voile du temple se déchira par le milieu. – La sixième heure : c’est‑à‑dire environ midi. Il se produisit alors un phénomène étrange qui dura jusqu’au dernier soupir de Jésus, jusqu’à 15 heures : La nature parut se couvrir d’un voile de deuil pendant l’agonie de son auteur. « Quand il souffrit, le monde entier eut compassion de lui », Clem. Recognit. 1, 41. « Les éléments méritèrent d’obtenir du sort un tel comportement, de s’attrister de sa mort comme ils s’étaient réjouis de sa naissance », Sedulius, Paschal. 5, 16. Voyez S. Matth. – Le soleil fut obscurci (détail propre à S. Luc). C’était pourtant l’heure du jour où la lumière du soleil est le plus éclatante, et, à cette époque de l’année, il brille déjà sur la Palestine avec un vivacité comparable à celle qu’il a chez nous au mois de juin. « Le soleil t’a donné un signe. » pouvons‑nous dire plus exactement que Virgile. La variante explicative des manuscrits Sinait., B, C, L, etc. des versions copt. et sahid., « le soleil a fait défaut », était déjà connue d’Origène, qui la rejetait à bon droit. – Le voile du temple se déchira. Ce second miracle n’eut lieu qu’après la mort de Notre‑Seigneur, ainsi qu’il résulte des narrations plus précises de S. Matthieu et de S. Marc. S. Luc l’antidate de quelques heures, afin de grouper ensemble les divers miracles par lesquels Dieu le Père rendit témoignage à son Fils en ces moments solennels. Voyez dans S. Matth., la signification de ce fait symbolique. C’en est fait désormais du culte juif : bientôt la destruction totale du temple le dira plus éloquemment encore. « Le voile du temple se scinda, comme pour se lamenter sur la destruction imminente de ce lieu », Clem Recog. 1, 41.
Luc 23.46 Et Jésus s’écria d’une voix forte : « Père, je remets mon esprit entre vos mains. » En disant ces mots, il expira. – Passant sous silence divers incidents rapportés par les autres évangélistes, S. Luc nous conduit droit au fatal dénouement. Le grand cri de Jésus, qu’il signale de concert avec S. Matthieu et S. Marc, fut distinct de la parole « Père, je remets mon esprit… », acte de filiale confiance par lequel le Sauveur termina sa vie mortelle. Il en emprunta l’expression au Psaume 30, v. 6, à part le doux nom de Père qu’il ajouté au texte sacré. – Il expira. Il est remarquable qu’aucun des évangélistes n’emploie la locution commune : Il mourut. Tous, ils ont voulu faire ressortir la liberté entière avec laquelle le divin agonisant exhala son âme. La manière dont S. Luc rattache la locution « disant cela » à « il expira » prouve qu’il n’y eut pas d’intervalle notable entre le « Père, je remets… » et le dernier soupir de Jésus. – C’est ici le lieu de rappeler une étonnante réflexion de Platon. Dans sa République, 2, il fait dire par Socrate à Glaucus que le juste parfait, s’il apparaissait jamais parmi les hommes, serait à coup sûr chargé de chaînes, flagellé, torturé, et finalement crucifié. Voilà que Jésus, le véritable homme parfait, a réalisé ce vague pressentiment du paganisme, de même qu’il a totalement accompli les lumineux oracles des prophètes juifs.
Luc 23.47 Le centurion, voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu et dit : « Certainement, cet homme était juste. » Luc 23, 47-49 = Mth. 27, 51-56 Mc. 15, 38-41. – Le centurion : c’est‑à‑dire, le capitaine romain qui avait été préposé au triple crucifiement. S. Luc mentionne dans ses écrits plusieurs bons centurions, outre ce passage, 7, 2 ; Actes 10, 1 ; 22, 26 ; 27, 43. – Ce qui était arrivé. S. Matthieu et S. Marc précisent davantage. « A la vue du tremblement de terre… », dit le premier ; « voyant comment il avait expiré », écrit le second. – Glorifia Dieu est un détail spécial. Le centurion rendit gloire à Dieu par la confession toute chrétienne que nous allons entendre. – Certainement cet homme était juste. Dans les deux autres récits, il attribue formellement à Jésus le titre de Fils de Dieu. On fait la conciliation tantôt en supposant qu’il prononça tour à tour ces deux jugements, tantôt en admettant, à la suite de S. Augustin, de Consens. Evangel. l. 1, c. 20, que S. Luc aurait transformé la phrase pour interpréter à ses lecteurs dans quel sens un païen pouvait affirmer que Jésus était vraiment le Fils de Dieu. D’après l’Évangile de Nicodème, c. 11, le centurion aurait porté le nom de Longinus. Une tradition que S. Jean Chrysostome citait déjà, mais sans en garantir la vérité, le fait mourir martyr du Christ. Il serait devenu évêque de Cappadoce d’après d’autres documents. Voyez les Acta Sanctorum au 15 mars ; Cornel. a Lap. h. l.
Luc 23.48 Et toute la multitude qui s’était rassemblée pour ce spectacle, considérant ce qui était arrivé, s’en retournait en se frappant la poitrine. – Les détails de ce verset sont propres à S. Luc. – Toute la multitude. Cela suppose une affluence considérable. – Se frappant la poitrine. Par ce signe du deuil et de la douleur, les Juifs confessaient, quoique tardivement, leur regret de la mort de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. cf. Actes 2, 36-37 ; Isaïe 53.
Luc 23.49 Mais tous les amis de Jésus se tenaient à distance, avec les femmes qui l’avaient suivi de Galilée et contemplaient tout cela. – Tous les amis de Jésus. Notre évangéliste a seul conservé ce détail ; mais les deux autres synoptiques mentionnent comme lui la présence des saintes amies du Sauveur, prenant même le soin de nommer les principales : Marie Madeleine, Marie, mère de S. Jacques le Mineur, Salomé. Voyez d’ailleurs 8, 2-3. – contemplaient tout cela. Détail pittoresque, également spécial à S. Luc. Quels sentiments animaient alors ces disciples intimes ? Leur foi était chancelante, leurs espérances obscurcies ; du moins leur amour brûlait encore.
Luc 23.50 Or, il y avait un homme, appelé Joseph, membre du conseil, homme bon et juste, 51 qui n’avait donné son assentiment ni au dessein des autres, ni à leurs actes, il était d’Arimathie, ville de Judée et attendait, lui aussi, le royaume de Dieu. Luc 23, 50-56 = Matth. 27, 57-61 ; Marc. 15, 42-47 ; Jean 19, 38-42. – Les quatre évangélistes sont d’accord pour faire jouer à Joseph d’Arimathie le rôle prépondérant dans la sépulture du Sauveur. Sur le titre de membre du conseil, c’est‑à‑dire, selon toute probabilité, de Sanhédriste, cf. comment. S. Marc. S. Luc seul relève le caractère moral de Joseph par les mots homme bon et juste. Seul aussi il prend soin de dire, en termes emphatiques, que le noble sénateur n’avait pas pris la moindre part à la mort de Notre‑Seigneur. Par « dessein » il faut entendre la sentence capitale ; les « actes » étaient les différentes mesures prises en vue d’exécuter cette sentence. – Sur Arimathie voyez S. Matth. – Il attendait aussi… (cf. 2, 25 et le commentaire). De même S. Marc. S. Matthieu dit formellement que Joseph était un disciple de Jésus.
Luc 23.52 Cet homme alla trouver Pilate, lui demanda le corps de Jésus, – La hardiesse de l’acte (cf. Marc. 15, 43) a pour ainsi dire passé dans le style serré, rapide, des quatre narrateurs. L’histoire signale plusieurs suppliants de ce genre qui payèrent de leur vie leur démarche généreuse. cf. Euseb. Mart. p. 11. D’après les Actes apocryphes de Pilate (B, c. 11), les Juifs auraient emprisonné pour cette raison Joseph d’Arimathie.
Luc 23.53 et l’ayant descendu, il l’enveloppa d’un linceul et le déposa dans un tombeau taillé dans le roc, où personne n’avait encore été mis. – S. Luc, comme S. Marc, emploie le terme technique descendu (cf. Tertull. Apol. 21, S. Just. c. Typh. 108, Senec. Vit. Beat. 19). – Il l’enveloppa d’un linceul. Il s’agit ici du linceul principal : l’évangéliste parlera plus bas, 24, 12, d’autres linges secondaires. cf. Jean 20, 6-7. – Un tombeau taillé dans le roc. Le verbe grec n’apparaît qu’en cet endroit du Nouveau Testament. – Où personne n’avait été mis. Circonstance que S. Luc et S. Jean ont seuls notée. Elle a pour but providentiel de montrer que c’est bien Jésus et pas un autre qui sortit ressuscité de ce tombeau.
Luc 23.54 C’était le jour de la Préparation et le sabbat allait commencer. – Le jour de la préparation. S. Marc, 15, 42, explique cette expression grecque par un substantif à demi hébreu, qui désignait le vendredi. On « préparait » ce jour‑là chez les Juifs tout ce qui était nécessaire pour le sabbat, dont le repos était inviolable : de là le nom de Parascève ou préparation. – Le sabbat allait commencer. Littéralement : le sabbat se mettait à briller. Et pourtant c’était le soir. Aussi, d’après divers auteurs, devrait‑il s’entendre ici ou de la lueur des étoiles, ou même (Kuinoel) de celle des lampes à sept branches qu’on allume le vendredi soir dans toutes les maisons israélites pour fêter l’arrivée du sabbat. Mais il est beaucoup plus juste de voir dans cette locution une simple métaphore, par laquelle on applique au début d’un jour artificiel (par exemple, du sabbat, qui commençait le soir) ce qui ne convient directement qu’à celui du jour naturel.
Luc 23.55 Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, ayant accompagné Joseph, considérèrent le tombeau et la manière dont le corps de Jésus y avait été déposé. – Les femmes : elles avaient « suivi de près » Joseph et le convoi funèbre. – Voyez le v. 49. S. Matthieu et S. Marc mentionnent nommément Marie Madeleine et l’autre Marie, mère de S. Jacques le Mineur. – Considérèrent le tombeau… Détails graphiques, propres à S. Luc sous cette forme. cf. S. Marc : « observaient où on le déposait ».
Luc 23.56 S’en étant donc retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums et le jour du sabbat, elles demeurèrent en repos, selon le précepte. – Ce verset explique la fin du précédent. Nous y voyons pourquoi les saintes femmes avaient regardé avec tant d’attention en quel endroit du tombeau on plaçait le corps sacré de Jésus (les tombeaux juifs contenaient habituellement plusieurs niches ou cavités dans lesquels on plaçait les cadavres) : c’est qu’elles se proposaient de revenir bientôt compléter sa sépulture dès que le repos du sabbat aurait cessé. – Rentrées en ville et chez elles, elles préparèrent des aromates et des parfums . Le second de ces substantifs indiquant des parfums à l’état liquide, le premier, qui est plus général, soit s’entendre de substances sèches et solides. D’après S. Marc, 16, 1, l’emplette des aromates n’aurait eu lieu que le samedi soir. En unissant les deux récits nous dirons que les pieuses Galiléennes, n’ayant pas eu le temps de se procurer dès le vendredi tout ce qu’elles désiraient, complétèrent leurs provisions de parfums quand le sabbat fut écoulé. La conciliation s’opère ainsi sans la moindre violence. – « Elles se tinrent en repos, selon la loi » : c’est‑à‑dire, conformément aux prescriptions de la loi mosaïque, auxquelles les premiers chrétiens continuèrent d’obéir pendant un certain temps.


