CHAPITRE 4
Luc 4, 1-13 ( = Matth. 4, 1-11) ; Marc. 1, 12-13.
Le premier acte de Jésus après sa consécration messianique consiste à réparer la chute du premier homme, en triomphant du démon et de ses suggestions perfides. cf. S. Hilaire, in Matth. 3, 5 ; S. Ambr. Exposit. in Luc. 4, 7. Le chef de l’humanité nouvelle et régénérée passe comme Adam, le chef de l’humanité déçue, par l’épreuve de la tentation.
Luc 4.1 Jésus, rempli de l’Esprit-Saint, revint du Jourdain et il fut poussé par l’Esprit dans le désert, – Les vv. 1 et 2 contiennent les détails préliminaires du récit. Le premier nous montre d’abord Jésus quittant le Jourdain dans lequel il avait été baptisé, et gagnant, sous une vive impulsion de l’Esprit‑Saint, la solitude du désert. Sur le lieu de la tentation, cf. notes sous Matth. 4, 1-11. – Rempli de l’Esprit‑Saint est spécial à notre évangéliste et désigne la plénitude de l’onction divine reçue par Jésus, en tant qu’homme, à son baptême, 3, 22. En tant que Dieu, Jésus est parfait et sa divinité n’est l’objet d’aucune amélioration ou changement. Jésus, Dieu est homme est parfait, depuis toujours et pour toujours, sans aucun changement. A son Christ « Dieu ne lui donne pas l’Esprit avec mesure », Jean 3, 34. Aussi bien, Satan ne trouvera‑t‑il en Jésus que l’esprit de Dieu. Voyez Maldonat et Fr. Luc.
Luc 4.2 pendant quarante jours, en butte aux tentations du diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là et quand ils furent passés, il eut faim. – S. Luc paraîtrait au premier abord combiner les récits divers de S. Matthieu et de S. Marc, et dire, comme le second, que Jésus fut tenté pendant quarante jours ; comme le premier, que, ce temps écoulé, le Sauveur subit encore trois tentations distinctes. Mais nous avons vu, dans notre explication de l’Évangile selon S. Marc, que la vague locution « il fut tenté par Satan » est une formule abrégée, qui doit être interprétée d’après la narration plus précise et plus détaillée de S. Matthieu. De même ici. Au reste, il est peu croyable en soi que Notre‑Seigneur ait subi pendant quarante jours les assauts de l’esprit mauvais. cf. les Homélies Clémentines 19, 2. Le prince des démons apparut en personne et visiblement à Jésus pour le porter au mal. La mention du jeûne absolu du Sauveur pendant quarante jours est spéciale à S. Luc sous cette forme. Le verbe « jeûner » qu’emploie S. Matthieu, eût été moins clair pour les lecteurs de S. Luc.
Luc 4.3 Alors le diable lui dit : « Si vous êtes Fils de Dieu, commandez à cette pierre de se changer en pain. » 4 Jésus lui répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu. » – Nous passons à l’histoire proprement dite de la tentation de Jésus. Elle consiste en trois assauts consécutifs du démon et en trois victoires du Messie. La première suggestion mauvaise de l’esprit tentateur est habilement rattachée à la faim dont souffrait le divin Maître. Les anciens peintres, se conformant à ce détail du troisième Évangile, mettaient une pierre à la main de Satan au moment où il tentait Jésus pour la première fois. Notez aussi l’entrée en matière Si vous êtes le Fils de Dieu. Le démon avait plus d’une raison de supposer que Jésus était le Christ ; néanmoins il pouvait lui rester quelques doutes, et c’est pour cela que « Il l’a tenté pour savoir s’il était le Christ » St. Augustin, de Civit. Dei, 11, 21. Il pensait l’obliger ainsi à se révéler lui‑même. – Jésus lui répondit. On a invité Notre‑Seigneur à faire usage de ses pouvoirs surnaturels pour satisfaire le besoin qui le presse. Il répond d’une manière aussi forte que simple, en s’appropriant un texte biblique (cf. Deutéronome 8, 3), qu’il se gardera bien de se secourir lui‑même de la sorte : ce n’est pas pour un motif personnel qu’il fera des miracles. Après tout, Dieu connaît les nécessités humaines et, d’une seule parole, il peut procurer à ses amis, l’histoire sainte est là pour le démontrer, une abondante nourriture. Les mots non seulement de pain désignent le pain ordinaire et en général tout ce qui peut servir d’aliment à l’homme. A ce pain Jésus oppose des nourritures fournies miraculeusement par Dieu : de toute parole de Dieu. S. Matthieu cite plus complètement le texte d’après les Septante ; S. Luc n’en donne qu’un sommaire.
Luc 4.5 Et le diable l’ayant emmené sur une haute montagne, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre, – Seconde tentation vv. 5-8. Après avoir essayé de rendre Jésus simplement infidèle à Dieu, Satan le pousse à une apostasie complète. C’est ici qu’il existe, entre nos deux narrations parallèles, une divergence au point de vue de l’arrangement extérieur. S. Matthieu en effet ne place qu’en troisième lieu la tentation qui aurait été la seconde d’après S. Luc, et réciproquement. De quel côté se trouve la vraie suite des faits ? Tout porte à croire que c’est le premier évangéliste qui a le plus exactement suivi l’ordre historique, comme le pensaient déjà S. Ambroise et d’autres Pères. On le prouve par deux raisons principales, l’une intrinsèque, l’autre extrinsèque. 1° La tentation racontée au second rang par S. Luc a été justement appelée « la plus séduisante des trois » : c’est la plus forte de toutes manières ; c’est aussi celle que Jésus a repoussée avec le plus d’horreur (« retire‑toi, Satan. »). Il convenait donc qu’elle fût la dernière. 2° S. Luc se contente en cet endroit de juxtaposer les divers incidents, sans employer aucune des formules qui indiquent une succession strictement chronologique. S. Matthieu au contraire en emploi plusieurs, ce qui paraît montrer qu’il a l’intention de marquer un ordre réel. – En un instant est un détail pittoresque, propre à S. Luc. Il prouve que la perspective en question ne fut pas déroulée peu à peu et successivement sous les yeux de Jésus, mais qu’elle lui fut présentée d’une manière instantanée, par une sorte de fantasmagorie diabolique.
Luc 4.6 et lui dit : « Je vous donnerai toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes, car elle m’a été livrée et je la donne à qui je veux. – Satan offre à Notre‑Seigneur la possession de ces royaumes qu’il vient de lui montrer. Avec quel art il relève la valeur d’une telle royauté au moyens d’expressions emphatiques. Toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes… S. Matthieu lui fait dire seulement : « Je te donnerai tout cela ». Tite de Bostra : Satan faisait un double mensonge, car il ne possédait pas cette puissance, et il ne pouvait pas donner ce qu’il n’avait pas. En effet, la puissance du démon est nulle, et Dieu n’a laissé à cet ennemi que le triste pouvoir de nous faire la guerre. Dieu seul dirige le monde : Proverbes, 8, 15 Par moi les rois règnent et les princes ordonnent ce qui est juste. 16 Par moi gouvernent les chefs et les grands, tous les juges de la terre. — S. Ambroise : Il est dit ailleurs : « Toute puissance vient de Dieu » c’est donc à Dieu qu’il appartient de donner, de régler la puissance, mais c’est du démon que vient l’ambition du pouvoir ; ce n’est pas le pouvoir qui est mauvais, c’est l’usage condamnable qu’on en fait. La Glose : dans son arrogance et dans son orgueil, Satan se vante de faire ce qui dépasse son pouvoir, car il ne peut disposer de tous les royaumes, puisque nous savons qu’un grand nombre de Saints ont reçu la royauté des mains de Dieu lui-même. Bien que Jésus l’appelle le Prince de ce monde (Jean 12, 31 ; 14, 30 ; cf. 2 Corinthiens 4, 4 ; Éphésiens 2, 2 ; 6, 12) il est surtout le père du Mensonge car Dieu seul dirige le monde, et donne le pouvoir à qui Il veut. Même pour rentrer dans un troupeau de cochons, Satan est obligé de demander la permission à Dieu (cf. Matthieu, 5, 11-12). Le livre de Job, chapitres 1 et 2, nous montre que pour pouvoir faire le mal, Satan doit obtenir la permission de Dieu. S. Thomas d’Aquin enseigne que Dieu ne permet le mal que parce ce que sa bonté sait en tirer un bien plus grand.
Luc 4.7 Si donc vous vous prosternez devant moi, elle sera toute à vous. » – Ce n’est pas gratuitement que le démon concédera au Messie le pouvoir de gouverner le monde. A son offre il se hâte de mettre une condition : Si vous vous prosternez devant moi, geste par lequel, dans les contrées de l’Orient, un inférieur rend communément hommage à son supérieur. Satan proposait donc à Jésus de le reconnaître pour son Seigneur et maître. Il y a encore de l’emphase dans elle sera toute à vous.
Luc 4.8 Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » – Par cette citation (cf. Deutéronome 6, 43) Jésus oppose aux séductions diaboliques le grand principe monothéiste. Et pourtant il sera roi, mais son royaume n’aura rien de terrestre, et il ne se rapportera qu’à Dieu, et à lui seul.
Luc 4. 9 Le démon le conduisit encore à Jérusalem et l’ayant placé sur le pinacle du temple, il lui dit : « Si vous êtes Fils de Dieu, jetez-vous d’ici en bas – Troisième tentation, vv. 9-12. Le premier assaut du tentateur avait eu pour but d’inciter Jésus à s’aider lui‑même sans raison suffisante, et le second l’avait engagé à s’appuyer sur le concours de Satan : par le troisième il est poussé à exiger sans nécessité les secours divins. – Il le conduisit à Jérusalem. Ce nom propre était plus clair pour des lecteurs non‑juifs que la désignation toute hébraïque de S. Matthieu « dans la cité sainte ». – Sur le pinacle du temple. C’est de ce même endroit, d’après Hégésippe (ap. Euseb. Hist. eccl. 2, 23), que S. Jacques le Juste fut précipité par les Juifs. – A propos du pouvoir dont le démon semble avoir joui dans les deux dernières tentations sur le corps sacré de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, St Grégoire le Grand écrit fort justement : « Il n’y a pas à s’étonner que le Christ ait permis à Satan de le transporter dans les airs, lui qui a permis à ses membres de le crucifier ». Il ne faut pas admirer en cela la puissance du démon, mais plutôt la patience du Sauveur.
Luc 4 10 car il est écrit : Il a été donné pour vous l’ordre à ses anges de vous garder 11 et ils vous prendront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre. » – Pour donner plus de poids à sa perfide suggestion, l’esprit mauvais, imitant Jésus, se met à citer l’Écriture, « Il cache son mensonge par le moyen de l’Écriture, comme tous les hérétiques », écrit S. Irénée, Haer. 5, 31. Il allègue donc un admirable passage des Psaumes (11, 11-12), duquel il prétendait conclure que Jésus pouvait sans aucun danger se précipiter du haut du temple, Dieu ayant promis de prendre un soin tout spécial de ses amis. S. Bernard (in Psalm. Qui habitat. , Serm. 15) réfute avec vigueur l’application faite par Satan : « Il est écrit, dit‑il, qu’il a ordonné à ses anges à ton sujet…Prêtez attention, et voyez comment il a passé sous silence, avec méchanceté et fourberie, ce qui réduirait à rien l’interprétation que donne du texte sa propre malice…Car, pour qu’ils te gardent dans toutes tes voies. Dans des précipices ? Quelle voie est‑ce de se jeter en bas du haut du temple ? Cela n’est pas une voie, mais une ruine ». – Cette fois, c’est S. Luc qui rapporte le texte biblique de la manière la plus complète.
Luc 4.12 Jésus lui répondit : « Il a été écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » – Tu ne tenteras pas… Notre‑Seigneur indique très nettement par ces mots le vrai caractère de la dernière suggestion de Satan. Faire ce qu’on demandait de lui, ce serait tenter Dieu : « employer la puissance divine au service d’un caprice » ; or il ne s’y résoudra jamais.
Luc 4.13 Après l’avoir ainsi tenté de toutes manières, le diable se retira de lui pour un temps. – Épilogue de tout le récit. S. Luc, il est vrai, ne mentionne pas les anges qui s’approchèrent de Jésus pour le servir dès que le démon se fut retiré ; mais en revanche il nous fournit deux renseignements particuliers tout à fait instructifs. – Premier détail : Après avoir achevé toutes ces tentations (la plupart des exégètes traduisent : toutes formes de tentations). Les trois tentations spéciales auxquelles Satan avait eu recours pour porter Jésus au péché embrassent, en effet, comme le font remarquer les moralistes, le germe et l’abrégé de toutes les autres. « Elles sont au nombre de trois ; et tu ne trouveras rien qui tente la cupidité humaine en dehors du désir de la chair, du désir des yeux, et de l’ambition du monde. C’est par ces trois choses que le Seigneur est tenté par le diable ». St Augustin. cf. S. Greg. Hom. 16 in Evang. ; S. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, 3a, q. 41, a. 4- Second détail : Il se retira de lui pour un temps. L’expression est significative : Satan ne se retire que pour un temps. Quand il aura trouvé une occasion favorable ou, selon d’autres, quand Dieu le lui permettra, il reviendra certainement à la charge, car, quoique battu, il est loin de renoncer à la lutte. Une parole de Jésus, Jean 14, 80, nous montre que sous ce « temps opportun » nous devons voir en particulier celui de sa douloureuse Passion. cf. S. Bonav. , de Vita Christi, 14. Puissions‑nous, dans nos tentations, vaincre toujours comme notre Maître. « La raison pour laquelle l’empereur combat, c’est pour que les soldats apprennent ». St Augustin Serm. 122, 2.
Luc 4, 14 et 15. = Matth. 4, 12-17 ; Marc. 1, 14-15 ; Jean 4, 43-45.
Luc 4.14 Alors Jésus retourna en Galilée, dans la puissance de l’Esprit et sa renommée se répandit dans tout le pays d’alentour. – Avant d’entrer dans les détails du ministère galiléen de Jésus, S. Luc décrit rapidement ici, et d’une manière tout à fait neuve, l’aspect général qu’il eut durant sa première phase. Voyez, 8, 1-3, quelque chose d’analogue. – Jésus retourna en Galilée. Le Sauveur avait quitté sa chère Galilée pour aller se faire baptiser par le Précurseur : il y rentre maintenant après une absence d’environ six mois (voyez S. Matth.). L’arrestation de Jean‑Baptiste fut l’occasion de ce retour (cf. Matth. 4, 12 et Marc. 1, 14) ; mais c’est dans la puissance de l’Esprit qu’il faut chercher sa cause déterminante. cf. Le v. 1. L’évangéliste, en réitérant cette réflexion, nous donne à entendre que, dans tout ce qu’il racontera désormais touchant Notre‑Seigneur, nous devrons voir la conduite secrète de l’Esprit divin. – Sa renommée se répandit… Les débuts de l’activité messianique de Jésus en Galilée furent magnifiques. A peine arrivait‑il que sa renommée remplissait déjà tout le pays. Il est possible que ce détail soit une anticipation sur le v. 15 ; mais le prompt enthousiasme des Galiléens peut très bien s’expliquer aussi par le bruit des miracles que Jésus avait opérés, d’après le quatrième Évangile, soit à Cana, soit à Jérusalem. cf. Jean 2, 1-11, 23.
Luc 4.15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous faisaient ses louanges. – Quand Jésus se présentait en personne dans les lieux où sa réputation l’avait précédé, son enseignement tout divin confirmait la bonne opinion qu’on s’était formée de lui, et lui gagnait même de nouveaux suffrages. Il n’y avait qu’une voix pour chanter ses louanges : tous faisaient ses louanges. Il est vrai qu’il se contentait alors d’annoncer la bonne nouvelle d’une manière générale, c’est‑à‑dire le prochain avènement du Messie (cf. Matth. 4, 17 ; Marc. 1, 15) ; rien encore, dans sa prédication, ne choquait les préjugés du peuple : il n’avait donc que des amis en commençant. Mais l’épisode de Nazareth va bientôt nous montrer le levain d’antagonisme se remuant dès cette époque contre Jésus.
Jésus à Nazareth. 4, 16-30
Récit que S. Luc tenait sans doute de quelque témoin oculaire. Malgré la similitude des faits, nous croyons à l’existence d’une double visite faite par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ à ses concitoyens de Nazareth. S. Luc relate la première ; S. Matthieu et S. Marc racontent la seconde. De part et d’autre la chronologie est trop marquée pour qu’on puisse identifier les faits.
Luc 4.16 Étant venu à Nazareth, où il avait été élevé, il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat dans la synagogue et se leva pour faire la lecture. – Venu à Nazareth. Sur cette localité non moins gracieuse que célèbre, voyez S. Matth. C’est là que Jésus avait été élevé ; nous avons vu en effet (2, 39-52 ; cf. Matth. 2, 23) que la plus grande partie de son enfance et toute sa jeunesse s’étaient passées à Nazareth. – Il entra, selon sa coutume,… Précieux détail sur la vie religieuse de l’Homme‑Dieu durant sa longue retraite de trente ans. Car nous ne pensons pas que la coutume mentionnée par l’évangéliste se rapporte seulement aux débuts du ministère public de Jésus (v. 15). Le contexte exige un temps plus considérable. Les enfants étaient du reste astreints à la fréquentation des synagogues à partir de leur treizième année. – Le jour du sabbat. Sur ce jour et sur ce local spécialement consacrés au culte juif, cf. Matthieu 4, 12-17 et commentaires. Dans l’humble bourg de Nazareth il n’y avait qu’une synagogue, comme l’indique l’article du texte grec. – Il se leva pour lire. Non seulement tout est graphique dans la description de S. Luc, mais tout y est aussi de la plus parfaite exactitude, comme nous le prouvent les renseignements archéologiques parvenus jusqu’à nous. Assis tout d’abord parmi les assistants, Jésus se lève pour faire la lecture de la Bible, qui a toujours formé le fond du culte des synagogues. On se tenait en effet debout pendant cette lecture, par respect pour la parole inspirée. cf. Néhémie 8, 4 et 5. Le président de la synagogue l’avait‑il invité ce jour‑là d’une manière expresse à remplir les fonctions de lecteur, selon la pratique habituelle ? Ou bien s’offrait‑il de lui‑même, ainsi que le pouvait tout Israélite honorable ? Cette seconde hypothèse nous paraît plus conforme aux expressions de S. Luc. Dans l’un ou l’autre cas, voilà que Notre‑Seigneur gravit les degrés de la tribune située auprès du petit sanctuaire de la synagogue.
Luc 4.17 On lui remit le livre du prophète Isaïe et l’ayant déroulé, il trouva l’endroit où il était écrit : – Chaque samedi on lisait, et on lit encore chez les Juifs, deux passages de la Bible : le premier se nommait Paraschah ; le second, extrait des Prophètes, était appelé Haphtarah. Puisqu’on présente à Jésus le livre des prophéties d’Isaïe, c’est donc que la Paraschah avait été lue, et qu’on était alors arrivé à la dernière partie de la cérémonie, qui se concluait en effet par l’Haphtarah (littér. acte de congédier). Ayant reçu le livre des mains du sacristain de la synagogue, Jésus l’ouvrit, ou mieux il le déroula, car les livres liturgiques chez les Juifs ont toujours consisté en membranes de parchemin cousues bout à bout et roulées autour d’un ou deux bâtons plus ou moins ornés. C’est pour cela qu’on les appelait Meghillah, rouleau. Telle est d’ailleurs la forme primitive des livres, quoique les « livres » proprement dits, composés de feuilles carrées ou rectangulaires placées l’une sur l’autre (codex) fussent connus dès avant l’époque de Notre‑Seigneur. Les rouleaux bibliques sont parfois énormes, et par conséquent très incommodes. Pour obvier aux inconvénients d’un tel poids et de telles dimensions, on divisait souvent les « volumes » en plusieurs tomes, qui contenaient chacun une partie distincte. C’est ainsi que Jésus reçut une Meghillah spécialement réservée à Isaïe : d’où il suit que l’Haphtarah de ce jour devait être prise dans les prophéties du fils d’Amos. – Il trouva l’endroit… Le divin Maître choisit‑il de lui‑même ce passage ? Ou bien était‑il fixé pour la lecture du jour ? Comme les Juifs le lisent actuellement pour la fête du « Iôm Kippour » ou de l’expiation, divers auteurs ont supposé qu’on célébrait alors cette solennité. Mais il est aisé de leur démontrer que l’ordre actuel des Haphtarah est loin de remonter au temps de Jésus. Revenant à la question proposée, il nous semble plus naturel de conclure que l’expression employée par S. Luc, « il trouva », que Jésus, en déroulant le volume, tomba providentiellement sur une colonne consacrée au chapitre 61ème, et s’y arrêta pour en lire les premières lignes. Rien ne pouvait être mieux approprié à la circonstance, car si un passage relatif à la descente royale du Messie, à ses prérogatives judiciaires, à sa puissance irrésistible, eût été peu en rapport avec les préjugés de l’assemblée, un texte qui développe son rôle pacifique et humble, sa condescendance et sa douceur, convenait au contraire admirablement ; or, dans celui que trouva Jésus, le Christ consolateur est peint au vif avec toutes ses divines amabilités, avec sa prédilection pour les petits et les affligés, en même temps qu’avec les grâces qu’il a reçues du ciel pour apporter le bonheur à tous. S. Luc cite ces paroles d’Isaïe d’après la traduction des Septante, mais avec quelques variantes remarquables, ainsi qu’il arrive presque toujours quand un fragment de l’Ancien Testament est inséré dans les écrits du Nouveau. Jésus les lut en hébreu, et l’interprète en donna probablement la traduction en araméen, l’idiome parlé alors dans toute la Palestine.
Luc 4.18 « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par son onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres et il m’a envoyé guérir ceux qui ont le cœur brisé, 19 annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles le retour à la vue, pour rendre libres les opprimés, publier l’année favorable du Seigneur. » – Dès ces premiers mots nous trouvons, comme aimaient à le dire les anciens auteurs, l’indication des trois personnes divines : le Père, marqué par Seigneur, le Fils « sur moi », qui ne diffère pas du Messie, et l’Esprit‑Saint. Qui, mieux que Jésus, pouvait s’appliquer de telles choses ? cf. Isaïe 11, 2 ; 42, 2. Voilà la quatrième fois, depuis le commencement de ce chapitre, qu’on nous le montre possédant la plénitude de l’Esprit de Dieu. – C’est pourquoi… C’est au moral qu’il faut entendre cette onction du Messie : elle désigne une destination sainte, une consécration. Jésus venait de la recevoir au baptême. cf. Actes 4, 27. La suite de la citation caractérise d’une manière sublime l’œuvre miséricordieuse du Christ, au moyen d’expressions à peu près synonymes, dont la répétition emphatique est du plus bel effet. Dieu a donc envoyé son Messie sur la terre pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, généralement si délaissés ; pour guérir ceux qui ontle cœur brisé, et il y en a tant en ce monde, proposition authentique quoiqu’elle manque dans plusieurs documents importants, tels que les manuscrits B, D, L, Z, Sin. et les versions copte, armén., éthio., ital. ; pour crier aux captifs qu’ils sont libres, aux aveugles qu’ils voient (littéral., d’après l’hébreu, « aux enchaînés une ouverture » : les prisonniers longtemps plongés dans d’obscurs cachots, et enfin délivrés, sont assimilés par la traduction Alexandrine à des aveugles qui recouvrent subitement la vue) ; enfin pour prêcher une année favorable, l’année toute aimable de Dieu. Isaïe, par ces derniers mots, faisait allusion à l’année jubilaire, qui, en remettant toutes les dettes, et en rendant la liberté à tous les esclaves, faisait cesser tant de douleurs. Voyez Lévitique 25, 8 et ss. Le jubilé de l’Évangile est mille fois plus aimable, car il remet des dettes autrement écrasantes, il brise des chaînes autrement lourdes, les dettes et les chaînes du péché. – Pour avoir pris trop à la lettre cette « douce année du Seigneur », divers écrivains ecclésiastiques de l’antiquité, tels que Clément d’Alexandrie, Strom. 1 ; Origène, de Princip. 4, 5 ; Tertullien, contr. Jud. 8 ; Lactance, Instit. Div. 4, 10 (cf. S. August. De Civ. Dei, 18, 54), et plusieurs sectes hérétiques (les Valentiniens et les Alogi ; ont cru à tort que le ministère public de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ n’avait pas duré au‑delà d’un an. On réfute aisément cette opinion à l’aide de la tradition et des textes évangéliques. Voir le chapitre de notre Introduction générale relatif à la Chronologie des Saints Évangiles. La ligne mettre en liberté ceux qui sont brisés sous les fers ne fait pas partie du chap. 61è d’Isaïe ; mais on la trouve un peu plus haut, 58, 6. S. Luc, citant de mémoire, l’aura insérée ici à cause de la ressemblance des pensées. – Habituellement, le maphtir lisait 21 versets des prophètes ; mais il arrivait aussi qu’on se contentât d’en lire trois, cinq ou sept. Jésus profita de cette latitude.
Luc 4.20 Ayant roulé le livre, il le rendit au servant et s’assit et tous, dans la synagogue, avaient les yeux attachés sur lui. – Les détails de ce verset sont tous extrêmement pittoresques ; c’est un tableau vivant du peintre S. Luc. En avant, nous contemplons le héros de la scène, et tout autour les spectateurs. Chacun des gestes de Jésus est décrit : sa lecture achevée, 1° il roula la Meghillah ; 2° il la rendit au ministre qui la replaça aussitôt dans l’arche sainte située au fond du sanctuaire ; 3° il s’assit dans la chaire du lecteur, montrant ainsi qu’il allait prendre la parole pour expliquer le texte qu’il venait de lire. – L’auditoire est vivement impressionné, tous les regards sont fixés sur Jésus. Chacun des assistants se demande ce que pourra bien dire, sur un texte aussi remarquable, ce jeune homme qui n’a paru jusqu’alors dans le pays que comme un humble charpentier, mais qui s’est distingué aux alentours par sa prédication et par ses miracles.
Luc 4.21 Alors, il commença à leur dire : « Aujourd’hui vos oreilles ont entendu l’accomplissement de ce passage de l’Écriture. » – Quel commentaire tout divin Jésus ne dût‑il pas faire des paroles d’Isaïe. Toutefois il n’a pas plu à l’Esprit‑Saint de nous le conserver. S. Luc n’en donne que l’exorde, qui dut être en même temps le thème du discours de Notre‑Seigneur : Aujourd’hui cette parole … est accomplie. Au moment même où Jésus lisait aux habitants de Nazareth la prophétie d’Isaïe, elle trouvait sa réalisation ; l’Évangile était prêché par le Messie.
Luc 4.22 Et tous lui rendaient témoignage et admirant les paroles de grâce qui sortaient de sa bouche, ils disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » – L’écrivain sacré décrit avec force l’effet produit par le discours de Jésus. Tous louaient le céleste orateur ; Eût‑il été possible de ne pas admirer, de ne pas louer ? Les paroles qui sortaient de la bouche de Notre‑Seigneur n’étaient-elles pas remplies, et pour le fond et pour la forme, d’une grâce surnaturelle que rien n’avait égalé jusqu’alors ? « La grâce est répandue sur tes lèvres », prophétisait de lui le Psalmiste, Psaume 44, 3, et ses ennemis eux‑mêmes reconnaîtront, Jean 7, 46, que personne ne savait parler comme lui. Voir sur l’éloquence de Jésus‑Christ S. Matth. A la suite du discours qu’ils avaient entendu et justement admiré, les assistants auraient dû acclamer d’une seule voix Jésus comme le Messie. Mais voici qu’une réflexion toute humaine transforme soudain leurs sentiments : N’est‑ce pas là le fils de Joseph ? Ils se rappellent que celui qui vient de leur parler n’est que le fils du pauvre charpentier Joseph, qu’il n’a reçu aucune éducation, et aussitôt leur foi naissante fait place à la plus complète incrédulité. Ils refusent de reconnaître à Jésus une mission venue d’en haut parce qu’il était de condition humble et qu’ils le connaissent depuis toujours.
Luc 4.23 Et il leur dit : « Sans doute, vous m’alléguerez cet adage : Médecin, guéris-toi toi-même et vous me direz : Les grandes choses que nous avons ouï dire que vous avez faites à Capharnaüm, faites-les ici dans votre patrie. » – Jésus a remarqué le changement qui s’est opéré dans l’assistance : peut‑être même a‑t‑il entendu les expressions dédaigneuses qui circulaient à son égard, les Juifs ne se gênant guère pour manifester, même au sein des assemblées religieuses, leurs dispositions hostiles ou bienveillantes. Il prend de nouveau la parole pour y répondre. Notre‑Seigneur suppose que ses auditeurs mécontents lui citent, par mode d’objection, le proverbe Médecin, guéris‑toi toi‑même, que l’on ne rencontre pas sans un intérêt spécial dans l’Évangile du « très cher médecin ». Il est d’ailleurs fréquemment employé non‑seulement par les rabbins, mais aussi par les classiques romains et grecs, car la vérité naïve et mordante qu’il exprime appartient à la sagesse populaire de tous les temps et de tous les pays. « Au lieu d’aller combattre, défendez‑nous », Virgile. Ce mot du grand poète latin indique très bien la signification que pouvait avoir notre proverbe placé sur les lèvres des rudes habitants de Nazareth. « Fais d’abord pour les tiens, si tu veux qu’ils croient en ta mission, ce que tu opères si bien pour d’autres ». Au reste, Jésus ajoute lui‑même l’explication, en continuant de parler au nom de ses concitoyens : les grandes choses faites à Capharnaüm… S. Luc n’a mentionné nulle part encore les miracles que Jésus avait accomplis à Capharnaüm : mais cette réflexion suppose qu’ils existaient, éclatants et nombreux.
Luc 4.24 Et il ajouta : « En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. – En vérité. S. Luc, comme parfois S. Marc, emploie cette formule au milieu des discours de Jésus. cf. 6, 39 ; 12, 16 ; 13, 20 ; 15, 11, etc. Elle indique une pause rapide, en même temps qu’elle sert à mettre en relief une parole du divin Maître. Ici elle introduit en outre la réponse faite par Notre‑Seigneur à l’objection tacite de ses compatriotes. – Aucun prophète n’est bien reçu… C’est la première partie de la réponse. Au proverbe « soigne‑toi toi‑même », Jésus répond par un autre proverbe. Celui qu’il choisit ne pouvait être cité plus à propos, puisque les habitants de Nazareth refusaient précisément de croire à la mission céleste du prophète qui daignait se mettre en communication avec eux. Le Sauveur expliquait ainsi pourquoi il n’avait pas fait de miracles dans sa patrie. Quiconque refuse de recevoir un prophète est‑il en droit de se plaindre que celui‑ci ne lui accorde aucun bienfait extraordinaire ? Donc à vous la faute, et pas à moi. « Patrie ingrate », dit une sentence semblable des Latins. L’exemple de Jérémie à Anathoth (cf. Jérémie 11, 21 ; 12, 6) ne l’avait que trop bien montré. Bien reçu signifie en cet endroit « honoré, estimé ». cf. Matth. 13, 57 et ss. ; Jean 4, 44 ; Actes 10, 35.
Luc 4.25 Je vous le dis, en vérité, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Élie, lorsque le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois et qu’il y eut une grande famine dans toute la terre, – Dans les vv. 25-27 le Sauveur justifie encore sa conduite par des faits empruntés à l’histoire des deux plus célèbres prophètes d’Israël. Élie et Élisée, parmi des circonstances analogues à celle où il se trouvait, n’avaient opéré aucun miracle en faveur de leurs concitoyens, tandis qu’ils en avaient accompli pour des étrangers, bien plus, pour des païens. Premier exemple, vv. 25 et 26. – En vérité, je vous le dis, est une locution aimée de S. Luc cf. 20, 21 ; 22, 59 ; Actes 4, 27 ; 10, 30 (S. Marc l’emploie aussi à deux reprises, 12, 14 et 32). Lorsque le ciel fut fermé : Quelle belle métaphore pour désigner un long manque de pluie. cf. Genèse 7, 2 ; 2 Chroniques 6, 26 ; 7, 13. La sécheresse à laquelle Notre‑Seigneur fait allusion est mentionnée d’une manière expresse au 1er livre des Rois, ch. 17 et 18. Seulement, Jésus en fixe la durée à trois ans et demi, tandis que l’Ancien Testament (l.c., 18, 1), semble dire qu’elle ne fut pas même de trois années complètes : « La parole de Dieu a été adressée à Élie la troisième année en disant : Va, montre‑toi à Achab pour que tu donnes de la pluie sur la surface de la terre ». Mais (des rationalistes eux‑mêmes l’admettent) il n’y a pas là une véritable antilogie ; car il put s’écouler un certain temps encore avant qu’Élie allât trouver Achab et fit cesser la sécheresse. Il nous reste donc assez de latitude pour trouver six ou huit mois. S. Jacques, 5, 17, cite d’ailleurs tout à fait les mêmes chiffres que le Sauveur, preuve que la tradition juive les avait depuis longtemps déterminés. Dans tout la terre est une hyperbole populaire pour désigner la Palestine.
Luc 4.26 et pourtant Élie ne fut envoyé à aucune d’elles, mais à une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon. – Détail intéressant, que nous aurions ignoré sans Jésus ; en effet, si l’histoire sainte parle tout au long de la veuve de Sarepta, elle n’ajoute pas que seule elle fut l’objet de l’intervention miraculeuse du prophète Élie. Sarepta était une bourgade phénicienne bâtie sur les bords de la Méditerranée, à peu près à égale distance de Tyr et de Sidon. Son nom hébreu était Zarpat. Non loin de son antique emplacement s’élève aujourd’hui le petit village de Sarafend.
Luc 4.27 Il y avait de même beaucoup de lépreux en Israël au jours du prophète Élisée et pourtant aucun d’eux ne fut guéri, mais bien Naaman le Syrien. » – Second exemple, tiré de la vie d’Élisée. Voyez les détails au 2d livre des Rois, ch. 5. – Sur la multiplicité des lépreux à cette époque, cf. Ibid. 7, 3 et ss. – Au temps du prophète Élisée : cf. 3, 2 ; Marc. 2, 26 ; Actes 11, 28, etc. Les prophètes célèbres, de même que les prêtres et les rois, servaient à marquer les principales périodes de l’histoire juive. – Guéri : terme théocratique pour désigner la guérison de la lèpre, cette maladie rendant impurs au point de vue légal les malheureux qu’elle atteignait. – De ce second fait, ainsi que du premier, il résultait d’une façon très évidente que les faveurs célestes ne sont nullement restreintes à telle ou telle zone géographique : elles accompagnent la foi et non la nationalité. Que les habitants de Nazareth croient donc en Jésus, et il fera des miracles chez eux comme il en a fait à Capharnaüm.
Luc 4.28 En entendant cela, ils furent tous remplis de colère dans la synagogue. – Ce verset signale, comme le v. 22, l’effet produit par les paroles de Jésus ; mais quel contraste. Ils furent tous remplis de colère. C’est que, en tous lieux, « La vérité enfante la haine ». Quoique Jésus n’eût pas fait directement à ses auditeurs l’application des exemples qu’il avait signalés, ils comprirent sans peine le rapprochement. Vaudrions‑nous donc moins, se dirent‑ils, que la païenne de Sarepta, que l’impur Naaman ? Cette pensée les remplit aussitôt de rage. On sait que les Galiléens étaient des hommes violents, passionnés. Leurs cœurs étaient soulevés par des tempêtes aussi soudaines que celles qui, en un moment, mettent en furie la surface, calme comme un miroir, de leur beau lac.
Luc 4.29 Et s’étant levés, ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie pour le précipiter en bas. – Admirons, en passant, la rapidité du récit : elle reproduit le caractère tragique des faits. La synagogue de Nazareth fut donc témoin d’une scène affreuse. Deux ou trois voix poussent un cri de mort contre Jésus : toute l’assemblée se rallie aussitôt à ce projet sanguinaire ; des mains brutales saisissent Notre‑Seigneur. On a pourtant assez de sang‑froid pour ne pas exécuter sur place l’affreux attentat. Ces forcenés traînent leur victime hors de l’enceinte sacrée, puis hors de la ville. Les voilà bientôt au sommet de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie. Le genre de supplice qu’ils veulent infliger à Jésus est maintenant manifeste : il était assez usité chez tous les peuples d’alors, et l’histoire juive en contenait un terrible exemple. cf. 2 Chroniques 25, 12. Les belles montagnes qui entourent Nazareth, en particulier le Djébel es‑Sîch sur le versant duquel s’appuie et s’étage la cité de Jésus, renferment plus d’un rocher à pic parfaitement approprié aux intentions homicides de la foule. Celui que l’on désigne au moins depuis l’époque des croisades sous le nom de « Mont de la chute » présente un aspect grandiose et terrible. Sur la route qui y conduit, le pèlerin contemple avec émotion les ruines de l’église « del Tremore » bâtie autrefois à l’endroit ou Marie serait accourue désolée en apprenant le sort qu’on réservait à son divin Fils. Il est vrai que le « Mont du Précipice » est situé à 2000 mètres de la ville, distance qui semble un peu longue vu les circonstances. C’est pourquoi beaucoup de voyageurs lui substituent un rocher perpendiculaire, haut de 15 mètres, qu’on voit auprès de l’Église des Maronites, tout à fait sur les limites de Nazareth. A propos de ces exécutions sommaires que le fanatisme judaïque était si prompt à décréter et qu’un faux zèle servait à justifier, cf. Actes 7, 56 et ss. 22, 22. C’était l’équivalent du lynchage et de la loi de Charles Lynch (1736-1796) des Américains.
Luc 4.30 Mais lui, passant au milieu d’eux, s’en alla. – On venait d’arriver, et le cruel dessein était sur le point de recevoir son accomplissement ; mais voici que Jésus se dégage tout à coup des mains de ses bourreaux et, passant au milieu d’eux, s’en alla. Quelle scène, et comme elle est admirablement décrite. Ce s’en alla, rejeté à la fin de la phrase, n’est pas moins majestueux que la démarche du Sauveur s’en allant avec calme, sans presser le pas, comme s’il eût traversé les rangs pressés d’une foule inoffensive. Que s’est‑il donc passé ? Jésus, usant de sa puissance surnaturelle, a‑t‑il aveuglé ces barbares ? A‑t‑il raidi subitement leurs membres ? S’est‑il rendu lui‑même invisible ? Bède : Jésus change tout à coup leurs dispositions, ou les frappe de stupeur et d’aveuglement, et descend de la montagne, parce qu’il veut leur laisser encore l’occasion de se repentir. — S. Chrys. (hom. 47 sur S. Jean.) Notre-Seigneur fait paraître ici tout à la fois les attributs de la divinité et les signes de son humanité. En effet, en passant au milieu de ceux qui le poursuivaient, sans qu’ils puissent se saisir de lui, il montre la supériorité de sa nature divine ; et en s’éloignant d’eux, il prouve le mystère de son humanité ou de son incarnation. — S. Ambroise : « Comprenez encore ici que sa passion a été non un acte forcé, mais complètement volontaire. Ainsi, on se saisit de sa personne quand il le veut, il échappe à ses ennemis quand il le veut ; car comment un petit nombre de personnes aurait-il pu le retenir captif, puisqu’il ne pouvait être arrêté par un peuple tout entier ? Mais il ne voulut pas qu’un si grand sacrilège fût commis par la multitude ; et il devait être crucifié par un petit nombre, lui qui mourait pour le monde entier. D’ailleurs, son désir était de guérir les Juifs plutôt que de les perdre, et il voulait que le résultat de leur impuissante fureur leur fit renoncer à des desseins qu’ils ne pouvaient accomplir. » L’hypothèse d’après laquelle Notre‑Seigneur aurait profité, pour s’échapper, des rues étroites et tortueuses de la ville, est tout simplement absurde. Théophylacte : si Jésus fit alors un miracle pour éviter la mort, « ce n’est pas qu’il redoutât de souffrir, mais il attendait son heure ».
Luc 4, 31 et 32 ( = Marc. 1, 21 et 22).
Luc 4.31 Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée et là il les enseignait les jours de sabbat. – Cette locution, propre à S. Luc, est d’une parfaite exactitude au point de vue topographique, car la différence de niveau entre les villes de Capharnaüm et de Nazareth occasionne une descente quand on se rend de l’une à l’autre. Nazareth est bâtie sur le plateau élevé de Galilée, Capharnaüm dans le profond bassin qui contient le beau lac au sujet duquel un rabbin faisait prononcer par Dieu ces paroles significatives : « J’ai créé plusieurs lacs dans la terre de Canaan ; mais je n’en ai choisi qu’un seul, celui de Gennésareth ». Jésus venait‑il alors à Capharnaüm pour y établir son séjour définitif (cf. commentaire Matth. 4, 13), ou s’y était‑il déjà fixé quelque temps auparavant ? La seconde hypothèse nous paraît plus probable. Quoi qu’il en soit, Capharnaüm servira désormais de centre au Sauveur : cette ville de Galilée, comme l’appelle S. Luc pour la mieux désigner à ses lecteurs qui ne connaissaient pas la géographie de la Terre Sainte, était adaptée au plan actuel de Notre‑Seigneur. Voyez S. Matth. – Il les enseignait. Cette phrase semble indiquer une coutume générale de Jésus ; mais on peut l’appliquer aussi au fait spécial qui va bientôt être raconté, v. 33 et ss.
Luc 4.32 Et sa doctrine les frappait d’étonnement, parce qu’il parlait avec autorité. – cf. Matth. 7, 29. Jésus parlait donc comme un Législateur tout puissant, non comme un légiste dénué d’autorité ; son langage était esprit et vérité, il ne consistait pas en formules arides conventionnelles.
Luc 4, 33-37. = Marc. 1, 23-28
Ce miracle, omis par S. Matthieu, est raconté en termes presque identiques par S. Marc et S. Luc. Pour l’explication détaillée nous renvoyons à notre comment. sous. S. Marc.
Luc 4.33 Il y avait dans la synagogue un homme possédé d’un démon impur, lequel jeta un grand cri, – Un homme possédé d’un démon impur : locution extraordinaire dont il n’existe pas d’autre exemple dans le N. Testament. Sur la nature et la réalité des possessions, voyez commentaire S. Matth. – Un grand cri : Ce cri violent fut arraché au démon par l’instinct du danger dont le menaçait la sainte présence de Jésus.
Luc 4.34 disant : « Laissez-moi, qu’avons-nous à faire avec vous, Jésus de Nazareth ? Êtes-vous venu pour nous perdre ? Je sais qui vous êtes : le Saint de Dieu. » – Exclamation de terreur. Le démon parle au pluriel, au nom de tous les esprits mauvais (« Un pour tous, comme pour indiquer que le Christ a livré la guerre pour tous ». Maldonat). – Le Saint de Dieu , c’est‑à‑dire le Messie , cf. Jean 6, 69 : L’enfer, malgré lui, rend témoignage à Notre‑Seigneur.
Luc 4.35 Mais Jésus lui dit d’un ton sévère : « Tais-toi et sors de cet homme. » Et le démon l’ayant jeté par terre au milieu de l’assemblée, sortit de lui sans lui avoir fait aucun mal. – Mais Jésus ne veut pas de ce témoignage. Prenant un ton sévère et parlant comme un maître à qui tout doit obéir, il donne coup sur coup au démon deux ordres exprimés en termes brefs mais énergiques : Tais‑toi, puis Sors de cet homme. Ces dernières paroles sont remarquables à cause du dualisme qu’elles supposent d’une manière si évidente dans le phénomène de la possession : il y a l’esprit possesseur auquel Jésus prescrit un prompt départ, et le malheureux possédé que le Sauveur va délivrer.
Luc 4.36 Et tous, saisis de stupeur, se disaient entre eux : « Quelle est cette parole ? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent. » 37 Et sa renommée se répandait de tous côtés dans le pays. – Ces versets racontent les effets du miracle. Les témoins oculaires de cette cure merveilleuse furent saisis d’une vive frayeur. Les réflexions qu’ils échangeaient au sortir de la synagogue montrent ce qui les avait surtout frappés : il commande avec autorité et puissance… Ce n’était pas ainsi que les exorcistes juifs expulsaient les démons : il leur fallait de longues adjurations, un anneau, je ne sais quelle racine, un vase plein d’eau (voyez Flavius Josèphe Ant. 8, 2, 5 ; La Guerre des Juifs, 7, 6, 3), et encore ne réussissaient‑ils pas toujours. Un mot de commandement suffisait à Jésus. – Sa renommée se répandit… La sensation produite par la guérison du démoniaque ne fut pas seulement locale ; elle se reproduisit au loin dans toute la contrée.
Luc 4, 38-41. = Matth. 8, 14-17 ; Marc. 1, 29-34.
Ici encore les narrations de S. Marc et de S. Luc se ressemblent beaucoup. Celle de S. Matthieu est un simple sommaire.
Luc 4.38 S’étant alors levé, Jésus quitta la synagogue et entra dans la maison de Simon. Or, la belle-mère de Simon était atteinte d’une grosse fièvre et ils le prièrent pour elle. – Le nouveau miracle suivit donc de très près celui qui avait eu lieu dans la synagogue. – Dans la maison de Simon. S. Pierre est ici mentionné pour la première fois dans le troisième Évangile. S. Luc, en ne donnant sur le prince des Apôtres aucun détail préliminaire, suppose que ses lecteurs le connaissaient depuis longtemps. – Une grosse fièvre : les deux autres synoptiques se contentent de dire que la belle‑mère de Simon était fiévreuse. S. Luc emploie naturellement une expression médicale, qu’on retrouve dans les écrits pathologiques des temps anciens. Les fièvres sont assez fréquentes auprès du lac de Tibériade : produites par un simple refroidissement, elles deviennent rapidement malignes et mettent la vie en danger.
Luc 4.39 Se penchant sur la malade, il commanda à la fièvre et la fièvre la quitta et s’étant levée aussitôt, elle se mit à les servir. – Se penchant sur la malade : expression pittoresque et spéciale à notre évangéliste (du reste, chacun des trois narrateurs ajoute ici quelque détail particulier). La malade est étendue sur son lit ; Jésus, debout auprès d’elle, se penche pour la toucher et la guérir. – Il commanda à la fièvre. Cette belle personnification faisait dire à S. Basile : « S. Luc parle d’une manière figurée, comme d’un commandement adressé à un être intelligent » (Ct. D. Thom.). cf. 8, 24. – Elle les servait. Le pronom au pluriel indique que Jésus n’était pas seul : nous savons par S. Marc que ses quatre premiers disciples, Pierre et André, Jacques et Jean, l’accompagnaient.
Luc 4.40 Lorsque le soleil fut couché, tous ceux qui avaient chez eux des malades, quel que fût leur mal, les lui amenèrent et Jésus, imposant la main à chacun d’eux, les guérit. – Les deux miracles opérés isolément dans le courant de la journée, c’est‑à‑dire, la guérison d’un démoniaque et d’une malade, se renouvelèrent par masses le soir, après le coucher du soleil, ainsi que nous l’apprennent les vv. 40 et 41. – 1° Guérison des malades. Imposant la main exprime la grande facilité avec laquelle Jésus opérait les guérisons. les guérit marque des actes fréquemment répétés durant cette soirée célèbre.
Luc 4.41 Des démons aussi sortaient de plusieurs, criant et disant : « Tu es le Fils de Dieu » et il les réprimandait pour leur imposer silence, parce qu’ils savaient qu’il était le Christ. – 2° Guérison des démoniaques. Les démons sortaient, dit S. Matthieu, sur un commandement exprès de Jésus. En se retirant, les démons proclamaient, comme le matin dans la synagogue, le caractère messianique de Jésus. Comme le matin, Jésus leur imposait silence. Les détails « Tu es le Fils de Dieu » sont particuliers au troisième Évangile : ils ajoutent de la clarté ou de la vie au récit.
Luc 4, 42-44 = Marc. 1, 35-39.
Luc 4.42 Dès que le jour parut, il sortit et s’en alla en un lieu désert. Une foule de gens se mirent à sa recherche et étant arrivés jusqu’à lui, ils voulaient le retenir, pour qu’il ne les quittât pas. – Le lendemain matin, Jésus quitta donc de très bonne heure la maison de S. Pierre, où il avait passé la nuit, et il gagna, pour s’y livrer en paix à la prière, l’une des nombreuses solitudes qu’on trouve auprès du lac de Tibériade. Chose étonnante, cette fois ce n’est pas S. Luc, mais S. Marc, qui mentionne la prière spéciale du Sauveur. La foule continua ses recherches jusqu’à ce qu ‘elle eût trouvé Jésus. La fin du verset, spéciale à S. Luc, contient aussi un détail touchant, qui montre jusqu’à quel point Notre‑Seigneur était alors aimé. Il est vrai que les sentiments de ce bon peuple n’étaient pas complètement purs d’égoïsme.
Luc 4.43 Mais il leur dit : « Il faut que j’annonce aussi aux autres villes le royaume de Dieu, car je suis envoyé pour cela. » – C’est ce que Jésus leur montre dans sa réponse : Il est venu pour tous, et pas seulement pour une zone privilégiée : il ne saurait donc demeurer toujours aux environs de Capharnaüm, ainsi qu’on l’y convie. Sur le royaume de Dieu, cf. commentaire sur S. Matth. – C’est pour cela : parole propre à S. Luc sous cette forme. Nous lisions dans S. Marc « c’est pour cela que je suis sorti ». Mais, de part et d’autre, c’est bien la même idée, celle de l’Incarnation du Verbe et de son avènement au milieu de nous pour nous sauver. Le Christ, en tant qu’homme, a reçu de sa divinité sa mission et il veut y être fidèle.
Luc 4.44 Et Jésus prêchait dans les synagogues de la Galilée. – La construction de la phrase indique un fait constant, par conséquent des prédications réitérées. La Galilée entière eut sans doute le bonheur d’entendre Jésus.


