Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

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CHAPITRE 7

Luc 7, 1-10.  = Matth. 8, 5-13.

Nous avons ici un des plus grands miracles de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Mais il acquiert une importance toute nouvelle dans le troisième Évangile, quand on se souvient qu’il fut accompli en faveur d’un païen. Aussi S. Luc l’a‑t‑il raconté avec plus de détails que S. Matthieu.

Luc 7.1 Après qu’il eut achevé de faire entendre au peuple tous ses discours, Jésus entra dans Capharnaüm. – Ce verset précise l’époque et le théâtre du miracle. La guérison eut lieu peu de temps après le Discours sur la montagne. Elle fut opérée dans la cité de Capharnaüm, qui servait de résidence habituelle à Jésus. 

Luc 7.2 Or, un centurion avait un serviteur malade, qui allait mourir et il l’aimait beaucoup. – Les deux héros du miracle nous sont ici présentés. C’étaient un centurion païen cf. commentaire sur S. Matth, préposé à une partie de la garnison de Capharnaüm, et son esclave gravement malade. Avec sa précision toute médicale, S. Luc affirme que ce dernier était sur le point de mourir. Il ajoute encore, pour expliquer l’intérêt particulier que le serviteur moribond inspirait à son maître : il l’aimait beaucoup. C’était pourtant un proverbe du paganisme que « autant vous avez d’esclaves, autant vous avez d’ennemis ». Mais le centurion, à demi converti à la religion du vrai Dieu, pratiquait plutôt ce conseil des Saints Livres : « Que le serviteur qui a du sens te soit cher comme ton âme ; ne lui refuse pas la liberté, et ne le laisse pas dans la pauvreté ». (Ecclésiastique, 7, 23).

Luc 7.3 Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya des notables juifs, pour le prier de venir guérir son serviteur.Ayant entendu parler de Jésus : « Non seulement avec l’oreille du corps, mais aussi avec celle du cœur », St. Bonaventure. Il a entendu parler de Jésus, de sa sainteté, de ses miracles, et il a conçu pour lui une haute estime : il croit en ses pouvoirs surnaturels, et voici qu’il se dispose à y recourir dans la pressante nécessité où il se trouve. – Il lui envoya des notables juifs. On a vu parfois dans ces notables juifs qui servirent d’ambassadeurs au centurion, les officiers de la synagogue ; mais cette opinion n’est pas fondée. Il s’agit simplement de quelques‑uns des notables de Capharnaüm. – Le priant de venir… et pourtant, un peu plus loin, v. 6, le centurion fera prier Jésus de ne pas venir, se reconnaissant indigne de recevoir chez lui un si saint personnage. Pour concilier ces deux données en apparence contradictoires, Maldonat écrit « On peut facilement répondre que les Anciens des Juifs ont ajouté qu’il viendrait de leur propre chef. ». Nous préférons admettre que le centurion, après avoir d’abord demandé la visite du Thaumaturge, revint ensuite humblement sur sa requête, pour la retirer comme trop présomptueuse. – Il est, à propos de cet épisode, une autre conciliation, qui concerne les écarts qui existent entre les récits de S. Matthieu et de S. Luc, cf. commentaire sur S. Matth. Le conflit n’est qu’apparent, et tout observateur attentif reconnaît sans peine qu’il n’y a pas ici antilogie proprement dite, mais simplement diversité. S. Matthieu, qui condense les faits, néglige les personnages intermédiaires, et ne met en scène que le centurion ; S. Luc expose les choses telles qu’elles se sont passées objectivement.

Luc 7.4 Ceux-ci étant arrivés vers Jésus, le prièrent avec grande instance, en disant : « Il mérite que vous fassiez cela pour lui, 5 car il aime notre nation et il a même bâti notre synagogue. » – Les délégués s’acquittèrent fidèlement de la commission qui leur avait été confiée. Oubliant leurs préjugés judaïques, ils plaidèrent avec chaleur la cause de l’officier païen. Il mérite, s’écrièrent‑ils, tandis qu’il dira bientôt lui même « je ne suis pas digne ». – L’évangéliste nous a conservé quelques particularités intéressantes alléguées par les notables en faveur du centurion. – Il aime notre nation : beaucoup de païens détestaient alors la nation juive ; plusieurs néanmoins se sentaient attirés vers elle par ses dogmes si élevés, sa morale si pure, et le centurion était de ces derniers. Or, sa situation lui fournissait des occasions quotidiennes de témoigner sa bienveillance par des actes aux Juifs de Capharnaüm. Parmi ces actes, les notables en mentionnent un d’une nature vraiment extraordinaire : il a même bâti notre synagogue. Le centurion n’était donc pas seulement l’ami des Juifs ; c’était pour eux un bienfaiteur, et un bienfaiteur au point de vue de la religion. Il leur avait bâti à ses frais une synagogue, dirent les délégués en s’appuyant sur l’article. Ils désignaient sans doute ainsi la synagogue de leur quartier, ou du moins l’édifice bien connu qui provenait de la générosité du centurion ; car une ville aussi considérable que Capharnaüm possédait nécessairement plusieurs synagogues. L’empereur Auguste avait publié naguère un édit très louangeur sur les synagogues juives, qu’il représentait comme des écoles de science et de vertu : le centurion de Capharnaüm avait tiré la conclusion pratique de cet édit. Peut‑être sa maison de prière était‑elle celle dont on voit aujourd’hui à Tell‑Houm (voyez S. Matth.) les restes, qui attestent une grande magnificence.

Luc 7.6 Jésus s’en alla donc avec eux. Il n’était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya quelques-uns de ses amis lui dire : « Seigneur, ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, 7 aussi ne me suis-je pas même jugé digne de venir auprès de vous, mais dites un mot et mon serviteur sera guéri. 8 Car moi, qui suis soumis à des supérieurs, j’ai des soldats sous mes ordres et je dis à l’un : Va et il va, à un autre : Viens et il vient et à mon serviteur : Fais cela et il le fait. » – S. Matthieu a conservé la réponse préalable du Sauveur, toute empreinte de sa divine amabilité : « J’irai et je le guérirai ». Averti de l’approche de Jésus, ou ayant aperçu lui‑même le cortège du seuil de sa maison, le centurion se hâte d’envoyer une seconde ambassade, composée de plusieurs amis, que son malheur avait réunis à ses côtés. La suite des paroles du centurion est mentionnée d’une manière à peu près identique par les deux écrivains sacrés. S. Luc a néanmoins en propre la première moitié du v. 7, si pleine de foi et d’humilité. Cet homme comprenait très bien son infériorité vis à vis de Jésus ; mais comme il comprenait bien aussi la puissance de Notre‑Seigneur. Il exprime ces deux idées avec force au moyen d’une saisissante analogie, empruntée aux faits journaliers dont il était l’acteur et le témoin. Il sait par expérience ce que peut obtenir une parole de commandement. Sur un mot de ses chefs, il obéit ; un de ses mots à lui, simple officier subalterne, suffit pour faire aller et venir ses inférieurs. Donc, dis une parole, et le mal disparaîtra soudain. « Si donc moi, dit‑il, qui suis un homme aux ordres d’un autre, j’ai le pouvoir de commander, que ne peux‑tu, toi, de qui tous les puissants sont les serviteurs ? », S. Augustin, Enarr. in Ps 96, 9.

Luc 7.9 Ce qu’ayant entendu, Jésus admira cet homme et, se tournant vers la foule qui le suivait, il dit : « Je vous le dis, en vérité, en Israël même je n’ai pas trouvé une si grande foi. » – Sur cet étonnement de Jésus, cf. commentaire sur S. Matth. Le détail pittoresque se tournant vers est propre à S. Luc ; de même l’addition du mot foule. – Même en Israël… Pas même en Israël, le peuple de l’alliance : C’est un païen qui fournissait à Jésus l’exemple de la foi la plus vive qu’il eût rencontrée jusque là. S. Thomas d’Aquin ne craint pas d’affirmer à la suite d’Origène, de S. Jean Chrysostome, de S. Ambroise, qu’en tenant ce langage Notre‑Seigneur n’exceptait ni les apôtres, ni plusieurs autres saints du Nouveau Testament, bien dévouées pourtant à sa personne sacrée : « Il est question des apôtres, de Marthe et de Madeleine. Et il faut dire que la foi du centurion était plus grande que la leur ». – D’après S. Matthieu, 7, 11-12, Jésus unit à l’éloge du centurion une prophétie relative à l’adoption des Païens et au rejet prochain des Juifs. On est d’abord surpris de voir que S. Luc n’a pas inséré dans sa rédaction ce passage significatif ; mais on s’explique cette omission en rencontrant plus loin, 13, 28, la grave prédiction de Jésus. Notre évangéliste n’aura pas cru nécessaire de la répéter deux fois.

Luc 7.10 A leur retour dans la maison du centurion, les envoyés trouvèrent guéri le serviteur qui était malade. – Le premier Évangile mentionne simplement le miracle : « Et, à l’heure même, le serviteur fut guéri ». S. Luc le fait constater par les délégués du centurion. – Il est plus que probable que le centurion devint dès lors l’ami et le fervent disciple de Jésus, comme l’insinue délicatement S. Augustin : « En se disant indigne, il se rendit digne de recevoir le Christ, non dans sa demeure, mais dans son cœur ; il n’eût même pas parlé avec tant d’humilité et de foi, s’il n’eût porté dans son âme Celui qu’il redoutait devoir entrer dans son habitation ». Serm. 62, 1. Et ailleurs, Serm. 77, 12 : « Je ne suis pas digne de vous recevoir dans ma demeure, et déjà il l’avait reçu dans son cœur. Plus il était humble, plus aussi il avait de capacité et plus il était rempli. L’eau tombe des collines et remplit les vallées. »

Résurrection du fils de la veuve de Naïm. 7, 11-17

Cette narration appartient en propre à S. Luc. Il est seul du reste à attribuer plusieurs miracles de résurrection à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. S. Matthieu et S. Marc ne parlent que de la fille de Jaïre ; S. Jean ne parle que de Lazare.

Luc 7.11 Quelques temps après, Jésus se rendait à une ville appelée Naïm, de nombreux disciples et une grande foule faisaient route avec lui. – Cette formule générale fait passer le lecteur d’un miracle éclatant à un autre miracle plus éclatant encore. De nouveau, la date et la localité sont indiquées. cf. v. 1. La date est un peu vague, peut‑être faut‑il lire « le jour d’après ». – Une ville appelée Naïm. Le nom grec correspond identiquement à l’appellation arabe encore en usage de nos jours, Naïn ou Néïn. Ce nom signifie en hébreu « la belle », et il était justifié à merveille par la situation gracieuse de la cité. Celle‑ci s’étalait en effet sur le versant septentrional du petit Hermon, et, de l’éminence qui lui servait de trône, elle contemplait, à ses pieds, la vaste et fertile plaine d’Esdrelon ; en face, les belles collines boisées de Galilée, que surmontent les pics neigeux du Liban et du grand Hermon. Il n’est pas fait d’autre mention de Naïm dans la Bible. La distance qui la sépare de Capharnaüm est d’environ une journée de marche. – une grande foule. A cette heureuse période de sa vie publique, Notre‑Seigneur, partout où il allait, était habituellement accompagné de foules amies, avides de le voir et de l’entendre. A côté de cette multitude qui suivait Jésus, nous allons bientôt avoir une autre foule, également nombreuse, qui formait le convoi funèbre. Dieu permit qu’il en fut ainsi dans la circonstance présente, afin de multiplier les témoins, du miracle, selon la remarque judicieuse de Bède le Vénérable.

Luc 7.12 Comme il arrivait près de la porte de la ville, il se trouva qu’on emportait un mort, fils unique de sa mère et celle-ci était veuve et beaucoup de gens de la ville l’accompagnaient. – Les villes anciennes étaient presque toujours fortifiées. D’ailleurs, les localités de l’Orient ont habituellement des portes, alors même qu’elles ne possèdent aucune enceinte de remparts. Au moment donc où le Prince de la vie allait franchir avec son escorte le portail massif par où l’on pénétrait dans Naïm, tout à coup une victime de la mort le franchit en sens contraire, avec le cortège accoutumé qui la conduisait au tombeau. Les Juifs avaient coutume d’enterrer toujours les morts en dehors des villes. – Par quelques détails fort simples, mais délicatement choisis, l’évangéliste dépeint de la façon la plus touchante la désolation particulière qui s’attachait à cette scène commune en soi. La mort n’avait pas seulement frappé un jeune homme à la fleur de l’âge ; ce jeune homme était fils unique, et la pauvre mère était veuve. Elle restait donc seule, sans espoir, sans appui, sans joie. Ces deux afflictions incomparables, celle du veuvage, et plus encore celle que cause la perte d’un fils unique, étaient devenues proverbiales chez les Juifs. cf. Jérémie 6, 26 ; Zacharie 12, 10 ; Amos 8, 10 ; Ruth, 1, 20 et 21 ; Job. 24, 3, etc. Par sympathie pour une douleur aussi navrante, un grand nombre des habitants de la ville avaient voulu assister aux funérailles du jeune homme.

Luc 7.13 Le Seigneur l’ayant vue, fut touché de compassion pour elle et lui dit : « Ne pleurez pas. » – Le titre de Seigneur, que S. Luc applique d’ailleurs fréquemment à Jésus (cf. 7, 31 ; 11, 39 ; 12, 42 ; 17, 5-6 ; 18, 6 ; 22, 31, 61, etc.) a ici une emphase spéciale, car le divin Maître va vraiment se manifester comme le Seigneur par excellence. – Touché de compassion. Le cœur si compatissant de Jésus nous est révélé tout entier dans cette ligne. A la vue de cette veuve désolée qui conduisait son fils au tombeau, il fut violemment « déchiré ». L’écrivain sacré montre que le désir de consoler la mère du défunt fut le mobile du miracle. Au moment où elle passait auprès de lui, Ne pleurez pas, lui dit‑il avec bonté. Les hommes aussi adressent cette parole à ceux qui pleurent. Mais qu’elle a peu de force sur leurs lèvres. Car la plupart du temps ils sont incapables de fournir la consolation qui étanche les larmes. Mais celui qui la prononce actuellement est Dieu, assez puissant pour faire cesser à tout jamais les pleurs dans le ciel (Apocalypse 21, 4).

Luc 7.14 Et s’approchant, il toucha le cercueil, les porteurs s’étant arrêtés, puis il dit : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi. » – Scène toute graphique, non moins bien racontée que la précédente. Le « cercueil » des Hébreux ne désigne pas un cercueil fermé à la façon des nôtres, mais une de ces bières ouvertes dans lesquelles les morts, recouverts de leur linceul et d’un drap mortuaire, sont portés au tombeau. – Lorsque, sans prononcer une seule parole, Jésus eût touché l’extrémité de la civière, les porteurs, comprenant sa pensée, ou plutôt frappés de la majesté qui brillait sur son visage, s’arrêtèrent soudain. Quelque remarquable que soit ce s’étant arrêtés, nous ne nous croyons pas autorisé à voir en lui, à la suite de plusieurs exégètes, le résultat d’un premier miracle. La voix qui avait dit précédemment avec émotion ne pleure pas, s’écrie maintenant sur un ton d’irrésistible autorité, au milieu du silence et de l’attention universels : Jeune homme, je te le commande, lève‑toi. Les deux autres résurrections que raconte l’Évangile furent produites par des paroles de puissance analogue à celles‑ci. cf. 8, 54 et Jean 11, 43. Que c’est grand. Mais que c’est simple. « Nul n’éveille aussi facilement un homme dans son lit, que le Christ ne tire un mort du tombeau. », S. August. Serm. 98, 2. « Élie ressuscite des morts, il est vrai ; mais il est obligé de se coucher plusieurs fois sur le corps de l’enfant qu’il ressuscite : il souffle, il se rétrécit, il s’agite ; on voit bien qu’il invoque une puissance étrangère, qu’il rappelle de l’empire de la mort une âme qui n’est pas soumise à sa voix, et qu’il n’est pas lui‑même le maître de la mort et de la vie. Jésus‑Christ ressuscite les morts comme il fait les actions les plus communes ; il parle en maître à ceux qui dorment d’un sommeil éternel, et l’on sent bien qu’il est le Dieu des morts comme des vivants, jamais plus tranquille que lorsqu’il opère les plus grandes choses ». Massillon, Disc. sur la divinité de Jésus‑Christ.

Luc 7.15 Aussitôt le mort s’assit et se mit à parler et Jésus le rendit à sa mère. – Deux indices immédiats d’un complet retour à la vie : le mort se dresse sur son séant et se met à parler. Un récit légendaire se serait complu à signaler les premières paroles du ressuscité ; le récit inspiré les laisse dans l’oubli comme une chose tout à fait accessoire. – Il le rendit à sa mère. Il y a dans ce détail final « quelque chose d’ineffablement doux », Wiseman, Mélanges religieux, t. 2, Les Miracles du N.T., p. 127. C’était en vue de la mère affligée que Jésus avait opéré le miracle : il lui offre maintenant comme un don précieux son fils ressuscité. « Un vrai don fait à Jésus était celui qui ne pouvait être récupéré que par Jésus », Fr. Luc de Bruges.

Luc 7.16 Tous furent saisis de crainte et ils glorifiaient Dieu en disant : « Un grand prophète a paru parmi nous et Dieu a visité son peuple. » – Ce verset le le suivant décrivent l’effet produit par le miracle, d’abord à Naïm, puis dans toute la Palestine. Partout la sensation fut immense. Les témoins oculaires furent d’abord saisis d’une crainte religieuse fort naturelle en pareil cas ; mais il ne tardèrent pas à s’élever à un sentiment plus noble, celui d’une grande reconnaissance envers Dieu, excité par les magnifiques espérances qu’un miracle aussi éclatant avait fait naître dans leurs cœurs. Un grand prophète s’est levé parmi nous, se disaient‑ils. En effet dans l’antiquité sacrée des Juifs, les prophètes seuls, et même uniquement les plus grands d’entre eux (cf. 1 Rois 17, 17-24 ; 2 Rois 4, 11-27), avaient reçu de Dieu le pouvoir de ressusciter les morts. – La foule ajoutait encore : Dieu a visité son peuple.

Luc 7.17 Et cette parole prononcée à son sujet se répandit dans toute la Judée et dans tout le pays d’alentour. – De Naïm et de ses alentours le bruit du miracle, franchissant la Samarie, gagna bientôt toute la province de Judée ; il se répandit ensuite dans tous les pays circonvoisins, tels que l’Idumée, la Décapole, la Phénicie, spécialement la Pérée où était emprisonné S. Jean. cf. v. 18. – Pour admettre l’explication rationaliste selon laquelle les morts rendus à la vie par Jésus et ses apôtres étaient simplement plongés dans un sommeil léthargique, il faut trouver croyable que, durant la courte période de l’histoire évangélique et apostolique, on a vu se renouveler à cinq reprises consécutives, c’est‑à‑dire trois fois dans les Évangiles et deux fois dans les Actes, cette circonstance identique, ce même remarquable hasard d’une léthargie qui, restée inaperçue de toutes les personnes qui s’étaient occupées du mort, cède à la première parole de l’envoyé divin et donne lieu de penser à une résurrection véritable.

Luc 7, 18-35.  = Matth. 11, 1-19

S. Luc et S. Matthieu se rencontrent de nouveau pour cet épisode ; mais ils ne le placent pas à la même époque. On préfère généralement l’ordre adopté par notre évangéliste. S. Luc a en outre le mérite d’être le plus complet.

Luc 7.18 Les disciples de Jean lui ayant rapporté toutes ces choses, – Ce détail est propre au troisième Évangile. Quand ses disciples lui apportèrent la nouvelle des miracles et de la réputation croissante de Jésus, Jean‑Baptiste était prisonnier du tétrarque Antipas, dans les cachots de Machéronte. cf. 3, 19-20. Comme le fait observer M. Planus à la suite de Bède le Vénérable, de Théophylacte, de Fr. Luc, etc., on voit percer à travers cette ligne de S. Luc les préjugés et l’antipathie que les disciples de Jean‑Baptiste nourrissaient à l’égard de Notre‑Seigneur. « La brièveté, le laconisme de ce verset ne laissent aucun doute sur les dispositions d’esprit et de cœur de ces amis trop jaloux de la gloire de leur maître. Évidemment, il y a dans leur empressement… une arrière‑pensée contre Jésus ». S. Jean‑Baptiste, Étude sur le Précurseur, p. 249.

Luc 7.19 il en appela deux et les envoya vers Jésus pour lui dire : « Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » – Deux disciples quelconques : S. Luc n’avait aucun détail à fournir sur la personne des messagers. cf. Actes 23, 23. Sur les fausses interprétations qu’on a données, spécialement dans les temps modernes, de l’ambassade et de la question du Précurseur, cf. commentaire sur S. Matth. La vérité est que la conduite actuelle de S. Jean n’eut pour mobile ni un accès d’impatience qu’aurait excité dans l’âme du prisonnier de Machéronte la lenteur de Jésus à établir son royaume, ni un doute proprement dit sur le caractère messianique du Sauveur. Pour quiconque étudie à fond le S. Jean des Évangiles, ces deux choses sont psychologiquement impossibles : elles sont bien plus impossibles encore au point de vue du rôle divin de Jean‑Baptiste. Ainsi donc, par son message, « Jean n’a pas consulté pour son propre profit mais pour celui de ses disciples », S. Hilaire, Can. 9 in Matth. Il voit que, dans les dispositions où ils se trouvent, ses disciples ne seront complètement convaincus que par Jésus lui‑même : c’est pour cela qu’il les adresse à Jésus. – Celui qui doit venir : dénomination du Messie chez les Juifs. Suivant une opinion très ancienne et assez étrange, qu’on est surpris de voir adopter par S. Jérôme et par S. Grégoire‑le‑Grand, le Précurseur, en tenant ce langage à son Maître, se serait proposé de lui demander s’il fallait annoncer sa venue prochaine aux patriarches retenus dans les limbes, car Jean prévoyait qu’Hérode le ferait bientôt mourir. « Demande‑moi si je dois t’annoncer dans les enfers, moi qui t’ai annoncé sur la terre. Convient‑il vraiment que le Fils goûte la mort, et n’enverras‑tu pas un autre vers ces mystères (sacrements) ? » St. Jérôme, in cap. 11 Matth. cf. S. Greg. Hom. 6 in Evang., et Hom. 1 in Ézéchiel « Cette opinion doit être absolument rejetée. Nous ne trouvons nulle part dans la sainte Écriture que saint Jean Baptiste ait eu à annoncer d’avance dans les enfers la venue du Sauveur », S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs.

Luc 7.20 Étant donc venus à lui : « Jean-Baptiste, lui dirent-ils, nous a envoyés vers vous pour vous demander : Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » – S. Luc nous montre, et ce détail est encore spécial à sa narration, les disciples de S. Jean s’acquittant de leur mission avec fidélité.

Luc 7.21 A ce moment même, Jésus guérit un grand nombre de personnes affligées par la maladie, les infirmités, ou les esprits malins et accorda la vue à plusieurs aveugles. – A la question de son Précurseur Jésus répondit de deux manières : en actes, v. 21, et en paroles, vv. 22 et 23. La réponse des faits, qui vient au premier rang, n’est mentionnée en termes exprès que dans notre Évangile ; mais S. Matthieu la suppose implicitement (9, 4). – A ce moment même. Au moment où les délégués se présentèrent, Jésus était donc en plein exercice de sa puissance miraculeuse : coïncidence assurément toute providentielle. Sous leurs yeux, il continua d’opérer de nombreux miracles de guérison que l’évangéliste a groupés sous quatre chefs : la cure des maladies de langueur, celles des souffrances aiguës, l’expulsion des démons, la vue rendue aux aveugles. – Les exégètes modernes font à bon droit remarquer contre les rationalistes que S. Luc, l’évangéliste médecin, établit aussi bien que les autres biographes du Sauveur une distinction entre les possessions et les maladies ordinaires.

Luc 7.22 Puis il répondit aux envoyés : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. 23 Heureux celui qui ne se scandalise pas en moi. » – C’est la réponse proprement dite : brève, mais décisive. Elle est identiquement la même dans les deux Évangiles (voyez Matth. 11, 5-6 et le commentaire). Comme le fait remarquer un exégète, sa force démonstrative ne ressort pas seulement des miracles opérés par Notre‑Seigneur, mais plus encore du rapport étroit qui existait entre eux et le portrait du Messie tracé par les prophètes (cf. Isaïe 35, 4 et 5 ; 51, 1 et s.). Jésus semblait dire aux messagers de S. Jean : Voyez vous‑mêmes. La prophétie, sous vos propres yeux, s’est transformée en histoire, en réalité. Celui que vous cherchez est donc devant vous. Mes œuvres ont occasionné votre question : pour vous répondre, je n’ai qu’à vous renvoyer à mes œuvres, car leur langage est manifeste.

Luc 7.24 Lorsque les envoyés de Jean furent partis, Jésus se mit à dire au peuple, au sujet de Jean : « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un roseau agité par le vent ? – Jésus rappelle à ses auditeurs l’enthousiasme qui avait autrefois poussé toutes les classes de la nation juive vers le désert de Juda. Qu’allait‑on contempler dans ces lieux sauvages ? Était‑ce un roseau mobile, c’est‑à‑dire un homme sans fermeté de caractère, qui affirmait un jour la mission divine de Jésus et la mettait en doute le lendemain, comme semblait le démontrer son ambassade ? Un roseau, cette colonne de bronze qui résistait aux prêtres, aux Pharisiens et au tétrarque. Un roseau, ce noble cèdre que l’orage de la persécution n’avait pas déraciné (S. Cyrille). Aussi Notre‑Seigneur laisse‑t‑il sans réponse cette première interrogation.

Luc 7.25 Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un homme vêtu d’habits moelleux ? Mais ceux qui portent des vêtements précieux et vivent dans les délices sont dans les palais royaux. – Répétition emphatique, d’un bel effet ; de même au v. 26. La description du luxe effréné des cours orientales est plus complète, plus brillante dans S. Luc que dans S. Matthieu. D’après celui‑ci, Jésus se borne à dire « un homme vêtu d’habits précieux » ; notre évangéliste mentionne en termes exprès et les vêtements précieux et les délices corruptrices de la cour royale.

Luc 7.26 Enfin qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le dis et plus qu’un prophète. – Si Jean‑Baptiste n’est ni un roseau flexible, ni un courtisan voluptueux : serait‑il bien un prophète, comme le répétait alors la voix publique ? cf. Matth. 21, 26. A cette troisième question, Notre‑Seigneur répond d’abord d’une manière affirmative ; puis il surenchérit encore, en disant sans hésiter que le fils de Zacharie était plus qu’un prophète. « Plus grand que les prophètes parce que la fin des prophètes », S. Ambroise.

Luc 7.27 C’est de lui qu’il est écrit : j’envoie mon messager devant votre face, pour vous précéder et vous préparer la voie. – Plus qu’un prophète, dit mieux encore le Sauveur Jésus, parce qu’il est mon Précurseur prédit par les SS. Livres, l’ange, c’est‑à‑dire l’envoyé glorieux qu’annonçait Malachie, 3, 1.

Luc 7.28 Je vous le dis en effet, parmi les enfants des femmes, il n’y a pas de prophète plus grand que Jean-Baptiste, mais le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. – Jésus réitère solennellement son assertion relative à S. Jean : c’est un prophète, plus qu’un prophète. Les temps anciens avaient vu de bien grands prophètes, les Samuel, les Élie, les Élisée, les Isaïe, les Jérémie, les Ézéchiel, et tant d’autres ; mais aucun de ces hommes inspirés n’était à la hauteur de Jean‑Baptiste, le Précurseur du Messie. – Dans le premier Évangile, la pensée est exprimée en termes plus généraux, car S. Jean est mis non seulement au‑dessus des prophètes, mais de tous les « fils de la femme » sans exception. – Mais le plus petit... Jésus veut dire que même les membres inférieurs de son Église, en d’autres termes, que les plus petits d’entre les chrétiens l’emportent sur S. Jean Baptiste, quelle que soit d’ailleurs la grandeur du Précurseur. C’est là une vérité facile à démontrer. Sans doute Jean‑Baptiste est le premier des hommes ; mais les chrétiens appartiennent, en tant que chrétiens, à une espèce transfigurée, divinisée. Sans doute Jean‑Baptiste est l’ami intime du roi ; mais il ne lui a pas été donné de franchir l’entrée du royaume, tandis que le moindre des chrétiens a reçu cette faveur. Sans doute Jean‑Baptiste est le paranymphe (personne qui conduisait la mariée à la maison nuptiale le jour de ses noces), mais l’Église dont les chrétiens font partie est l’épouse même du Christ. Le Christianisme nous a placés sur un plan beaucoup plus élevé que celui du Judaïsme : les membres du Nouveau Testament l’emportent autant sur les membres de l’Ancien que la nouvelle Alliance elle‑même l’emporte sur l’ancienne. On peut donc appliquer ici l’axiome célèbre : « Le plus petit du plus grand est plus grand que le plus grand du plus petit ». Saint Jean Baptiste n’est donc pas considéré personnellement du point de vue de l’excellence de sa vie et de ses mœurs,  mais ce qui est envisagé c’est sa condition en tant qu’il représente l’ancienne loi, dont il fut le dernier représentant. Il suit de là que si, dans la première partie de ce verset, Jean‑Baptiste est appelé le plus grand des hommes, ce ne saurait être d’une manière absolue ; c’est seulement pour ce qui concerne l’Ancien Testament, puisque Jésus le met ensuite au‑dessous des sujets du royaume messianique. Après avoir élevé S. Jean plus haut que tous les hommes qui avaient vécu jusqu’alors, Jésus fait maintenant une restriction, sous la forme d’une antithèse frappante. Mon précurseur, avait‑il dit, est, en vertu de son titre même, le premier personnage de l’Ancien Testament ; et pourtant il est inférieur en dignité au plus petit des membres de mon Église (le royaume de Dieu). Notre‑Seigneur, dans cette conclusion si consolante pour les chrétiens, laisse complètement de côté la sainteté personnelle : c’est sur les privilèges et la dignité de deux sphères distinctes qu’il raisonne. Il y a la sphère de l’ancienne Alliance, à laquelle appartenait S. Jean ; il y a la sphère de la nouvelle Alliance ou du royaume de Dieu. Or, cette seconde sphère étant placée beaucoup au‑dessus de la première, le moins élevé des objets qu’elle renferme domine évidemment encore le plus élevé de ceux qui sont contenus dans l’autre. « Quoique nous puissions être dépassés en mérites par quelques‑uns des hommes qui vivaient sous la Loi et que Jean représente, actuellement, après la Passion, la Résurrection, l’Ascension et la Pentecôte, nous possédons de plus grandes bénédictions en Jésus‑Christ, étant devenus, grâce à lui, participants à la nature divine. ». S. Cyrille de Jérusalem. 

Luc 7.29 Tout le peuple qui l’a entendu et les publicains eux-mêmes, ont justifié Dieu, en se faisant baptiser du baptême de Jean, – 1° Conduite du simple peuple à l’égard de Jean‑Baptiste. Ce fut une conduite dictée par la foi : en entendant la voix du Précurseur, la foule, et jusqu’aux publicains que nous avons vus en effet accourir à sa prédication, 3, 12, crurent entendre la voix de Dieu lui‑même, et ils agirent en conséquence, embrassant avec zèle moyen extérieur qui leur était offert pour arriver plus aisément à la vraie conversion. Et, par là, ils rendirent gloire au Seigneur, profitèrent des offres de sa miséricorde, approuvèrent sa conduite et entrèrent dans les desseins de sa miséricorde. La multitude déclara donc, d’une manière toute pratique, par sa façon d’agir à l’égard de S. Jean, que Dieu avait bien fait d’envoyer au monde un si saint homme.

Luc 7.30 tandis que les Pharisiens et les Docteurs de la Loi ont annulé le dessein de Dieu à leur égard, en ne se faisant pas baptiser par lui. » – 2° Conduite des Pharisiens et des Docteurs. Tout, dans ce verset, contraste avec ce que nous lisions au précédent. Les Pharisiens et les Docteurs de la Loi, c’est‑à‑dire les prétendus saints et les savants de la société juive, sont opposés au peuple et aux publicains, qui représentent les ignorants et les pécheurs. Tandis que ceux‑ci avaient reçu le baptême de S. Jean, et proclamé par là‑même l’excellence et facilité la réalisation du plan divin, ceux‑là, en rejetant le Précurseur et son baptême, avaient fait échouer complètement, du moins pour ce qui concernait leurs propres personnes, les desseins miséricordieux du ciel. Le dessein de Dieu dont parle ici Notre‑Seigneur était le désir nourri par Dieu que chacun se préparât de toutes ses forces, spécialement au moyen du baptême de S. Jean, à la prochaine venue du Messie. – Annuler le dessein de Dieu sur eux, relativement à eux. En effet, les décrets divins demeurent, et personne ne saurait vraiment les rendre vains d’une manière absolue. Ce n’est que par rapport à soi que chacun peut les anéantir.

Luc 7.31 « A qui donc, dit encore le Seigneur, comparerai-je les hommes de cette génération ? A qui sont-ils semblables ?A qui comparerai‑je… Cette répétition emphatique est spéciale à S. Luc. On a très bien observé qu’elle donne quelque chose de poignant à la question du Sauveur. Jésus semble chercher à quoi il pourra bien comparer une conduite aussi insensée, aussi triste que celle dont il est le témoin. Il trouve une image qui exprime délicatement sa pensée, et il la signale comme une réponse parfaite à la double question qu’il venait de poser.

Luc 7.32 Ils sont semblables à des enfants assis dans la place publique, qui s’interpellent entre eux et se disent les uns aux autres : Nous vous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé, nous vous avons chanté des complaintes et vous n’avez pas pleuré. – cf. commentaire sur S. Matth. Les deux rédactions diffèrent à peine l’une de l’autre. – Il s’agit donc de deux groupes d’enfants réunis sur la place publique à l’heure de la récréation. Avec l’esprit d’imitation qui caractérise cet âge, ils essaient de mimer dans leurs jeux d’abord une scène de mariage, puis des funérailles. Du moins c’est ce que voudrait le premier groupe, qui s’est mis alternativement à chanter des airs gais et des airs lugubres : mais le second groupe, auquel on offrait ainsi le choix entre les jeux tristes ou joyeux, a refusé obstinément son concours, ce qui lui attire les reproches des autres enfants. Avec quelle dignité Notre‑Seigneur expose, et avec quelle grâce il relève ces détails empruntés à ce que la vie humaine a de plus familier. 

Luc 7.33 Car Jean-Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin et vous dites : Il est possédé du démon. 34 Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant et vous dites : C’est un homme de bonne chère et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. – « Saint Luc, par des additions spéciales, jeta une nouvelle lumière sur certains points généraux que Matthieu avait comme laissés dans l’ombre », S. Ambroise. Les mots pain et vin comptent en première ligne parmi ces heureuses additions : ils rectifient ce que la rédaction de S. Matthieu, « il ne mange pas, il ne boit pas » paraissait avoir d’exagéré et d’inexact. – Jésus applique maintenant sa comparaison, en prouvant par des faits incontestables que la génération juive contemporaine ressemblait au premier groupe des enfants mentionnés plus haut (voir dans S. Matth., la manière dont on justifie cette application). C’est en vain que la Sagesse divine a recouru à tous les moyens pour convertir ces Juifs endurcis, essayant de les gagner tantôt par la prédication sévère et la vie mortifiée du Précurseur, tantôt par les doux appels et les exemples plus accessibles de Jésus. Ces âmes rebelles à la grâce n’ont jamais été satisfaites. Jean‑Baptiste leur a paru trop austère, et Jésus trop semblable aux autres hommes. Elles se sont plaintes du premier parce qu’il n’a pas voulu mêler sa voix à leurs joyeuses mélodies, du second parce qu’il a refusé de prendre comme elles un ton lamentable et lugubre. Après tout, c’est à elles seules qu’elles devront s’en prendre lorsque viendront les châtiments divins, puisqu’elles ont rejeté successivement, sous les plus futiles prétextes, les divers ambassadeurs de Dieu.

Luc 7.35 Mais la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants. » – « La sagesse de saint Jean Baptiste et la mienne ont été justifiées par tous les hommes sages. Toutes les personnes équitables, éclairées, pieuses, conviendront que nous avons bien agi. Les évènements démontrent que nous avions raison l’un et l’autre dans la conduite que nous avons tenue envers le peuple. Le Précurseur a trouvé des disciples, qui ont reçu son baptême et ont imité sa vie pénitente ; et j’ai tiré du désordre plusieurs pécheurs par ma conduite pleine de bonté et de clémence. Nous prouvons notre sagesse par le succès qu’il a plu à Dieu de nous donner (Jésus parle ici en tant qu’homme : sa divinité a approuvé sa conduite en tant qu’homme et l’a couronnée de succès). Les enfants de la Sagesse, les hommes calmes et pieux nous ont écouté et ont suivi nos conseils. Les autres les ont abandonnés, s’en sont moqués mais leur incrédulité et leur perte même font notre apologie. Dom Calmet cite en note : (Ieronym. (S. Jérôme ) Natal. Alex. Hamm. Grot. (Grotius) Vat. Le Clerc.). Il n’y a que les enfants de la folie et de l’erreur, qui n’aient pas voulu nous suivre, et qui soient capables de nous condamner » (cf. Dom Augustin Calmet, Commentaire Littéral sur tous les Livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, L’Évangile de S. Matthieu, imprimé à Paris, Quai des Augustins, en 1725, sur 11, 19 et Luc 7, 35). Sur les liens entre Jésus et la Sagesse cf. Luc 2, 40 et 52 ; 11, 31 et 49 ; 21, 15. (A propos des liens entre Jésus et la Sagesse, plusieurs Pères,  S. Cyprien, S. Ambroise, S. Augustin, S. Athanase, S. Hilaire de Poitiers, enseignent que Baruch, 3,38, en parlant de la Sagesse de Dieu, annonce l’Incarnation (cf. la Bible Allioli et la Bible Calmet).

Simon le Pharisien et la pécheresse. 7, 36-50.

Nous croyons que S. Luc raconte seul cette scène de la vie du Sauveur. Pourtant, quelques exégètes (Hug, Ewald, Bleek, etc.), s’appuyant sur des analogies extérieures, ont essayé de la confondre avec l’onction de Béthanie (cf. Matth. 26, 6-13 ; Marc. 14, 3-9 ; Jean 12, 1-11). De part et d’autre, disent‑ils, l’hôte s’appelle Simon ; en outre, durant les deux repas, une femme vient pieusement parfumer les pieds de Jésus et les essuyer avec ses cheveux ; enfin, chaque fois, quelqu’un des assistants se scandalise à la vue de cet hommage extraordinaire. Trois objections auxquelles il est aisé de répondre. 1° Les deux amphitryons portent, il est vrai, le nom de Simon ; mais ce nom était alors très commun en Palestine, de sorte qu’il serait déraisonnable d’attacher de l’importance à sa réapparition. Il désigne, dans les écrits du Nouveau Testament, neuf personnages distincts, jusqu’à vingt dans ceux de l’historien Josèphe. Du reste, des épithètes soigneusement notées par les narrateurs prouvent qu’il est bien question de deux individus distincts : ici nous avons Simon le Pharisien, là au contraire Simon le Lépreux (Matth. 26, 6). 2° Pourquoi un fait qui est en parfaite conformité avec les usages anciens et modernes de l’orient ne se serait‑il pas renouvelé deux fois à l’égard de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans des circonstances différentes ? L’hommage qu’un profond sentiment de foi et de charité avait inspiré à une pieuse femme pouvait très bien se reproduire sous l’impulsion d’un sentiment identique. Or les circonstances sont réellement différentes. Ici nous sommes en Galilée, dans la première période du ministère public de Jésus ; là c’est la dernière semaine de sa vie, et la scène se passe en Judée, près de Jérusalem. Ici l’héroïne de l’épisode se présente le cœur brisé par le repentir ; là elle vient poussée par la reconnaissance. 3° Si, à deux reprises, la conduite des saintes amies de Jésus est critiquée, ce n’est pas de la même manière : la plainte de l’avare Judas est loin de ressembler à celle du Pharisien Simon. Et puis, quelles nombreuses divergences dans le fond et la forme des récits, dans la leçon qui s’en dégage, etc.. Aussi est‑on surpris de voir des hommes de talent (par exemple, Hengstenberg) faire de prodigieuses dépenses d’esprit et d’arguments en faveur d’une thèse aussi peu soutenable que celle de l’identité des deux onctions.

Luc 7.36 Un Pharisien ayant prié Jésus de manger avec lui, il entra dans sa maison et se mit à table. – Ni le temps, ni le lieu ne sont marqués, et il n’est pas possible de les déterminer avec certitude. On peut dire toutefois, pour ce qui concerne le premier point, que le repas chez Simon dût suivre d’assez près le grand miracle de Naïm et le message de S. Jean‑Baptiste. C’est du moins ce qui ressort de l’ensemble du récit. Quant au second, les exégètes ont nommé tour à tour Béthanie, Jérusalem, Magdala, Naïm et Capharnaüm. – Cette invitation paraît d’abord surprenante, car les Pharisiens, S. Luc nous l’a suffisamment démontré, étaient déjà en lutte ouverte avec Notre‑Seigneur. Cependant Jésus n’avait pas encore complètement rompu avec eux, et l’on ne voit pas pourquoi il n’y aurait pas eu, même dans leurs rangs, quelques particuliers bien disposés en sa faveur. Du reste, la suite des faits nous prouvera que la réception de Simon fut pleine de réserve et de froideur. On dirait que cet homme était hésitant au sujet de Jésus, et qu’il l’invitait précisément pour avoir l’occasion de l’observer de près. – Le divin Maître accepta de dîner chez Simon le Pharisien comme il avait accepté de dîner chez le publicain Lévi. Il ne recherchait pas ces sortes de fête, mais il ne les évitait pas non plus, car il y accomplissait tout aussi bien qu’ailleurs l’œuvre de son Père céleste. – Pour la suite de la narration, le lecteur doit se souvenir que le festin avait lieu à l’orientale. La posture des convives « tenait le milieu entre se coucher tout à fait et s’asseoir : les jambes et la partie inférieur du corps étaient étendues de toute leur longueur sur un sofa, pendant que la partie supérieure du corps était légèrement élevée et supportée sur le coude gauche, qui reposait sur un oreiller ou un coussin ; le bras droit et la main droite étaient ainsi laissés libres pour qu’ils pussent s’étendre et prendre de la nourriture ». La table, vers laquelle se trouvait tournée la tête des convives, était au centre de l’hémicycle formé par les divans : chacun avait par conséquent les pieds en dehors (« derrière », v. 38), du côté de l’espace réservé aux serviteurs.

Luc 7.37 Et voici qu’une femme qui menait dans la ville une vie déréglée, ayant su qu’il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum,Et voici… ce « voici » marque très bien le caractère imprévu, inopiné de l’apparition. – Elle menait une vie déréglée : elle était pécheresse. Ce qui désigne une vie de luxure. C’est en vain que divers auteurs ont essayé de réduire la culpabilité à une vie simplement mondaine : ils ont contre eux « la constante opinion de tous les anciens auteurs » (Maldonat), et l’usage analogue du mot pécheresse dans toutes les langues classiques.  S. Augustin, Serm. 99 : « elle s’approcha du Seigneur, afin de revenir purifiée de ses souillures, guérie de sa maladie ». Simon ne se serait pas autant formalisé de l’accueil charitable qu’elle reçut de Jésus, si elle eût fait oublier son ancienne condition par une longue pénitence, sa vie de péché était sa vie actuelle et non une vie passée dont elle se serait détournée. Quel serait d’ailleurs, dans ce cas, le sens de l’absolution que lui donne Jésus ? C’est donc tout récemment qu’elle s’était décidée à changer de vie, et elle venait, en ce moment même, demander son pardon au Sauveur. Peut‑être avait‑elle été vivement impressionnée par quelqu’une des dernières paroles de Jésus, notamment par le « Venez à moi, vous tous… », Matth. 11, 28 et ss. – Les habitudes si rigides de l’Occident nous font trouver étrange, de prime‑abord, une démarche empreinte de tant de liberté. Mais elle s’accorde fort bien avec les usages plus familiers de l’Orient. On ne saurait nier pourtant qu’il n’y eut une sainte audace et un noble courage dans l’acte de la pécheresse. « Vous avez vu aussi une femme fameuse ou plutôt diffamée pour ses désordres dans toute la ville, entrant hardiment dans la salle à manger où était son médecin et cherchant la santé avec une sainte impudeur. Si son entrée importunait les convives, elle venait pourtant fort à propos réclamer un bienfait ». S. Augustin, l. c. « Parce qu’elle regarda les taches de sa turpitude, elle courut les laver à la fontaine de la miséricorde, sans éprouver de honte devant ses amis, car, rougissant de se voir elle‑même dans cet état, elle ne pensa pas avoir à rougir du jugement d’autrui ». S. Grégoire le Grand, Hom. 33 in Evang. – Un vase d’albâtre. Cf. S. Matth 26, 7, le commentaire.

Luc 7.38 et se tenant derrière lui, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à les arroser de ses larmes et à les essuyer avec les cheveux de sa tête et elle les baisait et les oignait de parfum. La description est pittoresque. A peine entrée dans la salle du festin, la pécheresse eut bientôt reconnu la place du Sauveur. La voilà debout à l’extrémité inférieure du divan, auprès des pieds sacrés de Jésus, que le narrateur mentionne trois fois de suite, comme pour mieux faire ressortir l’humilité de son héroïne. Sans doute, le dessein de celle‑ci avait été de procéder immédiatement à l’onction ; mais tout à coup, vaincue par le sentiment de son vif repentir, elle se met à fondre en larmes. « Elle répandit des larmes, le sang du cœur », S. Aug. Toutefois, quel heureux parti elle tirera de cette circonstance même. S’agenouillant, elle commença par arroser de larmes ses pieds (les pieds de Jésus étaient nus, à la façon orientale) ; elle les essuya avec les cheveux de sa tête ; elle baisait ses pieds ; enfin, elle put accomplir l’onction pieuse qu’elle avait surtout projetée. Elle ne prononça pas une seule parole ; mais quelle éloquence dans toute sa conduite. Ses divers actes n’ont rien que de naturel : tout autre cœur contrit et aimant les eût facilement inventés. D’ailleurs, on peut rapprocher de chacun d’eux des détails analogues, empruntés aux coutumes de l’antiquité, qui les rendent plus naturels encore. « Après avoir enlevé les sandales, on parfume les pieds », écrit Quinte‑Curce (8, 9) des monarques indiens. Tite‑Live, 3, 7, nous montre, en un temps de grande détresse, les femmes « balayant les temples avec des cheveux » dans l’espoir de calmer ainsi les dieux irrités. Toutes les marques de respect témoignées à Jésus par la pécheresse avaient lieu quelquefois à l’égard des Rabbins célèbres.

Luc 7.39 A cette vue, le Pharisien qui l’avait invité, dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche et que c’est une pécheresse. » – Frappant contraste psychologique. Nous disions plus haut que ce Pharisien semble n’avoir pas eu alors d’opinion bien arrêtée au sujet de Jésus. Sa foi naissante, supposé qu’elle existât, fut soumise en ce moment à une rude épreuve. Il avait assisté à la scène précédente avec la plus profonde stupéfaction. Sa réflexion prouve qu’il n’avait absolument rien compris à un spectacle dont les anges du ciel avaient été ravis. Il discute le cas en vrai disciple de ces Pharisiens pour lesquels la question du pur et de l’impur tout extérieurs, primait toutes les autres. – La femme qui le touche : cette expression technique ne pouvait manquer d’apparaître ici. Après tout, à la demande « A quelle distance d’une courtisane faut‑il s’éloigner ? » le pieux et docte Rabbi Chasada n’avait‑il pas nettement répondu : « A quatre coudées » ? Et voilà que Jésus ne craignait pas de se laisser toucher par une femme de ce genre. « Ah! si une semblable s’était approchée des pieds de ce Pharisien, il aurait dit sans aucun doute ce qu’Isaïe prête à ces orgueilleux: « Éloigne‑toi de moi, garde‑toi de me toucher, car je suis pur. » S. Augustin, Serm. 99. Simon conclut donc que Jésus ne méritait pas le titre glorieux que l’opinion publique se plaisait alors à lui décerner (cf. 7, 16). Le raisonnement qui traversa son esprit consista dans le dilemme suivant : Ou bien Jésus ignore le vrai caractère de cette femme, et alors il ne possède pas le don de discerner les esprits qui est habituellement la marque des envoyés de Dieu ; ou bien il sait quelle est celle qui le touche, et alors il n’est pas saint, autrement il frémirait à son contact profane. Ce raisonnement avait pour base la croyance, appuyée sur divers faits bibliques (cf. Isaïe 11, 3, 4 ; 1 Rois 14, 6 ; 2 Rois 1, 3 ; 5, 6 ; etc.) et à peu près générale chez les Juifs contemporains de Jésus (cf. Jean 1, 47-49 ; 2, 25 ; 4, 29, etc.) que tout vrai prophète pouvait lire au fond des cœurs.

Luc 7.40 Alors prenant la parole, Jésus lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. »  « Maître, parlez », dit-il. – Jésus a discerné les pensées les plus intimes de son hôte (« le Seigneur entendit la pensée du Pharisien », S. Aug., Serm. 99), et c’est à elles qu’il répond. Il démontrera ainsi au Pharisien sceptique qu’il est capable, comme les plus grands prophètes, de scruter le secret des âmes. – Simon… Quelle suavité dans cette réprimande. Du reste, la bonté éclatera jusqu’à la fin du récit. Jésus dut parler néanmoins d’un ton grave et pénétrant. – Maître, parlez… Simon ne pouvait pas adresser à Jésus une réponse plus polie. L’appellation de Rabbi, qu’il lui adresse sans hésiter, est pleine de respect.

Luc 7.41 Un créancier avait deux débiteurs, l’un devait cinq cents deniers et l’autre cinquante. 42 Comme ils n’avaient pas de quoi payer leur dette, il en fit grâce à tous deux. Lequel donc d’entre eux l’aimera davantage ? » – Ce que Jésus avait à dire à son hôte, c’était d’abord une parabole, vv. 41 et 42, sous le voile de laquelle il lui présentera délicatement une profonde vérité ; c’était ensuite, vv. 44-47, l’application de cette même vérité en un langage claire et direct. – La parabole des deux débiteurs n’est pas sans analogie avec celle que cite S. Matthieu, 18, 23-35 ; mais, outre que cette dernière est beaucoup plus développée, la morale des deux pièces n’est pas du tout la même, et la plupart des détails diffèrent entièrement. – Deux débiteurs. Les dettes variaient dans la proportion de dix à un. Elles étaient l’une et l’autre peu considérables, car la pièce d’argent que les Romains nommaient denier valait le salaire d’une journée de travail. Les deux débiteurs sont également insolvables. ils n’avaient pas de quoi payer leur dette. Idée parfaitement juste, car les pécheurs, dont ils sont la figure, ne pourront jamais par eux‑mêmes, quoi qu’ils fassent, s’acquitter à l’égard de Dieu. Mais le créancier est d’une miséricorde infinie : il remet à chacun ses dettes. – Conclusion : de quel côté sera la plus grande reconnaissance ?

Luc 7.43 Simon répondit : « Celui, je pense, auquel il a fait grâce de la plus forte somme. » Jésus lui dit : « Tu as bien jugé. » – Ainsi interpellé, Simon décide le cas que Notre‑Seigneur lui proposait. Se doutait‑il qu’il était, dans la pensée de l’interrogateur, l’un des débiteurs de la parabole, et qu’on allait tirer de sa réponse un argument contre lui ?

Luc 7.44 Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : « Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison et tu n’as pas versé d’eau sur mes pieds, mais elle, elle les a mouillés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. – Jésus passe à l’application de la parabole. – Se tournant vers la femme est pittoresque. La pécheresse était toujours derrière Jésus (v. 38), et le Sauveur ne l’avait pas encore regardée : il se tourne maintenant vers elle ; puis il commence par une parole expressive (tu vois cette femme), et poursuit par un contraste frappant, établi entre la conduite de Simon à son égard et celle de l’humble femme. – Premier élément : Tu ne m’as pas donné d’eau pour mes pieds… L’hôte s’était dispensé envers Jésus de ce premier devoir de l’hospitalité orientale, auquel on attachait une certaine importance dans cette contrée poudreuse où l’on n’a généralement que des sandales pour toute chaussure (cf. Genèse 18, 4 ; 19, 1 ; Juges 19, 21 ; 1 Samuel 25, 41 ; 2 Thessaloniciens 5, 10). – Elle a arrosé mes pieds de ses larmes… La pécheresse a lavé les pieds de Jésus avec ses larmes, et elle les a essuyés avec ses cheveux.

Luc 7.45 Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis que je suis entré, elle n’a cessé de me baiser les pieds. – Second élément : Tu ne m’as pas donné de baiser. Telle a toujours été, même entre hommes, la salutation habituelle de l’Orient. Ce baiser devenait, suivant les circonstances, un signe d’affection ou de respect. Simon l’avait également supprimé à l’égard de Jésus. Mais, par contre, elle… n’a pas cessé de baiser mes pieds.

Luc 7.46 Tu n’as pas oint ma tête d’huile, mais elle a oint mes pieds de parfum. – Troisième élément : Tu n’as pas oint ma tête… Autre pratique ancienne et moderne de l’Orient. cf. Psaume 22, 5 ; 44, 7 ; 65, 5, etc. Les quelques gouttes d’huile d’olive qu’on avait refusé de répandre sur la tête de Jésus avaient été largement compensées par le parfum précieux qu’une main amie et généreuse venait de verser sur ses pieds. Comme ce rapprochement tout entier est réussi. Il n’était pas possible de mieux montrer, dans la réserve calculée de Simon, le manque complet d’affection, et, dans les attentions délicates de l’étrangère, les signes d’une brûlante charité.

Luc 7.47 C’est pourquoi, je te le déclare, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé, mais celui à qui l’on pardonne peu, aime peu. » – Ce verset est célèbre dans l’histoire de l’exégèse, à cause de la controverse ardente qu’il a suscitée entre les catholiques et les protestants. Pour ces derniers, qui prétendent que la foi seule justifie, il contient une parole extrêmement embarrassante, beaucoup de péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé : aussi ont‑ils tout fait pour lui enlever sa signification naturelle ; mais en vain, car elle est de la plus grande clarté. Jésus ne pouvait dire en termes plus évidents que la pécheresse avait mérité son pardon par la perfection de son amour. cf. Bellarmin, de Poenit. Lib. 1, c. 19. Du reste la même doctrine est exprimée ailleurs tout aussi nettement. cf. 1 Pierre 4, 8. Aujourd’hui, la discussion s’est notablement calmée, et plusieurs commentateurs protestants interprètent ce passage tout à fait comme nous. Voir dans Maldonat, in h. l., la manière dont se l’appropriaient autrefois les deux partis. Il est vrai que la conclusion, « Ses nombreux péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé », cause d’abord une certaine surprise, parce qu’elle n’est pas tout à fait celle que l’on attend. D’après le v. 42, la manifestation d’une charité plus vive semblerait devoir être la conséquence et non le motif d’un pardon plus intégral. Pour échapper à cette difficulté, on a parfois proposé le sens suivant : Elle a reçu la remise d’une dette considérable, c’est pourquoi elle a témoigné beaucoup d’amour. Mais cette interprétation, qui est peu conciliable avec les lois de la grammaire, a été généralement abandonnée. Au fond la difficulté est plus apparente que réelle, et, comme le dit fort bien M. Schegg, ce sont les exégètes eux‑mêmes qui l’ont créée, en supposant d’une façon toute gratuite que Notre‑Seigneur voulait suivre ici pas à pas la parabole qu’il avait exposée précédemment, rattacher d’une manière rigoureuse, anxieuse, l’application à l’exemple, tandis qu’il procède, comme toujours, avec l’ampleur et la liberté de l’Orient. Au surplus, il suffit d’un peu de réflexion pour se convaincre que l’enchaînement des pensées est parfait. Jésus vient de décrire les actes touchants qu’une vive charité unie à un repentir profond avait suggérés à l’humble femme agenouillée à ses pieds : n’était‑il pas naturel et logique qu’au moment de notifier la rémission des péchés il indiquât quelle en avait été la cause la plus méritoire ? Il l’a fait pour nous consoler et nous instruire. Ainsi donc, l’amour précède le pardon comme un motif qui agit puissamment sur le cœur de Dieu ; d’un autre côté l’amour suit le pardon comme une conséquence toute légitime, étant excité dans notre cœur par la contemplation des divines miséricordes. On conçoit par là que les ardeurs de la charité, environnant le péché de toutes parts, finissent par en consumer la malice ; mais on ne voit pas de quelle manière les simples rayons de la foi réussiraient à produire cet heureux résultat. – Celui auquel on remet le moins… Grave « Nota bene » qui retombe en plein sur Simon, quoique Jésus, dans sa bonté, l’ai revêtu d’une forme générale. « Le Sauveur, en énonçant cette maxime, avait en vue ce Pharisien qui s’imaginait n’avoir que peu ou même pas de péchés… Si tu aimes si peu, ô Pharisien, c’est que tu te figures qu’on te remet peu ; ce n’est pas que réellement on te remette peu, c’est que tu te le figures ». S. August., Serm. 99. En passant du fait concret à l’axiome, Notre‑Seigneur renverse en outre sa pensée, pour lui donner plus de force sous ce nouvel aspect. Mais la vérité exprimée est bien la même, car la phrase : Celui à qui l’on pardonne peu, aime peu, ne diffère pas essentiellement de cette autre phrase : à celui qui aime peu, l’on pardonne peu. On trouve fréquemment dans les Livres sapientiaux de la Bible (Job, Psaumes, Proverbes, EcclésiasteCantique des Cantiques, Sagesse, Ecclésiastique) des interversions analogues, destinées à mieux mettre une idée en relief.

Luc 7.48 Puis il dit à la femme : « Tes péchés te sont pardonnés. » – Pour la première fois depuis le début de cette scène, Jésus adresse directement la parole à la pécheresse. Ce sera pour lui donner l’assurance solennel de son entier pardon. – Tes péchés te sont remis. Plus haut, Jésus avait ajouté à « péchés » l’épithète « nombreux » ; il la supprime délicatement dans sa formule directe d’absolution.

Luc 7.49 Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est celui-ci qui remet même les péchés ? »En eux‑mêmes : chacun au fond de son cœur. Il n’y eut pas, du moins immédiatement, échange de réflexions entre les invités. – Qui est celui‑ci, qui remet les péchés… « On peut donner deux sens à ces paroles, l’un bon et l’autre mauvais. Le bon est de dire que les assistants… admirent ici la plénitude du pouvoir de Jésus‑Christ, qui peut aussi remettre les péchés. Il faut que cet homme ne soit pas un simple prophète, parce que non‑seulement il ressuscite les morts, mais aussi il pardonne les péchés (Grotius et d’autres). Le mauvais sens est de dire dans un esprit de critique : Cet homme est un blasphémateur. Qui peut remettre les péchés si ce n’est Dieu ? ». Calmet, h. l. Tout porte à croire que ce second sens est le vrai. cf. 5, 21 ; Marc. 2, 7.

Luc 7.50 Mais Jésus dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée, va en paix. » – Sans s’inquiéter de ces protestations injustes qu’il lisait au plus profond des consciences, et qui se manifestaient d’ailleurs probablement sur la physionomie des convives, Jésus adresse à la convertie une seconde parole, pour la congédier doucement. En lui disant que c’est sa foi qui l’a sauvée, il ne détruit pas son assertion du v. 47 ; car ce n’est pas la foi seule, mais la foi active dans la charité, qui avait accompli l’œuvre de régénération. L’union de la foi et de l’amour avait été nécessaire pour cela. « C’est la foi qui avait conduit la femme au Christ, et sans la foi personne n’aimerait le Christ au point de lui laver les pieds avec ses larmes, les essuyer avec ses cheveux, les oindre avec du parfum. La foi commença le salut ; la charité le consomma. », Maldonat. – Tel est ce beau récit, qu’on a justement appelé un « Évangile dans l’Évangile ». On voit maintenant qu’il avait sa place toute marquée dans les pages de S. Luc, où l’universalité du salut est si clairement annoncée. Voyez la Préface, § 5. Bien des peintres ont essayé de le retracer après notre évangéliste (en particulier Jouvenet, Paul Véronèse, le Tintoret, Nicolas Poussin, Rubens, Lebrun). S. Grégoire, dans la belle homélie 33 qu’il lui consacre, et où il commence par dire d’une manière si pathétique qu’au souvenir d’une pareille scène il lui serait plus facile de pleurer que de prêcher, en fait une excellente application morale. Le Pharisien figure ceux qui présument de leur fausse justice. Et la femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur en pleurant, figure les païens convertis. « Elle est venue avec son vase d’albâtre, elle a répandu le parfum, elle s’est tenue derrière le Seigneur, à ses pieds, les a arrosés de ses larmes et essuyés de ses cheveux, et ces mêmes pieds qu’elle arrosait et essuyait, elle n’a cessé de les baiser. C’est donc bien nous que cette femme représente, pour autant que nous revenions de tout notre cœur au Seigneur après avoir péché et que nous imitions les pleurs de sa pénitence. ». – Mais quelle était cette femme ? Il nous reste à le chercher rapidement. Depuis l’époque et grâce à l’autorité de S. Grégoire‑le‑Grand, qui le premier soutint cette opinion en termes clairs et formels, on a toujours généralement supposé dans l’Église latine que la pécheresse de S. Luc, Marie‑Madeleine, et Marie sœur de Lazare se confondent en une seule et même personne. L’office de saint Marie‑Madeleine, tel qu’il existe depuis des siècles dans la liturgie romaine (voyez le Bréviaire et le Missel romains, au 22 juillet), exprime nettement l’identité, et, quoique l’Église ne veuille pas se faire garant infaillible de tous les détails historiques contenus dans ses prières officielles, on ne saurait nier que ce fait constituer un argument digne de tout notre respect. Il est vrai que la tradition des premiers siècles est souvent douteuse, embarrassée, parfois même contraire à la croyance actuelle. Origène, et plus tard Théophylacte, Euthymius, admettent trois saintes femmes distinctes, et tel est encore le sentiment de l’Église grecque, qui célèbre séparément la fête de la pécheresse pénitente, de Marie‑Madeleine et de Marie sœur de Lazare. Si S. Jean Chrysostome identifie la première et la seconde, il distingue clairement celle‑ci de la troisième. S. Ambroise est hésitant : « elle peut ne pas être la même », dit‑il. S. Jérôme est tantôt favorable, tantôt opposé à l’identité. D’autre part, il est certain que le texte évangélique semble de prime abord plus conforme à la distinction. « S. Luc, 7, 37 (nous citons les réflexions de Bossuet, Sur les trois Magdeleines, Œuvres, édit. De Versailles, t. 43, p. 3 et ss.) parle de la femme pécheresse qui vint chez Simon le Pharisien laver de ses larmes les pieds de Jésus, les essuyer de ses cheveux, et les parfumer. Il ne la nomme pas. 8, 3, deux versets après la fin de l’histoire précédente, il nomme, entre les femmes qui suivaient Jésus, Marie‑Madeleine, dont il avait chassé sept démons. 10, 39, il dit que Marthe, qui reçut Jésus chez elle, avait une sœur nommée Marie. Ces trois passages semblent marquer plus aisément trois personnes différentes que la même. Car il est bien difficile de croire que si la pécheresse était Magdeleine, il ne l’eût pas nommée d’abord, plutôt que deux versets après, où non seulement il la nomme, mais la désigne par ce qui la faisait le plus connaître, d’avoir été délivrée de sept démons. Et il semble nous parler de Marie, sœur de Marthe, comme d’une nouvelle personne dont il n’a pas encore parlé. S. Jean parle de Marie, sœur de Marthe et de Lazare, 11, et 12. Dans ces deux chapitres, il ne la nomme jamais que Marie, comme S. Luc ; et toutefois dans les chapitres 19 et 20, où il parle de Marie‑Madeleine, il répète souvent ce surnom… Il est donc plus conforme à la lettre de l’Évangile de distinguer ces trois saintes : la pécheresse qui vint chez Simon le Pharisien ; Marie, sœur de Marthe et de Lazare ; et Marie‑Magdeleine ».  Cette difficulté exégétique est très réelle, comme s’accordent à le reconnaître les meilleurs exégètes (voyez en particulier MM. Bisping, Schegg, Curci, Patrizi). Aussi a‑t‑elle suscité en France, pendant le 16è et le 17è siècle, contre l’identité des trois saintes femmes, un mouvement assez accentué, auquel prirent part non seulement des hommes ardents et inconsidérés comme Launoy et Dupin, mais des savants de la trempe de Tillemont, d’Estius, de D. Calmet, et notre grand Bossuet lui‑même, ainsi qu’on l’a vu plus haut. Nous n’avons pas la prétention de la résoudre, et nous avouons même que nous avons été très fortement influencé par elle. Néanmoins, il nous semble qu’on peut lui opposer avec assez de succès la considération suivante.

Entre la pécheresse que nous venons de contempler aux pieds de Jésus, et Marie‑Madeleine telle que la représentent les récits de la Passion et de la Résurrection, il existe certainement une frappante ressemblance de caractère. C’est, de part et d’autre, le même dévouement sans bornes pour la personne sacrée du Sauveur, la même nature d’âme et d’activité : aussi l’identification est‑elle plus aisée pour ce qui les concerne. Mais il n’est pas moins remarquable de voir, quand on étudie l’histoire évangélique de Marie, sœur de Lazare, qu’en elle aussi se manifeste un caractère analogue à celui de la pécheresse et de Madeleine. Son âme est pareillement aimante et généreuse, contemplative, calme et saintement enthousiaste ; il n’y a pas jusqu’à son attitude aux pieds de Notre‑Seigneur qui ne rappelle celle de la femme pénitente chez Simon le Pharisien, celle de Marie‑Madeleine auprès du tombeau et du divin ressuscité. – Nous aurons plus tard l’occasion de signaler d’autres arguments exégétiques qui ont aussi leur force.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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