CHAPITRE 8
Luc 8.1 Ensuite Jésus cheminait par les villes et par les villages, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les Douze étaient avec lui, Nouvelle période de la vie de Jésus, période de grande activité, de succès et de joies. – Il allait de ci de là à travers la contrée, évangélisant tour à tour les grandes et les petites localités, selon qu’elles se présentaient sur son passage. L’imparfait marque un fait habituel, constamment renouvelé durant la période dont S. Luc nous donne ici un résumé rapide. – Prêchant, exprime une notion plus générale. – Les douze… De Jésus, l’évangéliste passe à son entourage. Les Douze en composaient naturellement la partie principale : le sacré collège, constitué depuis un certain temps d’une manière définitive, accompagne désormais Jésus en tous lieux, à part de rares exceptions, se formant à sa divine école.
Luc 8.2 ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons, 3 Jeanne, femme de Chusa, intendant d’Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui l’assistaient de leurs biens. – détail complètement nouveau, qui a bien lieu de nous frapper. Il y a quelques mots à peine (cf. Jean 4, 27), les disciples s’étonnaient de voir leur Maître s’entretenir en public avec une femme, et voici maintenant que plusieurs femmes l’accompagnent fréquemment dans ses voyages. S. Jérôme rapporte, il est vrai (in Matth. 27, 56), que, d’après une coutume appuyée sur une ancienne tradition, les femmes juives aimaient à fournir aux Rabbins des vêtements et tout ce qui était nécessaire à leur entretien ; et, en réalité, le Talmud encourage fort ces pieuses pratiques : « Quiconque, dit‑il, reçoit chez lui un disciple des sages, le nourrit, l’abreuve, et lui donne de son bien, fait la même chose que s’il offrait un sacrifice quotidien », Neveh Schalom, f. 156. Mais on ne voit nulle part que des femmes les aient suivis dans leurs prédications itinérantes. Notre‑Seigneur Jésus‑Christ innove donc sous ce rapport, et lui seul pouvait le faire en un point si délicat. Il rompt de sa main divine le cercle étroit que l’Orient avait tracé autour de la femme ; il l’émancipe d’après le sens le plus noble de cette expression, et lui ouvre le large champ des bonne œuvres dans l’Église chrétienne. – Qui avaient été guéries… Ces mots nous révèlent le motif principal qui avait attaché ces saintes femmes à la personne du Sauveur : elles le suivaient par reconnaissance, car elles avaient reçu de lui de grandes faveurs, soit qu’il les eût délivrées de possession démoniaque, soit qu’il leur eût accordé la guérison de quelque grave maladie ou infirmité. Trois d’entre elles sont mentionnées à part : 1° Marie, appelée Madeleine. Ce surnom de Madeleine a été différemment interprété. Origène, Tract. in Matth. 35, y voit une allusion prophétique à la grandeur morale dont Marie devait jouir en servant Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. D’autres cherchent l’étymologie de Magdeleine dans Magdala, nom d’une petite ville située sur le rivage occidental du lac de Tibériade (voyez S. Matth.). Marie aurait donc été surnommée Magdeleine parce qu’elle était originaire de Magdala. S. Jérôme, jouant sur ce nom de Magdala ou Migdol, qui signifie tour, écrivait : « Elle a été appelée correctement Madeleine, mot qui signifie munie d’une tour, à cause de la constance de sa foi et de son amour ». – Le détail qui suit, de laquelle sept démons étaient sortis, a semblablement divisé les exégètes. Deux explications existent à son sujet, l’une littérale, l’autre symbolique. S. Ambroise, et beaucoup d’autres à sa suite, croient que Marie avait été réellement possédée par plusieurs esprits mauvais (sept est un nombre rond pour désigner la pluralité, selon la mode hébraïque), en châtiment de sa conduite immorale ; S. Grégoire (Hom. 33 in Evang.), Bède le Vénérable et un grand nombre d’auteurs voient dans ces mots un symbole de la conversion de Marie. Il est en effet assez conforme au langage figuré des Juifs de traiter les vices comme des démons incarnés dans les âmes. « Le mal a été disposé par Satan », disaient‑ils ; ou encore : « l’ébriété… est un démon ». Mais, d’un autre côté, l’évangéliste a dit expressément que plusieurs des femmes qui accompagnaient Jésus avaient été guéries « d’esprits immondes », circonstance qui nous paraît rendre la première interprétation plus vraisemblable. Le fait que signale S. Luc est aussi mentionné dans le second Évangile, 16, 9, où l’action directe du Sauveur est mieux mise en relief : « dont il avait expulsé sept démons ». – 2° Jeanne. Le mari de cette sainte femme, Chusa, intendant d’Hérode, est identifié par quelques commentateurs avec l’officier royal dont Jésus avait guéri le fils d’après S. Jean, 4, 46 et ss. C’est là toutefois une simple conjoncture. Nous retrouverons plus tard saint Jeanne avec Marie Madeleine auprès du tombeau de Jésus ressuscité, 24, 10. 3° Suzanne. Nom célèbre dans l’Ancien Testament : il signifie lis ; mais la sainte amie de Jésus qui le portait nous est tout à fait inconnue. – Et plusieurs autres. La suite de la vie de Notre‑Seigneur nous apprendra à en connaître quelques autres, par exemple, Salomé. L’évangéliste ne veut pas dire qu’elles aient constamment et toutes ensemble accompagné le Sauveur : les circonstances ne l’auraient pas toujours permis. C’étaient du moins tantôt celles‑ci, tantôt celles‑là, qui se joignaient à lui, et qui pourvoyaient pieusement à tous ses besoins et à ceux de ses disciples : elles l’assistaient de leurs biens. Sur ce sens spécial de assistaient, voyez Romains 15, 25 ; 2 Corinthiens 8, 19-20. Le Fils de Dieu, qui daigne manger le pain de la charité. – Arrêtons‑nous un instant pour voir passer devant nous la troupe sacrée dont nous venons de signaler les membres principaux. Jésus est au milieu des Douze, qui l’entourent avec affection et respect. Les uns sont en avant, les autres à ses côtés, le reste par derrière, mais tous aussi près de lui que possible, afin de ne rien perdre de ses célestes leçons. Le plus souvent c’est lui qui parle ; toutefois, il permet volontiers à ses apôtres de l’interroger familièrement. A quelque distance, marchent plusieurs femmes voilées. Elles sont munies de paniers à provisions, et conversent entre elles. Jésus est le centre ; sa physionomie est d’une grande beauté. Sa tête n’est pas nue, l’usage ne le permettait pas ; contrairement aux représentations habituelles des peintres, elle est couverte d’un soudar (le koufieh des Arabes), c’est‑à‑dire d’un mouchoir attaché sous le menton et flottant sur le cou et sur les épaules. Son vêtement principal consiste en une longue tunique, qui recouvre tout le corps, ne laissant à découvert que les mains et les pieds. Elle est de couleur grisâtre striée de rouge. Par‑dessus cette tunique Jésus porte un tallith (manteau) bleu, dont les amples replis permettent à peine d’entrevoir par instants la kouttoneth (tunique), et la ceinture qui la relève vers la taille. Enfin ses pieds nus sont chaussés de sandales. Telle était la figure humaine du Verbe divin.
Luc 8, 4-15 = Matth. 13, 1-23 ; Marc, 4, 1-20.
S. Luc est encore moins complet que S. Marc relativement aux paraboles dites du royaume des cieux. Il se borne à en rapporter trois, celle du semeur, celle du grain de sénevé et celle du levain. Ces deux dernières ne viendront même que beaucoup plus loin dans sa narration, 13, 18-21. C’est donc au premier évangéliste qu’appartient le mérite d’avoir le mieux exposé le premier groupe des paraboles de Jésus.
Luc 8.4 Une grande foule s’étant amassée et des gens étant venus à lui de diverses villes, Jésus dit en parabole : – Comme les deux autres synoptiques, S. Luc relève d’abord le prodigieux concours de peuple en face duquel fut prononcée la première parabole du royaume des cieux. De chacune des villes traversées par Jésus on se précipitait sur ses pas, afin de le voir et de l’entendre encore : c’était un contingent qui grossissait toujours, jusqu’à ce qu’on arrivât aux bords du lac de Tibériade ; car tel fut, d’après S. Matthieu et S. Marc, le théâtre du présent épisode. – Jésus dit en parabole : Sur cette forme d’enseignement qui dissimule à demi les choses célestes sous un vêtement humain, et qui correspond par conséquent si bien à l’Incarnation du Verbe, voyez S. Matth.
Luc 8.5 « Le semeur sortit pour semer et pendant qu’il semait, une partie tomba le long du chemin et elle fut foulée aux pieds et les oiseaux du ciel la mangèrent. 6 Une autre partie tomba sur la pierre et, aussitôt levée, elle sécha, parce qu’elle n’avait pas d’humidité. 7 Une autre partie tomba parmi les épines et les épines croissant avec elle l’étouffèrent. 8 Une autre partie tomba dans la bonne terre et ayant levé, elle donna du fruit au centuple. » Parlant ainsi, il disait à haute voix : « Que celui qui a des oreilles entende. » – Assis sur une barque, et ayant en face de lui son nombreux auditoire rassemblé sur le rivage (Matth. 13, 2 ; Marc. 4, 1), Jésus donne à son Église un enseignement d’une très grande importance. Il indique quels sont les principaux obstacles que rencontre dans chaque âme la prédication de la parole divine, ces graines jetées en terre par l’agriculteur en sont le parfait emblème. Le grain matériel tombe sur quatre sortes de terrains et a, par suite, quatre destinées très distinctes. 1° Il y a le terrain durci par les pieds des passants, v. 5 ; la semence n’y pénètre même pas, mais elle est perdue toute entière lorsqu’elle y tombe, soit qu’elle soit bientôt écrasée (détail propre à S. Luc), soit qu’elle serve de pâture aux oiseaux du ciel. Pour elle il ne saurait donc être question de germination ; aussi le verbe lever, répété dans les vv. 6, et 8, ne paraît‑il pas au v. 5. 2° Il y a le terrain sans profondeur, à base de rocher, car tel est le sens de « sur la pierre » : la graine y germe d’abord promptement, mais elle périt ensuite faute d’humidité (nouveau détail spécial ; toutefois S. Matthieu et S. Marc distinguent mieux les deux causes de ruine, l’aridité d’en bas et la chaleur d’en haut). 3° Il y a le terrain déjà occupé par d’autres semences envahissantes (parmi les épines : les grains bons et mauvais croissent ensemble ; mais les bonnes herbes ne tardent pas à être étouffées par les mauvaises. Ovide, Métam., 5, 483 et ss., énumérant les divers obstacles qui désappointent les espérances du semeur, a plus d’un détail commun avec notre parabole : « Les semences périssent en naissant, brûlées par les feux du soleil, ou inondées par des torrents de pluie. Les astres et les vents exercent de funestes influences. D’avides oiseaux dévorent les grains que l’on confie à la terre ; et l’ivraie, le chardon, et l’herbe parasite, détruisent les moissons. »
4° Il y a enfin le terrain bien préparé, dans lequel la graine ne trouve aucun obstacle : elle croît donc à merveille et produit cent pour un. S. Luc est ici moins complet que S. Matthieu et que S. Marc, car il signale seulement un degré de production : il est vrai qu’il a choisi le plus favorable. – La formule que celui qui a des oreilles entende … qui termine la parabole dans les trois rédactions, est introduite de façon emphatique : Le divin prédicateur attirait ainsi l’attention de la foule sur les paroles importantes qu’il venait de prononcer.
Luc 8.9 Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole : – Nous sommes surpris d’abord de voir que les disciples n’aient pas immédiatement compris les mystères cachés sous le voile de la semence et de ses différentes destinées.
Luc 8.10 « A vous, leur dit-il, il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, tandis qu’aux autres, il est annoncé en paraboles, de sorte qu’en voyant ils ne voient pas et qu’en entendant ils ne comprennent pas. – A la question particulière des disciples, Jésus rattache une explication générale, dont l’objet est d’indiquer le motif pour lequel le divin enseignement retentira désormais aux oreilles du peuple sous la forme obscure des paraboles. Notre‑Seigneur distingue deux catégories d’hommes relativement à lui : les amis fidèles pour lesquels il n’y a pas de secret, puis « les autres », les ennemis ou les indifférents. A ceux‑ci, ajoute‑t‑il, je parlerai en paraboles, et ce sera un châtiment : pour que regardant, ils ne voient pas… Voyez dans S. Matthieu, 13, 11-17, la pensée complète du Sauveur. S. Luc la donne, comme S. Marc, en termes très condensés.
Luc 8.11 Voici ce que signifie cette parabole : La semence, c’est la parole de Dieu. 12 Ceux qui sont le long du chemin, ce sont ceux qui entendent la parole, mais ensuite le démon vient et l’enlève de leur cœur, de peur qu’ils ne croient et ne soient sauvés. 13 Ceux en qui on sème sur la pierre, ce sont ceux qui, entendant la parole, la reçoivent avec joie, mais ils n’ont pas de racine : ils croient pour un temps et ils succombent à l’heure de la tentation. 14 Ce qui est tombé sur les épines, représente ceux qui, ayant entendu la parole, se laissent peu à peu étouffer par les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie et ils n’arrivent pas à maturité. 15 Enfin, ce qui est tombé dans la bonne terre, représente ceux qui, ayant entendu la parole avec un cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la constance. – S. Matthieu cite d’une manière beaucoup plus complète les paroles de Notre‑Seigneur. Mth.13.13 : C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu‘en voyant, ils ne voient pas, et qu’en entendant, ils n’entendent ni ne comprennent. » ; voyez Matth. 13, 12‑15 et le commentaire . Nous copions ici le commentaire des versets correspondant dans l’Évangile selon S. Marc : « S. Marc en donne du moins un bon résumé ; sous une forme saisissante. — Afin que. — Bien que S. Marc ne mentionne pas le nom du prophète Isaïe, dont Jésus citait ici les paroles (Voyez S. Matthieu l. c. et Isaïe 6, 8‑10 :9 Il dit : « Va et dis à ce peuple : Entendez et ne comprenez pas, voyez et n’ayez pas l’intelligence. 10 Appesantis le cœur de ce peuple et rends dures ses oreilles et bouche-lui les yeux, en sorte qu’il ne voie pas de ses yeux et n’entende pas de ses oreilles et qu’il ne se convertisse pas et ne soit pas guéri. », il est aisé de reconnaître le passage prophétique sous cette forme condensée. « Quand Dieu dit à Isaïe : aveuglez le cœur de ce peuple, ce n’est pas que celui qui est la bonté et la sainteté même puisse avoir aucune part à la malice de l’homme : mais il prédit l’effet que la prédication de sa parole doit produire dans le cœur des juifs, comme s’il lui disait : éclairez ce peuple, faites-lui entendre ma volonté ; mais la lumière que vous lui présenterez ne servira qu’à l’aveugler davantage. Il se bouchera les oreilles et il fermera les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, et que son cœur ne se convertisse. C’est pourquoi l’on peut dire dans ces rencontres, que toute la gloire est due à Dieu et la confusion à l’homme ; parce que Dieu ne tend qu’à éclairer l’homme et à le guérir et que l’homme au contraire s’endurcit le cœur par les mêmes choses qui auraient dû le porter à se convertir. Ainsi lorsque l’œil qui est gâté par une mauvaise humeur, s’expose au soleil, il en devient encore plus malade. Et alors on n’accuse pas le soleil de cet effet si mauvais ; mais on l’attribue à l’indisposition de l’œil. » Cf. Isaïe traduit en françois avec une explication tirée des saints Pères et des Auteurs Ecclésiastiques, par Mr Le Maistre de Sacy prêtre, Bruxelles, p.49, édité par Eugène Henry Fricx, imprimeur de sa Majesté Impériale et Catholique, vis à vis de l’Église de la Madeleine, MDCCXXIV [1724]. Avec Approbations [catholiques] et Privilège de sa Majesté. « Marc s’inspire ici d’Isaïe 6, 9-10, d’après le texte araméen (Targum), qui annonçait l’échec du prophète dont la prédication devait aggraver le péché du peuple endurci. Ce texte a été repris dans l’Église primitive à propos de l’échec de la mission chrétienne auprès du peuple juif, dont l’endurcissement apparaissait ainsi annoncé par les prophètes et compris dans le dessein de Dieu (Jean 12,39-41 ; Actes 28, 26-28). La phrase inspirée d’Isaïe est ici introduite par un pour que qui exprime non pas quelque volonté de Jésus de cacher son message et d’empêcher ceux du dehors de se convertir, mais la conformité de son échec avec l’Écriture et le plan mystérieux de Dieu. La raison dernière de ce plan n’est pas donnée (voir Romains 11, 7-16.29-32) et l’idée du dessein de Dieu ne veut en rien atténuer la responsabilité de l’homme (…) » ; cf. La Bible Notes Intégrales Traduction Œcuménique, notes sur Marc 4, 12, p.2177, Paris, co-édition : Cerf – Biblio, 12ème édition, 2012. Sur la remarquable variante de S. Matthieu, voyez le commentaire de Matth. 13, 11. — N’obtiennent le pardon de leurs péchés. Voilà donc une partie du peuple qui est exclue du salut, parce qu’elle l’a elle‑même rejeté. S. Chrysostome : Ils voient donc, et ne voient pas ; ils entendent et ne comprennent pas. C’est à la grâce de Dieu qu’ils doivent de voir et d’entendre ; mais ce qu’ils voient ils ne le comprennent pas, parce qu’ils repoussent cette grâce, ils ferment leurs yeux, ils feignent de ne pas voir, ils résistent à la parole sainte ; ainsi, bien loin que le spectacle qu’ils ont sous les yeux et la prédication qu’ils entendent leur obtienne le changement de leur vie coupable, ils n’en deviennent au contraire que plus mauvais. Théophile : Dieu accorde la lumière et l’intelligence à ceux qui les demandent, mais il laisse les autres dans leur aveuglement, pour ne pas avoir à châtier plus rigoureusement des hommes qui, comprenant leurs devoirs, ont refusé de les accomplir . S. Augustin (quest. sur l’Evang.) (Quest. 14 sur St. Matth.) : ce sont leurs péchés qui les ont privés du don de l’intelligence. »
Relevons les particularités de S. Luc. 1° Les expressions ceux qui sont le long du chemin, v. 12, et ceux en qui on sème sur la pierre, v. 13, sont au premier regard étranges et hardies ; mais elles sont très exactes, surtout au moral, la parole divine et le cœur qui doit la faire fructifier ne faisant qu’un. 2° Les noms divers donnés au démon par nos trois évangélistes, le démon (S. Luc), le Malin (S. Matth.), Satan (S. Marc) sont une variante intéressante à noter. De peur qu’ils ne croient et ne soient sauvés (v. 12), les plaisirs de la vie (v. 14), avec un cœur bon et excellent et par la constance (v. 15), sont des détails spéciaux à S. Luc. Sa rédaction contient en outre plusieurs locutions originales ; sans être importants en eux‑mêmes, ces détails montrent l’indépendance des écrivains sacrés ; ils servent du reste à établir la vraie doctrine relativement à la composition des SS. Évangiles. Voyez l’Introduction générale. – S. Augustin, Serm. 73, 3, tire en très beaux termes la conclusion morale de la parabole du semeur : « Changez puisque vous le pouvez, retournez avec la charrue ce terrain durci, jetez les pierres de ce champ, arrachez‑en les épines. N’ayez pas ce cœur endurci où meurt aussitôt la parole de Dieu. Ne soyez pas cette terre légère où la charité ne saurait enfoncer ses racines. Gardez‑vous, d’étouffer par les soins et les passions du siècle, la bonne semence … Soyez une bonne terre ».
Luc 8, 16-18 = Marc. 4, 21-25.
Voir notre explication du passage parallèle chez S. Marc. L’idée dominante est qu’il faut que les disciples de Jésus écoutent avec attention sa parole, vu qu’ils seront chargés de la manifester au monde.
Luc 8.16 Il n’est personne qui, après avoir allumé une lampe, la couvre d’un vase, ou la mette sous un lit, mais on la met sur un chandelier, afin que ceux qui entrent voient la lumière. – Ces petites lampes à poignée, faites d’argile ou d’airain, ont été de tout temps utilisées en Orient. Quand on veut se passer momentanément de leur lumière, on peut aisément les placer sous un vase de quelque dimension, ou sous les divans, hauts d’un ou de deux pieds, qui servent pour les repas. Certains classiques font allusion à cette coutume : « Il a caché le poignard dans le coussin, et dissimulé la lampe sous le boisseau », Fulgentius, Myth. 3, c. 6. « Si la lumière a été couverte par quelque chose », Servius in Ǽn. 6, 724 ; etc. Au lieu de vase, S. Marc a boisseau, comme Fulgence. – Afin que ceux qui entrent voient la lumière est une particularité de notre évangéliste. La rédaction de ce verset a d’ailleurs le mérite d’être la plus vivante.
Luc 8.17 Car il n’y a rien de caché qui ne se découvre, rien de secret qui ne finisse par être connu et ne vienne au grand jour. – C’est la même pensée, avec les images en moins, et une petite explication en plus, ainsi qu’il ressort de la particule « car ». Les disciples de Jésus devront placer sur le chandelier la lumière des vérités évangéliques, car elle est faite pour éclairer le monde. Actuellement, il est vrai, l’Évangile est un secret que beaucoup ignorent ; mais ce secret est fait pour être révélé, connu de tous, mis au grand jour, selon que le dit Notre‑Seigneur dans une belle gradation.
Luc 8.18 Prenez donc garde à la manière dont vous écoutez, car on donnera à celui qui a et à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il croit avoir. » – La conclusion de tout cela c’est, pour les futurs missionnaires du Christ, de prendre garde à la manière dont vous écoutez. Savoir bien écouter la parole de Dieu, quel précieux et rare talent. – Car à celui qui a… Jésus motive d’une manière pressante la recommandation qui précède. Écoutez comme il faut, car, en écoutant, vous grossirez le trésor de vos connaissances spirituelles, et, plus vous serez riches, plus Dieu vous donnera, tandis que, dans le cas contraire, il vous enlèverait le peu que vous croiriez avoir. – Ce qu’il croit avoir. Dans S. Marc et Luc. 19, 26, nous lisons « qui a ». Ces mots sont d’une profonde vérité psychologique, puisque en réalité le ministre infidèle dont il s’agit ne possède absolument rien : sa prétendue richesse morale n’est qu’une affaire d’imagination, les jugements divins le lui montreront bien. On a justement affirmé de ces paroles qu’elles sont la formule d’une des lois les plus profondes du monde moral.
Luc 8, 19-21 = Matth 12, 46-50 Marc 3, 31-35.
Voyez l’explication des passages parallèles en S. Matthieu et S. Marc, qui sont plus complets.
Luc 8.19 La mère et les frères de Jésus vinrent le trouver, mais ils ne purent pénétrer jusqu’à lui à cause de la foule. – S. Luc paraît supposer que cet incident ne vint qu’à la suite des paraboles du royaume des cieux, les deux autres synoptiques le placent auparavant, et d’assez nombreux exégètes préfèrent leur chronologie. – La mère et les frères. « Ceux que l’on dit frères de Jésus selon la chair ne sont pas les fils de la bienheureuse Marie mère de Dieu selon Helvide, ni fils de Joseph d’une autre épouse, mais plutôt des parents (cousins). », Bède le Vénérable. cf. le commentaire de S. Matthieu, 12, 46-50. Le mot cousin n’existe pas en araméen, la seule manière de désigner un cousin est de dire « frère ». – Et ils ne purent pénétrer jusqu’à lui. Un détail pittoresque de S. Marc, 3, 20, montre jusqu’à quel point Jésus était alors entouré par la foule.
Luc 8.20 On vint lui dire : « Votre mère et vos frères sont là dehors et ils désirent vous voir. » 21 Il leur répondit : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique. » – Les deux autres évangélistes ont ici des détails graphiques et vivants. « Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit… » (S. Matth.), « Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit… » (S. Marc). En revanche S. Luc présente la réponse de Jésus sous un aspect nouveau. D’après sa rédaction, la mère et les frères mystiques du Sauveur sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la pratiquent. (S. Matth. et S. Marc. : « Quiconque fera la volonté de mon Père », ou « de Dieu »). Il y a dans ces paroles une allusion évidente à la parabole du semeur, racontée par S. Luc immédiatement avant cet épisode. Combien nous devons nous estimer heureux de pouvoir ainsi devenir les frères de Jésus.
Luc 8, 22-25 = Matth 8, 23-27 Marc 4, 35-40.
Luc 8.22 Un jour, il arriva que Jésus monta dans une barque avec ses disciples et leur dit : « Passons de l’autre côté du lac. » Et ils se mirent en mer. – La date donnée par S. Luc, un jour, est bien vague. S. Marc la précise en disant que l’apaisement miraculeux de la tempête eut lieu le soir du jour où avaient été prononcées les paraboles du royaume des cieux. Ce verset contient des expressions nautiques (ils monta sur une barque, ils partirent, ils naviguaient). Du reste, au chap. 27 des Actes, S. Luc reprend de telles expressions.
Luc 8.23 Pendant qu’ils naviguaient, il s’endormit et un tourbillon de vent s’étant abattu sur le lac, leur barque s’emplissait d’eau et ils étaient en péril. – Le verbe grec correspondant à s’endormit est d’une grande énergie et signifie : s’endormir de fatigue. – Un tourbillon de vent. D’anciens voyageurs avaient déjà remarqué la fréquence des ouragans de ce genre dans le bassin du lac de Gennésareth. – S’étant abattu sur le lac : du ciel, ou mieux encore, des montagnes environnantes. S’emplissait … ils étaient… : Deux imparfaits, pour mieux faire ressortir la gravité de la situation. Peu à peu la barque s’emplissait d’eau, et bientôt on courut un danger réel de couler à fond. Remarquez la manière toute nautique dont la narration applique aux passagers ce qui arrivait au bateau.
Luc 8.24 S’approchant donc, ils le réveillèrent en disant : « Maître, Maître, nous périssons. » S’étant levé, il réprimanda le vent et les flots agités et ils s’apaisèrent et le calme se fit. – Dans le grec, la répétition du mot Maître (détail spécial à S. Luc) dépeint bien l’angoisse des disciples. A propos des paroles légèrement différentes que les trois évangélistes placent ici sur les lèvres de Notre‑Seigneur, S. Augustin fait cette réflexion judicieuse : « Dans le langage de qui que ce soit, il faut considérer seulement l’intention, que les mots sont destinés à exprimer, et qu’on n’est pas menteur pour rendre en d’autres termes ce qu’a voulu dire quelqu’un dont on n’emploie pas les expressions. Il est certain que, non‑seulement dans les paroles, mais dans tous les autres signes des pensées, on ne doit chercher que la pensée elle‑même; et c’est être misérable que de tendre pour ainsi dire aux mots et de se représenter la vérité comme enchaînée à des accents ». Accord des Évangélistes 2, 28. – S’étant levé. Les trois synoptiques mentionnent de concert cette attitude du Maître ; tous aussi ils distinguent deux commandements de Jésus, adressés l’un au vent, l’autre aux eaux du lac. – L’expression les flots agités est propre à notre évangéliste.
Luc 8.25 Puis il leur dit : « Où est votre foi ? » Saisis de crainte et d’étonnement, ils se disaient les uns aux autres : « Quel est donc celui-ci, qui commande au vent et à la mer et ils lui obéissent ? » – Les Apôtres auraient dû se souvenir qu’ils étaient avec Jésus, et qu’ils ne couraient aucun risque auprès de lui. – L’étonnement des spectateurs est exprimé à peu près dans les mêmes termes par les divers écrivains sacrés. L’idée d’un ordre énergique intimé aux forces de la nature (il commande aux vents) ne se trouve toutefois que dans le troisième Évangile.
Luc 8, 26-39 = Matth. 8, 28-34 ; Marc. 5, 1-20.
La narration de S. Luc a ici de nombreuses analogies avec celle de S. Marc (voyez le commentaire).
Luc 8.26 Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. – Ils abordèrent : terme nautique, qu’on ne rencontre pas ailleurs dans les récits de la vie de Jésus. – Le pays des Géraséniens. Relativement à cette contrée, il règne dans le troisième Évangile les mêmes divergences que dans les deux autres (cf. commentaire sur S. Matth). Le champ des ruines de Gadara n’a pas moins de cinq kilomètres de circonférence : mais c’est à peine si Oum‑Kéis, le village qui remplace aujourd’hui la « remarquable ville » de la Décapole, comme l’appelle S. Jérôme, est habité par deux cents fellahs. Le territoire de la ville antique allait sans aucun doute jusqu’à l’extrémité S.E. du lac. La petite note géographique qui est vis-à-vis de la Galilée, est spéciale à S. Luc. Elle prouve que sa narration était écrite pour des lecteurs non‑juifs.
Luc 8.27 Lorsque Jésus fut descendu à terre, il vint au-devant de lui un homme de la ville, qui était depuis longtemps possédé des démons, il ne portait aucun vêtement et n’avait pas d’autre habitation que les tombeaux. – Le démoniaque ne venait pas de la ville, qu’il avait cessé de fréquenter, mais des tombes qui lui servaient de résidence. cf. Matth. 8, 28 ; Marc. 5, 2. – Possédé des démons. Depuis longtemps, ici et au v. 29, est un détail propre à S. Luc, destiné à rehausser la grandeur du miracle. – Qui ne portait aucun vêtement (autre particularité de notre évangéliste) doit se prendre à la lettre. De ce détail et du suivant, il demeurait… dans les tombeaux, il est intéressant de rapprocher un incident raconté par le voyageur anglais Warburton, the Crescent and the Cross,t. 2, p. 352. « En descendant des cimes du Liban, je me trouvai dans un cimetière, dont les turbans sculptés (sur les tombes) m’annoncèrent que j’étais dans le voisinage d’un village musulman. Le silence de la nuit fut tout à coup interrompu par des cris et des hurlements farouches que poussait, ainsi que je le reconnus bientôt, un fou complètement nu qui disputait un os à quelques chiens sauvages. Dès qu’il m’aperçut, s’élançant par bonds rapides, il saisit la bride de mon cheval et le força presque de reculer par dessus le rocher ». D’après la croyance juive, les tombeaux servaient de résidence habituelle aux démons. cf. Nidda, fol. 17, Chagigah, f. 3, 6. « Quand un homme passe la nuit dans un cimetière, un esprit mauvais descend sur lui ».
Luc 8.28 Aussitôt qu’il eut aperçu Jésus, il poussa des cris et vint se prosterner à ses pieds, disant à haute voix : « Qu’avez-vous à faire avec moi, Jésus, Fils de Dieu, Très-Haut ? De grâce, ne me tourmentez pas. » – Ce verset décrit fort bien deux sentiments distincts qui agitaient le démoniaque. Il était tout ensemble attiré et effrayé par Jésus. Attiré, car il accourt et se prosterne en signe de vénération ; effrayé, comme l’expriment son cri de détresse et sa supplication. Le dualisme qui régnait en lui est aussi très nettement marqué. L’homme vient au‑devant de son Libérateur, mais les démons sont en proie à l’effroi. S. Cyrille de Jérusalem : Il errait sans vêtements dans les tombes des morts, preuve de la fureur des démons qui le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer ce qu’ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur empire tyrannique, et par le triste spectacle d’un seul homme, victime de leur méchanceté, donner à tous une leçon salutaire. S. Chrys. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu’un homme, les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : « Aussitôt qu’il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s’écria, » etc. — S. Cyr. Considérez quel mélange à la fois de crainte, d’audace et de désespoir extrêmes ; c’est le désespoir, en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d’audace: « Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c’est sous l’impression de la crainte qu’il lui fait cette prière : « Je vous en conjure, ne me tourmentez pas. » (Extraits de la Chaîne d’Or de S. Thomas d’Aquin sur S. Luc).
Luc 8.29 En effet, Jésus commandait à l’esprit impur de sortir de cet homme. Bien des fois en effet l’esprit s’en était emparé et quoiqu’on le gardât lié de chaînes et de fers aux pieds, il rompait ses liens et le démon le chassait dans les lieux déserts. – Cette réflexion de l’évangéliste explique pourquoi le démon priait Jésus avec tant d’insistance de ne pas l’expulser du corps qu’il possédait. Jésus a forcé le démon de se retirer. – Depuis longtemps… La description précédente du démoniaque, v. 27, avait rapport à son état présent, tel qu’il frappa les regards du Sauveur et des disciples ; celle‑ci est relative au passé, et décrit l’histoire antérieure du malheureux possédé. – Entraîné… dans les déserts : encore une particularité de S. Luc. Les déserts n’ont jamais manqué dans les régions situées à l’E. et au S. E. du lac de Tibériade.
Luc 8.30 Jésus lui demanda : « Quel est ton nom ? » Il lui dit : « Je m’appelle Légion », car beaucoup de démons étaient entrés en lui. – Les saints Livres attribuent en divers endroits des noms spéciaux à certains démons ; par exemple, il est question d’Asmodée au livre de Tobie, 3, 8, de Béelzebub dans les Évangiles, Matth. 10, 25, etc., de Bélial dans la seconde Lettre aux Corinthiens, 6, 15. Les Rabbins mentionnent d’autres dénominations des esprits mauvais, telles que Nachasch, Azazel, Sammaël. La demande de Jésus n’a donc rien de surprenant. – Légion. L’antique ville de Mageddo portait alors le nom de Legio, à cause de la milice romaine qui y tenait garnison. Le démon avait peut‑être l’espoir d’intimider Jésus quand il s’arrogeait ce titre prétentieux. – De nombreux démons. Sylveira signale ici une opinion bizarre : « Quelques‑uns affirment qu’il y eut au moins deux mille démons, puisque il y a eu deux mille pourceaux à se jeter dans la mer de Galilée, chaque démon entrant dans un cochon différent. ». Mais il la réfute ensuite à bon droit. « Cette explication n’est pas très convaincante, car un seul esprit suffisait pour les projeter tous dans la mer. La seule chose qui demeure certaine c’est que par le mot légion un grand nombre de démons est représenté. ». Il est inutile d’en vouloir préciser exactement le nombre.
Luc 8.31 Et ces démons priaient Jésus de ne pas leur commander d’aller dans l’abîme. – A la façon des hommes, les démons ont leurs désirs et leurs craintes. Ceux qui étaient alors en présence de Jésus comprennent qu’ils vont être obligés d’abandonner leur proie ; ils voudraient du moins rester dans le district de Gadara, et ils conjurent Notre‑Seigneur en termes pressants de le leur permettre (noter l’imparfait ; S. Marc dit plus fortement encore : « les esprits impurs supplièrent Jésus »). – Ne pas leur commander… dans l’abîme. Leur prière sous cette forme est spéciale à S. Luc. Par l’abîme, il ne faut pas entendre les eaux profondes du lac, ainsi que l’ont voulu quelques commentateurs, mais le monde inférieur où vivent d’ordinaire les démons, c’est‑à‑dire l’enfer. cf. Apocalypse 9, 1 ; 20, 3. Pour les mauvais esprits, quitter les contrées où Dieu leur a permis d’habiter et d’agir équivaut à rentrer dans l’enfer. Voilà pourquoi nous disions en expliquant le passage parallèle, mais un peu différent, de S. Marc (v. 10), que les deux rédactions expriment en réalité une seule et même pensée.
Luc 8.32 Or, il y avait là un nombreux troupeau de porcs qui paissaient sur la montagne, ils le prièrent de leur permettre d’y entrer et il le leur permit. – cf. commentaire sur S. Matth. Les démons ont adressé déjà deux prières à Jésus. Ils lui ont demandé, v. 28, mais en vain, de conserver leur résidence actuelle, le corps du possédé. Ils viennent de lui demander encore, v. 31, de pouvoir au moins rester dans le pays. Voici qu’ils confirment et développent maintenant cette seconde supplique, en exprimant le désir d’entrer dans les pourceaux. Il est bien évident qu’ils ne s’attendaient pas au résultat qui va suivre. — S. Athan. (Vie de saint Ant.) Si les démons n’ont pas de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte raison n’en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l’image de Dieu ; c’est donc Dieu seul qu’il faut craindre et n’avoir que du mépris pour eux. —
Luc 8.33 Sortant donc de cet homme ils entrèrent dans les porcs et le troupeau, prenant sa course, se précipita par les pentes escarpées dans le lac et s’y noya. – Description vivante de ce fait remarquable. « On a demandé si Jésus avait le droit de disposer ainsi d’une propriété étrangère. C’est comme si l’on demandait si Pierre avait le droit de disposer de la vie d’Ananias et de Saphira. Il est des cas où le pouvoir, par sa nature même, garantit le droit ». (Godet).
Luc 8.34 A cette vue, les gardiens s’enfuirent et en portèrent la nouvelle dans la ville et dans la campagne. – Nous passons aux effets immédiats du miracle sur les porchers, sur les habitants de la contrée et sur le démoniaque. Les pâtres allèrent en courant porter la nouvelle à Gadara et dans les métairies ou hameaux isolés qui étaient sur leur passage.
Luc 8.35 Les habitants sortirent pour voir ce qui était arrivé : ils vinrent à Jésus et trouvèrent l’homme de qui les démons étaient sortis, assis à ses pieds, vêtu et sain d’esprit et ils furent remplis de frayeur. – Un grand concours se dit aussitôt vers le théâtre du miracle. – L’effet produit sur le possédé est décrit par S. Luc à peu près dans les mêmes termes que par S. Marc : le troisième évangéliste ajoute seulement les mots pittoresques assis à ses pieds, qui nous montrent assis aux pieds du Sauveur, comme un disciple docile aux pieds de son maître, celui qui, plus haut, nous avait été représenté dans les plus affreux paroxysmes.
Luc 8.36 Ceux qui en avaient été témoins leur racontèrent aussi comment le démoniaque avait été délivré. – Les porchers n’avaient d’abord répandu qu’en gros le bruit de ce qui s’était passé : les Gadaréniens reçoivent maintenant des détails complets sur le miracle.
Luc 8.37 Alors tous les habitants du pays des Géraséniens le prièrent de s’éloigner d’eux, parce qu’ils étaient saisis d’une grande crainte. Jésus monta donc dans la barque pour s’en retourner. – Triste demande, qui révèle l’esprit mercantile et vulgaire de cette population. Il est vrai qu’elle était à demi païenne, comme nous l’apprend l’historien Josèphe. Méléagre et Philodémus, deux poètes de l’Anthologie grecque, naquirent à Gadara vers l’an 50. La répétition emphatique saisis d’une grande crainte est une particularité de S. Luc.
Luc 8.38 Or, l’homme de qui les démons étaient sortis le priait de l’admettre à sa suite, mais Jésus le renvoya en disant : 39 « Retourne dans ta maison et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi. » Et il s’en alla et publia par toute la ville, ce que Jésus avait fait pour lui. – Ce beau récit est rempli de prières adressées au Sauveur. cf. Les vv. 28, 31, 32, 37. Mais ici seulement nous avons une prière digne de ce nom. Toutefois elle ne fut pas exaucée, tandis que deux des précédentes (vv. 32 et 37) l’avaient été. En effet, Jésus le renvoya, (dans le grec, il le délia, il le laissa libre), ou, comme dit S. Marc, il n’y consentit pas. Et pourtant ce nouvel ami de Jésus devint plus qu’un disciple, puisqu’il fut aussitôt investi du rôle d’apôtre et d’évangéliste, raconte tout ce que Dieu a fait pour toi : rôle dont il s’acquitta avec le plus grand zèle, il s’en alla… publia. Notons ici, comme dans le second Évangile, que Jésus évoque son l’exorcisme qu’il vient de faire avec l’expression : « les grandes choses que Dieu a faites ». La puissance de Jésus sur la nature comme sur les démons prouve sa divinité.
Luc 8, 40-56 = Matth 9, 18-26 ; Marc 5, 21-43.
Le récit de S. Luc tient le milieu entre celui de S. Matthieu et celui de S. Marc : il se rapproche néanmoins davantage de ce dernier, qui est le plus complet des trois.
Luc 8.40 Jésus, à son retour, fut accueilli par le peuple, car tous l’attendaient. – Des environs de Gadara, Jésus revint à Capharnaüm, d’où il était parti le soir précédent. – Il fut accueilli par le peuple. Le verbe grec désigne un accueil aimable, empressé. Le contexte, car tous l’attendaient (détail propre au troisième Évangile), fortifie encore cette idée. Le peuple que Notre‑Seigneur avait charmé la veille par ses paraboles divines, et qui l’avait vu partir avec peine, l’attendait donc impatiemment sur la plage. Peut‑être régnait‑il une certaine inquiétude au sujet du bon Maître, car on savait qu’il avait couru de grands dangers sur le lac. Quel contraste avec la conduite égoïste des Gadaréniens.
Luc 8.41 Et voilà qu’un homme appelé Jaïre, lequel était chef de la synagogue, vint se jeter aux pieds de Jésus, le priant d’entrer dans sa maison, – Après cette mise en scène, l’évangéliste aborde la narration du double miracle opéré par Jésus aussitôt après son débarquement. – Jaïre, chef de la synagogue. Sur ce nom, et sur cette fonction qui était regardée comme très honorable, cf. commentaire sur S. Matth. – se jeter aux pieds de Jésus. C’est là un acte significatif de la part d’un personnage officiel, d’autant mieux que le monde ecclésiastique d’alors était loin d’être sympathique à Jésus ; mais le malheur fait courber même les têtes les plus altières. Les miracles accomplis par Notre‑Seigneur à Capharnaüm (cf. 4, 31 et ss. ; 5, 12 et ss. ; 7, 1 et ss.) avaient sans doute vivement impressionné Jaïre, et il se souvint du Thaumaturge dès qu’il se trouva lui‑même dans le besoin.
Luc 8.42 parce qu’il avait une fille unique, d’environ douze ans, qui se mourait. – Les deux autres synoptiques emploient le langage direct, qui donne plus de vie au récit. – Unique est une particularité de S. Luc. Ce détail fait bien ressortir la douleur du suppliant. S. Marc mentionne aussi l’âge de la jeune fille (elle avait douze ans), mais seulement après avoir raconté la résurrection. L’évangéliste‑médecin place ce détail dès le début de sa narration. D’après le v. 43, la fille de Jaïre était donc née vers l’époque où l’hémorrhoïsse ressentait les premières atteintes de son mal. – Qui se mourait. La jeune fille n’était pas morte quand son père vint trouver Jésus (cf. v. 49), quoiqu’elle fut alors à l’agonie.
Luc 8.43 Comme Jésus y allait et qu’il était pressé par la foule, une femme affligée d’un flux de sang depuis douze ans et qui avait dépensé tout son bien en médecins, sans qu’aucun eût pu la guérir, – Il était pressé par la foule. Sénèque, lettre 91, emploie la même image, « étouffé par la foule ».- A partir de cet endroit jusqu’au v. 48, S. Luc passe à la guérison de l’hémorrhoïsse, qu’il enclave, conformément à la réalité des faits, dans l’épisode relatif à Jaïre. Il expose avec des couleurs moins vives que S. Marc, mais d’une manière plus complète que S. Matthieu, l’état de la malade. – Sans qu’aucun eût pu la guérir : L’évangéliste‑médecin ne craint pas de faire cet aveu ; il reconnaîtra de même plus bas la réalité du miracle de Jésus, tandis qu’un si grand nombre de médecins actuels se refusent à admettre le surnaturel dans les guérisons.
Luc 8.44 s’approcha de lui par derrière et toucha la frange de son manteau. A l’instant son flux de sang s’arrêta. – A bout de ressources, l’hémorrhoïsse pense, elle aussi, à Jésus. Mais espérant obtenir, sans avoir à faire une confession pénible, la faveur qu’elle ambitionnait, elle profite à merveille de l’occasion, et réussit à toucher la frange de son vêtement (voyez, sur cette expression, S. Matth.). Sa confiance n’avait pas été vaine, car, ainsi que l’expose S. Luc avec une précision toute médicale, A l’instant son flux de sang s’arrêta (comparez la vague formule de S. Matthieu et la phrase élégante de S. Marc).
Luc 8.45 Et Jésus dit : « Qui m’a touché ? » Tous s’en défendant, Pierre et ceux qui étaient avec lui dirent : « Maître, la foule vous entoure et vous presse et vous demandez : qui m’a touché ? » – Qui m’a touché ? Dans S. Marc : « Qui a touché mes vêtements ? ». La première de ces deux questions est la plus naturelle. « Le Christ, dit Tertullien (contr. Marc. l. 4, c. 20), parle comme s’il l’ignorait, pour obtenir un aveu. C’est ainsi que Dieu avait interrogé Adam ». – Tous s’en défendaient (détail tout à fait graphique) est une particularité de S. Luc ; de même la mention expresse de S. Pierre ; de même l’emploi de deux verbes synonymes, vous entoure et vous presse, pour mieux marquer la pression qui se faisait alors autour de la personne sacrée du Sauveur. – Ne serait‑il pas plus juste, semblent dire les Apôtres, de demander qui ne vous a pas touché ?
Luc 8.46 Mais Jésus dit : « Quelqu’un m’a touché, car j’ai senti qu’une force était sortie de moi. » – Jésus insiste, mais en affirmant au lieu d’interroger : Quelqu’un m’ a touché (détail spécial). Il indique par ces mots la nature particulière du contact dont il avait parlé ; ce n’a pas été un simple accident, mais un acte conscient et volontaire. – Notre‑Seigneur motive son assertion : il sait parfaitement de quoi il parle, car son intelligence divine lui a révélé qu’une « vertu » sortait de son corps sacré. Sur cette expression étonnante, dont les rationalistes ont abusé, cf. commentaire sur S. Marc. Seulement, S. Marc ne l’employait que comme narrateur, tandis que, d’après S. Luc, le Sauveur l’avait lui‑même prononcée.
Luc 8.47 Se voyant découverte, la femme vint toute tremblante se jeter à ses pieds et raconta devant tout le peuple pourquoi elle l’avait touché et comment elle avait été guérie à l’instant. – Beau tableau, qui ajoute plusieurs précisions à celui de S. Marc, notamment : se voyant … découverte… à ses pieds… devant tout le peuple. Ce dernier détail est emphatique et exprime fortement ce qu’il dut en coûter à l’humble femme de faire sa confession en présence d’une multitude si nombreuse.
Luc 8.48 Et Jésus lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée, va en paix. » – Après avoir exaucé tacitement la demande tacite de l’hémorrhoïsse, Jésus lui octroie maintenant sa grâce d’une manière ouverte. Il lui indique en même temps quelle avait été la vraie cause de son succès : Ta foi t’a sauvée. Cette foi était remarquable en effet. Dans ce même récit, nous avons vu Jaïre s’approcher hardiment du Sauveur comme un homme animé de la confiance la plus ferme ; mais un réalité un certain doute serrait son cœur (cf. v. 50). L’hémorrhoïsse n’a pas osé se présenter directement à Jésus, mais au fond elle n’éprouvait pas la moindre hésitation, la plus légère défiance. Le divin Maître peut donc louer publiquement sa foi.
Luc 8.49 Comme il parlait encore, quelqu’un de chez le chef de la synagogue vint lui dire : « Ta fille est morte, ne fatigue pas le Maître. » – Comme il parlait encore. Nous trouvons dans S. Marc la même formule de transition, preuve qu’il n’y eut réellement aucun intervalle notable entre les deux incidents racontés. – Ta fille est morte. Le présent dramatise les faits, la phrase est emphatique.
Luc 8.50 Jésus ayant entendu cette parole, répondit au père : « Ne crains pas, crois seulement et elle sera sauvée. » – De cette parole d’encouragement adressée par Jésus au malheureux père, il résulte que la foi de ce dernier avait été ébranlée par le message qui venait de lui être communiqué. Peut‑être pensait‑il, lui aussi, qu’il était trop tard maintenant pour conserver quelque espoir. Le Sauveur le soutient par une joyeuse promesse, elle sera sauvée, que S. Luc a seul notée en termes explicites. Votre foi vous a sauvée, avait‑il été dit à l’hémorrhoïsse, v. 48 : votre foi sauvera votre enfant, est‑il dit à Jaïre. Il lui fut aisé de faire ce rapprochement et de se confier absolument en Jésus.
Luc 8.51 Arrivé à la maison, il ne laissa personne entrer avec lui, si ce n’est Pierre, Jacques et Jean, avec le père et la mère de l’enfant. – Il ne permit à personne d’entrer… est un détail anticipé, dont la place régulière serait à la suite du v. 53. Ces mots désignent en effet l’entrée dans la chambre mortuaire.
Luc 8.52 Or tous pleuraient et se lamentaient sur elle et Jésus dit : « Ne pleurez pas, elle n’est pas morte, mais elle dort. » 53 Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu’elle était morte. – Sorte de parenthèse, aux détails pittoresques. Elle nous montre la maison de Jaïre remplie d’hommes et de femmes qui pleuraient et se lamentaient, à la façon tumultueuse et sauvage de l’Orient. Voyez S. Matth. Quand Jésus veut calmer ces pleureurs officiels en leur disant que la jeune fille n’est pas morte, ils se rient de lui, sachant qu’elle était morte. Ce détail du « très cher médecin » prouve la réalité de la mort et la signification métaphorique des paroles de Notre‑Seigneur.
Luc 8.54 Mais lui, la prenant par la main, dit à haute voix : « Enfant, lève-toi » – Les trois synoptiques ont relaté ce geste. S. Luc ne cite pas en araméen, comme S. Marc, les propres paroles du Sauveur. Il est du reste celui des évangélistes qui intercale le moins de mots hébreux dans son récit.
Luc 8.55 Et son esprit revint en elle et elle se leva à l’instant et Jésus ordonna de lui donner à manger. – Son esprit revint est une nouvelle particularité de S. Luc. Cette locution est fréquemment usitée dans les livres de l’Ancien Testament. cf. 1 Rois 9, 1 ; 17, 22 ; Psaume 75, 13 ; 77, 39 ; 102, 16 ; Ecclésiaste 12, 7, etc. – A propos de la résurrection de la fille de Jaïre et des autres faits analogues mentionnés soit dans la Bible soit par l’histoire, on s’est quelquefois demandé ce qu’était devenue l’âme pendant sa séparation momentanée du corps. Nous pensons, à la suite de divers théologiens, que ses opérations se trouvaient alors miraculeusement suspendues, de sorte qu’au moment de la résurrection elle n’avait pas plus conscience de ce qui s’était passé pour elle depuis la mort, qu’une personne éveillée d’un profond sommeil n’a conscience de ce qui l’a occupée tandis qu’elle dormait. – Jésus ordonna de lui donner à manger. On n’invente pas les petits détails de ce genre : aussi sont‑ils une forte preuve d’authenticité. Jésus, en donnant un pareil ordre, montrait que la jeune fille jouissait maintenant d’une parfaite santé.
Luc 8.56 Ses parents furent dans le ravissement, mais il leur recommanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. – On conçoit que les parents de la ressuscitée fussent hors d’eux‑mêmes ; mais, tout d’abord, on comprend moins l’injonction suivante du Sauveur, ne dire à personne… Elle devient néanmoins facilement explicable, de même que les précautions prises préalablement par Jésus pour écarter la foule, v. 51, si l’on se rappelle que l’enthousiasme des Galiléens était alors très surexcité, et que Notre‑Seigneur voulait autant que possible éviter tout éclat. Sans doute il ne pouvait empêcher le miracle d’être connu (cf. Matth. 8, 26). Du moins, en laissant s’écouler peu à peu la multitude qui s’était rassemblée à la porte de Jaïre, il échappa à une ovation populaire, et son but principal fut ainsi atteint. La présente narration porte presque sur chacun de ses détails le sceau de la vérité, de la simplicité, de la sublimité. Cette angoisse du père et cette timidité de la femme, cette agitation du peuple et ce calme de Notre‑Seigneur, cet étonnement des disciples et la réponse si précise du Maître : Quelqu’un m’a touché, ce rire de l’incrédulité à côté des transports de la douleur, cette majesté pour manifester sa puissance miraculeuse et cette sollicitude à la dissimuler : tout cela forme un ensemble tellement inimitable, qu’on peut y saisir en quelque sorte la vérité à pleines mains.


