Évangile selon saint Luc commenté verset par verset

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CHAPITRE 9

Luc 9, 1-6.  = Matth. 10, 1-42 ; Marc. 6, 7-13.

S. Luc, après avoir signalé la mission confiée aux Apôtres par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, se borne, comme S. Marc, à citer quelques extraits de l’instruction remarquable que le divin Maître leur adressa en cette circonstance. Laissant de côté les détails relatifs aux grandes fonctions que les Douze et leurs successeurs devaient exercer dans l’avenir (cf. Matth. 10, 16-42), il n’envisage que leur rôle plus modeste et plus facile du moment présent.

Luc 9.1 Ayant assemblé les Douze, Jésus leur donna puissance et autorité sur tous les démons et le pouvoir de guérir les maladies.Ayant assemblé les douze Apôtres. Les Douze,  c’est ainsi que S. Luc désigne d’ordinaire les Apôtres. – Avant d’envoyer les Apôtres en mission, Jésus leur confère des pouvoirs extraordinaires analogues à ceux qu’il exerçait lui‑même. Le premier est la puissance, le second, l’autorité : la mise en œuvre de cette puissance. – Sur tous les démons. « Tous » est emphatique et propre à S. Luc. Et le pouvoir de guérir les maladies. 

Luc 9.2 Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu et guérir les malades,Prêcher le royaume de Dieu, tel était le but principal de l’envoi des Douze. Guérir les maladies était, ainsi qu’il vient d’être dit, un moyen d’atteindre plus aisément ce but. Toutefois, et cela ressort très nettement de la narration plus explicite de S. Matthieu, 10, 7, les Apôtres n’avaient pas à s’étendre alors sur la nature, les conditions, etc. du royaume de Dieu : ils devaient simplement en annoncer le prochain établissement par le Christ.

Luc 9.3 et il leur dit : « Ne prenez rien pour le voyage, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent et n’ayez pas deux tuniques. – Il était juste que Notre‑Seigneur donnât aux Douze avant leur départ quelques principes capables de diriger leur conduite dans ces circonstances toutes nouvelles pour eux. Il le fait dans les vv. 3-5. Le résumé de cette instruction est qu’ils seront toujours « si vertueux, si constants et modestes, en un mot, si célestes, que la doctrine évangélique ne sera pas moins propagée par leur manière de vivre que par leur parole ». S. Grég. de Nazianze, in Chaîne des Pères Grecs – Ne prenez rien pour le voyage est une injonction générale, que Jésus développe ensuite par cinq traits spéciaux. – Il est intéressant de signaler les nuances qui existent ici entre les synoptiques. D’après les trois récits, les Apôtres ne doivent emporter avec eux ni argent, ni sac de voyage, ni tunique de rechange ; S. Marc et S. Luc ajoutent ni pain, détail omis par S. Matthieu. Dans le premier et le troisième Évangile, Jésus interdit aux Douze d’avoir un bâton ; dans le second, il leur permet d’en emporter un. S. Luc ne dit rien des sandales ; S. Matthieu paraît indiquer qu’elles ne furent pas non plus autorisées par le Sauveur ; S. Marc nous montre les Apôtres munis de sandales,   voir le commentaire sur S. Matth.

Luc 9.4 Dans quelque maison que vous entriez, demeurez-y jusqu’à ce que vous partiez de ce lieu. 5 Si l’on refuse de vous recevoir, sortez de cette ville et secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. » – La première recommandation concernait le départ ; elle inculquait aux Douze cette grave et belle pensée : « La simplicité est pour le chrétien le meilleur viatique » (Clément d’Alex., Paedag. 2). La seconde, comprise dans ces deux versets, regarde leur séjour dans les localités où ils pénétraient pour prêcher. – Dans quelque maison… Ces mots ne signifient pas que les envoyés de Jésus devaient demander l’hospitalité aux premiers venus (cf. Matth. 10, 11). Il faut entendre ici la première maison où la prudence leur permettrait de s’établir. – Faites de cette maison le centre de vos allées et venues dans la localité pour votre ministère, et ne changez pas trop légèrement de domicile. cf. 10, 7. Ce détail, ainsi arrangé, est une particularité de S. Luc. – Si l’on refuse de vous recevoir… L’hypothèse n’était nullement chimérique, Jésus ayant alors des ennemis déclarés qui refuseraient certainement d’accueillir ses disciples, malgré le caractère si hospitalier de l’Orient en général et des Juifs en particulier. – La poussière même de vos pieds. Sur cette action symbolique, voyez S. Matth.

Luc 9.6 Les disciples étant partis allèrent de village en village, prêchant l’Évangile et opérant partout des guérisons. – De concert avec S. Marc, notre évangéliste décrit en peu de mots l’œuvre et le succès des Apôtres durant cette mission. Le détail pittoresque ils allèrent de village en village lui est propre, comme aussi l’adverbe final partout, et l’emploi du verbe prêchant l’évangile. « En tant que docteurs, dit Eusèbe sur ce passage (ap. Cat. D. Thomae), les Douze annonçaient la bonne nouvelle ; en tant que médecins ils guérissaient, confirmant leur prédication par leurs miracles ».

Luc 9, 7-9 = Matth. 14, 1-2 ; Marc. 6, 14-16.

Luc 9.7 Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus et il ne savait que penser, car les uns disaient : « Jean est ressuscité des morts », 8 d’autres : « Élie a paru », d’autres : « Un des anciens prophètes est ressuscité. » – Selon le texte des manuscrits B, C, D, L, Z, Sinait., il s’agirait tout à la fois des œuvres de Jésus et de celles de ses Apôtres, vv. 1-6. On conçoit que la mission donnée par ceux‑ci avec accompagnement de miracles ait produit autour du nom de Notre‑Seigneur une recrudescence d’enthousiasme. Sa renommée, qui pénètre aujourd’hui jusqu’à la cour, met le tétrarque dans l’embarras. Il ne sait d’abord à quel parti s’arrêter au sujet de la personnalité de Jésus. C’est que, continue S. Luc, il régnait sur ce point dans la société juive des bruits divers, dont l’écho arrivait aux oreilles d’Hérode, et qui l’empêchaient de parvenir à une conclusion certaine. Trois des conjectures populaires reçoivent une mention spéciale. 1° Jean est ressuscité… 2° Élie a paru, mot bien choisi, puisque Élie n’est pas mort ; de Jean‑Baptiste et des autres prophètes on disait « se leva ». 3° Un des anciens prophètes, quelqu’un de ces grands prophètes qui n’avaient pas eu leurs pareils depuis des siècles.

Luc 9.9 Hérode dit : « Quant à Jean, je l’ai fait décapiter. Quel est donc cet homme, de qui j’entends dire de telles choses ? » Et il cherchait à le voir. – Le langage du tétrarque indique une perplexité qui ne fait que s’accroître. Pourtant, le nom de sa victime semble avoir produit en lui une impression plus vive. Mais, se hâte‑t‑il d’ajouter comme pour rassurer ses craintes, j’ai décapité Jean ; par conséquent il n’est pas vraisemblable que ce soit Jean‑Baptiste. Qui sera‑ce donc ? Quel est donc celui ci, de qui j’entends dire de telles choses ? (« telles », des choses si surprenantes). – Et il cherchait à le voir : détail spécial, bien naturel du reste après ce qui précède. Hérode espérait pouvoir s’assurer « de visu » que Jésus n’était pas Jean‑Baptiste. Son désir ne fut réalisé qu’au temps de la Passion, comme nous l’apprendra S. Luc, 23, 8. D’après les deux autres synoptiques, le tétrarque Antipas, au lieu de demeurer ainsi en suspens dans savoir à quel parti s’arrêter, se prononce au contraire sans hésiter sur la nature de Jésus : « Celui‑là, c’est Jean le Baptiste, il est ressuscité d’entre les morts, et voilà pourquoi des miracles se réalisent par lui. » Matth. 14, 2 (cf. Marc. 11, 14). Est‑ce une contradiction ? Pas le moins du monde. Il est aisé de résoudre cette antilogie apparente en disant que le moment psychologique décrit par les narrateurs n’est pas le même. S. Luc nous représente les premières impressions d’Hérode ; S. Matthieu et S. Marc considèrent le tétrarque un peu plus tard, alors qu’il avait pris un parti définitif. « Hérode témoigna d’abord cette hésitation, puis, persuadé de ce qu’on disait autour de lui, il dit à son tour ce que nous lisons dans saint Matthieu » (S. August., Accord des Évangélistes l. 2, c. 43). – Notre évangéliste, qui avait mentionné plus haut, 3, 19 et 20, l’emprisonnement du Précurseur, ne donne aucun détail sur son martyre, se contentant du « J’ai fait décapiter Jean » d’Hérode, v. 8. En cela, M. Renan voit la preuve que S. Luc « cherche à diminuer les méfaits » du tétrarque, « et à présenter son intervention dans l’histoire évangélique comme bienveillante à quelques égard ». Les Évangiles, Paris 1877, p. 255. [Ces propos sont stupides et faux.]

Retour des Douze et multiplication des pains. Luc 9, 10-17 = Matth. 14, 13-21 ; Marc. 6, 1-13.

Luc 9.10 Les apôtres, étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. Il les prit avec lui et se retira à l’écart dans un lieu désert, près d’une ville nommée Bethsaïde. – Combien de temps avait duré leur absence ? Un jour seulement, d’après une singulière hypothèse de Wieseler. Mais le récit antérieur de S. Luc (cf. en particulier les verset 4-6) suppose que la mission avait embrassé un nombre assez considérable de villes et de bourgades, et que les Apôtres avaient séjourné dans plusieurs d’entre elles, ce qui demande un intervalle d’au moins quelques semaines. – Les prit avec lui il se retira… Sur les deux motifs simultanés de cette retraite, cf. commentaire S. Matth. Nous apprenons dans les autres rédactions que la première partie du trajet fut faite en barque. En combinant ce passage de S. Luc avec une note subséquente de S. Marc (6, 45 ; voyez le commentaire), on est arrivé à la conclusion très légitime qu’il existait alors deux Bethsaïde dans la Palestine du Nord. Celle que notre évangéliste mentionne actuellement était bâtie sur une colline qui domine la plaine déserte d’El‑Batîheh : il n’en reste plus que des ruines sans nom.

Luc 9.11 Lorsque le peuple l’eut appris, il le suivit, Jésus les accueillit et il leur parla du royaume de Dieu et il rendit la santé à ceux qui en avaient besoin. – Cf. les détails pittoresques de S. Marc, 6, 33. C’est à pied, en longeant le rivage, que la foule rejoignit Notre‑Seigneur qu’elle avait vu partir avec peine. – Jésus les accueillit. détail spécial et bien touchant. Jésus cherchait un peu de repos pour les siens. S’il eût voulu, il lui était aisé d’échapper à la multitude ou de la congédier ; mais il préfère l’accueillir avec sa bonté habituelle. – Il leur parla… et rendit la santé. Jésus, comme toujours, associe étroitement sa prédication et ses miracles, confirmant la doctrine par les œuvres. S. Luc a seul signalé cette union dans la circonstance présente. S. Matthieu parle uniquement de la prédication.

Luc 9.12 Comme le jour commençait à baisser, les Douze vinrent lui dirent : « Renvoyez le peuple, afin que, se répandant dans les villages et les hameaux d’alentour, ils y trouvent un abri et de la nourriture, car nous sommes ici dans un lieu désert. » 13 Il leur répondit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils lui dirent : « Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, à moins peut-être que nous n’allions nous-mêmes acheter de quoi nourrir tout ce peuple. » – Ces deux versets exposent les préliminaires du miracle. La locution le jour commençait à baisser, propre au troisième Évangile, est d’une grâce toute attique : elle désigne 4 heures de l’après‑midi. L’inquiétude gagne à ce moment les Apôtres. Voyant que la foule s’oublie, ils rappellent à leur maître le côté prosaïque de la situation et la nécessité de renvoyer promptement le peuple. – Se loger est une particularité de S. Luc, de même l’emploi du substantif vivre. – Donnez‑leur vous mêmes… Dans le texte primitif, les trois synoptiques reproduisent identiquement cette réflexion de Jésus. Les mots suivants, nous n’avons que… et deux poissons, sont communs à S. Matthieu et à S. Luc. La fin du v. 13 se retrouve avec une nuance dans Marc. 

Luc 9.14 Car il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante. » 15 Ils lui obéirent et les firent asseoir. 16 Alors Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et levant les yeux au ciel, il prononça une bénédiction, les rompit et les donna à ses disciples pour les servir au peuple. 17 Tous mangèrent et furent rassasiés et des morceaux qui étaient de reste, on emporta douze corbeilles. – Récit du miracle. cf. commentaire S. Matth. – Quoique Jésus ait devant lui plus de cinq mille personnes à nourrir (Matth. 8, 21 ; Marc. 6, 44), les cinq pains et les deux poissons que les Apôtres ont mis à sa disposition lui suffisent amplement, car sa puissance n’a pas de bornes. Mais tout d’abord il procède au placement de ses convives, pour rendre la distribution des vivres plus facile. cf. Marc. 6, 39-40 et le commentaire. « D’après saint Luc on fit asseoir la foule par groupes de cinquante, et d’après saint Marc par groupes de cinquante et par groupes de cent. La difficulté ne peut venir ici de ce que l’un rapporte tout ce qui s’est fait et l’autre une partie seulement … l’on rencontre souvent dans les Évangélistes des passages semblables que le défaut de réflexion et la précipitation font regarder comme opposés, quand ils ne le sont aucunement » S. Augustin, Accord des Évangélistes l. 2, c. 46. – Les donna à ses disciples pour les servir au peuple : comme le dit S. Augustin, Enarrat. 2 in Psaume 110, 10, « Des fontaines de pain étaient dans les mains de Jésus ».

Confession de S. Pierre et première annonce de la Passion. Luc 9, 18-27 = Matth. 16, 13-28 ; Marc. 8, 27-39.

Il règne ici une lacune considérable dans le troisième Évangile. Tous les événements racontés par S. Matthieu, 14, 22- 16, 12, et par S. Marc, 6, 45-8, 26, c’est‑à‑dire la marche de Jésus sur les eaux, les miracles opérés dans la plaine de Gennésareth, la discussion avec les Pharisiens au sujet du pur et l’impur, le voyage de Notre‑Seigneur en Phénicie, la guérison de la jeune Cananéenne, le retour de Jésus dans la Décapole, la seconde multiplication des pains, la demande d’un signe par les juifs, etc., ont été passés sous silence par S. Luc. Mais à son tour il nous fournira bientôt de nombreux détails omis par les autres biographes de Jésus.

Luc 9.18 Un jour qu’il priait dans un lieu solitaire, ayant ses disciples avec lui, il leur fit cette question : « Qui suis-je, au dire des foules ? » – La localité n’est pas mentionnée, mais nous savons, grâce aux deux premiers synoptiques, que Notre‑Seigneur se trouvait alors aux alentours de Césarée de Philippe, à environ 40 kilomètres au N. de Bethsaïda‑Julias, cf. nos commentaires sur S. Matthieu, et sur S. Marc. – Il priait dans un lieu solitaire. Détails propres à notre évangéliste. La solitude de Jésus n’était pas absolue, puisqu’il avait ses disciples avec lui, mais seulement relative, par rapport à la foule qui suivait le divin Maître à quelque distance. – Qui suis-je, au dire des foules ? : le peuple en général, ces multitudes enthousiastes, mais ignorantes, qui me suivent. Assurément, Jésus n’interrogeait pas les Douze pour avoir sur ce point une information proprement dite ; mais il voulait obtenir d’eux un acte de foi formel au sujet de son tôle messianique et de sa nature divine.

Luc 9.19 Ils répondirent : « Jean le Baptiste, d’autres Élie, d’autres, qu’un des anciens prophètes est ressuscité. – Les Apôtres, dans leur réponse, mentionnent les trois hypothèses que nous avons entendu retentir précédemment (v. 8) dans le palais d’Hérode à propos de Jésus cf. commentaire S. Matth. La locution un des anciens prophètes est de nouveau une particularité de S. Luc.

Luc 9.20 Et vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ? » Pierre répondit : « Le Christ de Dieu. » – « Ah. Que de grandeur dans ce Vous. Il les distingue de la foule, afin qu’ils en évitent les opinions ; comme s’il disait : Vous qui, par mon choix, avez été appelés à l’apostolat ; vous, les témoins de mes miracles, qui dites‑vous que je suis » ? S. Cyrille, Chaîne des Pères Grecs – « S. Pierre s’élance en avant poussé par l’ardeur de sa foi » (S. Jean Chrysostome). Les termes de la confession de S. Pierre varient dans les trois synoptiques. S. Matthieu a conservé la formule complète de ce bel acte de foi : « Vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant ». La rédaction de S. Marc est la plus condensée : « vous êtes le Christ ». Celle de S. Luc tient le milieu entre les deux autres. Au fond ils expriment tous clairement la même pensée. Le titre « Christ de Dieu » avait déjà fait une première apparition dans notre Évangile, 2, 26. – Voyez dans S. Matthieu, 16, 17-19, les magnifiques promesses que S. Pierre reçut de Jésus en échange de sa confession.

Luc 9.21 Mais il leur enjoignit d’un ton sévère de ne le dire à personne.– Le temps n’était pas encore venu de faire cette révélation au peuple. On eût tout compromis en manifestant trop tôt la nature supérieure de Jésus à des esprits mal préparés. Du reste, comme Notre‑Seigneur va l’indiquer au v. 22, combien, après avoir cru d’abord à son caractère messianique et à sa divinité, se seraient ensuite scandalisés de sa Passion et de sa mort. Ainsi, il se révèle et se voile en même temps.

Luc 9.22 « Il faut, ajouta-t-il, que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les Anciens, par les Princes des prêtres et par les Scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite le troisième jour. » – Il règne, touchant cette douloureuse prophétie de Jésus, une coïncidence frappante dans les trois récits. On conçoit que des paroles aussi inattendues se soient gravées en traits ineffaçables dans le cœur des Douze et, par suite, dans la catéchèse chrétienne. La description est tellement précise, qu’on la croirait composée après coup par un historien. Voyez l’explication des passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc. Le verbe grec correspondant à rejeté a une grande énergie : sa traduction littérale serait « rejeté comme faux et nuisible ».

Le renoncement chrétien. vv. 23-27.

cf. commentaire S. Matth et S. Marc. La ressemblance est rarement aussi complète entre entre les trois synoptiques : c’est à peine si quelques expressions diffèrent.

Luc 9.23 Puis, s’adressant à tous, il dit : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix chaque jour et me suive.S’adressant à tous : A ce moment, Jésus n’était donc plus seul avec ses disciples (cf. 18). « Appelant la foule avec ses disciples », lisons‑nous dans le second Évangile. – Qu’il porte sa croix : chacun sa croix personnelle, celle qui lui a été destinée par la divine Providence. – Tous les jours : mot important, qui appartient en propre à la rédaction de S. Luc. L’abnégation du chrétien ne doit pas se borner à quelques moments isolés de sa vie : il faut qu’elle soit quotidienne, perpétuelle. – Et qu’il me suive. Les chrétiens dignes de ce nom forment, à la suite de Jésus qui ouvre la marche, une longue procession de crucifiés.

Luc 9.24 Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie à cause de moi, la sauvera. – Notre‑Seigneur démontre maintenant la nécessité, pour le chrétien, de ce chemin de croix quotidien. Ses divers arguments, vv. 24-26, sont présentés sous la forme piquante des jeux de mots et des antithèses. Ici, nous avons l’image d’un homme qui se sauve en se perdant, ou qui se perd en voulant se sauver.

Luc 9.25 Que sert-il à un homme de gagner le monde entier, s’il se ruine ou se perd lui-même ? – Ce n’est qu’une nuance, mais en même temps c’est une confirmation de la pensée qui précède. La fin du verset, s’il se ruine ou se perd lui‑même, a reçu dans notre Évangile une forme spéciale, légèrement emphatique. cf. les passages parallèles.

Luc 9.26 Et si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui, lorsqu’il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges. – Il est honteux et lâche de rougir de lui et de sa doctrine après tout ce qu’il a daigné faire pour nous. – Ici encore nous avons une légère modification (cf. Matth. 16, 27 ; Marc. 8, 38). Notre‑Seigneur mentionne trois gloires distinctes dont il sera magnifiquement entouré quand il viendra juger les hommes à la fin des temps : sa gloire personnelle, la majesté de son Père céleste, et l’éclat brillant des anges qui composeront sa cour.

Luc 9.27 Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici présents ne goûteront pas la mort, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu. » – « Ici » est emphatique, « présents » pittoresque ; les disciples et la foule se tenaient donc alors debout autour du Sauveur. – Sur le sens de la promesse ne goûteront pas la mort avant…, cf. commentaire S. Matth. La Transfiguration, malgré toutes ses splendeurs, ne saurait mériter d’une manière adéquate le nom de règne de Dieu (« elle ne montrait pas le règne, mais l’image du futur règne », Maldonat) ; elle ne réalisa pas dans leur entier les paroles de Jésus.

Luc 9, 28-36.  = Matth. 17, 1-13 ; Marc. 9, 1-12. Au point de vue de la forme extérieure, nous avons en cet endroit le contraire de ce qui a été remarqué à propos des versets précédents, car il règne dans les trois récits une grande variété d’expressions. Pour le fond, nous sommes redevables à S. Luc de plusieurs détails précieux, entre autres : v. 32, « ils étaient appesantis par le sommeil », « et s’éveillant… », « qui étaient avec lui »; v. 33, « au moment où ceux‑ci s’éloignaient de lui » ; v. 34, « une nuée apparut et les couvrit ». – Ce glorieux événement marque le faîte de l’existence humaine du Sauveur.

Luc 9.28 Environ huit jours après qu’il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean et monta sur la montagne pour prier. – Sur cette manière spéciale de compter les jours qui séparèrent la confession de S. Pierre de la Transfiguration, cf. commentaire S. Matth. – Monta sur la montagne. Cette montagne était le Thabor suivant les uns, l’Hermon suivant les autres. « Il est tout à fait vraisemblable, à moins que quelqu’un n’ait de meilleures raisons pour penser autrement, que ce qui est raconté aux versets 18 et suivants ait eu lieu quelque part dans la Césarée de Philippe », Luc de Bruges. Par conséquent sur l’Hermon ou l’un de ses contreforts. – Pour prier : tel fut le but direct que Jésus se proposait en gravissant la montagne avec ses trois disciples privilégiés.

Luc 9.29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et ses vêtements devinrent éblouissants de blancheur.Pendant qu’il priait : répétition pleine d’emphase pour relever le rapport qui exista entre le miracle et la prière de Jésus. Pendant que le Sauveur était plongé dans sa profonde et mystérieuse oraison, sa personne devint tout à coup l’objet d’un merveilleux phénomène. Pour décrire la particularité principale du miracle, S. Luc a recours à une circonlocution, l’aspect de son visage changea ; ce qu’il faut entendre de l’éclat surnaturel, de la beauté divine, qui firent resplendir la physionomie de Jésus. « La transformation ajoute de la splendeur, mais ne fait pas disparaître la face », S. Jérôme. – Ses vêtements devinrent éblouissants de blancheur, le dernier mot signifiant littéralement : lançant des éclairs. « Il est transfiguré dans une clarté éblouissante, convenable à Dieu ; et même son vêtement de lumière émettait des rayons, et ressemblait à la foudre », S. Cyrill. in Chaîne des Pères Grecs Le texte grec contient une préposition qui indique que la lumière éblouissante des vêtements provenait du corps transfiguré de Jésus.

Luc 9.30 Et voilà que deux hommes conversaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, – Cette manière de présenter au lecteur les deux témoins célestes du mystère de la Transfiguration est spéciale à S. Luc. Il se place au point de vue des trois apôtres, pour lesquels les interlocuteurs mystérieux de Jésus ne furent d’abord que des hommes inconnus. Mais bientôt il devint manifeste que c’étaient Moïse et Élie (cf. S. Matthieu et S. Marc). Quel spectacle sur la sainte montagne. « Voilà donc dans l’Église le royaume de Dieu. Là en effet nous apparaissent le Seigneur, la loi et les prophètes : le Seigneur dans la personne du Seigneur même, la loi dans la personne de Moïse et les prophètes dans celle d’Élie. Ces deux derniers figurent ici comme serviteurs et comme ministres. » S. August., Serm. 78.

Luc 9.31 apparaissant dans la gloire, ils s’entretenaient de sa mort qui devait s’accomplir dans Jérusalem.Apparaissant dans la gloire : Moïse et Élie étaient, eux aussi, brillants et transfigurés. – Et ils parlaient de sa mort qui devait s’accomplir dans Jérusalem.  – Quel thème de conversation entre Jésus, Moïse et Élie en ce moment glorieux : La mort du Christ était donc bien le point central de la Loi et des Prophètes. De la Loi, par les nombreuses victimes figuratives ; des Prophètes, par leurs oracles aussi nets que nombreux.

Luc 9.32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil, mais s’étant tenus éveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui étaient avec lui. – Du Sauveur transfiguré et de ses deux compagnons célestes, l’évangéliste nous ramène aux apôtres. Le premier détail, accablés de sommeil, semble indiquer que le miracle de la Transfiguration eut lieu pendant la nuit (cf. v. 37). Néanmoins il est possible, suivant l’excellente réflexion de S. Jean Chrysostome et de S. Ambroise, que S. Luc n’ait pas tant voulu signaler ici une somnolence naturelle que l’espèce de torpeur dans laquelle les sens humains sont quelquefois plongés par la vue des phénomènes divins. – S’étant tenus éveillés. Les apôtres auraient donc dominé à l’aide de vigoureux efforts le sommeil qui les envahissait.  – Les deux hommes qui étaient avec lui : détail pittoresque, qui nous fait connaître l’attitude de Jésus, de Moïse et d’Élie.

Luc 9.33 Au moment où ceux-ci s’éloignaient de lui, Pierre dit à Jésus : « Maître, il nous est bon d’être ici, dressons trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie », il ne savait ce qu’il disait. – La conversation a pris fin, et voici que les représentants de la Loi et des Prophètes commencent à s’éloigner. S. Pierre s’en aperçoit et, désireux de prolonger le plus possible ces moments fortunés, il propose à son Maître de se mettre immédiatement à l’œuvre (« Pierre n’est pas seulement le plus grand par l’affection, mais par le zèle apostolique », S. Ambr.) avec Jacques et Jean, pour construire trois abris qui permettront aux trois augustes interlocuteurs de rester longtemps sur la montagne. Mais il parlait ainsi sans savoir ce qu’il disait ; il avait l’esprit tout troublé par sa vive émotion.

Luc 9.34 Comme il parlait ainsi, une nuée vint les couvrir de son ombre et les disciples furent saisis de frayeur tandis qu’ils entraient dans la nuée.Une nuée : « lumineuse », ajoute S. Matthieu. – Vint les couvrir, c’est‑à‑dire Jésus, Moïse et Élie, comme il ressort du contexte : ils entrèrent dans la nuée, qui était précisément destinée, dit S. Ambroise, à leur permettre de supporter la présence de la divinité. Ce nuage brillant fut sans doute de même nature qui celui qui voila plus tard le Sauveur montant au ciel, Actes 1, 9. – Ils furent effrayés à la vue de cette nouvelle manifestation surnaturelle, plus mystérieuse que toutes les précédentes.

Luc 9.35 Et de la nuée sortit une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. » – C’est ici le fait principal. Dieu le Père prend la parole pour redire clairement (cf. 3, 22) les relations qui l’unissent à Jésus : Celui‑ci est mon Fils. Au lieu de bien‑aimé, plusieurs traduisent « choisi », selon les manuscrits B, L, Z, Sinait., et la version copte.

Luc 9.36 Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul. Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu. – S. Luc abrège notablement la fin du récit ; voyez dans les passages parallèles de S. Matthieu et de S. Marc les détails qu’il a condensés en cet endroit. – Ils gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne. Répétition emphatique, pour mettre en relief le silence gardé par les trois témoins privilégiés du miracle. Jésus leur avait du reste fortement prescrit de garder le secret. – En ce temps‑là représente, d’après S. Marc. 9, 8, le temps qui s’écoula jusqu’à la Résurrection de Notre‑Seigneur.

Luc 9, 37-43 = Matth 17, 14-20 Marc 9, 17-28.

Luc 9.37 Le jour suivant, lorsqu’ils furent descendus de la montagne, une foule nombreuse vint au-devant de Jésus.Le jour suivant. De ce petit détail chronologique, signalé par le seul S. Luc, il résulte que Jésus et les siens avaient passé la nuit sur la montagne de la transfiguration ; probablement même que le miracle avait eu lieu pendant la nuit. – Une foule nombreuse… Voyez dans la narration de S. Marc des particularités pleines d’intérêt.

Luc 9.38 Et un homme s’écria du milieu de la foule : « Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils, car c’est mon seul enfant.Maître… Cette première partie de la demande du suppliant est exposée dans notre Évangile sous une forme très touchante. – Je vous en supplie… car c’est mon seul enfant…, sont des détails propres à S. Luc. Jetez un regard sur mon fils (S. Matth. « ayez pitié de mon fils ») est d’une grande délicatesse. « J’admire la sagesse de cet homme, s’écrie Tite de Bosra (Cat. D. Thom., h. l.). Il ne dit pas au Sauveur : Faites ceci ou cela, mais : Regardez. Car cela suffit pour le guérir. C’est ainsi que le Prophète disait : Regardez et prenez pitié de moi ».

Luc 9.39 Un esprit s’empare de lui et aussitôt il pousse des cris, l’esprit l’agite avec violence en le faisant écumer et à peine le quitte-t-il après l’avoir tout meurtri. – Le pauvre père essaie de susciter davantage encore la pitié de Jésus par une peinture énergique des terribles crises qui saisissaient fréquemment son fils. – Un esprit s’empare de lui. Les troubles dont souffrait l’enfant était donc la conséquence d’une possession démoniaque. – Aussitôt il pousse des cris (détail spécial). Remarquez le brusque changement des sujets, si conforme aux sentiments émus du suppliant. « Cris » retombe en effet sur le malade et non sur le démon. – l’esprit l’agite avec violence. Il n’y a qu’un verbe dans le texte grec, qui a le sens de tordre, tourmenter.En le faisant écumer. Paulus Aegineta, l’un des derniers médecins illustres de l’antiquité, cite, dans sa description de l’épilepsie, plusieurs circonstances qui présentent une grande analogie avec le triste tableau tracé de concert par les trois synoptiques : « L’épilepsie est une convulsion de tout le corps, empêchant les actions normales. Cette maladie affecte surtout les enfants, mais aussi, et fortement, les adolescents. Quand apparaissent les symptômes de la maladie, l’épileptique tombe par terre, entre en convulsions, et il exprime parfois des paroles incohérentes. Le plus important de tous les signes est la bave qui sort de sa bouche. ». L’enfant était donc vraisemblablement épileptique ; mais l’évangéliste médecin n’hésite pas à reconnaître ici quelque chose de plus que le mal physique. – A peine le quitte‑il après l’avoir tout meurtri. Nouvelle particularité de S. Luc, pour clore le tableau.

Luc 9.40 J’ai prié vos disciples de le chasser et ils ne l’ont pu. – Dans les deux autres narrations, Jésus explique un peu plus bas aux disciples le motif de leur impuissance humiliante. Voyez S. Matth. Le v. 41 indique du moins implicitement ce motif.

Luc 9.41 O race incrédule et perverse, répondit Jésus, jusqu’à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? Amène ici ton fils. » – Le Sauveur est vivement affecté de l’échec des siens. Ne leur avait‑il pas donné de pleins pouvoirs sur tous les démons ? Mais ni eux, ni le peuple, n’ont une foi suffisante, et c’est pour cela qu’ils sont vaincus. La pensée de cette incrédulité partielle chez les uns, totale pour les autres, fait souhaiter à Jésus de remonter bientôt vers son divin Père.

Luc 9.42 Et comme l’enfant s’approchait, le démon le jeta par terre et l’agita violemment. 43 Mais Jésus menaça l’esprit impur, guérit l’enfant et le rendit à son père.Comme l’enfant s’approchait : détail pittoresque, qui nous montre l’enfant s’approchant du Thaumaturge, mais éloigné encore de quelques pas. – Le démon le jeta par terre et l’agita : la dernière et violente convulsion que l’esprit mauvais fit subir à sa victime. Mais, sur l’ordre formel de Jésus (il menaça), le démon fut bien obligé de se retirer. Le divin Maître remit alors entre les mains du père reconnaissant son fils complètement guéri. Ce détail touchant, le rendit à son père, propre à S. Luc, peut servir de pendant à 7, 15 : « Il le rendit à sa mère ».

Luc 9, 44-45 = Matth 17, 21-22 Marc 9, 29-31

Luc 9.44 Et tous furent frappés de la grandeur de Dieu. Tandis que chacun était dans l’admiration de ce que faisait Jésus, il dit à ses disciples : « Vous, écoutez bien ceci. Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes. » – Ils étaient vivement frappés : S. Luc relève seul, et comme on le voit, en termes énergiques, l’impression produite par la guérison du possédé. La divine puissance de Jésus s’était rarement déployée sous les yeux de la foule avec tant d’éclat. Mais ce miracle en rappela d’autres à ceux qui venaient de le contempler ; chacun se mit à les raconter avec admiration, comme l’ajoute notre évangéliste avec emphase : chacun était dans l’admiration de ce que faisait Jésus. Jésus, ce semble, craignait que l’enthousiasme universel ne fît oublier à ses apôtres les humiliations qu’il leur avait récemment annoncées ; c’est pourquoi il leur en renouvelle la sombre prophétie. – écoutez bien ceci... Cette solennelle formule d’introduction n’a été conservée que par S. Luc. « Vous » est emphatique : vous, mes disciples, par opposition à la foule superficielle et ignorante. – Ces paroles ne désigne pas, comme le veut Meyer, les paroles louangeuses du peuple, mais la prédiction suivante de Jésus. – Le Fils de l’homme les mains des hommes : antithèse remarquable, qu’on trouve dans les trois synoptiques. S. Luc se borne à un rapide sommaire de la prophétie, qui paraît d’autant plus lugubre dans son récit, qu’il omet de mentionner la joyeuse espérance de la Résurrection. cf. Matth. 17, 22 ; Marc. 9, 30.

Luc 9.45 Mais ils ne comprenaient pas cette parole, elle était voilée pour eux, de sorte qu’ils n’en avaient pas l’intelligence et ils craignaient de l’interroger à ce sujet. – Nous avons eu l’impression de la foule à propos du miracle ; nous apprenons maintenant celle qu’éprouvèrent les disciples à l’occasion de la sombre nouvelle qui leur était ainsi réitérée par Jésus. S. Luc la décrit en psychologue. Le premier (ils ne comprenaient pas) et le dernier détail (et ils craignaient de l’interroger) lui sont, il est vrai, communs avec S. Marc. Mais la pensée intermédiaire, exprimée à l’aide d’une vivante image, et elle était voilée pour eux, lui appartient en propre. Tel était encore, après de longs mois passés en la compagnie de Jésus, l’état d’âme des apôtres. Mille préjugés les aveuglaient. Voir dans Bossuet, 1er sermon pour le Dim. de la Quinquagésime (édit. de Versailles, t. 12, pp. 27, 33, 36 et 37), un beau commentaire de tout ce passage.

Luc 9, 46-50  = Matth 17, 1-6 ; Marc 9, 32-39.

Luc 9.46 Or, une pensée se glissa dans leur esprit, savoir lequel d’entre eux était le plus grand. 47 Jésus, voyant les pensées de leur cœur, prit un petit enfant, le mit près de lui, 48 et leur dit : « Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant, me reçoit et quiconque me reçoit, reçoit Celui qui m’a envoyé. Car celui d’entre vous tous qui est le plus petit, c’est celui-là qui est grand. » – Leçon d’humilité, motivée par l’étrange discussion qui s’était élevée naguère entre les Apôtres : ils s’étaient demandé lequel d’entre eux était le plus grand. Une question de préséance, de vanité, les occupait en un pareil moment, alors que la croix de Jésus était déjà dressée à l’horizon. Mais voici que leur Maître leur rappelle les austères pensées du Christianisme. – Il prit un petit enfant et le plaça auprès de lui. C’est l’un des détails les plus touchants de l’Évangile. Il dut rendre l’argumentation du Sauveur tout à fait saisissante. Voyez dans S. Matthieu les détails de cette argumentation. S. Luc l’abrège plus encore que S. Marc ; mais il en a bien conservé la substance dans le double axiome du v. 48. – Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant… Les petits enfants et ceux qui leur ressemblent, c’est‑à‑dire les humbles, sont ainsi élevés au rang le plus sublime. 2° Celui qui est le plus petit entre vous… Conséquence du premier axiome, exprimée sous une forme paradoxale : devenez petits pour être grands.

Luc 9.49 Jean, prenant la parole, dit : « Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en votre nom et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne va pas avec nous. » 50 Ne l’en empêchez pas, lui répondit Jésus, car celui qui n’est pas contre vous est pour vous. » – Leçon de tolérance, occasionnée par un petit problème moral que le disciple bien‑aimé posa en cet instant même à Notre‑Seigneur. S. Luc et S. Marc ont seuls raconté, d’une façon presque identique, cet incident. Aussi aurons‑nous bien peu de chose à ajouter aux explications données dans notre commentaire sur le second Évangile. – Jean, prenant la parole. Il est vraisemblable que S. Jean avait joué le rôle principal dans la scène qu’il va brièvement exposer. Les mots en ton nom paraissent contenir la raison d’être de l’interrogation adressée à Jésus d’une manière si subite, au milieu de l’instruction qu’il avait commencée. Le divin Maître avait parlé de recevoir « en son nom » même les petits enfants, et voici que les apôtres s’étaient conduits avec sévérité envers un homme qui agissait en ce nom béni. – Nous l’en avons empêché parce qu’il ne va pas avec nous. Tel était le motif qui avait inspiré cette conduite des Douze. Les seuls disciples habituels du Christ, pensaient‑ils, devaient jouir du privilège en question ; il ne pouvait être permis au premier venu de se l’approprier. – Ne l’en empêchez pas, répond Jésus ; puis, à son tour, il motive sa décision en opposant au « il ne vous suit pas » cette profonde parole : Qui n’est pas contre vous est pour vous.

DERNIER VOYAGE DE JÉSUS À JÉRUSALEM Luc 9, 51-19, 28. Importante partie du troisième Évangile, avec une marche complètement indépendante de celle des autres synoptiques et des détails nouveaux pour la plupart. Il est vrai qu’elle s’est attirée, précisément par ses caractères distinctifs, la haine du camp rationaliste. Sabatier n’y voit qu’un récit qui « fourmille de contradictions et d’impossibilités » (Essai sur les sources de la vie de Jésus, p. 25) ; de Wette, h. l., qu’un « amalgame sans ordre chronologique » ; Reuss, Histoire évangélique, p. 436, que « des scènes détachées, dont la liaison se fait reconnaître comme purement arbitraire ». Divers exégètes protestants, qui n’hésitent pas à reconnaître l’inspiration des Saints Livres, se sont laissés influencer par ces jugements et ont pareillement affirmé, quoique en des termes plus respectueux, que S. Luc n’a pas tenu compte de la suite réelle des faits dans ce long passage, mais qu’il y a groupé les incidents à sa manière d’après un enchaînement tout pragmatique (Keil ; W. Stewart). Toutefois ce ne sont là que des voix discordantes dans un grand concert. En effet, la plupart des commentateurs appliquent à cette partie du troisième Évangile aussi bien qu’à toutes les autres la devise de S. Luc (« écrire de façon ordonnée », 1, 3), ne trouvant aucune raison suffisante de croire que l’écrivain sacré aurait oublié ici ses engagements antérieurs. Non sans doute qu’il faille presser outre mesure une telle promesse (voyez la Préface, § 8), car notre évangéliste peut bien avoir sacrifié dans quelques détails secondaires l’ordre des dates à celui des sujets ; mais l’ensemble est raconté d’après la vérité objective des événements, comme l’ont savamment démontré, parmi beaucoup d’autres : le Dr Wieseler ; Caspari ; Farrar. Pour les divers détails qui sont également racontés par le premier Évangile, mais à une autre place, il faut admettre ou que S. Matthieu ne s’est pas conformé à la suite historique des faits, ainsi qu’il lui arrive si souvent (cf. S. Matth.), ou qu’il y eut sur plusieurs points de doctrine des redites de Notre‑Seigneur en de nouvelles circonstances, ce qui ne pouvait guère manquer d’arriver, vu la nature et la forme de son enseignement. Or les conversations et les discours abondent précisément dans cette section ; les faits n’y apparaissent guère que pour indiquer l’occasion des paroles. L’idée qui prédomine dans le récit, servant de lien aux épisodes variés qui le composent, est celle d’un voyage, avec la Galilée pour point de départ, Jérusalem pour but, et la Pérée comme lieu de passage. Mais ce voyage, commencé peu de temps après la Transfiguration et terminé seulement quelques jours avant la Passion, s’accomplit lentement, en plusieurs mois. Plus semblable à un va‑et‑vient en des sens opposés qu’à une marche directe, souvent interrompu par des séjours en diverses localités, il ne fut du moins jamais abandonné : l’évangéliste en montre clairement la suite par des formules qui reviennent de temps à autre comme des points de repère. cf. 9, 57 ; 10, 38 ; 13, 22 ; 17, 11. Nous tirerons parti de ces jalons pour essayer de combiner le récit de S. Luc avec celui du quatrième Évangile. 

Samaritains inhospitaliers. Luc 9, 51-56.

Luc 9.51 Quand les jours où il devait être enlevé du monde furent près de s’accomplir, il prit la résolution d’aller à Jérusalem. – La narration du voyage s’ouvre par une expression solennelle et mystérieuse : Lorsque les jours où il devait être enlevé du monde furent près de s’accomplir. Le verbe enlevé est employé à plusieurs reprises pour désigner l’Ascension glorieuse de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ (cf. Marc. 16, 19 ; Actes 1, 2 ; 11, 22 ; 1 Timothée 3, 16), de même qu’il l’avait été par les Septante pour représenter celle d’Élie (2 Rois 2, 11 ; 1 Maccabées 2, 58 ; Ecclésiastique 48, 9). Sans doute Jésus n’arrivera aux splendeurs du ciel que par les ignominies et les souffrances du Calvaire ; mais il contemplait toutes choses à travers sa sublime consommation, et l’évangéliste entre admirablement dans sa pensée. cf. Jean 13, 33. – Il prit la résolution… Nous rappelle d’une part le portrait du Serviteur souffrant tracé par Isaïe, 50, 7 : « j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu », de l’autre un détail frappant de S. Marc., 10, 32 : « Les disciples étaient en route pour monter à Jérusalem ; Jésus marchait devant eux ; ils étaient saisis de frayeur, et ceux qui suivaient étaient aussi dans la crainte » (voyez le commentaire). cf. Hébreux 12, 2. Jésus est en marche vers Jérusalem, sachant bien quels maux l’y attendent, et pourtant il s’y dirige avec un esprit noble et droit (S. Jérôme, lettre 51 ad. Algas., quaest. 5), prêt à affronter tous les dangers.

Luc 9.52 Il envoya devant lui des messagers, qui se mirent en route et entrèrent dans un bourg des Samaritains pour préparer sa réception, – Jésus était alors accompagné de nombreux disciples (cf. 10, 1) : par mesure de prudence il se faisait donc précéder, dans les localités où il devait séjourner, par des messagers qui préparaient les logements et les vivres pour lui et toute sa suite. – Ils entrèrent dans un bourg des Samaritains. Jésus arrivant de Galilée, on a conjecturé que la bourgade en question pouvait bien avoir été En‑Gannim, aujourd’hui Djénîn, située sur la frontière septentrionale de la Samarie, et renommée pour le fanatisme de ses habitants. Pour aller de Capharnaüm à Jérusalem, la route la plus courte et la plus naturelle traversait la Samarie entière, du Nord au Sud. – Pour préparer sa réception : son séjour et son logement.

Luc 9.53 mais les habitants refusèrent de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. – Ce refus grossier ne fut pas exprimé directement à Jésus, mais à ses envoyés. Pourquoi les Samaritains ne voulurent‑ils pas accorder à Notre‑Seigneur l’hospitalité qu’il leur demandait ? La suite du verset le montre clairement : son aspect était celui d’un homme qui va à Jérusalem. Sur cette phrase à saveur hébraïque, voyez 2 Rois 17, 11, dans l’hébreu et les Septante. Les relations entre Juifs et Samaritains, déjà fort peu aimables en temps ordinaire (cf. Jean 4, 9 ; 8, 48), redoublaient encore d’animosité à l’approche des grandes fêtes nationales, qui conduisaient par foules les pèlerins juifs à Jérusalem. La haine des deux peuples avait en effet pour cause principale la différence de leurs cultes, et c’est en de tels moments que cette différence devenait plus saillante. Voir Jean 4, 20. Des insultes on en vint souvent aux voies de fait, comme le racontent Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, 2, 12, 3-7, Ant. 20, 6, 1, et S. Jérôme, in Osée, 5, 8-9. Or Jésus (ni lui ni ses messagers n’en faisaient un mystère) se rendait à Jérusalem. Ceux qui abhorraient la cité sainte comme une rivale de leur temple du mont Garizim refusèrent pour ce motif de lui rendre service. Autrefois pourtant (cf. Jean 4) les Samaritains de Sychar avaient fait à Jésus le plus aimable accueil ; mais il tournait le dos à Jérusalem, et les circonstances n’étaient plus les mêmes. – D’après Meyer, Alford, Reischl, etc., les envoyés de Notre‑Seigneur l’auraient ouvertement annoncé comme le Messie, et c’est pour cela que les Samaritains auraient agi avec tant de dureté. Mais rien dans le texte n’autorise une pareille conjecture.

Luc 9.54 Ce que voyant, ses disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume ? » – Divers commentateurs, entre autres Euthymius, Maldonat, Mgr Mac Evilly, le P. Curci, etc., interprétant à la lettre le verbe « voyant », ont supposé que les deux fils de Zébédée avaient été les messagers du Sauveur repoussés par les Samaritains, ce qui expliquerait la vivacité particulière de leur ressentiment. Mais cette opinion est rejetée par la grande majorité des exégètes, et à bon droit, le texte n’exige nullement la présence personnelle de S. Jacques et de S. Jean : ils furent d’ailleurs « témoins » de l’insulte quand les messagers racontèrent l’insuccès de leur mission. – Voulez vous que nous commandions… ? La Recepta, la plupart des manuscrits, des versions et des Pères, ajoutent « comme aussi fit Élie », et, quoique ces mots aient été omis par les manuscrits B, L, Z, Sinait., tout porte à croire qu’ils sont authentiques. Ils conviennent du moins fort bien à la situation, car les deux frères avaient vu naguère Élie sur la sainte montagne, et il était naturel qu’ils se ressouvinssent maintenant de l’acte de zèle qu’il avait précisément exercé dans la province de Samarie, en faisant tomber le feu du ciel sur les ministres d’un roi sacrilège, 2 Rois 1, 10-12. Ils demandent donc à Jésus la permission de venger son honneur messianique, méconnu et outragé. « Si, pour venger l’outrage fait à Élie, qui n’était que le serviteur de Dieu, le feu du ciel a dévoré non pas des Samaritains, mais des Juifs, par quelles flammes ne doit‑on pas punir le mépris que ces impies Samaritains font du fils de Dieu! ». S. Jérôme, ad Algas. 5. « Quoi d’étonnant, dit S. Ambroise, h. l., avec beaucoup d’à‑propos, que les fils du tonnerre aient voulu foudroyer ? ».

Luc 9.55 Jésus, s’étant retourné, les reprit en disant : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. » – Le désir des fils de Zébédée provenait certainement d’une foi profonde et d’un ardent amour à l’égard de Jésus. Il était néanmoins très imparfait ; aussi Notre‑Seigneur refusa‑t‑il avec force de le réaliser. – S’étant retourné. détail pittoresque. Jésus marchait, selon sa coutume, en tête du cortège : il se retourne pour réprimander les deux frères qui étaient derrière lui. Ce détail prouve que Jacques et Jean n’étaient pas les messagers envoyés chez les Samaritains, car alors ils eussent été en face du Sauveur. – Vous ne savez pas. Quelques exégètes donnent un tour interrogatif à la pensée : ne savez‑vous pas…?). Vous, les apôtres de la nouvelle Alliance, par opposition à Élie, le prophète terrible de l’Ancien Testament. Ce sont en effet les deux Alliances, et les deux esprits si distincts qui les dominaient, que Jésus met en regard par manière de contraste. Or, comme le dit magnifiquement S. Augustin, contr. Adim. 17, « La crainte et l’amour, tel est en effet, dans toute sa concision, la différence qui sépare les deux Testaments ». Mais voici que les fils du Tonnerre, par leur demande inconsidérée, voulaient ramener la « Loi enflammée » du Sinaï, oubliant la loi d’amour apportée par l’Évangile : n’était‑ce pas méconnaître l’esprit de l’institution à laquelle ils appartenaient ? Sans doute, Élie avait agi par un mouvement de l’Esprit de Dieu, et le Sauveur ne blâme nullement sa conduite ; mais le temps d’Élie était passé, et Dieu avait modifié ses voies envers les hommes, se faisant tout aimable et miséricordieux après avoir été un Dieu terrible. – Les deux frères montrèrent plus tard admirablement combien ils comprenaient l’esprit de l’Évangile : le premier, S. Jacques, en vérifiant le mot célèbre de Lactance, Institutions Divines, 5, 20, « Il faut défendre la religion non en tuant les autres, mais en mourant pour elle » ; le second, S. Jean, quand il vint avec S. Pierre dans ces mêmes contrées pour faire descendre sur elles un autre feu du ciel, en administrant le sacrement de confirmation à leurs habitants convertis au Messie. cf. Actes 8, 14.

Luc 9.56 Le Fils de l’homme est venu, non pour perdre les vies des hommes, mais pour les sauver. » Et ils allèrent dans une autre bourgade. – Parole toute divine, qu’on a justement appelée la devise du Dieu rédempteur. Elle indique de la façon la plus noble en quoi consiste l’esprit de la nouvelle Alliance, conformément auquel Jésus souhaite que ses collaborateurs se conduisent. Voyez Jean 3, 17 ; 12, 47, des dires analogues du divin Maître. – Le « Fils de l’homme » est venu pour sauver les âmes, les vies « des hommes » : n’est‑ce‑pas juste et naturel ? – Ils  allèrent… Plusieurs auteurs ont conclu que la nouvelle bourgade vers laquelle Jésus et les siens se dirigèrent n’était pas en Samarie, mais en Galilée. Il est assez vraisemblable en effet qu’après l’échec éprouvé sur la frontière de la région samaritaine, Jésus n’ait pas voulu pénétrer plus avant dans la province.

Luc 9, 57-62.  = Matth. 8, 19-22.

Luc 9.57 Pendant qu’ils étaient en chemin, un homme lui dit : « Je vous suivrai partout où vous irez. » 58 Jésus lui répondit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » – (Voyez les détails de l’explication dans S. Matth.). – Jésus s’est remis en marche, et c’est en chemin que le triple dialogue aura lieu : détail pittoresque, digne de S. Luc. – Un homme lui dit : c’était un Scribe, d’après S. Matthieu. – Je vous suivrai… Expression emphatique : partout où vous irez. cf. 2 Rois 15, 21. Cet homme demande donc à faire partie du cercle des disciples intimes qui, depuis quelque temps, ne quittaient guère la personne du Sauveur ; mais il comprend qu’il s’exposera par là‑même à certains inconvénients, peut‑être à des dangers réels. Toutefois, se faisant illusion sur ses forces, il se croit capable de tout braver pour Jésus. Le Maître au contraire le décourage par une description brève, mais significative, de sa vie pauvre et mortifiée, semblant dire : A mon service on ne trouve d’autre récompense que la croix ; voyez si vous pouvez vous contenter de ce salaire. L’événement antérieur avait prouvé jusqu’à quel point Jésus était en droit de dire : Il n’a pas où reposer sa tête

Luc 9.59 Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit : « Seigneur, permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. » 60 Mais Jésus lui dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts, pour toi, va annoncer le royaume de Dieu. » – (cf. comment. S. Matth). Après le disciple enthousiaste et précipité, le disciple temporisant et trop circonspect. Le premier s’était offert de lui‑même à Jésus ; celui‑ci a l’honneur d’être directement appelé par Notre‑Seigneur : Suis‑moi (détail propre à S. Luc). Il y consent moyennant une réserve qui semble de prime abord tout à fait légitime : Permettez‑moi… Il venait d’apprendre la mort de son père : que Jésus lui permette d’aller l’ensevelir. Bientôt, dans quelques jours au plus, il sera à son poste de disciple pour ne plus le quitter. – Le Sauveur n’accorde pas ce délai. Non. Maintenant ou jamais. Quiconque aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi (Matth. 10, 37). S Augustin, Serm. 62, 2, a très bien commenté le refus de Jésus et le jeu de mots à l’aide duquel il est exprimé : « Le futur disciple voulait faire une bonne œuvre ; mais le Maître lui montra ce qu’il y devait préférer ; car il prétendait faire de lui un prédicateur de la parole de vie pour ressusciter les morts ; et il ne manquait pas d’hommes pour accomplir cet autre devoir. Laisse donc, lui dit‑il, les morts ensevelir leurs morts. Quand des infidèles ensevelissent un cadavre, ce sont des morts qui ensevelissent un mort. Ce cadavre a perdu son âme et l’âme des autres a perdu son Dieu ». Ainsi raisonnait d’ailleurs la loi juive, qui interdisait parfois aux particuliers de rendre les devoirs funèbres à leurs proches. cf. Lévitique 21, 10-12 ; Nombres 6, 6-7 ; 19, 11-14. – Pour toi… S. Matthieu n’avait pas mentionné cette injonction formelle de Notre‑Seigneur, qui dut trancher la question d’une manière définitive.

Luc 9.61 Un autre lui dit : « Je vous suivrai, Seigneur, mais permettez-moi d’aller auparavant faire mes adieux à ceux de ma maison. » 62 Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » – Troisième cas, propre à S. Luc. Cet autre disciple se présente spontanément au Sauveur, comme le premier ; mais, comme le second, il demande un peu de répit avant de s’attacher à sa vocation d’une manière définitive. Il voudrait, dit‑il, faire ses adieux. S. Augustin adopte le premier sens : « Permets que je l’annonce aux miens, pour que, comme cela arrive souvent, ils ne me cherchent pas », Sermo 7 de Verbis Domini. De même S. Irénée (« aux gens de ma maison »), et Tertullien (adv. Marc. 1. 4. : « Et ce troisième est prêt à dire d’abord adieu aux siens. »). Le disciple voulait tout d’abord aller mettre ordre à ses affaires. – A lui aussi Jésus apprend qu’il n’y a pas de délai possible quand il s’agit d’une vocation céleste, et il le lui dit au moyen d’une image très expressive. « Mettre la main à la charrue » était une locution métaphorique en usage chez les Grecs pour signifier « entreprendre un travail ». Mais, quand un homme sérieux commence une entreprise, il doit la poursuivre avec vigueur, s’y adonner tout entier, sans se laisser distraire par aucun objet étranger, ainsi que l’indique la suite des paroles de Jésus. – Regarde en arrière. Un bon laboureur se courbe sur sa charrue nous dit Pline, et regarde à ses pieds ou devant lui, mais pas en arrière ; autrement, il tracera des sillons tortueux (« le laboureur, s’il n’est pas courbé, s’éloignera de la ligne droite », Hist. Nat. 18, 29). Le disciple qui s’adressait en ce moment au Sauveur était donc dans la fausse situation d’un homme qui met la main à la charrue et qui jette derrière lui des regards distraits. Aussi Jésus lui dit‑il qu’il ne pouvait compter sur le succès, spécialement dans le royaume de Dieu, car un cœur partagé nuit plus encore à l’ouvrier évangélique qu’à celui qui laboure un champ matériel. Qu’il mette donc fin à son irrésolution. Qu’il ne regarde pas du côté de l’occident quand c’est l’orient qui l’appelle (S. Aug., l. c.). Il y a là un précepte d’une profonde et perpétuelle vérité. Il est devenu proverbial à tout jamais. – Quel grand maître que Jésus pour la direction des âmes. Voilà trois hommes qui se présentent à lui dans des conditions extérieures à peu près identiques ; mais il emploie envers chacun d’eux des méthodes bien diverses, suivant leurs différentes dispositions. Il écarte le premier, qui est présomptueux ; il aiguillonne l’irrésolution de l’autre ; quant au troisième, qui semble avoir tenu le milieu entre les deux premiers, il ne le décourage pas, mais il ne le pousse pas non plus en avant : il se borne à lui faire entendre une réflexion importante, lui abandonnant le soin de prendre un parti. Dans ces trois disciples, les Gnostiques, au rapport de S. Irénée, 1, 8, 3, voyaient des personnes‑types ; quelques auteurs les regardent comme les types des tempéraments sanguins, mélancoliques et flegmatiques : le tempérament bilieux ou colérique aurait fait, d’après eux, son apparition un peu plus haut, v. 54, dans la personne des fils de Zébédée.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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