Chapitre 1
La Généalogie de Jésus. 1, 1‑17. Parall. Luc. 3, 23‑38.
Tandis que l’Ancien Testament abonde en généalogies, nous n’en trouvons qu’une seule dans le Nouveau, celle de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Mais les temps et les choses avaient subi de profonds changements. Quel était le but des anciennes généalogies ? C’était de marquer la séparation des tribus et des familles, de perpétuer la propriété des terres, d’indiquer les vrais descendants de Lévi; c’était avant tout de distinguer, en vue du Messie, les membres de la race royale, puisqu’il devait, d’après les prophètes, faire partie de cette noble race. Mais quand Israël eût cessé d’être exclusivement le peuple de Dieu, quand la terre juive fut au pouvoir des Païens, quand le sacerdoce lévitique fut abrogé, toutes les généalogies, à part une, celle du Christ, devinrent inutiles. Celle‑ci seulement intéresse l’Église ; voilà pourquoi les écrits du Nouveau‑Testament n’en contiennent pas d’autre.
Mt1.1 Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. – Généalogie. Le verset 1 renferme un titre, c’est évident ; mais ce titre embrasse‑t‑il tout l’évangile de S. Matthieu, ou bien faut‑il le restreindre soit aux deux premiers chapitres, soit même simplement à la généalogie du Sauveur ? La réponse dépend du sens que l’on attribue aux mot “Généalogie”. On peut, en effet, les traduire de trois manières différentes : “histoire de la vie” ; “histoire de la naissance” ; “tableau généalogique”. Nous croyons, avec la plupart des exégètes, que ce dernier sens est le véritable. Il suffit, pour le prouver, d’un simple rapprochement. S. Matthieu, écrivant en hébreu, donne certainement à “généalogie” la signification qu’elle avait dans cette langue ; or la formule qu’on trouve fréquemment dans la Bible hébraïque, Cf. Genèse 5, 1 ; 6, 9 ; 11, 10, et qui correspond très exactement à “livre de la généalogie”, représente toujours le catalogue, la série d’un certain nombre de générations. Cela est d’ailleurs conforme au sens primitif du Sépher dont la racine est Saphar, compter. A la généalogie du premier Adam, racontée par Moïse, Genèse 5, 1, S. Matthieu oppose donc la généalogie du second Adam, parce que, avec Jésus, commence une nouvelle création, un nouvel avenir des temps (Pensée de S. Remi). L’historiographe du Messie ne pouvait pas agir d’une autre manière. – On s’est parfois demandé si S. Matthieu composa lui‑même la généalogie du Sauveur, ou si, ayant trouvé cette pièce toute faite, il se contenta de l’insérer en tête de son Évangile. La seconde hypothèse nous paraît la plus vraisemblable. Et puis, comme l’a dit Lightfoot (Horae hebr. in h.l.) : « Il était nécessaire ici pour une question aussi fondamentale et aussi essentielle, et qui tenait tant à cœur au peuple Juif, d’établir ce qu’était la généalogie du Messie, pour que non seulement on ne puisse pas contredire la vérité que présenteraient les évangélistes, mais pour qu’elle soit démontrée et corroborée par des registres officiels authentiques ». S. Matthieu puisa donc sans doute à des documents authentiques. Ces documents existaient en grand nombre, et dans les familles, et dans les archives du temple que le Talmud cite à plusieurs reprises. L’opinion des rationalistes, d’après laquelle l’écrivain sacré aurait composé une généalogie fantaisiste, pour faire accroire à ses lecteurs que Jésus était vraiment le Messie, mérite à peine d’être mentionnée. Dans son titre S. Matthieu résume en deux mots toute la généalogie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Quels sont, en effet, les deux noms essentiels des vv. 2‑16 ? Sans aucun doute, ceux de David et d’Abraham. Abraham, le père du peuple juif, David le plus grand de ses rois, tels étaient en réalité les principaux héritiers des promesses messianiques, Cf. 22, 18 ; 2 Samuel 7, 12, etc. Personne ne pouvait prétendre à la dignité de Messie à moins de démontrer, pièces en mains, qu’il descendait à la fois d’Abraham et de David. “Fils de David” désigne la famille, “fils d’Abraham” la race à laquelle appartenait le Christ : ce sont deux cercles concentriques, l’un plus étroit, l’autre plus vaste, dont Jésus‑Christ est le centre, mais le plus étroit est aussi le plus important, comme nous le montrera presque à chaque pas le récit évangélique. A cette époque, le nom de “fils de David”, dans la bouche du peuple comme sous la plume des savants, était synonyme de celui de Christ ou Messie ; de là les dénominations glorieuses que les Pères grecs appliquent à David. Être fils d’Abraham, c’était simplement être israélite. Ainsi donc Jésus transfigure tout à la fois l’humble tente d’Abraham et le trône glorieux de David. Voilà, dès ce premier verset, toute l’Ancienne Alliance rattachée à la Nouvelle. S. Matthieu prouve, par ces quelques paroles, que l’histoire d’Israël a désormais atteint son but, son terme, dans le Messie. Les versets suivants développeront davantage encore cette grande pensée.
L’arbre généalogique, vv. 2‑16.
Mt1.2 Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, ‑ Juda. Juda est nommé entre tous les fils de Jacob, parce que c’est sur sa tête et sur celle de ses descendants que passèrent, en des termes à jamais célèbres, Genèse 49, 10 cf. Hébreux 7, 14, les promesses messianiques. On mentionne toutefois ses frères d’une manière générale, parce qu’ils furent avec lui les chefs du peuple de Dieu, les fondateurs de ces douze tribus qui devaient former la partie primordiale du royaume du Christ. Juda n’était pas l’aîné de la famille, son père non plus, et de même d’autres personnages de notre liste : le privilège d’être l’ancêtre du Messie ne fut donc pas toujours attaché au droit d’aînesse ; mais alors Dieu faisait connaître ses volontés par des révélations spéciales.
Mt1.3 Juda, de Thamar, engendra Pharès et Zara, Pharès engendra Esron, Esron engendra Aram,‑ Pharès et Zara : c’étaient deux jumeaux, comme Jacob et Esaü. On s’est demandé pourquoi il est fait mention de Zara, puisqu’il ne compte pas parmi les aïeux du Christ. Maldonat répond, avec plusieurs exégètes, par une réflexion empruntée aux circonstances qui accompagnèrent la naissance des deux frères (Cf. Genèse 38, 29) : « Ces jumeaux semblaient lutter dans le sein de leur mère à qui serait le premier-né et l’ancêtre du Christ, de façon à mettre en doute quel serait celui qui naîtrait le premier. [Zara ayant sorti la main le premier, bien que Phares soit né le premier]. Voilà pourquoi l’évangéliste a voulu leur répartir un honneur égal ». – De Thamar. L’apparition de Thamar surprend doublement le lecteur, d’abord parce que les Juifs n’avaient pas coutume de mentionner les femmes dans leurs listes généalogiques, en second lieu parce que, si l’une des aïeules du Messie devait être tenue dans l’oubli, c’était assurément Thamar, Cf. Genèse ch. 38. Du reste, on a remarqué depuis bien longtemps que, parmi les cinq noms de femmes signalés dans la généalogie de S. Matthieu, un seul est immaculé, celui de la Vierge Marie ; tous les autres sont entachés de quelque façon. Après l’incestueuse Thamar, il y a Rahab, v. 5, “Rahab la débauchée” comme l’appelle la Bible, Jos 2, 1 ; Hébreux 11, 31 ; il y a Ruth, la Moabite, v. 5, d’origine païenne par conséquent ; il y a la femme d’Urie, ou Bethsabé, v. 6. Pourquoi n’avoir pas cité de préférence Sara, Rébecca ou Lia ? D’après plusieurs Pères, ce serait un fait providentiel destiné à relever les humiliations volontaires de Jésus‑Christ, dans son Incarnation. « Il est à remarquer que dans la généalogie du Seigneur l’Évangéliste ne nomme aucune des saintes femmes de l’ancienne loi, mais uniquement celles dont l’Écriture blâme la conduite. En voulant naître ainsi de femmes pécheresses, celui qui était venu pour les pécheurs veut nous apprendre qu’il venait effacer les péchés de tous les hommes, c’est pour cette raison que nous trouvons dans les versets suivants Ruth la Moabite », S Jérôme in h. l. On admet généralement que ces personnes ont obtenu une mention particulière, parce qu’elles sont devenues les parentes du Messie par des voies extraordinaires et tout‑à‑fait remarquables. Suivant quelques auteurs, S. Matthieu aurait tout simplement admis leurs noms dans sa table généalogique, parce qu’il les aurait trouvés déjà dans les documents écrits qui lui servirent de source pour cet endroit de son Évangile. En outre, il ne faut pas exagérer la culpabilité de ces femmes, ou du moins il est bon de se rappeler les éloges que leur confèrent les Saintes Écritures et les Pères. Juda trouvait Thamar plus juste que lui, Genèse 38, 26, et les saints Pères affirment que sa démarche aussi étrange que coupable auprès de son beau‑père eut pour cause un élan de foi enthousiaste : elle voulait à tout prix, disent‑ils, devenir la mère de la famille choisie par Dieu. Rahab est louée à deux reprises et par deux apôtres dans le Nouveau‑Testament, Heb. 11, 31 et Jac. 2, 25 ; Ruth nous est présentée comme un type admirable de piété filiale, et l’un des livres les plus beaux de la Bible porte son nom ; enfin Bethsabé partagea la pénitence de David et mérita, comme lui, de rentrer complètement en grâce avec Dieu.
Mt1 4 Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naasson, Naasson engendra Salmon, – D’Aram, d’Aminadab, de Salmon nous ne connaissons pas autre chose que les noms. – D’après Nombres 1, 7, Naasson était le chef de la tribu de Juda au moment de la sortie d’Égypte : s’il s’agit ici du même personnage, comme tout porte à le croire, il paraît évident que le généalogiste aura omis quelques anneaux intermédiaires, car le séjour en Égypte ayant duré 430 ans, Cf. Exode 12, 40 ; Galates 3, 17, ce serait bien peu de quatre générations pour une aussi longue durée. Nous ne trouvons, il est vrai, que ces quatre noms dans le tableau analogue du premier livre des Chroniques 2, 9‑11 ; nous n’en trouvons que quatre aussi, durant la même période, dans la famille de Lévi (Lévi, Caath, Amram et Aaron). Mais cette omission peut s’expliquer aisément. Dieu avait prédit à Abraham, Genèse 15, 13‑16, que sa postérité serait exilée et même esclave sur la terre étrangère durant 400 ans, et qu’ensuite la “quatrième génération” reviendrait en Palestine. Les Juifs prirent ces dernières paroles à la lettre, et ils ne se crurent pas permis de compter plus de quatre générations pour la durée de la servitude égyptienne. Cependant le Seigneur ne voulait parler que d’une manière générale et approximative.
Mt1 5 Salmon, de Rahab, engendra Booz, Booz, de Ruth, engendra Obed, Obed engendra Jessé, Jessé engendra le roi David. – Rahab. On a parfois prétendu, mais sans raison suffisante, qu’il est question en cet endroit d’une Rahab inconnue, distincte de celle dont nous avons parlé plus haut. D’après le traité Megilla, F. 14, 2, Rahab aurait épousé Josué lui‑même ; toutefois, c’est là évidemment une tradition légendaire qui perd toute autorité devant l’affirmation certaine de l’Évangéliste. Peut-être Salmon était‑il l’un des deux espions sauvés par Rahab à Jéricho ; son mariage avec elle serait alors un acte de reconnaissance. – Obed. Il est probable qu’ici encore, entre les noms d’Obed et de Jessé, il existe une lacune dans la liste de S. Matthieu. En effet, il s’écoula environ trois‑cent‑soixante ans entre Salmon et Jessé, ce qui serait un intervalle bien long pour trois générations seulement. Le livre juif Iucharin dit en propres termes que Jessé n’était que le descendant médiat d’Obed, et non son fils. Le nom de Jessé nous rappelle le beau texte d’Isaïe, 11, 1 : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines » – le roi David. C’est à partir de David que la race de Jésus devint race royale. Au livre de Ruth, 4, 18-22, nous trouvons, et dans les mêmes termes, les noms des ancêtres de David depuis Pharès ; là aussi, les générations sont réduites au nombre de trois entre Salmon et le grand roi.
Mt1.6 David engendra Salomon, de celle qui fut la femme d’Urie, de celle qui fut la femme d’Urie : il est étonnant, malgré ce que nous avons dit tout-à-l’heure, qu’au lieu de la désigner par son nom propre, on ait choisi un titre qui rappelle plus vivement sa faute.
Mt1.7 Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abias, Abias engendra Asa, Salomon veut dire «pacifique». La paix de la conscience vient des bonnes actions, Ps 118, 165 : profonde paix pour ceux qui aiment ta loi. Roboam convertit le peuple par l’élan de la prédication. ABIA, veut dire «Dieu père», car, par le fait qu’un homme s’applique au progrès spirituel ou corporel des autres. ASA, veut dire «s’élevant».
Mt1.8 Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias – Joram – Oziam. Entre ces deux princes, nouvelle lacune qui embrasse trois générations. Nous parlons cette fois, non pas d’après de simples vraisemblances, mais avec la certitude la plus complète ; car, suivant les données de l’histoire juive, Cf. 2 Rois, 8, 24 ; 11, 2 ; 12, 1 ; 2 Chron., 26, 4, l’arbre généalogique, pour être exact, devrait être ainsi conçu : « Joram engendra Ochozias, Ochozias engendra Joas, Joas engendra Amasias, Amasias engendra Ozias ». On voit par là que le mot “engendra”, dans les énumérations de ce genre, doit se prendre en un sens assez large ; il ne désigne pas toujours une génération directe. Les Orientaux se permettent facilement sous ce rapport des libertés, même considérables, quand la descendance est certaine ; leur principe en pareil cas est que “les petits‑fils sont comme des fils” (Proverbe rabbinique). Il y a plusieurs manières d’expliquer l’omission particulière que nous venons de rencontrer au v. 8. 1° Ce serait une faute de copiste occasionnée très naturellement, dit‑on, par la ressemblance qui existe entre les noms d’Ochosias et d’Ozias. 2° S. Matthieu, pour des motifs que nous déterminerons plus loin, voulait avoir, dans la généalogie du Sauveur, trois séries de quatorze générations ; pour obtenir exactement ce chiffre, il aurait exclu de lui‑même les noms d’Ochosias, de Joas et d’Amasias. Tel était déjà l’avis de S. Jérôme, que de nombreux exégètes ont depuis adopté. 3° Cette exclusion aurait eu pour fondement une raison toute mystique. Comme on le sait, Joram avait épousé Athalie, la fille impie d’Achab et de Jézabel. Irrité contre Achab à cause de son indigne conduite, le Seigneur avait juré, par ses prophètes, Cf. 1 Rois 21, 21-22, d’exterminer toute sa race ; or, d’après le langage des Écritures, la race, en pareil cas, s’étend jusqu’à la quatrième génération (Cf. Maldonat). Par conséquent, le fils, le petit‑fils et l’arrière petit‑fils d’Athalie étaient devant Dieu comme s’ils n’eussent jamais existé, et c’est pour cela que leurs noms auraient été supprimés dans notre document. Il est certain du moins que ces trois rois manquent, jusqu’à un certain point, de légalité au point de vue théocratique. Ochosias fut un roi purement nominal sous la tutelle d’Athalie, sa mère ; Joas, excellent prince tant qu’il eut à ses côtés le prêtre Joïada, ne tarda pas à devenir le jouet de courtisans dépravés ; Amasias, enfin, s’attira par ses infamies la malédiction spéciale de Dieu.
Mt1.11 Josias engendra Jéchonias et ses frères, au temps de la déportation à Babylone. – Jéchonias. Le nom de Jéchonias soulève à son tour une difficulté d’interprétation. En effet, Josias ne fut pas le père, mais l’aïeul de ce prince, Cf. 1 Chron., 3, 15, 16 ; entre eux nous devrions trouver Joakim. En outre, S. Matthieu attribue ici plusieurs frères à Jéchonias, tandis qu’il n’en eut qu’un seul d’après 1 Chron., 3, 16 : « De Joakim naquirent Jechonias et Sedecias » ; entre eux, nous devrions trouver Joakim. Enfin, l’auteur de la généalogie fait vivre à l’époque de la captivité de Babylone le roi Josias, qui était mort depuis vingt années environ quand elle commença. Ce sont donc trois points à élucider. Il est vrai qu’il suffira, pour éclaircir le premier, d’une explication grammaticale relative à l’expression au temps de la déportation à Babylone. On veut donc simplement rappeler que, vers l’époque de la captivité babylonienne, Josias engendra Jéchonias, fait complètement exact, surtout si l’on réfléchit que la “transmigration” n’eut pas lieu en une seule fois, mais qu’elle eut pour ainsi dire, trois actes principaux, et qu’elle se prolongea durant une période assez considérable (606-586 avant Jésus‑Christ) cf. Jérémie 52, 28 et ss. ; 2 Rois 22, 12 et suiv. – Relativement aux deux autres points, nous nous trouvons de nouveau en face de solutions diverses. 1° Ici encore, un anneau aurait été volontairement omis dans la liste généalogique. Cette hypothèse est favorisée par plusieurs manuscrits ou versions qui rétablissent le nom supprimé : “Josias engendra Joakim, Joakim engendra Jéchonias et ses frères”. Mais, cette leçon fût‑elle authentique, reste encore la difficulté tirée des frères de Jéchonias. 2° Pour obvier à cela, plusieurs auteurs ont recours à un “mendum amanuensis” et ils prennent la liberté de reconstituer comme il suit le texte soi‑disant primitif : « Josias engendra Joakim et son frère, Joakim engendra Jechonias pendant la déportation à Babylone ». Nous voudrions pouvoir admettre cette ingénieuse conjecture d’Ewald, qui résout immédiatement le problème, et sous toutes ses faces ; malheureusement c’est un coup d’autorité que rien ne peut justifier. 3° D’autres essaient de dénouer plus patiemment ce nœud gordien. Suivant eux, le nom de Jéchonias, au v. 11, représenterait non pas Jéchonias lui‑même, mais précisément ce Joakim dont nous regrettons l’omission ; soit, disent‑ils, que ces deux appellations fussent identiques chez les Hébreux, soit qu’une erreur des copistes ait substitué l’une à l’autre. Cela posé, la généalogie est intégrale en cet endroit ; elle est, de plus, parfaitement correcte, puisque Joakim eut trois frères, Johanan, Sédécias et Sellum. Toutefois, ajoutent‑ils, Joakim ayant été mis à mort par le roi de Babylone et n’étant jamais allé en captivité, le Jéchonias du v. 12 ne doit pas être le même que celui du verset 11 ; c’est donc le Jéchonias proprement dit, fils de Joakim, petit‑fils de Josias. De quel droit, répondrons‑nous, peut‑on supposer, contre toute vraisemblance, que la généalogie cite deux personnes sous un même nom, alors qu’elle en avait de très‑distincts à sa disposition pour les désigner ? C’est le point faible de ce système. 4° Il nous reste à prendre purement et simplement la note du v. 11 telle qu’elle nous a été transmise, sans y faire aucun changement. Le nom de Joakim aura été passé sous silence, comme ceux de plusieurs autres ancêtres du Christ. Quant à Jéchonias, puisque c’est bien de Jéchonias et de lui seul qu’il est question, il est vrai que la Bible ne lui donne qu’un frère, mais nous aurons plus tard, l’occasion de démontrer que ce nom de frère a, dans la langue hébraïque, une signification beaucoup plus étendue que dans la nôtre, et qu’il pouvait s’appliquer aussi à des cousins, à de proches parents. [le mot cousin n’existe pas en araméen] – Au temps de la déportation : l’Évangéliste mentionne expressément cet événement douloureux à cause de sa gravité exceptionnelle pour la famille de David et du Christ ; au retour d’exil elle n’aura plus la dignité royale.
Mt1.12 Et après la déportation à Babylone, Jéchonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, – Après la déportation ; c’est-à-dire, non pas après qu’elle eût cessé, mais quand elle fut complète, quand tous les captifs eurent été conduits en Chaldée. Nous dirions plus clairement en français : pendant l’exil. – Zorobabel. Tandis qu’Esdras, v.2. et Aggée, son contemporain, 1, 1. 12, 14 : 2, 3, le nomment fils de Salathiel comme S. Matthieu, les tables généalogiques des Chroniques le font naître de Phadaïa, Cf. 1 Chron. 3, 17 ; Salathiel serait donc seulement son grand‑père.
Mt1.13 Zorobabel engendra Abiud, Abiud engendra Eliacim, Eliacim engendra Azor, 14 Azor engendra Sadoc, Sadoc engendra Achim, Achim engendra Éliud, 15 Éliud engendra Éléazar, Éléazar engendra Mathan, Mathan engendra Jacob, – A partir d’Abiud jusqu’à S. Joseph, les documents parallèles à celui de S. Matthieu nous font complètement défaut dans les écrits de l’Ancien Testament ; aucun de ces dix personnages n’y est mentionné. Aussi nous est‑il tout à fait impossible de contrôler ici le catalogue de l’Évangéliste. Abiud lui‑même, on ignore pour quel motif, n’est pas nommé parmi les enfants de Zorobabel, 1 Chron. 3, 17 et 18. Mais chaque famille, à plus forte raison la famille royale, tenait soigneusement en ordre ses registres de généalogie, et il était facile d’y recourir pour obtenir tous les renseignements désirables.
Mt1.16 Et Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle Christ. – Entre Jacob et Joseph le verbe “engendrer” est employé pour la dernière fois : l’ordre naturel des naissances cesse en effet avec S. Joseph, l’ordre surnaturel et divin commence. Ce n’est qu’en sa qualité d’époux virginal de Marie que Joseph est entré dans la généalogie du Christ ; de là ce changement remarquable dans la formule “époux de Marie, de laquelle est né…”. Quoiqu’il doive entrer bientôt dans de plus longs détails sur cette génération prodigieuse, S. Matthieu ne veut pas qu’il y ait l’ombre d’un doute à ce sujet ; de là son affirmation anticipée : Joseph n’est que le père putatif de Jésus. – De Marie. Ce nom béni, dont la forme hébraïque était “Miriam”, existait depuis longtemps chez les Juifs, car la sœur de Moïse et d’Aaron s’appelait déjà Marie. Il était fréquemment porté à l’époque de Notre‑Seigneur, comme le prouve le nombre relativement considérable des Marie qui apparaissent dans l’Évangile. Son étymologie est douteuse : il dérive suivant les uns d’une racine signifiant “être fort, dominer” ; suivant les autres, d’une racine semblable signifiant “être rebelle”. Les interprétations que les Pères ont donné de ce beau nom sont en général aussi fausses au point de vue philologique, qu’elles sont gracieuses quant à l’idée. – Qui est appelé, sans avoir toute la force de « on l’appellera », Cf. Luc, 1, 32, 35, ce mot fait plus que rappeler un simple souvenir historique ; il indique non seulement un surnom donné à Jésus, mais une fonction remplie légitimement par le Sauveur. – Christ nous vient, comme l’on sait, directement du grec, oindre, est à son tour la traduction littérale de l’hébreu, maschiach : Christ et Messie sont donc des appellations absolument identiques. Approprié d’abord tantôt aux prêtres et aux rois, qui étaient consacrés par de saintes onctions, tantôt aux prophètes, qui recevaient l’onction d’une manière figurée, ce nom fut plus tard exclusivement réservé au Libérateur promis, qui devint ainsi par antonomase le Messie. Christ est donc une dénomination de fonction et d’emploi ; mais pour Jésus, il fut employé à part à la façon d’un vrai nom propre (Cf. Simon Pierre, Jean Marc, Tullius Cicéron, etc.). L’auteur des Actes des Apôtres et S. Paul écrivent déjà simplement “le Christ”.
Mt1 17 Il y a donc en tout quatorze générations depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations depuis David jusqu’à la déportation à Babylone, quatorze générations depuis la déportation à Babylone jusqu’au Christ.. – En tout donc. En terminant son tableau généalogique, S. Matthieu le partage en trois groupes dont chacun, dit‑il, contient quatorze générations. Cependant, si nous essayons de vérifier son calcul, nous ne trouvons en tout que quarante‑et‑une générations au lieu de quarante‑deux, et dans le troisième groupe treize seulement au lieu de quatorze. Comment expliquer ce mystère ? On a proposé tantôt de compter Marie parmi les ancêtres du Christ, tantôt d’insérer Joachim après Josias au v. 11, d’après la variante que nous avons indiquée, tantôt d’additionner deux fois le nom de Jéchonias qui terminerait ainsi le second groupe et ouvrirait le troisième. C’est à ce dernier sentiment que nous nous sommes arrêté, parce qu’il nous semble le plus naturel d’après les expressions mêmes employées par l’Évangile dans les vv. 11, 12 et 17. “Depuis David jusqu’à la captivité de Babylone, quatorze générations”, donc Jéchonias est compris dans ce nombre d’après le v. 11 ; “depuis la captivité jusqu’au Christ, quatorze générations”, donc, d’après le v. 12, c’est par Jéchonias que doit commencer la troisième série. Ce prince étant considéré à deux époques différentes, avant et après la déportation des Juifs en Chaldée, doit par là-même entrer à deux reprises dans le calcul de S. Matthieu. Sans doute David aussi est mentionné deux fois au v. 17, et néanmoins il n’appartient qu’à un seul groupe ; mais remarquons bien qu’il n’y a pas de parité sous ce rapport entre le Roi‑Prophète et Jéchonias. Le premier est simplement nommé pour lui‑même, tandis que le second est mis en rapport avec un événement historique de la plus haute gravité, et c’est précisément pour ce motif qu’il est compté deux fois. D’après ce principe, nous obtenons les trois groupes suivants :
1. – 1. Abraham
2. Isaac – 3. Jacob – 4. Juda – 5. Pharès – 6. Esrom – 7. Aram – 8. Aminadab – 9. Naasson – 10. Salmon – 11. Booz – 12. Obed – 13. Jessé – 14. David.
2. – 1. Salomon
2. Roboam – 3. Abia – 4. Asa – 5. Josaphat – 6. Joram – 7. Ozias – 8. Joathan – 9. Achaz – 10. Ezéchias – 11. Manassès – 12. Amon – 13. Jéchonias (à l’époque de l’exil).
3. 1. Jéchonias (après l’exil).
2. Salathiel – 3. Zorobabel – 4. Abiud – 5. Eliacim – 6. Azor – 7. Sadoc – 8. Achim – 9. Eliud – 10. Eléazar – 11. Mathao – 12. Jacob – 13 – Joseph – 14. Jésus‑Christ.
Ce partage des ancêtres du Christ en trois groupes est très‑naturel ; il était tout indiqué par l’histoire juive qui, d’Abraham à Jésus‑Christ, se divise d’elle‑même en trois périodes principales, la période de la théocratie, entre Abraham et David, la période de la royauté, de David à l’exil, la période de la hiérarchie ou du gouvernement sacerdotal, depuis l’exil jusqu’au Messie. On peut les appeler encore périodes des patriarches, des rois et des simples descendants royaux. Durant la première, la famille choisie par Dieu suit une marche ascendante, elle s’avance glorieusement vers le trône. La seconde ne nous offre que des rois, mais des rois fort inégaux en mérite et en grandeur ; vers la fin c’est même déjà une complète décadence. Pendant la troisième période, la décroissance est de plus en plus rapide, du moins humainement parlant, et le dernier nom de la liste est celui d’un humble charpentier ; mais tout à coup la race d’Abraham et de David se relève jusqu’au ciel avec le Messie. Dans la famille de Jésus, nous retrouvons donc toutes les vicissitudes des autres familles humaines : on y rencontre des hommes de toute sorte, des bergers, des héros, des rois, des poètes, des saints, de grands pécheurs, de pauvres artisans. A la fin, elle était ce qu’avait prédit Isaïe en parlant des humiliations du Christ, 53, 2. Mais l’Esprit‑Saint veillait spécialement sur elle et, somme toute, elle représente la plus haute noblesse qui ait jamais existé dans le monde entier. – La division de chaque série en quatorze générations s’explique moins aisément que celle de la généalogie entière en trois groupes. S. Matthieu, ou le généalogiste dont il suivait les documents, ne se serait‑il proposé, comme l’ont pensé Michaëlis, Eichhorn, etc., que de venir en aide à la mémoire des lecteurs ? Non, il avait en vue quelque chose de plus important qu’une leçon de mnémotechnie. N’aurait‑il pas, à la façon des Cabbalistes, obtenu le nombre quatorze en additionnant les chiffres qui correspondent aux trois lettres du nom hébreu de David ? Pas davantage : un calcul de ce genre pourrait avoir sa raison d’être dans une généalogie dont David serait le terme ; il n’en aurait aucune dans celle du Christ. On a aussi remarqué qu’en multipliant 3 par 14 on obtient 42 ; or, ce chiffre étant celui des stations par lesquelles fut interrompue la marche des Hébreux dans le désert, il y aurait là un rapprochement extraordinaire dont on aurait voulu garder le souvenir : 42 stages de part et d’autre avant la Terre promise. L’idée suivante est encore plus ingénieuse ; elle s’appuie sur le culte du nombre 7 chez les anciens. 14, nous dit‑on, égale 7 fois 2 ; trois fois 14 ou 42 = 6 fois 7, c’est-à-dire 6 fois le nombre sacré. 7 est donc à la base de la généalogie du Sauveur. Ce n’est pas tout : d’après la doctrine du Nouveau‑Testament, avec le Christ arriva la plénitude des temps ; or dans la liste de S. Matthieu, Jésus‑Christ termine précisément le sixième septénaire de générations, et avec Lui commence le septième septénaire, la dernière semaine du monde qui sera suivie du Sabbat éternel. – L’Évangéliste a‑t‑il eu vraiment ces pensées à l’esprit ? Ce qui est certain, c’est que les Juifs aimaient à diviser leurs généalogies en groupes distincts et artificiels, d’après des nombres mystiques fixés d’avance ; pour ramener ensuite les générations à ce nombre, ils répétaient ou omettaient certains noms, comme nous l’avons vu, sans le moindre scrupule. Par exemple, les générations qui séparent Adam de Moïse sont réparties par Philon entre deux décades auxquelles il ajoute une série de sept membres (10 + 10 + 7) ; mais il a fallu pour cela compter deux fois Abraham. Au contraire, un poète samaritain partage la même série de générations en deux décades seulement, à la condition toutefois de sacrifier six noms choisis parmi les moins importants. – Après avoir étudié dans le détail la généalogie de Jésus selon S. Matthieu, il nous reste à examiner encore deux points généraux que leur gravité ne nous permet pas de passer sous silence. Le premier regarde cette généalogie en elle‑même ; le second concerne ses rapports avec l’arbre généalogique de S. Luc, 3, 23-38. 1° La généalogie de Jésus‑Christ selon S. Matthieu considérée en elle‑même. C’est la généalogie de S. Joseph que le premier évangéliste nous a transmise ; il n’y a pas de doute à ce sujet. D’Abraham à S. Joseph, il signale une suite de générations plus ou moins immédiates, mais toutes réelles, comme le démontre l’emploi du verbe engendrer, auquel nous n’avons aucune raison d’attribuer un sens métaphorique. Cependant, n’est‑il pas surprenant que S. Matthieu, voulant composer la généalogie de Jésus‑Christ, écrive la généalogie non de la sainte Vierge, par laquelle seulement Notre‑Seigneur se rattachait à la grande famille humaine, mais de S. Joseph qui n’était que son père putatif ? Pour expliquer ce fait extraordinaire on a eu recours à trois principales raisons. a. Chez les Juifs, comme chez plusieurs autres peuples de l’antiquité, c’était un principe que les femmes ne comptaient pas dans les générations. Écrivant surtout pour des Juifs, S. Matthieu devait se conformer à leurs lois. La généalogie de la mère n’eût rien prouvé pour eux, il était dès lors inutile de la donner. b. Bien qu’à proprement parler Jésus‑Christ ne fût pas le fils de S. Joseph, il en était néanmoins le fils adoptif, et par conséquent légal, puisque Joseph était l’époux de sa mère. Cela posé, Jésus héritait nécessairement de tous les droits de son père nourricier ; il recevait de lui, devant la loi juive, le caractère de fils de David. Marie transmettait bien au Sauveur le sang royal mais elle ne lui transmettait pas les droits à la succession parce que, chez les Israélites comme chez nous, la couronne ne tombait pas de lance en quenouille [passer de l’homme (qui manie la lance) à la femme (qui utilise fuseau et quenouille]. Il fallait que S. Joseph fût là pour le faire héritier légal du trône de David ; Jésus n’ayant pas de père sur la terre, il n’y avait pas d’autre moyen de prouver sa descendance du grand roi. c. Marie faisait partie comme Joseph de la famille de David ; cela ressort de l’enseignement implicite de S. Luc et de S. Paul et des affirmations très‑expresses de la tradition. Pour S. Luc, voir 1. 32. S. Paul a des textes encore plus formels, Romains 1, 3, et dans la lettre aux Hébreux 7, 14 cf. Galates 3, 16. Quant aux Pères et aux autres écrivains ecclésiastiques, il n’y a pas là-dessus le moindre doute dans leur esprit. – 2° La généalogie de S. Matthieu dans ses rapports avec celle de S. Luc. Il nous semble plus naturel de renvoyer à l’explication du troisième Évangile l’examen approfondi des faits qui touchent à cette question délicate. Notre dessein est donc simplement d’indiquer ici le nœud de la difficulté et le sommaire des principales solutions qu’elle a reçues. La généalogie de Notre‑Seigneur d’après S. Luc diffère et quant à la forme et quant au fond de celle que nous venons de lire dans S. Matthieu. Les divergences de forme sont peu considérables et s’expliquent sans peine ; les divergences matérielles sont beaucoup plus sérieuses, et il y a longtemps qu’elles exercent le génie des commentateurs. Elles se ramènent au fait suivant : entre David et Jésus‑Christ, les deux listes n’ont rien de commun, si ce n’est les trois noms de Salathiel, de Zorobabel et de S. Joseph ; tous les autres ancêtres attribués à Notre‑Seigneur par S. Luc durant cette longue période, diffèrent de ceux que lui donne S. Matthieu. Tandis que le premier évangéliste rattache Jésus‑Christ à David par Salomon, le second le fait descendre du grand roi par Nathan. Pourquoi ces lignes différentes ? Pourquoi, en fin de compte, S. Joseph est‑il appelé d’une part fils de Jacob, de l’autre fils d’Héli ? Il existe sur ce point bien des systèmes, mais pas de solution certaine et il n’est guère probable qu’on en trouve jamais. Voici du moins les deux hypothèses les plus communément admises ; elles suffisent pour répondre aux attaques du rationalisme. 1. Les deux généalogies sont celles de S. Joseph. Si elles lui attribuent deux pères distincts, c’est que, d’après la loi juive, Cf. Deutéronome 25, 5-10, sa mère aurait été soumise à ce qu’on nommait le mariage du Lévirat. Jacob est donc le père naturel, Héli seulement le père légal. Quelque chose d’analogue aurait eu lieu pour Salathiel cf. Matth. 1, 12 ; Luc. 3, 27. – 2. La première généalogie est celle de S. Joseph, la seconde celle de la sainte Vierge. Les saints époux appartenaient l’un et l’autre à la famille royale, avec cette différence que S. Joseph descendait de la branche directe par Salomon, Marie d’une branche collatérale par Nathan. Ce système ingénieux a trouvé de très nombreux partisans dans les temps modernes, même parmi les protestants. – Nous croyons terminer utilement cette étude sur la généalogie de Jésus‑Christ selon S. Matthieu en notant les principaux passages de l’Ancien Testament qui peuvent servir de preuve ou de commentaire au texte évangélique. – Jésus fils de David : Psaume131, 11 et 12 ; Isaïe 11, 1 ; Jérém. 23, 5 ; 2 Samuel 7, 12 ; Actes des Apôtres 13, 23 ; Romains 1, 3. – Jésus fils d’Abraham : Genèse 12, 3 ; 22, 18 ; Galates 3, 16. – Isaac : Genèse 21, 2 et 3 ; Romains 9, 7-9. – Jacob : Genèse 25, 25. – Juda : Genèse 29, 35 : 49, 10 ; Heb. 7, 14. – Phares et Zara : Genèse 38, 16. – Esron : 1 Chron. 2, 5. – Aminadab : 1 Chron. 2, 10. – Naasson : Exode 6, 23 ; 1 Chron. 2, 10. – Salmon : 1 Chron. 2, 11 ; Ruth. 4, 20. – Rahab : Josué 2, 1 ; 6, 24. 25. – Booz et Obed : Ruth. 4, 21. 22 ; 1 Chron. 2, 11. 12. – Isaï et David. ibid. ; 1 Samuel 16, 11 ; 1 Rois 12, 16 etc. – Salomon : 2 Samuel 12, 24. – Roboam : 1 Rois 11, 43. – Abias : 1 Rois 14, 31. – Asa : 1 Rois 15, 8. – Josaphat : 1 Chron. 3, 10. – Joram : 2 Chron. 21, 1 ; 2 Rois 8, 16. – Ozias (ou Azarias) : 2 Rois 14, 21 ; 2 Chron. 26, 1. – Joatham : 2 Rois 15, 7 ; 2 Chron. 26, 23. – Achaz : 2 Rois 15, 38 ; 2 Chron. 27, 9. – Ezéchias : 2 Chron. 28, 27 ; 2 Rois 16, 20. – Manassés : 2 Rois 20, 21 ; 2 Chron. 32, 33. – Amon : 2 Rois 21, 18. – Josias : 2 Rois 21, 24. – Jéchonias : 1 Chron. 3, 16. – Captivité de Babylone : 2 Rois 24 et 25, 2 Chron. 36. – Salathiel et Zorobabel : 1 Chron. 3, 17-19. – Abiud et les autres : la tradition et les écrits juifs.
Mt1.18 Or la naissance de Jésus-Christ arriva ainsi. Marie, sa mère, étant fiancée à Joseph, il se trouva, avant qu’ils eussent habité ensemble, qu’elle avait conçu par la vertu du Saint-Esprit. – « Étant sur le point de raconter une chose inouïe et prodigieuse, il excite l’esprit de l’auditeur avec élégance et professionnalisme », Érasme in h.l. S. Matthieu reporte le lecteur au v. 16, dont il veut éclaircir et compléter le sens en montrant, par un court résumé des faits, la nature des rapports qui unissaient Jésus‑Christ à Joseph. Ce résumé, bien qu’il contienne les choses les plus merveilleuses et les plus sublimes que jamais historien ait eu à raconter, se recommande par son étonnante simplicité. Ce n’est pas avec cette sobriété de style que les écrivains du paganisme relatent l’origine prétendue virginale de Bouddha, de Zoroastre, de Platon et d’autres que le rationalisme oppose si volontiers à Jésus. – La naissance. C’est donc la genèse, l’origine du Christ, c’est-à-dire sa conception et sa naissance, qui va nous être racontée. – Fiancée. Quelle est la meilleure manière de traduire cette expression ? Faut‑il dire mariée, ou simplement fiancée ? Les théologiens en ont toujours débattu, le débat remonte aux premiers jours de l’exégèse. La question, comme on l’a déjà compris, revient à savoir si le mariage de la Ste Vierge et de S. Joseph précéda l’Incarnation, ou s’il n’eut lieu que plusieurs mois après, dans la circonstance présentement décrite par S. Matthieu. Les Pères la résolvent contradictoirement ; les commentateurs du moyen âge et des temps modernes se montrent en général plus favorables à la première hypothèse ; les contemporains, au contraire, adoptent assez communément la seconde. Ces derniers s’appuient et sur l’impression générale produite par le récit de l’Évangile, et sur les coutumes matrimoniales des anciens Juifs, et sur la philologie. Il est certain qu’après une lecture attentive des versets 18-25, faite sans idée préconçue, on se sent porté de préférence à voir dans ce passage la relation même du mariage de Joseph et de Marie. Bornons‑nous à signaler sommairement cette appréciation ; nous discuterons les preuves archéologiques et philologiques au fur et à mesure que le texte de S. Matthieu nous en fournira l’occasion. Et d’abord, revenons à l’expression qui a servi de point de départ à cet exposé du problème. La signification n’est pas “épouser” mais “se fiancer” ; on pourra facilement s’en convaincre en jetant un coup d’œil sur ce mot dans le dictionnaire grec. S. Luc, dans son récit de l’Incarnation, 1, 27, exclut même formellement, pour ce qui est de la Très‑Sainte Vierge, le sens secondaire et dérivé ; car il associe à “fiancée” le substantif “vierge” ; ont dit bien en effet, une vierge fiancée, mais jamais une vierge mariée. – avant qu’ils eussent habité ensemble. Nous nous trouvons de nouveau en face de deux traductions opposées : les uns disent “avant que le mariage soit consommé” (S. Jean Chrys. Théophylacte, etc.) ; les autres, avec S. Hilaire, “avant que Marie n’ait été emmenée chez son époux”, ou plus clairement, avant la cohabitation ; et tel est, croyons‑nous, le véritable sens. Chez les Juifs, en effet, des fiançailles solennelles précédaient rigoureusement le mariage, qui n’était célébré d’ordinaire qu’un an plus tard ; or, la principale cérémonie des noces consistait précisément à conduire en grande pompe la fiancée dans la maison de son époux. Il y est fait une allusion très‑directe au passage suivant du Deutéronome, 20, 7 : “Quiconque s’est fiancé une femme, et ne l’a pas encore emmenée chez lui”. Ne voit‑on pas que nous avons ici exactement les termes employés par S. Matthieu ? A l’époque où nous transporte l’Évangéliste, Marie n’habitait donc pas encore la maison de S. Joseph, preuve qu’ils n’étaient pas mariés. – il se trouva, c’est-à-dire “il apparut” ; on vit qu’elle était devenue mère. Cette observation nous conduit, au point de vue chronologique, trois mois environ après la conception du Sauveur, par conséquent aux jours qui suivirent immédiatement le retour de Marie à Nazareth, après sa visite à sa cousine cf. Luc. 1, 56. – par la vertu du Saint-Esprit. C’est par anticipation que l’Évangéliste écrit ces mots dès à présent ; leur vraie place est au v. 20 où nous les retrouverons bientôt ; mais S. Matthieu ne veut pas que le lecteur puisse supposer un seul instant que Jésus est né comme les autres hommes. Nous avons déjà remarqué, v. 16, son soin vigilant pour sauvegarder l’honneur virginal de Jésus‑Christ et de Marie. L’homme ordinaire naît “de la volonté de la chair, de la volonté de l’homme”, Jean 1, 13 ; le Christ, le second Adam, Sauveur et Rédempteur d’un monde corrompu, ne pouvait être engendré que par Dieu. Assurément, il devait être uni à l’humanité par des liens très-étroits, se faire chair de sa chair, os de ses os, et c’est pour cela qu’il prit une mère parmi les enfants d’Eve ; mais il fallait aussi qu’il fût pur et saint, séparé des pécheurs (Hébreux 7, 26), et de race divine, et c’est pour cela qu’il n’eut pas de père sur la terre. Les convenances les plus simples exigeaient qu’il en fût ainsi. – La préposition du texte grec est plus énergique que le de correspondant de la Vulgate, car elle exclut davantage toute paternité humaine ; mais la particule latine traduit assez bien aussi la pensée de l’écrivain sacré. Elle a même passé d’une manière définitive dans le langage théologique de l’Église d’Occident : “conçu du Saint Esprit, né de la Vierge Marie”. L’Incarnation du Verbe, comme toutes les opérations de Dieu “ad extra”, a été accomplie de concert par les trois personnes divines ; on l’impute toutefois plus spécialement à l’Esprit Saint en vertu de l’appropriation, parce que c’est une œuvre génératrice et que la troisième personne de la Sainte Trinité est regardée comme le principe générateur et vivificateur. Nous le voyons remplir ce beau rôle dès l’origine du monde, Genèse 1, 2. Voir sur cette question, S. Thom. Summa Philos. lib. 4, cap. 46, et les théologiens.
Mt1.19 Joseph, son mari, qui était un homme juste, ne voulant pas la diffamer, résolut de la renvoyer secrètement. – Son mari. Nous avons vu précédemment, Cf. v. 16, que cette expression doit se traduire par “époux” et nos adversaires tirent de là un de leurs principaux arguments. Ce nom donné actuellement à S. Joseph prouve, suivant eux, jusqu’à l’évidence, que les liens du mariage unissaient déjà ce saint patriarche à Marie. Nous répondrons que les fiançailles créaient chez les Hébreux, et même en général chez les peuples anciens, des relations beaucoup plus strictes qu’aujourd’hui ; aussi désignait‑on fréquemment par les noms de mari et de femme les personnes entre lesquelles elles avaient été conclues. La Bible nous en offre plusieurs exemples frappants. Au livre du Deutéronome, 22, 24, la simple fiancée est appelée “femme” ; de même, Genèse 29, 20. 21, où Jacob dit à Laban en parlant de Rachel : “Donne-moi ma femme”, bien qu’il ne l’eût pas encore épousée. – Juste désigne avant tout la justice théocratique de l’Ancien Testament cf. Luc. 1, 6 ; 2, 25. L’Évangéliste ne veut donc pas relever ici la bonté, la douceur de S. Joseph, comme l’ont cru plusieurs anciens exégètes (S. Jérôme), mais bien son esprit de fidélité aux lois. Étant juste, il ne pouvait pas épouser une personne qui, selon toute apparence, devait être gravement coupable. C’est en cela précisément que consiste le nœud de la situation tragique qui nous est plutôt indiquée que décrite par S. Matthieu. Dans la circonstance épineuse où il se trouvait, le juste Joseph devait rompre complètement avec Marie ; mais il avait deux manières de le faire, l’une pleine de rigueur, l’autre aussi douce que possible. La voie de la rigueur consistait à faire connaître publiquement sa situation, la dénoncer publiquement, la diffamer ; le parti de la clémence consistait à la renvoyer secrètement. De part et d’autre, cela veut dire que S. Joseph était libre de citer Marie devant les tribunaux juifs pour qu’elle rendît compte de sa conduite ; mais il pouvait aussi la répudier sans bruit, sans éclat. Cependant, d’après la loi mosaïque, il n’était pas possible que le secret fût absolu, les fiançailles, de même que le mariage, ne pouvant être dissoutes que par un acte de répudiation. « Dès qu’elle était fiancée, la femme était l’épouse de son mari, même si celui-ci ne l’avait pas encore connue. Et si le fiancé voulait la répudier, il lui fallait un libelle de répudiation », Maimon., traité Ischoth. Or, pour la validation de cet acte, il fallait nécessairement deux témoins. Il est vrai qu’on pouvait ne pas mentionner dans la pièce officielle les motifs du divorce, et telle était justement l’intention de S. Joseph à l’égard de Marie. De la sorte, il prenait le parti mitoyen entre la sévérité du droit strict et les tendresses désormais impossibles de l’affection. – Joseph était donc bien “décidé” à ne pas livrer Marie aux tribunaux, et il “inclinait” à la renvoyer purement et simplement ; mais il n’avait pas encore pris de résolution arrêtée sur ce point. – Il ressort clairement de ce récit que la Sainte Vierge n’avait pas fait connaître à son fiancé le mystère de sa grossesse. Une pareille réserve paraît tout d’abord surprenante. D’un mot, il lui eut été si facile, ce semble, d’épargner à S. Joseph, de s’épargner à elle‑même de cruelles souffrances. Mais elle croyait à bon droit devoir garder le secret de Dieu ; il n’appartenait qu’au Seigneur, pensait‑elle, de le révéler directement, et sa foi l’assurait que Joseph serait un jour providentiellement averti, comme l’avait été la mère de Jean‑Baptiste. D’ailleurs, quelle preuve aurait‑elle pu fournir de sa véracité.
Mt1.20 Comme il était dans cette pensée, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe, et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie ton épouse, car ce qui est formé en elle est l’ouvrage du Saint-Esprit. – Comme il était dans cette pensée. C’était sa constante préoccupation, comme un glaive acéré qui se retournait sans cesse dans son âme, le torturant d’autant plus que la situation se compliquait d’une question pratique difficile à résoudre. Que de choses dans ces quelques paroles. Il ne saurait y avoir en effet de position plus douloureuse pour un homme juste et droit. Cependant la main de la Providence va délier doucement le nœud qu’elle a formé ; Marie ne s’était pas trompée en abandonnant sa cause à Dieu. – voici. Les Hébreux employaient volontiers cette particule pour figurer le caractère imprévu, soudain, d’un événement ; S. Matthieu l’intercale fréquemment dans sa narration. Un ange du Seigneur : traduction littérale de la célèbre expression qui revient si souvent dans les écrits de l’Ancienne Alliance, et sur laquelle on a tant discuté. L’ange de Dieu avait autrefois porté au patriarche Abraham la grande promesse messianique, il vient maintenant apprendre à S. Joseph la prochaine réalisation de cette bonne nouvelle. – En songe. Comme son homonyme de l’Ancien Testament, qui était également fils de Jacob, S. Joseph est célèbre par ses songes. (Voir dans le Bréviaire romain, Fest. S. Joseph, Lect. 2. Noct, un beau parallèle de S. Bernard entre ces deux illustres personnages). Chose étonnante, sa vie, telle qu’elle nous est connue par l’Évangile, se compose uniquement de quatre songes surnaturels et de quatre actes d’obéissance qui leur correspondent. – Les avertissements divins communiqués sous la forme de songes ne sont pas rares dans la Bible. On a parfois prétendu qu’ils constituaient un mode très‑inférieur de révélation ; mais si nous considérons l’éminence des personnes à qui Dieu se révéla de cette manière, l’importance des ordres qu’il leur donna durant leur sommeil, nous rejetterons cette allégation odieuse. L’Esprit souffle non‑seulement où il veut, mais aussi comme il veut. – Fils de David. L’ange lui rappelle ce titre glorieux parce que la nouvelle qu’il se dispose à lui transmettre est messianique, et qu’elle le concerne directement comme descendant de la famille royale ; c’est l’œuvre par excellence de sa race qui va lui être confiée. Les mots suivants, ne crains pas, répondent parfaitement à l’état d’âme de S. Joseph : il “craignait” de blesser la justice, d’offenser Dieu en s’unissant à Marie par les liens du mariage ; le messager céleste lui enlève cette inquiétude. – Prendre avec toi, c’est-à-dire conduire dans ta maison et par conséquent épouser cf. l’explication du v. 18. Telle était l’expression usitée pour désigner les mariages juifs, parce qu’au jour des noces le fiancé recevait sa fiancée des mains du père de cette dernière. Prendre (recevoir) n’a jamais signifié retenir chez soi, garder, comme on l’a quelquefois affirmé ; on ne reçoit pas ce que l’on possède déjà. – Ton épouse équivaut à « en qualité d’épouse ». On peut aussi regarder ces deux mots comme formant apposition à “Mariam” ; dans ce cas, Marie porterait d’avance le nom d’épouse de même que Joseph celui de mari, conformément à la coutume que nous avons signalée. – Au lieu de né il faudrait “engendré”, d’après le grec ; le neutre est employé parce que l’Ange n’a pas encore spécifié la nature de l’enfant. – Tout soupçon disparut devant le nom de l’Esprit Saint ; mais les paroles de l’Ange n’ont pas seulement pour but d’enlever les doutes de Joseph, elles lui indiquent en même temps d’une manière implicite le rôle de protecteur qu’il devra remplir en tant que fils de David à l’égard de Jésus et de Marie.
Mt1.21 Et elle enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. » – Dans ce verset, l’envoyé de Dieu détermine d’abord la nature de “ce qui a été engendré” dans le sein de la Vierge. Il révèle ensuite à Joseph et le nom prédestiné qu’il devra imposer à ce Fils des Merveilles (titre donné au Messie par les Rabbins), et la parfaite relation qui existe entre ce nom d’une part, et d’autre part le rôle que jouera l’enfant divin. – Tu lui donneras le nom. A chaque page, l’Ancien Testament fait ressortir l’importance des noms appliqués aux personnes et aux choses. Primitivement, Cf. Genèse 2, 19, les dénominations n’avaient rien d’arbitraire ; elles exprimaient l’essence même des individus qui les portaient. Mais le péché, en obscurcissant l’esprit humain, l’empêcha de découvrir comme auparavant la nature intime des êtres, et alors les noms furent la plupart du temps livrés au hasard et dépourvus d’harmonie intrinsèque, quoique l’étymologie nous dévoile assez souvent encore des coïncidences frappantes. Du moins, quand c’est Dieu qui se charge de donner directement un nom, et surtout quand c’est à son Fils qu’il le donne, il le choisit tout-à-fait conforme à l’essence la plus intime. – Jésus. Cette appellation était déjà bien ancienne parmi les Juifs lorsque l’archange Gabriel l’apporta du ciel à Marie pour son enfant, lorsque l’ange du Seigneur en fit connaître le mystère à S. Joseph. Avant l’exil, sa forme ordinaire était en hébreu, “Josué” d’après la Vulgate, c’est-à-dire Dieu est Sauveur ; après l’exil il subit une légère abréviation et devint “Ieschouah”, Sauveur, Cf. Néhem. 7, 17. C’est le plus doux et le plus suave de tous les noms : il exprime si mélodieusement et d’une manière si complète dans sa brièveté toute l’œuvre de salut opérée par Notre‑Seigneur. Cf. Eccli. 46, 12. Après avoir prononcé ce nom sacré, l’Ange en fait l’exégèse au fiancé de Marie, et indique le motif pour lequel Dieu le destine au Verbe incarné. C’est donc le cas de répéter avec les anciens que le nom est présage. – Il sauvera, de là le titre célèbre, Sauveur, appliqué à Jésus‑Christ d’abord chez les Grecs puis dans toute l’Église : ce n’est d’ailleurs que la traduction de son nom propre. – Son peuple représente directement les Juifs. Par sa naissance, par ses fonctions premières et immédiates, Jésus appartenait à la nation israélite et venait tout d’abord pour elle, ainsi que les prophètes l’avaient depuis longtemps annoncé ; voir aussi Romains 1, 16 ; 9, 5. Mais les Païens ne sont nullement exclus : le vrai peuple de Jésus, c’est tout l’Israël spirituel et mystique. “J’ai d’autres brebis, dira‑t‑il lui‑même, qui ne font pas partie de cette bergerie ; il faut que je les amène et il n’y aura qu’une seule bergerie et un seul pasteur”, Jean 9, 16. – De ses péchés. Sauver le monde du péché, tel est le côté le plus intime, l’âme pour ainsi dire du ministère de Jésus ; il nous délivre non seulement du péché, mais aussi de ses funestes conséquences. Le salut messianique sera donc essentiellement moral et religieux : le Libérateur promis ne viendra pas sur la terre dans un but humain, politique, comme on ne le croyait que trop alors. – Ses est au pluriel parce que “peuple” est un nom collectif : c’est un enallage.
Mt1.22 Or tout cela arriva afin que fût accompli ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : 23 « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on le nommera Emmanuel » c’est à dire Dieu avec nous. Le message de l’Ange est achevé ; ce que nous allons entendre dans ces deux versets n’est plus qu’une réflexion de l’évangéliste, ainsi qu’on l’admet communément. Nous verrons plus d’une fois S. Matthieu interrompre le récit d’un événement ou d’un discours pour insérer une pensée personnelle, surtout pour montrer le rapport qui existe entre le fait qu’il relate et les prophéties de l’Ancien Testament ; c’est sa manière d’écrire la philosophie de l’histoire de Jésus. Mais cette philosophie est extrêmement simple, malgré sa profondeur réelle ; elle consiste habituellement dans la phrase suivante : telle chose est arrivée parce qu’elle avait été prédite. Nous retrouverons si souvent ces mots dans le premier Évangile, leur sens a été si complètement dénaturé, leur importance dogmatique est si grande, qu’on nous permettra de leur consacrer ici quelques lignes. D’abord, on a affecté de ne voir dans la conjonction « afin que » et le verbe « accomplir » que l’annonce d’une simple accommodation, d’un pur rapprochement de deux événements analogues, dont la liaison n’existerait pas en dehors de l’esprit de l’Évangéliste. L’historien sacré se donnerait donc le plaisir de citer les prophètes, de même que nous citons nos poètes favoris, quand notre mémoire nous rappelle à propos quelques‑uns de leurs vers. Mais rien n’est plus faux que cette affirmation. “Afin que” établit une vraie cause finale entre l’événement raconté par l’évangéliste et la prophétie de l’Ancien Testament qu’il en rapproche. De même, le verbe “accomplir” doit être pris dans sa signification stricte et primitive ; il s’agit d’un accomplissement réel, d’une réalisation proprement dite et non d’une rencontre de hasard : le résultat indiqué avait été prévu, voulu antérieurement par Dieu. Ainsi ramenée à sa véritable interprétation, la formule “pour que s’accomplisse” rappelle un fait aussi important en lui‑même que riche en conséquences dogmatiques. Dans l’Ancienne Alliance, tout tendait au Messie et à son œuvre, comme le disent des textes fameux, Hébreux 10, 8 ; S. Aug. ; tout s’élançait vers l’avenir et le figurait, le présageait. Cela doit particulièrement s’affirmer des paroles prophétiques, dont chacune devait avoir un jour son accomplissement infaillible. Il faut ajouter cependant, pour être exact sur ces matières délicates, que les prophéties verbales n’étaient pas toujours directement, immédiatement messianiques. Parfois, assez souvent même, elles avaient un premier sens qui devait se réaliser avant l’époque du Messie ; mais alors, sous ce premier sens, il s’en cachait un autre plus relevé, relatif à la vie ou aux opérations du Christ, et qui ne devait pas s’accomplir moins fidèlement. Dans ce cas, le premier était le type du second. Il y a donc les prophéties directement messianiques et les prophéties indirectement messianiques ou typiques. Nous allons avoir dans un instant l’occasion d’appliquer cette distinction à un texte des prophètes. – Ce que le Seigneur avait dit par le prophète. Dieu est la cause, la source première des prédictions surnaturelles ; les prophètes ne sont que ses instruments, ses organes. Les citations de l’Ancien Testament ont lieu dans le Nouveau, tantôt d’après l’hébreu, tantôt d’après la traduction des 70 [les 70 ou 72 traducteurs de la Bible Septante] ; mais elles sont rarement littérales, et il leur arrive même de s’écarter tout à la fois et du texte hébreu et du texte grec. Tel est le cas pour la célèbre prophétie d’Isaïe, 7, 14, que S. Matthieu met en parallèle avec la révélation de l’Ange à S. Joseph. La voici d’après l’hébreu : “Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel”. Nous renvoyons le lecteur aux commentaires du prophète pour l’explication détaillée de ce passage. Nous nous bornerons à indiquer ici les deux opinions adoptées par les exégètes croyants, relativement à sa signification primitive. Est‑il directement messianique ? Ne l’est‑il que médiatement ? Dans le premier cas, Dieu en révélant cette grande parole à Isaïe, et Isaïe en la prononçant, n’auraient eu en vue que la Vierge par excellence qui, sans perdre sa virginité, devait enfanter le véritable Emmanuel, le Messie. Dans le second, la prophétie aurait eu pour objet immédiat une jeune femme du palais, ou l’épouse même du prophète, à laquelle on annonçait dans un prochain avenir la naissance d’un fils nommé Emmanuel. Cette jeune femme serait le type de la sainte Vierge, en ce sens qu’on lui prophétisait, ainsi qu’il arriva plus tard pour Marie, sa maternité avant son mariage, ou du moins avant sa grossesse ; Emmanuel serait le type du Christ, soit par son nom dont le Sauveur devait réaliser le sens, soit parce qu’il fut donné comme un signe de salut dans un temps de grandes souffrances et de graves dangers. Les partisans de cette interprétation typique allèguent en faveur de leur opinion les deux raisons suivantes. 1° Il n’est pas prouvé que le substantif Alma, désigne forcément, uniquement une Vierge proprement dite ; ce nom peut s’appliquer aussi à une jeune femme, même mariée. 2° Le sens directement messianique n’est pas naturel dans la circonstance où la prophétie fut prononcée. De quoi est‑il immédiatement question ? De promettre du secours, et un prompt secours, aux Juifs en danger, à Jérusalem menacée par deux rois puissants ; et le prophète, en guise de consolation, annoncerait que le Messie naîtra d’une Vierge au bout de sept cents ans. Le sens typique est très‑naturel au contraire : “dans peu de mois, telle personne aura un fils, et, avant que cet enfant soit parvenu à l’âge de raison, les ennemis que vous redoutez auront été anéantis”. La réponse divine cadre parfaitement avec la situation extérieure. Le Seigneur, il est vrai, voyait beaucoup plus loin ; dans sa pensée, une réalisation bien supérieure était réservée à sa parole et c’est cette réalisation, comprise ou révélée dans la suite des temps, qui est notée présentement par S. Matthieu. Les défenseurs de la première opinion disent de leur côté que le premier évangéliste a clairement déterminé le sens du mot “vierge” par la manière dont il l’a employé dans son récit ; il est bien certain qu’il a voulu parler d’une Vierge proprement dite et qu’il a vu, par conséquent, dans la conception toute divine de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, l’accomplissement direct, immédiat de la prédiction d’Isaïe. Il n’est pas facile de faire son choix entre ces deux sentiments : la signification typique semble réellement plus naturelle quand on lit le chapitre 7 d’Isaïe, mais d’autre part on donne la préférence à l’interprétation directement messianique lorsqu’on vient de lire le récit de S. Matthieu. Au point de vue doctrinal, les deux opinions sont parfaitement licites ; cependant il est plus conforme à l’interprétation des SS. Pères et des exégètes catholiques de regarder ce texte comme strictement messianique. Quoi qu’il en soit, on a fait observer avec beaucoup de justesse que cette prophétie est la clef d’or qui ouvre toutes les autres, elle a en effet des liens universels avec tout ce qui concerne le Messie; sans son secours, les autres prédictions relatives à la personne du Christ seraient très souvent incompréhensibles, car elles lui attribuent des qualités tout à fait inconciliables avec la nature humaine ; or Isaïe nous apprend précisément ici qu’il est Emmanuel, Immanou‑El, Dieu avec nous. – Emmanuel. Et pourtant Jésus n’a jamais porté ce beau nom. Mais il a fait plus que cela ; il en a vérifié la signification, ce qui suffit largement pour réaliser la prophétie. – Ce qui signifie. Cette note a été ajoutée sans doute par le traducteur grec du premier Évangile ; les destinataires, qui étaient des Juifs d’origine, n’avaient pas besoin qu’on leur interprétât un nom hébreu.
Mt1.24 Réveillé de son sommeil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait commandé il prit avec lui Marie son épouse. 25 Mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle enfantât son fils premier-né, à qui il donna le nom de Jésus. – Réveillé. Admirable et prompte obéissance de S. Joseph. Il reçoit les ordres les plus difficiles, et il s’y soumet ponctuellement, sans hésiter. – il prit… Cf. v.20. Le mariage fut donc célébré selon les cérémonies ordinaires des Juifs, que nous aurons plus tard l’occasion de décrire en détail. Tout le monde connaît les chefs‑d’œuvre que cette scène a inspiré aux Raphaël, aux Poussin, aux Vanloo, aux Pérugin, etc. – Et il ne l’avait pas connue. L’Esprit saint ne se lasse pas de répéter que Marie était demeurée Vierge bien qu’elle fût devenue mère ; c’est pour la cinquième fois qu’il nous le dit depuis le v. 16. Mais qu’arriva‑t‑il après la naissance de Jésus ? L’expression jusqu’à ce qu’elle enfantât son fils premier-né ne suppose-t‑elle pas que Marie fut encore mère, et cette fois sans conserver son glorieux privilège ? On connaît la discussion orageuse que souleva sur ce point l’hérétique Helvidius, et la vigueur avec laquelle S. Jérôme réfuta ses perfides insinuations. Aujourd’hui la question est tout à fait tranchée. jusqu’à ce que, comme le grec et comme l’hébreu, exprime ce qui s’est fait jusqu’à une certaine époque, sans mettre le moins du monde l’avenir en question. Les citations à l’appui de cette assertion abondent dans les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament. Genèse 8, 7. : « et il lâcha le corbeau ; celui‑ci fit des allers et retours, jusqu’à ce que les eaux se soient retirées, laissant la terre à sec » ; s’en suit‑il que le corbeau revint ensuite ? Psaume 109, 1 : « Assieds‑toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis ton marche‑pieds ». Les ennemis une fois réduits, le Verbe quittera‑t‑il son poste d’honneur ? Cf. Isaïe 22, 14, etc. En soi, cette manière de parler ne prouve ni pour ni contre la virginité subséquente de Marie, dont l’évangéliste n’avait pas à s’occuper. Il en est de même de “premier né”. En effet, S. Matthieu suit ici la coutume juive, d’après laquelle on appelait premier‑né, tout enfant “qui ouvre le sein maternel”, comme parle l’Écriture, sans s’inquiéter s’il y en aurait d’autres après lui. Cf. Exode 13, 2 ; Nombres 3, 13. “Premier né” laisse donc intacte la question de la virginité de Marie après l’accouchement, qui n’est pas directement traitée dans l’Écriture. Mais on sait que, prenant la tradition pour base, le second concile de Constantinople et le second de Latran ont solennellement défini que la Mère de Jésus est demeurée Vierge parfaite, avant l’enfantement, pendant l’enfantement, après l’enfantement. « Qu’une vierge conçoive, qu’une vierge enfante et demeure vierge, voilà qui, humainement, est inhabituel et inaccoutumé, mais relève de la Puissance divine », S. Léon le Grand, Sermon en la Nativité. Après avoir concouru en tant que fiancée de l’Esprit saint à la génération du second, du céleste Adam, comment Marie aurait‑elle pu coopérer ensuite à propager la race du premier Adam ? Et cela est tellement en accord avec le sens chrétien, qu’on a vu des écrivains protestants combattre avec une louable énergie en faveur de l’honneur virginal de la Sainte Vierge. La postérité directe de David, héritière du trône et des promesses, n’alla donc pas au‑delà du Messie ; elle a trouvé en Jésus son couronnement magnifique. – Les “frères de Jésus”, comme nous le démontrerons plus loin, sont tout autre chose que les enfants de Marie et de Joseph. – Il donna le nom, non pas immédiatement après la naissance, mais huit jours après, au moment de la circoncision cf. Luc 2, 21. L’imposition du nom fut faite par S. Joseph, car l’usage réservait ce droit au père.


