Chapitre 10
10, 1-4. Parall. Marc. 6, 7 ; Luc. 9, 1 et 2.
Mt10.1 Puis, ayant appelé ses douze disciples, il leur donna pouvoir sur les esprits impurs, afin de les chasser et de guérir toute maladie et toute infirmité. – Jésus convoque donc en assemblée solennelle ses douze principaux disciples, ses Apôtres, ainsi qu’ils sont appelés au verset suivant. Nous voyons par là que le mot disciples est pris, dans l’Évangile, en trois différents sens. D’après sa signification la plus large, il désigne tous ceux qui croyaient en Jésus‑Christ et qui recevaient avec docilité la doctrine évangélique ; d’après une signification restreinte, il représente ces hommes plus généreux que le divin Maître avait attachés à sa personne et dont il se faisait accompagner dans ses voyages et dans ses missions, Cf. Matth. 8, 21, etc. ; enfin dans le sens strict il s’applique à l’élite de cette seconde catégorie, aux Douze par excellence, comme les nomme déjà S. Marc, 6, 7. Il s’était ainsi graduellement formé autour du Christ un triple cercle d’amis et de partisans. S. Matthieu, en parlant ici pour la première fois des Apôtres, ne prétend nullement affirmer que leur choix ne remonte pas au‑delà de cette époque. Au contraire, l’expression générale « appelés », dont il se sert pour les introduire sur la scène évangélique, suppose que les Douze formaient déjà un nombre à part, une classe distincte de celle des disciples du second rang ; en effet, d’après les deux autres synoptiques, qui s’expriment là-dessus avec toute leur précision habituelle, la formation du collège apostolique remontait à une date antérieure : elle avait eu lieu, nous disent‑ils, peu de temps après l’ouverture de la première mission donnée par Jésus aux Galiléens et quelques instants seulement avant le Discours sur la Montagne ; Luc. 6, 12-20 ; Marc. 3, 13-19. Plus loin, à l’occasion de la circonstance que nous étudions actuellement, ils racontent d’une manière très expresse que Jésus convoqua les douze Apôtres pour leur communiquer ses pouvoirs et pour les associer à ses travaux, Marc. 6, 7 ; Luc. 9, 1 et 2. Le premier évangéliste condense par conséquent les faits selon sa méthode ordinaire, tandis que S. Marc et S. Luc séparent dans leurs récits les choses qui ont été séparées d’après l’ordre des temps. Ce sentiment est, de nos jours, très généralement adopté. – Il leur donna puissance. C’est pour leur conférer des pouvoirs surnaturels semblables aux siens et destinés à corroborer leur prédication, qu’il les a réunis en ce moment autour de lui ; il va pour ainsi dire procéder à leur ordination apostolique, en attendant l’ordination sacerdotale qui aura lieu le soir du Jeudi Saint. De quelle manière leur transmit‑il les pouvoirs extraordinaires que l’évangéliste mentionnera bientôt ? Est‑ce à l’aide de quelque signe extérieur, comme l’ont pensé divers auteurs ? Ne serait‑ce pas plutôt par une simple déclaration verbale ? Peu importe ; les trois récits gardent d’ailleurs sur ce point un silence absolu. – Ces pouvoirs sont de deux sortes : ils consistent 1° à chasser les démons des corps des possédés, les esprits impurs… Cette appellation d’esprits impurs appliquée aux démons vient de leur opposition constante et manifeste à tout ce qui est saint, de leur vive inclination pour tout ce qui est mal, et de l’ardente activité qu’ils déploient pour induire l’homme à toute sorte de péchés, à toute sorte d’impuretés dans le sens large comme dans le sens strict de cette expression. – 2° Et pour guérir… Les pouvoirs communiqués par Jésus à ses Apôtres consistent encore à guérir indistinctement, sans aucune exception, toutes les maladies ou infirmités qui désolent les hommes. Actuellement, la puissance dont il les investit est donc tout à fait extérieure ; plus tard seulement il leur conférera une autorité plus spirituelle et plus relevée, en vertu de laquelle ils pourront administrer les sacrements et faire passer directement la grâce dans les âmes. Du reste ce qu’il leur fallait tout d’abord, c’était le don d’opérer des signes frappants qui attesteraient la vérité de leur prédication. « Ces signes, écrit s. Grégoire le Grand, étaient nécessaires au début de l’Église. Pour que la multitude des croyants croisse dans la foi il était nécessaire de les nourrir de miracles. Il en est ainsi même pour nous. Quand nous plantons des arbustes, nous les arrosons jusqu’à ce que nous voyions qu’ils sont bien implantés. Et dès qu’ils ont pris racine, l’irrigation cesse ».
La liste des Apôtres, vv. 2-4. Parall. Marc., 3, 16-19 ; Luc., 6, 13-16.
Mt10.2 Or voici les noms des douze Apôtres : le premier est Simon, appelé Pierre, puis André son frère, Jacques fils de Zébédée, et Jean son frère, 3 Philippe et Barthélemy, Thomas et Matthieu le publicain, Jacques, fils d’Alphée et Thaddée, 4 Simon le Zélé, et Judas Iscariote, qui le trahit. – Douze apôtres. Pourquoi ce chiffre de douze ? Il est à coup sûr symbolique, ainsi que l’ont admis tous les anciens commentateurs et la plupart des modernes ; il suppose par conséquent quelque intention mystérieuse dans l’âme de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. S’il n’avait pas un caractère mystique, S. Pierre n’aurait pas affirmé, après la Pentecôte, qu’il était nécessaire (« il faut », Actes des Apôtres 1, 21) de combler le vide créé dans le collège apostolique par la mort du traître Judas. Toutefois si l’existence du symbole ne souffre aucun doute, il n’en est pas de même des recherches plus ou moins compliquées et subtiles auxquelles on s’est livré pour en trouver la clef. Le nombre douze, a‑t-on dit, est formé par une combinaison des chiffres trois et quatre. Trois est le signe de Dieu et du divin, quatre le signe de la créature. Si l’on additionne simplement ces deux chiffres, on en obtient un troisième, sept, qui est l’emblème de la religion, c’est-à-dire de l’union de la créature avec Dieu. Douze est le produit de trois multiplié par quatre, ce qui signifie une union encore plus intime de Dieu et de l’homme ; voilà pourquoi douze est le nombre de l’Alliance du Seigneur avec Israël, puis avec l’Église. Cf. Baehr, Symbolik, 1, 201 et ss.; Arnoldi, Comment. in h. l.; Bisping, ibid. Nous avouons en toute simplicité que nous comprenons peu de chose à ces savantes combinaisons ; aussi préférons‑nous revenir aux explications plus simples et, ce nous semble, plus fondées des anciens auteurs, que Maldonat résume dans les termes suivants : « Jésus a voulu qu’il y ait douze apôtres pour accomplir la figure des douze patriarches. Et comme des douze patriarches tout le peuple juif s’est propagé, de la même façon, tout le peuple chrétien se propagera à partir des douze apôtres ». Il y eut donc douze Apôtres en souvenir des douze patriarches et des douze tribus, Dieu voulant établir une certaine ressemblance d’origine entre les deux Testaments. On peut encore admettre, si l’on veut, un second motif, suggéré dans les termes suivants par Rhaban Maure : « Provenant du ternaire et du quaternaire, le chiffre douze signifie qu’ils prêcheront la foi dans la trinité dans les quatre parties du monde ». La Glose ordinaire parle dans le même sens : « Ils sont les ouvriers qui devaient être envoyés aux quatre parties du monde pour les appeler à la foi dans la Trinité ». – Ce que S. Grégoire‑le‑Grand disait du nom des Anges, « nom d’office, et non de nature », on peut l’appliquer aussi à la dénomination d’Apôtre, qui est essentiellement un nom d’office et de fonction. Dérivé du grec, le substantif dont les Latins ont fait « apostolus » et nous « Apôtre » en passant par « Apostre » (la lettre L ayant été changée en R), signifie Légat, Envoyé, Ambassadeur ; il avait son équivalent dans le mot hébreu correspondant à « envoyer ». Jésus‑Christ, à qui la lettre aux Hébreux, 3, 1, confère justement ce titre, l’avait choisi lui‑même pour le donner à ses douze disciples de prédilection, Cf. Luc. 6, 13, auxquels il est plus spécialement réservé dans le langage chrétien. C’est à bon droit que S. Matthieu en a retardé la mention jusqu’au moment où ceux qui l’avaient reçu allaient être « envoyés » pour la première fois par leur Maître, afin de prêcher l’Évangile à leurs concitoyens. S. Pierre nous fait connaître au livre des Actes, 1, 21-22, les conditions particulières qu’il fallait remplir pour avoir le droit de porter le nom d’Apôtre dans le sens strict. – Voici le nom. Les noms de ces douze privilégiés, de ces grands dignitaires du royaume messianique, méritaient assurément d’être conservés dans l’Évangile et transmis à tout jamais à la chrétienté ; ce dernier motif n’était pas illusoire comme le prouve l’histoire des premiers siècles de l’Église. S. Marc signale également les Douze dans sa rédaction, 3, 16-19, et S. Luc, non content de les citer dans l’Évangile qui porte son nom, 6, 13-16, les a même consignés au livre des Actes, 1, 13 ; de sorte qu’il existe, dans les écrits inspirés du Nouveau Testament, quatre listes des membres du collège apostolique qui, rapprochées les unes des autres, fournissent plusieurs résultats intéressants. Dans toutes les listes, S. Pierre obtient le premier rang, tandis que Judas est nommé régulièrement le dernier. Chaque liste partage les Apôtres en trois groupes de quatre, et ce sont toujours les mêmes noms qui apparaissent dans le même groupe, bien qu’ils n’y occupent pas constamment une place identique. Le premier groupe renferme saint Pierre, S. André, S. Jacques le Majeur et S. Jean : S. André, qui est le second dans les listes du premier et du troisième Évangile, n’a que le quatrième rang dans les deux autres catalogues, les deux fils de Zébédée passant avant lui. Dans le second groupe, nous trouvons les noms de S. Philippe, de S. Barthélemy, de S. Thomas et de S. Matthieu. S. Philippe est toujours le premier ; S. Barthélemy occupe tantôt le second, tantôt le troisième rang ; S. Thomas d’Aquin est successivement placé au second, au troisième ou au quatrième ; S. Matthieu deux fois au troisième et deux fois au quatrième. Le dernier groupe comprend S. Jacques‑le‑Mineur, nommé en tête dans les quatre listes, S. Simon et S. Thaddée qui alternent à la seconde et à la troisième place, enfin Judas Iscariote qui termine partout la série. Ce placement est à coup sûr trop régulier pour qu’on puisse l’envisager comme l’œuvre d’un pur hasard. Nous avons déjà noté les rangs spécialement attribués à S. Pierre et à Judas ; il est remarquable aussi que, parmi les dix autres Apôtres, les plus célèbres, ceux dont la personnalité est mise davantage en relief soit dans l’Évangile, soit dans l’histoire, sont mentionnés en première ligne, tandis que les autres ne viennent qu’après. S. Matthieu et S. Luc nommant les Apôtres deux à deux et S. Marc affirmant d’autre part, 6, 7, que Jésus « commença à les envoyer deux par deux » quand il les envoya prêcher pour la première fois, il est possible que les quatre listes nous donnent, au moins dans l’ensemble, l’ordre que le Sauveur lui‑même avait établi entre ses douze disciples. – Le premier, Simon, en hébreu « action d’exaucer » ; ce nom, fréquemment porté chez les Juifs, était celui que le prince des Apôtres avait reçu à la circoncision. Mais, dès sa première entrevue avec Jésus, il s’était vu imposer par le divin Maître lui‑même une appellation nouvelle, au sens profondément mystique, qui a fait oublier presque totalement la première : appelé Pierre, Cf. Jean 1, 43. S. Matthieu se borne à la mentionner ici afin de distinguer Simon‑Pierre de Simon le Zélote ; plus tard, 15, 18, il en racontera la confirmation solennelle. L’épithète de « premier », qui ouvre d’une manière si frappante la liste des Apôtres, a toujours gêné considérablement les Protestants. Pendant longtemps, ils ont essayé de s’en débarrasser, en affectant de la regarder comme un numéro d’ordre, ou bien en soutenant qu’elle désigne simplement Céphas soit comme le premier appelé d’entre les Apôtres, soit comme le disciple le plus cher à Jésus. Vaines tentatives. Il est notoire en effet que le favori du Sauveur était S. Jean ; notoire que Simon‑Pierre ne fut pas le premier des Apôtres au point de vue de la vocation, son frère André et un autre encore que nous déterminerons plus tard s’étaient attachés avant lui à Notre‑Seigneur, Cf. Jean 1, 35-39 ; notoire enfin qu’un numéro d’ordre suppose d’autres numéros de même nature et que, lorsqu’on a commencé une nomenclature de ce genre, on ne s’arrête pas brusquement après le n°1. Nous devrions donc avoir : « en second André, en troisième Jacques » et ainsi de suite jusqu’à « en douzième Judas ». Rendus plus raisonnables par des réflexions plus sérieuses, sinon par la décroissance de leurs préjugés, les disciples de Luther et de Calvin consentent aujourd’hui en assez grand nombre à voir dans l’adjectif « premier », selon la pensée de S. Jean Chrysostome, l’indice d’une vraie priorité de S. Pierre sur les autres Apôtres. Citons en particulier Meyer, J. P. Lange, Olshausen, Alford, et de Wette. Ce dernier ne craint pas d’avouer franchement que ce « premier » favorise beaucoup la doctrine de la primauté de S. Pierre. Déjà, du reste, le sage Grotius avait reconnu la même chose : « Prince du collège, sans doute, désigné par le Christ pour maintenir l’unité dans le corps ». Aussi avons‑nous été surpris de rencontrer dans Fritzsche, ordinairement plus juste et plus calme, l’aménité suivante à l’adresse des Catholiques : « Ils sont absurdes ces catholiques qui, par le mot primat de Pierre, ou, pour employer le mot de Théodore de Bèze, la tyrannie de l’antichrist, pensent pouvoir être confirmés ». Pourquoi ne pas les accuser, comme l’ont fait des auteurs plus anciens, d’avoir eux‑mêmes frauduleusement introduit dans le texte sacré l’adjectif qui soulève de si grandes colères ? Mais son authenticité est trop bien constatée. Nous affirmons publiquement que sa signification ne l’est pas moins. Quiconque, sans idées préconçues, rapproche de ces simples mots « en premier Simon », les textes du Nouveau Testament et de la tradition qui les expliquent, n’aura pas de peine à reconnaître qu’ils attribuent à Simon‑Pierre non pas une priorité ordinaire sur les autres Apôtres, mais une véritable primauté d’honneur et de juridiction. Ce n’est pas seulement en cet endroit qu’il occupe le premier rang dans le collège apostolique ; l’histoire évangélique lui fait jouer à chaque page un rôle proéminent. Ici il parle au nom de tous les autres disciples, Matth. 19, 27 ; Luc. 12, 41 ; là il répond quand les Apôtres sont interpellés en commun, Matth. 16, 16 et parall. ; quelquefois Jésus s’adresse à lui comme à un personnage principal même parmi les trois disciples privilégiés, Matth. 26, 40 ; Luc. 22, 31. Après l’Ascension, il nous apparaît comme l’organe du collège apostolique, Actes des Apôtres 1, 15 ; 2, 14 ; 4, 8 ; 5, 29. Et nous omettons à dessein plusieurs des textes les plus saillants, auxquels nous saurons rendre justice quand l’ordre des faits nous les présentera. Ces divers traits, soit qu’on les prenne à part, soit surtout qu’on les réunisse tous ensemble, forment une base inébranlable à la doctrine de l’Église touchant la primauté de S. Pierre et de ses successeurs. – Et André, son frère. Dans la liste de S. Matthieu, aussitôt après Simon, nous trouvons son frère André, dont le nom est évidemment grec (viril), malgré les efforts d’Olshausen pour le faire dériver de l’hébreu, Nadar, « promis par un vœu ». Ni durant sa vie apostolique, ni à l’heure de sa mort, André ne démentira cette glorieuse appellation. Si sa figure pâlit nécessairement à côté de celle de son frère, il n’en conserve pas moins l’honneur d’être accouru le premier de tous auprès de Jésus, Cf. Jean, 1, 35 et ss. – Le premier évangéliste nous a fait connaître plus haut, 4, 18 et ss., le moment précis auquel le Sauveur attacha définitivement à sa personne les deux fils de Jonas. Jésus appela en même temps les fils de Zébédée ou, comme il les surnomma lui‑même les fils du tonnerre (« Boanerges », Marc. 3, 17), Jacques de Zébédée et Jean son frère. L’aîné, S. Jacques, aura la gloire de devenir le premier martyr apostolique, Cf. Actes des Apôtres 12, 2 ; le second, S. Jean celle d’être le disciple bien‑aimé du Sauveur et de composer le quatrième Évangile. Le génitif « de Zébédée » qui accompagne le nom du premier, a pour but d’établir une distinction entre lui et son homonyme le fils d’Alphée, ou, selon le langage usité depuis longtemps dans l’Église, entre S. Jacques le Majeur et S. Jacques le Mineur. Ce génitif dépend de « fils », sous‑entendu d’après la mode hébraïque. – Philippe ; autre nom grec très usité en Palestine, Cf. Joseph. Guerre des Juifs, 3, 7, 12. Les Rabbins, qui le mentionnent souvent, l’écrivent, de deux manières différentes. S. Philippe fut, lui aussi, un disciple de la première heure, ainsi que nous le racontera S. Jean, 1, 43 ; il était de Bethsaïde, compatriote par conséquent, de S. Pierre et S. André. – Bartholomée, en hébreu « fils de Tholmaï ». La tradition est unanime pour ne faire qu’un seul et même personnage de S. Barthélemy et de Nathanaël, ce « véritable Israélite » présenté à Jésus par S. Philippe sur les bords du Jourdain, Cf. Jean 1, 45 et ss. Cette identification est parfaitement conforme à l’esprit de l’histoire évangélique, car 1° S. Jean, vers la fin de son premier chapitre, a manifestement l’intention de raconter au lecteur la manière dont furent nouées les relations les plus anciennes entre Jésus et ses futurs disciples : pourquoi, sur les cinq personnes qu’il nous présente, une seule, Nathanaël, n’aurait‑elle pas été appelée à l’apostolat ? 2° Jésus annonce formellement à Nathanaël, Jean, 1, 50, qu’il lui réserve un rôle supérieur : ce rôle ne pouvait être que celui d’Apôtre. 3° S. Barthélemy est associé à S. Philippe dans les listes qui contiennent les noms des Douze, de même que Nathanaël l’était au début du quatrième Évangile. 4° S. Jean, 21, 2, signale la présence de Nathanaël parmi plusieurs Apôtres, de manière à donner clairement à entendre qu’il faisait partie, lui aussi, du collège apostolique. Barthélemy semble avoir été une de ces dénominations patronymiques qui ont toujours été en usage dans tout l’Orient ; Nathanaël, Dieu a donné, était le nom personnel reçu à la circoncision. – Thomas, en hébreu, Theóm, en chaldéen, Thoma, c’est-à-dire « jumeau », ou « Didyme », comme traduit S. Jean, 11, 16, 20 ; 21, 2. Cet Apôtre, au point de vue du caractère, n’est pas sans analogie avec S. Pierre : dans tous les deux nous trouvons une affection généreuse pour Jésus‑Christ, un courage parfois héroïque, mais aussi de grandes et promptes défaillances. – Matthieu le publicain. Au chapitre qui précède, 9, 9 et ss., il nous a lui‑même raconté sa vocation extraordinaire. Avec quelle admirable humilité n’accole‑t-il pas ici à son nom l’épithète peu flatteuse de « publicain ». – Jacques fils d’Alphée, ou S. Jacques le Mineur, comme l’appelle déjà S. Marc, 15, 40, sans doute en raison de son âge moins avancé, comparativement à celui de Jacques, fils de Zébédée. Selon toute vraisemblance, Alphée, son père, ne diffère pas de Cléophas ayant épousé Marie, sœur ou du moins proche parente de la Sainte Vierge, Jean l. c., S. Jacques le Mineur eut ainsi la gloire incomparable de faire partie de la famille de Jésus. C’est donc de lui dont parle S. Paul dans sa lettre aux Galates, 1, 19, lorsqu’il dit n’avoir trouvé à Jérusalem, à l’époque de son premier voyage, que deux Apôtres, Pierre et Jacques « le frère du Seigneur » ; c’est donc lui qui est mentionné, Matth. 13, 55 et parall., parmi les cousins du divin Maître. Nous savons qu’il fut pendant de longues années l’évêque de la capitale juive et qu’il composa la première des lettres catholiques. – Et Thaddée. Les manuscrits grecs présentent à propos de cet Apôtre une grande bigarrure de variantes. Mais, ce qui est encore plus surprenant que cette confusion, c’est de ne trouver ni le nom de Thaddée, ni le nom de Lebbée dans les deux listes de S. Luc (Evang. et Actes des Apôtres Cf. Jean 14, 22), qui en cite un autre tout différent, celui de « Judas Jacobi ». Comment expliquer cette divergence ? On a compris qu’à moins de vouloir bouleverser et remanier complètement le corps apostolique dans sa composition, il fallait s’en tenir de la façon la plus stricte au chiffre carré de Douze. Les évangélistes qui accentuent ce nombre avec tant de force toutes les fois que l’occasion s’en présente, ne peuvent certainement pas avoir été les premiers à s’en écarter. Si donc il leur arrive de signaler plus de douze noms, il faut que plusieurs de ces noms aient servi à désigner un seul et même apôtre. Tel est précisément le cas. Thaddée ne diffère pas de Lebbée, qui ne diffère pas non plus de Jude, de sorte que nous avons ici une personnalité unique représentée par trois dénominations distinctes. Aussi les anciens, sur le témoignage desquels repose cette solution de la difficulté, aimaient‑ils à appeler l’apôtre, Thaddée. Quels étaient les rapports de ces trois noms entre eux ? On admet plus communément que Judas, ou Jude, comme nous disons pour établir une différence entre ce disciple et le traître, était l’appellation primitive. Thaddée et Lebbée seraient deux surnoms à la signification à peu près identique, puisque le premier, dérivé de l’araméen , « mamma, pectus », pourrait se traduire par « aimé », tandis que le second, cœur, exprimerait une tendre caresse, « mon cœur. ». Lighfoot et Schieusner attribuent une fausse étymologie à ce dernier nom, quand ils le font venir l’un de Lebba, ville maritime de la Galilée mentionnée par Pline, Hist. Nat. 5, 17, et patrie supposée de S. Jude, l’autre de lionceau. Nous expliquerons dans notre commentaire sur S. Luc, 6, 16, le sens des mots « Judam Jacobi » : qu’il suffise de dire ici qu’un grand nombre d’auteurs, s’appuyant sur une tradition très sérieuse, sous‑entendent cette fois non pas « fils », mais « frère », de manière à faire de S. Jude ou de Thaddée un frère de S. Jacques le Mineur, et, par suite, un parent de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Parmi les « frères de Jésus » cités au ch. 12, v. 55, nous trouverons en effet Judas ou Jude à côté de Jacques. – Simon le Zélé. Cet autre Simon aurait été, lui aussi, d’après quelques exégètes, un cousin du Sauveur, et en même temps frère de S. Jacques et de S. Jude : mais la tradition est moins formelle pour lui que pour les deux autres apôtres, en sorte que ce point demeure très douteux. S. Luc, à deux reprises, dans son Évangile, 6, 15, et dans les Actes des Apôtres, 1, 13, appelle S. Simon « le Zélote » ; ce qui montre que le vrai surnom dérivait du verbe araméen « qui aime, qui est zélé ». Dans quelle circonstance Simon avait‑il reçu le titre de Zélote ? C’est ce qu’on ne saurait indiquer avec certitude. Les Zélotes devinrent plus tard un parti célèbre, qui occasionna par ses excès la ruine de Jérusalem, Cf. Joseph. Guerre des Juifs, 4, 1, 9 ; 7, 8, 1 ; à l’origine, ils formaient une sorte de police religieuse qui veillait à l’observation rigoureuse de la Loi et qui s’attribuait le droit de châtier les délinquants. Peut-être existaient‑ils en germe à l’époque du Sauveur ; dans ce cas S. Simon aurait été l’un des plus ardents, et le titre lui en serait resté. – Judas Iscariote. Nom sinistre, rejeté à la fin de la liste. Le Livre de Josué mentionne déjà, 15, 25, la ville de Carioth, située dans la tribu de Juda : c’est d’elle sans doute que le traître était originaire, et voilà pourquoi on avait ajouté à son appellation personnelle l’épithète d’Iscariote, afin de le distinguer de S. Jude, appelé comme lui en hébreu. « Iscariote » serait donc une expression calquée sur l’hébreu, Isch‑Kerioth, l’homme, c’est-à-dire l’habitant de Carioth, et elle équivaudrait à « Cariothensis », comme on lit dans le quatrième Évangile, 6, 71, d’après plusieurs manuscrits. On rencontre dans l’historien Josèphe, Antiq. 7, 6, 1, un fait analogue qui confirme ce que nous venons de dire. L’écrivain juif voulait dire qu’un individu dont il avait à parler était natif de la bourgade de Tobie En hébreu, il aurait exprimé cette idée par Isch‑Tob ; copiant cette formule, il se contente de lui donner une terminaison grecque. Quelques commentateurs rejettent cependant cette étymologie et font venir Iscariote les uns de Schéker, mensonge, « pour que Judas soit déclaré un homme menteur »,les autres de Sakar, salaire, « pour signifier l’homme qui a souffert d’être corrompu par l’argent » ; d’autres encore des expressions talmudiques Iscara, « strangulation », ou Iscoreti, « ceinture de peau » et par extension « bourse, petit sac », qui feraient également allusion soit à la fin honteuse, soit à l’avarice du traître. Mais, outre que ces racines sont trop recherchées, elles ont de plus l’inconvénient de supposer que le surnom d’Iscariote ne fut donné à Judas qu’après sa mort, ce qui est contraire à l’ensemble des récits évangéliques, d’après lesquels le traître était déjà ainsi appelé de son vivant. – Qui le trahit. Note infamante ajoutée dans les trois premières listes et en d’autres passages au nom de l’Apôtre infidèle : sa noire trahison méritait bien d’être ainsi relevée, stigmatisée dans tous les siècles. « Qui » est, dans le texte latin, un hellénisme que l’on traduirait plus exactement par « le même qui ». La conjonction, employée de cette manière, a pour but de mieux faire ressortir toute l’étendue de la malice de Judas. – Mais pourquoi trouvons‑nous cette odieuse figure dans le cercle le plus intime des amis de Jésus ? Il y a là un problème intéressant que les exégètes se sont fréquemment posé. Hélas. Judas est parmi les Apôtres au même titre que le serpent dans le paradis terrestre, Caïn au sein de la première famille humaine, Cham dans l’arche, le mal toujours et partout avec le bien. Il fait encore partie du collège apostolique pour servir d’instrument à l’exécution des décrets providentiels relatifs au Messie. Hâtons‑nous d’ajouter que cet instrument agira dans toute la plénitude de sa liberté ; bien plus, qu’il sera constamment comblé de grâces de choix, à l’aide desquelles il pourra se soustraire à son rôle ignominieux. Nous verrons le divin Maître faire à différentes reprises des efforts pour convertir Judas ; nous le verrons frapper à la porte de ce cœur endurci. Mais en vain, le traître abusera de tout : à lui la faute. S’en suit‑il, ainsi qu’ont osé l’affirmer les rationalistes, que Jésus‑Christ, dont l’esprit lisait tous les secrets de l’avenir, aurait dû ne pas fournir à Judas l’occasion de son crime, en l’écartant du nombre de ses Apôtres ? Une telle pensée serait blasphématoire. Dieu était‑il donc tenu de ne pas créer les mauvais anges dont il prévoyait la révolte prochaine et l’éternelle damnation ? Est‑il injuste, parce qu’il ne laisse pas dans le néant les hommes qu’il sait devoir se perdre à tout jamais ? La vocation de Judas se rattache donc à la grande question de la prédestination qui, malgré ses mystères, proclame si complètement la justice des décrets divins. « Tu es juste Seigneur, et ton jugement est juste ». – A cet aperçu rapide qui a fait passer devant nous chacun des Douze isolément, il sera bon d’ajouter quelques vues d’ensemble qui nous permettront de les mieux apprécier comme corps apostolique. Les conditions que devaient présenter à Jésus les disciples dont il voulait faire des Apôtres étaient tout à la fois négatives et positives. Sous le rapport négatif, il était bon que ces hommes fussent simples, peu instruits et laïques, parce que, dans le cas contraire, les préjugés du monde, du pharisaïsme ou du sacerdoce lévitique eussent déjà gâté plus ou moins leurs esprits et leurs cœurs. « Jésus ne choisit pas ses Apôtres dans les hauts rangs de la hiérarchie, ou parmi les représentants de la science religieuse de son temps, il les prit du commun du peuple, rudes, ignorants, plus habitués à travailler de leurs mains qu’à exercer leur intelligence ; mais aussi, ils avaient gardé la droiture et la fraîcheur enfantine des âmes simples… Leur être moral n’avait pas été faussé et déprimé par une culture artificielle ; leur conscience n’était pas étouffée sous la pesante armure de la tradition pharisaïque ; ces âmes candides pouvaient recevoir facilement l’empreinte de l’enseignement et de la personnalité de Jésus. Voulant poser les assises du grand édifice destiné à abriter tant de générations, il a cherché en quelque sorte au sein des masses populaires un marbre vierge afin de le façonner à son gré », de Pressensé, Jésus‑Christ sa vie, son temps, etc. p. 432 et ss. Mais tout ne devait pas être négatif dans les Apôtres ; ils devaient aussi présenter à leur Maître des qualités positives et réelles. A ce point de vue, il fallait qu’ils appartinssent à la race d’Israël, qu’ils fussent imbus d’une solide piété, attachés déjà d’une manière étroite au Sauveur, capables enfin de formation intellectuelle et spirituelle. Il est inutile d’insister sur la nécessité de ces quatre conditions qui s’expliquent d’elles‑mêmes ; il est notoire aussi que les dons les plus remarquables avaient été départis aux Apôtres, et que ces hommes convenaient admirablement pour le rôle auquel la Providence les destinait. Les traits épars de leur caractère individuel que nous pouvons recueillir çà et là dans l’Évangile, nous montrent en eux des natures très variées qui se complètent l’une l’autre et qui, par leur réunion, forment une unité vraiment admirable. Représentants de l’Israël mystique, futurs fondements d’une Église qui ouvre ses portes à tous les hommes, déjà ils forment à eux seuls un petit monde complet. Cependant il ne faut pas se faire illusion sur leur état moral au moment où ils furent choisis par le Christ. Ils étaient encore bien faibles, bien ignorants, bien incapables de s’élever aux sublimes pensées de leur divin instructeur. Mais les enseignements de Jésus pénétreront peu à peu dans leurs cœurs ; sous sa douce influence, leurs idées terrestres disparaîtront, la grâce de l’Esprit Saint achèvera ensuite de les former, de les tremper vigoureusement et alors ils nous apparaîtront comme l’or pur, dégagé de toutes ses scories. – Il n’est pas sans intérêt de noter la part que Jésus a faite aux liens du sang et de l’amitié dans le choix de ses Apôtres. Quoique leur nombre soit si restreint, nous trouvons parmi eux trois couples de frères : Pierre et André, Jacques le Majeur et Jean, Jacques le Mineur et Thaddée, ces deux derniers pris dans la propre parenté du Sauveur. Philippe et Bathélemy (Nathanaël), André et Jean étaient d’intimes amis. – Nous avons vu aussi que la plupart des Apôtres portaient deux noms : Simon‑Pierre, Jacques et Jean « Boanerges » ; Nathanaël‑Bathélemy, Thomas‑Didyme ; Lévi‑Matthieu, Simon‑le‑Cananéen ou le Zélote, Judas‑Iscariote ; et Jude en avait jusqu’à trois. – Plusieurs d’entre eux étaient homonymes : c’est ainsi qu’il y avait dans leurs rangs deux Simon, deux Jacques, deux Judas. – Pour ce qui concerne la représentation artistique des Apôtres et les attributs divers que l’histoire ou le symbolisme ont ajoutés à leurs portraits, nous renvoyons au Dictionnaire d’Archéologie de Viollet‑le‑Duc, t. 1, p. 25 et ss.
Mt10.5 Tels sont les douze que Jésus envoya, après leur avoir donné ses instructions : « N’allez pas, leur dit-il, vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains, -Parall. Marc., 6, 8-11 ; Luc., 9, 3-5. Par ces mots, l’évangéliste nous ramène au v. 1 et au motif qui avait porté Jésus soit à réunir les douze Apôtres en assemblée spéciale, soit à leur conférer des pouvoirs surnaturels très étendus. « Envoya », à peine ont‑ils reçu le nom d’Apôtre qu’ils vont en exercer les fonctions. Le divin Maître les envoie auprès des brebis malheureuses dont il a parlé précédemment ; il les envoie comme des ouvriers zélés dans les champs prêts pour la moisson, 9, 36-37. – N’allez pas vers les païens. Les limites dans lesquelles les disciples devront exercer leur juridiction pendant la mission actuelle sont d’abord indiquées d’une manière négative : Jésus commence par leur dire où ils devront ne pas aller. Ils n’iront pas encore évangéliser les païens, le moment n’en est pas venu. – Ils n’iront pas non plus évangéliser les villes des Samaritains… L’entretien de Jésus avec la Samaritaine, Jean 4, 1 et ss., nous fournira l’occasion de faire connaître en détail l’origine, les mœurs et la religion de ce petit peuple : il suffira de dire en ce moment que les Samaritains présentaient un singulier mélange de judaïsme et de paganisme, ce qui leur faisait tenir un certain milieu entre la nation théocratique et les Païens. Voilà pourquoi, dans ce passage de même qu’au livre des Actes, 1, 8, Jésus en fait une catégorie intermédiaire, les mentionnant entre Israël et les païens. Les Juifs leur avaient voué depuis longtemps une haine mortelle dont l’histoire évangélique nous rendra plus d’une fois témoins. C’est pour ne pas froisser ses compatriotes que le Sauveur interdit aux Douze d’aller dès maintenant porter la bonne nouvelle aux Païens et aux Samaritains : lui‑même, durant sa vie publique, il n’aura que des rapports très rares et très réservés avec les habitants de la Samarie et du monde païens, Cf. Jean 4, ; Matth. 8, 5 et ss. ; 15, 21 et ss. Tant que dureront les droits des Juifs à la priorité pour ce qui concerne la prédication de l’Évangile, il évitera de perdre leur confiance par des mesures imprudentes et précipitées. Ce n’est qu’après son Ascension que les barrières seront brisées et que les Apôtres auront la liberté d’évangéliser tous les peuples sans distinction. Notons que Jésus ne défend pas à ses disciples de traverser le territoire samaritain, mais seulement d’entrer dans les villes de Samarie. Cette province étant située entre la Galilée et la Judée, il était impossible de l’éviter quand on voulait se rendre du Nord au Sud de la Palestine, et « vice versa », à moins d’aller faire un long détour en passant par la Pérée.
Mt10.6 allez plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël. – La Palestine servira pour le moment de théâtre unique à leur activité ; ils ne sortiront pas de cette sphère restreinte. Jésus, pour le leur dire, répète l’image qu’il a déjà employée à la fin du chapitre précédent, 9, 36 : vers les brebis perdues. Souvent, du reste, les prophètes avaient comparé le peuple de Dieu à un troupeau de brebis, Cf. Jérémie 50, 6 ; Ézéchiel 34, 3 et ss. ; bien plus, Isaïe, 53, 6, nous représente les Juifs affirmant eux‑mêmes qu’ils sont de pauvres brebis égarées : « Nous avons tous erré comme des brebis, chacun se détournant de son chemin ». – La maison d’Israël. Les Juifs sont appelés maison d’Israël, Cf. Levit. 10, 6 ; Actes des Apôtres 2, 36, en souvenir du grand patriarche dont ils formaient la famille et la postérité : Moïse les nomme dans le même sens « maison de Jacob » au livre de l’Exode, 19, 3. C’est donc à leurs coreligionnaires que les Apôtres prêcheront tout d’abord l’Évangile : « C’est à vous qu’il fallait que je communique d’abord la parole de Dieu », dira S. Paul aux Israélites d’Antioche en Pisidie, Actes des Apôtres 13, 46. La maison théocratique devait former la base du peuple chrétien, le tronc primitif sur lequel les Païens seraient pour ainsi dire greffés divinement, Romains 11, 16. Il est donc juste de commencer l’édifice par la construction des fondements destinés à le soutenir. Toutefois, les limites que le Christ impose à l’activité de ses disciples ne dureront que peu de temps ; bientôt il les fera lui‑même tomber et nous l’entendrons donner aux Apôtres cet ordre nouveau qui annulera le premier : « vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre », Actes des Apôtres 1, 8.
Mt10.7 Partout, sur votre chemin, annoncez que le royaume des cieux est proche. – Annoncez. Telle sera leur principale fonction. Avant de remonter au ciel, lorsqu’il les enverra non seulement auprès des Juifs, mais dans le monde entier, Jésus leur dira encore : « Prêchez », Marc. 16, 15, et ils prêcheront fidèlement, se déchargeant au besoin d’autres fonctions moins importantes, afin d’être plus libres pour remplir leur ministère le plus essentiel, Cf. Actes des Apôtres 6, 2 et ss. A mesure donc qu’ils iront de ville en ville, ils répandront partout la bonne nouvelle : le royaume des cieux est proche… ; ils diront à leurs compatriotes : Réjouissez-vous, mais aussi faites pénitence, Marc. 6, 12, car l’objet de votre longue attente est arrivé. Nous n’avons là, bien entendu, Cf. 3, 2 ; 4, 17, qu’un résumé succinct de la prédication des Apôtres ; ces mots suffisent néanmoins pour nous montrer que leur mission présente n’avait qu’un caractère préparatoire. Ils ne sont pas encore chargés de prêcher l’Évangile dans sa totalité ; comme Jean‑Baptiste, comme Jésus lui‑même à son début, ils excitent seulement l’attention des Juifs, se contentent d’ouvrir les cœurs à la grâce et au salut apportés par le Messie.
Mt10.8 Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons, vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. – Guérissez… Ce sera la seconde partie de leur ministère. On a fait observer avec justesse qu’il y a quelque chose de vif et de pressant dans cette énumération des divers miracles que les Apôtres pourront opérer au nom du Christ. « Il leur enseigne d’user libéralement et abondamment du pouvoir de faire des miracles qui leur avait été donné par Paul …c’est comme s’il disait : ne lésinez pas sur les miracles, faites‑en à toutes les fois que vous les jugerez nécessaires ou utiles à persuader », Maldonat. Tous ces miracles devaient en effet confirmer leur enseignement, de même qu’ils confirmeraient celui de Jésus : c’étaient leurs lettres de créance. Autrement, qui eût ajouté foi à la prédication de ces inconnus ? – Les mots ressuscitez les morts ont été omis par beaucoup de manuscrits et d’anciennes versions : cependant, comme on peut citer en leur faveur des autorités très sérieuses, par exemple l’Itala, la Vulgate, les traductions copte et éthiopienne, plusieurs Pères, etc., nous n’hésitons pas à admettre leur authenticité. Peut-être leur place primitive était‑elle après « chassez les démons », ou du moins après « purifiez les lépreux » : d’anciens manuscrits leur attribuent ces divers rangs. – Vous avez reçu gratuitement : le complément sous‑entendu est facile à suppléer. Vous avez reçu gratuitement le pouvoir d’accomplir tous ces prodiges, usez-en gratuitement, vous gardant bien de traiter les choses du ciel comme une vile marchandise. C’était là une recommandation bien importante, car il y avait un Judas dans la troupe apostolique, et puis, en général, l’abus est si prompt, si aisé sous ce rapport, et cet abus, lorsqu’il a lieu, fait tomber dans un si grand discrédit les ministres et les choses de la religion. Jésus tenait, dès le principe, à éloigner ses Apôtres et leurs successeurs de ce qui recevra bientôt le nom infamant de Simonie. – Donnez gratuitement : la concession de Dieu a été gratuite, il faut que celle des Apôtres le soit également. Comme l’a dit Tertullien, « aucun don de Dieu ne doit être objet de négoce ». Quelques exégètes rattachent cet ordre du Sauveur à la prédication apostolique dont il a été question au v. 7 ; par suite, ils donnent au verbe « vous avez reçu » le sens de « vous avez appris », à « donnez » celui de « enseignez ». Mais la signification obvie des mots condamne une pareille interprétation. Au reste, la phrase « vous avez reçu gratuitement… » eût trouvé sa place naturelle à la fin du verset précédent si, au lieu de s’appliquer directement à la puissance de faire des miracles, elle eût concerné d’une manière spéciale l’enseignement et la doctrine.
Mt10.9 Ne prenez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures, 10 ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni sandale, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture. – Les préparatifs des Apôtres en vue de leur première mission n’exigeront ni beaucoup de temps, ni des frais considérables. Les observations de leur Maître sur ce point reviennent à dire : Partez dans l’état où vous êtes, il ne vous faut pas davantage, car la Providence prendra soin de vous. Habituellement, les commentateurs se posent ici deux questions : 1° Les injonctions contenues dans les vv. 9 et 10 étaient‑elles transitoires pour les Apôtres, ou bien devaient‑elles servir de règle perpétuelle ? En d’autres termes, ne regardaient‑elles que la mission actuelle, donnée aux Juifs en pays juif, ou bien étaient‑elles valables pour toutes les missions ultérieures ? 2° Devons‑nous les prendre à la lettre ? Faute d’avoir préalablement établi des séparations entre les différentes parties du discours, on a souvent répondu à ces deux questions d’une manière obscure, incomplète, ou même contradictoire. Au contraire, il nous semble aisé, grâce aux divisions que nous avons indiquées, de fournir des solutions claires et satisfaisantes. Nous croyons donc en premier lieu que les prescriptions contenues dans les versets 9 et 10 étaient essentiellement transitoires tout aussi bien que celles des vv. 5 et 6. Comme elles concernent seulement la mission temporaire des Apôtres dans leur propre patrie, elles étaient d’une exécution facile. A l’étranger, dans les contrées païennes, il eût été moralement impossible de les accomplir. Pour le même motif, nous croyons en second lieu qu’il faut les entendre dans le sens strict et littéral, sans vouloir cependant trop urger leur valeur. Notre‑Seigneur Jésus‑Christ voulait donc réellement que ses Apôtres, durant ce noviciat de courte durée qu’il leur imposait, voyageassent sans provisions d’aucune sorte, usant de l’hospitalité qui a toujours été si largement accordée en Orient, surtout à des coreligionnaires. Il confirmera lui‑même notre double réponse, quand il dira aux Douze, peu de temps avant sa Passion, faisant allusion tout ensemble et à leur première mission et à celles qui devaient les disperser bientôt à travers le monde : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous donc manqué de quelque chose ? … Eh bien maintenant, celui qui a une bourse, qu’il la prenne, de même celui qui a un sac ». Luc. 22, 35-36. S’il resta quelque chose de ces ordonnances, ce ne fut que l’esprit de détachement, de désintéressement, qu’elles recommandent aux missionnaires de tous les âges. Passons maintenant aux détails. – Ne prenez. Ils s’agit plutôt de ne pas chercher à se procurer des objets qu’on n’a pas, que de se défaire de ceux qu’on pourrait déjà posséder. Grotius marque assez délicatement la transition du v. 8 au v. 9 : « Quand Jésus interdisait de recevoir des cadeaux pour une guérison, il n’était pas sans savoir que viendraient à l’esprit de ses apôtres les réflexions suivantes : il ne nous faut pas entreprendre ce voyage sans être parfaitement renseignés sur le prix de chaque chose ». Si les Apôtres sont porteurs de grandes richesses spirituelles, versets 7 et 8, ils doivent faire preuve de la pauvreté matérielle la plus complète. – Avant d’entreprendre un voyage, on fait communément trois sortes de provisions pour le rendre aussi confortable que possible : on se munit d’argent, de vivres, de vêtements. Jésus dit un mot de ces trois viatiques. – Ni monnaie… Cette expression est un peu vague ; mieux vaudrait le substantif « cuivre » qui traduirait littéralement le grec. De la sorte, on a les trois métaux qui ont servi chez tous les peuples civilisés à la fabrication de la monnaie courante, l’or, l’argent, le cuivre, et ces trois métaux, rangés en gradation descendante au point de vue de la valeur, forment une gradation ascendante sous le rapport de l’idée : Ne vous procurez pas d’or, pas même d’argent, pas même une modeste pièce de cuivre, pour subvenir aux frais de vos voyages apostoliques. – Dans vos ceintures. La « ceinture » des anciens, qui avait pour destination première de resserrer autour de la taille les vêtements flottants qui étaient alors partout de mode, servait aussi de poche pour porter l’argent. « Quand je suis parti pour Rome, j’ai mis mes ceintures pleines d’argent et les ai rapportées vides », A. Gellius, Noct. Att. 15, 12, 4 ; « Il s’est ceint d’une ceinture pleine de pièces d’or », Sueton., Vitell. C. 16. Ces larges ceintures, auxquelles les Orientaux n’ont pas renoncé, étaient de cuir, de lin ou de coton. – Ni sac pour la route. C’était donc un sac de voyage dans lequel on mettait des provisions de bouche. – Ni deux tuniques : la tunique grecque, latine, ou juive était une espèce de robe qui formait le vêtement principal. Par‑dessus on portait la toge ou manteau, Cf. Matth. 5, 40. Jésus ne veut pas que ses Apôtres se munissent d’une tunique de rechange pour leur mission actuelle ; ils devront se contenter de celle dont ils sont couverts au moment du départ. – Ni sandales. Quelques auteurs supposent que le Sauveur interdit par là aux premiers missionnaires l’usage de toute sorte de chaussures ; c’est une exagération, comme le prouve le texte de S. Marc, 6, 9 « mettez des sandales ». Le sens est donc que les Apôtres devront se contenter d’une seule paire de sandales, de même que d’une seule tunique. – Ni bâton. Il est sous entendu : « ni bâton de rechange », tout comme Jésus demande une seule tunique et une seule paire de sandales, celles qu’ils ont aux pieds. D’après S. Marc, Jésus‑Christ « il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ». D’un côté pas de bâton, de l’autre seulement un bâton. Dans certains manuscrits grecs, on lit « ni bâtons » au pluriel, ce qui confirme l’idée que Jésus interdit seulement le bâton de rechange. Jésus permet d’après S. Marc l’usage d’un bâton, mais défend à ses disciples, d’après S. Matthieu, d’en emporter plusieurs. On peut aussi noter que dans S. Matthieu, Notre‑Seigneur interdit aux Apôtres l’acquisition d’un bâton pour le voyage, dans le cas où ils n’en auraient pas déjà : il ne tolère donc rien de superflu entre leurs mains, il veut qu’ils soient véritablement dénués de tout et qu’ils ne puissent s’appuyer que sur Dieu. Selon S. Marc, c’est la même pensée avec une légère nuance dans l’expression : Jésus permet à ses missionnaires l’usage d’un bâton dont ils auraient déjà l’usage. Ils pouvaient avoir un bâton, mais ils ne devaient pas se mettre en peine s’ils venaient à le perdre ou le casser. « Annonçant le royaume du ciel, ils devaient marcher facilement, d’un pas rapide, semblables à des anges descendus des cieux, dégagés de toute sollicitude terrestre, ayant leurs regards constamment dirigés sur le ministère qui leur avait été confié », Euthym. Zigab. in h. 1. Telle est l’idée que le Sauveur essaie de graver profondément dans l’esprit des Apôtres, au moyen de ces exemples concrets qu’il employait si volontiers et qui donnent tant de vie, tant de force à ses instructions. – Car l’ouvrier est digne… Si Jésus impose de pareils ordres aux missionnaires qu’il envoie, il faut bien que ceux‑ci puissent compter sur des secours certains. En effet, une phrase proverbiale leur rappelle qu’ils ne doivent pas avoir l’ombre d’une inquiétude au sujet de leur entretien. Ceux à qui ils prêcheront l’Évangile leur fourniront en échange les moyens de vivre honnêtement ; Dieu, dont ils sont les ouvriers, se conduira à leur égard comme fait un père de famille envers ceux qui travaillent pour lui. Ils recevront par conséquent, suivant la pensée de S. Jean Chrysostome, « la nourriture viendrait du peuple et la récompense de Dieu ». Nous verrons S. Paul appliquer de la même manière aux ouvriers de l’Évangile ce principe dont la valeur est universellement reconnue dans le domaine des affaires temporelles, Cf. Romains 15, 25 ; 1 Corinthiens 9, 2. Jésus ne trompait pas ses disciples en leur faisant une telle promesse : vers la fin de sa vie, revenant sur la première mission qu’ils avaient donnée à leurs compatriotes, il leur rappellera qu’ils n’ont alors manqué de rien, et ils reconnaîtront eux‑mêmes sans peine la vérité de ses paroles, Luc. 22, 25 et ss.
Mt10.11 En quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous qui y est digne, et demeurez chez lui jusqu’à votre départ. – Nous trouvons ici une série de nouveaux détails qui avaient pour but de diriger la conduite pratique des Apôtres pendant cette première mission. C’étaient des novices auxquels il fallait tout apprendre : Jésus leur donne avec bonté toutes les instructions dont ils pourront avoir besoin. Il leur parle d’abord du choix de leur séjour dans les villes et les bourgades où ils auront à s’arrêter. Ils ne devront pas aller demander l’hospitalité au premier venu : ce n’est qu’après de sérieuses informations qu’ils prendront une décision sur ce point important : Demandez. « En entrant dans une ville, dit fort bien saint Jérôme, les apôtres ne pouvaient pas savoir qui était qui. Il leur fallait donc choisir un hôte d’après la rumeur publique et le jugement des voisins, pour que la dignité de la prédication ne soit pas compromise par l’infamie de celui qui accueille ». – Qui y est digne. Jésus ne dit pas: Le plus riche, le plus puissant, mais : Le plus digne. Les suggestions de la nature ne sauraient être écoutées quand il s’agit de l’établissement du royaume messianique. Le plus digne, en quel sens ? D’après le contexte, celui qui, par l’ensemble de ses qualités et de ses vertus, mérite par‑dessus tous les autres que vous fixiez chez lui votre résidence ; le plus digne de vous et de l’Évangile. Sans ce choix prudent, comme l’indiquait tout à l’heure S. Jérôme, les Apôtres eussent couru le risque de compromettre leur réputation et la dignité de la parole divine. Le même saint Docteur fait observer que ceux qui avaient l’honneur de loger les disciples de Jésus sous leur toit, recevaient de fait beaucoup plus qu’ils n’accordaient. – Demeurez chez lui…, évitant d’aller habiter un jour dans une maison, un jour dans une autre, à la manière des zélateurs juifs, ce qui serait le signe d’une légèreté ou d’une délicatesse peu en rapport avec le caractère apostolique : aussi ne manquerait‑on pas de s’en scandaliser au détriment de leur ministère. Donc, pas de précipitation pour s’introduire dans une habitation et pas de précipitation pour en sortir. Même durant leurs grandes missions, les Apôtres, et S. Paul en particulier, obéiront fidèlement à cette prescription de leur Maître.
Mt10.12 En entrant dans la maison, saluez-la. Jésus indique maintenant aux néo‑missionnaires ce qu’ils auront à faire en prenant possession de la maison qu’ils auront choisie pour y établir leur séjour. – Saluez-la ; d’après la version syriaque : « priez pour sa paix ». On sait que la salutation ordinaire des Orientaux a toujours consisté dans les mots : « Paix à toi ». Mais ce qui n’était qu’une formule plus ou moins vaine de politesse sur d’autres lèvres devenait, dans la bouche des Apôtres, l’expression de la plus parfaite vérité. De leur part, saluer c’était bénir ; souhaiter la paix, il faut entendre les faveurs du ciel les plus précieuses, en particulier le salut messianique, la croyance à l’Évangile.
Mt10.13 Et si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle, mais si elle ne l’est pas, que votre paix revienne à vous. Le souhait de paix formé par les Apôtres du Christ à leur entrée dans une maison tombera ou sur des âmes qui en seront dignes, ou sur des indignes. – Dans le premier cas, il obtiendra une réalisation complète et immédiate : Votre paix viendra… Le grec est plus expressif : « que votre paix vienne » : Jésus ordonne en quelque sorte par anticipation à la paix d’accourir. – Mais si les habitants de la maison (car « maison » est évidemment synonyme de « famille ») sont indignes des faveurs que les Apôtres leur apportent, alors votre paix reviendra à vous. La paix personnifiée est censée refluer vers ceux qui l’avaient envoyée. Divers exégètes ont pris à la lettre l’expression « reviendra », comme si elle signifiait que les Apôtres eux‑mêmes bénéficieraient des grâces dont n’auraient pas profité leurs hôtes indignes, « son effet viendra sur vous » (S. Thomas d’Aquin cf. Cornel. a Lap., Bengel, Reischl, Arnodo, etc.). Mais il est plus conforme au langage biblique et au sentiment commun des exégètes de la regarder comme un hébraïsme équivalent à la phrase « elle restera sans effet ». « On dit que le vœu retourne à celui qui l’a prononcé, s’il n’a pas l’effet escompté », dit Rosenmüller, in h. l. « Par cette phrase, le Christ ne parle pas des choses qui arriveraient par l’intermédiaire des apôtres à celui qui leur demanderait quelque chose, mais de celles qui n’arriveraient pas. C’est ainsi que parlent les Hébreux », Maldonat.
Mt10.14 Si l’on refuse de vous recevoir et d’écouter votre parole, sortez de cette maison ou de cette ville en secouant la poussière de vos pieds. Le Sauveur ne manque pas d’indiquer aux premiers missionnaires la manière dont ils devront se comporter à l’égard des endurcis qui pourraient refuser de les recevoir, et si quelqu’un ne vous reçoit pas… ou qui resteraient insensibles à leur prédication, n’écoute pas. Sortant aussitôt de la maison ou de la ville incrédule, ils manifesteront par un signe symbolique, plus expressif que le simple langage, la colère du Seigneur dont ils sont les représentants. – Secouez la poussière de vos pieds. Les Juifs enseignaient communément, à l’époque de Notre‑Seigneur, qu’on ne pouvait toucher sans se profaner le sol des contrées païennes ; aussi arrivait‑il aux plus zélés d’entre eux, au moment où ils allaient franchir la frontière de la Terre‑Sainte, en revenant de la Phénicie par exemple, ou de la Syrie, de s’arrêter un instant, d’enlever leurs sandales et de les frapper l’une contre l’autre pour ne pas souiller par la poussière qui s’y était attachée, le territoire sacré de leur pays. En pratiquant le même acte dans les circonstances désignées par Jésus, les Apôtres montraient aux personnes indignes auxquelles ils s’étaient adressés par mégarde, qu’ils ne voulaient rien avoir de commun avec elles, pas même les quelques grains de poussière qui s’étaient attachés à leurs chaussures. Cette poussière devait en outre témoigner contre les coupables au jour du jugement, comme il est expressément marqué dans les deux autres Évangiles, Marc. 6, 11 ; Luc. 9, 5. « Par le signe de la poussière des pieds une malédiction éternelle leur est laissée ».S. Paul et S. Barnabé, repoussés par les Juifs d’Antioche en Pisidie, pratiqueront ce conseil à la lettre : « Les Juifs… les expulsèrent de leurs territoires. Mais, après avoir soulevé contre eux la poussière de leurs pieds, les apôtres allèrent à Iconium », Actes des Apôtres 13, 50, 51 cf. 18, 6.
Mt10.15 Je vous le dis en vérité, il y aura moins de rigueur, au jour du jugement, pour la terre de Sodome et de Gomorrhe que pour cette ville. – En sa qualité de Juge souverain, Jésus prédit en termes graves et solennels le sort terrible qu’il réserve aux Israélites qui oseraient se montrer rebelles à la prédication de l’Évangile. – Sodome et Gomorrhe. Les villes de Sodome et de Gomorrhe sont à chaque instant mentionnées dans la Bible et dans le Talmud comme un symbole de grandes iniquités et de grands châtiments divins. Et cependant Jésus‑Christ ne craint pas d’affirmer que le sort éternel de leurs habitants sera moins dur, il y aura moins de rigueur, que celui des hommes qui auront refusé de recevoir les Apôtres et leur enseignement. Rien n’est plus juste que cette sentence ; le plus noir de tous les crimes n’est‑il pas de rejeter l’Évangile, surtout lorsqu’il est appuyé sur des motifs de crédibilité qui rendent l’erreur tout à fait impossible, par exemple les miracles opérés par les Apôtres ? Cf. v. 8. Ce crime, ni Sodome, ni Gomorrhe ne l’avaient commis, Cf. 9, 23. 24. – Au jour du jugement : au jour du jugement final et général qui mettra fin au monde présent. S. Jérôme infère à bon droit de ce passage qu’il y aura dans l’enfer des tourments plus ou moins rigoureux pour les damnés, selon qu’ils auront été plus ou moins coupables ici‑bas. – On ne peut s’empêcher d’admirer, dans cette première partie du discours, le ton d’assurance avec lequel Jésus parle aux Apôtres, les sentiments de confiance qu’il cherche à faire passer dans leurs cœurs. Quoique novices dans le ministère qu’il leur confie, ils devront se présenter partout sans crainte, v. 11 ; ils parleront avec autorité en vertu de la puissance qu’il leur a transmise, v. 12 ; ils agiront comme des chefs suprêmes qui ont le droit de récompenser ou de punir, v. 14.
Mt10.16 Voyez, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes. – Je vous envoie... C’est donc une nouvelle mission qui commence en cet endroit, la grande mission inaugurée aussitôt après la Pentecôte et qui dura aussi longtemps que la vie des Apôtres eux‑mêmes. Les prédicateurs de l’Évangile ne travaillent pas seulement sur le territoire juif ; nous les trouvons en plein pays païen. Au lieu des petits désagréments qu’on leur prédisait tout à l’heure, nous les voyons exposés aux persécutions les plus violentes. Leur manière d’agir est notablement modifiée. Aussi les exégètes ont‑ils raison d’admettre qu’il est maintenant question d’une autre ère. – Comme des brebis au milieu des loups. On ne saurait choisir une image plus frappante pour indiquer les périls nombreux de l’apostolat. Quelle situation plus dangereuse en effet que celle de brebis sans défense au milieu de loups dévorants. C’est le symbole parfait de l’innocence et de la douceur abandonnées à la rage brutale, toute puissante. Les messagers de la paix n’échapperont donc que par miracle à la violence de leurs cruels ennemis, Cf. Eccles. 13, 21. Mais, remarque délicatement S. Jean Chrysostome, « aussi longtemps que nous avons été des agneaux, nous avons vaincu, même entourés de mille loups. Si nous avions été des loups, nous aurions été vaincus. Car alors l’aide du pasteur nous aurait fait défaut ». Cette prédiction du Sauveur dut surprendre et attrister les Apôtres. Toutefois Jésus, en la leur faisant connaître si longtemps d’avance, avait un dessein bien légitime : il craignait, suivant la pensée du même saint Docteur, « que n’aient été démoralisés ceux qui auraient à souffrir ces choses, si elles étaient arrivées inopinément et sans qu’on s’y attende ». Il les familiarisait ainsi peu à peu avec l’idée de la persécution : de plus, il les rassure contre leurs futurs dangers en leur fournissant un moyen d’y échapper. – Soyez donc… Pour ne pas tomber sous la dent des loups, les brebis doivent se faire tout à la fois colombes et serpents. Quelle page délicieuse du symbolisme de la nature ne recevons‑nous pas ici du Créateur lui‑même ! Cette conclusion a deux parties : Soyez prudents, soyez simples. – Prudents comme des serpents. Chez les anciens, le serpent avait la réputation d’être le plus prudent et le plus rusé des animaux ; nous le voyons apparaître en cette qualité dans la Bible dès le début de l’histoire du monde, Genèse 3, 1. Nul mieux que lui ne déjoue mille et mille fois les embûches de ses adversaires. Que les missionnaires le prennent donc pour emblème. Placés au milieu d’un monde plein de méchanceté, ils devront user de la plus grande prudence ; sinon, ils exposeraient très inutilement leurs personnes et, par suite, la prédication de l’Évangile, à une ruine certaine. – Simples comme des colombes : en grec, candides, sans mélange, innocents. L’antiquité profane et sacrée a toujours regardé la colombe comme le type de la candeur et de la simplicité ; de là cette comparaison du Sauveur. « Merveilleuse combinaison. s’écrie M. Brown, The Portable commentary, in h. l. Seule, la sagesse du serpent n’est que ruse et malice, et l’innocence de la colombe ne vaut guère mieux que la faiblesse ; mais quand ces deux qualités sont réunies, la sagesse du serpent empêche de s’exposer au danger sans nécessité, l’innocence de la colombe d’employer des expédients coupables pour y échapper ». Jésus associe la prudence et la simplicité parce qu’elles ne forment, à elles deux, qu’une seule vertu. « Que l’astuce du serpent augmente la simplicité de la colombe, et que la simplicité de la colombe dirige l’astuce du serpent », S. Greg. M. l. 4, 34 ; ou bien, comme dit un vieil auteur, « Qu’il y ait un œil de serpent dans le cœur de la colombe ». Du reste, ce proverbe n’était pas inconnu des Juifs. On lit en effet dans le Schir ha‑Schirim rabba f. 15, 3 : « Dieu a dit des Israélites : Envers moi, ils sont intègres comme des colombes, mais envers les Païens ils sont astucieux comme des serpents ».
Mt10.17 Tenez-vous en garde contre les hommes, car ils vous livreront à leurs tribunaux, et vous flagelleront dans leurs synagogues.– Jésus revient sur les deux parties de ce grave conseil, pour indiquer aux Apôtres la manière dont ils auront à le mettre en pratique. – Soyez sur vos gardes à propos des hommes. Cette fois la source du péril est exprimée clairement, sans figure : les hommes, tels sont les loups dont la fureur sera déchaînée contre les missionnaires apostoliques ; c’est contre eux par conséquent qu’il faut se tenir en garde. Le Sauveur, dans la description qu’il fait de leurs menées indignes, partage en deux catégories les hommes hostiles à l’Évangile : les Apôtres auront à souffrir successivement des Juifs et des païens. – 1° des Juifs. Car ils vous livreront… Les mots « tribunaux » (ou plutôt « sanhédrins » d’après le grec) et « synagogues » prouvent qu’il s’agit spécialement des Juifs dans la seconde moitié du v. 17. Ceux à qui l’Évangile était destiné en premier lieu, non contents de refuser pour la plupart d’y ajouter foi, traiteront comme des malfaiteurs publics ceux qui viendront le leur annoncer. Ils les traîneront devant leurs tribunaux, soit à la barre du grand Sanhédrin qui siégeait à Jérusalem, soit à celle des tribunaux de second ordre qu’on nommait aussi parfois Sanhédrins cf. 5, 22 et le commentaire : ou bien, après un jugement sommaire, ils leur feront subir le supplice de la flagellation dans leurs synagogues. Il ressort nettement de divers passages du Nouveau Testament que les officiers des synagogues juives exerçaient, en certaines circonstances, un pouvoir judiciaire, Cf. Luc. 12, 11 ; 21, 12 ; Marc. 13, 9 ; Actes des Apôtres 22, 19 ; 26, 11 ; 2 Corinthiens 11, 24, et formaient ainsi un tribunal inférieur qui devait s’occuper surtout des fautes religieuses : mais on ignore complètement la nature de ce tribunal, comme aussi les strictes limites de sa juridiction.
Mt10.18 Vous serez menés à cause de moi devant les gouverneurs et les rois, pour me rendre témoignage devant eux et devant les païens. – 2° Les disciples n’auront pas moins à souffrir des païens que des Juifs : Devant les gouverneurs et devant les rois. La persécution s’accentue de plus en plus : après les tribunaux communs des Juifs, après la flagellation dans les synagogues, viendront les jugements solennels, effrayants, rendus par les plus grands personnages de l’empire. Le titre de « gouverneurs » désigne en général tous les hauts dignitaires romains qui gouvernaient les provinces au nom de l’empereur, par exemple les proconsuls, comme Félix et Festus, Cf. Actes des Apôtres 24, 1, 27, les propréteurs, les procureurs comme Pilate. « Rois » doit se prendre à la lettre. « Dans cet oracle repose sa foi, dont témoignèrent Pierre devant Néron, Jean devant Domitius, et d’autres devant les rois des Parthes, des Scythes et des Indes », Rosenmüller. – A cause de moi ; ce n’est pas pour des fautes personnelles que les Apôtres seront poursuivis et maltraités, mais à cause de Jésus‑Christ, parce qu’ils croiront en lui et prêcheront sa doctrine. – Pour servir de témoignage à eux et aux nations. Ces mots expriment le but que Dieu aura en vue lorsqu’il permettra que les missionnaires soient ignominieusement conduits de tribunal en tribunal, et en même temps le résultat consolant de la persécution. Les Apôtres en devenant martyrs seront par là-même des témoins : les mauvais traitements qu’on leur infligera serviront la cause de la vérité, en répandant partout la lumière du Christianisme et en dirigeant tous les regards sur elle. C’est en ce sens qu’ils rendront témoignage à Jésus, et devant les Juifs et devant les Païens. Fritzsche est certainement dans le faux lorsqu’il suppose que la persécution attestera simplement le courage des Apôtres. « Témoignage de liberté des apôtres et d’un esprit impavide ».
Mt10.19 Lorsqu’on vous livrera, ne pensez ni à la manière dont vous parlerez, ni à ce que vous devrez dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné à l’heure même. – Après avoir commenté la première partie de sa recommandation du v. 16, Jésus‑Christ interprète la seconde de la même manière, montrant comment à la prudence du serpent il faut savoir unir la simplicité de la colombe. – Lorsqu’ils vous livreront ; quand ils seront livrés soit aux Juifs, soit aux païens, ainsi qu’il a été dit dans les deux versets qui précèdent. – Ne vous inquiétez pas… Le prisonnier, dans la solitude de sa cellule, pense naturellement volontiers aux moyens oratoires qu’il emploiera pour défendre sa cause, lorsqu’il devra comparaître devant ses juges. Quels arguments présentera‑t-il ? Sous quelle forme les fera‑t-il valoir ? – La manière dont vous parlerez, telles sont bien ses deux préoccupations principales. Des hommes du peuple, cités devant les grands et les puissants de ce monde, devaient plus que personne se sentir agités par ce genre de pensées (en grec : réflexion anxieuse, pleine d’inquiétudes). Jésus met ses Apôtres en garde contre ces sollicitudes terrestres. Cependant, comme le fait observer Maldonat, « Il ne nous enseigne pas la négligence, mais il nous défend d’être inquiets et anxieux ».- Ce que vous devrez dire vous sera donné. Motif du calme profond, de la simplicité parfaite qu’ils doivent conserver durant ces heures difficiles : leur cause est celle du Christ, la cause du Christ est celle de Dieu ; Dieu se chargera donc d’être lui‑même leur avocat et de leur suggérer des plaidoiries plus éloquentes et plus efficaces que celles qu’ils auraient pu composer en ce temps d’angoisse. Rien ne vaut la simple et vigoureuse parole de la foi, inspirée par l’Esprit d’en haut.
Mt10.20 Car ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.– Ce n’est pas vous… mais ; nous avons déjà rencontré cette locution orientale, dont il ne faut pas urger la signification cf. 9, 13. Elle n’est pas aussi absolue qu’elle le paraît et indique seulement, dans la plupart des cas, la subordination d’une chose à une autre. Ici elle équivaut à « non seulement… mais aussi ». L’Esprit‑Saint sera donc l’agent principal ; les Apôtres lui serviront d’organes, mais leur rôle ne sera pas purement passif cf. Luc. 12, 12. Les discours de S. Étienne et de S. Paul, conservés dans le livre des Actes, pourraient servir de commentaire vivant à cette promesse du divin Maître. Cf. Luc. 21, 15.
Mt10.21 Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant, et les enfants s’élèveront contre leurs parents et les feront mourir. – Continuant de dévoiler à ses disciples l’avenir qui les attend, Jésus entre dans des détails encore plus terribles. – Le frère livrera son frère… Il montre, au sein d’une même famille, le frère animé d’une haine mortelle contre son frère, le père dénonçant son propre fils aux tribunaux et demandant avec instance pour lui une sentence de mort, les enfants armés contre leurs parents et les massacrant sans pitié. Et pourquoi ces actes opposés à la nature ? Le Sauveur ne le dit pas en propres termes, mais la réponse est facile à deviner. C’est l’Évangile qui, pénétrant partout, a porté le glaive jusque dans le sanctuaire de la famille : là, en effet, il a rencontré des âmes de différentes sortes ; les unes, dociles à la grâce, se sont aussitôt converties, les autres sont demeurées incrédules et ce sont celles‑ci qui, pleines d’une rage fanatique, n’ont pas hésité à briser les liens les plus tendres et les plus sacrés, pour anéantir la religion nouvelle. Car, comme dit S. Jérôme, « Parmi ceux dont la foi est différente, il n’y pas de sentiment de fidélité ». Les trois nominatifs « frère, père, fils » représentent, d’après le contexte, les membres de la famille qui se sont opiniâtrés dans l’erreur, tandis que les accusatifs « frère, fils, parents », désignent les membres devenus chrétiens. L’histoire de l’Église pendant les premiers siècles confirme pleinement cette prophétie. « Le mari jaloux chasse son épouse devenue pudique en se faisant chrétienne ; le père repousse son fils qui a appris l’obéissance filiale à l’école du Christ ; le maître cesse d’être humain envers le serviteur que la foi a rendu parfait. Toutes les vertus deviennent odieuses, dès qu’elles sont jointes au titre de chrétien ». Tertullien.
Mt10.22 Vous serez en haine à tous à cause de mon nom, mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé.–Vous serez en haine à tous : de tous ceux qui rejetteront le Christianisme, et alors c’était la majorité des hommes. – A cause de mon nom ; ces mots, comme « à cause de moi » au v. 18, indiquent le motif de cette haine mortelle dont les Apôtres seront partout l’objet : on les détestera parce qu’ils seront les amis et les ambassadeurs de Jésus‑Christ. Citons encore une belle et vigoureuse parole de Tertullien, Apol. 2. « Nous sommes mis à la torture quand nous proclamons notre foi, punis de mort si nous persévérons, immédiatement absous quand nous apostasions, car c’est sur le nom que porte le combat ». – Celui qui persévérera… Au milieu d’un pareil redoublement de haine et de persécutions, la faiblesse humaine conseillera peut-être aux prédicateurs évangéliques de laisser tomber un fardeau trop pesant. Qu’ils s’en gardent bien ; tout serait alors perdu pour eux, le salut étant inséparablement uni à la persévérance perpétuelle dans la foi. – Jusqu’à la fin, c’est-à-dire, suivant les uns, « jusqu’à la fin de sa vie » ; suivant les autres, « jusqu’à la fin de ces calamités », ou jusqu’à la fin du monde. Peu importe, car c’est au fond la même pensée. Qu’il s’agisse de chaque individu, ou qu’il s’agisse de l’ensemble, la parole de s. Jérôme demeure toujours vraie : « La vertu ne consiste pas à commencer, mais à terminer ». – Sera sauvé, à tout jamais dans le ciel, car tel est le vrai salut messianique.
Mt10.23 Lorsqu’on vous poursuivra dans une ville, fuyez dans une autre. En vérité, je vous le dis, vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes d’Israël, que le Fils de l’homme sera venu. – C’est la simplicité de la colombe qui aidera les Apôtres à persévérer jusqu’à la fin ; la prudence du serpent leur fournira un excellent moyen d’échapper à leurs ennemis, sans nuire à la cause dont ils sont chargés. – Quand ils vous persécuteront… Leur vie est précieuse, ils ne doivent pas la prodiguer sans raison ; il faut qu’ils vivent dans l’intérêt de l’Évangile. Par conséquent, lorsque la persécution sévira contre eux dans une ville, ils se transporteront aussitôt dans une autre cité. De cette manière, non seulement leur ministère ne subira aucun temps d’arrêt, mais la diffusion de l’Évangile deviendra plus complète et plus rapide. On sait que les Apôtres et les premiers chrétiens accomplirent à la lettre cette recommandation, confirmée d’ailleurs par le propre exemple de Notre‑Seigneur : le rigorisme montaniste a seul interdit la fuite en temps de persécution sans vouloir entendre parler d’exception d’aucun genre. Voir Tertullien, De la Fuite pendant la Persécution ; Cf. dans le sens contraire S. Athanase, Apologie sur notre fuite ; S. August., lettre 218 ad Honorat. – En vérité je vous le dis ; cette assertion solennelle revient ici pour la seconde fois, introduisant de même qu’aux vv. 15 et 42 une pensée relative à la rétribution finale et aux jugements divins. – Vous n’aurez pas achevé… Ce verbe signifierait, d’après s. Hilaire et Maldonat, « amener à la perfection de la foi et de la vertu évangélique”. D’après S. Jean Chrysostome et le plus grand nombre des exégètes, “parcourir en prêchant ». Jésus veut donc dire à ses Apôtres qu’entre l’époque de la première Pentecôte chrétienne, vers laquelle commencera leur mission universelle, et son avènement personnel, avant que le Fils de l’homme vienne, ils ne trouveront pas un temps suffisant pour prêcher l’Évangile à toutes les villes de la Palestine. Il est impossible de bien comprendre la pensée du Sauveur, si l’on ne détermine d’abord très exactement l’avènement dont il a voulu parler. Malheureusement, les commentateurs sont très partagés d’avis sur ce point. Plusieurs supposent que Jésus faisait simplement allusion au retour des disciples auprès de sa divine personne, lorsqu’ils auraient achevé leur mission préliminaire, ou bien à leur entrée dans le ciel après leur mort (J. P. Lange) ; d’autres appellent « venue du Fils de l’homme » tout secours envoyé par le Sauveur à ses Apôtres persécutés (Origène, S. Jean Chrysost., Théophylacte, etc). Mais l’expression solennelle qu’emploie le divin Maître doit désigner un avènement plus réel et plus glorieux que ceux dont il vient d’être fait mention. Serait‑ce celui de la Résurrection? celui de la Pentecôte (Grotius) ? celui du jugement dernier ? Celui de la ruine de Jérusalem ? C’est cette dernière opinion qui a rencontré et à juste titre, croyons‑nous, le plus grand nombre d’adhérents. Elle est la plus littérale et s’accommode mieux que les autres avec les divisions du discours, avec l’enchaînement des pensées, et avec la réalité historique des faits. Jésus annonce donc aux premiers missionnaires qu’avant qu’ils aient achevé d’évangéliser la Terre Sainte, il viendra châtier terriblement Jérusalem suite à son refus de reconnaître Jésus-Christ. Il est très conforme au langage biblique d’appeler avènement du Christ une manifestation spéciale de sa justice souveraine, et il n’en est pas de plus éclatante, depuis la mort du Sauveur, que celle qui eut pour objet la destruction de Jérusalem et l’établissement du Christianisme sur les ruines du Judaïsme. Cependant, nous n’avons pas de peine à reconnaître avec plusieurs auteurs (Brown, Stier, Alford, Bisping, Dehaut, etc.) que cette interprétation n’épuise pas complètement la pensée de Notre‑Seigneur. Nous avons là une de ces prophéties à plusieurs plans qui s’accomplissent à des intervalles distincts et de différentes manières. On peut considérer la ruine de Jérusalem comme le premier acte des jugements divins, et comme un type du dernier acte qui aura lieu à la fin des temps. Cela ressort très clairement du chap. 24 de S. Matthieu, dans lequel Jésus‑Christ mélange à dessein, comme si c’était une seule et même chose, la catastrophe de l’état juif et la catastrophe des derniers jours du monde. Nous sommes conduits par ce rapprochement à un nouveau sens non moins vrai, quoique moins direct que le premier. « Le Sauveur adressait ces paroles aux Apôtres en tant qu’ils représentaient tous les prédicateurs futurs de l’Église ; il les adressait par conséquent à l’apostolat tout entier de l’Église catholique. La venue du Fils de l’homme figure donc, à ce point de vue général, l’avènement du Christ pour le jugement dernier, et le verbe « achevé » désigne le perfectionnement religieux, c’est-à-dire la conversion de tout Israël. La conversion universelle des Juifs au Christianisme n’aura lieu, en effet, d’après la doctrine de S. Paul, Romains 11, 25 et ss., qu’à la fin des temps, et même alors plusieurs d’entre eux rejetteront le salut », Bisping, h. l. Les Douze, pour lesquels la prédiction de Jésus était plus obscure qu’elle ne l’est actuellement pour nous, durent l’appliquer à l’établissement glorieux, définitif et prochain du royaume messianique, et ils se consolèrent ainsi, en pensant que les persécutions auxquelles ils allaient être en butte ne seraient pas de longue durée.
Mt10, 24-42. – Parall. Luc. 12, 2-12 ; 51-53.
Mt10.24 Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur. – Cette vérité, exposée d’une manière négative au v. 24, l’est en termes positifs au v. 25 : Jésus‑Christ en fait ensuite l’application. L’exposition négative a lieu sous la forme de deux proverbes populaires. Notre‑Seigneur semble avoir affectionné ces maximes, car il les a répétées plusieurs fois en des circonstances différentes cf. Luc 6, 40 ; Jean 13, 16 ; 15, 20. Elles signifient qu’en général les disciples ne doivent pas s’attendre à un meilleur sort que leur Maître, que le serviteur ne saurait espérer être mieux traité que celui qu’il sert. Jésus mentionne la règle, qui devient absolue dès qu’il s’agit de lui et de ses disciples.
Mt10.25 Il suffit au disciple d’être comme son maître, et au serviteur comme son seigneur. S’ils ont appelé le père de famille Béelzéboul, combien plus ceux de sa maison ? – Il suffit au disciple… C’est le même adage, légèrement modifié et présenté sous une forme affirmative. Quel disciple, quel serviteur ne se trouverait pleinement satisfait d’être traité avec le même honneur et les mêmes égards que son maître ? Tant qu’il restera disciple ou serviteur, son ambition ne saurait s’élever plus haut. – Le père de famille… Aux deux relations qu’il vient d’établir entre lui et ses partisans, Jésus‑Christ en ajoute une troisième, qui détermine d’une manière plus tendre et plus vraie la nature de son rôle envers nous : il s’était présenté comme le Docteur dont nous sommes les disciples, comme le Maître dont nous sommes les serviteurs ; il nous apparaît maintenant sous la belle figure d’un père de famille à la maison duquel nous appartenons. – Béelzébub. Nous avons à rechercher, à propos de cette injure, 1° quelle est la vraie prononciation et, par conséquent, l’étymologie primitive du nom de Béelzébub ; 2° pourquoi les Juifs se permirent d’appeler ainsi Notre‑Seigneur. 1° Tandis que la Vulgate, l’Itala, la version syriaque et les Pères latins lisent Béelzébub, les autres versions et tous les manuscrits grecs à l’exception d’un seul écrivent Belzébuth, et telle est en effet la leçon authentique du texte grec. Cependant, il est question au deuxième livre des Rois 1, 2, 3, 16, d’une divinité adorée par les Philistins d’Accaron sous le nom de Baal-Zeboub, « maître » c’est-à-dire dieu « des mouches ». Or, les commentateurs admettant pour la plupart que le Beelzébub d’Accaron ne diffère pas du Béelzébul mentionné en cet endroit par le Sauveur, comment expliquer le changement produit dans l’ancienne orthographe, l’introduction de la lettre L au lieu du B original ? On a bâti là-dessus plusieurs hypothèses. Hitzig, Delitzsch et Schegg pensent que Béelzébul était une prononciation adoucie, à l’usage des Grecs. Ils le prouvent en alléguant plusieurs noms modifiés de la même façon et dans le même but par les traducteurs de la Bible Septante. Ils ajoutent que le Talmud parle souvent de Baal-Zeboub et jamais de Baal-Zeboul. Ces deux raisons nous semblent décisives et c’est à cet avis que nous nous rangeons de préférence. D’autres auteurs supposent que les Juifs auraient transformé volontairement la prononciation primitive, de manière à donner au nom de l’idole philistine un sens plus ou moins spirituel qui permettrait de tourner le paganisme en ridicule. De même qu’ils avaient changé par dérision Sichem en Sichar, Cf. Jean 4, 5, de même ils auraient dit Béelzébul au de Béelzébub, cette simple mutation faisant du « dieu des mouches », le « dieu de l’ordure » ou « du fumier ». Il est certain que les Israélites ont toujours attaché beaucoup d’importance à la signification des noms propres. Les écrits rabbiniques nous les montrent plus d’une fois plaisantant, quoique avec un goût douteux, sur les appellations des divinités païennes, changeant par exemple « fons calicis », en « fons tœdii », « Fortuna » ( la déesse Fortune), en « Fœtor » (infection), etc. « Il est défendu de se moquer, excepté de l’idolâtrie », disait‑on pour se justifier, Babyl. Sanhedr. f. 93. 2. Néanmoins, nous ne croyons pas que ce soit ici le cas de faire l’application de cet usage populaire. En effet, l’équivalent hébreu du mot ordure est zébel, et non zéboul ; par conséquent, d’après l’hypothèse que nous venons d’exposer, le nom ironique de Béelzébub devrait être Béelzébel. En présence de cette difficulté philologique, on a eu recours à une troisième solution, qui consiste simplement à rapprocher Béelzébul du substantif hébreu zeboul, « habitation, domicile », de telle sorte que le sobriquet injurieux donné à Satan par les Juifs signifierait : « le maître de l’habitation », c’est-à-dire le maître des demeures souterraines ou de l’enfer. On obtiendrait ainsi au v. 25, un jeu de mots curieux entre les deux noms réunis par le Sauveur. – 2° Quoi qu’il en soit de ces conjectures, il est certain que Béelzébub ou Béelzeboul était un nom approprié au prince des démons ; nous l’apprendrons bientôt de la bouche des Pharisiens eux‑mêmes : « Béelzébub, le prince des démons », Matth. 12, 24. Un décret rabbinique interdisait aux Israélites de prononcer le nom de Satan : « Que l’homme n’ouvre jamais sa bouche à Satan.”, Berach. f. 60, 1 ; on avait donc adopté, pour désigner le chef des esprits mauvais, divers surnoms que les personnes pieuses employaient habituellement, tels que Asmodée, Abaddon, etc. Une ancienne rivalité nationale avait contribué à mettre en vogue celui de Béelzébub, qui permettait de satisfaire à la fois un double désir de vengeance, en attaquant du même coup les Philistins et le démon. Aussi, lorsque les ennemis de Jésus voulurent stigmatiser sa conduite et sa doctrine, ne trouvèrent‑ils aucune épithète plus flétrissante que celle de Béelzébub. Il était impossible d’adresser au Sauveur une injure plus grossière : lui, le Verbe incarné, confondu avec le prince des démons, avec une idole dont la spécialité, comme celle du Zeus des Grecs, Pausan. 8, 26, 4, et du Jupiter « Myiagrus » des Romains, consistait à délivrer ses adorateurs des mouches et des cousins. – Nous ne voyons nulle part, dans le récit évangélique, les Juifs lancer directement à la face du divin Maître le nom de Béelzébub ; mais l’assertion de Notre‑Seigneur prouve qu’ils durent le faire plus d’une fois. Entre l’accusation d’opérer des miracles avec le concours de Béelzébub et l’emploi direct de ce surnom outrageant, il n’y a qu’un pas qu’il fut aisé à des âmes passionnées de franchir en un instant. – Combien plus ceux de sa maison. Si l’on n’a pas craint d’insulter jusqu’à ce point le père de famille, il est évident que l’on se gênera moins encore à l’égard des employés de sa maison. Que les missionnaires apostoliques, ces familiers du Christ, s’attendent donc à mille insultes. L’histoire du Christianisme démontre qu’elles ne leur ont pas été épargnées.
N’ayez pas peur, vv. 26-31.
Mt10.26 Ne les craignez donc pas. Car il n’y a rien de caché qui ne se découvre, rien de secret qui ne finisse par être connu. – Ne les craignez donc pas. Telle est la note dominante que nous allons entendre dans cette petite série de versets. Cf. vv. 28 et 31. La particule « donc » annonce une conclusion ; en effet, pour inspirer aux disciples de Jésus‑Christ un courage invincible parmi les persécutions, rien ne saurait mieux convenir que cette pensée : Mon Maître a été persécuté comme moi, avant moi. Avec un tel souvenir constamment présent à l’esprit, ils n’éprouveront ni surprise, ni crainte, lorsqu’on les maltraitera. – Il n’y a rien de caché… Nouvelle locution proverbiale, que l’on rencontre pareillement chez les écrivains profanes, comme Tertullien le disait aux Romains : « Que le temps révèle toute chose, j’en prends à témoins vos proverbes et vos sentences », Apolog. c. 7; Cf. Horace, lettre 1, 6.24 : « Tout ce qui est sous terre, le temps le placera en un endroit ensoleillé ». Les exégètes ne s’accordent pas sur la manière dont il convient de l’enchaîner avec le contexte, bien qu’ils soient unanimes à affirmer qu’elle contient un grand motif d’encouragement pour les prédicateurs de l’Évangile. Des auteurs, à la suite de Barradius et de François Luc, expliquent le v. 26 à l’aide du v. 27, et supposent que Jésus‑Christ excite les Apôtres de tous les temps à prêcher la vérité chrétienne avec vaillance parce qu’elle est précisément destinée à la publicité. Quoi qu’il advienne, malgré les obstacles qui se dresseront partout contre vous, proclamez l’Évangile avec une sainte hardiesse : vous agiriez contre sa nature et contre sa fin, si vous ne le divulguiez pas en tous lieux. Mais les anciens commentateurs ont mieux saisi la pensée du Sauveur. Même ici‑bas, disent‑ils, rien ne peut demeurer longtemps secret ; la lumière finit par se faire sur les choses les plus cachées. En tout cas, l’apparition du Christ au dernier jour mettra tout en lumière en dévoilant les mystères bons ou mauvais des cœurs. Or il y a, dans cette assurance, une consolation profonde pour ceux qui sont injustement persécutés. Alors la sainteté de leur cause et la droiture de leurs intentions apparaîtront dans tout leur éclat ; au contraire la malice de leurs ennemis sera manifestée et confondue. C’est une espérance semblable que Jésus voulait inspirer à ses disciples, afin de les rendre courageux dans l’exercice de leur ministère.
Mt10.27 Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour, et ce qui vous est dit à l’oreille, publiez-le sur les toits. – Il est à remarquer qu’un grand nombre des recommandations contenues dans cette troisième partie du discours ont été exprimées sous la forme d’aphorismes populaires : ce vêtement imagé les rend tout à fait saisissantes. Les adages du v. 27 renferment une déduction tirée du fait d’expérience qui vient d’être signalé : Puisque vous êtes sûrs de retirer un jour de votre rôle une gloire si pure et une si belle récompense, ne craignez pas, malgré les amertumes présentes, de prêcher publiquement, ma doctrine. – Dans les ténèbres… dans la lumière, à l’oreille… sur les toits sont des antithèses faciles à comprendre. Quand on parle dans l’obscurité, on échappe aux regards curieux ; quand on murmure quelques mots à l’oreille de son voisin, on n’est entendu que de lui. Lorsqu’on prêche en plein midi et sur les toits, on est vu et entendu de tout le monde, et c’est en plein midi, sur les toits, que les Apôtres du Christ devront prêcher l’Évangile. Notre‑Seigneur fait allusion au caractère de sa prédication personnelle : bien qu’elle n’eût jamais été secrète, les circonstances avaient nécessairement restreint le nombre des auditeurs qui la reçurent de la bouche même du divin Maître. Pour les missionnaires dispersés au nom de Jésus‑Christ sur toute la surface du globe, il ne doit pas y avoir de cercle intime : les vérités évangéliques s’annonceront à tous ouvertement, car elles n’ont rien à craindre de la lumière ; elles n’ont rien de commun avec l’erreur qui aime à ramper dans l’ombre. – Les mots « sur les toits » rappellent un antique usage de l’Orient, qu’on trouve mentionné de très bonne heure dans les livres de l’ancienne Alliance. Les toits des maisons orientales étant plats, on pouvait à l’occasion s’en servir comme de tribunes du haut desquelles l’orateur, en élevant un peu la voix, se faisait entendre fort loin. Aussi est‑ce de là qu’avaient lieu habituellement les proclamations importantes, en particulier celles qui intéressaient le culte sacré : « Le ministre de la synagogue sonne six fois de la trompette, le soir du sabbat, sur le toit d’une très haute maison, pour que tous sachent que le sabbat commence ». Chez les musulmans, le muezzin monte sur le minaret de la mosquée pour annoncer les heures de la prière ; les ordres des gouverneurs locaux, dans les divers districts de la Palestine, étaient notifiés aux habitants du haut d’un toit par le crieur public. L’expression « prêcher sur les toits » devint par là synonyme de « proclamer à haute voix, au su et vu de tout le monde » cf. Amos, 3, 9.
Mt10.28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et ne peuvent tuer l’âme, craignez plutôt celui qui peut perdre l’âme et le corps dans la géhenne.– Ne craignez pas… Jésus a fortifié ses ambassadeurs spirituels contre les injures et les outrages ; il les fortifie maintenant contre la crainte de la mort. Car on ne se contentera pas de les insulter, on en voudra même à leur vie ; mais qu’importe ? Sous ce rapport, la puissance de leurs adversaires est limitée. – Ceux qui tuent le corps ; c’est vrai, ils peuvent enlever la vie matérielle : toutefois, quel est leur pouvoir touchant la partie supérieure, immortelle, de notre être ? Il est complètement nul. Et même, en privant leurs victimes d’un bien de second ordre, essentiellement transitoire, ils lui en procurent un autre d’un prix infini, placé en lieu sûr. Cf. v. 39. – Mais craignez plutôt… A la place d’une vaine frayeur qui tiendrait de la lâcheté dans ses Apôtres, Jésus‑Christ en voudrait mettre une autre qui est aussi utile que légitime. Qui faut‑il donc craindre ? Dieu. Et pourquoi ? Parce que, tandis que les hommes peuvent seulement enlever la vie du corps, il peut, Lui, damner éternellement le corps et l’âme. – Le mot âme qui représente parfois la vie physique, Cf. v. 29 ; 6, 25, etc., désigne ici l’âme par opposition au corps. – « Il semble que c’est à dessein que le Christ, observe Grotius à propos du verbe perdre, n’ait pas répété le mot tuer, mais ait plutôt employé le mot perdre, mot qui exprime des tourments ». Les théologiens ont vu justement dans cette parole de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ une preuve très forte de la résurrection des corps, et de leur participation au bonheur ou au châtiment des âmes auxquelles ils auront été associés sur cette terre. Le célèbre rabbin Jechiel, qui vivait au treizième siècle, soutenant une conférence publique à Paris, s’écria lorsqu’il fut à bout de raisons : « Notre corps est en votre pouvoir, mais pas notre âme », Wetstein. – Plusieurs exégètes, entre autres Stier et J. P. Lange, appliquent non pas à Dieu, comme nous l’avons fait avec la plupart des écrivains anciens et modernes, mais à Satan, la seconde moitié de notre verset. C’est lui, disent‑ils, qui serait désigné par les mots « celui qui peut perdre… », lui par conséquent que les députés du Christ doivent craindre par‑dessus tout. Pour renverser cette opinion singulière, il suffit de mentionner le passage parallèle de S. Luc, 12, 5 : « craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir d’envoyer dans la géhenne ». Dieu seul jouit de ce double pouvoir, et Satan ne peut rien de semblable.
Mt10.29 Deux passereaux ne se vendent-ils pas un as ? Et il n’en tombe pas un sur la terre, sans la permission de votre Père. – Non content de rassurer ses missionnaires en leur découvrant la vanité des craintes humaines, Jésus les encourage par une description de la protection à laquelle ils doivent s’attendre de la part de la Providence divine. – Deux passereaux : en grec, oiseau en général, puis l’oiseau le plus commun, le passereau. Les petites choses vont de nouveau servir à démontrer les grandes. – Un as. L’as était une pièce de monnaie qui formait primitivement la dixième partie du denier romain, soit une des plus petites monnaies romaines : il était composé d’un mélange de cuivre et d’étain. Les Talmudistes l’appelaient assar ou issar. Du temps de Notre‑Seigneur on achetait donc, sur les marchés de la Palestine, deux passereaux pour un sou ; cinq pour deux sous, nous dit saint Luc, 12, 6. Ces oiseaux abondaient en Judée. Petits, faciles à prendre, peu appréciés comme nourriture, ils se donnaient plutôt qu’ils ne se vendaient. Jésus‑Christ pouvait donc très bien les choisir pour figurer des êtres de peu de valeur aux yeux des hommes. – Il n’en tombe pas un… cependant a le sens de et pourtant. On peut aussi ne faire du verset entier qu’une seule phrase interrogative : N’est‑il pas vrai que l’on vend deux passereaux pour un as et que pas un de ces oiseaux ne tombera… etc. ? – Après ne tombe, Origène, S. Irénée, S. Jean Chrysostome et Euthymius sous‑entendent dans le filet ; mais à quoi bon ? Le lieu de la chute n’est‑il pas déjà suffisamment indiqué par les mots à terre ? D’ailleurs, « tomber » a ici le sens de périr. L’idée exprimée par Jésus est des plus délicates. Si l’oiseleur qui a passé sa journée à prendre des oiseaux les estime si peu qu’il en cède deux pour un as, quel cas le Seigneur fera‑t-il d’un passereau, lui à qui appartiennent, selon son propre langage, Psaume 49. 11, « tous les oiseaux des montagnes » ? Et néanmoins, il faut sa permission pour qu’un oiseau tombe à terre et périsse. On devine la conclusion a fortiori que Jésus déduira de là tout à l’heure. Cf. v. 31.
Mt10.30 Les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés. – Quand il s’agit des hommes, ce n’est pas seulement leur nombre que Dieu connaît, il a compté jusqu’à leurs cheveux. Si le Créateur s’occupe avec bonté d’un détail si peu important de notre être, s’il veille soigneusement sur ce qu’il y a de plus insignifiant en nous, avec quelle anxiété toute maternelle ne s’occupera‑t-il pas des intérêts supérieurs de ceux qui travaillent pour sa gloire ! Il ne leur arrivera pas le plus petit mal à son insu. Cf. 1 Rois 1, 52. Ces mots contiennent un exemple frappant de la « Providence très spéciale » du Seigneur. « S’il n’ignore donc rien de ce qui arrive, s’il vous aime plus véritablement qu’un père, s’il vous aime au point même d’avoir compté vos cheveux, il n’y a absolument rien à craindre », S. Jean Chrysost. Hom. 34.
Mt10.31 Ne craignez donc pas : vous êtes de plus de prix que beaucoup de passereaux. – N’ayez donc pas peur. C’est pour la troisième fois que nous entendons cette parole rassurante depuis le v. 26 : mais elle a ici une force toute particulière, après les raisonnements progressifs de Jésus. – La dernière phrase, vous valez mieux…, nous ramène au v. 29. Quelle délicieuse simplicité de langage pour exprimer la haute valeur d’un ouvrier évangélique devant Dieu ! « Un oiseau ne périt pas sans l’autorisation de Dieu, à plus forte raison un homme, » dit un proverbe du Talmud, Hieros. Schebiith, f. 38, 4. Déjà, dans le Discours sur la Montagne, Jésus‑Christ avait fait un rapprochement entre les hommes et les oiseaux pour montrer que la Providence, qui s’occupe tant des plus petites créatures, ne saurait négliger le roi de la nature, 6, 26.
Mt10.32 Celui donc qui m’aura confessé devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux, – Le conflit avec les puissances ennemies au milieu desquelles les Apôtres vivront perpétuellement, exigera de leur part la plus grande fidélité. Le Sauveur encourage leur dévouement à sa cause par la perspective de la récompense qu’il réserve à tous ceux qui le serviront loyalement jusqu’à la fin. – Quiconque se déclarera pour moi… « quiconque » est au nominatif absolu, de même que « quelqu’un » du v. 14, et la phrase est suspendue au milieu du verset pour recommencer ensuite sous une nouvelle forme. « C’est pourquoi » n’introduit pas ici une déduction rigoureuse des antécédents ; c’est plutôt une transition à une autre série de pensées qui ne se rattachent que d’une manière générale aux recommandations antérieures : Prenez garde que la persécution ne vous sépare de moi. – Confesser Jésus‑Christ, c’est montrer de parole et d’action que l’on croit en lui et en son œuvre, c’est manifester franchement au‑dehors la foi inébranlable qu’on a en sa divine personne. Il s’agit évidemment d’une profession publique de la foi en Jésus‑Christ, comme l’indiquent les mots devant les hommes, et d’une profession qui peut exposer celui qui la fait à des dangers réels, ainsi qu’il ressort du contexte. « Celui qui m’aura rendu témoignage… je lui rendrai témoignage moi aussi », Tertullien, Scorp. c. 9. S. Jean Chrysostome tombe dans une erreur philologique lorsqu’il affirme : « Il n’a pas dit moi, mais en moi, montrant que celui qui lui rendra témoignage ne le fera pas par sa propre vertu, mais armé d’une grâce céleste », Hom. 34. – Je me déclarerai aussi pour lui. « Il rendra la pareille », mais avec quel bénéfice immense pour les prédicateurs qui auront généreusement confessé leur foi en Jésus‑Christ. Ils auront reconnu le Sauveur devant les hommes ; en échange, le Sauveur les reconnaîtra devant son Père, et devant son Père qui est aux cieux. C’est dire qu’il les recevra à tout jamais dans le ciel, afin de les récompenser des souffrances qu’ils auront endurées pour lui demeurer fidèles sur la terre.
Mt10.33 et celui qui m’aura renié devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux. – Mais tous ne lui demeureront pas fidèles ; il y aura des renégats, des apostats. Désireux d’en diminuer le nombre, Jésus‑Christ indique d’avance le sort réservé à ces malheureux dans l’autre vie. L’effroi produira peut-être sur eux une impression salutaire. – Quiconque me reniera… Dans l’expression comme dans l’idée, nous avons ici tout à fait l’opposé du v. 32. Au lieu de reconnaître Jésus devant les hommes, on le renie honteusement ; au lieu d’être reconnu par lui devant le Père céleste, on est renié, « je ne vous connais pas » ; l’entrée du ciel est naturellement refusée aux apostats endurcis. – Je le renierai aussi : sanction aussi légitime que la première.
Mt10.34 Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, je suis venu apporter, non la paix, mais le glaive.– C’est toujours l’idée de la persécution extérieure et du renoncement intérieur, c’est-à-dire de la persécution personnelle, qui revient sous de nouvelles figures : ce n’est pas ici‑bas que le chrétien, à plus forte raison l’apôtre, trouvera la paix et la tranquillité. – Ne pensez pas… Ce qui suit, jusqu’au v. 39, forme « un cercle d’idées qui n’étaient jamais sorties de la pensée d’un mortel avant Jésus », Wizenmann. – Que je sois venu apporter la paix : ce n’est pas un rameau d’olivier que Jésus‑Christ est venu jeter sur la terre comme un gage de sécurité et de bonheur perpétuels, mais le glaive, le terrible instrument de la guerre. Et cependant, le Messie avait été prédit sous les traits d’un Prince pacifique, Cf. Isaïe 9, 6 ; au moment de sa naissance, les anges avaient chanté « paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » Mais ces choses ne sont nullement contradictoires. Notre‑Seigneur lui‑même a établi entre ces différentes paroles l’harmonie la plus parfaite lorsqu’il a dit, quelques heures avant sa mort : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne ». Il y a donc plusieurs sortes de paix, la paix du monde et la paix de Jésus ; l’une fausse et mauvaise, qui provient de la liberté laissée aux passions, l’autre réelle et sainte, qui n’existe qu’après que les passions ont été vaincues, extirpées. Au vieux monde corrompu Jésus ne peut offrir le baiser de paix qu’après avoir tranché ses vices avec le glaive. Ainsi donc, « L’envoi d’une guerre est un bien si elle détruit une mauvaise paix » S. Jérôme.Du reste, si le Sauveur affirme qu’il est venu apporter la guerre et pas la paix, ce n’est pas que son avènement ait été une cause directe de luttes et de discordes pour le monde, tant s’en faut ; mais la lutte et la discorde devaient être des conséquences naturelles de l’établissement de son royaume.
Mt10.35 Je suis venu mettre en lutte le fils avec son père, la fille avec sa mère, et la belle-fille avec sa belle-mère. 36 On aura pour ennemis les gens de sa propre maison.– Dans ces deux versets Jésus‑Christ développe d’une manière concrète, au moyen de quelques exemples, la grave prophétie que nous venons d’entendre. La paix de la famille est la plus douce, la plus nécessaire de toutes les paix : c’est elle qui sera tout d’abord troublée par l’Évangile. Cf. v. 21. Le glaive lancé par le Christ, tombant au sein d’une famille, y opère de terribles séparations. « Car la parole de Dieu est vivante et efficace, plus coupante qu’aucun glaive à deux tranchants. Elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du coeur », lettre aux Hebreux 4, 12.- Séparer l’homme d’avec son père… Les liens de l’amour et du sang n’existent plus. Même la jeune épouse qui n’habite que depuis peu de jours avec les parents de son mari, est déjà en guerre ouverte avec sa belle‑mère. – Notre‑Seigneur récapitule cette triste description par un trait général emprunté, comme les précédents, au livre du prophète Michée, 7, 6 : « le fils insulte son père, la fille se dresse contre sa mère, la belle‑fille contre sa belle‑mère, chacun a pour ennemis les gens de sa maison ». Les plus intimes, les plus familiers, deviennent les adversaires les plus acharnés. Les protestants, les juifs, les musulmans, ou les athées qui se convertissent chaque jour au catholicisme en font souvent la cruelle expérience.
Mt10.37 Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi.– Après avoir signalé la nécessité du combat, Jésus‑Christ énonce trois grands principes, destinés à servir de règles de conduite aux athlètes chrétiens. – Premier principe : Celui qui aime son père… plus que moi. Le partage n’étant pas possible, ainsi qu’il a été dit ailleurs d’une autre manière, 6, 24, si nos devoirs envers Dieu et nos devoirs envers nos proches nous attirent en sens contraires, notre choix ne saurait être douteux. Le disciple du Christ doit alors imiter le zèle des enfants de Lévi : « Il a dit à son père et à sa mère : je ne vous connais pas ; et à ses frères : je vous ignore. Et ils ne connurent pas ses fils. Ils conservèrent, eux, sa parole et observèrent son pacte »,Deutéronome 33, 9 ; Exode 32, 26, 27. Le divin Maître n’est cependant pas venu briser les liens de la famille ; il veut au contraire les resserrer davantage : mais il revendique noblement ses droits à l’affection suprême. – Plus que moi, au point de m’abandonner pour eux. – N’est pas digne de moi ; c’est-à-dire, il n’est pas digne d’être mon disciple, Cf. Luc. 14, 26, car il me renie implicitement. – Celui qui aime son fils… Ce n’est pas une simple répétition de la même pensée, mais une gradation ascendante ; car les parents aiment d’ordinaire leurs enfants plus qu’ils n’en sont aimés.
Mt10.38 Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi.– Second principe : Celui qui ne prend pas sa croix... Non seulement Dieu doit nous être plus cher que nos proches, il doit nous être plus cher que nous‑mêmes. – C’est ici que nous trouvons pour la première fois le nom béni de la croix. L’expression « prendre sa croix » nous est devenue familière dès notre plus tendre enfance ; nous savons que, sous cette métaphore, il faut voir l’ensemble des souffrances et des sacrifices de tout genre, volontaires ou involontaires, qui remplissent la vie humaine, et que nous devons généreusement accepter pour l’amour de Jésus‑Christ. Aux Apôtres elle parut sans doute plus dure encore et plus effrayante qu’à nous. Elle leur rappelait en effet d’une manière très vive l’affreux supplice du crucifiement alors en usage dans tout l’empire romain : seraient‑ils donc réellement un jour condamnés à cette peine infamante, et porteraient‑ils sur leurs propres épaules, suivant la coutume, Jean 19, 17, jusqu’au lieu de l’exécution, l’instrument sur lequel ils expireraient ensuite ? Mais Jésus parlait au figuré. Toutefois, lorsqu’il ajouta et ne me suit pas, ce n’était plus une simple image qu’il exprimait, mais la réalité la plus complète, car il faisait une allusion prophétique à son genre de mort. Nous l’entendrons plusieurs fois réitérer cette sentence éminemment chrétienne cf. 16, 24 ; Luc. 9, 23 ; 14, 27.
Mt10.39 Celui qui sauvera sa vie, la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi, la sauvera. – Troisième principe. Après avoir préféré Jésus‑Christ à sa famille, v. 37, et à son bien-être personnel, v. 38, le disciple fidèle le préférera même à la vie. – Celui qui conserve sa vie... L’âme représente ici la vie physique dont elle est le principe. Conserver sa vie, pour le chrétien, c’est la perdre ; la perdre, c’est la conserver. Pensée féconde qui reviendra aussi souvent que la précédente sur les lèvres du Sauveur, Cf. 16, 25 ; Luc. 17, 33 ; Jean 12, 25 ; mais pensée bien paradoxale en apparence, car perdre ne diffère‑t-il pas essentiellement de trouver ? Jésus‑Christ joue sur la double signification du mot Vie : il y a en effet la vie supérieure et la vie inférieure, la vie spirituelle et la vie naturelle, la vie éternelle et la vie temporelle. S’attacher trop à la seconde de ces vies, vouloir la conserver à tout prix lorsque le sacrifice en est devenu nécessaire pour demeurer fidèle à Jésus, c’est s’exposer à perdre à tout jamais les biens infinis que nous réserve la première. Il arrive parfois au prédicateur de l’Évangile de se trouver dans cette alternative : perdre la vie du temps et gagner celle de l’éternité, ou bien gagner quelques années de vie en ce monde au prix d’une lâche apostasie et perdre en même temps le bonheur sans fin de l’autre monde. Quiconque n’est pas capable de sacrifier au besoin la vie inférieure à la vie supérieure, finira par les perdre toutes les deux. S. Grégoire‑le‑Grand fait un rapprochement admirable à l’occasion de ce passage : « On dit à un fidèle comme on dirait à un cultivateur : si tu conserves le froment, tu le perds; si tu sèmes, tu renouvelles. Car qui ne sait pas que le froment devenu semence est perdu de vue, et se décompose dans la terre ? Mais quand il est réduit en poussière, il reverdit de nouveau », Hom. 37 in Evang. On connaît cette autre parole du même saint Docteur : « La vie temporelle comparée à la vie éternelle ne mérite pas le nom de vie », ibid.
Mt10.40 Celui qui vous reçoit, me reçoit, et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. – Celui qui vous reçoit. Sur la fin de son Discours, Jésus‑Christ reprend le langage direct qu’il avait abandonné depuis le v. 32 ; il interpelle de nouveau les Douze qu’il va envoyer en mission dans quelques instants, et dans leur personne, tous les Apôtres à venir. C’est par un mot puissant d’encouragement qu’il termine son instruction pastorale. Pour montrer aux prédicateurs de l’Évangile qu’ils ne seront pas sans appui même humain au milieu des persécutions redoutables qu’il leur a fait envisager, il leur dit qu’ils sont désormais d’autres lui‑même, et il promet de récompenser comme s’ils s’adressaient à sa propre personne les bons traitements dont ils seront l’objet. Des promesses si généreuses ne sauraient manquer d’exciter à leur égard le dévouement des âmes saintes. – Me reçoit. Chez tous les peuples, la réception bonne ou mauvaise faite aux ambassadeurs a toujours été censée retomber sur le prince dont ils étaient les délégués, celui qui envoie et l’envoyé étant considérés comme une seule personne morale, Cf. 1 Samuel 8, 7 ; 2 Samuel 10. Le verbe « recevoir » ne désigne pas seulement l’hospitalité, mais toute espèce de concours prêté aux messagers de l’Évangile en tant que députés de Jésus‑Christ. – Reçoit celui qui m’a envoyé, c’est-à-dire le Père Éternel. Ainsi donc il existe l’union la plus étroite entre le Christ, sa parole, ses envoyés et son divin Père. Si quelqu’un reçoit des docteurs, disaient de même les Rabbins, c’est comme s’il recevait la Shekhina (ou Chékhina, שכינה) la manifestation de la divinité suprême, la présence de Dieu parmi son peuple.
Mt10.41 Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra une récompense de prophète, et celui qui reçoit un juste en qualité de juste, recevra une récompense de juste. 42 Et quiconque donnera seulement un verre d’eau fraîche à l’un de ces petits parce qu’il est de mes disciples, je vous le dis en vérité, il ne perdra pas sa récompense. » – Jésus développe ses promesses à un autre point de vue, et indépendamment des relations intimes que ses missionnaires ont avec lui. – Un prophète en qualité de prophète : c’est-à-dire un prophète comme tel parce qu’il est prophète. C’est un hébraïsme qui se rencontre fréquemment dans le Talmud pour signifier « en qualité de ». – Une récompense de prophète ; il recevra la même récompense que s’il était lui‑même un prophète. Subvenir aux nécessités temporelles des prophètes, les protéger de tout son pouvoir, c’est coopérer d’une certaine manière à leur ministère ; il est donc naturel que Dieu traite comme de vrais prophètes les hommes sans lesquels le rôle prophétique n’aurait pu être exercé. – Un juste en qualité de juste, par sympathie pour son caractère de juste ; ce qui revient à dire : par amour pour Dieu, l’auteur de toute justice. – Une récompense de juste ; car en outre du motif allégué plus haut, une conduite si noble et si désintéressée suppose une sainteté personnelle que le Seigneur rémunérera infailliblement. – Seulement un verre d’eau froide… Dans ses exemples Jésus descend de degré en degré ; après le prophète, le juste ; après le juste, l’un « de ces très‑petits », et le service rendu à ce « très‑petit » est bien petit lui‑même : c’est un simple verre d’eau fraîche, qui ne coûte ni peine ni dépense au bienfaiteur. Mais rien n’est perdu pour le ciel. cf. Marc. 9, 40 ; 15, 36 ; 1 Corinthiens 3, 2. – À l’un de ces petits. Épithète bien belle pour désigner les disciples du Christ. Ailleurs, 11, 25 cf. Zach. 13, 7, Jésus‑Christ appellera les siens de petits enfants. Petits en effet aux yeux du monde, surtout à l’origine du Christianisme ; mais grands aux yeux du Seigneur, dont les jugements ne s’arrêtent pas à la surface, comme ceux des hommes. – Parce qu’il est mon disciple, uniquement parce qu’il est serviteur du Christ, et pas par des vues humaines. – Ne perdra pas sa récompense. L’instruction se termine par cette promesse consolante, faite sous le sceau du serment. – Munis de ces conseils de leur Maître, fortifiés par ces encouragements, les Douze partent deux à deux, comme nous l’apprend S. Marc, 6, 7, et s’en vont à travers les villes de la Palestine, prêchant partout l’Évangile avec zèle. S. Matthieu ne nous dit rien de leur ministère ; nous savons par les deux autres synoptiques qu’il fut très fructueux et accompagné de nombreux miracles ; Marc. 6, 12, 13 ; Luc. 9, 6. Aussi revinrent‑ils pleins de joie et de confiance auprès de leur bon Maître qui les formait avec tant de sagesse, les préparant de longue main aux périlleuses missions de l’avenir par un premier voyage où tout se trouvait approprié à leur faiblesse présente.


