Évangile selon saint Matthieu commenté verset par verset

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Chapitre 11

11, 1-30. Parall. Luc. 7, 18-35 ; 10, 13-16.

Mt11.1 Quand Jésus eut achevé de donner ses instructions à ses douze disciples, il partit de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes. – Ce verset ménage une transition entre l’instruction pastorale de Jésus à ses Apôtres et l’épisode auquel donna lieu l’ambassade du Précurseur. – Partit de là ; l’endroit précis n’est pas indiqué. Nous savons seulement que Notre‑Seigneur était en Galilée lorsqu’il confia pour la première fois aux Douze la mission d’évangéliser leurs compatriotes cf. 9, 35. – Pour enseigner et prêcher. Tandis que les Apôtres, partagés en six groupes distincts, portent partout la bonne nouvelle, Jésus continue de son côté la troisième mission galiléenne, entouré sans doute de ses autres disciples, à qui il ne confiera qu’un peu plus tard, Cf. Luc. 10, 1 et ss., le rôle de missionnaires. – Dans leurs villes ; Euthymius fait le rattachement avec les mots « ses douze disciples » et conclut de là que Jésus s’en alla prêcher dans les villes natales de ses Apôtres. Fritzche, modifiant cette explication pour la rendre plus raisonnable, pense que le Sauveur se mit à marcher sur les pas de ses envoyés, enseignant à son tour dans toutes les villes par lesquelles ils avaient passé. Cf. 4, 23. Le vrai sens est incontestablement celui que Grotius indiquait déjà dans les termes suivants : « Leurs, c’est à dire des Juifs. C’est ainsi que les Hébreux et nos auteurs qui les suivent ont coutume d’entendre parents, même quand aucun nom ne précède, même s’il était tel ce nom qu’on pourrait facilement le comprendre ». Cf. 4, 23.

Mt11.2 Jean, dans sa prison, ayant entendu parler des œuvres du Christ, envoya deux de ses disciples lui dire :Jean. C’est sur ces entrefaites qu’arrivèrent auprès du divin Maître les deux ambassadeurs que S. Jean‑Baptiste lui avait envoyés. – Dans sa prison. Le Précurseur était alors prisonnier d’Hérode Antipas, enfermé dans la citadelle de Machéronte, sur la limite méridionale de la Pérée. Déjà S. Matthieu nous a parlé une première fois en passant de l’arrestation de Jean‑Baptiste, Cf. 4, 12 : il en racontera bientôt le motif et aussi le cruel dénouement, Cf. 14, 1-12. – Ayant entendu parler… les œuvres du Christ. D’après saint Luc, 7, 18, ce fut de la bouche de ses propres disciples que le noble prisonnier apprit ces détails, qui avaient pour lui tant d’importance et d’intérêt. « Œuvres du Christ » : notons bien ces deux mots que l’évangéliste n’a certainement pas écrits sans une intention particulière, car ils sont l’un et l’autre très significatifs dans la circonstance présente. Le premier désigne spécialement les miracles de Jésus ; le second n’est employé isolément qu’en cet endroit du premier Évangile. Jean‑Baptiste apprend donc, du fond de sa prison, que Jésus accomplit « les œuvres du Messie », qu’il se manifeste ouvertement par ses actes comme le Messie promis. – Envoya deux de ses disciples. Le chiffre de deux conserve sa réalité historique d’après la narration de S. Luc, 7, 19.

Mt11.3 « Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »Celui qui doit venir, ou mieux « Celui qui vient » au temps présent, c’est-à-dire le Messie. En effet, à l’époque de Jésus, les Juifs avaient coutume de désigner le Christ par l’épithète « Celui qui vient », que l’on trouve répétée cent fois dans le Talmud. Toutes les prophéties de l’Ancien Testament relatives au Messie annonçant sa venue plus ou moins prochaine, les regards, les espérances et les désirs de tous étaient constamment dirigés vers l’avenir, et il était naturel qu’on donnât à l’objet de cette attente universelle la dénomination expressive de « Celui qui vient ». – Attendre un autre, adressée à Jésus‑Christ par le Précurseur, cette question semble tout d’abord bien surprenante. Lui qui a déclaré depuis si longtemps, et d’une manière si expresse, que Jésus était vraiment le Christ, Cf. Jean 1, 29 et ss, 35 ; 3, 26 et ss. ; lui qui, au baptême du Sauveur, a été témoin de sa consécration messianique opérée par Dieu lui‑même, Cf. Matth. 3, 14 et ss., comment peut‑il demander aujourd’hui à Jésus : Êtes‑vous le Christ, ou devons‑nous compter sur quelque autre ? Mais les motifs qu’on a parfois attribués à la question de Jean‑Baptiste n’ont pas moins lieu de nous surprendre. Tertullien dans l’antiquité, adv. Marcion. 4, 18, de nos jours Ammon, Neander, Meyer, Dœllinger, etc., y ont vu l’expression d’un véritable doute dogmatique touchant le caractère messianique de Jésus. Tous les grands hommes de la Bible, nous disent ces auteurs, ont eu leurs jours de découragement et de faiblesse ; pourquoi le Précurseur aurait‑il été plus épargné que Moïse et qu’Élie ? La prison de Machéronte aura peu à peu affaibli sa grande âme ; privé des consolations et des lumières célestes qui avaient été auparavant son partage habituel, plongé dans mille perplexités au sujet de son rôle et de celui de Jésus, il en sera venu, durant une heure d’angoisse, à douter formellement que le fils de Marie fût le Messie. Et c’est alors qu’il lui aura envoyé une ambassade officielle pour obtenir une explication à ce sujet. – Roman historique et rien de plus. Jésus renversera d’un mot tout cet échafaudage de prétendue psychologie, en affirmant que Jean‑Baptiste n’était pas un roseau agité par le vent, Cf. 5. 7. Il n’est pas dans l’Évangile un seul trait qui puisse servir de point d’appui à ce sentiment que nous devons d’ailleurs rejeter comme injurieux pour le Précurseur. – Sans aller aussi loin d’autres exégètes, entre autres Michaelis, Lightfoot, Olshausen, ont cru reconnaître dans la situation présentement décrite par l’évangéliste l’indice d’un certain mécontentement qui aurait envahi le cœur du Baptiste à l’endroit de Jésus. Tout en continuant de croire à ses fonctions de Christ, il se serait permis de penser qu’il les remplissait assez mal, en particulier qu’il ne se hâtait pas assez d’établir son royaume : la question « Êtes‑vous celui… » aurait eu pour but de lui rappeler, au nom d’un homme autorisé par le ciel même, quels étaient ses devoirs en tant que Messie. – Cette opinion est à peine moins erronée que la précédente. Dépourvue, elle aussi, de toute base évangélique, elle méconnaît pareillement le caractère de Jean‑Baptiste, en faisant jouer sans raison à ce saint personnage un rôle indigne de lui, et complètement opposé à la profonde humilité dont avaient été animés jusque là ses rapports avec Jésus‑Christ, Cf. 3, 11 ; Jean 3, 30. – La réponse donnée dès les premiers siècles par les Pères et les autres écrivains ecclésiastiques, adoptée depuis par la plupart des commentateurs catholiques et par plusieurs protestants, était cependant bien suffisante pour résoudre la difficulté que nous avons signalée, sans qu’il fût besoin de recourir à des hypothèses si inconsidérées. « Il est clair, dit saint Jean Chrysostome, qu’il n’a pas envoyé parce qu’il doutait, ni n’a interrogé parce qu’il ignorait… Il nous reste à apporter la solution. Pourquoi donc envoie‑il quelqu’un demander quelque chose ? Les disciples de Jean s’opposaient à Jésus, et étaient toujours mus contre lui par l’envie… Ils ne savaient pas encore qui était le Christ, mais, soupçonnant que Jésus n’était qu’un homme, et croyant que Jean était plus qu’un homme, ils supportaient difficilement de voir Jésus acclamé et Jean laissé pour compte… Pendant tout le temps qu’il était avec eux, Jean les exhorta et les enseigna, mais ne put jamais les persuader. Quand il était sur le point de mourir, il fit un plus grand effort pour les persuader. Car il craignait de leur léguer un prétexte à un dogme pervers, et qu’ils demeurent séparés du Christ. Qu’a‑t-il donc fait ? Il attendit jusqu’au moment où il entendrait de la bouche de ses disciples que Jésus faisait des miracles. Il ne les exhorte pas alors, ni ne les envoie tous, mais deux seulement qu’il croyait plus disposés à croire, pour que l’interrogation ne soit sujette à aucun doute, et pour qu’ils apprennent de ces choses quelle différence il y a entre Jean et Jésus », S. Jean Chrysostome, Hom. 36, in Matth. Ce n’est pas pour lui‑même que S. Jean envoie ce message à Jésus ; c’est pour ses disciples incrédules, espérant les conduire au Christ par ce moyen détourné cf. Origène, S. Jérôme, S. Hilaire, Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Cornelius a Lap., Grotius, etc. in h. l. Au reste, « toute question n’exprime pas une incertitude, dit fort bien M. Schegg, Evang. nach Matth. in h. l. Souvent on donne la forme interrogative à une affirmation ou à une interpellation. Les Orientaux affectionnent particulièrement cette manière de parler ».

Mt11.4 Jésus leur répondit : « Allez, rapportez à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez :-Avant la réponse verbale, il y eut celle des faits. Les délégués s’étaient en effet présentés à une heure toute providentielle. « En cette heure même, il en guérit  beaucoup de leurs maladies, de leurs infirmités  et des esprits malins,  et il donna la vue à beaucoup d’aveugles », Luc. 7, 21. « Saint Jean croyait tirer  de ces choses une preuve plus éloquente que des paroles et qui ne prêterait flanc à aucune suspicion », S. Jean Chrysostome, l. c. – Allez raconter à Jean. La demande ayant été formulée au nom de Jean, c’est à Jean que Notre‑Seigneur adresse directement sa réponse, bien qu’elle fût en réalité destinée aux délégués eux‑mêmes et aux autres disciples du Précurseur. « Jésus les renvoya à Jean comme si le Baptiste les avait envoyés à Jésus pour lui‑même, bien qu’il n’ignorât pas la pensée de Jean. Il dissimula prudemment comme Jean, pour que les disciples de Jean se prêtent d’autant plus facilement à la persuasion et à l’enseignement », Fr. Lucas in h. l. – Ce que vous entendez et ce que vous voyez ; ces deux verbes sont au présent. Le premier se rapporte aux paroles que Jésus prononce dans les deux versets suivants, le second aux miracles qu’il venait d’opérer en présence des ambassadeurs.

Mt11.5 Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. Les aveugles voient… « Quand les faits parlent d’eux‑mêmes, on n’a pas besoin de beaucoup de paroles », dit le proverbe. Encore Jésus‑Christ emprunte‑t-il à Isaïe le court message qu’il transmet à Saint Jean. Ce prophète, décrivant l’ère messianique, en avait tracé le tableau suivant : « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds entendront.  Alors le boiteux bondira comme le cerf, et la langue des muets se déliera », Isaïe 35, 5 et 6. Ailleurs, 61, 1-3, il avait représenté le Christ comme le prédicateur des pauvres et des affligés. Jésus extrait presque mot pour mot sa réponse des divins oracles, afin de la rendre ainsi plus frappante. Ce qu’Isaïe a prophétisé de l’époque messianique, vous voyez que je l’accomplis littéralement : c’est donc que je suis moi‑même le Messie promis. Tel est le sens rigoureux de ce verset. Le Sauveur dira d’une manière plus directe dans le quatrième Évangile : « Les œuvres que je fais me rendent témoignage et prouvent que le Père m’a envoyé », et il ajoutera que ce témoignage a plus de force que celui du Précurseur. Jean 5, 36. – Les pauvres sont évangélisés. Ce devait être, nous venons de le voir d’après Isaïe, un signe distinctif de la prédication du Christ. L’établissement du Christianisme, tel qu’il nous est connu par les Actes des Apôtres, les lettres de S. Paul et la tradition ecclésiastique, est un commentaire vivant de ce passage, que Jésus avait déjà réalisé personnellement d’une manière si parfaite. Cf. Cor. 1, 26-27. Les grands et les savants ne sont pas exclus, mais c’est le peuple qui est partout évangélisé le premier, le peuple si délaissé dans toutes les autres religions.

Mt11.6 Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute. »heureux celui… Après avoir montré aux disciples du Précurseur que, sous leurs yeux, les anciennes prophéties s’étaient transformées en histoire et en réalité, le divin Maître conclut sa réponse par un avertissement plein de gravité. – Celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute. Ces mots étaient évidemment à l’adresse des Joannites. Par leur attachement trop vif à leur maître, par leurs défiances injustes à l’égard de Jésus, ils couraient le plus grand danger de s’écarter du salut messianique. « Il imagina cela pour les réfuter en silence, parce que Jésus était pour eux un objet de scandale, pour les guérir de leur maladie, et les abandonner au seul témoignage de leur conscience, sans avocat pour réfuter l’accusation, étant les seuls à la connaître », S. Jean Chrysostome, l. c. L’avis ne pouvait être donné avec plus de délicatesse et plus de bonté. – L’expression « être une occasion de chute, être scandalisé » signifie dans le langage chrétien : trouver dans la conduite bonne ou mauvaise de quelqu’un une occasion de chute spirituelle. Elle a différentes nuances que le récit évangélique nous rendra familières.

Mt11.7 Comme ils s’en allaient, Jésus se mit à parler de Jean à la foule : 8 « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un roseau agité par le vent ? Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu d’habits somptueux ? Mais ceux qui portent des habits somptueux se trouvent dans les maisons des rois.Lorsqu’ils s’en allaient. Ils se retirèrent sans doute satisfaits et pleinement confirmés dans la foi à l’égard de Jésus‑Christ, car la réponse qu’ils avaient reçue était décisive. A peine les ambassadeurs sont‑ils partis, que Notre‑Seigneur fait un éloge magnifique de leur maître. Il craint, dirait‑on, que le message du Précurseur n’ait produit une impression fâcheuse sur la foule nombreuse qui a été témoin de la scène précédente. Ignorant les motifs secrets de la question proposée par Jean‑Baptiste, elle devait être mal impressionnée au sujet de ce grand Saint, le traiter d’homme versatile, sans opinion fixe sur un point si important. Mais le glorieux témoignage que Jésus rend à son tour au Précurseur aura bientôt détruit tous les soupçons. – Se mit à parler. Ce verbe, lorsqu’il est mis en tête d’un discours de Jésus dans le premier Évangile, annonce habituellement quelques détails d’une certaine gravité cf. 11, 20 ; 16, 31 ; c’est du reste une formule pittoresque dont S. Matthieu fait un fréquent usage cf. 24, 49 ; 26, 22, 37, 74. – Dans son panégyrique, Jésus‑Christ fait connaître son ami en disant d’abord ce qu’il n’est pas, vv. 7 et 8, puis ce qu’il est. – 1° Éloge négatif. « Il dispose tout pour qu’il ne procède pas tout de suite de sa propre sentence mais de leur témoignage, montrant non seulement par les paroles mais par les œuvres qu’ils témoignent de sa constance », S. Jean Chrysostome. Hom. XXXVII in Matth.- Qu’êtes‑vous allés voir… Ces premières lignes sont pleines de vie. Jésus‑Christ prend à partie ses auditeurs et leur adresse question sur question, supposant ou faisant lui même la réponse, transportant la foule du désert au palais d’Hérode, du palais d’Hérode au désert, et montrant de toutes manières la grandeur de Jean‑Baptiste. – Au désert : dans le désert de Juda, Cf. 3, 1, où nous avons vu autrefois « Jérusalem et toute la Judée et toute la contrée des bords du Jourdain », 3, 5, accourir auprès du Précurseur. – Un roseau agité par le vent ? Les rives du fleuve auprès duquel S. Jean prêchait et baptisait sont couvertes de grands roseaux ; plusieurs exégètes (Grotius, de Wette, Beelen, etc.) supposent que Jésus‑Christ faisait une allusion ironique à cette circonstance, lorsqu’il demandait à la foule : Qu’alliez-vous donc faire auprès du Jourdain ? Votre but était‑il de voir les roseaux agités par le vent ? Mais on obtient ainsi un sens légèrement trivial qui est peu digne du divin Maître. Il vaut mieux, avec le commun des exégètes, prendre le mot roseau au figuré, comme l’emblème d’un esprit mobile et inconstant. « Ils sont légers ces gens qui tournent à tout vent, qui disent tantôt ceci tantôt cela, qui ne peuvent se fixer en rien. Ils sont semblables à un roseau », S. Jean Chrys. l. c. Jean‑Baptiste n’est donc pas, au point de vue de ses opinions messianiques, un faible roseau qu’agite en tous sens « le moindre vent qui d’aventure fait rider la face de l’eau ». – Qu’êtes‑vous allés voir ? Si vous n’êtes pas allés voir un roseau, que cherchiez-vous donc au désert ? Et il fait une seconde hypothèse : un homme vêtu d’habits raffinés ? Le roseau symbolisait un esprit sans consistance, les vêtements mous et délicats sont le type d’une âme sensuelle, efféminée. A l’aide de la première image, Jésus a nié que Jean‑Baptiste fût vacillant dans sa foi ; par la seconde, il nie que ce soit l’intérêt propre qui ait motivé son ambassade. – Ceux qui portent des vêtements raffinés… Cette fois, l’orateur exprime en propres termes la réponse supposée de l’auditoire. Jean‑Baptiste délicatement et somptueusement vêtu ! Mais chacun ne se rappelait‑il pas son costume célèbre ? « Saint Jean avait un vêtement en poils de chameau et il ceignait ses reins avec une ceinture en peau d’animal », 3, 4. D’ailleurs ce n’est pas au désert qu’on rencontre les hommes couverts de soie et d’hermine, mais dans les maisons des rois. Il y a là sans doute une allusion au luxe déployé à la cour corrompue d’Hérode Antipas, le geôlier de S. Jean‑Baptiste. 

Mt11.9 Mais qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, vous dis-je, et plus qu’un prophète.– 2° Éloge positif. Qu’êtes‑vous donc allés voir ? demande encore Jésus pour la troisième fois, faisant subir à la foule un interrogatoire en règle au sujet du Précurseur. Alliez-vous voir un prophète ? Du roseau le divin Maître nous a fait passer au courtisan plein de mollesse ; du courtisan il nous conduit directement au prophète. Les deux premières réponses étaient négatives ; la troisième affirme, ou plutôt elle s’élève au‑dessus de la simple affirmation pour dire avec emphase (je vous le dis) que S. Jean est plus qu’un prophète. – Plus qu’un prophète ; le grec peut être au neutre ou au masculin. Érasme, Fritzsche et d’autres préfèrent ce dernier genre et traduisent par « très éminent » ; le neutre, qui est plus généralement admis, donne plus de force à la pensée. D’après l’assertion très catégorique de Jésus, S. Jean‑Baptiste est donc supérieur à Élie, à Isaïe, à Jérémie et à tous les autres célèbres prophètes de l’Ancien Testament.

Mt11.10 Car c’est celui dont il est écrit : Voici que j’envoie mon messager devant vous, pour vous précéder et vous préparer la voie.Car c’est de lui… Le Sauveur confirme ce qu’il vient de dire par une citation empruntée à la prophétie de Malachie, 3, 1, mais faite plus librement encore que de coutume. Voici, en effet, la traduction littérale de l’hébreu d’après S. Jérôme : « Voici que j’envoie mon ange, et il préparera une voie devant ta face. Et aussitôt viendra dans son temple le Dominateur que vous cherchez ». Néanmoins, le sens est bien le même. Dans le texte primitif, Dieu s’identifie d’abord au Messie et annonce que son avènement sera préparé par un héraut ; ici, le Seigneur interpellant son Christ, lui promet directement un Précurseur. Ce n’est donc qu’un changement de personnes, et non d’idées. Comme les trois évangélistes rapportent de la même manière le passage extrait de Malachie, il est vraisemblable que Jésus‑Christ l’aura réellement cité sous cette forme. Les Juifs appliquaient alors universellement cet oracle au Messie ; si Jean‑Baptiste était le héraut dont il fait mention, il devenait évident qu’il dépassait de beaucoup les prophètes. – Mon ange, mon messager, mon héraut. – Qui préparera la voie… Les routes de l’ancien Orient étaient aussi mauvaises et aussi mal entretenues. On se hâtait de les réparer quand un grand personnage devait y passer et c’est un héraut qui en intimait l’ordre quelque temps auparavant. Jean‑Baptiste a été ce héraut pour Jésus, proclamant partout sur son passage qu’il était le Messie, et lui aplanissant le chemin des cœurs. Cf. 3, 3.

Mt11.11 En vérité, je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’en a pas paru de plus grand que Jean-Baptiste, toutefois le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. – L’éloge monte, s’il est possible, encore plus haut. En tant que Précurseur du Christ, S. Jean n’est pas seulement supérieur aux prophètes ; il est même, dit Jésus, le premier des hommes. – Paru ; en grec « été dressé ». Ce mot ne manque pas de solennité : il désigne une apparition spécialement voulue de Dieu, pour un motif important. – Parmi les enfants des femmes est un hébraïsme qui équivaut à « parmi les hommes » cf. Job 14, 1 ; 15, 14 ; 25, 4. – Plus grand que Jean‑Baptiste. Faut‑il, avec Rosenmüller et d’autres commentateurs, restreindre la comparaison aux prophètes de l’ancienne Alliance, comme si Jésus‑Christ eût simplement voulu dire : « Aucun prophète avant lui n’a été plus grand que Jean » ? Nous ne le croyons pas : d’abord parce que, dans ce cas, la première moitié du v. 11 ne serait qu’une tautologie, Cf. v. 9 ; ensuite parce que les expressions très générales employées par Notre‑Seigneur ne souffrent pas une pareille restriction. Il n’est pas possible que les mots « parmi les enfants des femmes » soient synonymes de « parmi les prophètes ». Toutefois, Jésus va montrer lui‑même qu’il n’entendait pas placer Jean‑Baptiste au‑dessus de tous les hommes sans exception, et il indiquera par là dans quel sens le Précurseur est le premier parmi les fils de la femme. – Le plus petit dans le royaume… – S. Jean Chrysostome, S. Augustin, Euthymius, et, à leur suite, Corneille de Lapierre, Jansénius, Sylveira, etc., ont eu la pensée de mettre après « le plus petit » la virgule qui, dans nos éditions actuelles, est reculée jusqu’après « des cieux », et de désigner Jésus‑Christ lui‑même par l’adjectif « le plus petit ». Ils obtiennent ainsi un sens singulier. Le plus petit des deux, c’est-à-dire Jésus, qui actuellement est inférieur à Jean‑Baptiste dans l’opinion des hommes, est en réalité le premier dans le royaume des cieux. Il est facile de voir qu’une pareille interprétation est tout à fait contraire à l’esprit général du discours de Notre‑Seigneur, comme aussi à toutes les convenances messianiques. Si Jésus‑Christ eût établi une comparaison entre sa dignité personnelle et celle du Précurseur, il ne se serait jamais placé au second rang, même par humilité. Les mots « le plus petit » ne sauraient donc s’appliquer au Sauveur. La clef de l’interprétation de ce passage nous semble contenue dans l’expression dans le royaume des cieux : il importe donc de bien savoir ce qu’elle signifie. S. Jérôme croit qu’elle désigne le ciel proprement dit, le séjour des bienheureux, ce qui ferait dire à Notre‑Seigneur que le moindre des élus l’emporte sur Jean‑Baptiste. S. Jean Chrysostome la regarde, ce qui vaut moins encore, comme un synonyme de « dans toutes les chose spirituelles et célestes ». Pourquoi ne pas laisser sa signification habituelle de « royaume messianique », qui jette immédiatement une vive clarté sur cette parole ? Mais le royaume du Christ a deux phases, la phase de consommation dans l’éternité, la phase de formation sur la terre depuis l’avènement du Messie jusqu’à la fin du monde, et c’est de cette dernière qu’il s’agit. Cela posé, Jésus veut dire simplement que même les membres inférieurs de son Église, en d’autres termes, que les plus petits d’entre les chrétiens l’emportent sur S. Jean Baptiste, quelle que soit d’ailleurs la grandeur du Précurseur. C’est là une vérité facile à démontrer. Sans doute Jean‑Baptiste est le premier des hommes ; mais les chrétiens appartiennent, en tant que chrétiens, à une espèce transfigurée, divinisée. Sans doute Jean‑Baptiste est l’ami intime du roi ; mais il ne lui a pas été donné de franchir l’entrée du royaume, tandis que le moindre des chrétiens a reçu cette faveur. Sans doute Jean‑Baptiste est le paranymphe (personne qui conduisait la mariée à la maison nuptiale le jour de ses noces), mais l’Église dont les chrétiens font partie est l’épouse même du Christ. Le Christianisme nous a placés sur un plan beaucoup plus élevé que celui du Judaïsme : les membres du Nouveau Testament l’emportent autant sur les membres de l’Ancien que la nouvelle Alliance elle‑même l’emporte sur l’ancienne. On peut donc appliquer ici l’axiome célèbre : « Le plus petit du plus grand est plus grand que le plus grand du plus petit ». Saint Jean Baptiste n’est donc pas considéré personnellement du point de vue de l’excellence de sa vie et de ses mœurs,  mais ce qui estenvisagé c’est sa condition en tant qu’il représente l’ancienne loi, dont il fut le dernier représentant. Il suit de là que si, dans la première partie de ce verset, Jean‑Baptiste est appelé le plus grand des hommes, ce ne saurait être d’une manière absolue ; c’est seulement pour ce qui concerne l’Ancien Testament, puisque Jésus le met ensuite au‑dessous des sujets du royaume messianique.

Mt11.12 Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est emporté de force, et les violents s’en emparent. – Les débats recommencent au sujet de cette autre parole, dont le sens est également contesté. Les premiers mots, Depuis les jours… jusqu’à maintenant, fixent deux dates, dont l’une indique un point de départ et l’autre une limite finale. Le point de départ est marqué par les « jours de Jean‑Baptiste », c’est-à-dire par le début de son ministère public sur les bords du Jourdain ; la limite finale, c’est « maintenant », l’heure présente, le moment où Jésus tenait ce langage à la foule. – La principale difficulté porte sur se prend par violence, ou plutôt sur le verbe du texte grec, dont la forme est équivoque, et qui peut se traduire par le moyen ou par le passif. Pris au sens moyen, il indiquerait que le royaume des cieux, à l’époque désignée par Jésus‑Christ, s’introduisait de lui‑même avec force, s’ouvrait violemment l’entrée des esprits et des cœurs : « Il s’est fait violence, pour ainsi dire ». Bengel adopte cette interprétation ; mais nous préférons avec la Vulgate, plusieurs autres versions et la plupart des commentateurs, traduire par la forme passive, qui s’accorde mieux avec la phrase suivante « et ce sont les violents qui s’en emparent ». De la sorte, le royaume messianique nous apparaît sous la figure d’une forteresse à laquelle on livre un assaut vigoureux. Toutefois, cette interprétation ne règle pas encore la controverse : il reste à déterminer le motif et la durée de l’assaut donné au royaume du Christ, et là encore les exégètes ne peuvent réussir à s’accorder entre eux. Suivant Lightfoot, le verbe signifie « est conquis, pris d’assaut, vaincu… ». Jésus aurait ainsi désigné les violences auxquelles sa doctrine et son royaume étaient en butte de la part de ses ennemis, les Pharisiens et les Sadducéens, qui travaillaient à détruire son œuvre. Mais ce sentiment n’a trouvé qu’un petit nombre d’adeptes, parce qu’il n’a aucun rapport avec le contexte. Grotius et plusieurs autres se déclarent avec raison en faveur d’une violence provenant non de l’hostilité, mais au contraire de l’amour : « on l’assaille avec une grande quantité d’hommes » ; chacun fait des efforts énergiques pour pénétrer dans le royaume chrétien, sentant bien que le salut n’est pas possible ailleurs. Par cette image, Jésus‑Christ se serait donc proposé de décrire les heureux effets de la prédication de Jean‑Baptiste et de sa propre activité. Les foules convaincues se précipitaient à l’envi sur leurs pas, forçant en quelque sorte l’entrée de l’Église, tant elles étaient avides de participer aux grâces apportées par le Messie. L’Évangile, tout en insistant sur l’incrédulité de certaines fractions du peuple juif, nous montre cependant à chaque page des multitudes nombreuses qui se pressaient autour de Jésus et qui croyaient à sa divine mission. Tel nous paraît être, à nous aussi, le sens littéral des mots « le royaume des cieux se prend par violence » ; mais nous voudrions n’en pas exclure une idée importante, mentionnée par les Pères, et relative à l’énergie morale qu’il faut savoir déployer pour opérer son salut dans le royaume messianique. Sans un renoncement perpétuel, sans une mortification de tous les jours, comment pourrait‑on surmonter les passions, les obstacles de tout genre, les préjugés qui empêchent de mener une vie vraiment chrétienne ? Sous ce rapport, le « maintenant » dont parlait Jésus dure encore et il durera jusqu’à la fin du monde. – Et les violents s’en emparent. C’est une conséquence de la phrase précédente. Si le royaume des cieux ne peut être conquis que par la force, les âmes ardentes et généreuses, de nos jours comme du vivant de Notre‑Seigneur, peuvent seules réussir à le prendre d’assaut. Sous la Loi ancienne et jusqu’à l’apparition du Précurseur, il suffisait de croire au Christ et d’attendre la manifestation de son empire. Depuis que des voix autorisées avaient fait retentir le cri salutaire : « Le royaume des cieux est tout proche », cette attente passive ne suffisait plus, son résultat eût même été infailliblement la ruine spirituelle ; un rôle actif et militant était devenu nécessaire, et tous ceux qui négligeaient de le remplir demeuraient en dehors du royaume.

Mt11.13 Car tous les Prophètes et la Loi ont prophétisé jusqu’à Jean. – Pourquoi un changement si grave et si subit ? C’est ce que le divin Maître explique dans ce verset, comme le montre la particule car qui sert de liaison entre les deux sentences. Il n’est pas étonnant qu’une conduite nouvelle à l’égard de l’empire du Messie soit devenue obligatoire à partir « des jours de S. Jean » : le Précurseur inaugure une ère toute nouvelle. Avant lui c’était l’ancienne Alliance ; depuis le début de son ministère public, c’est déjà le Nouveau Testament. Or, entre la période qu’il ferme et celle qu’il ouvre, il existe une différence essentielle. Jusqu’à lui, tous les prophètes et la loi ont prophétisé ; c’était le temps des prédictions. Désormais au contraire c’est l’heure de l’accomplissement. La prophétie a donc cessé comme une chose inutile : celui qu’elle annonçait de loin est descendu des cieux, apportant la réalité promise tant de fois et sous toutes les formes. Par conséquent, l’expectative qui était anciennement permise ne saurait plus l’être aujourd’hui, mais « le royaume des cieux se prend par violence » – Le verbe « ont prophétisé », qui achève le v. 13, est plein d’emphase : ils ont prophétisé, ils n’avaient pas autre chose à faire, car c’était leur unique raison d’être, comme le prouvera si bien l’Apôtre des Païens. Jusqu’à Jean‑Baptiste, tout, même la Loi, même l’histoire juive, avait été prophétique. « Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple », 1 Corinthiens 10, 11. S. Jean n’avait rien prédit, mais il avait montré du doigt l’Agneau de Dieu et c’est pour cela qu’il était plus qu’un Prophète. – Jésus‑Christ complète sa pensée dans une autre circonstance en disant aux Pharisiens «: « La Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean le Baptiste ; à partir de lui, le royaume de Dieu est annoncé », Luc. 16, 16. C’est sur ce divin commentaire que nous avons appuyé le nôtre.

Mt11.14 Et si vous voulez le comprendre, lui-même est Élie qui doit venir.Et si vous voulez le comprendre. Quelques auteurs appliquent à tort ces mots à S. Jean : Si vous voulez le recevoir, croire en lui. Mais la mission de Jean‑Baptiste était close. Le sens est donc : S’il vous plaisait de comprendre ce que je vais vous dire, vous verriez que c’est lui qui est Élie. – Il est lui‑même cet Élie. La dernière de toutes les prophéties de l’Ancien Testament se terminait ainsi : « Voici, je vous enverrai Élie, le prophète, avant que le jour de l’Éternel arrive, ce jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème. », Mal. 4, 5 et 6. Les Juifs avaient conclu de ces paroles que l’apparition personnelle d’Élie précéderait celle de leur Christ cf. Jean 1, 21 ; Marc. 6, 15 ; 9, 7. Ils ne se trompaient pas complètement, puisque le prophète Élie doit préparer le second avènement du Messie à la fin du monde ; mais Jésus leur fait connaître ici un autre sens et une première réalisation de la prophétie de Malachie qu’ils n’avaient pas encore soupçonnés. L’ange Gabriel, annonçant à Zacharie la naissance de Jean, avait tracé en ces termes le rôle de cet enfant de bénédiction : «  il marchera devant, en présence du Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie », Luc. 1, 17 : c’est dans le même sens que Jésus‑Christ affirme du Précurseur qu’il est Élie. Jean‑Baptiste n’avait‑il pas été pour le premier avènement du Messie ce que le véritable Élie sera pour le second ? Cette simple assertion du Sauveur, « il est lui‑même cet Élie », était grosse de conséquences. Si Élie est venu, le Christ n’est pas loin, et si Jean‑Baptiste est Élie, Jésus est lui‑même le Christ : telle était la conclusion rigoureuse de ces trois mots. – Mais le Précurseur n’a‑t-il pas affirmé catégoriquement, de son côté, qu’il n’était pas Élie ? Jean 1. 21. Sans doute, mais la contradiction n’existe qu’à la surface : « Jean était Élie en esprit. Il n’était pas Élie en personne. Ce que le Seigneur affirme quant à l’esprit, Élie le nie quant à la personne », S. Grégoire‑le‑Grand, Hom. 7 in Evang. – S. Jérôme établit entre Élie et Jean‑Baptiste un intéressant parallèle, auquel on pourrait ajouter plusieurs traits caractéristiques : « L’austérité de la vie et la rigueur mentale furent semblables. L’un dans le désert, l’autre dans le désert. Ils avaient tous les deux une ceinture semblable. L’un fut forcé de fuir parce qu’il avait taxé d’impiété le roi Achab et Jézabel ; l’autre fut décapité parce qu’il avait dénoncé les noces illicites d’Hérode et d’Hérodiade ». – Qui doit venir. Élie est déjà venu d’une certaine manière, et pourtant il doit venir encore. L’accomplissement de la prophétie de Malachie n’a eu lieu qu’imparfaitement ; après Jean‑Baptiste, cet Élie figuratif, apparaîtra l’Élie véritable, dans une circonstance analogue. 

Mt11.15 Que celui qui a des oreilles entende. » – Jésus‑Christ, après avoir achevé l’éloge du Précurseur, jette à son auditoire une parole énigmatique, dont il fait volontiers usage quand il a enseigné des vérités importantes et profondes sur lesquelles il désire attirer l’attention et la réflexion cf. 13. 9, 43 ; Marc. 4, 9 ; Luc. 8, 8. Les Rabbins employaient aussi des formules semblables pour le même motif, par exemple « Que celui qui entend entende ; que celui qui comprend comprenne », Sohar. Le discours qui précède contenait, nous l’avons vu, des enseignements de la dernière gravité ; mais ces enseignements avaient été présentés sous une forme mystérieuse, et, pour les bien saisir, il fallait en faire l’objet de sérieuses méditations. Jésus en avertit la foule qui l’avait écouté : à chacun de voir s’il veut profiter du salut messianique, ou en demeurer le témoin oisif.

Mt11.16 « A qui comparerai-je cette génération ? Elle ressemble à des enfants assis dans la place publique, et qui crient à leurs compagnons : 17 Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé, nous avons chanté une lamentation, et vous n’avez pas frappé votre poitrine. – Jésus‑Christ vient de juger saint Jean‑Baptiste ; il juge maintenant, mais dans un autre sens, les Juifs dont un grand nombre n’ont reçu ni le Précurseur, ni le Messie, abusant d’une manière indigne des grâces qui leur avaient été prodiguées. Ce passage contient donc un blâme sévère contre l’incrédulité des contemporains du Sauveur. Leur conduite coupable est d’abord décrite en termes figurés, v. 16 et 17, puis au propre, relativement à S. Jean, v. 18, et à Jésus, v. 19. – À qui comparerai‑je… Autre formule commune à Notre‑Seigneur et aux Rabbins, et qui semble avoir été fréquemment employée à cette époque pour introduire une parole ou un discours figuré. Cf. Marc. 4, 30 ; Luc. 13, 18. – Cette génération, c’est-à-dire, comme s’exprime S. Luc, 7, 31, « les hommes de cette génération ». D’après le même S. Luc, v. 30, Jésus désignait par cette locution générale ses ennemis et ceux du Précurseur, en particulier les Pharisiens et les Docteurs de la Loi, qui avaient refusé d’ouvrir les yeux à la lumière et de se convertir. – Elle est semblable à des enfants… Comparaison pleine de fraîcheur empruntée aux mœurs des enfants qui, dans leurs jeux, aiment à imiter les événements tristes ou joyeux de la vie réelle, tels qu’ils les voient arriver chaque jour autour d’eux. – Assis sur la place publique. Celui qui dira « Laissez venir à moi les petits enfants », montre, dans cette description minutieuse et pittoresque, avec quelle attention il les suivait parmi les plus petits détails de leur existence. Chaque mot porte et fournit un trait intéressant. La scène se passe sur la place publique, ce théâtre ancien et toujours nouveau des récréations de l’enfance. Les principaux joueurs, ceux qui représentent la génération présente, sont assis, et ils crient (peut‑il y avoir des jeux d’enfants sans cris bruyants ?) – Criant à leurs compagnons, ou bien, d’après une variante très accréditée du texte grec « aux autres ». Ils crient donc à quelques‑uns de leurs compagnons pour se plaindre de leur manière de faire. – Nous avons chanté… Nous lisons dans le texte grec, nous vous avons joué de la flûte. La flûte était chez les Juifs l’accompagnement non moins indispensable des noces que des funérailles, et, comme les enfants ajoutent et vous n’avez pas dansé, il est évidemment question dans ce premier hémistiche de joyeuses mélodies, semblables à celles qui retentissaient au milieu des réjouissances nuptiales. – Nous avons poussé des lamentations… Ils ont essayé des airs lugubres, mais sans réussir davantage, disent‑ils ; ceux à qui ils s’adressent ayant encore refusé de se mettre à l’unisson. – Vous n’avez pas pleuré ; ils n’ont pas poussé de longs gémissements, comme faisaient les pleureuses d’office aux enterrements ; ou, d’après le texte grec, ils ne se sont pas frappé la poitrine en signe de deuil, ainsi qu’on le pratiquait dans les grandes tristesses. Cf. Ézéchiel 20, 44 ; Matth. 24, 30, etc. – Rien n’est plus simple que cette parabole, et cependant les exégètes ne s’entendent pas au sujet de l’application qu’il faut faire à Jésus et à S. Jean d’une part, de l’autre à leurs compatriotes. Quels personnages Notre‑Seigneur a‑t-il voulu désigner par les « enfants assis », et par leurs « compagnons» qui refusent de s’associer à leurs jeux, ou plutôt de se plier à leurs fantaisies ? Beaucoup d’auteurs anciens ont vu dans les premiers le portrait de Jésus‑Christ et de S. Jean, dans les seconds l’image des Juifs demeurés incrédules. Jésus et son Précurseur, disaient‑ils, s’étaient présentés avec une manière de faire presque opposée, celui‑là invitant en quelque sorte à des jeux joyeux par sa douceur et sa bonté, celui‑ci invitant au contraire aux jeux tristes par sa vie et sa prédication sévères ; mais aucun d’eux n’avait réussi. Les Pharisiens et les Scribes, semblables à des enfants capricieux et maussades dont on ne peut satisfaire les goûts, étaient restés sourds à leurs appels variés et réitérés. Cette opinion est en contradiction directe avec le texte sacré, ainsi qu’il est aisé de s’en convaincre. La génération actuelle est semblable à des enfants assis sur la place publique, qui crient à leurs camarades : « Voici que nous chantons… etc. ». Les mots « leur disent » retombent évidemment sur « enfants assis » et ces enfants assis ne peuvent représenter autre chose que les contemporains du Sauveur, « cette génération » : S. Jean et Jésus‑Christ sont donc, dans la parabole, les « compagnons » auxquels les autres enfants, c’est-à-dire la génération présente, adressent des reproches. L’histoire évangélique justifie pleinement cette interprétation qui est aujourd’hui presque universellement admise. Tous ceux d’entre les Juifs qui s’étaient endurcis contre la prédication du Christ et de son Précurseur formaient pour ainsi dire une génération fantasque et revêche, et ils auraient voulu imposer leurs caprices aux hommes providentiels venus à eux pour les sauver. Les Pharisiens souhaitaient que Jésus imitât leurs mœurs sévères, mais hypocrites ; les Sadducéens étaient au contraire choqués de la vie mortifiée de Jean‑Baptiste. On avait justement repoussé les avances de ces joueurs à humeur changeante ; de là leur mécontentement et leurs plaintes. Wetstein et Grotius citent un apophtegme semblable de Rabbi Papa : « J’ai pleuré, mais tu ne t’en es pas rendu compte ; j’ai ri, et tu ne t’en es pas soucié. Malheur à toi qui ne connais pas la différence entre le bien et le mal ».

Mt11.18 Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il est possédé du démon,Jean est venu. Jésus‑Christ interprète lui‑même sa parabole et, tout d’abord, relativement à S. Jean‑Baptiste. – Ne mangeant ni ne buvant ; hyperbole manifeste, qui a pour but de mieux faire ressortir l’austérité du Précurseur. Les jeûnes de ce saint personnage étaient si nombreux, si sévères, qu’on pouvait presque les assimiler à une privation totale de nourriture. S. Luc dit simplement « ne mangeant pas de pain, ne buvant pas de vin », Luc. 7, 33. – Il est possédé du démon. Jean était donc traité de la même manière que Jésus, Cf. 10, 24, 25. Ceux que les exhortations du Précurseur et du Messie auraient pu gêner avaient découvert un moyen aisé de n’y pas croire et de les repousser. Le prédicateur, s’écriaient‑ils, est possédé du démon ; il a perdu l’esprit : à quoi bon l’écouter ? Cf. Jean 10, 20. Nous aurions ignoré ce trait de la conduite des Juifs à l’égard de Jean‑Baptiste, s’il n’eût plu au divin Maître de nous le révéler ; car nous ne voyons nulle part, dans l’Évangile, le Précurseur traité directement comme un démoniaque par ses compatriotes. Mais nous savons suffisamment, par d’autres passages, que S. Jean avait déplu à cette génération non mortifiée, pour laquelle sa vie pénitente était un reproche perpétuel.

Mt11.19 le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : C’est un homme de bonne chère et un buveur de vin, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. Mais la Sagesse a été justifiée par ses enfants. »le Fils de l’homme… Ceux qu’avait choqués la manière d’agir du Précurseur auraient dû, s’ils eussent été justes et sans passion, goûter la conduite de Jésus, qui était plus en rapport avec la vocation du commun des hommes. Mais pas du tout. Bien que Notre‑Seigneur vécût à la façon habituelle des Juifs, mangeant et buvant, c’est-à-dire ne pratiquant pas de mortifications extraordinaires, acceptant des repas chez ceux qui l’invitaient, se mettant à la portée de tous afin de leur offrir de plus grandes facilités pour se sauver, il n’échappait pas davantage aux injures et à la calomnie. – Voici un homme vorace, osait‑on dire, et un buveur de vin, etc. Un envoyé de Dieu ne serait pas si gai ; il fuirait le contact des pécheurs, il pleurerait et gémirait avec nous quand nous entonnons des airs lugubres. Le Précurseur et le Messie s’étaient donc trouvés dans l’impossibilité de réussir auprès de ces âmes difficiles que tout scandalisait, qui refusaient d’écouter le premier parce qu’il était trop sévère, le second sous prétexte qu’il ne l’était pas assez. – Heureusement Jésus peut ajouter une parole consolante : – Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants. « La sagesse de saint Jean Baptiste et la mienne ont été justifiées par tous les hommes sages. Toutes les personnes équitables, éclairées, pieuses, conviendront que nous avons bien agi. Les évènements démontrent que nous avions raison l’un et l’autre dans la conduite que nous avons tenue envers le peuple. Le Précurseur a trouvé des disciples, qui ont reçu son baptême et ont imité sa vie pénitente ; et j’ai tiré du désordre plusieurs pécheurs par ma conduite pleine de bonté et de clémence. Nous prouvons notre sagesse par le succès qu’il a plu à Dieu de nous donner » [Jésus parle ici en tant qu’homme : Jésus, qui est Dieu fait homme  approuve la conduite de Jésus en tant qu’homme et l’a couronnée de succès. En Jésus, il n’y a qu’une Personne mais deux natures. Et Dieu est Un, Dieu est Unique. En Dieu, il y a Trois Personnes, mais cette Trinité en Personnes ne fractionne pas l’Unité de Dieu. Un en Divinité, trois en Personnes. Chaque Personne est Dieu mais les documents officiels du Magistère infaillible de l’Église Catholique Romaine enseignent que Dieu est Un, qu’il n’y a qu’UN seul Dieu, et non pas trois dieux. Ce mystère a été révélé par Jésus mais il dépasse l’intelligence humaine, on ne peut pas le comprendre, on y adhère parce que l’on est sur que c’est Dieu qui l’a révélé]. « Les enfants de la Sagesse, les hommes calmes et pieux nous ont écouté et ont suivi nos conseils. Les autres les ont abandonnés, s’en sont moqués mais leur incrédulité et leur perte même font notre apologie. » Dom Augustin Calmet cite en note : (Ieronym. (S. Jérôme) Natal. Alex. Hamm. Grot. (Grotius) Vat. Le Clerc.). « Il n’y a que les enfants de la folie et de l’erreur, qui n’aient pas voulu nous suivre, et qui soient capables de nous condamner » (cf. Dom Augustin Calmet, Commentaire Littéral sur tous les Livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, L’Évangile de S. Matthieu, imprimé à Paris, Quai des Augustins, en 1725, sur 11, 19 et Luc 7, 35). A la conduite des Juifs incrédules, Jésus‑Christ oppose donc la foi des esprits justes et des cœurs dociles qui ont adhéré à sa prédication et à celle de Jean‑Baptiste. « La sagesse que les scribes orgueilleux et les juifs insensés ont méprisée dans le Christ et Jean est justifiée, c’est-à-dire honorée, louée par tous les vrais sages », Corneil de la Pierre in h. l. 

Mt11.20 Alors Jésus se mit à reprocher aux villes où il avait opéré le plus grand nombre de ses miracles, de n’avoir pas fait pénitence. – Il n’est pas sûr que Jésus‑Christ ait prononcé cette seconde partie du discours immédiatement après la première. S. Luc la rattache à l’envoi et au retour des soixante‑douze disciples, c’est-à-dire à deux événements qui auront lieu beaucoup plus tard, et telle serait, d’après plusieurs commentateurs, sa vraie place primitive ; d’autant mieux que les mots « dans lesquelles avaient été opérés beaucoup de ses miracles » paraissent supposer que le ministère du Sauveur touchait à sa fin, quand il formula les terribles malédictions qu’ils inaugurent. Dans ce cas, S. Matthieu aurait suivi, comme en d’autres endroits, l’ordre des choses plutôt que celui des faits. D’autres exégètes, s’appuyant sur la similitude de ton qui règne entre les deux parties du discours, et sur l’arrangement très naturel des pensées, soutiennent que le premier Évangéliste ne s’est pas plus écarté ici de la réalité des faits que lorsqu’il relatait le Discours sur la Montagne, ou les instructions pastorales de Jésus‑Christ à ses Apôtres. On peut supposer en effet que Jésus répéta les mêmes paroles en deux circonstances différentes. Néanmoins une solution certaine est impossible, faute de données suffisantes. Nous croyons, nous aussi, que le discours actuel put fort bien être prononcé dans son intégrité à l’occasion de l’ambassade du Précurseur, les divers points auxquels il touche cadrant parfaitement ensemble. Voir sur cette question S. Augustin , de Consens. Evang. 2, 32. Quoi qu’il en soit, des reproches généraux que nous venons d’entendre et qui étaient motivés par l’incrédulité générale, Jésus‑Christ passe à des reproches particuliers, qu’il appuie sur l’incrédulité de quelques villes privilégiées où il avait plus que partout ailleurs déployé son activité, accompli ses miracles, montré sa divine personne depuis le commencement de sa vie publique. – Alors représente une époque plus ou moins tardive, selon l’opinion qu’on s’est faite relativement à la date de cette seconde moitié du discours. – L’expression il se mit ne désigne pas nécessairement une occasion nouvelle ou un début proprement dit ; elle peut très bien aussi ne marquer qu’une transition à une autre série d’idées, après un léger moment d’arrêt. – Aux villes dans lesquelles… Jésus‑Christ, dans ce passage tout entier, attribue à ses miracles une grande importance au point de vue de la foi en sa divine mission, et une force probante à laquelle personne ne devrait résister. Rien ne démontre mieux, en effet, son caractère messianique et sa divinité. – Beaucoup de ses miracles. Les villes qu’il va citer étaient d’autant moins excusables qu’elles n’avaient pas seulement été témoins de quelques prodiges, mais d’un grand nombre de miracles.

Mt11.21 « Malheur à toi, Corozaïn. Malheur à toi, Bethsaïde. Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait pénitence sous le cilice et la cendre. – Malheur à toi. Plus haut, v. 6, Jésus avait proclamé bienheureux ceux qui croyaient simplement et franchement en Lui ; maintenant il maudit au contraire les cités incrédules. Ces « malheur » expriment une sentence juridique, en même temps qu’une terrible prophétie. Le divin Maître dut les prononcer avec énergie, sous l’empire de la sainte colère que lui inspirait la vue d’une indifférence si coupable. – Corozaïn. Cette ville n’apparaît ni dans l’Ancien Testament, ni dans les écrits de Josèphe. Seuls S. Matthieu et S. Luc en font mention dans le Nouveau Testament, et d’une manière si vague qu’il est aujourd’hui moralement impossible de retrouver son emplacement précis. S. Jérôme nous assure qu’elle n’était éloignée de Capharnaüm que de deux milles romains. Les Talmuds vantent la bonne qualité de son froment. « Si Khorazim, disent‑ils, avait été plus près de Jérusalem, on y aurait pris les blés pour le temple » cf. Neubauer, la Géographie du Talmud, p. 220. Plusieurs voyageurs modernes ont voulu identifier cette localité célèbre dans l’histoire de Jésus avec le Bir Kerazeh, qu’on rencontre au Nord de la mer de Galilée et à une bonne heure du rivage ; mais c’est là une hypothèse invraisemblable, puisque Corozaïn était bâtie sur les bords du lac, comme l’atteste déjà S. Jérôme, Comm. in Isai. 9, 1. D’autres la placent auprès de la source de Tabigah, dont nous parlerons plus loin. Elle était déjà en ruines au temps d’Eusèbe cf. Onomasticon, s. v. – Bethsaïde, ou maison de pêche. Ce nom lui venait de ses pêcheries nombreuses et de ses excellents poissons ; nous savons du reste que Pierre et André, transformés en pêcheurs d’hommes par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, étaient originaires de Bethsaïde cf. Jean 1, 44. On admet généralement aujourd’hui qu’il existait à l’époque du Sauveur deux Bethsaïde peu éloignées l’une de l’autre et situées l’une en Galilée, Jean 12, 21, par conséquent sur la rive occidentale du lac, l’autre dans la Gaulanite inférieure, à quelque distance et au N. E. du lac. Cette dernière était plus connue sous le nom de Julias que lui avait récemment donné le tétrarque Philippe, après l’avoir considérablement agrandie. C’est de la première qu’il est question dans notre passage. Sa position exacte est tout aussi inconnue que celle de Corozaïn : néanmoins il ressort clairement des textes évangéliques où elle est mentionnée et des rares renseignements de la tradition à son sujet, qu’elle était située dans la région N. O. du lac de Tibériade. Raumer, Ritter, Hengstenberg, van de Velde, et d’autres géographes récents la placent à Khan Minyeh, c’est-à-dire à une heure environ de Magdala, dans la direction du Nord. – Car si… dans Tyr et Sidon… Le Sauveur fait ici un rapprochement frappant. Il compare les deux gracieuses petites villes du lac, Corozaïn et Bethsaïda, aux deux cités autrefois considérables de Tyr et de Sidon, deux villes juives à deux villes païennes, deux villes comblées de bénédictions à deux villes maudites et sévèrement châtiées quelques siècles auparavant. Tyr et Sidon étaient renommées pour leur dépravation, qui est signalée en termes si énergiques par les Prophètes, Cf. Isaïe 23, 1 ; Ezéch. 26, 2 ; 27, 3 ; 28, 2, 12 : ce trait donne une grande signification à la préférence que Jésus leur accorde sur Corozaïn et Bethsaïda. Elles avaient été rebâties et étaient redevenues florissantes, tout en restant bien au‑dessous de leur ancienne splendeur. – Il y a longtemps, depuis longtemps, sans résister à la grâce messianique comme l’avaient fait les deux bourgades juives. – Dans le sac et la cendre… Le cilice et la cendre étaient chez les Orientaux des symboles très expressifs de la pénitence. En signe de deuil et de repentir, ces hommes, amis des manifestations extérieures, se couvraient d’un vêtement grossier, dépourvu de manches et de couleur sombre, Cf. Gesenius, Thesaurus s. v., et jetaient de la cendre ou de la poussière sur leur tête, Cf. Jean 3, 6 ; Isaïe 58, 5 ; Jérémie 6, 26, etc. Voilà donc ce qu’auraient fait les villes superbes et corrompues de Tyr et de Sidon, si Jésus leur eût autrefois annoncé l’Évangile en confirmant sa prédication par des miracles. – Ce passage est important au point de vue dogmatique ; les théologiens l’emploient à juste titre pour prouver qu’il y a en Dieu une « science intermédiaire » (Dieu aperçoit avec une entière certitude ce que l’humain fera dans telle ou telle circonstance). « Dieu connait les choses contingentes et libres qui n’existeront jamais, mais qui auraient existé si certaines conditions s’étaient réalisées », Abelly, Medulla theolog. Tract. 2 c. 3 sect. 4.

Mt11.22 Oui, je vous le dis, il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Tyr et pour Sidon, que pour vous.C’est pourquoi je vous le dis. Jésus annonce ainsi d’une manière emphatique la sentence terrible qu’il va porter contre les bourgades ingrates qui sont demeurées insensibles aux manifestations éclatantes de sa divine mission. – Tyr et Sidon seront traitées... Tyr et Sidon ont été moins coupables ; elles seront donc moins sévèrement punies, Cf. 10, 15. Nous avons dans ces paroles un nouvel exemple de ce que S. Augustin appelait mittissima damnatio (peine très adoucie), c’est-à-dire la distribution inégale des peines aux damnés selon le degré de leur culpabilité. Il n’y aura pas de rémission ni d’adoucissement pour Corozaïn et Bethsaïda, dont le crime n’est diminué par aucune circonstance atténuante ; tout l’aggrave au contraire et le rend complètement inexcusable. Même en ce monde, suivant une belle pensée de Rhaban Maur, Tyr et Sidon ont eu un sort « plus tolérable » que les deux cités juives, car Tyr et Sidon reçurent plus tard avec empressement la prédication de l’Évangile, et devinrent de brillantes chrétientés, gouvernées par des archevêques et des évêques, tandis que Bethsaïda et Corozaïn disparurent ignominieusement. Toutefois, ce n’était pas un châtiment temporel, mais une damnation éternelle que le divin Maître annonçait ; il le dit formellement quand il ajoute : au jour du jugement.

Mt11.23 Et toi, Capharnaüm, qui t’élèves jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers, car si les miracles qui ont été faits dans tes murs, avaient été faits dans Sodome, elle serait restée debout jusqu’à ce jour.Et toi, Capharnaüm. « Cette apostrophe à Capharnaüm a une grande portée. C’est comme si quelqu’un qui exhorte un groupe d’hommes perdus, faisait, après le départ de tous les autres, porter tout lepoids de l’impiété sur quelqu’un en particulier », Fr. Luc, comm. in h. l. Capharnaüm que Jésus avait tout spécialement favorisée en y fixant sa résidence, Cf. 4, 13, était par excellence la ville ingrate et criminelle des bords du lac de Gennésareth. – T’élèveras‑tu ? L’interrogation n’existe pas dans le « textus receptus ». S. Jérôme connaissait déjà cette variante. « Nous avons trouvé, écrit‑il, dans un autre exemplaire : toi qui es exaltée jusqu’au ciel ». S’il lui préféra la leçon de l’ancienne Itala, c’est qu’il la crut plus autorisée, et en effet des manuscrits importants et nombreux disent comme la Vulgate ; cette interrogation donne un tour beaucoup plus vif à la pensée. – Jusqu’au ciel. « C’est une expression proverbiale tant chez les Grecs que chez les Latins, que d’être emporté jusqu’aux astres, ou de frapper les étoiles avec sa tête, quand les affaires sont florissantes ou qu’on est d’une haute naissance », Grotius. D’où provenait l’illustration de Capharnaüm ? Le reproche même de Jésus‑Christ l’indique. C’était d’avoir reçu dans ses murs, non comme un étranger, mais comme un habitant qui y avait établi son domicile régulier, le Messie en personne : à ce point de vue cette ville était l’endroit du monde le plus favorisé du ciel. Elle était encore célèbre, il est vrai, par son commerce et ses richesses ; mais la distinction que nous venons de signaler l’emportait trop sur toute autre gloire, pour que Jésus fit allusion en une si grave circonstance à des avantages purement matériels. Stier prend le verbe « éléveras » dans le sens propre, comme si Jésus‑Christ eut voulu parler de la situation élevée de Capharnaüm : mais, bâtie tout à fait au bord du lac, elle n’atteignait pas une altitude assez considérable pour qu’on pût tenir d’elle un tel langage, même en s’aidant d’une hyperbole. – Tu descendras jusqu’à l’enfer. Quel contraste et quelle mordante ironie. On croirait reconnaître dans ces mots quelque réminiscence de l’admirable prophétie d’Isaïe relative à la ruine de Babylone ; « Toi qui te disais : “J’escaladerai les cieux ; plus haut que les étoiles de Dieu j’élèverai mon trône… j’escaladerai les hauteurs des nuages, je serai semblable au Très‑Haut.” Mais te voilà jeté aux enfers, au plus profond de l’abîme », Isaïe 14, 13-15. Ce n’est pas l’enfer proprement dit, la Géhenne, qui est désigné par l’expression « enfer », mais le Scheôl des Hébreux, l’Hadès des grecs, c’est-à-dire le séjour des morts en général, que l’imagination populaire plaçait sous terre dans des régions ténébreuses et remplies de tristesse. Ici la locution est employée au figuré pour présager le malheur et la ruine. – Qu’est devenue la ville joyeuse et florissante à laquelle le divin Maître adressait ce langage ? « Ils ont péri de ruine », pourrait‑on dire en toute vérité. Ses traces mêmes ont disparu, comme celles de Corozaïn et Bethsaïda, et l’on en est réduit à des conjectures, toutes les fois que l’on veut déterminer avec précision son ancien emplacement. Ce ne sont pourtant pas les efforts des savants qui ont manqué. Peu de contrées de la Palestine ont été autant étudiées, de nos jours surtout, que la rive N.-O. du lac de Tibériade, site présumé de nos trois villes maudites. Les voyageurs et les géographes ont pour ainsi dire interrogé chaque pierre, chaque fontaine, en vue de reconstituer le séjour de Jésus ; mais en vain. Ils n’ont réussi qu’à se contredire mutuellement sur les points essentiels qu’ils étaient si désireux d’établir. Voici en quelques mots l’état de la question. Quand on longe le rivage occidental du lac en remontant du Sud au Nord, après avoir parcouru dans toute sa longueur la belle et riche pleine de Gennésareth, on arrive auprès d’un caravansérail à demi ruiné, construit avec des pierres basaltiques : c’est le Khan Minyeh. Il y a là, outre une belle fontaine nommée Ain‑et‑Tin, « source du figuier », en l’honneur de l’antique figuier qui l’ombrage, plusieurs monticules arrondis qui renferment certainement des ruines. Si nous continuons notre excursion du côté du Nord, nous ne tardons pas à atteindre le village de Tabigah qu’arrosent des sources considérables : là encore on aperçoit quelques ruines. Enfin en côtoyant toujours le lac dans la même direction, on arrive à Tell‑Hûm où se trouvent de nouvelles ruines, mais en quantité beaucoup plus considérable. Ce sont des vestiges manifestes d’une vraie splendeur déchue. La ville de Capharnaüm n’aurait‑elle pas occupé autrefois cet emplacement ? Des hommes sérieux le croient pour les motifs suivants : 1° Hûm semble être une abréviation de l’ancien nom Nahum ; on ne peut du moins expliquer ce mot d’une autre manière, car ce n’est pas une expression arabe. Il existe d’ailleurs des exemples d’abréviations semblables, v. g. Chunia pour Nechunia. Tell, nom arabe qui signifie colline, et particulièrement colline de ruines, aura remplacé Caphar, la première partie de l’ancien nom. 2° L’historien Josèphe raconte que, durant une bataille qu’il livra aux Romains près de Julias, au Nord du lac et à l’Est du Jourdain, étant tombé de cheval, il fut grièvement blessé et qu’alors on le transporta à Kepharnomé, c’est-à-dire Capharnaüm, de l’autre côté du fleuve ; or, ce récit s’accorde très bien avec la situation de Tell‑Hûm qui était, à l’Ouest du Jourdain, la première ville où Josèphe put trouver des médecins et se faire soigner convenablement. Est‑il croyable qu’il fût allé jusqu’à Khan Minyeh, si Capharnaüm eût été en cet endroit, comme le prétendent divers géographes ? 3° Sur le rivage occidental du lac, entre Tibériade et l’embouchure du Jourdain, les ruines de Tell‑Hûm sont de beaucoup les plus considérables et semblent seules convenir à une ville de l’importance de Capharnaüm ; celles qu’on a découvertes ailleurs attestent tout au plus l’existence de petites bourgades, telles que Corozaïn et Bethsaïda. 4° Arculf, évêque du 7è siècle, fait une description de Capharnaüm, qu’il apercevait du haut d’une montagne voisine : « N’ayant pas de mur, occupant un petit espace resserré entre la montagne et le lac, elle s’étend longuement sur la berge maritime. Elle jouit d’une montagne du côté nord et d’un lac au sud. Elle est située de l’ouest à l’est ». Ce tableau qui s’accorde parfaitement avec l’état actuel et la position de Tell‑Hûm : il est entièrement faux si on l’applique à Khan Minyeh ou à toute autre localité. 5° Enfin, d’après une tradition très ancienne et qui a de nombreuses garanties d’authenticité, toute la rive occidentale du lac de Gennésareth appartenait autrefois à la tribu de Nephtali ; or, suivant S. Matthieu, 4, 13, Capharnaüm était située sur les limites de Nephtali et de Zabulon : elle se trouvait donc nécessairement vers l’extrémité septentrionale du lac, à l’endroit où se rejoignaient les territoires des deux tribus. – Telles sont les raisons principales qui militent en faveur de Tell‑Hüm. La thèse favorable à Khan Minyeh est développée longuement par le Dr Robinson. Quoi qu’il en soit de cette intéressante discussion, qui menace de ne jamais finir, voilà bien Capharnaüm descendue jusqu’au séjour des morts, selon la parole du Sauveur. – Le motif du châtiment est ensuite indiqué, comme pour Corozaïn et Bethsaïde : car si les miracles etc. L’histoire des hérésies nous apprend l’abus que les Prédestinatiens faisaient de cette réflexion. Elle prouve, disaient‑ils, que Dieu ne donne pas à tous les hommes, mais aux seuls prédestinés, les grâces nécessaires au salut ; autrement, puisqu’il prévoyait que Sodome, Tyr et Sidon se seraient converties à la vue de grands prodiges, il eût certainement pris des mesures pour leur accorder cette faveur. Les Prédestinatiens oubliaient, dans leur raisonnement passionné, que les miracles ne font pas partie de « la grâce nécessaire », dûe par Dieu à tous les hommes, mais qu’ils forment ce qu’on appelle une grâce surabondante, grâce que le Seigneur est libre d’octroyer à qui bon lui semble et sans laquelle on peut arriver au salut. Or, il n’est question ici que de cette grâce surabondante. Les habitants de Tyr, de Sidon et de Sodome jouissaient de la grâce nécessaire, à l’aide de laquelle ils pouvaient sans peine obéir aux commandements de la loi naturelle et se sauver par ce moyen. – Elle subsisterait peut être ; cette traduction est inexacte, car la particule du texte grec est très affirmative et n’exprime pas le plus léger doute. 

Mt11.24 Oui, je te le dis, il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour le pays de Sodome que pour toi. » – Vous… toi : Changement de nombre dont il est aisé de deviner le sens. – Le pays de Sodome. Ce rapprochement est encore plus honteux pour Capharnaüm que n’avait été pour Corozaïn et Bethsaïda celui de Tyr et de Sidon. Sodome, la ville immonde par antonomase, si sévèrement punie, la ville superbe anéantie par le feu du ciel. La reine du lac de Tibériade deviendra donc semblable à l’ancienne reine des rives de la mer Morte ou plutôt elle doit s’attendre à une sentence plus terrible encore. Que sera‑ce donc du jugement céleste, et avec quelle juste sévérité l’indifférence des villes du lac ne sera‑t-elle pas condamnée au dernier jour ?

Mt11.25 En ce même temps, Jésus dit encore : « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits.En ce même temps. Date indécise, qui peut désigner soit le jour même où s’était présentée l’ambassade du Précurseur, Cf. vv. 2-7 et 20, soit, d’après S. Luc, 10, 21 et suiv., l’époque plus tardive du retour des soixante‑douze disciples auprès de Jésus ; voir la note du v. 20. – Jésus prit la parole. Le verbe que l’Évangéliste emploie dans le texte grec, est loin d’annoncer toujours une réponse proprement dite, Cf. Job. 3, 2, etc. Il signifie très souvent « prendre la parole ». Il n’est donc pas nécessaire d’admettre avec Fritzsche l’omission de quelques phrases intermédiaires dans la narration de S. Matthieu. Le récit évangélique nous présentera fréquemment cette expression prise dans le même sens cf. 22, 1 ; 28, 5 ; Luc. 14, 3 ; Jean 2, 18 ; 5, 17, etc. Du reste, si elle ne suppose pas habituellement une réponse stricte, les paroles qu’elle précède viennent avec tant d’à-propos qu’elles semblent répondre d’une manière morale à la situation du moment. Tel est bien ici le cas, quelque hypothèse qu’on admette sur la période de la vie de Jésus à laquelle se rattachent les vv. 25-30. – Dit. Le sentiment dominant de son âme avait été jusque‑là, et surtout à partir du v. 15, celui d’une profonde tristesse ; il se livre maintenant à un vif mouvement d’allégresse : « Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint », Luc. 10, 21. On lit sa joie et sa douce émotion à travers les lignes suivantes. Après avoir signalé tant d’indifférence, d’incrédulité, d’ingratitude, le divin Maître était si heureux de contempler en esprit la foi et l’amour d’un si grand nombre d’âmes qui lui étaient déjà dévouées, et qui devaient lui appartenir dans la suite des âges. Quel essor magnifique du langage et des pensées. On croirait lire une page du quatrième Évangile, et, si on ne se rappelait pas la place de ces six versets, on les irait chercher tout d’abord dans le récit de S. Jean : ce qui prouve que les synoptiques et l’Apôtre bien‑aimé nous ont réellement conservé la même vie, quoique leur but et leur méthode aient différé dans l’ensemble. – Je vous rends grâces. Ce verbe signifie : célébrer les louanges de quelqu’un, le féliciter, acquiescer avec la satisfaction la plus entière à ses volontés et à ses actes. Cf. Romains 14, 11 ; 15, 9. Jésus‑Christ adore donc Dieu en le louant. Pour la première fois, il s’adresse à lui directement, comme à son Père bien‑aimé ; il le fera encore dans deux autres circonstances Jean 11, 41 ; 12, 28 ; Luc. 23, 34. – Seigneur du ciel et de la terre : au titre qui exprime l’amour, il ajoute aussitôt celui qui marque le respect. C’est en qualité de maître absolu de l’univers que Dieu réprouve les superbes et comble les humbles de ses faveurs ; ce second nom sert donc d’introduction très naturelle à la pensée qui va suivre. – Vous avez caché ces choses… ; motif des louanges respectueuses et aimantes du Sauveur. Mais Jésus louerait‑il réellement Dieu de l’endurcissement des âmes demeurées infidèles ? « Pas du tout », répond saint Jean Chrysostome « Ces mystères donc, si grands et si divins, ne pouvaient être révélés aux uns sans que Jésus-Christ en ressentît de la joie, ni cachés aux autres, sans lui causer une profonde tristesse… Ce n’est donc pas parce que ces mystères sont cachés aux sages que Jésus-Christ se réjouit, mais parce que ce qui était caché aux sages était révélé aux petits », Hom. 38 in Matth. ; et l’illustre interprète cite à l’appui de son opinion une phrase analogue de S. Paul, qu’il faut prendre également « in sensu diviso » : « Mais rendons grâce à Dieu : vous qui étiez esclaves du péché, vous avez maintenant obéi de tout votre cœur au modèle présenté par l’enseignement qui vous a été transmis » Cf. Romains 6, 17. Ainsi, les mots « avez révélées aux petits » retomberaient seuls sur le verbe « rends grâces ». Mais c’est là un scrupule évident. Si le divin Maître peut louer la bonté de son Père, pourquoi ne louerait‑il pas aussi sa justice par laquelle ont été exclus de la participation aux grâces messianiques des hommes qui s’en étaient volontairement rendus indignes ? Nous ne voyons pas de difficulté à ce que la louange du Sauveur porte sur ce double effet de la puissance de Dieu. D’ailleurs, « caché » n’exprime pas une opération directe et positive du Très‑Haut. Libre de distribuer ses dons comme il lui plaît, il a renvoyé les mains vides ceux qui croyaient pouvoir se passer de ses bienfaits, il a laissé dans leur sagesse terrestre ceux qui se mettaient au‑dessus de ses divines lumières. – « Ces choses », c’est-à-dire les mystères du royaume de Dieu, la doctrine évangélique et sa vérité, les preuves de la mission de Jésus‑Christ, la force probante de ses miracles. – Aux sages et aux prudents. Bien que ces deux expressions représentent une même catégorie d’individus, elles expriment néanmoins une nuance délicate. Les sages, ce sont les hommes doués de la science spéculative ; les savants, les prudents, ce sont les hommes d’action et d’expérience, les habiles, comme l’on dit. Il s’agit ici, bien entendu, de ceux qui sont sages à leurs propres yeux, sages selon la chair et le monde, tels qu’étaient les Pharisiens, les Scribes et les Sadducéens. – Révélées aux petits. Autre appellation humble en apparence, mais glorieuse en réalité, donnée par Jésus à ses vrais disciples cf. 10, 42. Ce sont par là-même des hommes dociles, accessibles à l’instruction, parce qu’ils se laissent enseigner et conduire comme de petits enfants. Dieu s’est toujours complu à répandre ses lumières sur cette sorte d’âmes, parce qu’elles en savent profiter mieux que personne. Voilà donc les savants qui ne savent rien, les ignorants qui connaissent toutes choses. Mais Jésus n’est‑il pas venu pour « que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles? » Jean 9, 39.

Mt11.26 Oui, Père, je vous bénis de ce qu’il vous a plu ainsi. – Sublime écho des louanges du Sauveur en l’honneur de son Père. Oui, mon Père, je vous loue. On dirait qu’après avoir prononcé les paroles du v. 25, Jésus‑Christ s’arrêta un instant pour les savourer et pour en admirer la divine justesse. – Ainsi. De la manière dont il vient d’être dit, et pas autrement. 

Mt11.27 Toutes choses m’ont été données par mon Père, personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, et personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler. – « Il change de sujet, de façon cependant à laisser entendre que son visage était toujours tourné vers son Père céleste », Fr. Luc, Comm. In h.l. Jésus passe maintenant aux rapports qui existent entre son Père et Lui, afin d’indiquer ensuite la manière dont ont lieu les révélations faites aux petits et aux humbles. – Toutes choses m’ont été données ; tout sans exception, et pas seulement le droit d’enseigner. Le Christ jouit d’un pouvoir illimité, souverain, sur le royaume de Dieu considéré dans son étendue la plus vaste cf. Matth. 28, 18 ; Psaume 2, 8 ; 8, 7 et 8. « Quand vous entendez ces paroles : « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains, » n’ayez pas de pensées basses et terrestres. Car, de peur que vous ne croyiez qu’il y eût deux dieux non engendrés, il se sert à dessein du mot de « Père», et il montre ainsi en plusieurs autres endroits qu’il est, et engendré du Père, et en même temps le Seigneur souverain de toutes choses », S. Jean Chrys. Hom. 38 in Matth. – Mais il y a entre Jésus‑Christ et le Père des relations encore plus étroites : Personne ne connaît le Fils… Le Fils, c’est évidemment Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Seul, celui qui l’a engendré de toute éternité connaît parfaitement sa nature, ses attributs et sa mission. Pour tous les autres, ces choses demeurent un mystère insondable. Le grec exprime une connaissance complète, qui s’étend à tous les détails aussi bien qu’à l’ensemble. – La réciproque est vraie, personne non plus ne connaît... Si le Père connaît intimement son Fils qui est « rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être », Hébreux 1, 3, le Fils, lui aussi, contemple à découvert tous les secrets de l’essence du Père. Cette connaissance mutuelle dénote entre le Père et le Fils l’unité et l’égalité les plus admirables, car l’absolu et l’infini peuvent seuls comprendre l’absolu et l’infini. Aussi ce passage est‑il devenu à bon droit un lieu classique en faveur de la divinité de Jésus‑Christ. – Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Le Fils peut donc communiquer à d’autres les choses étonnantes qu’il voit en son Père, et cette révélation forme l’un des buts principaux de son avènement parmi nous. Mais il est libre de répandre la lumière sur ceux qu’il en croit dignes : c’est une grâce qui dépend uniquement de sa bonté. Consolons‑nous, car en disant bientôt : Venez tous à moi, il montrera qu’il n’exclut volontairement personne. – Il est probable que l’auditoire fut incapable de saisir ces paroles selon toute leur signification dogmatique, car elles sont pleines de profondeur. Grâce à Dieu elles sont devenues claires pour les chrétiens.

Mt11.28 Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai. – Les trois derniers versets de ce chapitre, qui nous permettent de lire si avant dans le divin Cœur de Jésus, bien plus, qui sont le seul passage où ce Cœur adorable soit mentionné d’une façon expresse, n’existent que dans S. Matthieu. Ils contiennent certainement les paroles les plus suaves, les plus consolantes qui aient jamais été articulées dans le langage humain. – Venez à moi, vous tous… : c’est la conclusion du verset précédent. Si Jésus jouit d’une puissance sans bornes, s’il peut seul nous fournir les lumières dont nous avons besoin pour nous sauver, n’est‑il pas juste et nécessaire que nous accourrions tous auprès de lui ? Le texte grec est ici d’une énergie remarquable, « ici, tous à moi. ». Jésus répond donc directement à la question des envoyés de Jean‑Baptiste, Cf. v. 3. A quel titre appellerait‑il tous les hommes autour de lui, s’il n’était véritablement le Messie ? Mais appelle‑t-il bien tous les hommes ? Qui en pourrait douter ? Quand on convoque tous ceux qui souffrent, ne s’adresse‑t-on pas à l’humanité entière, sans aucune exception ? – Qui êtes fatigués, ces mots désignent le côté actif des souffrances humaines. – Les suivants, qui êtes chargés, représentent nos maux sous leur forme passive, comme un lourd fardeau dont nous ne pouvons nous décharger par nous‑mêmes. Toutes les peines inhérentes à notre condition sont bien comprises dans cette courte nomenclature : nous travaillons et nous sommes chargés. – Et je vous soulagerai ; d’après le grec, je ferai cesser vos peines. Quelle promesse. Et nous savons qu’elle n’est pas vaine.

Mt11.29 Prenez sur vous mon joug, et recevez mes leçons, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. – Mais Jésus ne retire‑t-il pas d’une main ce qu’il vient d’accorder de l’autre ? Il a promis un entier repos, et voici qu’il parle de joug. – Prenez mon joug sur vous. Toutefois, il saura bientôt nous montrer que ces deux choses ne sont pas incompatibles. Ces mots : « porter le joug de quelqu’un », étaient usités dans le langage de l’Orient pour exprimer l’acception spontanée de sa doctrine, de sa direction. Jésus se charge d’ailleurs d’interpréter lui‑même immédiatement cette belle figure en ajoutant : – Et recevez mes leçons. Devenez mes disciples, laissez-vous instruire par moi. N’a‑t-il pas dit tout-à-l’heure qu’il sait tout et qu’il est capable de révéler les mystères les plus cachés ? – La conjonction parce que est habituellement mal traduite, ce qui donne à la pensée du Sauveur une signification qui, pour être exacte en soi et d’une manière absolue, est loin d’être littérale et appropriée à la circonstance. Il est vrai que l’exemple vient de haut, et que S. Augustin, S. Chrysostome et d’autres Pères font dire à Notre‑Seigneur : Apprenez que je suis doux et humble de cœur, comme si les mots « car je suis doux… » étaient le complément direct de « apprenez ». L’intention de Jésus‑Christ n’est pas de nous apprendre directement qu’il est doux et humble, mais de nous engager à le prendre pour maître « parce qu’il est doux et humble de cœur ». Il indique ainsi un puissant motif qui nous presse de recevoir son enseignement de préférence à toute autre leçon. On redoute un maître superbe, irascible et on ne s’engage pas sans réflexion à porter le joug de sa doctrine. Mais si un docteur est plein de douceur et d’humilité, comment pourrait‑on hésiter à se ranger sous sa conduite ? – Je suis doux et humble de cœur. Les deux vertus messianiques par excellence, d’après les anciennes prophéties cf. Isaïe 42, 2 et 3 ; et Zachar. 9, 9, comme aussi les deux vertus les plus nécessaires pour consoler les âmes affligées. La vie tout entière de Jésus fut une manifestation de sa douceur et de son humilité. – Olshausen fait justement observer qu’autre chose est l’humilité de l’esprit, autre chose celle du cœur. La première implique des imperfections ou des fautes préalables dont elle est comme la suite nécessaire ; aussi convient‑elle à l’homme déchu : la seconde est recherchée librement et ne suppose aucun défaut moral ; c’est la seule qui puisse exister dans l’âme du Messie. Jésus était doux et humble de cœur mais élevé, riche, parce qu’il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir conscience de ses splendeurs divines. – Et vous trouverez le repos… Cette promesse est parallèle à celle qui terminait le verset précédent, « je vous soulagerai », et elle exprime l’immense profit qu’on trouve à prendre Jésus pour docteur et pour guide. Ce repos accordé par le Sauveur sera surtout religieux, spirituel ; mais le soulagement des misères matérielles n’est pas exclu. Du reste, Jésus‑Christ ne promet pas la délivrance totale des peines qui assombrissent la vie, mais, ce qui vaut beaucoup mieux, ce qui est seul possible d’après le plan de Dieu, le repos et la paix dans les peines. « Portez mon joug et vous trouverez le repos » ; un Sauveur pouvait seul tenir un pareil langage. – Résumons ce verset. Il contient quatre propositions dont la première énonce l’idée principale à l’aide d’une figure : Portez mon joug, tandis que la seconde l’énonce simplement et au propre. Acceptez mon enseignement. La troisième indique le motif, (Parce que je suis doux, etc.) et la quatrième la conséquence heureuse (Vous trouverez le repos) d’un attachement total et généreux à Jésus.

Mt11.30 Car mon joug est doux et mon fardeau léger. » – Preuve et développement du v. 29. « Ne tremblez pas quand vous entendez parler de « joug, » car il est « doux. » Ne craignez pas quand je vous parle d’un «fardeau» car il est « léger », S. Jean Chrys. Hom. 38 in Matth. C’est le même paradoxe que précédemment. Un joug doux à porter (le grec dit, bon, bienfaisant), un fardeau léger, n’est‑ce‑pas une contradiction dans les termes ? Rien de plus vrai cependant quand il s’agit du joug et du fardeau dont on consent à se charger pour Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. « Quand on aime, on ne sent pas la peine, ou bien si on la sent, on aime cette peine », S. Augustin. C’est là, du reste, une de ces paroles qu’il est plus facile de comprendre avec le cœur qu’avec l’intelligence. Les Rabbins aimaient à redire que la Loi mosaïque était un joug du ciel : ce joug alourdi par les Pharisiens était devenu insupportable, Cf. Matth. 23, 4. La loi nouvelle aussi est un joug, mais un joug plein de suavité. Sans doute, le divin Maître a dit ailleurs : « Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s’y engagent », Matthieu, 7, 13. Mais la conciliation s’établit d’elle‑même entre ces deux sentences. « Ce sentier étroit dans le commencement, s’élargit avec le temps par les ineffables délices de la charité », Rhaban Maur. « La route du commençant est ardue et difficile ; mais celle du progressant, à cause de la puissance de l’amour, est agréable et délectable », Sylveira. Nous ne quitterons pas ce beau passage sans mentionner le tableau d’Ary Scheffer qui commente le v. 28. On y voit le « Christ consolateur » entouré de nombreux infortunés qui l’implorent, et les accueillant tous avec la plus tendre compassion.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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