Évangile selon saint Matthieu commenté verset par verset

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Chapitre 12

  1. Mt12.1 En ce temps-là, Jésus traversait des champs de blé un jour de sabbat, et ses disciples, ayant faim, se mirent à cueillir des épis et à les manger. – Nous avons dans ce verset le simple exposé du fait, dans le suivant l’accusation des Pharisiens, dans les v. 3-8 la défense des disciples par Jésus. – En ce temps‑là. Date vague et générale, qui montre que S. Matthieu ne se proposait pas de s’en tenir ici à l’ordre strictement chronologique. Les deux autres synoptiques placent cet événement à une période antérieure de la Vie publique, entre la vocation de S. Matthieu et la mission des douze Apôtres, et il est probable qu’ils ont raison. Quant à l’époque précise de l’année où il eut lieu, elle est suffisamment déterminée par la nature même du fait. On ne rencontre des épis mûrs dans les champs que peu de temps avant la moisson ; or on récolte généralement le blé en Palestine vers la fin de mars ou commencement d’avril. – La scène se passe en Galilée, mais nous ignorons au juste en quel endroit. – des champs de blé. Peut-être Jésus et ses disciples allaient‑ils à la synagogue ou en revenaient‑ils ; car les Juifs érigeaient volontiers leurs maisons de prière à quelque distance de leurs habitations. Du moins il est sûr qu’ils n’étaient pas alors en voyage, puisqu’on ne pouvait franchir aux jours de sabbat qu’une distance très limitée, déterminée d’après la Loi. – Un jour de sabbat ; certains manuscrits disent que c’était le sabbat « second‑premier », 6, 1, expression qui désigne le premier sabbat qui suivait le second jour de la Pâque. – Ses disciples, ayant faim… Ils manquaient ce jour‑là d’aliments : ce qui dut leur arriver plus d’une fois durant les courses apostoliques qu’ils faisaient à la suite de Celui qui n’avait pas une pierre où reposer sa tête. On appelait cependant Jésus un « homme vorace et un buveur de vin ». – Se mirent à arracher… Plusieurs auteurs prennent ce mot à la lettre, comme s’il signifiait que les Apôtres avaient à peine commencé leur modeste repas, quand ils furent tout à coup interrompus par les Pharisiens. D’autres, trouvant cette interprétation trop minutieuse, donnent à la locution le sens plus simple de « arrachaient ». – Et à les manger, après avoir fait sortir les grains de blé en frottant les épis entre leurs mains, ainsi que l’ajoute S. Luc, 6, 1. 

  1. Mt12.2 Les Pharisiens, voyant cela, lui dirent : « Vos disciples font une chose qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat. » – Les accusateurs ne sont pas loin. Peut-être, comme l’ont dit d’anciens exégètes, avaient‑ils suivi à quelque distance la troupe apostolique, pour voir si elle ne franchirait pas de quelques pas la limite prescrite. Le rôle d’espion était parfaitement dans le caractère de ces hypocrites austères. Quoi qu’il en soit, ils ont trouvé une excellente occasion de nuire à Jésus, et ils la saisissent avidement. – Voici, s’écrient‑ils pleins d’une joie maligne. Regarde et juge toi‑même ; nous les avons surpris en flagrant délit. – Ils font ce qu’il n’est pas permis de faire. Notons bien qu’ils n’incriminent pas l’acte en lui‑même, comme si les Disciples se fussent rendus coupables d’injustice et de vol ; car la Loi autorisait expressément quiconque traversait une vigne, ou un champ de blé, à cueillir autant de grappes, ou autant d’épis qu’il le désirait, et à s’en nourrir sans scrupule, pourvu qu’il fît dans l’intérieur du champ ou de la vigne son repas cf. Deutéronome 23, 24 et 25. Cette coutume subsistait même encore dans l’ancienne patrie des Juifs. « La contrée que nous traversions, raconte le Dr Robinson, Palæstina, 2. 319, était en grande partie couverte de champs de blé. Les épis étaient mûrs et nous fûmes témoins d’une interprétation vivante de la Sainte Écriture. Nos Arabes avaient faim, et, tandis que nous traversions les champs, ils se mirent à arracher des épis, dont ils mangeaient les grains après les avoir frottés entre leurs mains. Aux questions que nous leur adressâmes là-dessus, ils répondirent que c’était un ancien usage et que personne n’y trouverait à redire… Nous eûmes dans la suite beaucoup d’autres exemples du même genre ». C’est donc la circonstance de temps qui, aux yeux des Pharisiens, rendait illicite et coupable la conduite des disciples de Jésus. Arracher des épis, les frotter entre leurs mains, n’étaient‑ce pas là deux œuvres serviles, par conséquent une profanation criminelle du sabbat ? « Il est condamnable de moissonner le sabbat, même en petite quantité ; et arracher des épis est une espèce de moisson », Talmud. Pour nous faire une juste idée du scandale des Pharisiens à cette occasion et dans les autres cas semblables où nous les verrons accuser si vivement le Sauveur de violer le repos sabbatique, il est bon d’entrer ici dans quelques détails historiques qui nous seront fournis par les coutumes anciennes et même modernes des Israélites. L’observation du sabbat a de tout temps été regardée comme l’un des commandements les plus importants du Décalogue et de la religion mosaïque. Mais depuis longtemps, les Pharisiens s’en étaient emparés pour perfectionner, croyaient‑ils, sur ce point comme sur tant d’autres, ce qui manquait à la Loi, c’est-à-dire, ainsi que le leur reprochera Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, pour ajouter aux divines prescriptions des traditions humaines tantôt ridicules, tantôt opposées à la morale religieuse, toujours pesantes, et à la longue insupportables pour de faibles mortels. Nulle part leur étroitesse d’esprit ne s’était mieux manifestée que pour ce qui concernait le sabbat. Sans doute, la limite entre le travail prohibé et l’action qui demeure licite est assez difficile à tracer dans un grand nombre de cas, et, la Loi n’étant pas entrée dans tous les détails, il appartenait aux Docteurs d’éclairer l’opinion publique ; mais ils s’étaient acquittés de cette fonction de la façon la plus mesquine, au point de rendre le jour du sabbat aussi ennuyeux qu’un dimanche puritain et à peu près incompatible avec une vie éveillée. Là où Dieu n’avait prescrit que la cessation du travail proprement dit, les Pharisiens avaient prescrit la cessation de toute action, ou peu s’en faut. Sans être aussi rigides que cette secte samaritaine dont les membres s’engageaient à garder durant le sabbat tout entier la position qu’ils avaient à son début, ils avaient fait du sabbatisme à outrance le génie propre de leur religion. On le voit par la longue énumération des œuvres qu’ils interdisaient le samedi. Ils les avaient réparties entre 39 catégories (pères) subdivisées elles‑mêmes en nombreuses sections secondaires (générations) et le travail accessoire ou dérivé, comme ils disaient, n’était pas moins prohibé que le travail‑père ou primitif. Voilà pourquoi les disciples de Jésus profanaient actuellement le sabbat, leur action étant de même nature que le travail du moissonneur. Voilà pourquoi il était défendu de monter sur un arbre en un jour de sabbat, non que la chose fût interdite en tant que telle, mais parce qu’on s’exposait, en l’accomplissant, à casser quelques branches, ce qui a de l’affinité avec le travail du bûcheron et demeure proscrit par là-même. La suite des événements nous fournira l’occasion de citer d’autres exemples : ceux que nous avons rapportés suffisent pour montrer la différence qu’il y avait entre le joug vraiment suave et léger du Sauveur, et le joug intolérable des Pharisiens et des Docteurs juifs. L’esprit pharisaïque subsiste encore chez certains en Israël : on sait en effet que les Juifs demeurés croyants observent le sabbat avec autant de rigueur que leurs pères. Il en est qui n’osent pas même remonter leur montre ce jour‑là, qui appellent un chrétien pour allumer le feu qu’ils ont préparé la veille, qui croiraient commettre une faute grave en écrivant une seule ligne. Tel rabbin allemand adressait, au XIXème siècle, une protestation au ministère de l’intérieur à Berlin, parce que, des élections se trouvant fixées au samedi, les électeurs Juifs étaient, disait‑il, ou dans l’impossibilité de voter, ou dans la nécessité de transgresser leurs commandements religieux, attendu qu’il fallait écrire le nom du candidat sur le bulletin de vote.

  1. Mt12.3 Mais il leur répondit : « N’avez-vous pas lu ce que fit David, lorsqu’il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui : 4 comment il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de proposition, qu’il ne lui était pas permis de manger, non plus qu’à ceux qui étaient avec lui, mais aux prêtres seuls ? – Jésus prend aussitôt la parole pour disculper ses chers disciples, comme aussi pour protester énergiquement contre une interprétation exagérée qui, tout en voulant honorer la lettre du commandement, en dégradait l’esprit, en anéantissait la dignité. La défense a lieu à deux points de vue différents : au point de vue de l’ancienne Alliance, vv. 3 et 4, et au point de vue de la Nouvelle, vv. 5-8. Le Sauveur signale d’abord un trait de la vie de David qui, rapproché de la conduite des disciples, excusait complètement ces derniers, en montrant que « nécessité n’a pas de loi ». – N’avez-vous pas lu... S. Marc, 2, 25, est encore plus énergique : « Vous n’avez donc jamais lu ? » Jésus renvoie à la Bible ces prétendus savants. Ils avaient lu, et plus d’une fois, le passage en question ; mais ils ne l’avaient jamais compris. – Ce que fit David. Cet épisode est raconté en détail au premier livre de Samuel, 21, 1-6. David fuyait alors pour échapper aux projets homicides de Saül. Arrivé à Nob, petite ville de la Judée, située au Nord et à peu de distance de Jérusalem, il eut faim ; dénué de ressources, il entra dans le tabernacle, désigné par les mots la maison du Seigneur, Cf. Exod. 23, 19, et pria le grand‑prêtre Achimélech de lui donner quelque chose à manger. Celui‑ci n’avait alors à sa disposition que du « pain sanctifié », v. 4, ou, comme on l’appelle plus loin, v. 6, que les pains de proposition. On nommait ainsi, en hébreu, douze pains déposés dans le sanctuaire sur une table d’or, comme un hommage perpétuel des douze tribus à Dieu. Cf. Levit. 24, 5-7. – Qu’il ne lui était pas permis… Cf. Lévitique 24, 8-9. Ces pains étaient renouvelés chaque samedi matin. Mais, en demeurant huit jours dans le tabernacle, ils avaient contracté un caractère sacré ; aussi, d’après une ordonnance très expresse de la Loi, les prêtres seuls pouvaient‑ils les manger et seulement dans le lieu saint. Néanmoins, Achimélech n’hésita pas à donner à David de ce pain sanctifié et le saint roi n’hésita pas à en manger. Que suit‑il de cette conduite que les Rabbins sont d’ailleurs unanimes à justifier ? C’est qu’il y a parfois collision, dans la vie humaine, entre plusieurs obligations distinctes, et alors le droit positif le cède au droit naturel. Cela avait eu lieu légitimement pour David, cela avait lieu légitimement aussi pour les Apôtres. – L’exemple allégué par le divin Maître était admirablement choisi. Si David, le saint roi, le modèle de la piété juive, l’homme selon le cœur de Dieu, avait pu agir ainsi sans péché, pouvait‑on s’égarer en imitant son exemple ? Et puis, c’était une loi émanée de Dieu même qui interdisait aux profanes de toucher aux pains de proposition, tandis que l’action d’arracher quelques épis un jour de sabbat n’avait été prohibée que par une tradition humaine. 
  1. Mt12.5 Ou n’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres violent le sabbat dans le temple sans commettre de péché ?Ou n’avez-vous pas lu... L’exemple de David ne se rapportait qu’indirectement à la question en litige, car il démontrait simplement que des prescriptions même religieuses peuvent perdre leur valeur en face d’une urgente nécessité ; le second exemple, tiré des fonctions des prêtres au jour du sabbat, est parfaitement adapté à la question, comme nous l’indiquerons par un court commentaire. – Dans la Loi : Cf. Nombres 28, 9 ; Lévitique 24, 5. Dans ces passages, Dieu ordonne aux prêtres d’exécuter chaque samedi divers travaux sacrés, qui demandaient un déploiement considérable d’activités, et qui étaient par conséquent incompatibles avec le repos du sabbat. On pouvait donc dire des prêtres, sous le rapport matériel, qu’ils violent le sabbat (c’est l’expression technique), ils font des choses qui, accomplies par d’autres et dans un autre but, seraient certainement une profanation du sabbat. Et pourtant, ils ne sont pas coupables, l’ordre divin les justifiant entièrement. En effet, d’après un axiome talmudique, « Le travail servile qui se fait dans le sanctuaire n’est pas servile », Schabb. f. 19.1. « Il n’y a pas du tout d’observation du sabbat dans le temple », Maïmonide, in Pesach. c. 1.
  2. Mt12.6 Or, je vous dis qu’il y a ici quelqu’un plus grand que le temple. Je vous le dis. Affirmation solennelle, qui annonce habituellement quelque révélation importante. – Il y a ici quelqu’un plus grand... Ce sont ces mots qui nous transportent sur le terrain du Nouveau Testament. On dirait que Jésus‑Christ prévient une objection. Vous n’êtes pas des prêtres, auraient pu lui répondre ses adversaires. Faisant un raisonnement a fortiori, il reprend : Si les lois ordinaires relatives au repos du sabbat sont annulées pour le service du temple et pour le culte divin, à plus forte raison le sont‑elles pour moi, qui suis plus grand que le temple, et pour mes disciples qui sont mes prêtres. « Par ces paroles de la Loi, il excusait ses disciples et laissait entendre qu’il était permis aux prêtres d’agir librement. Or, prêtre, David l’était aux yeux de Dieu, quoiqu’il fût persécuté par Saül, car tout roi juste possède le rang sacerdotal. Prêtres, tous les disciples du Seigneur l’étaient aussi, eux qui n’avaient ici-bas pour héritage ni champs ni maisons, mais vaquaient sans cesse au service de l’autel et de Dieu », S. Irénée, Contre les Hérésies, Liv. 4, 3. Les Juifs disaient : Il n’y a pas de sabbat pour le temple ; Jésus dit à son tour : Il n’y a pas de sabbat pour le Messie ni pour ses disciples.

  1. Mt12.7 Si vous compreniez cette parole : « Je veux la miséricorde, et non le sacrifice », vous n’auriez jamais condamné des innocents. – Ce n’est pas assez pour Jésus‑Christ d’avoir démontré l’innocence de ses Apôtres ; il faut qu’il flagelle comme ils le méritent ces Pharisiens sans cœur, ces formalistes rigoureux qui laisseraient mourir les hommes de faim, plutôt que de leur permettre une violation légère et purement matérielle du sabbat, destinée à leur procurer un peu de nourriture. Oubliaient‑ils donc ce principe qu’ils avaient eux‑mêmes formulé dans un moment où leur sens n’était pas aveuglé par la passion : « Tout danger de mort chasse le sabbat » ? – Si vous saviez… Jésus a fait valoir contre les Pharisiens le témoignage de l’histoire, versets 3 et 4, puis celui de la Loi, v. 5 : il apporte maintenant contre eux celui des Prophètes. – Je veux la miséricorde… Nous avons déjà vu, Cf. 9, 13, cet oracle d’Osée, 6, 6, sur les lèvres du Sauveur dans une circonstance analogue, à l’occasion d’une autre accusation injuste lancée par les Pharisiens contre les premiers disciples. Dieu préfère la miséricorde au sacrifice et à toutes sortes d’observances cérémonielles ; le Dieu bon et charitable veut avant toutes choses que les hommes pratiquent entre eux la royale loi d’amour ; des Docteurs n’auraient‑ils pas dû se souvenir de ce grand principe si clairement énoncé dans l’Écriture ? « Si vous approuvez la commisération avec laquelle Achimélech restaura David qui était en danger de mourir de faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ? », S. Jérôme. – Vous n’auriez jamais condamné des innocents. Condamner des innocents, les condamner sans raison et de propos délibéré, c’est assurément une grave injustice. Les Pharisiens l’avaient commise à l’égard des disciples en les accusant témérairement de violer le sabbat.

  1. Mt12.8 Car le Fils de l’homme est maître même du sabbat. » – Jésus‑Christ conclut l’apologie de ses disciples par une parole énergique, dont Grotius et plusieurs autres commentateurs ont malheureusement beaucoup affaibli la force, en appliquant les mots Fils de l’homme à tous les hommes sans exception. Ces écrivains auraient dû remarquer qu’ils obtiennent ainsi une pensée fausse et dangereuse. A quel titre, en effet, le premier homme venu serait‑il le Maître du Sabbat ? Ici, comme partout ailleurs dans l’Évangile, le Fils de l’homme est donc Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même. Cela posé, l’idée devient aussi simple que vraie. Jésus, en sa qualité de Messie, plus encore en sa qualité de Fils de Dieu, est réellement le Maître du sabbat ; maître d’en interpréter les obligations, d’en dispenser, de l’ennoblir, ainsi que le fait Dieu lui‑même. Cf. Jean 5, 18 et 19. Ses disciples, n’eussent‑ils pas eu d’autre excuse, sont donc irréprochables : il avait le droit de leur permettre d’agir ainsi qu’ils l’ont fait. – Les Pharisiens ne répondent pas : mais qu’auraient‑ils pu répondre aux raisonnements indiscutables du Sauveur ? – La particule traduite par même dans la Vulgate, semble n’être pas authentique.

vv. 9-14. Parall. Marc. 3, 1-6 ; Luc. 6, 6-11.

  1. Mt12.9 Jésus, ayant quitté ce lieu, entra dans leur synagogue. – Bien que les trois synoptiques racontent à peu près de la même manière ce nouveau miracle de Jésus, on trouve néanmoins dans chacun de leurs récits des particularités pleines d’intérêt dont la réunion forme un charmant ensemble. On croirait, suivant la narration de S. Matthieu, que Jésus, immédiatement après la scène que nous venons d’étudier, se rendit à la synagogue du lieu auprès duquel elle s’était passée, et qu’il guérit le même jour le pauvre infirme dont la main était depuis longtemps desséchée ; mais S. Luc dit expressément que ce second épisode eut lieu « un autre jour de sabbat », 6, 6, peut-être le samedi suivant. Cf. S. August. l’Accord des Évangélistes l. 2, c. 35. – Dans leur synagogue ; d’eux, c’est-à-dire ou des Pharisiens qui avaient attaqué si injustement les disciples du Sauveur, ou mieux encore des habitants de l’endroit. Cf. 4, 23 ; 11, 1. On a supposé, mais sans raisons suffisantes, que les villes de Tibériade ou de Capharnaüm avaient été le théâtre de cette double polémique relative au sabbat.

  1. Mt12.10 Or, il se trouvait là un homme qui avait la main desséchée, et ils demandèrent à Jésus : « Est-il permis de guérir, le jour du sabbat ? » C’était pour avoir un prétexte de l’accuser.Un homme qui avait la main desséchée. S. Jérôme nous fournit dans son commentaire quelques détails curieux sur ce malade : « Dans l’Évangile qu’utilisent les Nazaréens et les Ébionites, que nous avons traduit récemment de l’Hébreu au Grec et qui est appelé par beaucoup le texte authentique de Matthieu, il est écrit que l’homme à la main desséchée est un maçon, qui prie pour recevoir de l’aide avec des mots tels que : « J’étais un maçon, je gagnais ma vie avec mes mains, je vous prie Jésus, de me rendre la santé, sans quoi je devrai mendier honteusement ma nourriture ». S. Jérôme, in Matth., 12, 13. Son mal est indiqué en termes populaires, Cf. 1 Rois 13, 4 ; c’était une atrophie partielle, par suite de laquelle le mouvement, puis l’action vitale, avaient complètement disparu du membre attaqué. Quand cette infirmité existe depuis quelque temps, elle est regardée comme tout à fait incurable. S. Luc ajoute que c’était la main droite qui avait été atteinte, circonstance aggravante et bien digne de pitié. – ils demandèrent à Jésus. D’après les deux autres récits, les Pharisiens seraient demeurés silencieux, observant attentivement la conduite du Seigneur : l’interrogation serait venue de Jésus, Marc. 3, 2-4 ; Luc. 6, 7-9 ; mais la conciliation est facile. Les Pharisiens, après avoir observé tout à leur aise, posèrent les premiers au Sauveur la question que nous a conservée S. Matthieu ; alors Jésus leur aura répondu, comme en d’autres cas semblables, par une autre question, plaçant ainsi dans un cruel embarras ceux qui auraient voulu l’embarrasser lui‑même. – Est‑il permis : cf. 19, 3 ; Luc.13, 23 ; 22, 49 ; Actes des Apôtres 1, 6 ; 19, 2, etc. – Guérir le jour du sabbat. La question était insidieuse et renfermait un piège habilement dissimulé, ainsi que l’indiquent les mots suivants, pour avoir un prétexte de l’accuser. – D’après la conduite habituelle de Jésus, ses interrogateurs supposaient d’avance qu’il s’apitoierait sur le sort de l’infirme, et qu’il consentirait à le guérir sur l’heure ; ce qui leur permettrait de déposer aussitôt auprès des dignitaires de la synagogue, qui formaient un tribunal de troisième ordre, une accusation de viol du sabbat contre le Thaumaturge. En effet, d’après les principes rabbiniques de l’époque, qui ont été fidèlement consignés dans le Talmud, toute tentative de guérison était regardée comme inconciliable avec le repos du sabbat, à moins qu’il n’y eût réellement danger à différer l’intervention ; sans doute parce que l’art médical, étant alors très compliqué, exigeait des manipulations nombreuses, que les Rabbins assimilaient à un travail proprement dit. « Que ceux qui sont en bonne santé ne prennent aucun remède le jour du sabbat. Que celui qui a un mal de rein n’oigne pas la partie endolorie avec de l’huile et du vinaigre. Il peut toutefois l’oindre avec de l’huile seule, pourvu que ce ne soit pas de l’huile de rose. Que celui qui a mal aux dents n’absorbe pas de vinaigre. Il devra plutôt le recracher. Mais il est permis de l’absorber, s’il l’avale. Que celui qui a un mal de gorge ne se gargarise pas avec de l’huile. Mais il est permis d’avaler l’huile. Si cela le guérit, tant mieux ! Qu’il ne mastique pas de mastic, et qu’il ne mâchouille pas avec ses dents des aromates, comme remède. Mais s’il le fait quand même, cela lui est permis pour se parfumer la bouche », Maimon. in Schabb. c. 21 : Quelle série de prescriptions absurdes et de flagrantes contradictions. Ne soyons pas surpris si l’école de Schammaï allait jusqu’à interdire de visiter et de consoler les malades en un jour de sabbat. Schabb. 12, 1.

  1. Mt12.11 Il leur répondit : « Quel est celui d’entre vous qui, n’ayant qu’une brebis, si elle tombe dans une fosse un jour de sabbat, ne la prend et ne l’en retire ? – Conformément à ses principes et à sa conduite habituelle, Jésus‑Christ aurait pu faire une réponse affirmative ; mais connaissant les dispositions hostiles des Pharisiens, il préfère déjouer habilement leurs plans et les couvrir eux‑mêmes de confusion. – Quel est l’homme parmi vous... A un cas de conscience il en oppose un autre, pour tirer ensuite une conclusion irréfragable qui le mettra complètement à l’abri de leurs accusations haineuses. – Une brebis. Un pauvre qui ne possède qu’une brebis pour toute richesse, sera plus excusable s’il travaille en un jour de sabbat pour la sauver ; Notre‑Seigneur note à dessein cette circonstance atténuante. – Si elle tombe dans une fosse. Ces accidents sont fréquents dans les contrées orientales, où les citernes sont ordinairement dissimulées au milieu des champs, à l’aide de branchages et d’herbes qui les recouvrent. – Ne la prendra pas... L’école pharisaïque autorisait en effet le propriétaire à accomplir, sans s’inquiéter du sabbat, tout ce qui serait nécessaire pour retirer sa bête du puits ; car, disait‑elle, « il faut avoir un soin extrême des bêtes des Israélites » ; il est vrai que plus tard elle l’interdit sévèrement, sans doute pour protester contre ce passage de l’Évangile. – Les paroles du Sauveur renferment un argument « ad hominem » (opposant leurs propres actes à ses adversaires) plein d’une divine sagesse : elles font voir aux interrogateurs qu’ils n’hésitaient pas à violer le repos du saint jour lorsque leur intérêt personnel était en jeu.

  1. Mt12.12 Or, combien un homme ne vaut-il pas plus qu’une brebis ? Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat. » – Jésus applique maintenant son cas de conscience à la question pendante. Ailleurs, il avait dit que l’homme est supérieur au lis des champs, au passereau qui vole insouciant dans les airs ; il le place actuellement avec la même simplicité au‑dessus de l’unique brebis du pauvre. – Donc, c’est la conclusion de son syllogisme, dont nous avons vu la mineure au v. 11, et la majeure dans la première partie du v. 12. – Il est permis de faire du bien. La conclusion naturelle serait « Il est permis de guérir » ; mais le divin Maître varie à dessein l’expression pour fortifier son raisonnement. Il fait apparaître ainsi les œuvres de miséricorde sous un nouveau jour, de manière à les distinguer entièrement des œuvres serviles vulgaires. Faire le bien est toujours permis, même en un jour de sabbat : mais, une guérison est un bienfait accompli à l’égard de l’humanité, un hommage rendu au Créateur ; comment donc pourrait‑elle tomber en collision avec le repos sabbatal ? La réponse est si frappante que, cette fois encore, les Pharisiens demeurent muets.

  1. Mt12.13 Alors il dit à cet homme : « Étends ta main. » Il l’étendit, et elle redevint saine comme l’autre.Alors il dit à l’homme. Durant cette courte argumentation de Jésus‑Christ, l’infirme s’était tenu debout au milieu de l’assemblée, à côté de celui dont il avait imploré la pitié. Avec quelle anxiété n’avait‑il pas entendu la question des Pharisiens et la réponse du Sauveur ? Mais ses craintes avaient fait bientôt place à la plus vive espérance, quand ces douces paroles avaient retenti à ses oreilles : « Combien l’homme ne vaut‑il pas mieux qu’une brebis. ». – Étends ta main. La véritable doctrine du sabbat exposée, la calomnie n’a plus aucune prise. Car, sans aucun contact, avec la seule voix, il guérit l’homme. Ce qu’aucune espèce de violation du sabbat ne pourrait faire. L’acte de guérison était compris dans cet ordre. Dire à un homme dont la main est contractée par la paralysie : Étends la main, c’est lui dire : Tu es guéri. – Il l’étendit ; l’infirme obéit plein de foi, il étend sa main qui se trouva aussitôt complètement guérie et aussi saine que l’autre, ajoute l’évangéliste.

  1. Mt12.14 Les Pharisiens, étant sortis, tinrent conseil contre lui sur les moyens de le perdre.Les pharisiens étant sortis.. Ce dénouement dévoile toute l’étendue de leur malice. Aveuglés de plus en plus par la haine, furieux de voir que, bien loin d’avoir amassé, comme ils l’espéraient, des matériaux d’accusation contre Jésus, ils n’avaient au contraire réussi qu’à se faire prendre dans leurs propres filets, ils sortent pour cacher leur rage, ou mieux, pour lui donner un libre cours loin des regards de la foule. Ils se réunissent en comité secret afin de décider les moyens de le perdre. La mort de Jésus est arrêtée en principe, mais le mode de l’exécution est pour eux un objet d’embarras. Nous verrons qu’il le demeurera jusqu’aux derniers jours de la vie de Notre‑Seigneur.
  1. Mt12.15 Mais Jésus, en ayant eu connaissance, s’éloigna de ces lieux. Une grande foule le suivit, et il guérit tous leurs malades. 16 Et il leur commanda de ne pas le faire connaître :– Jésus, en ayant eu connaissance… Le Sauveur, connaissant par sa science divine les infâmes machinations de ses ennemis, quitta aussitôt le théâtre des deux événements dont nous avons entendu le récit. Son heure n’était pas encore venue, et il ne voulait pas par sa présence accroître l’exaspération de ceux qui avaient juré sa mort, et entraver ainsi l’exécution des plans divins. Il pratique donc le premier le conseil qu’il donnait naguère aux Apôtres, 10, 23, et il échappe par la fuite aux menées de ses persécuteurs. – Et beaucoup le suivirent. S. Marc, 3, 7-12, a tracé un tableau vivant de la foule qui se mit alors à la suite de Jésus ; elle venait de toutes les provinces de la Palestine et même des pays païens environnants. Si le divin Maître s’éloigne, c’est donc comme un vainqueur emmenant avec lui de nombreux amis et de nombreux captifs qui se sont volontairement attachés à sa personne. – Et il les guérit tous, c’est-à-dire, d’après les deux autres synoptiques, tous ceux d’entre eux qui avaient besoin de guérison corporelle ou spirituelle. – L’expression « tous » fait ressortir tout à la fois l’admirable condescendance de Jésus‑Christ et le grand nombre des malades. – Et il leur commanda. Il insista énergiquement en ce sens, afin de ne pas aggraver sans raison la situation qui lui était faite par le parti pharisaïque. Plus que jamais, il désire le calme et la modération, pour le motif que nous avons déjà signalé plusieurs fois. L’enthousiasme croissant de la foule, Cf. Marc. l. c. et Luc. 6, 18-19, lui dictait cette conduite dans la circonstance présente. 

  1. Mt12.17 afin que s’accomplît la parole du prophète Isaïe : – En évitant ainsi tout ce qui était de nature à provoquer ses adversaires sans nécessité, en se montrant humble et doux à leur égard, doux et humble également envers les multitudes par lesquelles il était constamment assailli, il avait conscience de réaliser une prédiction célèbre du prophète Isaïe, 42, 1-4. – Afin que s’accomplît cf. 1, 21. Comme en plusieurs autres endroits, S. Matthieu ne suit à proprement parler ni le texte hébreu, ni la traduction des Septante, dans la citation qu’il unit à son récit ; mais il traduit lui‑même librement à la façon d’un Targum, « s’attachant plus au sens qu’aux mots », selon la juste remarque de S. Jérôme, Lettre 121 à Algasia. Nous donnons ici la traduction littérale de l’hébreu, afin que le lecteur puisse voir plus aisément que l’évangéliste ne s’est rendu coupable d’aucune infidélité sérieuse : « Voici. mon serviteur que je maintiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J’ai placé sur lui mon esprit. Il apportera aux peuples la justice. Il ne criera pas, et il n’élèvera pas et ne fera pas entendre sa voix au dehors. Il ne brisera pas le roseau froissé et il n’étendra pas la mèche fumante. C’est d’après la vérité qu’il fera connaître la justice. Et il ne faiblira pas, et il ne se laissera pas amollir jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre, et les îles attendent sa doctrine ». Les vv. 2 et 3 du prophète se rattachent seuls directement à la thèse que S. Matthieu voulait démontrer ; l’évangéliste cite néanmoins le passage complet pour plus de clarté : le v. 1 lui servira du reste d’introduction et le v. 4 de conclusion. – La lettre de S. Jérôme « à Algasia » , ou « Capitula 11 quæstionum Algasiæ », que nous avons mentionnée plus haut, contient un beau commentaire de cette prophétie.

  1. Mt12.18 « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. Je ferai reposer sur lui mon Esprit, et il annoncera la justice aux nations.– Isaïe décrit trois choses : 1° la vocation du Messie, 2° sa conduite, 3° les résultats obtenus par lui. Il est question de la vocation du Christ au v. 18. – Voici mon serviteur. Dans le texte latin, « Puer », peut désigner indistinctement le fils ou le serviteur de la famille : le texte hébreu parle très explicitement du serviteur de Dieu. Mais celui dont le nom revient si fréquemment dans la seconde partie du livre d’Isaïe, ch. 40-56, n’est autre que le Messie, considéré dans ses humiliations volontairement acceptées pour notre salut. Cf. Phil. 2, 7. Les Rabbins le reconnaissaient presque tous. Aussi, dans la paraphrase chaldaïque, lisons nous la traduction suivante de notre passage : voici mon serviteur, le Messie. – Que j’ai choisi. Dieu, qui est censé prononcer ces paroles, affirme à la face du ciel et de la terre que, de toute éternité, il a choisi son Christ pour en faire le régénérateur de l’humanité. – En qui j’ai mis toute mon affection. La voix qui retentit à l’heure du baptême de Jésus, 3, 17, celle qui retentira au moment de sa Transfiguration, 17, 5, exprimaient précisément la même pensée, le même amour de complaisance absolue. – Dans le texte grec, l’emploi de l’accusatif est plus expressif et indique une tendance perpétuelle de l’affection divine vers son Christ. – Mon esprit : « il ne faut pas s’étonner qu’on se serve du mot « âme » pour exprimer les affections de Dieu, puisque dans un sens moral, et selon les différentes manières d’expliquer l’Écriture sainte, on lui attribue aussi toutes les parties du corps humain », S. Jérôme, Lettre 121 à Algasia. – J’ai mis ; dans l’hébreu le verbe est au parfait : « j’ai placé » (Cf. Isaïe 12, 1). « L’esprit, observe encore S. Jérôme, Comm. in h.l., est mis non sur le Verbe de Dieu ni sur le Fils unique qui procède du Père, mais sur celui de qui il est dit : Voici mon serviteur ». – Et il annoncera la justice… Le Messie a été choisi, préparé ; maintenant commence l’exposition de son rôle. Mais quel est ce jugement que le Christ doit annoncer aux païens, tout aussi bien qu’aux Juifs ? Est‑ce la justice proprement dite, en ce sens que le Messie a été réellement institué par Dieu juge suprême des bons et des méchants ? Est‑ce, d’une manière plus générale, « ce qui est juste et bon », la vérité, la seule vraie religion ? Ces deux interprétations, qu’on a tour à tour adoptées, nous semblent l’une et l’autre contenues dans le rôle du Messie : aussi n’essayerons‑nous pas de les séparer.

  1. Mt12.19 Il ne disputera pas, il ne criera pas, et on n’entendra pas sa voix dans les places publiques. 20 Il ne brisera pas le roseau froissé et n’éteindra pas la mèche qui fume encore, jusqu’à ce qu’il ait fait triompher la justice. – Le rôle du Christ est admirablement exprimé dans ces versets à l’aide d’allégories touchantes. On nous montre d’abord ce qu’il a de sublime sous le rapport négatif. – Il ne disputera pas… La passion ne sert jamais de règle à sa conduite ; il n’est ni violent, ni turbulent ; mais doux, pacifique et modeste. Ce n’est pas un homme de parti qui attire la foule par de bruyantes paroles : tout au contraire, il demande que le silence se fasse autour de son nom et de ses miracles. – Dans les places publiques, le théâtre habituel des orateurs qui veulent devenir populaires. – Nous passons à un autre côté de l’activité du Messie : elle est aussi aimable et aussi suave qu’elle est humble, comme nous l’apprennent deux locution proverbiales, qui développent mieux que tout autre langage la devise bien connue de Jésus : « Le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu », Matthieu, 18, 11. – Il ne brisera pas le roseau… Ce roseau froissé, cette mèche à demi éteinte, objets désormais sans valeur, figurent très bien les pauvres âmes dont la vie morale tient à peine à un fil, et qu’un contact un peu brusque, dépourvu de bonté, suffirait pour tuer à tout jamais. Le Christ se garde bien de détruire ce faible reste de vie : au contraire, il ressuscite et ranime doucement ceux qui sans lui n’auraient pas tardé à dépérir totalement. – Il n’éteindra pas la mèche. « La partie la plus voisine de l’écorce (des tiges de lin) se nomme étoupe ; c’est un lin d’une qualité inférieure, et qui n’est guère propre qu’à faire des mèches de lampe », Pline, Hist. Nat. 19, 3. S’il eût plu au divin Maître de se conduire à l’égard des Juifs incrédules comme un juge sévère, qui d’entre eux eût pu résister à sa colère ? Il les aurait brisés, étouffés sans peine, de même qu’on brise un roseau et qu’on étouffe la lumière d’une lampe ; mais non. Il les a toujours épargnés cherchant jusqu’au bout à les convertir par des moyens pleins de bonté. – jusqu’à ce qu’il ait fait triompher la justice. Tel est le résultat final qu’il obtiendra. « C’est-à-dire, jusqu’à ce qu’il ait accompli ce qui le regarde. C’est alors qu’il tirera une vengeance éternelle de ses ennemis », S. Jean Chrys. Hom. 40 in Matth. La justice pure et simple prendra donc alors la place de la bonté, et cette justice s’imposera d’elle‑même d’une façon triomphante, renversant tout ce qui tenterait de lui résister.
  1. Mt12.21 En son nom, les nations mettront leur espérance. » En son nom. « Ce jugement ne se terminera pas seulement à punir les coupables, mais a attirer encore à lui toute la terre. Et les nations espéreront en son nom », S. Jean Chrys. l. c. D’après l’hébreu, ce n’est pas précisément le nom, c’est la doctrine du Messie qui fait l’objet de l’attente des Païens ; toutefois la différence n’est pas considérable, puisque dans le nom du Christ on trouve assurément le principe de son enseignement : ceux qui attendent sa loi ne peuvent manquer d’avoir confiance en son nom, c’est-à-dire en sa personnalité toute puissante. – Les nations, comme au v. 18 ; car les païens aussi, les Prophètes ne cessent pas de le redire, étaient appelés au salut messianique. – Bien que ce beau passage d’Isaïe soit rattaché d’une manière plus spéciale à l’humble fuite de Jésus et à sa condescendance envers le peuple, il convient néanmoins à sa Vie publique tout entière et à tout l’ensemble de sa conduite en tant que Messie.

Polémique à propos de la guérison d’un démoniaque, vv. 22-50. Parall. Marc. 3, 20-35 ; Luc. 11, 24-32 ; 8, 19-21.

  1. Mt12.22 On lui présenta alors un possédé aveugle et muet, et il le guérit, de sorte que cet homme parlait et voyait. – Nous avons déjà rencontré plus haut, 9, 32, un fait du même genre ; les deux guérisons sont certainement distinctes, malgré les assertions contraires des rationalistes (Strauss, de Wette, etc.). – Aveugle et muet ; le malheureux que l’on présentait à Jésus n’était pas seulement possédé du démon. Par suite de cette possession, il était encore privé de la vue et de la parole. – Et il le guérit, de sorte… En faisant disparaître la cause, le Sauveur écarte en même temps les effets. « Trois miracles furent accomplis dans le possédé guéri : le muet parle, l’aveugle voit, le possédé est délivré du démon. Ces trois miracles se renouvellent tous les jours dans la conversion des fidèles ; d’abord, le démon est chassé ; puis, ils voient la lumière de la foi et ouvrent la bouche pour louer Dieu. » Belle réflexion de S. Jérôme.

  1. Mt12.23 Et tout le peuple, saisi d’étonnement, disait « N’est-ce pas là le fils de David ? »saisi d’étonnement, expression très énergique que saint Matthieu n’emploie qu’en cet endroit. L’admiration est donc à son comble, et elle gagne rapidement la foule considérable qui accompagnait Jésus cf. Marc. 3, 7 et 8. – N’est‑ce pas là…, c’est-à-dire, ne serait‑ce‑pas le fils de David, ou le Messie ? Cf. Jean 4, 29. Ce langage exprime une foi naissante, mais qui n’est pas encore entière et qui lutte avec le doute. La multitude est suspendue entre l’affirmative et la négative, tout en penchant davantage vers la première décision. Que l’un de ces Pharisiens que nous apercevons dans l’assistance élève la voix pour dire : Oui, c’est vraiment le Messie, car ses miracles le prouvent, et aussitôt le peuple entier croira.

  1. Mt12.24 Mais les Pharisiens, entendant cela, dirent : « Il ne chasse les démons que par Béelzéboul, prince des démons. » – Malheureusement, c’est le contraire qu’ils feront. S. Marc ne nous dit‑il pas qu’ils étaient venus tout exprès de Jérusalem pour épier le Sauveur et pour détacher de lui ces bons Galiléens ? Cf. Marc. 3, 22. – il ne chasse les démons… Telle est l’infâme accusation qu’ils osent porter contre lui. Il est vrai qu’elle répondait parfaitement à leur but. « Toutes les foules », tout le peuple leur échappait pour se donner à Jésus : S’ils peuvent réussir à répandre parmi ces masses ignorantes la croyance que le Thaumaturge universellement admiré est en communication intime avec l’ennemi du genre humain, avec le prince des démons, sa réputation sera bientôt flétrie. Les Pharisiens frappent donc un coup désespéré. – Que par Béelzéboul. Le miracle est trop évident pour qu’ils puissent en nier la réalité ; mais ils l’attaquent à un autre point de vue. Le surnaturel, dans les cas de ce genre, ne peut‑il pas venir de Dieu ou de Satan ? Quand Jésus chasse les démons, ce n’est pas, s’écrient ces misérables, en vertu d’un principe divin ; mais par un concours satanique, par une opération monstrueuse. – Prince des démons : les Juifs se représentaient justement les esprits infernaux sous l’image d’une armée douée d’une certaine organisation, ayant à sa tête un commandant en chef auquel les démons inférieurs obéissaient. Nous avons essayé d’indiquer pourquoi on appelait alors Satan Béelzéboul. Cf. 10, 25 et le commentaire.

  1. Mt12.25 Jésus, qui connaissait leurs pensées, leur dit : « Tout royaume divisé contre lui-même sera désolé, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne pourra subsister.Jésus, qui connaissait leurs pensées. Jésus connaissait par là-même toute l’énormité de leur malice. S’il a autrefois, 9, 34, laissé sans réponse une accusation analogue, il n’est pas possible qu’il permette davantage aux Pharisiens de profiter de son silence pour s’enhardir de plus en plus, et pour ruiner peu à peu son œuvre et son autorité auprès du peuple. Cette fois, il prend la parole pour repousser l’injure si odieuse qu’on venait de lancer contre lui. C’est un véritable plaidoyer pour sa propre cause qu’il nous fait entendre ; il y démontre qu’il n’est nullement, comme on l’en accuse, le confédéré de Satan. Toutes les qualités que nous avons admirées déjà dans ses discours et dans ses réponses, nous les retrouvons ici réunies : la douceur et l’humilité qu’aucune offense personnelle, pas même l’outrage le plus avilissant, ne peut faire démentir ; le tempérament calme et sublime qui ne rend pas injure pour injure ; la sainte colère du juge en harmonie avec l’amour qui instruit et persuade ; la plénitude de sagesse qui, en toute occasion, révèle les secrets des cœurs et déclare la vérité avec un pouvoir pénétrant, enfin la majesté de sa personne qui s’affirme en toutes choses. Il y a deux parties dans ce petit discours du divin Maître : l’orateur se tient d’abord sur la défensive et réfute, par une série d’arguments inébranlables, l’accusation grossière des Pharisiens, vv. 25-30 ; puis, devenant lui‑même agresseur, il met en relief le crime de ses ennemis et le châtiment qui les atteindra s’ils persistent dans leur indigne conduite, vv. 31-37. – Première partie. La réfutation commence par un raisonnement par l’absurde, vv. 25 et 26. Satan qui chasse Satan, n’est‑ce pas une véritable absurdité ? Et pourtant, telle est bien l’affirmation des Pharisiens, quand ils assurent que Notre‑Seigneur tient du démon le pouvoir qu’il exerce contre le démon. La double comparaison qui sert de développement à cette preuve la rend très vivante et en accroît la force. – Tout royaume divisé… Qui pourrait nier ces deux faits d’expérience dont on est si souvent témoin, et dont la triste et perpétuelle vérité est attestée, chez tous les peuples, par des locutions proverbiales identiques à celles que nous cite Jésus ? « Quelle maison est si solide, disait Cicéron, quelle cité est si fermement établie, qu’elle ne puisse être détruite par la haine, la tricherie, la jalousie ? » Et Salluste : « En effet, par l’union, les petites choses grandissent, mais par la discorde les plus grandes s’effondrent». – Maison désigne métaphoriquement la famille, qui est supposée occuper à elle seule une maison. 

  1. Mt12.26 Si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même : comment donc son royaume subsistera-t-il ? – Jésus‑Christ applique au royaume de Satan les paroles sentencieuses du verset 25. – Si Satan chasse Satan. Fritzsche et de Wette traduisent : Si un Satan chasse un autre Satan ; mais ils affaiblissent ainsi notablement la pensée du Sauveur. Le véritable sens est donc : Si Satan s’expulse lui‑même, s’il est tout à la fois sujet et objet de l’expulsion. – Il est divisé. Les démons ne sortaient que malgré eux des corps des possédés ; si c’est leur propre chef qui les y oblige, il est divisé contre lui‑même en tant qu’il forme une unité morale avec tous les autres esprits mauvais, rangés sous sa juridiction : en même temps il veut et ne veut pas sortir. Cf. S. Thomas d’Aquin in h. l. – Comment donc... Conclusion très légitime et tout à fait incontestable. Il n’est pas une société organisée, – qu’elle s’appelle royaume, cité, famille ou même empire infernal, peu importe, – qui puisse résister à une guerre intestine. Or, les œuvres opérées par Jésus‑Christ sont manifestement opposées au royaume de Satan ; il est donc impossible qu’il soit ligué avec Satan, parce que cela reviendrait à dire que Satan est ligué contre lui‑même, ce qui est absurde. Par conséquent, l’expression « chasser les démons par Béelzéboul » n’est qu’un jeu de mots complètement vide de sens, un pur sophisme inventé pour jeter de la poudre aux yeux des ignorants. « Mais l’union la plus parfaite existe‑t-elle donc entre les démons ? N’est‑il pas au contraire dans la nature du mal de se séparer, de se diviser pour des fins égoïstes ? Sans doute la haine, et la jalousie, et la discorde règnent entre les démons ; toutefois, lorsqu’il s’agit de lutter contre le royaume du bien, ils savent s’unir et former une phalange serrée », Bisping, in h. l. Croira‑t-on qu’ils consentent jamais à prêter main‑forte à quelqu’un pour faire le bien, c’est-à-dire pour se ruiner eux‑mêmes ?
  1. Mt12.27 Et si moi je chasse les démons par Béelzéboul, par qui vos fils les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges.Et si moi je chasse par Béelzéboul… Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ne craint pas d’admettre pour un instant cette monstrueuse hypothèse, afin de la mieux renverser. Quel noble calme dans son argumentation. On dirait que son nom n’a pas été directement mêlé à la question. Dans ce verset, la réfutation a lieu en opposant à l’adversaire ses propres paroles. Soit, c’est grâce au concours de Béelzéboul que je parviens à chasser les démons ; mais alors vos fils, qui les chassent aussi, de qui tiennent‑ils ce pouvoir ? – Les mots vos fils désignent évidemment les disciples des Pharisiens ; c’est un hébraïsme semblable à celui qui faisait autrefois appeler « Fils des Prophètes », 1 Rois 20, 35 ; 2 Rois 2, 3, etc., les hommes formés à l’école des Samuel, des Élie et des autres voyants inspirés. – Par qui… les chassent‑ils ? Est‑ce par Jésus ou par Béelzéboul ? Ce raisonnement suppose qu’il y avait alors chez les Juifs des exorcistes qui, à l’aide du nom divin et de diverses formules, réussissaient parfois à chasser les démons des corps. Nous savons du reste par le livre des Actes, 19, 13, et par les écrits de Josèphe, Antiq. 8, 2, 5 ; Guerre des Juifs, 7, 6, 3, etc., qu’il en était réellement ainsi. Plusieurs Pères signalent également ce fait cf. S. Justin, adv. Tryph. p. 311, Origène, Contre Celse liv. 1 et 4, et S. Irénée, adv. 2, 7, dont voici les paroles : « Tout est soumis au Tout‑Puissant, et, par l’invocation de son nom, même avant l’arrivée de Notre‑Seigneur, les hommes étaient délivrés des esprits mauvais… Aujourd’hui encore les Juifs chassent les démons par cette invocation ». – C’est pourquoi ils seront eux‑mêmes vos juges. Vous les louez et vous me condamnez, quoique nos œuvres soient les mêmes : vous n’êtes donc pas conséquents avec vous‑mêmes : aussi vos exorcistes seront‑ils vos juges, en montrant par leur conduite que vous avez parlé contre votre conscience, à cause de la haine que vous nourrissez contre moi. – S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, S. Hilaire, Maldonat, etc., supposent que Jésus‑Christ désignait ses propres disciples par l’expression « vos fils ». Maldonat : « Les apôtres, qui sont de votre peuple, par qui les expulsent‑ils ? » Mais c’est une interprétation manifestement erronée, qui enlève au raisonnement presque toute sa force : dans quel sens, du reste Notre‑Seigneur appellerait‑il ses Apôtres les fils des Pharisiens ?

  1. Mt12.28 Que si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous. – Jésus tire maintenant des arguments qui précèdent une déduction importante. – Si je chasse les démons par l’Esprit de Dieu, ou bien « par le doigt de Dieu », selon l’expression pittoresque de S. Luc, 11, 20. C’est plus qu’une hypothèse, car Jésus‑Christ ne peut chasser les démons qu’avec l’aide de Dieu ou par le concours de Satan ; or il vient de prouver que la seconde partie du dilemme est fausse ; la première par conséquent demeure forcément vraie. Lui, il se sert d’un esprit puissant pour guérir les possédés, mais c’est l’Esprit de Dieu et non par un esprit satanique comme on le lui reproche. – Le royaume de Dieu est donc venu à vous. Voici ce qu’ils auraient dû comprendre. Le royaume de Satan s’écroule visiblement ; il faut donc que le royaume de Dieu, le royaume messianique, soit déjà établi sur la terre, et, s’il en est ainsi, le Christ, son fondateur, a dû faire son apparition, et le Christ n’est autre que Jésus.

  1. Mt12.29 Et comment peut-on entrer dans la maison de l’homme fort et piller ses meubles, sans avoir auparavant lié cet homme fort ? Alors seulement on pillera sa maison. – Si quelqu’un veut piller la maison d’un homme puissant avec lequel il est en lutte, il faut qu’il soit capable de l’enchaîner tout d’abord. Alors seulement il pourra exécuter ses desseins de vengeance : ainsi donc, Jésus doit être plus fort que Satan, puisqu’il réussit à le lier et à lui ravir ses biens. Dans cette parabole, « quelqu’un » représente en effet le Christ, tandis que Satan est naturellement désigné par l’expression « homme fort ». La maison du prince des démons, c’est la terre sur laquelle Dieu lui a permis d’exercer un certain pouvoir. – Ses meubles, d’après l’hébreu, ustensiles, mobilier en général ; ce sont les hommes, qu’il n’avait que trop longtemps tenus entre ses mains comme de vils ustensiles. Le Sauveur Jésus, en chassant les démons, manifestait sa toute‑puissance à leur égard, et leur enlevait en même temps les hommes pour les rendre à Dieu, leur véritable maître.

  1. Mt12.30 Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi disperse.qui n’est pas avec moi… La signification de ces paroles est claire. C’est comme si Jésus eût dit « Celui qui n’est pas un ami est considéré comme un ennemi ». Quand, sur un point donné, deux partis hostiles sont en face l’un de l’autre, et que ces deux partis seulement sont possibles, il n’est permis à personne de demeurer impartial : il faut être ou pour ou contre. Or, tel est précisément le cas, dit Jésus. « Je suis du parti de Dieu. Par conséquent, celui qui n’est pas de mon camp est mon ennemi, mon adversaire », Érasme. Mais à qui Notre‑Seigneur voulait‑il appliquer cette sentence ? Il y a controverse là-dessus parmi les commentateurs. « Le contexte montre qu’il fait référence au démon ; car les œuvres du Seigneur ne peuvent être comparées à celle du démon », écrit S. Jérôme. De même S. Thomas d’Aquin : « Et le démon sert celui qui n’est pas avec moi ». Le proverbe cité par Jésus contiendrait donc une nouvelle réfutation des Pharisiens cf. Wetstein, de Wette, Arnoldi, etc. Bengel et Néander rapportent moins heureusement encore ces paroles aux exorcistes juifs mentionnés plus haut, v. 27 ; d’autres les appliquent aux Pharisiens et à leurs sentiments hostiles contre Jésus. Nous préférons les regarder, avec Grotius, comme une sentence générale qui convient à tout l’auditoire du Sauveur. Il y avait là beaucoup d’hommes flottants, indécis, qui, frappés d’une part des miracles auxquels ils avaient assisté, de l’autre de la réflexion des Pharisiens, ne savaient de quel côté se ranger. Notre‑Seigneur leur donne un avertissement sérieux, en montrant qu’en une telle matière la neutralité est impossible. Le juste‑milieu ne saurait exister lorsque les principes sont en jeu, comme ils l’étaient alors ; car, en pareil cas, l’indifférence serait la haine. – qui n’amasse pas… Même pensée revêtue d’une image qui est empruntée à la moisson. Ne pas se ranger avec le divin Moissonneur, c’est imiter l’insensé qui jetterait au loin à pleines mains les grains à peine récoltés. Là encore, il n’y a pas de milieu : on recueille ou on disperse.
  1. Mt12.31 C’est pourquoi je vous dis : Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne leur sera pas remis. – Après avoir réfuté ses adversaires, Jésus‑Christ les attaque à son tour, et, en les attaquant, il essaie de leur inspirer un salutaire effroi par le tableau de leur malice et des dangers auxquels elle les expose relativement à l’autre vie. Telle sera la couleur générale de cette seconde partie de la défense du Sauveur, vv. 31-37. « Après s’être défendu ; après avoir satisfait à toutes les objections ; après avoir découvert l’impudence de ses ennemis, il les effraye ensuite par ses menaces. Car ce n’est pas une petite preuve du zèle qu’il avait du salut des hommes, de ne pas se contenter de se justifier devant eux et de les persuader de son innocence, mais de les intimider même par les menaces », S. Jean Chrysost. Hom. 41 in Matth. – C’est pourquoi ne se rapporte pas à ce qui vient d’être dit immédiatement par Jésus, mais à l’accusation du v. 24. « C’est pourquoi », puisque, malgré l’évidence du contraire, vous osez affirmez que c’est avec le secours de Béelzéboul que je chasse les démons, sachez bien quel affreux péché vous pouvez commettre en tenant un pareil langage. – Je vous dis ; formule solennelle, comme toujours. – Tout péché et tout blasphème… S. Augustin regardait les vv. 31 et 32 comme les plus difficiles de toute la Bible ; il a fréquemment essayé de les expliquer, complétant peu à peu son interprétation primitive par de nouveaux développements. Cf. Jansenius in h. l. – Jésus commence par une proposition générale : tout péché et tout blasphème sera pardonné. Le mot « péché » indique le genre, tandis que « blasphème » désigne une espèce particulière de péché, au sujet de laquelle le Sauveur veut faire une restriction importante. – Sera remis ; naturellement, si les conditions nécessaires pour cela sont posées par le coupable. Il suit de là qu’il n’y a pas de péché irrémissible à proprement parler. : «  Que personne, à la pensée de ses fautes passées, ne désespère des récompenses divines. Dieu saura modifier sa sentence si vous savez corriger votre faute », S. Ambroise, Commentaire de l’Évangile de Luc, 1. – Et pourtant, Jésus‑Christ établit immédiatement une exception : Le blasphème contre l’Esprit ne sera pas remis. Nous avons deux choses à examiner ici : 1° Que faut‑il entendre par le blasphème contre l’Esprit‑Saint ? 2° Pourquoi, et dans quel sens ce péché est‑il impardonnable ? Le substantif « blasphème » vient, comme nous l’avons dit plus haut, du nom grec qui désigne directement des paroles nuisibles à la réputation de quelqu’un. Dans notre passage, il s’agit d’un blasphème dirigé contre l’Esprit‑Saint, Cf. v. 32 et Marc. 3, 29, circonstance qui accroît singulièrement la malice de l’acte. Cependant, comme le dit Maldonat avec beaucoup de justesse : « Il est certain que le péché contre le Saint Esprit n’est pas un péché contre la personne du Saint Esprit, comme le remarque finement saint Augustin ». Jésus‑Christ parle conformément au langage de l’Ancien Testament, le seul qui fût accessible à ses auditeurs ; par les mots « Esprit‑Saint » il désigne donc l’Esprit de Dieu en général, c’est-à-dire l’activité divine qui se manifeste soit au‑dehors par des effets sensibles, soit au‑dedans par les opérations de la grâce, Cf. Schegg, in h. l., et non pas la troisième personne de la Sainte Trinité de manière à exclure le Père et le Fils. D’après le contexte, le blasphème contre l’Esprit de Dieu est le dernier degré de la malignité humaine. Les éclaircissements que nous cherchons sur sa nature, nous sont fournis par la scène à laquelle nous a fait assister le récit de S. Matthieu. Jésus‑Christ avait opéré un miracle éclatant, qui révélait visiblement l’action de Dieu ; néanmoins les Pharisiens, fermant les yeux à la lumière, avaient osé dire que ce prodige provenait du démon. Partant de là, Notre‑Seigneur certifie que le blasphème contre l’Esprit‑Saint ne saurait être pardonné ; il montre par là-même que ses adversaires avaient commis, ou du moins avaient été sur le point de commettre ce péché irrémissible. S’il en est ainsi, la faute dont il parle consiste en un endurcissement volontaire contre les manifestations les plus authentiques de l’Esprit‑Saint, en un outrage dirigé contre les opérations divines les plus évidentes, en une lutte ouverte et calculée contre Dieu. Celui qui la commet détourne sciemment, librement, sa volonté de la vérité reconnue comme telle. – Ne sera pas remis. Sentence terrible dont il est aisé maintenant de comprendre le motif. L’irrémissibilité du blasphème contre l’Esprit‑Saint n’existe pas du côté de Dieu, car sa bonté et sa puissance sont infinies ; elle existe seulement du côté du pécheur, dont l’état est tel que son pardon est à peu près impossible. En effet, pour qu’un péché puisse être remis, il est nécessaire qu’on le regrette, qu’on en ait une contrition sincère ; mais cette contrition ne saurait que très difficilement avoir lieu quand on blasphème contre le Saint‑Esprit, attendu qu’on s’endurcit soi‑même dans le mal, qu’on aime sa faute et qu’on y persiste malgré l’évidence. «  Il faudra donc dire que les écritures et les pères ont enseigné que le péché contre l’Esprit saint est irrémissible parce que habituellement et la plupart du temps il n’est pas remis », Bellarmin, de Poenitentia, l. 2, c. 16. C’est donc habituellement une anticipation de la damnation éternelle. C’est le péché de Satan et des mauvais anges, qui n’a jamais été et ne sera jamais pardonné.

  1. Mt12.32 Et quiconque aura parlé contre le Fils de l’homme, on le lui remettra, mais à celui qui aura parlé contre l’Esprit-Saint, on ne le lui remettra ni dans ce monde, ni dans le monde à venir.Et quiconque aura parlé… Nous retrouvons ici la même pensée qu’au v. 31 : seulement, Jésus‑Christ y ajoute des détails importants, qui précisent davantage encore les deux points que nous avons examinés plus haut. D’abord, il se met lui‑même en scène, opposant au blasphème contre l’Esprit‑Saint celui qu’on peut commettre contre sa propre personne, envisagée à un point de vue particulier. – Contre le Fils de l’homme. « parler contre » est synonyme de « blasphème » et représente aussi une parole outrageante. L’expression « Fils de l’homme » montre que Notre‑Seigneur parle ici de sa nature humaine, de son humble apparition sous la forme d’un esclave ; or, on pouvait se tromper sous ce rapport ; les préjugés, l’ignorance, rendaient l’erreur possible et diminuaient la faute. Aussi, dans ce cas, le pardon est‑il assuré, il lui sera pardonné. « Celui qui aura dit une parole contre le Fils de l’homme, trompé par mes dehors humains, et me considérant seulement comme un homme, son erreur, quoique blasphème et quoique erreur coupable, sera néanmoins pardonnable à cause de ce que mon humanité présente d’infirme à l’œil », S. Jérôme. On est inexcusable au contraire quand on blasphème contre l’Esprit‑Saint, parce qu’on résiste alors avec pleine connaissance de cause à la lumière, à la grâce, ainsi qu’il a été dit à propos du v. 31. « Les blasphèmes que vous dites contre l’Esprit‑Saint, c’est un crime irrémissible… Parce que le Saint‑Esprit ne vous est pas inconnu, et que vous attaquez impudemment une vérité trop claire », S. Jean Chrys. Hom. 41 in Matth. Origène donne une explication analogue lorsqu’il dit : « Si le péché est plus grave, ce n’est pas parce que le Saint‑Esprit est supérieur au Verbe, mais parce que celui qui a reçu l’Esprit‑Saint est plus élevé dans la vie chrétienne ». Mais on a singulièrement exagéré l’antithèse établie par Jésus‑Christ entre sa personne et l’Esprit‑Saint, lorsqu’on a prétendu trouver dans ces deux versets trois péchés distincts, commis contre chacune des personnes divines, et puisant, dans le rapport qu’ils ont avec le Père, le Fils et l’Esprit‑Saint, leur degré plus ou moins grand de culpabilité. D’abord, il n’est aucunement question de Dieu le Père en cet endroit ; de plus, on ne voit pas de quelle manière une faute commise contre la seconde ou la troisième personne de la Sainte Trinité serait moins grave qu’une offense envers la première personne divine, tandis que l’on comprend très bien qu’il puisse y avoir une différence entre blasphémer contre le Fils de l’Homme et blasphémer contre l’Esprit de Dieu. – Ni dans ce monde, ni dans le monde à venir. Tout-à-l’heure Jésus avait dit simplement « ne sera pas remis » ; actuellement il insiste et appuie avec force sur cette expression par le développement qu’il lui donne. Les Rabbins mentionnent souvent, dans le Talmud « le siècle présent » et « le siècle futur ». Le siècle présent, c’est en général le temps qui précède le jugement dernier et, pour chaque individu, la durée de sa vie terrestre ; le siècle futur, c’est l’éternité commencée pour chaque individu dès l’instant de sa mort et après la fin du monde pour toute l’humanité. « Bien que les païens vivent tranquilles dans le siècle présent, il n’en sera pas de même dans le siècle futur », dit le Midrasch Tehillin, f. 45, 4. « Le siècle futur existe dès que l’homme est sorti de ce monde », Tanchum, f. 52, etc. Affirmer qu’un péché ne sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre, c’est affirmer très expressément qu’il ne sera jamais pardonné durant toute l’éternité. 

  1. Mt12.33 Ou dites que l’arbre est bon, et son fruit bon, ou dites que l’arbre est mauvais, et son fruit mauvais : car c’est par son fruit qu’on connaît l’arbre.– Jésus‑Christ a déjà signalé au v. 27 l’inconséquence des Pharisiens ; il y revient encore à un autre point de vue. « Il leur montre que leurs accusations étaient entièrement déraisonnables, et qu’elles combattaient l’ordre naturel des choses…. Pour les confondre entièrement il leur dit : Si vous voulez reprendre mes actions, je ne vous en empêche pas : mais que vos accusations au moins paraissent un peu raisonnables, et qu’elles ne se contredisent pas elles‑mêmes », S. Jean Chrys. Hom. 42 in Matth. – Dites que l’arbre est bon. Ou bien dites que l’arbre est bon et que son fruit l’est aussi ; ou bien dites que l’arbre est mauvais et que son fruit l’est pareillement. Cette interprétation est très classique, Cf. Raphel, Hersot. p. 154 ; Xénophon disait en ce sens : vous déclarez que ce sont des ennemis, Hist. 6, 3, 5 cf. Jean 8, 53 ; 10, 33 ; 19, 7 ; 1 Jean, 1, 10 ; 5. 10. – L’arbre, c’est Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ; le fruit, c’est l’expulsion des démons. – Les Pharisiens admettaient que le Sauveur chassait réellement les démons, par conséquent, qu’il produisait des fruits excellents ; d’autre part ils déclaraient que l’arbre par lequel ces fruits étaient produits ne valait rien, c’est-à-dire que Jésus était l’instrument du démon lorsqu’il guérissait les possédés. Le divin accusé argumente contre eux « de l’effet à la cause » et leur démontre que leur reproche est simplement absurde. Est‑ce que l’on récolte des raisins sur des épines et des figues sur les chardons ? « Si le démon est mauvais, il ne peut pas accomplir de bonnes œuvres; donc, si les œuvres que vous voyez sont bonnes, il s’ensuit que ce n’est pas le démon qui les a faites; car le bien ne peut provenir du mal, ni le mal du bien », S. Jérôme. Cependant quelques auteurs à la suite de S. Augustin et de S. Thomas d’Aquin,  appliquent les paroles de Jésus‑Christ aux Pharisiens. « Jésus leur a reproché leur hypocrisie parce que, voulant paraître de bons arbres, ils produisaient de mauvais fruits, ou parce que étant de mauvais arbres, ils voulaient faire croire qu’ils produisaient de bons fruits. Et il leur ordonne d’être soit ouvertement mauvais, soit ouvertement bons. », Maldonat. Il est aisé de voir que cette explication enlève à la pensée une grande partie de sa force et qu’elle interrompt la suite des raisonnements de Jésus. 
  1. Mt12.34 Race de vipères, comment pourriez-vous dire des choses bonnes, méchants comme vous l’êtes ? Car la bouche parle de l’abondance du cœur.-Les ennemis du divin Maître se sont rendus coupables à l’égard de sa personne sacrée du plus affreux blasphème  mais il n’y a pas lieu de s’en étonner : des hommes si profondément mauvais peuvent‑ils faire autre chose que le mal ? – Race de vipères cf. 3, 7. Jamais les Pharisiens n’avaient mieux mérité ce titre ; ne venaient‑ils pas, par pure malice, de déverser leur venin sur le plus innocent des êtres ? – comment pourriez-vous… Il est moralement impossible pour eux de prononcer de bonnes paroles, attendu que leur cœur est plein de malice, et que le cœur humain est la source de laquelle découlent les expressions qui sortent de sa bouche. – C’est de l’abondance du cœur... Sentence d’une parfaite vérité : les paroles sont l’indice infaillible du cœur ; nous parlons de ce que nous sommes. On peut dissimuler pour un temps l’état véritable de son âme ; mais bon gré mal gré le langage révèle bientôt ce qu’on est réellement. « Ce dont le cœur est rempli, la bouche en déborde », dit un proverbe allemand. De même que le fruit manifeste la nature de l’arbre, de même aussi la parole humaine trahit au dehors les sentiments de celui qui la profère.
  1. Mt12.35 L’homme bon tire du bon trésor de son cœur des choses bonnes, et l’homme mauvais, d’un mauvais trésor, tire des choses mauvaises.– Jésus‑Christ développe dans ce verset, la maxime qu’il a citée plus haut. Tout se tient, dit‑il, dans l’homme. S’il est bon foncièrement, il nourrit au fond de lui‑même de bons sentiments qui s’échappent ensuite en bonnes paroles ; bonnes choses… bon trésor ; s’il est mauvais, c’est le contraire qui arrive. Ce ne sont donc pas les bonnes ou les mauvaises paroles qui font le bon ou le mauvais homme, c’est le bon ou le mauvais cœur. Le cœur, qu’il soit bon, qu’il soit mauvais, ressemble à un trésor, à un réservoir spirituel, dans lequel chacun puise les pensées qu’il exprime au dehors par la parole. « Il y a vraiment un trésor dans chaque homme, et une richesse latente. » Bengel, Gnomon in h. l. 
  1. Mt12.36 Je vous le dis : au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu’ils auront dite.-Jésus‑Christ annonce à ses adversaires, sous la forme d’un raisonnement « a fortiori », le châtiment qu’ils s’attirent par leur conduite à son égard. – De toute parole... – vaine serait, d’après plusieurs commentateurs modernes, synonyme de « mauvaise ». Toutefois nous n’avons pas de raisons suffisantes pour nous écarter du sens littéral et de l’interprétation unanime des anciens auteurs. Mais qu’est‑ce qu’une parole oiseuse, vaine ? Les Pères répondent clairement à cette question, « Une parole inutile (oiseuse, superflue) est une parole qui n’édifie pas les auditeurs, qui est dite sans utilité pour celui qui la dit et pour celui qui l’écoute », S. Jérôme ; « Une parole inutile est une parole qui ne répond pas à une juste nécessité ou à une pieuse intention », S. Greg. Past. Cur. 3, 15. ; « Une parole inutile est une parole qui n’a aucun motif valable. Quelle explication raisonnable peut‑on donner à une parole qui est étrangère à la raison ? », S. Bern. De tripl. Custodia. – Les hommes rendront compte. Dans le royaume surnaturel, les actes, même légèrement coupables, de l’homme sensuel et animal, comme l’appelle S. Paul, seront justement châtiés. « Les hommes disent, par suite d’une folie volontaire : Une parole ou deux qui ne signifiaient rien, qu’est‑ce que cela ? Je n’ai fait qu’un bien petit mal. L’histoire du monde et de la vie humaine réfute en tous lieux cette excuse insensée, répétant bien haut que les paroles sont des actes qui opèrent longtemps et profondément ». Stier, Reden des Herrn Jesu, in h. l. – Jésus ne tire pas lui‑même la conclusion à laquelle il voulait amener ses auditeurs ; mais il leur était aisé de la déduire eux‑mêmes. « Voici l’explication de la parole vaine.. Elle n’est pas sans péril pour celui qui la prononce, cette parole. Et au jour du jugement, chacun devra rendre compte de ses paroles. A plus forte raison, vous qui calomniez les œuvres du Saint‑Esprit. » St. Jérôme. 
  1. Mt12.37 Car tu seras justifié par tes paroles, et tu seras condamné par tes paroles. »– Le Sauveur insiste encore sur l’importance des paroles et sur le compte sérieux que chacun de nous devra rendre au souverain Juge de celles qu’il aura proférées. – Car tu seras justifié ; la particule « car » relie étroitement les deux versets. C’est d’après ses paroles que l’homme sera justifié, c’est-à-dire déclaré juste, ou condamné dans l’autre vie. Il sera justifié si elles ont été bonnes ; il sera condamné si elles ont été mauvaises, parce que, dans l’un et dans l’autre cas, elles attesteront sa moralité intérieure. Cf. Luc. 19, 22 ; Job. 15, 6. On reconnaît l’oiseau à son chant, l’homme à son langage. Ainsi donc, « avec la langue nous écrivons pour nous‑mêmes le protocole le plus décisif de notre futur examen devant le tribunal de la justice suprême », Stier, l. c. – Revenons rapidement sur l’ensemble de l’apologie de Notre‑Seigneur, afin de mieux marquer la liaison des détails qui la composent. Jésus avait guéri un démoniaque sourd et muet, v. 22 ; la foule stupéfaite tendait à conclure de là qu’il était le Messie, v. 23 ; mais les Pharisiens assurèrent qu’il n’avait accompli ce prodige que grâce à la coopération de Satan, v. 24. Le Sauveur leur adressa cette réponse : Tout royaume divisé contre lui‑même périt infailliblement, v. 25 ; le royaume de Satan n’échappe pas à cette règle ; si le démon m’aide à chasser le démon, c’en est donc fait de son autorité, v. 25. Du reste, c’est ou par Béelzébub, ou par l’esprit de Dieu que je guéris les démoniaques ; dans le premier cas, vos disciples font comme moi, v. 27, dans le second cas le règne du Messie a commencé, et je suis moi‑même le Messie, v. 28. Comment pourrais‑je en effet chasser le démon, si je n’étais pas plus fort que lui ? v. 29. Qu’on y prenne bien garde. Dans la lutte que vous engagez contre moi sur ce terrain, il n’est pas possible de demeurer neutre, v. 30. Sachez d’ailleurs à quoi vous vous exposez en m’outrageant ainsi : vous blasphémez contre l’Esprit‑Saint, ce qui est un péché irrémissible de sa nature, vv. 31-32. Prétendre, comme vous le faites, que le fruit est bon tandis que l’arbre est mauvais, c’est une inconséquence palpable, v. 33. Mais rien ne doit étonner de votre part : on parle mal quand on a un mauvais cœur, v. 34, car les paroles correspondent à l’état intérieur de l’âme, v. 35. Vous subirez les conséquences de cette conduite, attendu qu’au jugement messianique il faudra rendre compte des moindres paroles, v. 36, et que la sentence du souverain Juge sera conforme au langage qu’on aura tenu sur la terre, v. 37.
  1. Mt12.38 Alors quelques-uns des Scribes et des Pharisiens prirent la parole et dirent : « Maître, nous voudrions voir un signe de vous. »-Les Pharisiens confondus gardent, après cette argumentation vigoureuse, un silence significatif. Quelques‑uns d’entre‑eux, qui n’avaient pas pris part à l’accusation de leurs collègues contre Jésus, Cf. Luc. 11, 15 et 16, essaient pourtant de détourner la conversation de ce sujet brûlant et humiliant pour toute la secte. Prenant donc la parole, Cf. 11, 25, et s’adressant au Sauveur avec des marques extérieures de respect, ils lui disent : Maître (c’est-à-dire Rabbi), nous voulons voir un signe de vous. Un signe, ce mot est important et prend dans la circonstance présente un sens particulier. Un signe, c’est une chose destinée à en prouver une autre ; c’est, pour les Pharisiens, un prodige d’une nature spéciale, et vraiment décisif, qui montrera que Jésus est le Messie. Suivant eux, les miracles antérieurs de Notre‑Seigneur n’étaient donc pas des signes : il fallait, pour les convaincre de son caractère messianique, qu’il consentît à produire sur leur requête quelque révolution soudaine dans le firmament, Cf. Luc. 11, 16, une éclipse, par exemple, un orage sous un ciel serein, un météore, etc. A cette condition, ils croiraient en lui. Comme s’il ne leur eût pas été possible, observe justement S. Jérôme, d’attaquer même un miracle de ce genre. Du reste, l’évangéliste S. Luc nous apprend expressément que c’était un piège qu’ils tendaient ainsi au Sauveur : « Ils lui demandaient un signe venant du ciel pour le tenter ». Jésus, qui lit au fond de leurs cœurs leurs plus secrètes pensées, châtiera comme ils le méritent ces tentateurs audacieux.

  1. Mt12.39 Il leur répondit : « Cette génération méchante et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas :Génération méchante et adultère. Elle est adultère dans le sens théocratique. Les relations de Dieu avec le peuple juif sont fréquemment comparées à un mariage dans les divers écrits de l’Ancien Testament, Cf. Jérem. 3, 20, etc. : la nation, quand elle oublie son Dieu, ressemble donc à une épouse infidèle. – Demande un signe, comme si les signes ne lui étaient pas chaque jour prodigués. Cette seule demande était une violente injure.  – Il ne lui sera pas donné ; du moins elle n’aura pas celui qu’elle réclame avec insolence. Mais Jésus, dans son immense bonté, continuera de lui donner les signes quotidiens de ses miracles ; puis, dans un prochain avenir, il lui accordera le signe exceptionnel qu’il prédit actuellement sous le nom de signe du prophète Jonas. Que voulait‑il désigner par ces mots ? Serait‑ce, comme le prétendent de nombreux rationalistes, « sa prédication et tout l’ensemble de son apparition » qui eurent, nous assure‑t-on, la plus grande analogie avec la prédication et la conduite de Jonas à Ninive ? Mais en quoi cela a‑t-il été un signe ? On serait heureux, par cette échappatoire, d’annuler la grande prophétie de Jésus relative à sa résurrection ; voilà le vrai motif qui a fait attribuer à ses paroles une signification si vague. Toutefois le livre de Jonas d’une part, de l’autre l’explication de Jésus‑Christ lui‑même au v. 40, sont trop clairs et trop précis pour qu’il soit possible de se méprendre, à moins de le faire sciemment, volontairement. Le signe de Jonas, c’est la préservation mystérieuse de ce prophète, à laquelle correspond la Résurrection miraculeuse de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Le commentaire du divin Maître ne permettra pas le moindre doute à ce sujet cf. 16, 4. 

  1. Mt12.40 de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits.De même que Jonas… Cf. Jean 2, 1 et ss. L’histoire de l’Ancien Testament ne présente pas d’exemple plus frappant d’une conservation toute providentielle, alors que la mort devait nécessairement arriver d’après les lois ordinaires de la nature. Jésus‑Christ nous révèle maintenant le dessein principal que Dieu s’était proposé en accomplissant un tel prodige. Le séjour de Jonas dans l’estomac du poisson devait être, d’après le plan divin, le type et la figure de la résurrection du Messie, Jonas, dans le cantique d’action de grâces qu’il chanta après sa délivrance miraculeuse, s’était représenté comme perdu « au cœur des mers », 2, 4 ; le Sauveur fait une allusion évidente à ce trait de l’ancienne prophétie, lorsqu’il parle de son propre séjour dans le cœur de la terre. Qu’entendait‑il par cette expression ? Sa sépulture, suivant plusieurs auteurs ; les limbes, selon plusieurs autres (Tertullien, S. Irénée, etc.) ; peut-être aussi ces deux choses à la fois. Les Pharisiens avaient demandé un signe du ciel, Jésus‑Christ leur en promet un qui sortira du cœur de la terre. – Trois jours et trois nuits. Ces chiffres seraient inexacts d’après notre manière ordinaire de compter ; mais ils sont d’une exactitude parfaite si on les apprécie d’après le langage numérique alors usité chez les Juifs, langage auquel Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dut naturellement se conformer dans la circonstance présente. Toutes les fois qu’on employait des locutions de ce genre, on se donnait de très grandes libertés, suivant ce principe : « Le jour et la nuit constituent le temps, et une partie du temps est comme la totalité du temps », Schabb. 12, 1. Le Sauveur fut enseveli le vendredi soir et il ressuscita le dimanche de grand matin ; il ne demeura donc réellement dans le tombeau que deux nuits entières, un jour entier et des parties peu considérables de deux autres jours. Les Hébreux, moins stricts que nous en pareil cas, comptaient un jour commencé comme un complet : la soirée du vendredi, le samedi et les premières heures du dimanche équivalaient pour eux à « trois jours et trois nuits ». Ce point n’offre pas la moindre difficulté. – Tel sera le signe de Jésus. La parole qui l’annonçait fut sans doute obscure pour l’auditoire ; mais les événements se chargeront de la dévoiler. Qui ne reconnaît aujourd’hui que la Résurrection de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ est son signe, son miracle par excellence, la preuve la plus forte de sa mission et de sa divinité ?
  1. Mt12.41 Les hommes de Ninive se dresseront, au jour du jugement, avec cette génération et la condamneront, parce qu’ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et il y a ici plus que Jonas.– Ce verset et le suivant contiennent une prophétie terrible pour Israël. – Les hommes de Ninive. Après avoir établi entre Jonas et lui‑même la comparaison que nous venons de lire, Jésus passe à l’examen des résultats qu’ils ont obtenus l’un et l’autre. Quelle différence sous ce rapport entre le Prophète et le Messie. A la voix de Jonas, c’est-à-dire sur la simple assertion d’un étranger, des païens corrompus avaient fait aussitôt pénitence : à la voix du Christ, confirmée par de nombreux et d’étonnants prodiges, la plupart des Juifs demeurèrent insensibles. Mais quelle honte pour ces derniers quand, au jour du jugement général, ils verront les Ninivites se lever contre eux, comme le faisaient les témoins devant les tribunaux, et les condamner par leurs exemples qui serviront de pièces d’accusation. Ici, c’est-à-dire tout près. Par un seul trait, Jésus relève l’énorme abus de grâces qu’ils auront fait : Et il y a ici plus que Jonas. S. Jean Chrysostome établit un beau parallèle entre Jésus‑Christ et Jonas : « Jonas était le serviteur, et moi le Maître. Il est sorti d’une baleine, et je sortirai vivant du tombeau. Il a annoncé à un peuple la ruine de sa ville, et moi je vous annonce le royaume des cieux. Les Ninivites ont cru sans aucun miracle. Et moi j’en ai fait un très‑grand nombre. Ils n’avaient reçu aucune instruction avant la prédication de ce prophète, et moi je vous ai instruits de toutes choses, et je vous ai découvert les secrets de la plus haute sagesse. Jonas est venu aux Ninivites comme un serviteur qui leur parlait de la part de son maître, et moi je suis venu en Maître et en Dieu. Je n’ai pas menacé comme lui, je ne suis pas venu pour vous juger, mais pour vous offrir à tous le pardon de vos péchés. De plus ces Ninivites étaient un peuple barbare, au lieu que les Juifs avaient toujours entendu les prédications des prophètes. Personne n’avait prédit aux Ninivites la naissance de Jonas, et les prophètes avaient prédit de Jésus‑Christ une infinité de choses, et les événements répondaient ponctuellement aux prophéties… Enfin Jonas était un étranger inconnu aux Ninivites ; et moi je suis de la même race que les Juifs, et j’ai selon la chair les mêmes aïeux qu’eux », Hom. 43 in Matth.

  1. Mt12.42 La reine du Midi s’élèvera, au jour du jugement, avec cette génération et la condamnera, parce qu’elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon.– Autre exemple tiré de l’histoire juive, et non moins humiliant pour les contemporains incrédules du Sauveur. – La reine du Midi. Il s’agit évidemment ici de la reine de Saba, dont la visite à Salomon est racontée tout au long par l’Ancien Testament, 1 Rois 10, par l’historien Josèphe, Antiquités Judaïques, 8, 5, 5, et par les écrivains arabes. Notre‑Seigneur indique vaguement, sans doute à la façon populaire de son temps, la contrée d’où elle était venue. Le royaume de Scheba, qu’elle gouvernait d’après les écrits canoniques, était probablement situé dans le Yémen actuel ou Arabie heureuse, par conséquent au S.-E. de la Palestine. Josèphe et une ancienne tradition abyssinienne lui font habiter le pays de Seba ou l’Éthiopie : mais il faut s’en tenir assurément aux indications de la Bible. – Cette reine, elle aussi (les Arabes la nomment Belkis et les Abyssins Maquéda), protestera par sa conduite contre l’incrédulité des Juifs. – Elle est venue des extrémités de la terre. Hyperbole populaire pour dire : d’un pays lointain. – Pour entendre la sagesse de Salomon : « Salomon, dit le texte sacré, répondit à toutes les questions qu’elle lui avait proposées ; il n’y eut pas une seule chose qui pût rester cachée au roi et sur laquelle il ne lui répondît. Alors la reine de Saba, voyant toute la sagesse de Salomon,… fut comme hors d’elle‑même. Et elle dit au roi : «Tout ce que j’ai entendu dire dans mon pays de vos discours et de votre sagesse est parfaitement vrai. Je ne pouvais ajouter foi à ce qu’on m’en racontait ; mais, étant venue moi‑même, j’ai vu de mes propres yeux et j’ai expérimenté qu’on ne m’avait pas fait connaître la moitié de la vérité. Votre sagesse et vos œuvres dépassent de beaucoup votre réputation. Heureux vos serviteurs qui se trouvent constamment en votre présence et qui sont témoins de votre sagesse. » 1 Rois 10, 3-8. – Et il y a ici plus que Salomon. Salomon n’était qu’un sage, Jésus‑Christ était la sagesse incréée. Et cependant les Juifs le rejetaient, tandis qu’une princesse païenne était venue de très loin pour voir si tout ce qu’on lui avait dit au sujet de Salomon était vrai.

  1. Mt12.43 « Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n’en trouve pas. – « Attaquons‑nous à un passage qui est très peu accessible non à cause des paroles, mais du contexte », Frizsche. Il semble évident que la belle allégorie contenue dans les vv. 43-45 retombe en plein sur les adversaires que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ a pris à partie depuis le v. 25. « C’est ce qui arrivera à cette génération très mauvaise », dira‑t-il en la concluant ; or, d’après les antécédents, Cf. v. 39-41, la génération qu’il menace ainsi d’un sort effroyable, mais parfaitement mérité, est surtout composée des Pharisiens et des Scribes. Toutefois [le groupe des incrédules parmi les] Juifs n’est pas exclu ; représenté par ses chefs, il est également compris sous l’appellation « cette génération », et la parabole que nous allons expliquer ne le concerne que trop dans le présent et dans l’avenir. Tu es possédé de Béelzébub, avaient dit à Jésus les Maîtres en Israël. Il les a patiemment réfutés, gracieusement avertis, blâmés sévèrement. Arrivé à la conclusion de son discours, et voulant annoncer la destinée du peuple, il rétorque avec vigueur l’accusation qu’ils avaient lancée contre lui : cette génération mauvaise est le grand démoniaque pour lequel tout exorcisme préalable aura été complètement vain. – Lorsque l’esprit impur... L’allégorie était pleine d’actualité, puisque la scène émouvante à laquelle nous assistons avait commencé par l’expulsion d’un démon, v. 22. – Est sorti est un euphémisme : c’est de force et bien malgré lui que le démon aura quitté le corps qu’il avait possédé jusque‑là. Honteusement expulsé, il erre dans les lieux arides. Ces deux expressions désignent le désert où les Saints Livres, d’après un symbolisme facile à saisir, placent souvent l’habitation des démons cf. Isaïe 13, 21, 22 ; 34, 14 ; Tobie 8, 3 ; Baruch 4, 35 ; Apocalypse 18, 2. Quels séjours conviennent mieux aux esprits infernaux que ces régions désolées, affreuses, produites par le péché, et images vivantes de la déchéance de l’homme et des mauvais anges ? – Cherchant du repos... Embellissement poétique qui repose cependant sur une vérité incontestable. Chassé d’une habitation où il se plaisait, le démon court au désert pour y chercher du repos ; mais, pour cet être méchant et pervers, il ne saurait y avoir de repos qu’à la condition de tenter et de tourmenter les hommes, or les hommes ne sont pas au désert. Cf. Bossuet, Serm. pour un premier dim. de Carême.

  1. Mt12.44 Alors il dit : Je retournerai dans ma maison, d’où je suis sorti. Et revenant, il la trouve vide, nettoyée et ornée.– Ce petit monologue, qui retentit au milieu du va‑et‑vient du démon, est d’un très bel effet dans la description. – Je retournerai dans ma maison. Il appelle sa maison l’homme qu’il avait autrefois possédé, v. 43. Bien qu’il ait été chassé violemment, il ose encore prétendre qu’elle est sienne, et il pallie habilement sa défaite en ajoutant d’où je suis sorti, comme si c’eût été une sortie toute volontaire de sa part. – Et revenant. Aussitôt dit, aussitôt fait ; mais il ne procède d’abord qu’à une simple reconnaissance des lieux, avant de prendre ses mesures pour rentrer en possession de son ancien séjour. Le résultat de sa visite est décrit par trois expressions qui indiquent pour lui une situation des plus favorables. – Il la trouve vide, elle est vide, vide de grâces, de vertus, de Dieu ; l’accès en est donc très facile. – nettoyée et ornée, parfaitement meublée, remplie de tout ce qui rend une maison agréable à habiter. Évidemment, il ne faut pas vouloir urger ces divers traits, de manière à leur faire signifier que l’homme en question est dans l’état moral le plus resplendissant ; car alors Satan n’aurait pas de prise sur lui. « Sont écrites toutes les choses qui incitent à habiter en un lieu. La comparaison se rapporte à l’homme, car l’homme aime une maison propre. » Crombez.

  1. Mt12.45 Alors il s’en va prendre sept autres esprits plus méchants que lui, et, entrant dans cette maison, ils y fixent leur demeure, et le dernier état de cet homme est pire que le premier. Ainsi en sera-t-il de cette génération méchante. »– Ayant trouvé l’habitation de son goût plus que jamais, il agit maintenant en vue de s’y installer définitivement. – prendre sept autres... Sept est un nombre rond et mystique pour signifier plusieurs. Mais pourquoi songe‑t-il à s’associer un cortège si considérable ? Sans doute, pour être plus sûr de pénétrer dans la maison, malgré toute la résistance qu’on pourrait apporter à sa nouvelle prise de possession ; et aussi, afin d’être à même de nuire davantage au malheureux dont il veut s’emparer à tout jamais. C’est pour cela qu’il choisit des alliés plus méchants que lui. – L’opération réussit à souhait, ils entrent dans la maison : on dirait qu’ils ne rencontrent pas la moindre difficulté et qu’ils pénètrent sans coup férir. Ils sont là tout à fait comme chez eux. – Le résultat de leur méchanceté combinée apparaît bientôt dans toute son horreur. Le dernier état représente l’état final, l’ahârit des Hébreux ; le premier figure l’état antérieur qui correspondait à la première possession, v. 43 ; c’est le Réschith hébreu. Jésus veut dire par là que le démon, après être rentré dans ce qu’il nomme sa maison, y produira des dégâts beaucoup plus affreux que ceux qu’il avait produits avant son expulsion momentanée. – C’est ce qui arrivera à cette génération. C’est l’application de la parabole. « Ce qui arrive à cet homme corporellement, arrivera à cette génération spirituellement », Bengel. Ainsi que nous l’avons dit à propos du v. 43, on admet généralement que cette allégorie est relative à l’histoire des Juifs contemporains de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. L’antique démon de l’idolâtrie, qui avait amené sur leurs ancêtres des châtiments divins, avait été expulsé par les souffrances de la captivité, dont la nation était sortie meilleure et purifiée. De retour dans la Terre promise, ils devinrent pour un temps meilleurs qu’à toute autre période de leur histoire. Malheureusement, cet état prospère ne fut pas de longue durée ; car le démon, fâché d’avoir été chassé de son ancien palais, revint à la charge sous une autre forme, plus puissant et plus mauvais qu’auparavant. Grâce aux erreurs sadducéennes et à l’hypocrisie pharisaïque, il réussit à reconquérir son habitation première, et à y exercer une influence sept fois plus pernicieuse dont les effets, déjà visibles à l’époque de Jésus‑Christ, apparurent davantage encore après son Ascension, jusqu’à ce que la ruine complète de la nation arrivât sous Vespasien et Titus. Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 43 in Matth. – Quelques auteurs cependant élargissent beaucoup plus les limites de l’application ; S. Jérôme, par exemple, qui fait remonter jusqu’à l’institution de la théocratie juive au Sinaï la première expulsion du démon. Cf. Maldonat in h. l. D’autres les restreignent au contraire, de manière à n’y englober que les Pharisiens et les docteurs de la Loi. – Au moral, on peut trouver un accomplissement important de cette parabole prophétique dans l’histoire individuelle d’un grand nombre de chrétiens. Délivrés de bonne heure du démon par les sacrements, par une éducation religieuse, par une conversion passagère, ils ont peu à peu perdu les grâces qu’ils avaient reçues, et se sont ainsi préparés à une seconde invasion satanique beaucoup plus terrible que la première. Cf. 2 Pierre 2, 20-22 ; Hébreux 6, 4. 6.
  1. Mt12.46 Comme il parlait encore au peuple, sa mère et ses frères étaient dehors, cherchant à lui parler.Comme il parlait encore. Cette formule montre l’étroite liaison qui existe entre le discours de Jésus aux Pharisiens et le présent épisode, qui nous est raconté simultanément par les trois synoptiques. – Sa mère et ses frères. Il n’avait pas été parlé de la Mère de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans le premier Évangile depuis la fin du second chapitre : on la salue avec bonheur toutes les fois qu’elle apparaît auprès de son divin Fils. – Et ses frères : les frères de Jésus sont mentionnés ici pour la première fois ; nous verrons bientôt quelle était la vraie nature des liens qui les attachaient à sa personne sacrée. Cf. 13, 55-56.  [le mot cousin n’existe pas en araméen, les cousins sont donc appelés des frères] – Étaient dehors. D’après le récit de S. Marc, 3, 20, toute la scène qui précède, vv. 22-45, s’était passée dans l’intérieur d’une maison que la foule avait immédiatement envahie ; la mère et les frères de Jésus, arrivant sur ces entrefaites, ne pouvaient, ajoute S. Luc, 8, 10, pénétrer jusqu’à lui à cause de cette grande multitude. – Cherchant à lui parler. Que voulaient‑ils lui dire ? Le motif de l’entrevue qu’ils sollicitaient d’une manière si pressante, omis par S. Matthieu et par S. Luc, est indiqué en termes singuliers par le second Évangéliste, Marc. 3, 20, 21. Ayant appris que Jésus, dans son inépuisable charité, se livrait tout entier aux foules qui l’entouraient, au point de n’avoir pas même le temps de prendre un peu de nourriture, ils s’étaient écriés qu’il était fou, et ils venaient pour s’emparer de lui et pour l’emmener avec eux. Nous expliquerons leur conduite en commentant ce passage de saint Marc : qu’il suffise de dire présentement que, quel qu’en fût le mobile, la très‑sainte Vierge ne se laissa pas un seul instant égarer sur le rôle et le caractère de son Fils. Ayant entendu dire que la situation de Jésus n’était pas sans péril, à cause du conflit qu’il avait engagé avec les Pharisiens, elle venait auprès de lui, de même qu’elle le rejoindra plus tard à une heure autrement dangereuse. Du reste, s’il est possible que les frères de Notre‑Seigneur fussent réellement animés contre lui de mauvaises dispositions, Cf. Jean, 5, il est possible aussi, comme l’admettent plusieurs auteurs, qu’ils accourussent alors pour le soulager ou même le protéger. « On peut penser, dit Maldonat, que les parents furent inquiets au sujet de son salut. C’était donc pour ça qu’ils étaient venus. Ils amenèrent sa mère avec eux pour pouvoir l’émouvoir. C’est pour cela qu’ils s’interposent. C’est pourquoi ils agissent comme des importuns ceux qui pensent qu’attendre serait une chose grave, de peur qu’il soit arrêté par les pharisiens pendant son discours. »

Mt12.47 Quelqu’un lui dit : « Voici votre mère et vos frères qui sont là dehors, et ils cherchent à vous parler. » – Après avoir vainement essayé de fendre la foule qui fermait les abords de la maison, les parents du Sauveur se font connaître ; le bruit de leur arrivée se communique de bouche en bouche jusqu’aux plus proches voisins de Jésus‑Christ, et l’un des assistants croit pouvoir l’interrompre pour l’avertir que sa mère et ses frères l’attendaient au‑dehors.

Mt12.48 Jésus répondit à l’homme qui lui disait cela : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » – De prime‑abord la réponse de Notre‑Seigneur semble dure pour sa Mère et pour ses proches. Mais elle perd beaucoup de sa froideur apparente si l’on fait attention : 1° qu’elle n’est pas adressée directement à Marie et aux frères de Jésus, mais à celui des auditeurs qui avait pris la liberté d’interrompre le divin Maître, celui qui avait dit cela ; 2° qu’elle a beaucoup d’analogie avec deux autres réponses faites antérieurement par Jésus‑Christ à sa Mère, soit dans le temple de Jérusalem, Luc. 2, 19, soit aux noces de Cana, Jean 2, 4, et qui n’avaient rien de blessant ni d’irrespectueux ; 3° qu’en tenant ce langage, le Sauveur voulait donner à ses auditeurs un exemple de noble dégagement des affections terrestres et d’attachement profond aux choses du ciel, aux intérêts de Dieu. « Il ne méprise pas la mère, mais il fait passer le Père avant », Bengel. « Il montre qu’il se doit plus au ministère confié par son père qu’à l’affection maternelle », St. Ambroise.

Mt12.49 Et étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. 50 Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère. »Et étendant la main. La description est tout à fait graphique : on voit qu’elle provient d’un témoin oculaire. Jésus ne se borna pas à ce beau geste par lequel il promena lentement la main sur son vaste auditoire : d’après S. Marc, 3, 34, au mouvement imprimé à son bras, il unit un mouvement semblable de la tête et des yeux : « Et regardant tous ceux qui étaient assis en cercle autour de lui ». – Voici ma mère et mes frères. Langage d’une condescendance inimitable et digne du cœur de Jésus. Le Sauveur considère ses relations filiales et fraternelles, au point de vue du devoir, avant de les envisager au point de vue de la nature. Voilà le second Adam, auquel toutes les âmes sont étroitement unies en Dieu. Mais écoutons l’explication qu’il donne de cette étonnante assertion. – Car quiconque.. ; il n’y a donc pas d’exception, pourvu que la condition voulue soit bien posée, et la condition consiste simplement à accomplir la volonté du Père céleste de Jésus ; cette soumission complète à la volonté divine formant un lien d’union indissoluble entre Notre‑Seigneur et le véritable obéissant. – Celui‑là est mon frère et ma sœur... Gradation ascendante qui exprime une affection de plus en plus tendre. S’il est une parenté physique et naturelle, il existe aussi une parenté spirituelle et surnaturelle, et tous les chrétiens peuvent aisément la contracter avec Jésus. « Quel honneur. Quelle vertu il faut à celui qui se dirige vers un tel sommet….Tu ne dois pas le désirer lui seul, mais la voie qui te conduit à la chose désirée, tu dois la fouler avec zèle », St. Jean Chrysostome.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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