Évangile selon saint Matthieu commenté verset par verset

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Chapitre 13

7. Les paraboles du royaume des cieux. 13, 1-52.

1° Idées générales sur les paraboles évangéliques.

Nous sommes arrivés à l’une des scènes les plus remarquables de l’enseignement et de la prédication de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ : ici, en effet, le récit évangélique offre au lecteur non seulement les premières paraboles qui aient été conservées par S. Matthieu, mais toute une collection de belles paraboles relatives au royaume messianique. Jésus a précédemment annoncé l’avènement de ce royaume ; il en a promulgué quelque temps après la législation dans le Discours sur la Montagne. Aujourd’hui, il en développe la nature, les phases variées, les relations avec le monde et avec l’humanité. Mais, pour des motifs que nous indiquerons bientôt, Cf. 13, 10 et ss., c’est sous une forme nouvelle qu’il propose ces points importants de la doctrine chrétienne. Au lieu du langage sentencieux dont il avait le plus souvent usé quand il parlait à la foule, il emploie maintenant le discours voilé, figuré, connu sous le nom de Parabole. Il est donc naturel que nous saisissions cette occasion pour étudier d’une manière générale et rapide la partie la plus intéressante peut-être de l’enseignement du Sauveur. – Qu’est‑ce que la parabole évangélique ? Telle est la première question qui se présente à nous. Son nom, qui vient du grec, est loin d’exprimer sa nature. Le mot grec que Cicéron traduit par « collatio » et Quintieien par « similitudo », désignait simplement à l’origine la juxtaposition de deux choses, et la comparaison qui résultait de leur rapprochement. Plus tard, dans la rhétorique grecque, la parabole devint un argument basé sur une analogie. « Vous ne voudriez pas choisir par le sort vos pilotes et vos athlètes : pourquoi donc vos hommes d’État ? ». Ce raisonnement est cité par Aristote comme un exemple de parabole. Mais passons au grec des Septante, du Nouveau Testament et de quelques écrivains juifs ; nous nous rapprocherons plus promptement ainsi du sens spécial que nous cherchons. Nous remarquons alors que l’expression correspond assez exactement au substantif hébreu, Maschal. Le genre littéraire représenté par ce nom a, dans les livres de l’Ancien Testament, des limites très étendues : il comprend tout à la fois de simples proverbes, Cf. 1 Samuel 10, 12 ; 24, 14, des discours prophétiques d’une étendue plus ou moins considérable, Cf. Nombres 22, 7, 18 ; 24, 3 ; Ézéchiel 20, 49, etc., des sentences énigmatiques, Cf. Prov. 1, 6, des narrations métaphoriques, Ézéchiel 12, 22, etc. Le proverbe «Médecin, guéris‑toi toi‑même» est une parabole d’après S. Luc, 9, 23 ; une simple comparaison sans accompagnement de narration est aussi appelée une parabole par S. Matthieu, 24, 32 : « Apprenez une comparaison prise du figuier » ; le caractère figuratif des décrets lévitiques, les faits particuliers de l’histoire patriarcale considérés dans leur rapport avec la nouvelle Alliance, voilà encore autant de paraboles, Actes des Apôtres 9, 9, 19. Pris dans une acception déjà si large à l’époque de Jésus, le mot parabole ne tarda pas à recevoir une signification plus vaste encore. Latinisé par l’Itala et la Vulgate, il cessa peu à peu de représenter un langage figuré, et passa dans toutes nos langues romanes pour désigner le langage en général : parabole est ainsi devenu parole, parler, parola, palabra, etc. Mais revenons à ce que les Évangélistes, et après eux les exégètes, appellent communément une parabole dans le sens strict. S. Jérôme la définit : « Une parole utile, exprimée sous la forme d’une image, et qui contient en arrière‑plan un enseignement spirituel ». Un auteur moderne, Unger, qui a écrit un ouvrage remarquable sur ce sujet, donne de la parabole une définition plus exacte et plus philosophique : « Une parabole de Jésus est une comparaison sous la forme d’un récit réel ou vraisemblable, qui illustre avec justesse une chose sublime » ; cf. De parabolarum Jesu natura, interpretatione, etc., Lipsiae 1828. C’est un récit fictif, emprunté soit à la nature, soit à la vie réelle, et qui expose, sous une forme pittoresque, des vérités religieuses ou morales d’une certaine gravité. – La parabole diffère notablement de plusieurs autres genres littéraires avec lesquels on a eu quelquefois le tort de la confondre, parce qu’ils ont quelque ressemblance avec elle. 1° La parabole n’est pas une fable. Cicéron disait de la Fable : « Une fable est un récit dans lequel sont contenues des choses qui ne sont ni vraies ni vraisemblables », de Invent. 1, 19. La parabole ne permet donc jamais aux objets qu’elle met en scène de dépasser les lois de leur nature. Elle ne fait pas parler le loup, l’agneau et la fourmi : elle laisse dans leur sphère naturelle les divers objets qu’elle emploie. Sa tendance morale est en outre beaucoup plus relevée que celle de la fable. 2° La parabole diffère du mythe en ce sens que, dans le mythe, la vérité et les images qui lui servent de véhicule sont entièrement confondues ; tandis que, dans la parabole, le noyau est complètement distinct de l’amande, la leçon facile à séparer du symbole. Qui a jamais songé à regarder les paraboles comme des faits réels ? 3° La parabole diffère de l’allégorie, en ce que cette dernière n’implique de fait aucune comparaison, attendu qu’elle personnifie directement les idées. Les vices et les vertus de l’humanité y apparaissent comme dans un drame, sous leur propre caractère. Aussi l’allégorie contient‑elle sa propre explication cf. les belles allégories de la vigne, Jean 15, 1-8, et du bon Pasteur, Jean 10, 1-16. Il n’en est pas de même de la parabole, qui demande plus d’attention et de pénétration, parce qu’elle dissimule habilement sous des vêtements étrangers la vérité sur laquelle elle veut attirer l’attention. – Une réflexion identique de S. Matthieu et de S. Marc prouve que le nombre des paraboles exposées par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ à cette période de sa Vie publique dut être très considérable : « Jésus dit toutes ces choses au peuple en paraboles ; et il ne leur parlait pas sans paraboles », Matth. 13, 34 cf. Marc. 4, 33 etc. Aussi, bien que les Évangélistes nous en aient conservé une quantité relativement assez grande, il est certain qu’ils en ont omis davantage encore. Quant au chiffre précis de celles qu’ils ont insérées dans leurs narrations, il est très difficile de le déterminer exactement, comme on le voit par la divergence qu’on découvre parmi les auteurs qui se sont occupés de cette question. Tandis que plusieurs exégètes n’en comptent pas moins de 50, d’autres refusent d’aller au‑delà du nombre 27 : on admet plus communément qu’il existe 30 ou 31 paraboles évangéliques. Une telle diversité de calculs, qui paraît au premier abord extrêmement surprenante, s’explique par la difficulté qu’on éprouve dans certains cas à fixer les limites précises de la parabole et à la différencier de l’allégorie ou de la simple comparaison. Bien que la parabole soit une œuvre d’imagination, bien que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ait en général inventé ses paraboles au jour le jour, selon les besoins du moment, il est aisé de remarquer qu’il règne parmi elles un ordre véritable qui permet de les classer méthodiquement. Elles forment en effet trois groupes distincts, séparés par leur objet général non moins que par les phases de la Vie publique de Notre‑Seigneur auxquelles elles appartiennent. Le premier groupe comprend huit paraboles qui traitent toutes du royaume des cieux.

1. Le semeur, Matth. 13, 1-23 ; Marc. 4, 1-20 ; Luc. 8, 4-15.

2. Le froment et l’ivraie, Matth. 13, 24-30.

3. Le grain de sénevé, Matth. 13, 31 et 32 ; Luc. 13, 18 et 19.

4. Le levain, Matth. 13, 33 ; Luc. 13, 20-21.

5. La graine jetée en terre, Marc. 4, 26-29.

6. Le trésor caché, Matth. 13, 44.

7. La perle précieuse, Matth. 13, 45 et 46.

8. Le filet, Matth. 13, 47-50.

Après quelque temps d’arrêt, nous voyons apparaître un second groupe beaucoup plus considérable, et d’un type nouveau parce que le divin auteur s’y propose une nouvelle fin.

1. Le bon Samaritain, Luc. 10, 25 et ss.

2. Le serviteur sans pitié, Matth. 18, 23 et ss.

3. L’ami nocturne, Luc, 11, 1 et ss.

4. Le riche insensé, Luc. 12, 13 et ss.

5. Le figuier stérile, Luc. 13, 6 et ss.

6. Le grand festin, Luc. 14, 16 et ss.

7. La brebis perdue, Matth. 18, 12 et ss. ; Luc. 15, et ss.

8. La drachme perdue, Luc. 15, 8 et ss.

9. L’enfant prodigue, Luc. 15, 11 et ss.

10. L’habile économe, Luc, 16, 1 et ss.

11. Le pauvre Lazare, Luc, 16, 19 et ss.

12. Le juge inique, Luc. 18, 1 et ss.

13. Le Pharisien et le Publicain, Luc. 18, 1 et ss.

14. Les ouvriers à la vigne, Matth. 20, 1 et ss.

Nous pourrions aussi rattacher à cette catégorie la petite parabole des deux débiteurs, Luc. 7, 40 et ss., qui lui appartient sinon par le temps, du moins par la forme et par l’idée.

Le troisième groupe se compose de six paraboles proposées par le Sauveur durant la période finale de sa vie. Elles sont théocratiques comme les premières, et s’occupent du royaume de Dieu, mais à un autre point de vue, que nous aurons à déterminer plus loin.

Ce sont :

1. Les mines, Luc. 19, 11 et ss.

2. Les deux fils, Matth. 21, 28 et ss.

3. Les vignerons pervers, Matth. 21, 33 et ss. ; Marc. 12, 1 et ss. ; Luc. 20, 9 et ss.

4. Les noces royales, Matth. 22, 1 et ss.

5. Les vierges sages et les vierges folles, Matth. 25, 1 et ss.

6. Les talents, Matth. 25, 14 et ss.

La plupart des paraboles du premier et du troisième groupe sont spéciales à S. Matthieu qui est en effet par excellence l’évangéliste du royaume des cieux. Celles du second groupe nous ont été presque toutes conservées par S. Luc, et nous verrons, en les étudiant, qu’elles conviennent parfaitement aussi au caractère particulier de son Évangile. S. Marc n’a inséré dans son récit qu’un nombre très restreint de paraboles : c’est qu’il s’attache beaucoup plus aux actes de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qu’à sa prédication. L’Évangile selon S. Jean n’en contient pas une seule ; bien plus, on n’y lit nulle part le mot parabole. – Jésus n’est pas l’inventeur de ce genre littéraire : la parabole existait même longtemps avant lui, bien qu’on la rencontre déjà dans l’Ancien Testament. L’Oriental à l’esprit enflammé, à la riche imagination, prompt à revêtir sa pensée d’embellissements poétiques, employa de bonne heure une forme d’enseignement qui réunissait en des proportions si excellentes l’agréable à l’utile. Des sages ou des prophètes comme Nathan, Cf. 2 Samuel 12, 1-7, comme Salomon, Cf. Eccles. 9, 14-16, et comme Isaïe, Cf. Isaïe 28, 23-29, avaient composé des paraboles. A l’époque du Sauveur, cette méthode de prédication était devenue très habituelle ; les Rabbins en usaient sans cesse et plusieurs d’entre eux, tels que Hillel, Schammaï, Nohoraï, Méïr, etc., se sont fait une vraie réputation par leur habileté sous ce rapport. Quelques‑unes des paraboles rabbiniques renferment des beautés réelles : mais, soit pour les détails, soit dans l’ensemble, elles ne sauraient supporter la comparaison avec celles de Jésus‑Christ, qui sont tout à fait inimitables et marquées à l’image du Fils de Dieu. Plusieurs Pères, spécialement Origène, S. Ephrem, S. Augustin et S. Jean Chrysostome se sont livrés avec succès à ce genre de composition. – Si l’on étudie les paraboles de l’Évangile, non pas seulement une à une et d’une manière isolée, mais dans leur magnifique organisme, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elles renferment un corps complet de doctrine chrétienne, toute une théologie avec ses divers traités. « Elles nous offrent une grande variété de leçons en apparence indépendantes les unes des autres et qui, prises isolément, ne donnent que des résultats partiels, tandis que, si l’on vient à les comparer entre elles et à les rapprocher, elles jettent un jour merveilleux sur la théorie tout entière de la religion et de l’Église… Sous l’enveloppe de l’enseignement parabolique de Notre‑Seigneur, on peut retrouver toutes les doctrines et tous les commandements qui devaient appartenir à l’Église qu’il était venu fonder. » Card. Wiseman, Mélanges religieux, scientifiq. et littér. 1. Les paraboles du N. T. A l’enseignement ordinaire de Jésus‑Christ correspond donc tout un système d’enseignement en paraboles qui exprime les mêmes idées, les mêmes dogmes, les mêmes commandements, sous une forme symbolique. Il y a là pour les théologiens une mine très féconde à exploiter. – Voir sur les paraboles évangéliques : Salmeron, Sermones in Parabolas, Anvers, 1600 ; Unger, de Parabolarum Jesu natura, interpretatione, Leipzig, 1828 ; Lisco, die Parabeln Jesu, Berlin, 1831 ; Greswell, Exposition of the Parables, Londres, 1839 ; Trench, Notes on the Parables, 2° édit. Londres, 1870.

2° Occasion des premières paraboles, vv. 1-3a. Parall. Marc. 4, 1, 2 ; Luc. 8, 4.

Mt13.1 Ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer.Ce même jour, c’est-à-dire le jour où s’étaient passés les événements racontés au chapitre qui précède, du moins à partir du v. 22. Jésus‑Christ nous fera comprendre lui‑même un peu plus bas, v. 11 et ss., le rapport qui existe entre l’endurcissement volontaire d’une grande partie des Israélites à son égard et la nouvelle méthode de prédication qu’il adopta ce jour‑là même. – Étant sorti de la maison : probablement de la maison où, d’après S. Marc, 3, 20, Jésus avait répondu avec tant de succès aux accusations de ses ennemis. Selon d’autres, de sa propre maison de Capharnaüm. – S’assit au bord de la mer : un de ces traits pittoresques dont les Évangiles sont remplis. Sur les bords de ce beau lac de Tibériade, témoins des plus touchants épisodes de l’histoire évangélique, le divin Maître, entouré du cercle intime de ses disciples, est venu chercher un peu de repos après la joute laborieuse à laquelle nous venons d’assister. Mais son repos ne sera pas de longue durée.

Mt13.2 Une grande foule s’étant assemblée autour de lui, il dut monter dans une barque, où il s’assit, tandis que la foule se tenait sur le rivage,Et des foules se rassemblèrent… La foule avide de le voir et de l’entendre, qui l’avait naguère en quelque sorte cerné dans la maison où il se trouvait, Cf. Marc, 3, 20, se retrouve bientôt auprès de lui sur le rivage. Comprenant ce que ce bon peuple désirait, mais ne pouvant adresser commodément la parole à un auditoire compact, qui le pressait de toutes parts, il prend une résolution soudaine. Une barque était là, près du rivage : il y monte et s’assied dans cette chaire improvisée, aussi poétique que le tour nouveau qu’il allait donner à sa doctrine. – Et toute la foule se tenait sur le rivage. Cependant la foule se range en face de lui sur la rive, se tenant respectueusement debout selon la coutume ancienne, tandis que le Maître était assis. Le Talmud raconte avec douleur que l’usage de s’asseoir pour entendre l’explication de la Loi commença quelque temps après la mort de Gamaliel, preuve, dit‑il, que la maladie avait envahi le monde.

Mt13.3 et il leur dit beaucoup de choses en paraboles : le semeur, dit-il, sortit pour semer.Et il leur dit. Théophylacte, faisant allusion à la situation extérieure, telle qu’elle a été décrite par l’Évangéliste, compare gracieusement Notre‑Seigneur Jésus‑Christ à un pêcheur extraordinaire qui, avec le filet de sa parole, pêche du sein de la mer les poissons réfugiés sur le rivage. – Beaucoup de choses en paraboles. « Beaucoup », c’est-à-dire, les sept paraboles du royaume des cieux exposées par S. Matthieu à la suite de cette petite introduction, et aussi la parabole de la graine jetée en terre, conservée par S. Marc, 4, 26-29. Car tout porte à croire que Notre‑Seigneur exposa, de suite et dans la même journée, cette série entière de paraboles. Cela ressort en premier lieu de l’union étroite qui existe entre elles au point de vue du sujet : la seconde explique la première, la troisième se rattache de la même manière à la seconde pour l’éclaircir et la développer, et il en est ainsi jusqu’à la septième, qui complète et achève toutes les autres. C’est une chaîne continue dont tous les anneaux se tiennent : il n’est guère vraisemblable que ses différentes parties auront été formées à des époques séparées, comme on pourrait le supposer d’après le récit de S. Luc cf. 8, 4-15 ; 13, 18-21. L’unité frappante qui règne entre les paraboles montre donc qu’elles furent en quelque sorte coulées d’un seul jet. De plus, S. Matthieu montre lui‑même d’un bout à l’autre de ce chapitre qu’il a voulu suivre un ordre strictement chronologique : on le voit par le soin qu’il a pris de relier aux versets 1 et 3 toutes les sections dont se compose son récit cf. vv. 10, 24, 31, 33, 36, 53. A quoi bon tous ces points de raccord s’il eût sacrifié ici la suite des événements à celle des choses ?

3° Première parabole du royaume des cieux : le semeur. vv. 3b-9. Parall. Marc. 4, 3-9 ; Luc. 8, 5-8.

Mt13.3 (…) le semeur, dit-il, sortit pour semer. – Cette parabole, qui nous fait assister à la formation du royaume des cieux sur la terre dans ses premiers éléments, ouvre d’une manière très naturelle le groupe des comparaisons relatives à l’empire messianique. Le début en est simple, mais expressif. On voit le semeur, en grec, le semeur en général, qui sort de sa maison, portant la semence qu’il va confier à la terre, et se dirigeant vers son champ. Bientôt l’opération commence, et nous en apprenons les résultats immédiats.

Mt13.4 Et pendant qu’il semait, des grains tombèrent le long du chemin, et les oiseaux du ciel vinrent et les mangèrent.Le long du chemin. Non pas sur le chemin même, mais sur les bords, à l’endroit où le champ et la route qui le traverse ou qui le longe se rejoignent. – Et les oiseaux du ciel… Ce grain étant demeuré à la surface du sol durci, que la charrue n’avait pas remué, ne tarda pas à devenir la pâture des oiseaux. En Orient beaucoup plus qu’en Occident, le semeur est entouré d’une multitude de passereaux ou d’autres oiseaux semblables qu’il tâche, mais en vain, d’effrayer par des cris sans cesse répétés, et qui lui dévorent, d’après ses calculs, au moins un quart de son grain.

Mt13.5 D’autres grains tombèrent sur un sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre, et ils levèrent aussitôt, parce que la terre était peu profonde. 6 Mais le soleil s’étant levé, la plante, frappée de ses feux et n’ayant pas de racine, sécha.Une autre partie : une autre partie du grain tomba donc dans des endroits pierreux : il faut entendre par là, comme l’indique le contexte, non pas un sol plus ou moins mélangé de cailloux, mais une surface continue de rochers simplement recouverts d’un peu de terre végétale. Ce second terrain est assurément préférable au chemin battu ; toutefois les résultats seront tout aussi désastreux. – Elle leva aussitôt… C’est un fait d’expérience que la semence placée en de telles conditions germe avec une rapidité surprenante, car elle est à l’aise et subit sans aucune perte les influences d’abord toute salutaires de la chaleur. Au printemps, les rochers de la Palestine sont les premiers couverts d’une douce verdure. Mais la mort est aussi prompte que l’avait été la première croissance. – Sole orto œstuaverunt. Les autres plantes subissaient aussi l’influence brûlante du soleil oriental ; mais, vivant sur un sol profond, elles avaient la ressource d’aller puiser, à l’aide de leurs racines, un peu d’humidité souterraine qui suffisait pour les empêcher de périr. Privées de ce secours parce que le roc sur lequel elles étaient tombées ne leur avait permis d’émettre que des radicules insuffisantes, nos pauvres herbes furent brûlées au‑dedans comme elles l’avaient été au‑dehors, et bientôt elles se desséchèrent complètement. Pline avait observé la fréquence de ce phénomène dans la province de Syrie :« En Syrie, une charrue légère creuse un sillon peu profond, parce que le fer triangulaire qui est en dessous brûle les semences l’été », Hist. Nat. 17, 3.

Mt13.7 D’autres tombèrent parmi les épines, et les épines crûrent et les étouffèrent.Dans les épines, d’après le grec , sur les épines ; c’est-à-dire, parmi les racines ou les graines d’herbes et d’autres plantes épineuses. La situation est donc meilleure, au premier coup d’œil, que dans les deux cas antérieurs. La terre abonde et même la bonne terre. Le mal consiste dans ce que Columelle nommait les herbes envahissantes, par conséquent dans le manque de culture suffisante. – Et les épines grandirent ; les chardons et les ronces croissent en même temps que la bonne semence à laquelle ils fournissent d’abord une ombre avantageuse. Mais ces voisins dangereux acquièrent en quelques jours une croissance considérable, enlacent de tous côtés la frêle tige du blé, la privent d’air et de lumière et finissent par l’étouffer.

« D’autres semences atteignent des champs raboteux garnis de ronces et d’ épines, 

qui se développent plus vite et tuent le fruit de la terre en l’étranglant. » Juvencus.

Mt13.8 D’autres tombèrent dans la bonne terre, et ils produisirent du fruit, l’un cent, un autre soixante, et un autre trente.Une autre partie… une bonne terre. Jusqu’ici tout a péri, parce que le grain avait été ensemencé dans des conditions mauvaises ; heureusement le reste de la semence tombe sur une terre bonne, fertile et bien préparée : l’espoir du semeur ne sera donc pas totalement frustré. – Elle donna du fruit. Sans parler de la croissance qui a été tout à fait prospère, rien n’étant venu la gêner, le divin orateur passe immédiatement à la récolte, dont il mentionne les résultats variés. – Quelques grains rendant… Un sol qui produit trente, soixante et surtout cent pour un, doit être doué d’une grande fécondité. Cependant les deux derniers de ces chiffres ne sont nullement un embellissement poétique ; ils n’ont rien de surprenant pour la contrée où se trouvait alors Jésus‑Christ, ni pour la Palestine en général, dont la fertilité est si fréquemment vantée soit par la Bible, soit par les écrivains profanes de l’antiquité, soit par les voyageurs modernes. « Quand le sol est riche, les fruits de la terre jubilent », Tacite, Hist. 5.6. Isaac n’avait‑il pas autrefois récolté au centuple aux environs de Gerara ? Cf. Genèse 26, 12. En mentionnant ces trois divers degrés de production, Jésus faisait‑il allusion aux rendements inégaux d’une même espèce de semence, ou bien voulait‑il parler de trois semences distinctes ? La première de ces interprétations semble plus conforme au texte de la parabole, où il n’est question que d’une seule sorte de grains ; toutefois rien ne s’oppose non plus à ce qu’on admette trois sortes de semences qui correspondraient aux trois degrés de fertilité. Plusieurs voyageurs nomment l’orge, le froment et le doura (petit maïs blanc) qui rendent habituellement en Palestine « trente pour un » (l’orge), « soixante pour un » (le froment) et « le centuple » (le doura).

Mt13.9 Que celui qui a des oreilles entende »Celui qui a des oreilles… Cf. 11, 15. En achevant cette première parabole, le Sauveur invite ses auditeurs à réfléchir, à se demander ce qu’elle signifie et les motifs pour lesquels une quantité si considérable de la semence n’a rien produit. – Telle est la parabole du semeur, dont Jésus‑Christ lui‑même daignera nous donner un peu plus bas un commentaire authentique, v. 19 et ss. Elle nous montre le caractère intime, familier en même temps que profond, du nouveau genre oratoire adopté par Notre‑Seigneur. Plusieurs pèlerins distingués ont fait ressortir la couleur locale dont elle est empreinte. M. Stanley, décrivant les bords du lac de Tibériade, s’exprime ainsi : « Un petit enfoncement au pied de la colline, non loin de la plaine, m’a révélé tout à coup dans le détail, et avec un ensemble que je ne me souviens pas d’avoir rencontré ailleurs en Palestine, chacun des traits de la parabole. Il y avait le champ de blé ondulant, qui descendait jusqu’au rivage. Il y avait le chemin battu qui le traversait, sans mur ni haie pour empêcher la semence de tomber çà et là sur ses bords : il était durci par le passage perpétuel des chevaux, des mulets et des pieds humains. Il y avait la bonne terre qui distingue toute cette plaine (de Gennésareth) des montagnes nues d’alentour, et qui produit une vaste quantité de blé. Il y avait le sol rocailleux qui, se détachant de la colline, s’avançait de divers côtés à travers le champ. Il y avait les larges buissons d’aines qui s’élevaient parfois au beau milieu du blé doucement agité », Sinaï and Palestine, ch. 13. De la barque sur laquelle il était assis, Jésus n’avait donc qu’à lever les yeux et qu’à décrire la scène qui se dressait face à lui.

4° Motif pour lequel Jésus enseigne le peuple sous la forme de paraboles, vv. 10-17. Parall. Marc. 4, 10-12 ; Luc. 9-10.

Mt13.10 Alors ses disciples s’approchant lui dirent : « Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? »Les disciples, s’approchant. « Quand il fut seul, les douze qui étaient avec lui l’interrogèrent. » Marc 4, 10. Ce n’est donc pas aussitôt après avoir entendu la première parabole du royaume des cieux que les Apôtres s’approchèrent de Jésus pour lui exprimer leur étonnement : ils attendirent que Notre‑Seigneur eût achevé sa prédication et que la foule, s’étant peu à peu dispersée, les eût laissés seuls avec leur Maître. Cela résulte également du récit de S. Matthieu, d’après lequel ils demandent : « Pourquoi parlez-vous en paraboles », employant la forme du pluriel, ce qui suppose qu’ils avaient entendu plusieurs paraboles. C’est donc par anticipation que cette question, la réponse de Jésus et l’explication de la parabole du semeur, v. 18-24, ont été placées en cet endroit. D’après l’ordre des faits, tout ce passage ne devrait venir qu’après le v. 35. – Pourquoi leur parlez-vous en paraboles… Suivant S. Marc, 4, 10 et S. Luc, 7, 9, les disciples auraient seulement prié le divin Maître de leur interpréter la parole de la semence : S. Matthieu mentionne une demande d’un genre tout différent. Mais il est manifeste que les deux questions furent adressées en même temps, puisque Jésus répond à l’un et à l’autre d’après les trois synoptiques. « Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? » c’est-à-dire d’une manière obscure, énigmatique. L’étonnement des disciples suppose qu’il y avait ce jour‑là quelque chose d’insolite dans l’enseignement de Notre‑Seigneur. Jamais encore il n’avait employé les paraboles d’une manière aussi extraordinaire : à peine en avait‑il cité une ou deux en passant, et voici que tout à coup il s’était mis à les accumuler l’une sur l’autre, ce qui avait rendu sa pensée incompréhensible. Car une parabole accompagnée de son commentaire facilite l’intelligence d’une idée, une série de paraboles qui se suivent sans aucune explication ne peut produire au contraire que l’obscurité.

Mt13.11 Il leur répondit : « A vous, il a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, mais à eux, cela n’a pas été donné.Il leur répondit. Jésus trouve la demande des Apôtres juste et naturelle ; aussi daigne‑t-il leur expliquer très clairement les motifs de la nouveauté dont ils viennent d’être témoins. – Parce que... Cette conjonction doit être prise dans toute sa force ; elle répond au « pourquoi » des Apôtres et signifie « Parce que ». Ce n’est nullement une redondance, comme le pensent divers auteurs. – A vous : mes disciples, par opposition à la foule, à la masse des auditeurs qui sont désignés plus bas par « à eux ». – Donné : c’est un don gratuit du ciel, une grâce de choix qui n’est accordée qu’à un petit nombre d’hommes. Et en quoi consiste cette faveur particulière ? Jésus la désigne par les mots : connaître les mystères du royaume des cieux. Le royaume a ses secrets d’État que personne ne peut connaître ni comprendre sans une révélation spéciale. Combien de vérités cachées jusqu’à l’époque de Jésus, et manifestées seulement par Lui à ceux qu’il jugeait dignes de recevoir la lumière. Sans doute beaucoup de ces vérités relatives au règne messianique avaient été déposées par Dieu dans les écrits de l’ancienne Alliance, mais en termes généralement si mystérieux, que l’intelligence humaine, livrée à ses propres forces, s’était trouvée incapable de les pénétrer. Mais Jésus dévoilait, divulguait tout à ses disciples. – A eux, cela n’a pas été donné. « Il dit cela non comme impliquant une nécessité, non comme un sort jeté témérairement et définitivement, mais pour montrer qu’ils étaient eux‑mêmes la cause de leurs maux. » St Jean Chrysostome, Hom. 45 in Matth. On ne saurait donc induire de ces paroles que Jésus‑Christ avait une doctrine ésotérique et une doctrine exotérique à la façon des prêtres païens et même des Rabbins juifs, l’une communiquée librement et dans toute son étendue à l’entourage favori du Maître, l’autre, considérablement restreinte, à l’usage du vulgaire non initié. Tous étaient appelés sans exception à la connaissance des mystères les plus secrets, tous avaient des grâces suffisantes pour y parvenir : si la plupart n’y arrivaient pas, ils ne pouvaient en attribuer la faute qu’à eux‑mêmes, comme Jésus va le dire plus bas. – Revenons sur la signification générale du v. 11. Les Apôtres ont demandé au Sauveur : Pourquoi parlez-vous en paraboles ? Ne voyez-vous pas que vous n’êtes pas compris ? Jésus a répondu : Je parle en paraboles parce que, dans le nombre de mes auditeurs, il en est qui ont reçu l’insigne privilège de comprendre les mystères évangéliques, tandis que les autres ne l’ont pas reçu. C’est donc en vertu d’un décret divin que le Sauveur s’exprimera désormais en paraboles, et ce décret provient de la différence morale qui existe entre les hommes dont est composé l’auditoire de Jésus. On ne saurait mieux définir le double motif, le double but de l’enseignement sous la forme de paraboles. La nouvelle prédication de Notre‑Seigneur est marquée tout à la fois au sceau de sa condescendance et de sa sainte colère. Aux âmes bien disposées, elle portera plus facilement la lumière ; elle mettra au contraire un bandeau devant les yeux des indignes qui ne comprendront pas la vérité voilée pour eux, et ne pourront pas en abuser contre Jésus. Les littérateurs et les philosophes sont unanimes à reconnaître l’existence de ces effets. « Les paraboles ont été inventées et leur usage s’est répandu pour deux motifs. Car ce qui est le plus étonnant, c’est qu’elles servent à des fins contraires. On fait des paraboles pour voiler et masquer sa pensée, et on en fait pour l’éclairer et pour l’illustrer. » Bacon, de Sap. Vet. Cf. de Augm. Scient. 2, 13. D’une part donc la parabole obscurcit la pensée, « les figures défendent le secret contre la banalité et la vulgarité » Macrob. Somm. Scip. 1, 2. D’autre part elle l’illumine et en facilite l’intelligence ; en effet, dit Quintilien, Instit. 8, 3, 72 : « Les comparaisons ont été judicieusement inventées pour apporter de l’éclairage aux choses ». Aussi Tertullien après avoir affirmé que « les paraboles assombrissent la lumière de l’évangile », de Res. Carn. 32, ajoute‑t-il « Dieu tend la main à une foi qui est rendue plus facile par les images et les paroles représentant des personnes et des choses », de Anima, 43. Elles ressemblent sous ce rapport, suivant une belle comparaison, à la colonne de nuée et de feu qui éclairait le peuple de l’Alliance et obscurcissait les yeux des Égyptiens (De Gerlach). Il y a en cela quelque chose de paradoxal en apparence, mais rien assurément de contradictoire, puisque l’expérience confirme tous les jours ce double résultat. Les Juifs mal disposés, ou même simplement indifférents à l’égard de Jésus, écoutaient sans comprendre et s’en allaient sans avoir rien appris ; d’un autre côté, les amis du Christ, désireux de connaître le sens de ces tableaux qui avaient piqué vivement leur curiosité, cherchaient, travaillaient, interrogeaient et finissaient par réussir. Pour eux, le nouveau système était une grâce de plus, puisqu’il les excitait à courir avec une ardeur croissante après l’intelligence des saints mystères.

Mt13.12 Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. – La particule car montre que nous avons dans ce verset un développement de celui qui précède. « à vous il a été donné … à eux, cela n’a pas été donné » : il n’y a rien d’étrange à cela, poursuit Jésus, car c’est dans la nature même des choses. La locution proverbiale qu’il cite à cette occasion (il la citera encore dans deux autres circonstances en modifiant le sens, Cf. 25, 9 ; Luc. 19, 26) est d’une vérité universelle. Elle se compose de deux parties : 1° A celui qui a : le verbe avoir a ici la signification de posséder, être riche. Quand une bonne fois on a commencé d’acquérir quelque fortune, les biens affluent et en peu de temps arrive l’abondance. Au contraire 2° à celui qui n’a pas... c’est-à-dire, d’après le contexte, celui qui n’a que peu de choses, de modestes avances qui ne méritent pas d’être prises en considération, si on les compare à ce que l’opinion du monde appelle la richesse. – On enlèvera même ce qu’il a. Tandis que le riche devient aisément plus riche encore, le pauvre qui est en retard dans ses affaires tombe facilement de plus en plus bas, et finit souvent par perdre le peu qu’il possédait. Une légende rabbinique commente ce proverbe de la façon la plus charmante : « Une femme interrogea Rabbi José et lui dit : Que signifie la parole de Daniel : Il donne la sagesse aux sages et l’intelligence aux intelligents, Dan, 2, 21 ? Il lui répondit par une parabole : Si deux hommes, un riche et un pauvre, venaient te demander à emprunter, auquel prêterais‑tu ? Elle répliqua : Au riche. Pourquoi donc ? reprit le Rabbin. Parce que, dit‑elle, si le riche perd son argent, il lui restera encore de quoi me payer, tandis qu’il n’en est pas de même du pauvre. Il s’écria : Tes oreilles ont‑elles entendu ce qui vient de sortir de ta bouche ? Si Dieu avait donné la sagesse aux insensés, ils iraient s’asseoir, pour en parler, dans les maisons de débauche, les théâtres et les établissements de bains ; mais Dieu a donné la sagesse aux sages et ils vont s’asseoir et parler dans les synagogues ». – Cet aphorisme qui a ses équivalents anciens et modernes chez plusieurs peuples (comparez le mot de Martial, 5, 81 : « On ne donne qu’aux riches », et la phrase française : « On ne prête qu’aux riches » a son emploi au moral non moins qu’au matériel et c’est précisément d’après sa signification spirituelle que Jésus la mentionne en ce passage. Les Apôtres et les disciples ont acquis déjà une certaine richesse au point de vue des vérités messianiques ; c’est pour cela que Dieu leur fait des révélations plus intimes, afin qu’ils s’enrichissent davantage encore. Le peuple incrédule voit diminuer chaque jour le peu de foi qui lui reste et bientôt il ne lui en restera plus rien. – « Celui qui a … celui qui n’a pas » sont des nominatifs absolus.

Mt13.13 C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant, ils ne voient pas, et qu’en entendant, ils n’entendent ni ne comprennent.C’est pourquoi… C’est la réponse directe à la question proposée par les Apôtres ; nous y voyons nettement indiqué le motif pour lequel Jésus‑Christ ne commença que durant la période actuelle de sa Vie publique, et non dès le début, son enseignement sous la forme de paraboles. Jusque‑là, il a prêché d’après la méthode ordinaire, disant ouvertement, simplement, ce qu’il voulait dire. Mais voici que l’enthousiasme pour sa divine personne a sensiblement diminué, la prédication directe a été reçue avec mépris, insultée même en plus d’une circonstance ; il lui arrive de susciter le doute au lieu de provoquer la foi. Alors Notre‑Seigneur l’abandonne en partie et la remplace par les paraboles, et, en agissant ainsi, il a l’intention très manifeste de châtier l’incrédulité du peuple. « Il leur parle donc obscurément sous peine de ne pas être cru, parce qu’ils ne voulurent pas comprendre les choses dures quand elles leur ont été dites clairement. Ils ont mérité qu’il leur parle ainsi, pour qu’ils ne puissent pas comprendre même s’ils le voulaient », Maldonat. Les paraboles revêtent ainsi un caractère pénal : les Juifs seront punis de leur ingratitude en ne recevant plus comme auparavant la vérité simple et nue, et facile à saisir. – En regardant ils ne voient pas. Les yeux malades du peuple sont incapables désormais de supporter la pleine lumière : ils voient au dehors, mais leurs rayons visuels ne pénètrent pas au‑delà de la surface. – Leurs oreilles sont de même devenues sourdes aux enseignements célestes, en écoutant… ils ne comprennent pas, elles entendent et pourtant elles n’entendent pas véritablement. Et, ce qui est pire, c’est que cette cécité, cette surdité sont volontaires et coupables : comment Dieu ne les châtierait‑il pas ? « Le grand Dieu, par une loi inlassable, répand des cécités pénales sur les cupidités illicites », S. Augustin. Il châtie donc d’après sa grande loi : « ce par quoi il a péché, par cela même il est puni », aveuglant définitivement ceux qui ont fermé les yeux à la vérité.

Mt13.14 Pour eux s’accomplit la prophétie d’Isaïe : « Vous entendrez de vos oreilles et vous ne comprendrez pas, vous verrez de vos yeux, et vous ne verrez pas. – S’accomplit, « est totalement accomplie », ou bien « et s’accomplit de nouveau » ; allusion à l’accomplissement partiel et imparfait qu’avait déjà reçu la prophétie d’Isaïe. En ce moment, dit Jésus, par suite de ma nouvelle méthode d’enseignement, cette prédiction se réalise d’une manière parfaite et intégrale. – La prophétie d’Isaïe, Cf. Isaïe 6, 9. Le prophète parlait, ou plutôt Dieu lui parlait de ses contemporains ; toutefois, d’après l’intention de l’Esprit‑Saint, le divin oracle avait aussi pour but de décrire l’endurcissement et la punition terrible des Juifs au temps du Messie. Jésus‑Christ le cite d’une manière assez littérale d’après les 70. Il est destiné à prouver l’assertion « en regardant » du v. 13, qui est du reste calquée sur les premières lignes du texte d’Isaïe. – Vous entendrez de vos oreilles, répétition à la façon des Hébreux, pour renforcer l’idée ; de même, vous regarderez de vos yeux. Il y a un double jeu de mots et un double paradoxe : on entend et l’on n’entend pas ; on voit et on ne voit pas.

Mt13.15 Car le cœur de ce peuple s’est appesanti, ils ont endurci leurs oreilles et fermé leurs yeux : de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. » – Le cœur de ce peuple s’est épaissi… Nous venons d’apprendre qu’Israël est aveugle et sourd ; la suite de la prophétie nous montre que cela est arrivé par sa propre faute. La graisse, chez tous les anciens, était regardée comme une cause et citée comme un symbole d’insensibilité. Cette expression est donc une figure énergique pour décrire l’état d’endurcissement moral dans lequel les Juifs étaient tombés. – Ils ont péniblement entendu, ils n’entendent qu’avec beaucoup de peine ; bien plus, ils tiennent leurs yeux hermétiquement fermés. Et pourquoi donc ? De peur qu’ils ne voient… Rien ne saurait mieux exprimer que ces paroles la liberté de leur obstination dans le mal : c’est justement pour ne pas entendre, pour ne pas comprendre, qu’ils agissent comme l’a dit le Prophète. S’ils voyaient, s’ils comprenaient, ils se convertiraient et ils seraient sauvés, tandis qu’ils veulent vivre et mourir dans leurs iniquités, malgré la damnation éternelle qui les attend. – Et que je les guérisse ; Jésus ajoute ces mots, dit S. Jean Chrysostome, l. c., «montrant par là leur profonde méchanceté et une opposition préparée à dessein». – Notons ce qu’il y a de vérité psychologique dans ce verset. Les substantifs « cœur, oreilles, yeux » y sont répétés à deux reprises, mais dans un ordre inverse, parce que l’écrivain sacré ne voulait pas représenter le même état de choses. L’insensibilité morale qui règne dans le cœur passe de là aux oreilles, puis aux yeux : il est notoire, en effet, qu’au moral l’oreille subit l’influence du cœur et la vue celle de l’oreille. Si le cœur est endurci, l’oreille est sourde ; si l’oreille entend mal l’œil voit mal. Dans le second cas l’ordre est renversé, parce qu’il est question de conversions et que le cœur demeure la dernière citadelle à conquérir, et qu’on n’arrive à lui que par les sens de la vue et de l’ouïe. Remarquons encore que, dans le texte primitif, le prophète reçoit directement de Dieu la mission d’endurcir et d’aveugler Israël, Cf. Vulgate, 6, 10 ; mais c’est là une manière tout orientale d’annoncer avec plus de force un avenir inévitable. Celui à qui on le prédit est censé le produire lui‑même. Le Juif Kimchi admet expressément que les impératifs équivalent ici à de simples futurs et qu’ils ont simplement pour but de renforcer l’idée.

Mt13.16 Pour vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent.Mais heureux… Jésus, après avoir indiqué le motif pour lequel il parlait maintenant au peuple en paraboles, revient sur la première moitié du v. 11 et sur les privilèges conférés par Dieu à ses Apôtres. Le pronom « vos », est placé par emphase au commencement de la phrase. Tout un peuple réprouvé ; vous, si favorisés. – Heureux sont vos yeux… Le contraste est frappant : leurs yeux voient, leurs oreilles entendent, le peuple est aveugle et sourd. « Ils étaient des Juifs, et ils avaient été éduqués avec eux. La prophétie cependant ne leur nuit en rien, parce qu’ils avaient la racine du bien fortement implantée en eux, dans la pensée et dans le vouloir. » St. Jean Chrysostome, l. c.

Mt13.17 Je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.En vérité… Sous le sceau du serment, Jésus‑Christ apporte un exemple destiné à montrer toute l’étendue de la faveur accordée aux disciples. – Beaucoup de prophètes et de justes, c’est-à-dire les hérauts de Dieu, chargés d’annoncer aux hommes ses volontés et de leur parler de son Christ ; de l’autre les Saints de toute condition. – Ont désiré voir... Ils consumaient en ardents désirs vers Celui que l’un d’entre eux avait appelé l’attente des peuples, Cf. Genèse 49, 10 : ils souhaitaient de voir le Messie et ses œuvres, d’entendre sa parole ; mais ces souhaits quoique bien légitimes, ne furent pas réalisés, ne l’ont pas vu… ne l’ont pas entendu. S. Paul, dans la lettre aux Hébreux, insiste sur leurs vifs désirs demeurés inassouvis : « Ils sont tous morts ceux‑là en croyants, sans avoir reçu les choses promises, mais les regardant et les saluant de loin », Hébreux 11, 13 cf. 39, 40.

5° Explication de la parabole du semeur, vv. 18-23. Parall. Marc. 4, 13-20 ; Luc. 8, 11-15.

Mt13.18 Vous donc, écoutez ce que signifie la parabole du semeur :Vous donc. « Vous » est emphatique, comme « vos » du v. 16. « Donc », puisque vous êtes appelés à recevoir des révélations qui demeureront cachées aux autres – Écoutez, comprenez ; ou bien, écoutez de nouveau cette parabole avec une interprétation authentique, qui en déterminera pour vous le sens d’une manière infaillible. – La parabole du semeur, c’est-à-dire de celui qui dissémine, propage, répand. Le divin Maître daigne se faire exégète pour nous apprendre non seulement ce que signifie cette parabole particulière, mais aussi et par là-même quelles règles générales nous devrons suivre pour interpréter toutes les autres. Ces règles ont été souvent indiquées. Elles consistent 1° à rechercher avec le plus grand soin la vérité dominante que la parabole a pour but d’enseigner ; 2° à recourir au contexte qui est souvent d’un grand secours pour fixer le vrai sens de la parabole. Ce sera tantôt une allusion de Jésus‑Christ, tantôt une note de l’Évangéliste, tantôt un détail préliminaire, tantôt un épilogue, qui mettra sur la voie de l’interprétation légitime ; 3° l’idée‑mère une fois trouvée, à s’occuper des détails qu’il faudra ramener toujours à cette pensée principale, car ils partent d’elle comme les rayons du centre ; 4° à éviter les analogies forcées, purement imaginaires, par conséquent à ne pas trop s’écarter du sens littéral de la parabole. Naturellement, sur ce terrain qui ne saurait être limité d’une manière précise, la sagesse et le discernement de l’interprète ont à jouer un rôle important, mais ce rôle est bien délicat, et il serait facile d’en abuser. Quant à la question de savoir jusqu’où s’étendent les traits significatifs et symboliques des paraboles, on sait qu’elle est l’objet d’une grande controverse, née dès les premiers jours de l’exégèse et venue jusqu’à nous à travers les siècles. Deux systèmes d’interprétation se sont formés depuis longtemps sur ce point. S. Jean Chrysostome, et de nombreux commentateurs à sa suite, assurent qu’il suffit de trouver la pensée dominante, le but principal de la parabole. Il n’est pas nécessaire, disent‑ils, de chercher une signification spéciale pour chacun des incidents accessoires dont elle se compose, car ces incidents ne sont nullement essentiels ; ce n’est qu’une draperie destinée à donner aux paraboles plus de grâce et de beauté. Donc, le principal une fois obtenu, ne vous inquiétez pas de détails sans valeur (S. Jean Chrysost.). L’autre école affirme au contraire que, dans une parabole, tout a une signification, même les fibres les plus ténues du récit, même les détails les plus insignifiants en apparence ; l’interprète ne doit donc rien négliger, puisque rien n’est ornement pur et simple. – On peut dire qu’il y a exagération des deux parts : Jésus‑Christ lui‑même a donné tort aux défenseurs de l’un et de l’autre système, car, dans l’interprétation qu’il nous a laissée des paraboles du semeur et de l’ivraie, nous le voyons tantôt descendre à plusieurs faits fort secondaires, tels que les oiseaux, les épines, la chaleur brûlante, pour les appliquer à la vie spirituelle, tantôt négliger divers incidents du même genre, montrant ainsi que ce n’étaient, dans sa pensée, que des embellissements poétiques. Il faut donc éviter l’arbitraire et se tenir autant que possible dans le juste milieu que Vitringa nous semble avoir très bien défini dans les lignes suivantes : « Me plaisent ceux qui tirent des paraboles du Christ plus de vérités que d’un commandement d’éthique illustré par une parabole. Si on peut expliquer les paraboles du Christ de façon à retrouver la doctrine du salut dans chacune de leurs parties, sans exagération et sans contorsion, j’estime qu’il faut choisir ce genre d’explication comme étant le meilleur et préférable aux autres. Plus nous tirerons des vérités solides des paroles du Verbe de Vie, plus nous aurons part à la sagesse divine », Schriftmaessige Erklaerung der Evang. Parabeln, Francfort, 1717, in h. l. Ainsi donc, expliquons autant de traits que nous le pourrons, mais que l’exégète ou le prédicateur prenne bien garde de « résister à la tentation de ramener l’Écriture à sa propre volonté » (S. Jérôme), comme il n’arrive que trop souvent.

Mt13.19 « Quiconque entend la parole du royaume et ne la comprend pas, le Malin vient, et il enlève ce qui a été semé dans son cœur : c’est le chemin qui a reçu la semence. – D’après S. Luc, 8, 11, Jésus plaça en tête de son explication ces mots importants : « La semence, c’est la parole de Dieu ». Le semeur figure évidemment Jésus‑Christ, puis d’une manière générale tous ceux qui sont chargés de prêcher la parole de Dieu. Le champ dans lequel est jetée la semence représente, par ses différentes parties, les cœurs des hommes plus ou moins bien préparés pour recevoir la divine parole. Notre‑Seigneur suit pas à pas les détails de la parabole, indiquant tantôt au propre, tantôt par de nouvelles images, le sens de chacun d’eux. De même qu’il avait distingué quatre espèces de terrains, il distingue aussi quatre sortes d’âmes, dont trois ne savent pas profiter de la prédication évangélique. – 1. Le chemin battu. Si quelqu’un entend… ; ces mots sont au nominatif absolu. – La parole du royaume, la parole du royaume messianique, par conséquent la doctrine de l’Évangile. – Et ne s’en pénètre pas, par sa faute, bien entendu. Cf. v. 14 et 15. Le cœur de cet auditeur a été volontairement endurci : il est devenu tout à fait indifférent aux choses du ciel, qui tombaient sur lui comme la semence sur le bord du chemin ; il manque totalement de « réceptivité » à leur égard. Aussi ne reçoit‑il pas la parole divine, et, pour lui, il n’est pas même question de germination, à plus forte raison de croissance et de fruits. – L’esprit malin, « diable » dit S. Luc, « satan » d’après S. Marc. Les oiseaux avaient guetté avidement le grain lancé par la main du semeur sur les bords du champ ; le démon épie de même la semence céleste pour l’enlever dès qu’elle sera tombée sur une âme qu’il sait mal disposée : il lui ôte ainsi les chances pourtant bien faibles de succès qu’elle pourrait encore avoir. Le chef du royaume infernal s’oppose de toutes ses forces à ce qui est de nature à fortifier, à accroître le royaume de Dieu. – Enlève : c’est un enlèvement prompt et habile, qu’il n’est pas malaisé au prince des démons d’accomplir. – Ce qui avait… Tournure singulière et inattendue, que l’on traduit habituellement par la phrase suivante : Celui‑là ressemble au grain semé sur le bord du chemin. Mais pourquoi ne pas conserver ici et dans le s vv. 20, 22 et 23, où elle est fidèlement reproduite, cette assimilation très logique et très réelle de la parole du cœur qui la reçoit, de la graine et du champ où elle est semée ? Ce n’est pas sans raison que Jésus semble confondre ensemble ces divers objets : ils ne valent rien l’un sans l’autre. Que peut la semence en dehors du champ ? le champ privé de la semence ? Il faut leur union mutuelle pour produire quelque chose. Voilà pourquoi le divin Interprète assimile l’auditeur à la parole évangélique, en employant à quatre reprises la formule : « Qui a été semée ».

Mt13.20 Le terrain pierreux où elle est tombée, c’est celui qui entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie :Dans les endroits pierreux. Après avoir caractérisé plus haut une âme complètement insensible à la prédication de l’Évangile, Jésus passe à une autre catégorie d’auditeurs figurée par le terrain rocheux, ou plutôt par le roc à peine couvert d’un peu de terre végétale, vv. 5 et 6. La ressemblance est parfaite : cette terre avait reçu la semence et l’avait fait promptement germer en lui communiquant sa chaleur fécondante ; de même ce genre d’auditeurs qui reçoit la parole avec joie, la surface de leurs cœurs est aisément remuée, promptement échauffée. Doués d’une vive impressionnabilité, ils se laissent électriser tout d’abord par la beauté, l’amabilité de la doctrine chrétienne ; aussi la reçoivent‑ils avec joie et empressement. « Les voilà les coeurs qui, à la seule douceur d’une parole entendue, jouissent déjà des promesses célestes », V. Bède.

Mt13.21 mais il n’y a pas en lui de racines, il est inconstant, dès que survient la tribulation ou la persécution à cause de la parole, aussitôt il succombe.Il n’a pas de racine en lui‑même. Malgré cet heureux début et ces dehors qui promettent, il y a là en réalité le même manque de réceptivité que dans le premier cas. Ces hommes n’ont pas ce que Cicéron nommait « une vertu attachée à de profondes racines », Phil. 4, 13. , ils ne sont pas ce que les Pères grecs aimaient à nommer, en faisant allusion à cette parabole, des enracinés : auditeurs superficiels, ils sont conséquemment auditeurs temporaires. « Qui croient pour un temps, dit S. Luc 8, 13, et qui cessent de croire au temps de la tentation ». En effet, il suffit d’une épreuve, d’une tribulation, pour ruiner les belles espérances qu’ils avaient données tout d’abord. Dès qu’ils s’aperçoivent que la parole divine, qu’ils avaient cependant reçue avec tant d’entrain, va être pour eux la source de quelques maux temporels, ils l’abandonnent lâchement, honteusement : aussi se dessèche‑t-elle comme le fait le gazon du rocher sous les rayons d’un soleil brûlant. – Il est aussitôt scandalisé… « Ce qui a toujours connu le succès est abattu par l’échec », Fr. Luc, Comm. in h.l. Ne semblerait‑il pas que Quintilien commente ce passage, lorsqu’il écrit, Inst. 1. 3, 3-5 : « Ces génies précoces ne parviennent jamais à maturité. Ils n’ont pas fait de grandes choses, car ils ont produit trop tôt. Il n’y avait pas en profondeur chez eux de véritable force, et ils ne parvinrent pas à faire pousser toutes leurs branches. C’est tout à fait comme les semences répandues sur le sol, elles se gâtent vite. Et au milieu des épines, elles sont étouffées par les mauvaises herbes avant la moisson ». Mais Quintilien parte du domaine intellectuel, et Jésus du domaine moral. 

Mt13.22 Les épines qui ont reçu la semence, c’est celui qui entend la parole, mais les inquiétudes pour les choses de ce monde et la séduction des richesses étouffent la parole, et elle ne porte pas de fruit.Parmi les épines. Les premiers auditeurs de la parole céleste lui avaient créé des obstacles dès le principe, aussi n’avait‑elle pas même pu germer en eux ; les autres, après avoir favorisé sa première croissance, s’étaient bientôt opposés à ses progrès ultérieurs ; ceux dont parle maintenant le divin Maître la laissent grandir davantage et même monter en épis, mais pour eux comme pour les autres la semence demeure finalement stérile. Cependant le terrain de leur cœur est bon et profond : malheureusement il est rempli d’épines ; de là l’insuccès qui attend la prédication évangélique dans cette partie du grand champ humain. – Les épines sont de deux sortes très distinctes. – 1° Les sollicitudes de ce monde : les soucis et les ennuis de cette vie, lorsqu’ils préoccupent et absorbent une âme, l’entraînent de divers côtés, selon le mot de Térence, et peuvent être extrêmement funestes à la parole divine que la Providence y a semée. – 2° La séduction des richesses. Les richesses et les délices du siècle ne le sont pas moins quand on en abuse ; elles peuvent même produire des effets plus pernicieux encore. Chacune de ces causes, prise à part, « a fortiori » leur réunion, étouffe la semence évangélique, qui se trouve ainsi empêchée, « par la prospérité et l’adversité », selon l’expression de S. Thomas d’Aquin. La locution séduction des richesses est remarquable : la richesse y est personnifiée et dépeinte sous les traits d’une femme qui induit le monde en erreur en le flattant. « Qui me croirait jamais, dit à ce sujet saint Grégoire le Grand, si je disais que les épines représentent les richesses, surtout parce que les unes piquent, et les autres plaisent. Et pourtant ce sont bien des épines, car par les piqûres de leurs pensées elles lacèrent l’esprit. Et, comme elles entraînent jusqu’au péché, elles infligent donc réellement une blessure. Jésus a raison de donner aux richesses le qualificatif de fausses. Elles sont fausses puisqu’elles ne peuvent pas demeurer avec nous longtemps. Elles sont fausses parce qu’elles ne sont pas capables de chasser la stérilité de notre pensée. »

Mt13.23 La bonne terre ensemencée, c’est celui qui entend la parole et la comprend, il porte du fruit, et donne l’un cent, un autre soixante, un autre trente pour un. »Dans une bonne terre. Terre excellente, soit au sens matériel, soit dans l’application qu’en fait ici Jésus à la classe des auditeurs parfaits de la prédication céleste ; excellente encore non seulement par sa nature et sa constitution intime, mais aussi par la culture constante et les soins assidus qu’elle a reçus : elle est donc bonne à tous égards et d’une manière absolue. – Et qui porte du fruit : la semence y croît sans peine, mais surtout elle y fructifie avec abondance. Cependant le terrain moral des âmes saintes, de même que le sol proprement dit, ne fait pas valoir d’une manière uniforme la graine qui lui a été confiée : de là ces moissons toujours abondantes, mais inégales, qu’on y recueille. Les plus parfaits fournissent les mesures les plus considérables. « La même grâce spirituelle qui est reçue également par tous les croyants au baptême (et de mille autres manières) est augmentée ou diminuée ensuite par notre conduite et nos actions, comme il est dit dans l’Évangile que la semence du Seigneur a été répandue également partout, mais qu’à cause de la diversité des terrains, elle n’a pas le même sort. Elle donne du trente pour un ou du soixante ou du cent. » St Cyprien Ép. 69.

6° Seconde parabole du royaume des cieux : l’ivraie, vv. 24-30.

Mt13.24 Il leur proposa une autre parabole, en disant : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé du bon grain dans son champ.Une autre parabole… Tandis que la parabole du semeur nous a été conservée par les trois synoptiques, celle‑ci ne se rencontre que dans le premier Évangile. Elle partage avec la précédente l’honneur d’avoir été interprétée par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Cf. vv. 36-43. Elles s’unissent d’ailleurs étroitement l’une à l’autre par les leçons qu’elles renferment. Si la première nous apprend qu’une partie considérable de la semence évangélique est perdue, parce qu’elle tombe sur un mauvais terrain, la seconde nous montre que, même sur la bonne terre, tout ne prospère pas à souhait, mais que là aussi le mal croît à côté du bien. La première nous a fait voir comment la parole divine parvient aux hommes et comment ils la reçoivent ; la seconde raconte les progrès de cette semence toute céleste et les dangers qui accompagnent son développement extérieur. – Il leur proposa. « Leur » se rapporte aux foules qui entouraient Jésus, Cf. vv. 2, 36 et devant lesquelles furent prononcées les trois premières paraboles. Les vv. 10-23 sont comme nous l’avons dit, une intercalation anticipée : le pronom ne retombe donc pas uniquement sur les disciples de Jésus. – Le Royaume est semblable : formule dont Jésus‑Christ se sert fréquemment pour introduire ses paraboles cf. 18, 23 ; 22, 2 ; 25, 1 ; etc. « Le royaume de Dieu est semblable », ou selon d’autres, « est devenu semblable ». – A un homme.  Le royaume messianique ne ressemble pas précisément à cet homme, mais à tout l’incident qui va suivre et dans lequel il jouera le rôle principal : c’est donc là une tournure impropre, employée ici et en d’autres endroits, Cf. v. 45, etc., par abréviation. – Du bon grain : le contexte suppose que ce grain avait été choisi, épuré, de manière à être sans aucun mélange au moment où il fut confié à la terre. Dans le royaume du Christ, il se passe quelque chose de semblable à l’action d’un cultivateur qui sème d’excellent blé dans son champ.

Mt13.25 Mais, pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du froment, et s’en alla.Pendant que les hommes dormaient. Expression pittoresque pour désigner le temps de la nuit. Nous dirions de même : Quand tout le monde dormait. Il ne s’agit donc pas exclusivement ici des serviteurs et du fermier, ni d’une négligence coupable de leur part. « Quand les hommes dormaient. Il ne dit pas les gardiens (ou les serviteurs comme au verset 28) ; s’il avait dit les gardiens, nous aurions compris qu’on les accusait de négligence. Mais il dit hommes, pour que nous comprenions que c’était sans faute de leur part qu’ils s’étaient abandonnés au sommeil », Cajetan in h. l. C’est pendant la nuit, à la dérobée par conséquent et à l’insu de tous, que fut commise la mauvaise action qui va suivre. Le divin Maître n’a pas voulu dire autre chose. – Et sema : le texte latin indique « sema de nouveau », heureuse expression pour indiquer de secondes semailles pratiquées peu de temps après d’autres, dans un même champ. – De l’ivraie, plante nommée Zawân par les arabes et Zonim par le Talmud. Il s’est formé une double opinion parmi les linguistes relativement à cette appellation, les uns lui donnant une origine sémitique, les autres la croyant dérivée du grec et adoptée par les langues orientales, ce qui paraît aujourd’hui plus probable. L’herbe ainsi désignée ne doit pas différer du « Lolium temulentum », ou ivraie, qu’on rencontre presque à chaque pas en Palestine non moins que dans nos contrées. Les graines qu’elle produit, assez semblables à celles du froment, mais en général de couleur noirâtre, sont depuis longtemps renommées pour leurs dangereux effets. Mêlées en partie notable à la nourriture, elles causent le vertige, des convulsions et même la mort : de là l’épithète de funeste que Virgile donne à l’ivraie dans ses Géorgiques, 1, 154. – Et s’en alla. Après avoir réussi à accomplir son œuvre pleine de malice, il se hâte de disparaître. Les actes de ce genre ne sont inouïs, paraît‑il, ni en Orient, ni même en Occident. Le Dr Robert assure, Oriental Illustrations, p. 541, que plus d’un cultivateur indien a vu son champ gâté de la sorte, et pour de longues années, dans l’intervalle d’une nuit. Le Rév. Alford raconte dans son commentaire qu’il eut à souffrir lui‑même d’une méchanceté du même genre à Gaddesby, comté de Leicester. Ce qui prouve que la malice du monde n’a pas changé.

Mt13.26 Quand l’herbe eut poussé et donné son fruit, alors apparut aussi l’ivraie.Lorsque l’herbe eut poussé : l’herbe déterminée par le récit, c’est-à-dire le blé et l’ivraie tout ensemble. – Et produit son fruit : les deux sortes d’herbe montent peu à peu et produisent chacune son épi. – Alors l’ivraie parut… Jusqu’à ce moment, il n’avait pas été possible de les distinguer ; le champ paraissait rempli de bon froment : maintenant on voit qu’il contient aussi une grande quantité de mauvaise herbe. Ce trait est tout à fait conforme à la nature de l’ivraie et à sa ressemblance parfaite avec le froment durant toute la période de leur croissance : tant que leur développement n’est pas complet, l’œil le plus exercé les confondrait neuf fois sur dix ; mais, dès que l’épi est sorti de la gaine, un enfant les distingue sans peine. St Jérôme avait noté ce fait de ses propres yeux : « Entre le froment et la zizanie, que nous appelons nous ivraie, quand ils sont encore en herbe et que l’épi n’a pas encore été formé, il y a une grande ressemblance, et il est difficile ou impossible de les distinguer l’un de l’autre », Comm. in h. l.

Mt13.27 Et les serviteurs du père de famille vinrent lui dire : Seigneur, n’avez-vous pas semé du bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ?Les serviteurs, s’approchant… Les serviteurs s’aperçoivent du fâcheux mélange qui apparaît maintenant dans le champ de leur Maître et, ne pouvant en comprendre l’origine, ils s’adressent directement au père de famille pour qu’il veuille bien éclaircir ce mystère. – N’avez-vous pas semé… Ils savent combien il est soigneux et vigilant : évidemment, il n’a pu semer dans son champ qu’un excellent grain ; leur étonnement n’en devient que plus grand, le fait que plus inexplicable.

Mt13.28 Il leur répondit : C’est un ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui dirent : Voulez-vous que nous allions la cueillir ?C’est l’ennemi qui a fait cela. Le Maître devine sans peine de quel côté doit provenir le mal : c’est son ennemi qui s’est rendu coupable d’un pareil méfait, désireux de satisfaire ainsi un noir projet de vengeance. – Ses serviteurs lui dirent. Ces bons serviteurs font preuve d’un vrai zèle pour les intérêts du père de famille : ils s’offrent courageusement pour aller arracher une à une les mauvaises herbes qui remplissent le champ, ce qui ne serait pas une petite peine. – Voulez-vous ?, puisqu’il en est ainsi. – L’arracher. Le grec emploie le conjonctif délibératif qui donne plus de vigueur à la phrase.

Mt13.29 Non, leur dit-il, de peur qu’avec l’ivraie vous n’arrachiez aussi le froment.Et il dit : Non. Le Maître n’accepte pas leurs offres de service. Cependant, « on ne doit pas blâmer le dédain qu’on a pour la zizanie, mais il faut quand même le rendre raisonnable », Bengel. Leur zèle, en effet, quelque grand et quelque désintéressé qu’il fût, était loin d’être bien éclairé, comme le leur indique le père de famille en motivant son refus. – De peur qu’en arrachant… Le danger ne venait plus de la difficulté de distinguer les deux plantes l’une de l’autre, puisque, d’après ce que nous avons dit, l’ivraie se manifestait maintenant avec la différence qui la caractérise, (« l’ivraie parut aussi », v. 26) ; il venait de la difficulté d’arracher la mauvaise herbe sans endommager la bonne. On a remarqué, en effet, dans les champs où l’ivraie et le froment poussent côte à côte, que leurs racines s’entremêlent et s’enlacent, de telle sorte qu’il est impossible d’extraire l’ivraie sans nuire au blé d’une manière considérable.

Mt13.30 Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Cueillez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, et amassez le froment dans mon grenier. »Laissez croître l’un et l’autre… Après avoir rejeté le projet imparfait de ses serviteurs, le Maître en propose un autre qui produira le même résultat, sans présenter aucun inconvénient. Il faut laisser croître et mûrir l’ivraie à côté du froment jusqu’à l’époque de la moisson. Alors les deux plantes sont plus distinctes que jamais, et, lorsqu’elles ont été tranchées ensemble par la faucille, il est aisé de les séparer sans nuire aucunement au bon grain. – Je dirai aux moissonneurs. L’ordre que ce cultivateur intelligent donnera aux moissonneurs se décompose en trois parties. Ils devront, en premier lieu, mettre à part toute l’ivraie ; cela fait, ils la lieront en gerbes destinées à être toutes jetées au feu, excellente précaution qui anéantira les mauvaises graines qu’elle contient ; enfin ils amasseront le blé dans les greniers de la ferme, après l’avoir battu dans le champ même, suivant la mode orientale. Grâce à ses sages précautions, on aura une récolte très pure, en dépit des machinations perfides de l’homme ennemi.

7° Troisième parabole du royaume des cieux : le grain de sénevé, vv. 31 et 32. Parall. Marc. 4, 30-32 ; Luc. 13, 18 et 19.

Mt13.31 Il leur proposa une autre parabole, en disant : « Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, qu’un homme a pris et semé dans son champ.Une autre parabole. S. Jean Chrysostome marque en ces termes la connexion qui existe entre cette parabole et les deux précédentes : Comme Jésus‑Christ leur avait déjà dit que les trois quarts de la semence s’étaient perdus, et que la quatrième partie restante avait encore souffert un grand dommage, ils devaient être portés à s’effrayer et à dire: Qui seront donc ceux qui croiront, et combien y en aura‑t-il peu qui seront sauvés? C’est à cette crainte que Jésus‑Christ veut remédier par la parabole du grain de sénevé à l’aide de laquelle il raffermit leur foi et leur fait voir l’Évangile s’étendant sur toute la terre. Il choisit pour cela la comparaison de cette semence qui représente parfaitement cette vérité », Hom. 46 in Matth. Il s’agit pour la troisième fois de semence : mais tandis que les deux premières paraboles avaient reçu des développements assez considérables, celle‑ci et les quatre suivantes sont simplement dessinées d’après leurs principaux contours. – Un grain de sénevé. La plante qui sert de base à cette parabole est, suivant toute probabilité, la « sinapis nigra » de Linné, du sénevé noir), la moutarde, comme nous l’appelons vulgairement en France. On l’a toujours volontiers cultivée dans les jardins de Palestine : elle croît même à l’état sauvage dans la plus grande partie de l’Orient. Sa graine consiste en de petits globules ronds, renfermés dans une gousse, au nombre de 4 à 6.

Mt13.32 C’est la plus petite de toutes les semences, mais, lorsqu’il a poussé, il est plus grand que toutes les plantes potagères, et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses rameaux. »C’est la plus petite… Cette graine, continue le Sauveur, est la plus petite de toutes les semences. En soi et d’une manière absolue, il n’est pas exact de dire que la graine de sénevé est la plus petite de toutes ; c’est du moins l’une des plus menues parmi celles que l’on semait en Orient : aussi était‑elle devenue proverbiale pour désigner une quantité à peine perceptible. « Pour la quantité d’un grain de sénevé, pour la quantité d’une gouttelette de sénevé », ces formules reviennent à chaque instant dans le Talmud, comme synonymes d’une dimension très minime. Le Coran parle dans le même sens, Surate 31. Cf. Matth. 17, 20. Jésus‑Christ emploie donc cet exemple à la façon de ses compatriotes. Or, « Dans les sentences des paraboles, nous n’avons pas coutume de parler subtilement en philosophe, mais d’après la façon de penser et de s’exprimer du peuple », Maldonat. – Lorsqu’elle a crû, lorsqu’elle sera parvenue à sa pleine croissance. – Elle est plus grande que tous les autres légumes ; assertion qui se réalise à la lettre en Palestine, comme nous l’apprennent de nombreux documents anciens et modernes. La « synapis nigra » atteint facilement là-bas une hauteur de dix pieds. Les voyageurs Irby et Mangles rencontrèrent dans la vallée du Jourdain une petite plaine qui en était couverte, et cette plante montait aussi haut que la tête de leurs chevaux. Le Dr Thomson en vit d’autres échantillons qui dépassaient la tête d’un cavalier. Ces traits nous aident à comprendre les faits suivants racontés par le Talmud : « R. Simon a dit : j’avais dans mon champ une tige de sénevé, dans lequel j’avais l’habitude de grimper, comme on a l’habitude de faire dans un figuier », Hieros. Peah. f. 20, 2. « R. Joseph donne comme exemple que son père lui avait donné trois tiges de sénevé. L’une d’elles fut arrachée et on y trouva neuf boisseaux de senevé, et de ses branches il formait par entrelacement un abri pour le figuier. » Kethub. f. 3, 2. – Et elle devient un arbre. Plusieurs auteurs, prenant ces mots à la lettre, ont supposé que Jésus voulait parler dans cette parabole, non de la plante herbacée que nous avons décrite, mais d’un arbre proprement dit, de l’arbre à moutarde ou « Salvadora persica » qui croît en divers endroits de la Terre Sainte, et spécialement aux environs de la mer Morte. Toutefois, cette opinion est communément rejetée par les exégètes, soit parce que Notre‑Seigneur a lui‑même formellement classé parmi les légumes (« elle est plus grande que tous les autres légumes ») le végétal auquel il emprunte les divers traits de cette parabole, soit parce que l’expression « devient un arbre » est suffisamment justifiée par les dimensions prodigieuses auxquelles le sénevé parvient en Orient. – De sorte que les oiseaux du ciel… Trait qui a pour but de montrer les développements considérables de ce qui n’était naguère qu’une graine bien petite : Maldonat le confirme d’après des scènes dont il avait été fréquemment témoin en Espagne. « Les oiseaux aiment extrêmement ses grains : C’est pourquoi, au cœur de l’été, ils ont coutume, pour manger la semence, de se poser sur ses branches qui ne se cassent pas sous le poids du grand nombre de ces oiseaux », Comm. in h. l. – Viennent habiter… Ils s’y perchent non seulement pour manger plus commodément les graines, mais pour y passer la nuit. « Habiter » n’a pas ici le sens de « nicher » que lui attribuent quelques exégètes à la suite d’Érasme. – Le but de cette parabole est facile à découvrir : de même qu’un grain de sénevé, malgré sa petitesse proverbiale donne bientôt naissance à une plante qu’on peut comparer à un arbre ; de même le royaume des cieux, faible et à peine perceptible à son début, acquiert en peu de temps des proportions étonnantes et tous les peuples viennent lui demander un abri. Les Pères ont exprimé cette idée avec leur éloquence habituelle : « La prédication de l’évangile est la plus petite de toutes les disciplines philosophiques. Au premier abord, elle n’a pas l’apparence de la vérité, quand elle prêche un homme Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Compare cette doctrine avec les dogmes des philosophes et avec leurs livres, avec l’éclat de leur éloquence et la beauté de leur style, et tu verras comme elle est plus petite que toutes les semences la semence évangélique. Quand leur semence à eux croît, elle ne montre rien de vivace, rien de vigoureux. Tout est flasque et languissant. Mais cette prédication qui semblait petite au tout début, quand elle moissonnera dans l’âme d’un croyant ou dans tout l’univers, elle ne s’élèvera pas comme une plante potagère, mais comme un arbre », St. Jérôme, Comm. in h. l. Cf. August. Serm. 44, 2

8° Quatrième parabole : le levain, v. 33. Parall. Luc. 13, 20 et 21. 

Mt13.33 Il leur dit encore cette parabole : « Le royaume des cieux est semblable au levain qu’une femme prend et mêle dans trois mesures de farine, pour faire lever toute la pâte. »Une autre parabole. On a depuis longtemps observé que, parmi les sept paraboles du royaume des cieux, il y en a six qui sont accouplées deux à deux par la signification à peu près identique qu’elles présentent : ce sont la troisième et la quatrième, la cinquième et la sixième. Dans la troisième parabole, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ s’était proposé, comme nous venons de le voir, de prophétiser le développement progressif de son royaume, et d’indiquer la force mystérieuse mais active qui produisait ce développement. Il continue, dans la parabole du levain, d’exprimer la même pensée à l’aide d’une autre image, de manière à la présenter ainsi sous une face nouvelle. – Du levain ; l’étymologie de ce mot est instructive. « Fermentum », primitivement « fervimentum », dérive de « ferveo » ; de même en français, « levain » du bas‑latin « levare ». Dans ces trois langues, le nom indique très clairement l’effet. Le royaume des cieux ressemble donc, nous dit Jésus, à une certaine quantité de levain : on voit par là son énergie intrinsèque et pénétrante. – Qu’une femme a pris… : c’est la femme qui, au sein de la famille, est d’ordinaire chargée de pétrir le pain, surtout en Orient cf. Levit. 26, 26. – Et mêlé, c’est-à-dire mélangé : le levain, bien mêlé à la pâte, disparaît bientôt complètement, comme si on eût voulu le cacher à dessein. – Dans trois mesures de farine. La mesure (Satum en latin) vient du grec lequel dérive lui‑même de l’hébreu, seâh, par l’intermédiaire du Chaldéen, sâta. Or, le seâh était une mesure juive équivalente à un épha, à deux hin, à vingt‑quatre log, en fin de compte au contenu de 144 œufs. D’après l’historien Josèphe, Antiq. 9, 2, le seâh correspondait à une boisseau et demi d’Italie. Il semble que trois de ces mesures formaient la quantité habituelle de farine que l’on pétrissait à la fois cf. Genèse 18, 6 ; Jud. 6, 19 ; 1 Samuel 2, 24. – Jusqu’à ce que toute la pâte soit levée : le levain, mélangé à cette masse de farine, agit aussitôt sur elle et la fait fermenter tout entière. « Voyez, s’écriait S. Paul, quelle petite quantité de levain suffit pour préparer une grande quantité de pain. » 1 Corinthiens 5, 6. Ici encore, comme dans la parabole du grain de sénevé, nous avons de grands effets produits rapidement par des causes qui semblent n’avoir avec eux aucune proportion réelle. Mais ce n’est pas une répétition pure et simple d’une même pensée. La parabole précédente montrait le royaume de Dieu grandissant et se manifestant au‑dehors ; celle‑ci fait voir davantage l’action secrète de l’Évangile, ses qualités assimilantes, la manière dont il envahit et compénètre les éléments étrangers placés à sa portée. Quelle étonnante fermentation produite dans l’humanité par la prédication de l’Évangile.

9° Réflexion de l’évangéliste touchant la nouvelle méthode d’enseignement du Sauveur, vv. 34 et 35.

Mt13.34 Jésus dit à la foule toutes ces choses en paraboles, et il ne lui parlait qu’en paraboles,Toutes ces choses, c’est-à-dire les quatre premières paraboles du royaume des cieux, v. 3-9, 24-31. – Au peuple, Cf. v. 2 ; par opposition aux disciples qui seuls entendirent les trois autres paraboles et les différentes explications rattachées par Jésus à son nouveau genre de prédication, v. 1-23, 37-52. – Et il ne parlait pas sans paraboles. Il ne faudrait pas presser le sens de cette réflexion et l’appliquer à tout le reste de la Vie publique de Notre‑Seigneur, car nous verrons encore Jésus employer parfois devant la foule l’enseignement direct. L’évangéliste veut surtout désigner la période actuelle.

Mt13.35 accomplissant ainsi la parole du prophète : « J’ouvrirai ma bouche en paraboles, et je révélerai des choses cachées depuis la création du monde. »Afin que s’accomplît. Jésus‑Christ cite au peuple de nombreuses paraboles, non seulement parce que les Juifs aimaient cette forme de prédication, non seulement parce qu’il voulait châtier leur incrédulité en leur présentant la vérité couverte d’un voile, Cf. v. 11-17, mais encore parce que les Écritures avaient annoncé, quoique d’une façon toute mystérieuse, que le Messie devait agir ainsi. S. Matthieu ne perd pas un seul instant de vue le but qu’il s’est tracé : il profite de toutes les occasions pour montrer que les moindres traits de la vie de Jésus ont été prophétisés dans l’Ancien Testament. – Ce qui avait été dit… Le passage qui suit étant tiré du psaume 77, 78 d’après l’hébreu, et ce psaume étant attribué à Asaph dans l’inscription qui précède, c’est ce Lévite célèbre qui est désigné par les mots par le Prophète : il porte en effet dans la Bible, 2 Chron. 29, 30, le nom de « voyant » qui équivaut au tire de Prophète. – J’ouvrirai ma bouche en paraboles... « Ecoute, ô peuple, ma doctrine ; prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche. Car je vais ouvrir la bouche pour m’exprimer en paraboles, je vais raconter les mystères des temps anciens ». Ainsi commence, d’après l’hébreu, le psaume cité par S. Matthieu, et dans lequel Asaph célèbre les actions merveilleuses opérées par Dieu en faveur de son peuple depuis la sortie d’Égypte. Le poète appelle paraboles et énigmes, choses cachées, les grandes choses que le Seigneur avait daigné accomplir pour sauver Israël et pour l’installer heureusement dans la Terre promise. Pour des yeux divinement éclairés, comme l’étaient les siens, ces faits éclatants renfermaient des enseignements prophétiques et pleins de mystères qui intéressaient toutes les générations à venir. C’est pourquoi il les chantait avec un saint enthousiasme, à la manière d’une fontaine dont les eaux sortent en bouillonnant. Cependant Asaph, en écrivant ce verset, ignorait selon toute vraisemblance qu’il servait personnellement de type au Messie, lequel viendrait réaliser un jour dans sa plénitude le rôle qu’il ne jouait lui‑même qu’en passant. Mais l’Esprit‑Saint, inspirateur de ces lignes, le savait, et c’est lui qui révéla à S. Matthieu leur sens messianique demeuré caché pendant plusieurs siècles. « Ce qui nous fait comprendre la façon dont nous devons interpréter ce qui a été écrit en paraboles. Il ne faut pas s’en tenir à la lettre, mais y voir des mystères abscons », St Jérôme, Comm. in h. l. – Depuis la création du monde ; l’hébreu dit seulement « ab olim », c’est-à-dire depuis les temps les plus reculés de l’histoire juive. L’évangéliste, avec sa liberté habituelle remonte jusqu’aux premiers jours du monde, afin de pouvoir mieux appliquer ce passage à Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. En effet, tandis qu’Asaph divulguait seulement les mystères de l’histoire des Hébreux, Jésus dévoilait ceux qui étaient renfermés dans l’histoire de toute l’humanité depuis la création. Ainsi donc, le Sauveur, en imitant le genre littéraire employé autrefois par le Prophète, son représentant mystique, accomplissait un oracle du Saint‑Esprit qui se rapportait finalement, quoique d’une manière indirecte, à sa personne sacrée. – On le voit, S. Matthieu nous fait connaître au moyen de cette citation, un nouveau motif de la méthode d’enseignement récemment adoptée par Jésus‑Christ. L’auteur du livre de l’Ecclésiastique, faisant la description d’un sage, n’avait‑il pas dit que « l’homme sage doit entrer dans les mystères des paraboles, qu’il pénétrera le secret des proverbes, et qu’il se nourrira du sens‑caché des paraboles ? » Eccli. 39, 1, 3. Puisque, dans le pays et à l’époque du Christ, l’idée de la sagesse s’alliait si étroitement à l’usage des paraboles, et cela non pas par suite d’un caprice de la foule, mais d’après la définition même des livres inspirés, « il convenait à Jésus de se conformer à cette manière de voir, si profondément enracinée dans les esprits, de façon à se concilier l’attention et le respect que méritait un sage, » Card. Wiseman, Mélanges religieux : Les Paraboles, page 27.

10° Interprétation de la parabole de l’ivraie, vv. 36-43

Mt13.36 Puis, ayant renvoyé le peuple, il revint dans la maison, ses disciples s’approchèrent et lui dirent : « Expliquez-nous la parabole de l’ivraie dans le champ. »Ayant renvoyé les foules. – Après avoir prononcé la quatrième parabole, v. 33, Jésus descendit de la barque sur laquelle il était monté pour parler plus commodément à son vaste auditoire, Cf. v. 2, et congédia doucement la foule. – Vint dans la maison ; il s’agit de la même maison qu’au v. 1. (Voir l’explication). – Ses disciples s’approchèrent… Confondus jusqu’alors avec le reste des auditeurs, les disciples profitent du premier moment où ils se trouvent seuls avec leur Maître pour lui demander plusieurs explications dont ils avaient besoin. Ils commencèrent naturellement par la question du v. 10, à laquelle ils en joignirent une seconde, comme nous l’avons vu d’après S. Luc, 8, 9 : « Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole » . Puis, quand Jésus eût daigné leur faire la double réponse que nous avons expliquée, v. 11-23, ils ajoutèrent : Expliquez-nous…, ce qui nous a valu l’interprétation authentique d’une seconde parabole relative au royaume des cieux. – La parabole. Cette parabole offrait une difficulté sérieuse : pourquoi, en effet, l’ivraie dans le royaume des cieux ? Les Apôtres n’avaient pas réussi à comprendre la présence du mal dans le séjour par excellence du bien sous toutes ses formes.

Mt13.37 Il répondit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’hommeLeur répondant. Le bon Maître accède volontiers à leur désir et dans un style clair et concis, il leur explique la parabole de l’ivraie de même qu’il avait interprété auparavant celle de la semence. – Le bon grain. Deux semeurs bien différents l’un de l’autre étaient apparus tout à tour sur la scène, pour répandre, l’un le bon grain, l’autre l’ivraie. Le premier, c’est le Fils de l’homme, par conséquent Jésus‑Christ lui‑même ; n’est‑il pas, en effet, le propriétaire du champ spirituel de l’Église et des saintes âmes figurées par le froment ?

Mt13.38 le champ, c’est le monde, le bon grain, ce sont les fils du royaume, l’ivraie, les fils du MalinLe champ est le monde. Le monde, c’est-à-dire non seulement l’État juif, comme on l’a quelquefois affirmé, mais la terre toute entière. Et pourtant, la parabole n’a directement en vue que le royaume des cieux. Toutefois, le monde d’alors, bien qu’il fût loin d’appartenir dans son intégrité au royaume messianique, est considéré ici en tant qu’il était destiné à former peu à peu l’Église chrétienne, après avoir reçu partout la bonne semence de l’Évangile. – Les enfants du royaume ; hébraïsme pour dire : les sujets, les citoyens du royaume de Dieu cf. 8, 12. Ce sont les bons chrétiens. On leur oppose les enfants d’iniquité, d’après le grec « les fils du méchant » ou du démon. Il faut entendre par là les impies et les pécheurs qui imitent les œuvres et la conduite perverses du démon. Dans l’Église, comme dans le champ signalé par Jésus, il y a donc et il y aura jusqu’à la fin des temps le mal à côté du bien ; car, dit S. Augustin, « Autre est la condition du champ (la vie présente), autre est le repos du grenier (la vie future)… Ces paraboles et ces figures nous enseignent que jusqu’à la fin du monde l’Église sera formée du mélange des bons et des méchants, de telle sorte que les bons soient soustraits à toute souillure involontaire de la part des méchants, soit que ceux‑ci soient ignorés, soit qu’on les tolère pour la paix et la tranquillité de l’Église, pourvu cependant qu’il ne devienne pas nécessaire de les révéler ou de les accuser. En effet, ce désir de la paix ne doit pas dégénérer en abus jusqu’à endormir toute vigilance, jusqu’à suspendre entièrement toute correction, toute dégradation, toute excommunication,… de peur que la patience sans la discipline ne favorise l’iniquité, et que la discipline sans la patience ne brise l’unité », Avertissement aux Donatistes après la conférence, 6.

Mt13.39 l’ennemi qui l’a semé, c’est le diable, la moisson, la fin du monde, les moissonneurs, ce sont les anges.L’ennemi... Méchant par sa nature, que peut‑il produire sinon le mal ? Il est appelé ennemi par antonomase, c’est-à-dire l’ennemi du Christ et de son royaume. Satan et le Messie travaillent donc à côté l’un de l’autre dans le grand champ du monde : mais le premier fait le mal tandis que le second fait le bien ; le premier n’a qu’un souci, celui de détruire selon la mesure de ses forces les heureux résultats opérés par son rival. – Qui l’a semée ; c’est au démon et à ses opérations funestes et à son esprit pervers qu’il communique à un certain nombre d’hommes, c’est à lui seul et nullement à Dieu qu’il faut attribuer le mal moral qui existe en ce monde. Toute la mauvaise graine qui envahit le champ a été semée par lui. – La fin du monde, la fin du siècle présent suivie du jugement messianique, qui inaugurera la période éternelle du royaume des cieux dans son état transfiguré. – Les moissonneurs. Il est plusieurs autres traits particuliers de la parabole que Jésus n’explique pas : mais, après les détails qu’il vient de donner, il était si facile de compléter l’interprétation. Il est évident, par exemple, que les serviteurs du père de famille, c’est-à-dire du Fils de l’homme, Cf. v. 37, représentent les Apôtres qui, plus d’une fois, pressés par leur zèle, auraient voulu extirper imprudemment les mauvaises herbes plantées dans le champ messianique, au risque d’arracher en même temps les bonnes.

Mt13.40 Comme on cueille l’ivraie et qu’on la brûle dans le feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. – A partir de cet endroit, Jésus‑Christ donne un peu plus d’ampleur à son explication : au lieu des indications rapides qu’il s’était contenté de tracer jusqu’ici, il donne une description complète et solennelle du sort final des bons et des méchants. – Comme on arrache l’ivraie… « Jésus enseigne avec grâce que les mauvais sont tolérés maintenant par la décision très sage de Dieu », Rosenmuller in h. l. Cependant, il n’en sera pas toujours ainsi : il viendra une heure terrible où le mal cessera tout à coup d’être souffert à côté du bien dans le royaume des cieux, et alors il sera fauché, jeté au feu comme l’ivraie de la parabole. En attendant, ce mélange de bien et de mal que Dieu tolère dans son Église est un mystère profond, qui a souvent exercé la sagacité des théologiens et de nos grands orateurs. Voir Bourdaloue, Sermon 5 pour le 5è dimanche après l’Épiph. : Sur la société des justes avec les pécheurs ; Massillion, sermn 20, Mardi de la troisième semaine de Carême : Sur le mélange des bons et des méchants.

Mt13.41 Le Fils de Dieu enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales, et ceux qui commettent l’iniquité,Ses anges enlèveront, image poétique car en latin le verbe a le sens de cueillir, lier : les anges moissonneront en quelque sorte les méchants. – Tous les scandales, les scandales des doctrines hérétiques, des principes corrupteurs, des péchés de tout genre ; ou plutôt, les auteurs de ces différentes espèces de scandales ; car l’abstrait est employé ici pour le concret. : « Ce qui veut dire : les rapaces avec les rapaces, les adultères avec les adultères, les homicides avec les homicides, les voleurs avec les voleurs, les railleurs avec les railleurs, chacun avec son semblable », S. Augustin. Le triage dont parle Jésus a lieu dès maintenant, à la mort de chaque individu ; mais il se fera en grand et d’une manière décisive à la fin des temps. 

Mt13.42 et ils les jetteront dans la fournaise ardente : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents.Dans la fournaise de feu. Cf. 6, 30. L’enfer, avec son feu vengeur, est comparé à une fournaise ardente où les damnés seront torturés affreusement. Peut-être y a‑t-il dans cette expression une allusion à un supplice spécial, très fréquent dans l’antiquité, qui consistait à jeter le condamné dans un four embrasé. Cf. Deutéronome 3, 19 et ss. – Des pleurs et des grincements de dents… : symbole des tourments atroces que les méchants auront à endurer éternellement cf. 8, 12. « Les pleurs qui viennent de la douleur, le grincement de dents qui vient de la fureur », St. Bernard.

Mt13.43 Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles entende.Alors les justes. Jésus mentionne aussi, par mode de contraste et pour ne pas finir par un tableau si désolant, la récompense incomparable que les bons, les « fils du royaume », recevront à jamais dans le ciel. – Brilleront. Le texte grec signifie resplendir, être lumineux. Cet éclat resplendissant des justes figure le bonheur, la gloire dont ils seront inondés auprès de Dieu (Cf. Dan. 12, 3), de Dieu que Notre‑Seigneur appelle délicatement leur Père à eux, pour montrer la douceur des relations qu’ils auront perpétuellement avec lui. – Que celui qui a des oreilles… cf. 11, 15. A la fin de ce commentaire, qui contient des vérités si importantes, Jésus‑Christ ajoute pour ses disciples, comme autrefois pour toute la foule, un appel pressant à de sérieuses réflexions.

11° Cinquième parabole du royaume des cieux : le trésor caché, v. 44.

Mt13.44 « Le royaume des cieux est encore semblable à un trésor enfoui dans un champ, l’homme qui l’a trouvé l’y cache de nouveau, et, dans sa joie, il s’en va, vend tout ce qu’il a, et achète ce champ.Le royaume des cieux... Ainsi qu’on l’a indiqué plus haut (voir la note du v. 33) la cinquième et la sixième paraboles sont associées pour exprimer une même idée, comme l’avaient été la troisième et la quatrième. Plus haut, Jésus s’était proposé de décrire la force, l’efficacité du royaume des cieux ; maintenant il en veut décrire le prix et la valeur. Là, le royaume messianique nous avait été présenté en lui‑même et objectivement ; ici nous le voyons davantage au subjectif, et nous apprenons ce que nous devons faire pour nous l’approprier. La cinquième parabole, de même que les deux suivantes, semble n’avoir été prononcée que devant le cercle intime des disciples cf. v. 36. On ne les trouve que dans le premier Évangile. – Un trésor : il faut conserver à ce mot son acception générale et populaire. Il est défini en ce sens par le jurisconsulte Paulus : «  Un trésor est un argent déposé depuis si longtemps qu’on en a perdu le souvenir, et qui n’a plus de propriétaire. » Il s’agit donc en ce passage d’un vrai trésor d’or ou d’argent, et non, comme le veut Schoettgen, d’une « abondance de froment enfouie dans le champ », ce qui n’est pas naturel. – Caché dans un champ. L’Oriental, au caractère soupçonneux, a toujours aimé à enfouir ses objets les plus précieux, supposant que c’était le meilleur moyen de les mettre en sûreté. Ce que faisaient sous ce rapport les habitants de la Palestine, Cf. Jérémie 41, 8 ; Job. 3, 21 . Prov. 2, 4, leurs successeurs le font encore aujourd’hui pour soustraire leurs richesses aux atteintes des Arabes maraudeurs. Aussi, les fouilles pratiquées en divers lieux de la Terre Sainte par les voyageurs européens dans l’intérêt de la science présentent‑elles souvent de grandes difficultés, parce que les indigènes supposent toujours qu’elles sont motivées par la recherche de quelque trésor. – L’homme… le cache. Après son heureuse découverte, l’heureux homme dont parle Jésus‑Christ s’empresse de confier de nouveau à la terre les richesses qu’il a trouvées : c’est une précaution jalouse pour s’en assurer l’entière possession, comme on le voit par le contexte. – Dans sa joie. On pourrait le traduire ainsi : Par suite de la joie que lui avait causée cette trouvaille inespérée. – Il vend tout…, il s’appauvrit momentanément pour s’enrichir à tout jamais. Il lui faut une somme dont il puisse disposer immédiatement, et, pour se la procurer, il n’hésite pas à vendre tout ce qu’il possède : peut-être perdra‑t-il d’abord quelque chose, mais il sait qu’il y aura bientôt pour lui une ample compensation. – Et achète ce champ, et en même temps le précieux trésor dont il jouira sa vie durant. Jésus n’apprécie pas la moralité de cette conduite ; il se borne à mentionner un exemple, qu’il propose à tous d’imiter en ce qui concerne l’acquisition du royaume des cieux. Du reste, d’après la coutume juive de cette époque, confirmée par l’enseignement des Rabbins, chacun était censé le propriétaire absolu de tout ce qu’il trouvait dans ses biens meubles ou immeubles : « Si quelqu’un achète des fruits à son voisin et y découvre à l’intérieur de l’argent, cet argent lui appartient », Bav. Mez. 2, 4. « Le rabbi Emi trouva une urne pleine de pièces d’argent. Il acheta le champ pour posséder l’argent de plein droit », ibid. f. 28, 2. Aussi, dans les contrats de vente, pour prévenir toute cause de discussion et de litige, avait‑on l’habitude d’insérer la formule suivante : « J’achète cet objet avec tout ce qui est dessus ou dedans ». D’après le droit romain, les trésors découverts par le propriétaire d’un immeuble lui appartenaient en entier : trouvés sur le bien d’un autre, ils devaient être partagés avec le propriétaire. – La morale de cette parabole est bien claire ; le trésor, c’est la foi, l’Évangile, la vérité chrétienne ; quand Dieu daigne nous le faire rencontrer, nous devons aussitôt nous efforcer de l’acquérir au prix des plus grands sacrifices, sans hésiter à nous dépouiller de tout, s’il le faut, pour en faire notre possession privée.

12° Sixième parabole du royaume des cieux : la perle, vv. 45 et 46.

Mt13.45 « le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherchait de belles perles.Un marchand. Cf. v. 24. Le royaume des cieux ressemble moins à ce négociant qu’à l’ensemble de sa conduite, telle qu’elle sera décrite dans les vv. 45 et 46 par le divin Maître. – Qui cherche de bonnes perles : c’est en cela que consiste sa profession ; il est marchand de perles, mais il ne veut que d’excellentes perles. Or, il en existe de qualité commune, inférieure même (voir dans Bochart, Hierozoïcon 2, 4, 5-8, dans Pline, Hist. Nat. 9, 35, et dans Origène, Comm in Matth. h. l.). Pour en avoir de bonnes, il faut donc les chercher, et c’est ce que fait notre marchand. L’idée principale de la sixième parabole, ce qui la distingue de la cinquième, est renfermé par conséquent dans le mot « cherche ». Précédemment, on trouvait sans chercher ; cette fois on ne trouve qu’après de longues et sérieuses recherches.

Mt13.46 Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en alla vendre tout ce qu’il avait, et l’acheta.Une perle de grand prix. Les fatigues du négociant sont enfin récompensées ; il rencontre une perle d’un grand prix qui suffira pour faire sa fortune. « Une » est emphatique ; une seule, mais elle est précieuse. Les anciens attachaient en effet aux belles perles une immense valeur, c’était pour eux, au témoignage de Pline, le plus estimable des bijoux. « Les prix des pierres précieuses sont le principe et le sommet de toutes choses », Hist. Nat. 9, 15. – Il s’en est allé, il s’en retourne promptement dans son pays, car il est allé au loin pour la trouver, vend tous ses biens et revient au plus vite l’acheter. – Conclusion pratique : « Apprenez à apprécier les pierres précieuses, vous les négociants du royaume des cieux », S. August. Serm. 37, 3. L’Évangile est une perle sans pareille que nous devons chercher patiemment, acquérir généreusement cf. Psaume 18, 11 ; 118, 127. « La parole et la vérité évangélique est cachée dans ce monde comme un trésor et tous les biens y sont renfermés. On ne peut l’acheter qu’en vendant tout. On ne peut la trouver qu’en la cherchant avec la même ardeur qu’on cherche un trésor. Car il y a deux choses qui nous sont entièrement nécessaires; le mépris des biens de la vie, et une vigilance exacte et continuelle », S. Jean Chrysost., Hom. 47 in Matth. Le caractère unique de la perle précieuse rappelle, d’après le même Père, que la vérité est une, et qu’il ne saurait y avoir plusieurs fois chrétiennes distinctes les unes des autres.

13° Septième parabole du royaume des cieux : le filet, vv. 47-50.

Mt13.47 « le royaume des cieux est encore semblable à un filet qu’on a jeté dans la mer et qui ramasse des poissons de toutes sortes.Est encore semblable... Un lecteur superficiel pourrait s’imaginer aisément que cette parabole est une répétition pure et simple de la seconde, car il existe entre elles, nous l’avons dit, une certaine analogie. Le filet rempli de poissons bons et mauvais, de même que le champ qui produit l’ivraie à côté du froment, ne nous apprend‑il pas que l’Église de Jésus‑Christ, aussi longtemps qu’elle subsistera sur la terre, sera formée d’un mélange hétérogène de bien et de mal ? Oui sans doute, mais les différences sont plus grandes encore et plus profondes que la ressemblance. Là, Jésus‑Christ avait insisté sur la coexistence actuelle des justes et des impies au sein de son royaume ; ici, il appuie davantage sur leur séparation future. Là, on voyait les méchants semés par l’ennemi dans le champ messianique, et le père de famille ne permettait pas qu’on les en arrachât ; ici, ils sont séparés violemment des bons par l’ordre de Dieu. Là, il s’agissait du développement progressif du royaume des cieux : ici, c’est sa consommation finale qui est surtout représentée. – Un filet. Ce mot, venu du grec dont nous avons fait « seine », désigne un long filet traînant, « vasta sagena », comme l’appelle Manilius. On en porte les bouts au moyen de bateaux, de manière à renfermer un grand espace en pleine mer ou en plein lac, puis on rapproche ces bouts, et alors tout ce qui se trouve renfermé dans l’intérieur est pris. Cf. Trench, Synonymes of the New Testam. §64. Ce symbole convient à merveille dans la parabole, pour dévoiler l’étendue et le caractère envahissant du royaume de Dieu. – Jeté dans la mer. Le lac fournit à son tour une comparaison. La plupart de celles que nous avons entendues jusqu’ici avaient été empruntées aux champs qui s’étalaient en face de Jésus sur le rivage. – Des poissons de toute espèce. Ce dernier mot, « piscium », n’est pas dans le texte grec, mais il est bien dans la pensée, que la Vulgate a rendue plus claire par cette petite addition intelligente. Tout est donc saisi pêle‑mêle dans les plis du filet, les mauvais poissons aussi bien que les bons,

« L’immonde chromis, le merlu le plus vil,

Le calmar portant du poison noir dans un corps blanc comme neige

Le porc, si dur à digérer … » Ovide, Halieuticon

Mt13.48 Lorsqu’il est plein, les pêcheurs le retirent, et, s’asseyant sur le rivage, ils choisissent les bons pour les mettre dans des paniers, et jettent les mauvais.Les pêcheurs le tirent, trait pittoresque, mais qui n’est qu’un ornement du récit, tandis que le trait suivant, et s’étant assis sur le bord du rivage, plus pittoresque encore, a une signification réelle dans la parabole, car il indique le soin et l’attention avec lesquels on va procéder au choix des poissons captifs :

« Je m’assis sur ce gazon; tandis que je fais sécher mes filets, 

et que je m’occupe à ranger, à compter sur l’herbe 

les poissons que le hasard a conduits dans mes filets », Ovide, ibid.

Ils choisissent les bons et les mettent dans des vases. « Les petits vases sont les sièges des saints, et les grands, les secrets de la vie bienheureuse », dit S. Augustin, Serm. 348, 3. – Rejettent les mauvais, en dehors du filet, sur le rivage, comme des objets sans valeur, destinés à périr et à se purifier. Par conséquent, dans l’application, en‑dehors du royaume des cieux et du séjour des élus.

Mt13.49 Il en sera de même à la fin du monde : les anges viendront et sépareront les méchants d’avec les justes, 50 et ils les jetteront dans la fournaise ardente : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents.A la fin du monde cf. v. 4. Jésus explique rapidement cette parabole, qui ne présentait du reste aucune difficulté sérieuse après l’interprétation qu’il avait faite de celle de l’ivraie. Quand l’heure solennelle de la fin du monde sera venue, Dieu examinera très attentivement tout ce que contiendra l’Église représentée par le filet. Ce sera l’œuvre du jugement final. – Les anges… sépareront les méchants... Cf. les vv. 41 et 42, dont nous avons ici une reproduction à peu près littérale. La dernière des paraboles relatives au royaume des cieux nous rappelle d’une manière très vive l’éternité malheureuse ; aussi S. Jean Chrysostome l’appelle‑t-il la parabole effrayante, l. c. De son côté, S. Grégoire le Grand écrivait à propos des mots qui la terminent : « Il faut craindre plutôt qu’expliquer », Hom. 11 in Evang. – Elle prouve contre Luther et Calvin que l’Église actuelle n’est pas exclusivement un «  chœur des prédestinés ».

14° Conclusion des paraboles du royaume des cieux, vv. 51 et 52.

Mt13.51 « Avez-vous compris toutes ces choses ? » Ils lui dirent : « Oui, Seigneur. » – Dans le grec, ce verset commence par les mots « Jésus leur dit », qui manquent dans l’Itala, dans quelques autres versions anciennes, et dans plusieurs manuscrits importants, tout aussi bien que dans la Vulgate. Leur authenticité est très douteuse et ils sont regardés par les meilleures critiques comme une interpolation. – Avez-vous compris : « Toutes ces choses », c’est-à-dire toutes les paraboles relatives au royaume des cieux, spécialement les trois dernières que les disciples, par un privilège spécial, avaient été seuls à entendre. – Ils lui dirent : oui. Sans hésiter, ils répondent affirmativement à la question du Sauveur. Non qu’ils eussent tout saisi dans le détail ; du moins ils avaient pu comprendre la signification générale des paraboles, grâce aux explications que Jésus leur avait données pour les mettre sur la voie des mystères contenus sous l’écorce des comparaisons.

Mt13.52 Et il ajouta : « C’est pourquoi tout Scribe versé dans ce qui regarde le royaume des cieux, ressemble à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. »Il leur dit : c’est pourquoi... « De quelle chose Jésus dit‑il c’est pourquoi, il n’est pas facile de le dire », Maldonat. Il n’y a guère que deux manières de rattacher ce mot aux antécédents : 1° puisque je vous ai montré par mes exemples les différentes manières dont on peut prêcher l’Évangile ; 2° puisque vous avez compris. Cette seconde liaison semble préférable, parce qu’elle n’est pas tirée d’aussi loin que l’autre. Au reste, les exégètes sont d’accord pour dire que la conséquence exprimée par « c’est pourquoi » n’est pas très rigoureuse. « Eh bien. en vérité. » telle serait sa vraie traduction. – Tout scribe. Scribe, non pas dans le sens exclusivement juif de cette expression (Cf. l’explication de 2, 4), mais en général, pour signifier : Tout savant, tout docteur. – Instruit, docte, d’après le grec, est un verbe au participe passé passif, « qui a été instruit, enseigné » ; ce n’est pas un adjectif. – De ce qui regarde le royaume. Cette locution signifie : « Pour le royaume des cieux, en vue du royaume messianique ». Les docteurs qui ont reçu une instruction particulière, en vue de l’enseignement qu’ils auront eux‑mêmes à donner plus tard dans l’Église de Dieu, ne sont autres que les Apôtres et généralement tous les prédicateurs de l’Évangile. Jésus va maintenant leur tracer leurs devoirs sous la forme d’une belle comparaison. – Semblable à un père de famille. Les choses matérielles, les coutumes de la vie de famille, vont encore servir à illustrer les choses spirituelles et surnaturelles. – Qui tire de son trésor. Ici le mot trésor n’a pas le sens spécial qu’il avait au v. 44 : il reprend sa signification primitive et désigne tout lieu où l’on renferme des richesses ou des provisions de divers genre, pour en faire usage quand on en aura besoin. – Des choses nouvelles et des anciennes, des objets de toute espèce et de toute saison, les uns déjà anciens, les autres neufs et frais. Le père de famille que Jésus propose comme un modèle à ses disciples est un économe prudent qui, après avoir soigneusement assemblé des provisions variées, sait les faire servir à propos, selon les besoins et les désirs de ses enfants ou de ses hôtes : il ne donne pas toujours des choses anciennes, il n’en donne pas toujours de nouvelles, mais il mélange habilement les unes et les autres, se conduisant d’après les circonstances. Tel doit être le pasteur des âmes. « Le bon maître, qui a enrichi son esprit des trésors d’une érudition variée, sera toujours prêt, selon les exigences de son enseignement, à mettre la main sur ce qui lui sera nécessaire et à recourir à l’expérience des temps anciens aussi bien qu’à des idées nouvelles : il adaptera à sa doctrine les maximes, les proverbes et les sentences des sages qui ne sont plus, ainsi que les événements de l’histoire ; en même temps, il saisira toutes les actualités ou les objets présents et en tirera d’utiles leçons pour ses disciples », Card. Wiseman, Mélanges religieux, etc…1. Paraboles, p. 22. Il faut donc au prédicateur, à l’apôtre, des connaissances abondantes et variées. Notre‑Seigneur ne pouvait pas démontrer avec plus de vigueur et en moins de mots l’absolue nécessité d’une grande science pour le prêtre. Quelques Pères ont vu dans les choses anciennes et nouvelles dont parle Jésus l’indication de la Loi et de l’Évangile, de l’Ancien et du Nouveau Testament ; mais il vaut mieux conserver aux adjectifs « nouvelles » et « anciennes » leur signification générale. – Nous avons achevé l’explication des Paraboles du royaume des cieux ; mais, avant de passer à un autre sujet, il sera bon de jeter un regard rétrospectif sur ces admirables comparaisons et de montrer leur union harmonieuse, au moyen de quelques idées d’ensemble. Chacune d’elles est relative à l’Église de Jésus considérée dans toute son étendue, c’est-à-dire depuis sa fondation jusqu’à sa consommation à la fin des temps ; mais cette relation n’a pas lieu de la même manière, car elles nous présentent chaque fois le royaume messianique sous un aspect nouveau, sous une des ses faces multiples, de telle sorte que chaque fois aussi, nous recueillons une nouvelle leçon : c’est donc la diversité la plus heureuse dans la plus parfaite unité. Elles nous ont fait assister à la croissance, aux développements du royaume de Dieu sur la terre, depuis sa fondation par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ jusqu’à sa glorieuse transfiguration dans le ciel, la première commençant précisément par la fondation et la dernière nous conduisant à la consommation. Est‑ce à dire cependant, comme on l’a prétendu, qu’elles correspondent toutes, et d’une manière exclusive, à une époque précise de l’histoire ecclésiastique, par exemple, la parabole de la semence au siècle apostolique, celle de l’ivraie à la période des anciennes hérésies, celle du grain de sénevé à l’ère constantinienne, et ainsi de suite ? Bengel, entre autres auteurs, l’affirme catégoriquement : « En marge des propriétés communes et perpétuelles du royaume des cieux ou de l’Église, nous trouvons ces sept paraboles qui possèdent un sens très secret, même dans des périodes et des âges différents de l’Église, de telle sorte que l’une vient en complément de l’autre, chacune commençant là où l’autre finit », Gnomon Novi Testam. in h. l. Mais non! Il y a évidemment dans ce système beaucoup d’exagération et beaucoup d’arbitraire; car, si les paraboles ont prophétisé quelque chose, – et il en est ainsi pour un grand nombre d’entre elles, – c’est l’avenir général de l’Église plutôt que les traits particuliers de son histoire, ce sont les lois universelles qui la régiront dans le cours des siècles et non des périodes isolées, déterminées. C’est ainsi que la parabole du semeur expose les motifs du succès et de l’insuccès que rencontre en général la prédication évangélique lorsqu’elle est annoncée au monde. Celle de l’ivraie décrit les obstacles qui attendent le royaume des cieux lorsqu’il a été constitué nouvellement en quelque endroit et qu’il travaille à son développement intime : elle fait en même temps connaître le véritable auteur de cette opposition hostile et prédit le triomphe définitif de l’Évangile. Les deux paraboles suivantes, le grain de sénevé et le levain, expriment la croissance du royaume messianique sur la terre, d’après le double mode par lequel elle se manifeste : il y a l’énergie extrinsèque figurée par le grain de sénevé, et la force intrinsèque figurée par le levain. Les quatre premières paraboles avaient montré le royaume de Dieu s’offrant au monde et l’envahissant peu à peu ; celles du trésor caché et de la perle précieuse déclarent ensuite quels sont les devoirs des hommes à son égard et la manière dont ils sont obligés de tout abandonner pour se le procurer, quand ils ont eu le bonheur de le découvrir. Enfin, la parabole du filet fait voir comment le bien et le mal, après avoir longtemps existé l’un auprès de l’autre dans le royaume du Christ, seront séparés éternellement par Dieu à la fin des temps. Il règne donc entre nos sept paraboles un enchaînement logique qui ne laisse rien à désirer et grâce auquel elles s’expliquent et se complètent mutuellement. – En arrivant à la fin de ce premier groupe, nous pouvons maintenant apprécier avec connaissance de cause la beauté des paraboles évangéliques, et comprendre avec quelle justesse S. Bernard pouvait porter sur elles le jugement suivant : « La surface vue de l’extérieur est magnifiquement décorée. Et si quelqu’un en brise le noyau, il trouvera à l’intérieur tout ce qu’il y a de plus délectable et de réjouissant ». Il n’y a rien dans le langage humain qui puisse leur être comparé sous le triple point de vue de la simplicité, de la grâce et de la richesse intérieure. Ce sont des modèles accomplis et inimitables, de charmants tableaux dans lesquels l’idée dominante est mise en relief par les contrastes les plus frappants, au moyen des couleurs les plus variées. Mais quelque séduisante que soit leur forme extérieure, les vérités qu’elles renferment sont encore mille fois plus admirables. Ce sont des trésors inépuisables de doctrine, de consolation et d’exhortation ; à chaque méditation nouvelle qu’on leur consacre, on y découvre des splendeurs intimes dont on ne s’était pas encore rendu compte. « Simples pour les simples, elles sont assez profondes pour les plus profonds penseurs ; c’est, comme toute l’Écriture, un cours d’eau qu’un agneau peut passer à gué et dans lequel l’éléphant peut nager à son aise », Lisco, die Parabeln Jesu 2° édit. p. 16.

A une nouvelle série d’attaques, Jésus répond par de nouveaux miracles. 13, 53-16, 12.

Il semble d’abord difficile d’apercevoir le lien qui sert à unir les faits isolés que l’on rencontre dans cette partie du premier Évangile. Mais, en l’étudiant plus attentivement, on ne tarde pas à remarquer qu’il y règne un double courant opposé et, en même temps, dans l’attitude générale du Sauveur, la transformation progressive que nous avons eu déjà l’occasion de signaler. Ce double courant consiste d’une part dans l’incrédulité universelle qui gagne constamment du terrain autour de Jésus ; de l’autre dans la bonté infatigable du divin Maître, qui répond par des bienfaits insignes à l’ingratitude et aux procédés injurieux de la plupart de ses concitoyens. La foi en son rôle messianique, si vive aux premiers jours, amoindrie peu à peu, continue à décroître notablement. Nous avons ici de frappants exemples de ce triste état de choses dans la conduite des habitants de Nazareth et des autorités juives à son égard. Mais Jésus ne se lasse pas de faire le bien, et nous le verrons deux fois de suite procurer une nourriture miraculeuse à des foules considérables. Néanmoins, il se retire discrètement à mesure qu’on se retire de lui. Si la première période de sa Vie publique, l’année heureuse, avait été marquée par des courses apostoliques presque perpétuelles, celle‑ci l’est par d’autres voyages non moins fréquents, mais dont le motif est bien différent, car ils avaient pour but de conduire Notre‑Seigneur loin des ingrats qui ne veulent plus de lui ou des persécuteurs qui l’attaquent sans ménagement. 

1° Jésus vient à Nazareth où il est une occasion de scandale pour ses compatriotes. 13, 53-58. Parall. Marc. 6, 1-6.

Mt13.53 Après que Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là. 54 Étant venu dans sa patrie, il enseignait dans la synagogue, de sorte que, saisis d’étonnement, ils disaient : « D’où viennent à celui-ci cette sagesse et ces miracles ? – Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles..., c’est-à-dire aussitôt après l’intéressante journée qui a rempli la plus grande partie des chapitres 12 et 13. – Il partit de là. Il quitta pour un temps les bords du lac de Tibériade, où avaient eu lieu plusieurs des scènes racontées plus haut. Cf. vv. 1 et 2. – Et étant venu dans son pays. La patrie proprement dite du Sauveur était Bethléem ; mais ce n’est certainement pas la cité de David que l’Évangéliste veut désigner en cet endroit, puisqu’il n’est question nulle part d’une visite faite par Jésus au lieu de sa naissance, et que d’ailleurs S. Matthieu ne s’occupe, durant toute la Vie publique, que du séjour de Notre‑Seigneur en Galilée. Il s’agit donc ici d’une patrie adoptive, et telle était Nazareth, où il avait été élevé, Luc. 4, 16 cf. Matth. 2, 23. – Il les instruisait. Les auditeurs sont vaguement indiqués par l’expression, ainsi qu’il arrive fréquemment dans le premier Évangile, (Cf. la note de 4, 23) ; mais ils sont très nettement déterminés par le contexte. – Dans leurs synagogues ; mieux, d’après le texte grec, dans la synagogue au singulier ; la variante semble être une corruption du texte, car Nazareth était une ville bien peu considérable pour avoir plusieurs synagogues. – Ce voyage du Sauveur à Nazareth est l’objet d’une vive controverse. En effet, tandis que les deux premiers synoptiques le racontent à peu près dans les mêmes termes et le placent vers la même période du ministère public de Jésus, S. Luc lui attribue une date beaucoup moins tardive, Cf. 4, 16-30, et ajoute à sa narration des détails très particuliers, bien que le fond présente dans les trois rédactions des caractères de ressemblance. Ces divergences soulèvent une grosse difficulté d’harmonie évangélique. Sommes‑nous en face d’un fait unique ou de deux événements distincts ? – Les exégètes se partagent sur ce point en deux groupes à peu près égaux, les uns identifiant les deux épisodes, les autres les séparant au contraire. Voici les principales raisons alléguées de part et d’autre. Il n’est pas croyable, disent les partisans de la fusion des deux visites en une seule, que Jésus soit revenu à Nazareth après avoir reçu de ses compatriotes la réception odieuse que nous lisons dans S. Luc. En outre, si Notre‑Seigneur vint deux fois dans sa patrie, n’est‑il pas bien étonnant qu’il ait été traité de la même manière à chacun des séjours qu’il y fit, qu’on lui ait adressé les mêmes paroles, Cf. Luc. 4, 22, qu’il ait cité le même proverbe, Cf. Luc. 4, 24, qu’il ait été empêché de manifester sa puissance miraculeuse, Cf. Luc. 4, 23 ? Il n’y eut donc qu’une seule visite, qui a été rapportée dans tous ses détails par S. Luc, seulement esquissée par les deux autres synoptiques. Tel est l’avis de S. Augustin, de Sylveira, de Maldonat, de J. P Lange, d’Olshausen, etc. Ceux qui croient devoir distinguer les deux épisodes, et parmi eux nous pouvons citer Patrizzi, Curci, Schegg, Wieseler, Tischendorf, Arnoldi, Bisping, etc., répondent : 1° qu’il s’était écoulé un temps suffisant entre le premier et le second séjour pour donner à la passion le temps de se calmer, de sorte que Jésus pouvait venir maintenant à Nazareth sans aucun danger sérieux ; 2° que s’il existe entre les deux visites des ressemblances frappantes, favorables à l’identité, il règne aussi entre elles des différences plus notables encore qui exigent la séparation des faits. Nous devons avouer que la question est délicate, et qu’il est bien difficile de se prononcer entre deux opinions qui paraissent également raisonnables, également appuyées. Si les événements sont distincts, pourquoi les Évangélistes qui racontent le second ne disent‑ils pas un seul mot du premier ? Pourquoi S. Luc, qui expose le premier, demeure‑t-il entièrement muet sur le second ? Mais, d’un autre côté, s’ils sont identiques, comment se fait‑il que les écrivains sacrés leur aient attribué des dates si diverses ? Néanmoins, tout bien considéré, les divergences qui règnent entre les récits nous semblent plus frappantes que les ressemblances ; voilà pourquoi nous nous décidons à soutenir la non‑identité des séjours. – Ils étaient dans l’admiration, ils étaient vivement frappés, hors d’eux‑mêmes. Les merveilles que les habitants de Nazareth contemplaient en Jésus auraient été, pour des esprits bien disposés, un secours très efficace, qui les eût portés à reconnaître la divinité de sa mission ; elles ne pouvaient servir qu’à aveugler des âmes étroites, remplies de préjugés vulgaires. – D’où viennent cette sagesse… La sagesse, surtout une telle sagesse. – Et ces miracles : le don d’opérer de nombreux et d’éclatants miracles. Tout cela en un homme qui leur paraît si commun. Comment concilier les œuvres et la personne de celui qui les produit ? D’autre part les œuvres sont palpables, on ne saurait en nier la réalité. Donc, « d’où » ? voilà le problème à résoudre pour ces sceptiques.

Mt13.55 N’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères Jacques, Joseph, Simon et Jude ?N’est‑ce pas là... Celui‑ci. terme dédaigneux qu’ils emploient trois fois de suite dans trois versets. Ils développent ici la raison principale de leur incrédulité à l’égard de Jésus. Comment est‑il possible, veulent‑ils dire, qu’un homme d’une si humble origine, dont les parents, si bien connus de nous, n’ont rien que de très‑ordinaire, qu’un homme qui n’a reçu aucune instruction spéciale, qui a vécu si longtemps parmi nous comme un pauvre artisan, manifeste tout-à-coup tant de sagesse, tant de puissance ? – Le fils du charpentier. Par l’appellation également méprisante de « charpentier », ils désignaient S. Joseph, qu’ils croyaient être le vrai père de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Ce mot est assez vague et peut signifier tout ensemble « artisan forgeron » et « artisan menuisier ». Bien que plusieurs Pères, en particulier S. Ambroise et S. Hilaire, aient adopté le premier sens, il est plus conforme à la tradition de faire du Père adoptif du Sauveur un ouvrier qui travaillait le bois. On croit généralement qu’il était charpentier. S. Justin et un Évangile apocryphe, Cf. Thilo. Cod. apocr. 1, 368, supposent qu’il fabriquait des jougs et des charrues. L’opinion commune est qu’il était mort depuis quelques années et qu’il n’avait pas assisté au début de la Vie publique de Jésus. – Sa mère ne s’appelle‑t-elle pas Marie ; qui se rapproche de la forme hébraïque « Miriam ». Cf. 1, 18. – Et ses frères… Les habitants incrédules de Nazareth nous fournissent du moins de précieux renseignements sur la parenté de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ selon la chair. Mais ils nous obligent en même temps d’étudier un point compliqué, difficile, dont, à deux reprises déjà (Cf. notes de 1, 25 et de 12, 46), nous avons renvoyé l’examen, et qui est depuis des siècles l’objet d’une lutte ardente entre les catholiques et les hérétiques. Il s’agit de déterminer le degré de parenté qui unissait Jésus à ceux que le Nouveau Testament appelle assez fréquemment « ses frères ». On a écrit de longs et de nombreux ouvrages à ce sujet. Naturellement, nous devons nous borner à un simple aperçu du problème ; nous nous efforcerons cependant, autant que la nature et l’étendue d’une note le permettront, d’être complet en même temps que concis, et de n’omettre aucun argument important. C’est en effet l’honneur virginal de Marie qui est mis en question, et nous voudrions pouvoir le défendre de toutes nos forces. Voici d’abord deux points hors de contexte pour tout vrai catholique : 1° C’est un dogme de foi que Marie est demeurée vierge, non seulement avant et pendant, mais encore après la naissance du Sauveur. Voir la Théologie au traité de l’Incarnation. 2° Ce dogme s’appuie sur une tradition constante et universelle : s’il fut parfois attaqué ; il trouva immédiatement de vigoureux défenseurs. « Il y en a qui ont nié que la Sainte Vierge ait persévéré dans sa virginité. Nous ne pouvons pas laisser passer cela comme un sacrilège non condamné », St Ambroise de Instit. Virg. c. 5, 35. La question est donc toute résolue pour nous du côté de l’autorité. Il nous reste à voir comment la tradition et le dogme catholique peuvent se concilier avec l’Écriture‑Sainte, ou plutôt comment ils s’appuient sur le témoignage des saints Livres. – L’expression « frères de Jésus » revient neuf fois dans l’Évangile : Matth. 12, 46 ; Marc. 3, 31 ; Luc. 8, 19 ; Matth. 13, 55 ; Marc. 6, 3 ; Jean 2, 12 ; Jean 7, 3, 5, 10. Les principaux endroits où on la rencontre en dehors de la narration évangélique sont : Actes des Apôtres 1, 14 ; 1 Corinthiens 9, 5 ; Galat. 1, 19. Divers hérétiques, notamment les Ébionites, les Antidicomarianistes, les partisans du fameux Helvidius, la plupart des protestants contemporains, admettent que, partout où elle se trouve, elle doit être prise dans le sens strict pour désigner des frères réels, ou plus exactement des demi‑frères de Jésus, issus après sa naissance des relations conjugales de Joseph et de Marie. Au contraire, d’après la doctrine orthodoxe, le titre « frères de Jésus » ne doit jamais s’entendre à la lettre parce qu’il ne désigne nullement des enfants nés de Marie, la mère bénie du Sauveur. Les exégètes catholiques sont unanimes là-dessus, et c’est en effet le point capital. Ils ne diffèrent entre eux que sur le mode et le degré de parenté qui existait entre « les frères de Jésus » et Marie, ou son divin Fils ; en d’autres termes , sur la signification exacte qu’il faut donner ici au mot « Frères ». On peut ramener à trois les opinions qui se sont formées à ce sujet dès la plus haute antiquité. – a. Les frères et les sœurs de Jésus seraient le fruit d’un mariage de lévirat conclu, d’après la loi juive, entre S. Joseph et la femme de Cléophas, frère de S. Joseph, était mort sans enfants : Joseph avait alors épousé sa veuve dont il eut six enfants, (quatre fils, Jacques, Joseph, Simon, Jude, et deux filles) qui, conformément aux prescriptions légales, Cf. Deutéronome 25, 6, portaient le nom de Cléophas, comme s’ils fussent nés véritablement de lui. Tout cela aurait eu lieu, bien entendu, avant le mariage de S. Joseph avec la Sainte Vierge. Théophylacte dans les temps anciens, Tholuck, se sont déclarés favorables à ce sentiment. Mais ce n’est là qu’une série de conjectures sans fondement sérieux, qui semblent avoir été inventées tout exprès pour résoudre un problème difficile. – b. « Quelques auteurs, dit Origène, s’appuyant sur le soi‑disant Évangile de Pierre et sur le livre de Jacques, prétendent que les frères de Jésus sont des fils que Joseph aurait eus d’une première femme avec laquelle il aurait été marié avant d’épouser Marie ». Plusieurs écrits apocryphes mentionnent en effet cette tradition, en particulier l’Évangile de la Nativité de Marie, l’Évangile de l’Enfance du Sauveur, l’histoire de Joseph le charpentier, Cf. Tischendorf, Evang. apocr. p.10 et ss. ; divers Pères de l’Église, par exemple S. Épiphane, S. Grégoire de Nysse et S.Hilaire, l’ont aussi formellement admise. Mais S. Jérôme la juge très sévèrement :« Il y en a qui imaginent que les frères de Jésus sont les fils d’une autre femme de Joseph, se laissant entraîner par les délires des apocryphes », Comm. in Matth. 12, 49. Une telle origine est en effet une base bien fragile. – c. D’après le sentiment commun des catholiques et de plusieurs exégètes protestants, les frères de Jésus étaient simplement les fils de Cléophas et de Marie, sœur de la très‑sainte Vierge. « Pour nous, comme nous l’avons dit dans le livre écrit contre Helvidium, les frères de Jésus ne sont pas les fils de Joseph, mais des cousins germains du Sauveur. Nous pensons que les fils de Marie sont les fils d’une tante de Jésus qui se trouve être la mère de Jacques le mineur, de Joseph et de Jude » St Jérôme, l. c. Ainsi pensent Hégésippe, Papias, Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, Théodoret, S. Isidore, S. Augustin, parmi les Pères, la plupart des commentateurs du Moyen‑Age et des temps modernes, et telle est en effet l’opinion la plus sérieuse et la plus conforme à la narration évangélique, comme nous allons essayer de le démontrer. – 1°. Le substantif « frère » dans les langues orientales et spécialement dans l’hébreu, a une signification très étendue : les plus doctes hébraïsants l’affirment sans hésiter. « Le nom de frère avait, chez les Juifs, un sens large. On l’entend de plusieurs façons, tantôt comme un parent, tantôt comme un cousin », Gesenius, Thesaurus ling. hebr. et chald. Il est à ce sujet des passages de la Bible qui sont devenus classiques cf. Genèse 13, 8 ; 14, 16 ; 24, 48 ; 29, 12 ; 2 Samuel 10, 13. Les Septante, en les traduisant, ont reproduit littéralement l’hébreu. Il n’était donc pas contraire à l’usage grec de désigner par « frère » d’autres parents que les frères proprement dits. Par conséquent, saint Matthieu a pu employer ce substantif pour indiquer les cousins de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. – 2° Au pied de la croix du Sauveur, entre Marie Madeleine et Salomé, nous voyons d’une part, d’après S. Matthieu, 17, 56 et suiv. et S. Marc. 15, 40 cf. 16, 1, Marie, mère de Jacques et de Joseph ; de l’autre, d’après S. Jean, 19, 25, la Mère de Jésus et sa sœur, Marie « de Cléophas ». En combinant les deux récits, il devient évident que Marie, mère de Jacques et de Jean, mentionnée par les synoptiques, doit être confondue ou avec la très‑sainte Vierge, ou avec sa sœur Marie, épouse de Cléophas. La première hypothèse tombe d’elle‑même, car on ne saurait jamais expliquer pourquoi S. Matthieu et S. Marc auraient désigné la mère de Notre‑Seigneur, dans un pareille circonstance, par le nom de deux de ses autres fils. Conséquemment, la seconde hypothèse reste vraie, et Marie, sœur de la Sainte Vierge, épouse de Cléophas, ne diffère pas de la mère de S. Jacques et de Joseph. Ainsi donc, d’après les Évangiles, la Mère de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ a une sœur (ou peut-être une belle‑sœur, comme nous le dirons plus bas) qui porte également le nom de Marie, et qui a deux fils, Jacques, ou Jacques le Mineur, Cf. Marc. 15, 40 ; Luc. 24, 10, et Joseph. D’un autre côté, l’un des Apôtres se nomme Jacques, fils d’Alphée ou de Cléophas. Ce même Apôtre est appelé par S. Paul « frère du Seigneur », Galates 1, 19 ; il a un frère nommé Jude, Luc. 6, 16 ; Actes des Apôtres 1, 13, qui se dit, lui aussi, frère de Jésus, Jud. 1, 1. Évidemment, ce Jacques, ce Joseph, et ce Jude sont fils de Cléophas et de Marie, sœur de la sainte Vierge, par conséquent, « cousins » de Notre‑Seigneur. Quant à Simon, il n’apparaît pas en‑dehors de ce passage. Heureusement, la tradition nous fournit à son sujet des données très importantes pour le point qui nous occupe. Hégésippe qui, vers l’an 140 de l’ère chrétienne, consigna fidèlement en cinq livres l’histoire des choses mémorables qui avaient eu lieu dans l’église de Jérusalem depuis son origine, raconte, à propos de l’élection de Simon, successeur de S. Jacques sur le siège épiscopal de la ville sainte, qu’on choisît de préférence cet autre fils de Cléophas, parce qu’il était pareillement cousin du Sauveur. Puis il ajoute : « Cléophas était le frère de Joseph ». Cf. Valroger, Introd. au Nouv. Testam. 2, p. 347. Nous avons ici la confirmation parfaite des résultats obtenus à l’aide des écrits inspirés. Simon est frère de saint Jacques‑le‑Mineur ; il l’est donc aussi de Joseph et de Jude, et les quatre fils de Cléophas sont simplement cousins de Jésus‑Christ. Hégésippe nous fait connaître de plus à quel titre ils le sont : c’est parce que leur père est frère de S. Joseph. Il suit de là qu’ils n’étaient pas même des cousins proprement dits, mais de simples cousins germains légaux et putatifs du Sauveur, puisque S. Joseph, leur oncle, n’était lui‑même que le père légal et putatif de Jésus. Il suit encore de là que Marie, leur mère, n’était probablement pas la vraie sœur, mais seulement la belle‑sœur de la Sainte Vierge. – 3° Sans doute, les « frères de Jésus » sont mentionnés d’une manière assez régulière à côté de sa Mère soit dans les Évangiles, soit dans les Actes de Apôtres cf. Matth. 12, 46 ; Marc. 3, 31 ; Luc. 8, 19 : Jean 2, 12 ; Actes des Apôtres 1, et cette circonstance ne laisse pas que d’être assez remarquable ; mais il est plus étonnant encore qu’ils n’aient jamais été appelés les fils de Marie, mère du Christ. Ce rapprochement s’explique du reste par les relations étroites qui existaient entre les deux familles. La plupart des commentateurs admettent en effet qu’après la mort de saint Joseph, arrivée selon toute vraisemblance avant la Vie publique du Sauveur, Marie se retira avec son divin Fils chez son beau‑frère Cléophas, de telle sorte que les familles furent fondues en une seule ; Jésus fut alors regardé comme le frère des enfants de Cléophas. Selon d’autres, c’est Cléophas qui serait mort le premier, et S. Joseph aurait reçu chez lui la veuve et les enfants de son frère. Nous avons connu plusieurs familles dans lesquelles, par suite d’adoptions semblables, des cousins se traitaient entre eux, et étaient traités par tout le monde, de frères et de sœurs. – 4° Enfin, si, comme le prétendent nos adversaires, Marie a eu d’autres enfants que Jésus, comment s’expliquer la conduite de Notre‑Seigneur sur la croix, au moment de son dernier soupir ? N’est‑ce pas à S. Jean qu’il la confia ? Et pourtant deux membres du collège apostolique étaient « ses frères » : c’est donc qu’ils ne l’étaient pas dans le sens strict, autrement leur aurait‑il enlevé le privilège et le droit de prendre soin de leur mère ? – Concluons de toutes ces preuves que Jésus n’eut aucun frère proprement dit, selon la chair, mais seulement des parents plus ou moins rapprochés qui appartenaient à la famille de S. Joseph ou de la très sainte Vierge, ou de l’un et de l’autre en même temps.

Mt13.56 Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui viennent donc toutes ces choses ? »Et ses sœurs. « Sœur » a ici tout à fait le même sens que « frère » au verset précédent. D’anciennes traditions donnent deux cousines seulement à Notre‑Seigneur, et les nomment tantôt Assia et Lydia, tantôt Marie et Salomé ; cependant l’expression toutes semble indiquer qu’elles étaient en nombre plus considérable. – D’où lui viennent… Après ce raisonnement singulier, les habitants de Nazareth croient pouvoir répéter avec plus de force leur question du v. 54. Comme si la sagesse et les miracles avaient quelque chose de commun avec la naissance et la parenté. Ces incrédules avaient bien oublié l’histoire juive.

Mt13.57 Et il était pour eux une pierre d’achoppement. Mais Jésus leur dit : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison. »Et ils étaient choqués. Quelques auteurs ont conclu de cette locution que les compatriotes de Notre‑Seigneur allèrent jusqu’à attribuer à Satan, ainsi que l’avaient déjà fait les Pharisiens, les dons surnaturels qui brillaient en lui ; mais le texte ne suppose rien de semblable. Nous y lisons simplement que l’humble origine de Jésus fut pour les habitants de Nazareth une occasion de ruine spirituelle, une pierre contre laquelle ils vinrent se heurter, pour leur malheur, sur le chemin du salut. Mais leur chute n’était‑elle pas bien volontaire ? – Un prophète n’est méprisé… Il existe dans toutes les littératures des proverbes populaires de ce genre, ainsi qu’on peut le voir dans l’ouvrage de Wetstein, Hor. talm. in Evang. Nous nous contenterons d’en citer quelques‑uns. « Ce qui appartient à la maison est sans valeur », Sénèque, de Benef. 3, 3. « Il était méprisé par les siens, comme la plupart des choses domestiques », Protogène. Cf. Pline, Hist. Nat. 35, 36. S. Jérôme explique ce fait par les rivalités jalouses qu’on rencontre si fréquemment dans les petites localités : « C’est une chose naturelle de voir les citoyens envier d’autres citoyens ; ils ne regardent pas les œuvres actuelles de l’homme fait, mais ils se souviennent de la fragilité de l’enfance, comme s’ils n’étaient pas parvenus eux aussi à l’âge adulte par les mêmes étapes », Comm. in h. l. « Les hommes ont coutume, dit Théophylacte, de mépriser les choses familières, de porter aux nues les étrangères, de les admirer et de les vanter ». C’est ainsi que les prophètes juifs avaient été admirablement bien reçus par les étrangers, tandis que les mauvais traitements leur étaient prodigués dans leur propre pays.

Mt13.58 Et il ne fit pas beaucoup de miracles dans ce lieu, à cause de leur incrédulité. – Les habitants de Nazareth ont cru punir le Sauveur ; ce sont eux au contraire qui sont châtiés. – Il ne fit pas beaucoup de miracles. Jésus se contenta, raconte S. Marc, 6, 5, de guérir quelques malades en leur imposant les mains. – A cause de leur incrédulité. Pourquoi eût‑il déployé selon sa coutume sa toute‑puissance merveilleuse ? C’eût été peine perdue, vu les dispositions de ses compatriotes. Celui qui exigeait constamment la foi avant de procéder à quelque miracle, cache ou diminue l’éclat de ses prodiges quand il n’a devant lui que des incrédules. N’a‑t-il pas dit qu’il ne faut pas donner à la légère les choses saintes aux indignes ?

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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