Chapitre 14
Mt14, 1-2. Parall. Marc. 6, 14-16 ; Luc. 9, 7-9.
Mt14.1 En ce temps-là, Hérode le Tétrarque apprit la renommée de Jésus. – En ce temps‑là. Cette vague formule semble indiquer, d’après S. Marc, 6, 6 ss. et 30, la période durant laquelle les Apôtres prêchaient deux à deux en Galilée, tandis que Jésus lui‑même exerçait le ministère pastoral à travers les bourgades et les cités cf. 11, 1. – Hérode le tétrarque apprit. – Le tétrarque Hérode, nommé aussi Hérode Antipas, était fils d’Hérode‑le‑Grand et de la Samaritaine Malthace. Cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 17, 1-3. Son père, après lui avoir destiné primitivement la partie principale de son héritage, c’est-à-dire la Judée, la Samarie et l’Idumée, se borna ensuite à lui léguer la Galilée et la Pérée. Le titre de tétrarque qu’il portait était alors très usité. Employé d’abord d’une manière conforme à l’étymologie pour désigner des chefs qui gouvernaient le quart d’un pays, Cf. Strabon, 14, il était à peu près indifféremment appliqué, sous l’empire romain, aux princes tributaires qui n’avaient pas une importance suffisante pour être appelés rois. – Ce qui se disait de Jésus. Il semble tout d’abord extraordinaire qu’Hérode Antipas n’ait entendu parler de Jésus qu’à une époque si tardive. Il n’y a pourtant là rien que de très naturel, si l’on se rappelle quelques circonstances de lieu, de temps et de personnes. Notre‑Seigneur avait passé en Judée une partie notable de la première année de son ministère public, ne faisant alors en Galilée, où vivait Hérode, que de courtes apparitions ; son ministère dans cette dernière province n’avait commencé à proprement parler qu’après l’incarcération du Précurseur. Cf. 4, 12. Du reste, les fêtes de la cour et les soucis de la politique ne laissaient guère au tétrarque ambitieux, efféminé, le temps de s’occuper de miracles et de choses religieuses. Il avait pu entendre mentionner en passant le nom et les actes de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, mais il n’avait trouvé là rien qui fût digne de l’attention d’un prince. « Les oreilles et les cours des rois résonnent de toutes les nouveautés. Mais c’est à peine si leur parviennent les choses spirituelles répandues partout », Bengel. Aujourd’hui cependant, la renommée du Sauveur est si grande qu’elle s’impose même à Hérode ; et puis, maintenant que le tétrarque est agité par le remords, sa conscience est plus impressionnable et il est frappé de ce qu’il entend raconter au sujet de Jésus. Cf. S. Jean Chrysost. Hom. in Matth. Il n’est donc pas nécessaire de recourir avec Baronius et Grotius, pour expliquer cette ignorance d’Hérode, à des « alibis » qui sont en contradiction avec l’histoire ; car le tétrarque était bien alors dans ses États et nullement à Rome, ou en guerre avec Arétas.
Mt14.2 Et il dit à ses serviteurs : « C’est Jean-Baptiste. Il est ressuscité des morts : voilà pourquoi des miracles s’opèrent par lui. » – A ses serviteurs, c’est-à-dire d’après la coutume orientale, à ses courtisans et à ses ministres. Cf. 1 Macc. 1, 8, où les généraux et les autres officiers supérieurs d’Alexandre‑le‑Grand sont appelés ses serviteurs. Selon la rédaction de S. Luc, les courtisans auraient suggéré les premiers l’avis que nous allons entendre ; mais la conciliation des deux récits est aisée. Hérode, frappé de cette réflexion, l’adopte et la répète comme une idée personnelle. – C’est. Jésus, dont on venait de lui apprendre les œuvres éclatantes. – Lui. Jean‑Baptiste, que le tétrarque avait fait mourir quelque temps auparavant. – Ressuscité d’entre les morts. Les frayeurs auxquelles Hérode est en proie depuis cette action cruelle lui représentent la résurrection du Précurseur comme un fait d’autant plus vraisemblable qu’il était plus fâcheux pour lui. – Et c’est pour cela : Parce que ce n’est pas un homme ordinaire, mais un ressuscité. Bien que S. Jean‑Baptiste n’eût fait aucun miracle de son vivant, Cf. Jean 10, 41, il semblait juste et naturel que, rendu à la vie et doué des privilèges d’un autre monde, il pût opérer désormais les prodiges les plus remarquables. – Des miracles désigne encore en cet endroit, Cf. 13, 54, la puissance miraculeuse. « Le pouvoir de faire des miracles est actif en lui ». Divers auteurs (Grotius, Gratz, etc.) ont vu dans cette croyance d’Hérode des traces de métempsychose ; elle n’en contient pourtant aucune. Le tétrarque ne prétend pas que l’âme de Jean‑Baptiste anime maintenant un nouveau corps ; il se contente d’affirmer que le Précurseur est ressuscité, ce qui est bien différent.
Mt14, 3-12. Parall. Marc. 6, 17-29.
Mt14.3 Car Hérode ayant fait arrêter Jean, l’avait chargé de chaînes et jeté en prison, à cause d’Hérodiade, femme de son frère Philippe, – La particule car est explicative. L’évangéliste se propose en effet d’indiquer le motif pour lequel Hérode avait si facilement admis la croyance superstitieuse mentionnée au v. 2. – ayant fait arrêter Jean, décrit des événements de beaucoup antérieurs à l’opinion qu’Hérode s’était formée relativement à Jésus. – l’avait chargé de chaînes… S. Matthieu avait touché deux fois déjà dans sa narration, mais d’une manière très rapide, à l’emprisonnement du Précurseur, Cf. 4, 12 ; 11, 2 : il se réservait d’en parler dans un cadre approprié au moment où il ferait l’histoire du martyre de S. Jean. C’est peu de temps après la scène intéressante d’Ennon, dont le souvenir a été conservé par le quatrième Évangile, Cf. Jean 3, 22 et ss., et tandis qu’il se trouvait dans la province de Pérée, sur le territoire d’Antipas, que Jean‑Baptiste avait été arrêté par le tétrarque voluptueux. L’historien Josèphe place sa prison à Machérus ou Machéronte, citadelle colossale bâtie par Alexandre Jannée dans une des vallées les plus sauvages du N.-E. de la mer Morte. Cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 18, 5. 2. – Les mots A cause d’Hérodiade… contiennent le motif de cette incarcération injuste et sacrilège. Hérodiade, la Cléopâtre juive, était fille d’Aristobule et petit‑fille d’Hérode‑le‑Grand. Par son aïeule Mariamne, elle appartenait à l’illustre famille des Hasmonéens ; mais son caractère était tout à fait celui des Hérodes, car elle était comme eux ambitieuse, violente, passionnée. Jeune encore, on l’avait mariée à Hérode‑Philippe, frère de son père et d’Antipas : de là le titre que lui donne S. Matthieu, femme de son frère. Ce Philippe, qu’il ne faut pas confondre avec le tétrarque du même nom, Cf. Luc. 3, 1, également fils d’Hérode‑le‑Grand et frère d’Antipas, avait été déshérité par son père et vivait à Rome en simple particulier. Cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 17, 1, 2. La situation inférieure de son mari ne laissait aucun repos à Hérodiade. Aussi, quand son oncle Hérode Antipas, venu à Rome pour des affaires d’État, lui eut fait l’aveu de l’ardente et criminelle passion qu’il avait conçue pour elle, elle n’hésita pas un seul instant à accepter la proposition qu’il lui fit de l’épouser et de partager avec elle son trône à Tibériade. Il fut seulement convenu entre eux que le tétrarque répudierait aussitôt sa femme légitime, fille du roi de Pétra, Arétas. Celle‑ci, avertie à temps, alla se réfugier chez son père, qui ne tarda pas à se venger, par une guerre désastreuse pour Hérode, de l’outrage fait à sa famille. En attendant, le honteux mariage s’accomplit en Galilée, au grand scandale de tout le peuple.
Mt14.4 parce que Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de l’avoir pour femme. »– Jean lui disait. Le Précurseur ne tarda pas à se faire l’écho de l’indignation publique qu’il partageait si vivement. Il dit en face, ou du moins il fit dire en son nom au tétrarque : Il ne t’es pas permis… L’union d’Hérode et d’Hérodiade était en effet criminelle à plusieurs points de vue. C’était d’abord un double adultère, puisqu’ils avaient auparavant contracté l’un et l’autre un mariage légitime et que leurs conjoints vivaient encore. C’était en outre un inceste formel, attendu qu’Hérodiade était non seulement la nièce, mais surtout la belle‑sœur d’Antipas, et qu’une alliance conjugale était expressément interdite par la loi dans ces conditions cf. Levit. 18, 16 ; 20, 21. Il n’y avait d’exception que pour le cas bien connu du lévirat, Deutéronome 25, 5. S. Jean‑Baptiste joue dans cette circonstance un rôle admirable, en rapport parfait avec sa sainteté et son courage. « Jean n’atténuait pas la force des vérités amères par des paroles conciliantes. Il n’y a pas que ses habits qui n’étaient pas mous; ses paroles non plus », Bengel, Gnomon, h. l. Plus d’une fois, dans des cas analogues, les souverains Pontifes et les évêques n’ont pas craint de dire à leur tour aux grands de la terre : « Il ne t’est pas permis de l’avoir ». – Josèphe, Antiquités Judaïques, 28, 5, 2, allègue une autre raison de l’emprisonnement de S. Jean‑Baptiste. Hérode, dit‑il, aurait craint que ce saint personnage n’usât de sa grande influence sur les Juifs pour les pousser à la révolte contre un gouvernement qui était loin de leur plaire. Ces deux motifs peuvent avoir agi de concert sur l’esprit du tétrarque : ils ne s’excluent donc pas l’un l’autre. Mais on s’accorde à donner sous tout rapport la préférence au récit de l’Évangile. C’est donc pour avoir osé protester contre l’énormité d’une telle alliance que le Baptiste fut enchaîné.
Mt14.5 Volontiers il l’eût fait mourir, mais il craignait le peuple, qui regardait Jean comme un prophète. – S. Marc raconte les choses différemment et, ce semble, avec plus d’exactitude. D’après lui, c’est Hérodiade surtout qui nourrissait contre le nouvel Élie les projets homicides de Jézabel contre l’ancien : mais Hérode avait encore assez d’énergie pour entraver les desseins de cette femme, car, ajoute l’Évangéliste, il craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il suivait ses conseils pour beaucoup de choses et il l’écoutait volontiers. Marc. 6, 49. 20. Ces détails, contradictoires en apparence, coïncident cependant fort bien : ils dépeignent au vif la lutte qui se passait dans le cœur du tétrarque. L’âme faible et mobile d’Antipas était un composé d’idées contraires, tour à tour prédominantes selon que régnait la bonne ou la mauvaise influence. Parfois donc il voulait sauver son prisonnier qu’il estimait, qu’il consultait même dans les affaires difficiles : d’autres fois, excité contre lui par Hérodiade, il formait la résolution de le mettre à mort ; mais sur le point d’exécuter son décret, il s’arrêtait tout à coup pour un motif politique. – Il craignit le peuple ; il redoutait une sédition de la part du peuple, qui, dévoué au Précurseur, aurait pu faire payer cher au tyran la mort de celui que tous regardaient comme un grand prophète. Quand on est ainsi ballotté entre le bien et le mal et qu’on est faible comme Hérode, ce n’est jamais le bien qui triomphe : la suite des faits ne le montre que trop.
Mt14.6 Or, comme on célébrait le jour de naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa devant les convives et plut à Hérode, – Le jour de la naissance. Divers auteurs ont cru que le mot naissance désignait dans l’antiquité l’anniversaire du couronnement ou la prise de possession d’un prince (Heinsius, Paulus, etc.). Cette signification est contraire à l’usage classique. Il s’agit, comme on le pense généralement, de l’anniversaire de la naissance. Dès les temps les plus reculés, on avait coutume de fêter solennellement ce jour‑là, Cf. Jérémie 40, 2 et ss., par toutes sortes de réjouissances, et en particulier par un grand festin auquel on conviait ses amis et ses proches. Aussi trouvons‑nous tous les officiers royaux et les principaux personnages de la Galilée à la table du tétrarque, d’après le second Évangile. Cf. Marc. 6, 21. – La fille d’Hérodiade dansa. En Orient, la danse est souvent unie aux repas, comme chez nous la musique, pour leur donner plus d’intérêt et de solennité ; mais au lieu des danseuses à gages, c’est la fille même d’Hérodiade qui vient exécuter dans la circonstance présente, au milieu de la salle du festin et devant tous les convives, une de ces pantomimes singulières dont se compose la chorégraphie orientale. Elle se nommait Salomé, Cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 18, 5, 4 : Hérodiade l’avait eue de son mariage légitime avec Hérode‑Philippe. Elle épousa plus tard son oncle le tétrarque d’Iturée, puis en secondes noces son cousin Aristobule, roi de Chalcis. D’après l’historien Nicéphore, Hist. lib. 1. c. 20, sa mort aurait été marquée au sceau des vengeances divines. Comme elle marchait en hiver sur un étang gelé, elle enfonça tout à coup dans l’eau jusqu’aux épaules ; la glace s’étant alors resserrée lui trancha la tête. Il est probable que la danse qui lui gagna si complètement les bonnes grâces d’Antipas était digne, par son caractère voluptueux, du monarque, d’Hérodiade et de leurs amis.
Mt14.7 de sorte qu’il promit avec serment de lui donner tout ce qu’elle demanderait.– Elle avait réussi à lui plaire à un haut degré. – Avec serment : les Orientaux ont toujours aimé renforcer leurs promesses en y ajoutant quelque serment. – Tout ce qu’elle demanderait. Le tétrarque charmé, échauffé d’ailleurs par le vin, ne met pas de bornes à sa munificence. Il ne se doutait guère, il est vrai, de l’abus que Salomé allait faire de la liberté qui lui était laissée.
Mt14.8 Elle, poussée par sa mère : « Donne-moi, dit-elle, ici sur un plateau, la tête de Jean-Baptiste. » – poussée par sa mère. L’expression est énergique et pittoresque : elle signifie littéralement « conduite plus loin », c’est-à-dire plus loin qu’elle ne serait avancée d’elle‑même, si elle eût été livrée à ses seules idées. Le récit suppose qu’immédiatement après avoir reçu la promesse d’Hérode, Salomé était allée en faire part à sa mère qui n’assistait pas au festin, conformément à l’étiquette orientale cf. Marc. 6, 24-25. La circonstance était trop excellente pour qu’Hérodiade n’en profitât pas dans l’intérêt d’une vengeance longtemps et ardemment souhaitée. Sa fille revient bientôt dans la salle du banquet et demande à son instigation la tête de Jean‑Baptiste. – Ici sur un plat. Affreuse en elle‑même, la demande était rendue plus affreuse encore par ce détail barbare : en plein repas de fête, une tête sanglante sur un plateau saisi peut-être au milieu de la table. – Tout donne à croire, dans les narrations parallèles de S. Matthieu et de S. Marc, que le palais où avait lieu le festin était très rapproché de la prison dans laquelle languissait le Précurseur, de sorte que le vœu de Salomé put être immédiatement exaucé. Aussi les exégètes admettent‑ils communément qu’Hérode célébrait sa fête à Machéronte même, dans une des salles splendides qu’il avait fait construire au sein de la forteresse. De Tibériade, il aurait fallu plusieurs jours pour l’aller et le retour du bourreau.
Mt14.9 Le roi fut contristé, mais à cause de son serment et de ses convives, il commanda qu’on la lui donnât, – Le roi fut attristé. S. Jérôme et S. Hilaire ne croient pas pouvoir mettre cette parole d’accord avec le « voulant le faire mourir » du v. 5, à moins d’affirmer que la tristesse du tétrarque était feinte et hypocrite : « L’hypocrite et l’artisan de mort présentait comme de la tristesse sur son visage la joie qu’il ressentait dans son cœur », St Jérôme, Comm in h. l. Mais ce sentiment est peu vraisemblable. La tristesse d’Hérode était réelle, de même que son estime pour le Baptiste, de même que les craintes qui lui étaient inspirées par la possibilité d’une révolte de la part du peuple : cette contradiction apparente se justifie très bien au point de vue psychologique dans une âme d’un tel caractère. – Le roi : nous avons vu qu’Hérode était simplement tétrarque et qu’il ne portait pas le titre de roi. L’évangéliste l’appelle roi dans le sens général et populaire de ce mot. Cf. 2, 22. Plus tard, sur les instances réitérées d’Hérodiade, et jaloux de voir son neveu Agrippa élevé à la dignité royale par l’empereur, Hérode fit un voyage à Rome tout exprès pour obtenir le même honneur : il reçut une sentence qui l’exilait à Lyon. Après avoir passé quelques années dans cette ville, il alla probablement mourir en Espagne. Cf. Jos. Guerre des Juifs, 2, 9, 6. – A cause de son serment ; comme si un pareil serment était obligatoire. Il craint d’être parjure après s’être engagé à la légère et de la façon la plus vague, et il ne craint pas de commettre une énorme atrocité. – Et de ceux qui étaient à table. Le faux point d’honneur, tel est le second motif qui lui fait surmonter sa tristesse et son indécision. « Et pourquoi ne craignait‑il pas ce qui était plus grave ? Demande St Jean Chrysostome. Car si tu craignais d’avoir des témoins du parjure, il te fallait à bien plus forte raison redouter un meurtre si criminel, dont un si grand nombre seraient témoins », Hom. 48 in Matth.
Mt14.10 et il envoya décapiter Jean dans sa prison. – Et il envoya, sous‑entendu « le bourreau » ; c’est un hébraïsme très fréquent dans l’Ancien Testament. – Décapiter signifie trancher la tête. – Dans la prison, sans aucune formalité extérieure par conséquent, et sans concours.
Mt14.11 Et la tête, apportée sur un plateau, fut donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère. – Et sa tête fut apportée, immédiatement et en pleine fête, si l’anniversaire d’Hérode fut célébré, comme nous le croyons, dans la citadelle de Machéronte. – Et donnée à la jeune fille. Quel contraste. Les peintres les plus habiles ont aimé à le reproduire, entre autres Andrea del Sarto, le Guerchin, le Guide, Bernardino Luini, Giorgione. – Qui l’apporta à sa mère. Hérodiade dut alors être satisfaite. S. Jérôme raconte, contr. Rufin. l. 3, c. 11, que cette femme cruelle se mit aussitôt à percer avec une épingle la langue qui avait prononcé le « Il ne t’est pas permis », de même que Fulvie avait fait autrefois pour Cicéron. Que c’est bien là une cour orientale. Tout s’y rencontre en même temps : l’impudicité, l’ivresse, les folles promesses, la barbarie la plus révoltante, le servilisme hideux et lâche qui approuve facilement les crimes du Maître. S. Jean Chrysostome, dans l’admirable homélie qu’il a composée sur ce passage, Hom. 48 in Matth., donne libre cours à son indignation : « considérez, je vous prie, tout l’ensemble de ce festin, et vous verrez que c’était le diable qui y présidait. Premièrement tout s’y passe dans les délices, dans la fumée du vin et des viandes, ce qui ne peut avoir que de malheureuses suites. Tous les conviés sont des méchants, et celui qui les convie est le plus méchant de tous. De plus la licence et le libertinage y règnent souverainement. Enfin on y voit une jeune fille qui, étant née du frère mort, rendait ce mariage illégitime, et que sa mère devait cacher comme un témoignage public de son impudicité, qui entre au contraire avec pompe et avec magnificence au milieu de ce festin, et au lieu de se maintenir dans l’honnêteté propre à son sexe, s’expose aux yeux de tous, avec une impudence que n’auraient pas les femmes les plus débauchées… Qu’y a‑t-il de pire que cette barbarie qui consiste à demander la mort comme une grâce, une mort inique, un meurtre au milieu d’un banquet, une mort demandée publiquement et impudemment. »
Mt14.12 Les disciples de Jean vinrent prendre le corps et l’enterrèrent, puis ils allèrent en informer Jésus. – Après avoir raconté le martyre de Jean‑Baptiste, S. Matthieu dit un mot de la sépulture honorable qui lui fut donnée par ses disciples. – Les disciples vinrent. On leur avait permis de visiter leur Maître dans sa prison, on leur permet maintenant d’ensevelir sa précieuse dépouille. – Et l’ensevelirent. D’après une ancienne tradition, le corps du Précurseur aurait été transporté et enterré à Sébaste, l’ancienne Samarie, dans la province de ce nom. – Ils allèrent l’annoncer. Les honneurs funèbres une fois rendus à S. Jean, ses disciples viennent trouver Jésus et lui annoncent la douloureuse nouvelle, sachant qu’elle devait l’intéresser plus que personne. Il est beau de les voir accourir ainsi auprès du Sauveur : on aime à croire, à la suite de S. Jean Chrysostome, Hom. 49, qu’ils s’attachèrent définitivement à lui, leur Maître leur ayant obtenu par sa mort le don d’une foi complète, qu’il n’avait pu réussir toujours à leur communiquer durant sa vie.
Mt14, 13-21.Parall. Marc. 6, 30-44 ; Luc. 9, 10-17 ; Jean 6, 1-13.
Mt14.13 Jésus l’ayant appris, partit de là dans une barque et se retira à l’écart, dans un lieu solitaire, mais le peuple le sut, et le suivit à pied des villes voisines. – Nous trouvons ici pour la première fois les quatre Évangélistes en parallélisme, car le fait suivant est le premier de ceux que S. Jean raconte de concert avec les synoptiques. – L’ayant appris. Le complément du verbe ne retombe pas uniquement sur la mort de S. Jean‑Baptiste, qui a été rapportée en dernier lieu, mais aussi sur l’opinion d’Hérode, dont il a été question au début du chapitre, vv. 1 et 2. C’est en effet à propos de cette opinion singulière que S. Matthieu a inséré dans sa narration le supplice du Précurseur. Cependant, il est probable que Jésus apprit vers la même époque, sinon en même temps, les deux nouvelles ; c’est-à-dire que Jean‑Baptiste avait été décapité et qu’Hérode était vivement désireux de le voir lui‑même, afin de s’assurer s’il n’était pas sa victime ressuscitée, Luc. 9, 9. La manière dont les faits sont enchaînés dans l’Évangile semble nous donner le droit de conclure qu’ils n’avaient été séparés en réalité que par de courts intervalles. Quoi qu’il en soit, la première multiplication des pains eut lieu, d’après une précieuse notice chronologique de S. Jean, 6, 4, peu de temps avant une Pâque que l’on croit être la seconde de la Vie publique du Sauveur. – Se retirer à l’écart. Le motif de cette prompte retraite est suffisamment indiqué dans le contexte. Jésus paraît avoir voulu éviter le voisinage d’Hérode, prévoyant que ce prince, simplement curieux dans le principe, ne tarderait pas à lui devenir tout à fait hostile et à entraver son œuvre avant que son heure fût venue. S. Marc, 6, 30-31, suggère une autre raison. Les Apôtres étaient venus récemment rejoindre leur Maître, après avoir achevé avec succès leur grande mission ; mais ils étaient fatigués et avaient besoin de repos. Notre‑Seigneur se décide donc à gagner aussitôt la rive orientale du lac qui était beaucoup moins habitée. Là, il trouvera sans peine un lieu désert où ses disciples jouiront d’un peu de calme ; là il ne sera plus sur le territoire d’Antipas, mais sous la juridiction du tétrarque Philippe, le seul des Hérodes qui ne fût pas cruel. « Là » désigne l’endroit où Jésus‑Christ se trouvait quand il reçut les nouvelles indiquées plus haut : c’était sur la rive droite du lac, comme on le voit par la suite du récit. – Dans une barque. Il traversa le lac du N.-O. au N.-E. ; puis ayant débarqué, il remonta le long du Jourdain et arriva, après une marche qui ne fut pas de longue durée, au lieu solitaire qu’il cherchait. – Dans un lieu désert : près de Bethsaïda, nous dit S. Luc. 9, 10, c’est-à-dire, près de Bethsaïda‑Julias, ville distincte de la patrie de Pierre et d’André, et bâtie à l’orient du Jourdain, dans la province de Gaulanite. Elle était précisément entourée d’une région déserte et inhabitée, qui convenait très bien pour le but que le Sauveur voulait atteindre. « Un caractère général de ce rivage, quand on le compare avec celui de l’Occident, c’est précisément la solitude qui y règne… Il offrait ainsi un refuge naturel à quiconque voulait éviter la vie active des rives opposées », Stanley, Sinaï and Palestine, p. 571. – A l’écart : seul par rapport à la foule, mais ses disciples étaient avec lui cf. v. 15. – Les foules l’ayant appris. Les multitudes considérables que nous trouvons à cette époque auprès de Notre‑Seigneur étaient attirées aux alentours de Capharnaüm par la proximité de la Pâque. Venues de toute la haute Galilée, elles attendaient le départ des caravanes qui devaient bientôt se mettre en route pour la ville sainte. Étant arrivées à la résidence habituelle de Jésus, elles le cherchent avec empressement, car il y avait déjà longtemps qu’elles le connaissaient, qu’elles l’aimaient. On leur apprend qu’il venait de s’embarquer pour passer sur l’autre rive : elles n’hésitent pas à se mettre immédiatement en marche pour le rejoindre, tant elles étaient avides de le voir et de l’entendre. – A pied, en contournant la partie septentrionale du lac : le Jourdain fut franchi à gué ou au moyen de quelque pont qui pouvait exister alors au‑dessus de son embouchure. Il est bien consolant de contempler l’enthousiasme du peuple galiléen pour le divin Maître. – Des villes voisines : l’Évangéliste veut parler des nombreuses petites villes qui s’élevaient sur le rivage occidental du lac et qui regorgeaient de monde en ce moment, pour la raison que nous avons indiquée.
Mt14.14 Quand il débarqua, il vit une grande foule, et il en eut compassion, et il guérit leurs malades. – En sortant. Avant d’être rejoint par la foule, Jésus avait eu le temps de gagner le lieu solitaire qu’il cherchait pour lui et pour ses disciples, v. 13 cf. Jean 6, 3-6 : il en sort pour aller au‑devant de ce bon peuple qui lui était si dévoué. C’est à tort qu’on a vu dans le mot « sortant » l’indication de son débarquement. – Il guérit leurs malades… Ces hommes pleins de foi avaient apporté jusque là leurs malades : Jésus les récompense en rendant la santé à tous ceux qui en avaient besoin. « Et il commença à leur enseigner beaucoup de choses, et il leur parlait du royaume de Dieu » ajoutent s. Marc, 6, 34, et s. Luc, 9, 11.
Mt14.15 Sur le soir, ses disciples s’approchèrent de lui en disant : « Ce lieu est désert, et déjà l’heure est avancée, renvoyez cette foule, afin qu’ils aillent dans les villages s’acheter des vivres. » – Le soir étant venu. Plus bas, v. 23, l’Évangéliste dira encore, mais pour désigner une heure beaucoup plus avancée de la journée : « Le soir étant venu ». L’archéologie sacrée nous apprend en effet que les Juifs comptaient chaque jour deux soirs très distincts, qui commençaient, le premier, à la neuvième heure (3h de l’après‑midi), le second à la douzième (6 heures). S. Luc, s’exprimant avec sa précision habituelle, dit qu’au moment où les disciples s’approchèrent de Jésus pour le prier de renvoyer la foule, « le jour commençait à baisser » ; Luc. 9, 12. – Disant : Ce lieu est désert… On était assez éloigné de tout lieu habité ; pour peu que Jésus retînt encore la foule en continuant de lui parler, comment pourrait‑elle gagner avant la nuit les bourgades les plus voisines ? – L’heure est avancée : l’heure en général, par conséquent le jour, le temps du jour. D’après Fritzsche, « le temps opportun, c’est-à-dire bon pour enseigner et guérir. »; selon Grotius, « le temps du repas ». Mais ces interprétations ajoutent au texte des pensées qui lui sont étrangères; Cf. Marc. 6, 35. – Renvoyez les foules. Le Sauveur pouvait congédier le peuple soit en cessant de lui parler, soit en l’engageant directement à se retirer. – Pour s’acheter des vivres. Les Apôtres ont remarqué que cette foule est entièrement dépourvue de vivres. Partie dans la matinée des environs de Capharnaüm pour se mettre à la recherche de Jésus, elle a déjà consommé le peu de provisions qu’elle pouvait avoir apportées.
Mt14.16 Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller, donnez-leur vous-mêmes à manger. » – Jésus leur dit. Les détails de cet intéressant dialogue sont exposés d’une manière plus complète dans les récits de S. Marc et de S. Jean. Il existe du reste des variantes assez notables entre les quatre narrateurs, mais elles ne sont nullement essentielles et n’impliquent pas la moindre contradiction, comme S. Augustin le prouvait déjà victorieusement, l’Accord des Évangélistes 2, 46. Il est aisé d’obtenir une conciliation parfaite en combinant les traits particuliers à chaque évangéliste. – Il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent. Pourquoi ce bon peuple serait‑il forcé d’aller si loin en quête de quelques vivres ? Ne peut‑il pas trouver ici même tout ce dont il a besoin ? – Donnez-leur vous‑mêmes… Le Sauveur met ses disciples à l’épreuve par ce langage extraordinaire ; il veut exciter leur foi, les préparer au miracle qu’il opère déjà dans sa pensée, « car il savait bien, dit S. Jean. 6, 6, ce qu’il allait faire ». Peut-être sa parole n’est‑elle pas totalement dépourvue d’ironie : dans ce cas, il les aurait châtiés avec bonté de l’empressement qu’ils semblent avoir mis à renvoyer la foule, pour se tirer eux‑mêmes d’une situation désagréable.
Mt14.17 Ils lui répondirent : « Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. » – Nous n’avons ici... Les pains et les poissons n’appartenaient pas aux disciples : c’était, d’après S. Jean, 6, 9, la propriété d’un jeune homme qui avait accompagné la foule. Mais, selon la judicieuse remarque de Grotius, « On dit qu’ils avaient tout ce qu’il fallait pour l’acheter ». Ces objets étaient donc à eux en ce sens qu’ils pouvaient les acquérir dès qu’ils le voudraient. Les pains étaient d’orge, Cf. Jean l. c. ; les poissons étaient probablement salés et fumés, selon la coutume des contrées voisines du lac. Ces deux mets formaient le viatique habituel des riverains de la mer de Tibériade et du Jourdain.
Mt14.18 « Apportez-les-moi ici, » leur dit-il. 19 Après avoir fait asseoir cette multitude sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux au ciel, il prononça une bénédiction, puis, rompant les pains, il les donna à ses disciples, et les disciples les donnèrent au peuple. – Apportez-les moi. Jésus se fait apporter les cinq pains et les deux poissons qui vont servir de matière à l’un de ses miracles les plus éclatants. Puis, à la façon d’un hôte qui, avant de commencer le repas, distribue aux convives leurs places respectives, il établit entre ses nombreux invités un ordre harmonieux qui rendra le service plus facile. Voir les détails dans S. Marc et S. Luc. – S’asseoir sur l’herbe. La région dans laquelle se trouvait Jésus abonde en pâturages, comme tant d’autres endroits déserts de la Palestine au printemps, – et c’était précisément alors cette saison de l’année, – elle est couverte d’une herbe longue et serrée qui fournit pour ce repas providentiel un endroit agréable pour se restaurer : de là le mot « s’asseoir ». Ayant pris les cinq pains. Il prit les cinq pains à la fois et c’était chose facile, car les pains orientaux ont toujours été minces et légers. Ils ressemblent encore à des galettes qui ont l’épaisseur d’un doigt et la largeur d’une assiette ordinaire. – Levant les yeux. En agissant ainsi, Jésus paraît s’être conformé à une ancienne coutume religieuse des Juifs. Au commencement de chaque repas, le père de famille prenait un pain et le bénissait en prononçant sur lui, les yeux levés au ciel, une formule traditionnelle qui avait probablement une grande analogie avec la suivante, dont les Israélites se servent aujourd’hui : « Sois béni, Dieu notre Seigneur, roi du monde, qui fais sortir le pain de la terre ». Celui, dit le Talmud, qui jouit d’une chose sans action de grâces, ressemble à un homme qui volerait Dieu. Mais Jésus faisait assurément quelque chose de plus qu’une simple action de grâces. En levant les yeux vers le ciel, il s’unissait à son divin Père, il montrait la source de la puissance merveilleuse qu’il allait manifester. En bénissant les pains, il leur communiquait la fécondité en vertu de laquelle ils devaient rassasier une si grande quantité de personnes. – Rompant les pains. « Jésus , en les rompant , y répandit l’abondance » , dit saint Jérôme, Comment. in h. l. Luc de Bruges ajoute avec beaucoup de justesse : « La multiplication des pains a commencé par cette fraction de Jésus; elle s’est amplifiée par la distribution des disciples ; et elle a trouvé son apogée dans les mains de ceux qui les ont mangés ». Tel est en effet le mode le plus naturel et le plus raisonnable de la multiplication des cinq pains. Il en fut de même pour les poissons. – Il les donna à ses disciples... L’analogie qui existe entre ce passage et l’institution de la sainte Eucharistie est vraiment remarquable cf. 26, 26 : elle le devient davantage encore si l’on se rappelle que, le lendemain de ce miracle, Jésus promit, dans la synagogue de Capharnaüm, l’institution de l’adorable Sacrement de l’autel cf. Jean 6, 22 et ss. – Les disciples les donnèrent aux foules. La distribution aurait été trop lente si le Sauveur eût entrepris de la faire lui‑même : c’est pourquoi il en chargea ses Apôtres qui, en moins d’une heure, grâce à l’organisation de la foule par groupes de cinquante et de cent, purent s’en acquitter aisément.
Mt14.20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta douze corbeilles pleines des morceaux qui restaient. – Ce verset et le suivant contiennent quatre traits particuliers destinés à relever la grandeur du prodige. – 1° Tous mangèrent. Tous les assistants, sans exception, purent manger leur part des cinq pains et des deux poissons. Il le fallait bien du reste, s’ils ne voulaient pas s’en retourner à jeun, puisqu’il n’y avait pas d’autres vivres dans le lieu désert où ils avaient rejoint Notre‑Seigneur. – 2° Et furent rassasiés : non‑seulement chacun eut sa part, mais chacun fut rassasié complètement. Et pourtant, cette foule qui était demeurée si longtemps sans rien prendre et qui avait fait une marche et une station également fatigantes, devait avoir un grand besoin de nourriture. – 3° Et on emporta les restes. Le sujet de « emporta » est « les disciples » sous‑entendu. Si peu de vivres pour tant de monde. Néanmoins, après que tous ces convives de la Providence eurent assouvi leur faim, il y eut des restes considérables: Douze corbeilles pleines. La « corbeille » était un panier d’osier que les Juifs portaient d’ordinaire avec eux dans leurs voyages pour y mettre leurs provision. Cette coutume leur avait valu de la part du grand satirique romain l’épithète de cistophores (porteurs de corbeilles). Mart. Epigr. 5, 17, Cf. Juven. Sat. 3, 14. Chaque Apôtre, muni de sa corbeille, parcourut les rangs après le repas, et la rapporta pleine à Jésus. [Les poissons salés et les pains devaient être de grande qualité, et d’un goût délicieux, parfaitement adapté aux désirs de chacun puisque leur origine était miraculeuse, comme le vin miraculeux des Noces de Cana (cf. Jean 2) fut loué pour sa qualité par le Maître du festin.]
Mt14.21 Or, le nombre de ceux qui avaient mangé était environ de cinq mille hommes, sans les femmes et les enfants. – 4° Le nombre de ceux qui mangèrent… Ce trait, le dernier des quatre, complète et explique le premier, « tous mangèrent », en précisant le nombre des convives. – Cinq mille hommes, environ cinq mille. Jésus avait rarement eu autour de lui des réunions d’hommes aussi imposantes. – Sans compter les femmes et les enfants... : car il n’était pas d’usage, chez les Juifs, de les faire entrer dans un dénombrement. Il ne devait y en avoir du reste qu’une quantité restreinte, attendu que l’assemblée se composait de pèlerins, et que les femmes et les enfants n’étaient pas obligés de se rendre à Jérusalem pour les fêtes. – Jésus a rempli d’une manière généreuse et grandiose les fonctions de père de famille. Il est encore plus généreux, plus distingué dans le banquet eucharistique offert par lui tous les jours, à tous les hommes, depuis tant de siècles. Les rationalistes ont attaqué ce prodige en employant leurs procédés ordinaires : ils l’ont réduit, comme les autres miracles, tantôt à un mythe, tantôt à une légende, tantôt à une parabole transformée. Nous renvoyons, pour l’exposé et pour la réfutation de leurs systèmes, à l’ouvrage de M. Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, etc. 5° édit. t. 2, p. 509. D’un autre côté, les anciens exégètes catholiques sont tombés parfois dans l’exagération et la minutie, en essayant de déterminer au juste ce qui demeurera toujours un mystère pour nous, c’est-à-dire la nature exacte de ce miracle cf. Cornel. a Lap. in loc. Il est préférable de dire avec S. Hilaire : « Les prodiges trompent l’œil. Pendant que tu vois des fragments dans une main, tu aperçois dans l’autre main des pains entiers. Ni les sens ni la vue ne perçoivent le déroulement de cette opération incompréhensible. Quelque chose est qui n’était pas. On voit ce qu’on ne comprend pas. Il ne reste plus qu’à croire que tout est possible à Dieu », de Trin. 3, 6. Ou bien, si l’on désire une explication, celle de Saint Augustin n’est‑elle pas suffisante : « C’est un grand miracle. Mais il n’y a pas lieu de tant nous étonner du fait, si nous prenons en considération celui qui l’accomplit. Celui qui a multiplié cinq pains dans les mains de ceux qui les rompaient est celui qui multiplie les semences dans la terre : la semence de quelques grains suffit pour remplir des greniers. On ne s’en étonne pas parce que cela a lieu à chaque année. Ce n’est pas la banalité du fait qui enlève l’admiration, mais l’accoutumance », Serm. 130, 1.
Jésus marche sur les eaux, 14, 22-33. Parall. Marc. 6, 45-53 ; Jean 6, 14-22.
Mt14.22 Aussitôt après, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à passer avant lui sur le bord opposé du lac, pendant qu’il renverrait la foule. – Aussitôt : dès que le repas fut terminé. –Jésusobligea ses disciples montre la répugnance des disciples à se séparer alors de leur Maître, et les instances ou plutôt les injonctions formelles de Jésus pour les éloigner. Mais pourquoi les Apôtres tenaient‑ils tant à demeurer auprès de Notre‑Seigneur dans la circonstance présente ? Pourquoi, d’un autre côté, Jésus‑Christ exigea‑t-il si énergiquement leur départ immédiat ? Le quatrième Évangile nous met sur la voie de l’explication qui convient à ce double problème. Nous y voyons en effet qu’après le miracle de la multiplication des pains, une grande fermentation se produisit dans la foule qui en avait été témoin. Elle voulait aussitôt proclamer Jésus son Messie, et le conduire en triomphe à Jérusalem pour le couronner et l’installer sur le trône. Or les Apôtres ne se seraient que trop facilement ralliés à ce projet, car ils partageaient encore, sur le rôle du Christ, la plupart des préjugés du peuple : Jésus les soustrait donc aux influences de la multitude en les renvoyant sans délai. Du même coup, il enlève à cette foule enthousiasmée des auxiliaires sur lesquels elle comptait pour l’accomplissement de son dessein. Il fit échouer de la sorte avec beaucoup d’habileté le plan singulier qu’on avait conçu à son sujet. – Dans la barque : c’était la même barque qui les avait amenés le matin ; elle était encore sur le rivage. – Et de le précéder. Les apôtres devaient s’embarquer à l’instant, traverser le lac de l’Est à l’Ouest, et aller attendre leur Maître sur la rive occidentale. Jésus ne leur indique ni le temps où il les rejoindra, ni la manière dont il effectuera ce petit voyage, car il a ses mystérieux desseins. Il ajoute seulement qu’il va d’abord congédier la foule.
Mt14.23 Quand il l’eut renvoyée, il monta sur la montagne pour prier à l’écart, et, le soir étant venu, il était là seul. – Lorsqu’il eut renvoyé la foule : il y réussit aisément, à l’aide de ces bonnes et douces paroles dont il avait le secret. D’ailleurs, il put s’échapper sans peine, étant seul et n’ayant pas à conduire avec lui douze disciples sympathiques aux folles idées de la multitude. – Il monta sur une montagne. Ce devait être la montagne par excellence de la région où se trouvait alors le Sauveur. S. Jean nous apprend, 6, 3 cf. 15, que Jésus s’était retiré sur cette même montagne avec ses disciples aussitôt après avoir débarqué : elle eût été le lieu de son repos sans la nouvelle direction donnée tout à coup aux événements par la Providence. – Pour prier. Ces prières qui accompagnent les événements les plus solennels de la vie de Jésus demeureront toujours pour nous un profond mystère : elles sont uniques en leur genre, car c’étaient les supplications, les adorations d’une âme hypostatiquement unie à la divinité : elles constituent l’un des actes principaux du sacerdoce de Jésus‑Christ. « N’assigne pas le fait d’aller monter pour prier à celui qui a rassasié cinq mille hommes avec cinq pains. Mais à celui qui, après avoir appris la mort de Jean, se retire dans la solitude. Je ne dis pas cela dans le but de lui attribuer deux personnes. Maisses œuvres se répartissent entre Dieu et l’homme », Saint Jérôme, Comm. in h. l. Les anciens commentateurs aiment à relever, dans un but moral, les circonstances de temps et de lieu parmi lesquelles Jésus accomplit sa prière. – Le soir étant venu : voir la note du v. 15. « Les ténèbres recouvraient déjà la terre », lisons‑nous dans S. Jean, 6, 17.- Il était là, seul parce que la foule s’était peu à peu écoulée, voyant qu’elle ne pouvait pas réaliser son projet.
Mt14.24 Cependant la barque, déjà au milieu de la mer, était battue par les flots, car le vent était contraire. – Cependant la barque... Le récit nous ramène aux Apôtres qui, bien qu’ils se fussent embarqués depuis plusieurs heures, n’avaient pu réussir à traverser le lac. Ils étaient seulement au milieu de la mer, ou, selon les données plus exactes du quatrième Évangile, à 25 ou 30 stades de leur point de départ (le lac avait environ 40 stades de large d’après Josèphe, Guerre des Juifs, 1. 3, 35) quoiqu’ils eussent constamment ramé. Cf. Jean 6, 19. – Était battue par les flots : le grec, par une expression pittoresque, représente cette pauvre barque comme mise à la torture par les vagues. – Car le vent était contraire. Ces mots contiennent l’explication d’un retard aussi extraordinaire. Un vent violent qui venait de l’Ouest avait soulevé une tempête soudaine sur le lac. Nous avons déjà fait ressortir, Cf. 8, 24, la fréquence et la rapidité de ces phénomènes dans le bassin de la mer de Galilée : voici encore quelques observations intéressantes d’un voyageur contemporain, longtemps domicilié en Palestine. « Mon expérience me permet de compatir d’une manière particulière à la longue et pénible lutte nocturne des disciples contre le vent. Il m’est arrivé de passer une nuit dans l’ouadi Schoukalyif, à trois milles du lac. Le soleil s’était à peine couché que le vent commença à se précipiter sur les flots, et il continua de souffler toute la nuit avec une rage toujours croissante, de sorte que, lorsque nous atteignîmes le rivage, le lendemain matin, la surface du lac ressemblait à celle d’un immense chaudron en ébullition. Le vent s’élançait avec une telle furie de toutes les vallées situées au N.-E. et à l’E., qu’il eût été complètement impossible à des rameurs, malgré les plus vigoureux efforts, de faire aborder une embarcation à n’importe quel point de cette côte ».
Mt14.25 A la quatrième veille de la nuit, Jésus alla vers ses disciples, en marchant sur la mer. – Mais Jésus n’oubliait pas ses Apôtres, bien qu’il eût permis cette nouvelle épreuve beaucoup plus pénible pour eux que la première tempête (8, 24 et ss.) comme le montre S. Jean Chrysostome avec sa délicatesse habituelle : « Les disciples sont de nouveau ballottés par des vagues. Ils sont, comme antérieurement, brimbalés par une mer déchaînée. Mais ils avaient Jésus dans leur bateau, autrefois, quand ils eurent à essuyer la tempête. Maintenant ils sont seuls et loin du rivage. Car il leur présente petit à petit et par degrés des défis de plus en plus grands, pour qu’ils soient capables de tout supporter courageusement. La première fois qu’ils étaient sur le point de sombrer il était avec eux endormi, pour être plus prêt à leur porter secours. Mais il est absent maintenant pour mettre davantage leur patience à l’épreuve. Et il permet que la tempête fasse rage en pleine mer, et que les flots s’agitent toute la nuit, pour qu’il ne reste apparemment aucun espoir de salut », Hom. 5 in Matth. – A la quatrième veille. Avant la conquête romaine, les Juifs, de même que les Grecs, divisaient la nuit en trois parties appelées veilles qui duraient quatre heures chacune : la première de six à dix heures du soir, la seconde de dix heures du soir à deux heures du matin, la troisième de deux à six heures du matin. Depuis la soumission de la Palestine par Pompée, ils avaient adopté la division romaine en quatre veilles de trois heures (6 à 9, 9-12, 12-3, 3-6). C’est donc entre trois et six heures du matin que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ vint rejoindre les Apôtres. Ceux‑ci avaient lutté pendant presque toute la nuit contre la tempête : Il avait passé le même temps en prière sur la montagne. – Jésus vint à eux, indiquant le point de départ. – Marchant sur la mer, c’est-à-dire, d’après Paulus et d’autres rationalistes, sur le rivage, en longeant le bord du lac ; suivant Bolten, en nageant. Comme si une indication si claire était susceptible de plusieurs interprétations. Strauss lui‑même n’hésite pas à reconnaître que l’écrivain sacré a voulu raconter un fait miraculeux ; il est vrai que ce n’était qu’un mythe.
Mt14.26 Eux, le voyant marcher sur la mer, furent troublés, et dirent : « C’est un fantôme, » et ils poussèrent des cris de frayeur. – Et le voyant. Quand Jésus se fut rapproché de la barque, ses Apôtres aperçurent à travers les ténèbres cette forme humaine qui marchait sur les flots, apparaissant et disparaissant tour à tour au milieu des mouvement des vagues. – Ils furent troublés ; on le comprend sans peine, en de telles circonstances. A la frayeur que leur causait l’orage, se joignit un effroi d’un nouveau genre et plus pénible encore, leur imagination troublée leur faisant croire à une apparition. – C’est un fantôme. Une pareille supposition paraît tout d’abord surprenante de la part d’hommes robustes, habitués à braver bien des dangers. Mais on cesse d’en être étonné quand on se souvient que la croyance aux fantômes avait poussé, dès les temps les plus anciens, de profondes racines chez toutes les nations. Dans l’Égypte, en Grèce, à Rome, chez les Juifs, la possibilité ou plutôt la réalité des apparitions ne faisait pas l’objet du moindre doute : l’histoire de l’antiquité païenne et la littérature rabbinique en sont remplies. Ce sont tantôt les démons ou mauvais esprits, tantôt les âmes des damnés, les « larvæ » [démons] des Romains, qui profitent de la nuit pour venir tourmenter les hommes. Imbus de ces idées depuis leur enfance, les Apôtres se croient subitement en face d’un de ces spectres nuisibles dont ils ont si souvent entendu parler. Notons encore que plusieurs d’entre eux étaient des pêcheurs et que c’est cette catégorie d’hommes avec celle des marins qui a de tout temps le plus ajouté foi aux fantômes et aux revenants. – Ils poussèrent des cris de frayeur : détail pittoresque et plein de naturel.
Mt14.27 Jésus leur parla aussitôt : « Ayez confiance, dit-il, c’est moi, ne craignez pas. » – Aussitôt. Le bon Maître répond immédiatement à ce cri d’angoisse. Sa voix bien connue se fait entendre au milieu de l’ouragan, pour prononcer des paroles douces et rassurantes : Ayez confiance c’est moi ne craignez pas ; moi, votre meilleur ami, et pas une apparition hostile.
Mt14.28 Pierre prenant la parole « Seigneur, dit-il, si c’est vous, ordonnez que j’aille à vous sur les eaux. » – A la marche miraculeuse de Jésus sur le lac de Tibériade s’associe, dans le premier Évangile, un épisode intéressant, versets 28-31, dont le chef des Apôtres fut le héros. – Pierre lui répondit. « On trouve Pierre dans tous les lieux de la foi la plus ardente », S. Jerôme, Comm. in h. l. Il nous apparaît bien, dans ce petit tableau, avec son caractère particulier, si facile à reconnaître : prompt, enthousiaste, généreux, puis se laissant troubler et décourager par le premier obstacle. Les autres disciples ne sont pas encore revenus de leur effroi que déjà il a adressé une réponse à Jésus. – Seigneur, si c’est toi. Ce n’est pas un doute proprement dit qu’il exprime en tenant ce langage : il croit vraiment que c’est Jésus qui est auprès de la barque sur les flots ; autrement lui donnerait‑il son titre habituel ? Surtout, lui demanderait‑il la faveur suivante et, sur une parole, se précipiterait‑il dans les eaux violemment agitées ? La pensée est donc : Puisque c’est vous. – Ordonne : il connaît la toute‑puissance de Jésus, il sait que d’un mot le Sauveur pourra opérer un grand prodige. – Moi de venir à toi sur les eaux… Il désire accomplir lui‑même ce qu’il voit faire à son Maître. « Non seulement il crut que Jésus pouvait marcher sur les flots, mais il crut qu’il pouvait communiquer aux autres cette capacité. Et il désira le rejoindre rapidement », Saint Jean Chrysostome Hom. 50 in Matth. S. Pierre expose délicatement sa prière, lui donnant une forme pleine de respectueuse tendresse pour Notre‑Seigneur : ce qu’il désire, ce n’est pas tant de marcher sur les flots que de se servir des flots pour aller au‑devant de Jésus, « venir à toi ».
Mt14.29 Il lui dit : « Viens » et Pierre étant sorti de la barque marchait sur les eaux pour aller à Jésus. – Viens. Au « Ordonne » de son Apôtre, le Sauveur répond par cette simple parole qui contenait l’ordre demandé. Pierre profite sans hésiter de la permission qui lui est accordée ; il franchit le rebord de la barque et se met à marcher sur les eaux à la rencontre du Sauveur. Tout réussit donc à souhait pendant quelques instants.
Mt14.30 Mais voyant la violence du vent, il eut peur, et comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauvez-moi » – Voyant la violence du vent. La tempête en effet était loin d’être calmée, et, maintenant qu’il est hors de l’embarcation, il voit, c’est-à-dire il ressent beaucoup plus la violence du vent qui soulève les vagues en tous sens. – Aussitôt, son courage faiblit, il eut peur : l’homme naturel, qui avait disparu devant la foi, prend le dessus. « Il ne suffit donc pas d’être près du Christ, si on ne l’est par la foi. », S. Jean Chrysostome l. c. L’Apôtre marche sans peine sur le lac agité aussi longtemps qu’il pense à Jésus : sa foi le porte, son amour le conduit. Mais dès qu’il détourne ses regards du divin Maître pour se souvenir du danger et de lui‑même, il chancelle et trouve bientôt un juste sujet de crainte. – Il commençait à enfoncer. Toute son habileté de nageur disparaît sur les flots en furie et il se sent enfoncer peu à peu ; mais il sait qu’il y a tout auprès de lui quelqu’un qui est capable de le sauver. Faisant de nouveau appel à toute la vivacité de sa foi, il s’écrie : Sauve‑moi. Il y a loin de ce cri de détresse à la demande du v. 29. Saint Augustin donne à ce trait une belle signification morale : « Il faut voir dans Pierre la condition de tous les êtres humains. Si le vent des tentations cherche à nous faire chavirer, ou si l’eau des épreuves s’apprête à nous submerger, appelons le Christ », Serm. 14 de Verbis Domini.
Mt14.31 Aussitôt Jésus étendant la main le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » – Aussitôt. La seconde demande de S. Pierre est exaucée tout aussi formellement que la première : Jésus n’est jamais lent à secourir ses amis. Cf. v. 27. – Étendant la main, le saisit : détails qui font revivre sous nos yeux cette scène touchante. mais si le Sauveur est toujours bon, il n’oublie pas la leçon méritée par son disciple, et il lui indique sur le ton d’un doux reproche le vrai motif de l’humiliant échec qui lui était survenu. – Homme de peu de foi. Ce n’était pas la violence du vent, mais la diminution subite de sa foi qui l’avait fait enfoncer dans l’eau. – Pourquoi as‑tu douté. Le verbe employé dans le texte grec, signifie hésiter entre deux partis, pencher de côté et d’autre sans savoir au juste quelle direction l’on prendra, et c’était précisément ce qu’avait fait S. Pierre. Ainsi, « On ne lui reproche pas d’être sorti du navire, mais de ne pas avoir persévéré dans la foi », Bengel.
Mt14.32 Et lorsqu’ils furent montés dans la barque, le vent s’apaisa. – Et lorsqu’ils furent montés. Jésus et Pierre montent ensemble dans la barque et alors un troisième prodige s’unit aux deux qui précèdent pour les compléter. – Le vent cessa. Jésus avait marché sur les eaux, il avait permis à S. Pierre d’y marcher à son tour ; maintenant il calme subitement l’orage. Car ce fut là aussi un effet de son pouvoir surnaturel, comme l’admettent tous les exégètes croyants. – Le poète Prudence a quelques beaux vers dans son « Apotheosis » sur la marche de Jésus en pleine mer de Galilée.
« Il marche sur des eaux mouvantes,
et imprime ses traces sur les flots agités.
Il commande aux vents du midi, et leur ordonne de se calmer.
Le vent du sud‑est et celui du nord reconnaissent le Seigneur des nuées et le maître des tempêtes.
Ils balayent en riant les vents turbulents. »
Taddeo Gaddi et le peintre anglais Richeter ont traduit de leur côté ce miracle d’une manière saisissante. Le point de vue moral a été également très bien présenté par les commentateurs patristiques.
Mt14.33 Alors ceux qui étaient dans la barque, vinrent se prosterner devant lui en disant : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. » – Ce verset décrit l’impression profonde produite sur les assistants par le triple prodige dont ils venaient d’être témoins. – Ceux qui étaient dans la barque : non‑seulement les Apôtres, mais aussi les bateliers et les autres passagers qui pouvaient avoir profité du départ de la barque pour se faire transporter sur la rive occidentale. – Vinrent ; ils s’approchent tous ensemble de Jésus, dès qu’il est entré dans l’embarcation, et se prosternent devant lui (adorèrent) en s’écriant : Tu es vraiment le Fils de Dieu. Il y a là, vu les circonstances, quelque chose de plus que le simple titre de Messie. Après ces brillants prodiges opérés coup sur coup, les assistants pressentent que Jésus doit posséder une nature surhumaine et divine. Néanmoins il est peu vraisemblable qu’ils comprissent dès lors toute la profondeur de cette expression.
Jésus dans la plaine de Gennésareth, Mt14, 34-36. Parall. Marc. 6, 53-56.
Mt14.34 Ayant traversé le lac, ils abordèrent à la terre de Génésareth. – L’Évangéliste raconte ici la fin du voyage occasionné par les recherches d’Hérode, vv. 34-36. – Lorsqu’ils eurent traversé la mer. La tempête une fois apaisée et le vent redevenu favorable, ils eurent bientôt franchi les quelques stades qui les séparaient encore du rivage, Cf. Jean 6, 21, et ils débarquent dans la terre de Gennésareth. Les manuscrits et les éditions du texte grec, écrivent ce nom propre de trois manières : quelle que soit l’orthographe véritable, il est clair qu’ils s’agit de la belle et fertile plaine de Gennésareth, située à l’O. du lac, au pied des montagnes, entre Capharnaüm et Tibériade. Les Arabes la nomment El‑Ghuweir, le petit Ghôr : Josèphe en trace une description enthousiaste, Guerre des Juifs, 3, 10, 8.
Mt14.35 Les gens de l’endroit, l’ayant reconnu, envoyèrent des messagers dans tous les environs, et on lui amena tous les malades. – L’ayant reconnu… Dans une région aussi peuplée et où il était si connu, Jésus ne pouvait pas manquer d’attirer immédiatement l’attention. – Les hommes de ce lieu : hébraïsme, pour « habitants ». Ces bons riverains du lac veulent partager avec toute la contrée la bénédiction que leur apporte la présence du Sauveur. – Envoyèrent ; ils envoient des messagers aux alentours pour annoncer son arrivée. Un grand concours se forme sur‑le‑champ, avec le cortège habituel d’infirmes et de malades que l’on conduisait auprès du Thaumaturge.
Mt1436 Et ils le priaient de leur laisser seulement toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui la touchèrent furent guéris. – Et ils le priaient. L’Évangéliste nous a conservé un trait bien édifiant de la foi vive et simple des habitants de la plaine de Gennésareth : ils priaient respectueusement Jésus‑Christ de leur laisser toucher les franges de son vêtement, ce qu’il leur accordait volontiers. Nous avons vu plus haut, en racontant la guérison de l’hémorrhoïsse, Cf. 9, 20, ce qu’il faut entendre par ces franges. – Et tous ceux… Les résultats de ce contact furent aussi instantanés, aussi complets qu’autrefois : une entière guérison était immédiatement obtenue. Les malades étaient guéris complètement. – Après avoir satisfait les désirs de tous, Jésus prit la direction du Nord, et vint à Capharnaüm, où il prononça l’admirable discours qui nous a été conservé par S. Jean, 6, 23 et ss.


