Chapitre 2
2. – Adoration des Mages, 2, 1-12
S. Luc nous apprend, 2, 8 et ss., que les Juifs furent les premiers à recevoir, dans la personne des pasteurs de Bethléem, la bonne nouvelle de la naissance du Messie, les premiers aussi à venir adorer leur Roi dans son humble étable ; c’était juste, comme nous l’avons conclu de la réflexion adressée par l’Ange à S. Joseph, 1, 21. Mais il n’était pas moins juste, pas moins conforme aux desseins providentiels, que le monde païen fût représenté de bonne heure auprès du berceau de celui qui était venu racheter et sauver tous les hommes sans exception ; et voici justement les Mages, prosternés aux pieds du divin Enfant. Preuve vivante que Dieu n’oublie pas ses promesses relatives à la vocation de tous les peuples à la foi. Ainsi donc, après avoir vu par la généalogie du premier chapitre quelle fut la part des Juifs au Messie, nous allons apprendre maintenant quelle sera celle des Païens : les uns se rattachent à Lui par le sang, les autres par la foi et l’amour. Tout à l’heure, les païens étaient sans relations avec Jésus ; actuellement ce sont au contraire les Juifs qui s’éloignent de Lui. Dès les premiers jours de la vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, nous pouvons constater ce fait qui se reproduira fréquemment : le Judaïsme le repousse, le monde païen le reçoit. Ici même, Jérusalem ignore sa naissance et elle s’effraie quand elle en est avertie ; les princes des prêtres et les docteurs de la loi indiquent froidement le lieu où il est né, mais ils ne songent pas à aller l’adorer eux‑mêmes ; Hérode veut le faire périr. Au contraire, les Mages, des païens, le recherchent et arrivent jusqu’à Lui : ils appartiennent, au point de vue moral, à la race choisie des Melchisédech, des Jéthro, des Job, des Naaman, qui vénéraient le vrai Dieu sans appartenir au peuple juif.
Mt2.1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des Mages arrivèrent d’Orient à Jérusalem, – S. Matthieu s’occupe en général fort peu des détails topographiques ou chronologiques : jusqu’ici, sa narration est restée dans le vague sous le rapport du temps et du lieu ; il ne nous a pas même fait connaître l’endroit où habitaient Marie et Joseph au moment de leur chaste mariage, il s’est borné à relater les faits. Mais la nature des événements qu’il doit maintenant raconter l’oblige à signaler le lieu et la date de la naissance du Christ. 1° Le lieu : à Bethléem de Judée ». Bethléem était situé tout à la fois dans la tribu de Juda et sur le territoire de la province de Judée. L’ancienne division du pays en douze tribus n’existant plus à l’époque de Jésus‑Christ. Primitivement appelée Ephrata, la fertile, Genèse, 35, 16, elle devint, assez longtemps après l’occupation de la Palestine par les Hébreux, “la maison du pain”, Beth‑lechem ; les Arabes la nomment aujourd’hui Beit‑lahm, maison de la viande. Dieu n’a pas permis qu’elle eût jamais de grands avantages temporels ; elle a toujours été une petite ville (Cf. Michée 5, 1) sans importance commerciale ni stratégique, promptement dépassée par ses deux rivales du Nord et du Sud, Jérusalem et Hébron. Mais, en revanche, quelle gloire ne lui confère pas la double naissance de David et du Messie. Avait‑elle donc besoin d’autres prérogatives ? Elle s’élève à 9 km au Sud de Jérusalem, sur une colline de calcaire jurassique. Sa forme actuelle est celle d’un triangle irrégulier au Sud duquel s’élève la célèbre basilique de Sainte‑Hélène, sorte d’église fortifiée, bâtie sur l’emplacement de la grotte de la Nativité (comparez l’explication de Luc, 2, 7), et entourée des couvents latin, grec et arménien. La population de Bethléem est d’environ 28.000 habitants. S. Luc nous dira, 2, 1 et 2, pourquoi Joseph et Marie se trouvent en ce moment à Bethléem. Ils n’y sont pas venus d’eux‑mêmes, et en quelque sorte pour accomplir la prophétie de Michée ; une volonté supérieure les y a conduits, se servant pour cela de moyens tout humains. – 2° aux jours. Après nous avoir fait connaître le lieu de la naissance du Christ, l’évangéliste indique la date de ce grand événement : aux jours du roi Hérode, c’est-à-dire, si nous traduisons cette formule hébraïque en langage simple : “sous le gouvernement d’Hérode”. Date bien vague en elle‑même, puisque Hérode régna en Judée de 714 à 750 U. C.; mais nous avons essayé plus haut (Introd. gén.) de la préciser, en établissant que Jésus‑Christ naquit peu de mois avant la mort d’Hérode, probablement le 25 décembre 749, 4 années avant le début de l’ère dite chrétienne. – Du roi Hérode ; Hérode‑le‑Grand. L’histoire et le caractère de ce prince sont parfaitement connus, grâce aux historiens juifs et romains. Fils d’Antipater, qui avait exercé les fonctions de “procurateur” en Idumée et en Judée, il fut lui‑même nommé par les Romains tétrarque de cette dernière province. Bientôt, à la demande du triumvir Antoine, son puissant protecteur, le sénat changea ce titre en celui de roi et agrandit ensuite considérablement le territoire soumis à sa juridiction. Mais Hérode fut obligé, avec le secours de ses bienfaiteurs, de faire littéralement la conquête de son royaume et de sa capitale, dont Antigone, l’un des derniers rejetons de la race illustre des Machabées, s’était récemment emparé. Ce n’est qu’en 717 qu’il put s’installer à Jérusalem après l’avoir prise d’assaut et avoir versé des flots de sang. Il était Iduméen de naissance : le sceptre avait donc quitté Juda, quand ce descendant d’Esaü prit possession du trône de David, Cf. Genèse 49, 10, signe évident que le Messie était proche. Son règne fut pacifique à partir de ce moment, très‑brillant au dehors et illustré par de splendides constructions dans tout le pays et une grande richesse matérielle ; mais, au‑dedans, c’était la corruption et la décadence, la civilisation grecque prenant la place des mœurs judaïques. La théocratie marcha rapidement vers sa fin sous ce prince à demi païen. Le caractère d’Hérode est un des types les plus fameux de l’ambition, de la ruse et de la cruauté : les événements que va raconter S. Matthieu nous fourniront amplement l’occasion de le démontrer. – Rappelons, avant d’aller plus loin, qu’il est parlé de quatre Hérode dans le Nouveau Testament. Ce sont : Hérode‑le‑Grand ; 2. son fils Hérode Antipas, qui fit décapiter S. Jean‑Baptiste, Matth., 14, 1 et suiv., et qui insulta Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans la matinée du Vendredi‑Saint, Luc, 23, 7, 11 ; 3. son petit‑fils Hérode Agrippa 1, fils d’Aristobule ; c’est lui qui devint le meurtrier de S. Jacques et qui périt misérablement, sous le coup des vengeances du ciel, Actes des Apôtres 12. 4. son arrière‑petit‑fils, Hérode Agrippa 2, fils d’Agrippa 1er, devant lequel S. Paul, prisonnier du procureur Festus à Césarée, se défendit admirablement des accusations lancées contre lui par les Juifs, Actes des Apôtres 25, 23 et suiv. – Voici, Cf. 1, 20. – des Mages. Nous avons à étudier ici les quatre questions suivantes : Qu’étaient les Mages ? Quel fut leur nombre ? D’où venaient‑ils ? A quelle époque précise eut lieu leur visite ? – A. Qu’étaient les Mages ? Leur nom ne le dit qu’imparfaitement. Mais l’histoire nous donne des informations plus précises. Les Mages formaient à l’origine une caste sacerdotale que nous trouvons en premier lieu chez les Mèdes et chez les Perses, et qui s’étendit ensuite dans tout l’Orient. La Bible nous les montre en Chaldée, à l’époque de Nabuchodonosor : ce prince conféra même à Daniel le titre de Rab‑Magh ou de Grand‑Mage, pour le récompenser de ses services, Dan., 2, 48. Ils avaient, comme tous les prêtres de l’antiquité, le monopole à peu près exclusif des sciences et des arts ; le domaine de leurs connaissances embrassait particulièrement l’astronomie ou plutôt l’astrologie, la médecine, les sciences occultes. « Les mages, qui forment en Perse un collège de savants et de sages », Cicéron, Traité de la Divination, 1, 23. Ce double titre de prêtres et de savants leur conférait une influence considérable ; aussi faisaient‑ils souvent partie du conseil des rois. Il est vrai que ce nom glorieux de Mage, ayant pénétré en Occident, perdit peu à peu de son lustre, et qu’il finit même par être pris en mauvaise part, pour désigner les magiciens, les sorciers. Les écrits du Nouveau Testament nous fournissent plusieurs exemples de cette espèce de dégradation : « Simon le magicien », Actes des Apôtres, 8, 9, Elymas, le magicien”, Actes des Apôtres, 13, 8, etc. Toutefois, c’est dans son acception originale qu’il est employé ici par S. Matthieu, comme le démontre l’ensemble de la narration. Quelques auteurs modernes ont prétendu que les Mages venus à Jérusalem étaient de race juive, et qu’ils appartenaient à ce qu’on nommait du temps de Jésus‑Christ, la dispersion, Cf. 1 Pierre 1, 11, en d’autres termes, à cette multitude d’Israélites qui habitaient les diverses contrées de l’Orient depuis la captivité babylonienne ; mais c’est là une erreur manifeste, que réfutent et les propres expressions de nos saints personnages « Où est… le roi des Juifs », v. 2, et la croyance universelle de l’Église, qui a toujours vu en eux, comme nous l’avons dit, les prémices du monde païen consacrées au Seigneur. Une tradition ancienne et populaire en fait des rois. On a voulu leur appliquer à la lettre des passages de l’Ancien Testament relatifs au Messie et qui semblent, de prime abord, les concerner directement ; par exemple , Psaume, 71, 10 « Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande » ; Isaïe., 60, 3-6 « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore… Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ». Mais, à vrai dire, ces passages ne concernent pas le fait particulier de la visite des Mages ; ils ont pour but la conversion générale des païens au Messie et, par suite, la catholicité de l’Église chrétienne. Il est probable cependant que les Mages étaient au moins des chefs de tribus, tels que sont aujourd’hui les émirs, les scheiks des Arabes ; S. Matthieu nous les présente, dans tous les cas, comme des personnages importants. – B. Quel était leur nombre ? La tradition est loin d’être unanime sur ce point. Les Syriens et les Arméniens en comptent jusqu’à douze ; de même S. Jean Chrysostome et S. Augustin. Toutefois, chez les Latins, nous trouvons d’assez bonne heure le chiffre de trois, qui semble définitivement fixé à partir de S. Léon‑le‑Grand. De la sorte, il y aurait eu autant de Mages que de présents offerts à l’enfant Jésus ; ou bien, les trois Mages représenteraient les trois grandes familles de l’humanité, les races sémite, japhétique et chamite. S. Hilaire d’Arles va même jusqu’à les rapprocher des trois personnes de la Sainte‑Trinité. leurs noms seraient Melchior, Balthasar et Gaspard. On n’ignore pas, du reste, que la légende s’est depuis longtemps emparée de leurs personnes et de leur vie cf. Acta Sanctorum, 16. Jan. On vénère leurs reliques dans la cathédrale de Cologne. C. D’où venaient‑ils ? Le texte évangélique nous l’apprend, mais d’une manière si générale que nous n’en sommes guère plus avancés. D’Orient, de même que l’hébreu désigne tout ce qui est à l’orient de la Palestine, par conséquent toute une série de nombreuses contrées. Aussi, les exégètes ont‑ils fait les choix les plus variés, se décidant tantôt pour la Chaldée, tantôt pour le pays des Parthes, tantôt pour la Perse, tantôt pour l’Arabie. Ce sont les deux dernières hypothèses qui réunissent le plus grand nombre de suffrages, vu, d’une part, que « le nom de mages est un mot qui appartient en propre aux Perses », et que d’autre part, « Plaident en sa faveur la nature des dons et la proximité du lieu », Maldonat. L’Arabie pour les Hébreux, était par excellence le pays de l’Orient. – D. Quant à l’époque de la visite des Mages, elle n’est pas expressément marquée dans l’Évangile. Plusieurs auteurs anciens, tels qu’Origène, Eusèbe, S. Épiphane, prenant le v. 16 pour base de leurs calculs, assurent que les Mages ne vinrent qu’environ deux ans après la naissance du Sauveur, puisque Hérode fit périr les enfants de Bethléem : « de deux ans et moins, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages. ». Mais il y a là une exagération évidente, comme le montrera l’explication de ce verset. La plupart des Pères croient au contraire que la visite des Mages à la crèche eut lieu très peu de temps après Noël ; beaucoup d’entre eux maintiennent même rigoureusement la date fixée dès l’antiquité pour la célébration de l’Épiphanie, c’est-à-dire le treizième jour à partir de la naissance de Jésus‑Christ. Sans vouloir prescrire des limites aussi étroites, nous nous bornerons à dire ici que l’adoration des Mages dut suivre d’assez près la Nativité du Sauveur. Il semble qu’il n’y eut pas d’intervalle entre l’apparition de l’étoile, la naissance de Jésus et le départ des Mages. Du reste, alors même que les saints voyageurs fussent partis de la Perse lointaine, il leur était facile, montés sur leurs dromadaires, de parcourir en peu de temps des distances considérables. Il est reconnu qu’un bon dromadaire franchit en une seule journée ce qu’un cheval ne parcourt qu’en huit ou dix jours. Nous examinerons plus tard, en étudiant la question de l’accord du récit de S. Luc avec celui de S. Matthieu, quelle est la place la plus convenable pour la visite des Mages. – Jérusalem. C’était la métropole de l’état juif ; ils espéraient y trouver mieux que partout ailleurs les renseignements précis dont ils avaient besoin pour arriver au terme de leur voyage ; ou plutôt ils espéraient y trouver Celui‑là même qu’ils cherchaient. Où devait‑il être sinon dans la capitale de son royaume, dans le palais des rois ses aïeux ?
Mt2.2 disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer. » – Ils savent que ce n’est qu’un nouveau‑né, mais ils sont parfaitement sûrs du fait même de sa naissance. Ils n’ignorent qu’une chose, sa résidence actuelle, et c’est sur elle que porte leur demande. – Quel sens les Mages attribuaient‑ils au titre de Roi des Juifs ? Certainement, ce n’est pas un roi ordinaire que ces fils du désert viennent vénérer de si loin ; ce n’est pas non plus un roi destiné aux Juifs d’une manière exclusive. Bien qu’il soit le roi des Juifs par excellence, son pouvoir, ils n’en doutent pas, s’étendra bien au‑delà des limites de la Judée, et ce pouvoir sera religieux avant tout ; voilà pourquoi ils lui apportent leurs hommages. On les comprit, comme nous le montrera la suite du récit, et l’on traduisit immédiatement l’expression “Roi des Juifs” par un titre plus clair encore, celui de Messie, Cf. v.4. Remarquons en passant que le nom de roi des Juifs, donné à Jésus dès sa plus tendre enfance, sera écrit en trois langues sur sa croix, au moment où il rendra le dernier soupir, et, là encore, ce seront des païens qui l’appliqueront au Sauveur. Jean 19, 19-22. – Nous avons vu son étoile. Les Mages indiquent le motif qui leur a fait quitter leur patrie pour accourir jusqu’en Judée : ils ont vu l’étoile du roi des Juifs. Mais en quoi consistait cette étoile ? Indiquons deux hypothèses formées à son sujet. Première hypothèse : un miracle pur et simple, l’étoile des Mages n’était pas un astre proprement dit, mais un météore mobile, transitoire, créé pour la circonstance, qui apparaissait, disparaissait, marchait, s’arrêtait sans quitter notre atmosphère, à la façon de la nuée de feu qui avait autrefois servi de guide aux Hébreux dans le désert. C’était donc un phénomène complètement surnaturel et miraculeux. Ainsi ont pensé les Pères et la plupart des commentateurs des divers siècles : c’est à coup sûr l’hypothèse la plus simple, la plus conforme à la lettre du texte, celle qui s’impose en quelque sorte à l’esprit, quand on lit cet épisode dans le récit de S. Matthieu. Pour l’évangéliste en effet il est clair que l’étoile fut le résultat d’un miracle. « Que cette étoile ne figure pas parmi le nombre des étoiles, qu’elle ne soit même pas une étoile, mais une certaine vertu invisible qui prenait la forme d’une étoile, se découvre d’abord par son chemin… » S. Jean Chrys., Homélie 6 sur S. Matthieu. Autre hypothèse : Origène, c. Cels. et le philosophe platonicien Chalcidius ont cru que l’étoile du Messie était une comète. Ce serait même, a‑t‑on dit, une comète célèbre, vue par les Chinois en 750 depuis la fondation de Rome, l’année même de la naissance de Jésus, et fidèlement notée dans leurs tables astronomiques. Cette opinion n’a trouvé qu’un nombre très restreint de défenseurs, car elle est bien peu vraisemblable. – Le récit évangélique suppose un miracle réel, c’est du moins l’opinion générale ; mais ce miracle ne ressort pas catégoriquement, nécessairement du texte. On ne saurait nier que Dieu emploie très‑souvent les causes naturelles pour arriver à ses fins. Toutefois, nous préférons nous en tenir ici à la lettre de l’Évangile et au sentiment des saints Pères. – Son étoile. Dernière et importante observation relative à l’étoile. Quelle que fût sa nature, comment les Mages connurent‑ils en la voyant que c’était l’astre du roi des Juifs, et que ce roi venait de naître ? La légende simplifie beaucoup les choses en prêtant la parole à l’étoile, ou aux anges qui la conduisaient. Mais les réponses sérieuses ne font pas défaut. Toute l’antiquité croyait qu’aux principaux événements de la terre, spécialement à la naissance des grands hommes, présidaient des phénomènes céleste correspondants. Cf. Justin. Hist. 37 ; Sueton. Vit. Caes. c. 88. De plus, il y avait alors dans le monde entier comme un pressentiment général d’une nouvelle ère pour l’humanité et cette ère nouvelle, croyait‑on, devait avoir la Judée pour point de départ. Les textes de Tacite et de Suétone, qui commentent en quelque sorte le mot de la Samaritaine « Le salut vient des Juifs », Jean 4, 22, sont dans toutes les mémoires : « Une ancienne et constante opinion était répandue dans tout l’Orient à l’effet qu’à cette époque on allait en Judée pour s’approprier des choses. », Suétone in Vespas. « Plusieurs étaient persuadés qu’il était contenu dans les lettres des prêtres, à cette époque où l’Orient jouissait d’un grand prestige. On allait en Judée pour s’approprier des choses », Tacit. Hist. 5, 13 ; Cf. Jos. Guerre des Juifs, 1, 5, 5. L’Orient était alors rempli de Juifs, descendants des anciens captifs de Babylone, qui se faisaient remarquer par un ardent prosélytisme, et qui ne faisaient un mystère ni de leur religion ni de leur Messie. C’est grâce à eux que s’étaient répandues ces espérances universelles qui tenaient le monde en suspens. Les Mages, tout nous porte à le croire, étaient donc sous l’influence d’idées semblables quand tout à coup ils aperçurent un astre nouveau. Pour eux, selon la belle pensée de S. Augustin, c’était un langage extérieur bien capable d’exciter leur foi : « L’étoile qu’était‑elle sinon une magnifique langue du ciel ? », Serm. 201, 4, al. de Temp. 31. Mais à ce langage extérieur dut s’unir une parole plus claire encore, une révélation intérieure qui leur montra distinctement le rapport qui existait entre l’astre nouveau et le Messie, et qui les pressa de se rendre en Judée : c’est ce qu’enseignent presque tous les Pères. « Ils connurent l’étoile du Christ par une révélation », August., Sermo 117, al. 67. « Celui qui a présenté le signe en a donné l’intelligence à ceux qui le regardaient », S. Léon le Grand, Serm. 4 de Epiph. On a dit aussi que les Mages pouvaient bien connaître la prophétie de Balaam où il est question de l’étoile du Messie, Nombres 24, 17 et suiv. : “Je le vois, mais pas encore ; je le contemple, mais non de près. Voici qu’une étoile sort de Jacob, et qu’un sceptre s’élève du milieu d’Israël”. C’est peu probable ; car l’on admet généralement que, dans cet oracle, il ne s’agit pas d’un astre proprement dit, destiné à être le signe précurseur du Messie. Le mot étoile y est plutôt employé dans un sens figuré, pour désigner le Messie en personne, de même que le “sceptre” du second hémistiche. Remarquons, avant de quitter le sujet, la manière admirable dont la Providence adapte constamment les moyens aux dispositions de ceux qu’elle veut convertir. Jésus attire à lui les pécheurs de Galilée par des pêches miraculeuses, les malades par des guérisons, les docteurs de la Loi par l’explication des textes de l’Écriture, les Mages, c’est-à-dire des astronomes, par une étoile au firmament. Observons encore que le second avènement du Christ sera accompagné d’un signe merveilleux dans le ciel, de même que le premier. Cf. Matth. 24, 30. – En Orient. Il faut prendre ces mots dans leur signification stricte ; ils n’équivalent nullement au qualificatif orientale appliqué à l’étoile, ainsi que l’ont affirmé divers commentateurs. – l’adorer, selon S. Augustin, les rois mages ne rendaient pas hommage à un roi terrestre, mais à un roi céleste, une personne en qui ils comprirent que se trouvait la puissance divine. S’ils avaient cherché un roi terrestre, ils auraient perdu toute dévotion lorsqu’ils le trouvèrent dans la pauvreté de la crèche. Ils apprirent par révélation que l’homme-Dieu était né ? En effet, Dieu qui leur envoya une étoile, leur envoya également un ange qui le leur révéla. Selon le pape S. Léon le Grand : de même, que leurs yeux étaient remplis à l’extérieur de la lumière de cette étoile, de même un rayon divin leur faisait une révélation intérieure sur la divinité de l’enfant. Par ceci s’accomplit le Psaume 71, 11 : les rois l’adoreront, toutes les nations le serviront.
Mt2.3 Ce que le roi Hérode ayant appris, il fut troublé et tout Jérusalem avec lui. – Ce verset est vraiment dramatique ; il décrit l’effet produit à la cour et dans la ville par la nouvelle inattendue qu’apportent les Mages. Qu’on se représente une longue caravane faisant son entrée dans une de nos grandes villes, et suscitant par son seul aspect la curiosité de la foule ; qu’on se représente les chefs de ce riche cortège demandant à ceux des habitants qu’ils rencontrent : “Où est votre roi qui vient de naître ?” et l’on comprendra ce qui dut se passer alors à Jérusalem. Les paroles des Mages volent de bouche en bouche et bientôt elles franchissent le seuil du palais d’Hérode, portant en tous lieux une vive émotion ou même un violent effroi. – Fut troublé. Effroi d’abord dans le cœur d’Hérode. Matthieu, d’un seul mot, et comme en passant, a exprimé de la façon la plus précise l’état d’esprit et le tempérament d’Hérode. Hérode avait des raisons particulières d’être troublé par ce bruit soudain. Roi de Judée non par le droit, mais à force d’intrigues et de violences, détesté d’une grande partie de ses sujets à cause de sa tyrannie ou de son caractère anti‑théocratique, prince ambitieux et jaloux de son autorité au point de faire périr les membres de sa famille, de crainte d’être supplanté par eux, il apprend tout à coup qu’il a auprès de lui un puissant rival, le Messie en personne, et il se demande avec anxiété si son trône pourra bien subsister à côté de celui du Christ. Quelle affliction pour un tel homme d’entendre dire que des savants orientaux viennent saluer dans sa propre capitale le nouveau roi des Juifs. – Et tout Jérusalem. Jérusalem aussi avait ses raisons d’être émue. Elle se trouble parce qu’elle espère que son Messie va la délivrer du joug romain, qu’il la placera à la tête des nations et la comblera de prospérités ; or, les grandes espérances agitent et font trembler, quand elles sont sur le point d’être réalisées. Elle redoute les maux nombreux, les bouleversements épouvantables que les Rabbins lui prédisaient sous le nom de “Douleurs du Messie” et qui devaient, lui disait‑on, précéder l’apparition du Christ ; elle redoute encore quelque nouveau massacre opéré par Hérode dont elle connaît les accès de jalousie cruelle. Des causes opposées troublent donc fortement le roi et les sujets.
Mt2.4 Il assembla tous les Princes des prêtres et les Scribes du peuple, et leur demanda où devait naître le Christ. – Il assembla. Dans cette circonstance délicate, Hérode ne dément pas le portrait qu’ont tracé de lui les anciens auteurs au point de vue de la ruse et de l’habilité. Il ne fallait ni trop de mystère, ni trop d’éclat : trop de mystère eût excité l’effervescence populaire au lieu de la calmer ; trop d’éclat eût entraîné tout le monde auprès du Messie. Hérode saura choisir à merveille le juste milieu recommandé à l‘homme sage. Non moins que les Mages, il tient à savoir où est “le roi des Juifs”, son concurrent inattendu. Il dissimule son inquiétude, semble désireux de rendre service aux illustres voyageurs, et, comme leur demande concernait un fait religieux, bien plus, le fait religieux par excellence du Judaïsme, la naissance du Messie, il convoque en séance extraordinaire le grand conseil des Juifs: le Sanhédrin. Ce corps célèbre, que nous trouvons mentionné plusieurs fois dans le premier Évangile, Cf. 5, 22 ; 10, 17 etc., et dont le nom, malgré sa couleur hébraïque, laisse facilement reconnaître son origine grecque, se composait de 71 membres, c’est-à-dire d’un président qui était ordinairement le grand prêtre, et de 70 assesseurs. Ces membres formaient trois classes distinctes. Il y avait 1° les princes des prêtres. On désignait ainsi non‑seulement le souverain Pontife actuellement en fonctions, qui était le prince des prêtres par excellence, ou ses prédécesseurs encore vivants, mais aussi les chefs des vingt‑quatre familles sacerdotales cf. 1 Chron. 24. – 2° les Scribes, ou docteurs de la Loi, comme les nomme S. Luc. Ils constituaient une corporation nombreuse et puissante, dont le ministère consistait surtout à interpréter la Loi mosaïque. Comme la religion et la politique étaient très étroitement associées sous le régime théocratique de l’Ancien Testament, les Scribes étaient tout à la fois des jurisconsultes et des théologiens. Ils appartenaient presque tous au parti pharisaïque et jouissaient d’un grand crédit auprès du peuple. Naturellement, ce n’étaient que les plus illustres d’entre eux, tels que les Gamaliel, les Nicodème, qui faisaient partie du Sanhédrin. Leur dénomination montre qu’une de leurs fonctions était aussi d’écrire les actes publics. – 3° les Anciens, c’est-à-dire les notables, qui étaient pris parmi les chefs des principales familles. Ils formaient l’élément purement laïque du grand conseil. Bien que la question à décider dans la circonstance présente fût complètement du domaine de la théologie, les anciens durent être convoqués avec les deux autres classes, parce qu’Hérode voulait une réponse officielle, authentique, qui réclamait la présence de tous les Sanhédristes. Si l’évangéliste ne les nomme pas, au v. 4, cela tient à ce que la décision du cas proposé regardait de préférence les princes des prêtres et les docteurs de la Loi. Plus tard encore, nous rencontrerons des omissions semblables, alors même qu’il s’agira certainement d’une réunion complète des assesseurs. Cf. Matth. 20, 18 ; 26, 59 ; 27, 1. – devait naître le Christ. Hérode, comme les Mages, s’informe seulement du lieu de la naissance du Christ ; où. Le fait en lui‑même est supposé certain ; l’attente du Messie était alors universelle, on sentait que les temps étaient accomplis. Voir le livre des abbés Joseph et Augustin Lémann, juifs devenus prêtres catholiques, La question du Messie et le Concile du Vatican, Lyon, 1869, chap. 2.
Mt2.5 Ils lui dirent « A Bethléem de Judée, selon ce qui a été écrit par le prophète : 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre parmi les principales villes de Juda, car de toi sortira un Chef qui doit paître Israël, mon peuple. » – Ils lui dirent. Le problème était facile à résoudre et ne demandait pas de longues réflexions, tant la Révélation avait été claire sur ce point cf. Jean 7, 42 et s. Aussi les Sanhédristes répondent‑ils sans hésiter : A Bethléem de Judée. Ils donnent aussitôt la preuve de leur assertion: il a été ainsi écrit, il y a longtemps que le prophète Michée l’a prédit cf. Mich. 5, 1. La parole du Sanhédrin est aussi précise que celle des Mages et, comme celle des Mages, elle s’appuie sur une autorité extérieure ; les Mages avaient cité l’étoile, les princes des prêtres et les docteurs de la Loi citent un texte prophétique. – Et toi, Bethléem… la prophétie de Michée, que les anciens Rabbins appliquent unanimement au Messie, est citée librement et s’écarte tout à la fois de l’hébreu et des Septante : Michée 5. 1 Et toi, Bethléem Éphrata, petite pour être entre les milliers de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit être dominateur en Israël et ses origines dateront des temps anciens, des jours de l’éternité. 2 C’est pourquoi il les livrera jusqu’au temps où celle qui doit enfanter aura enfanté et le reste de ses frères reviendra aux enfants d’Israël. 3 Il se tiendra ferme et il paîtra ses brebis dans la force du Seigneur, dans la majesté du nom du Seigneur, son Dieu et on demeurera en sécurité car maintenant il sera grand, jusqu’aux extrémités de la terre. 4 C’est lui qui sera la paix. Quand l’Assyrien viendra dans notre pays et que son pied foulera nos palais, nous ferons lever contre lui sept bergers et huit princes du peuple.
Si nous rapprochons maintenant les deux textes, nous verrons que la différence n’existe que dans la forme et nullement dans la pensée. L’idée que voulait exprimer le prophète était celle‑ci : Bien que Bethléem soit un bourg trop insignifiant pour qu’on puisse le compter parmi les villes principales de la Judée, néanmoins il en sortira un chef illustre pour le peuple juif. S. Matthieu a modifié l’expression pour dire que Bethléem n’est nullement une ville insignifiante, attendu qu’il donnera aux Juifs un chef distingué. Qui ne voit que, malgré cette affirmation d’une part, cette négation de l’autre, la prédiction demeure tout à fait la même dans sa partie essentielle : le Messie doit naître à Bethléem, lui conférant ainsi une grande gloire ? Les autres traits sont des points minutieux et l’évangéliste ne s’en fait pas esclave. C’est ainsi qu’il s’est permis de dire “Bethléem terre de Judée” au lieu de “Bethléem Éphrata”. – paître. Nous venons de voir que le grec nous présente le Messie sous la figure non d’un roi, mais d’un pasteur. Dans l’antiquité, on avait compris qu’il y a, suivant la parole de Xénophon, plus d’une ressemblance entre les devoirs d’un bon roi et les devoirs d’un bon pasteur. C’était leur rappeler les soins affectueux qu’ils doivent à leurs sujets. Cette même image revient à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament cf. 2 Samuel 5, 3 ; Jérem. 23, 2 et s., et le psaume 22.
Mt2.7 Alors Hérode, ayant fait venir secrètement les Mages, apprit d’eux la date précise à laquelle l’étoile était apparue. – Hérode a maintenant deux données certaines : les Mages lui ont appris que le Messie est né, les membres du Sanhédrin que Bethléem doit être sa patrie. Il veut en obtenir une troisième qui lui permettra d’exécuter plus sûrement les projets homicides qui se pressent déjà dans son esprit, et de mieux saisir l’étendue des mesures à prendre : ce sont encore les Mages qui la lui fournissent. – ayant fait venir secrètement ; en secret pour bien cacher son jeu et de crainte qu’on ne devinât ses plans. C’était une inconséquence, puisque Hérode avait ouvertement convoqué le grand Conseil. – apprit, expression très énergique dans le texte grec. – la date précise. C’est-à-dire l’année, le mois, le jour où elle est apparue d’abord. Les astronomes avaient coutume de noter cela minutieusement. Tel est donc le dernier renseignement que le tyran voulait connaître ; il supposait très‑naturellement qu’il existait une relation étroite entre l’apparition de l’étoile et l’époque de la naissance du Christ.
Mt2.8 Et il les envoya à Bethléem en disant : « Allez, informez-vous exactement de l’enfant et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que moi aussi j’aille l’adorer. » – Les envoyant. Hérode conclut qu’à un âge si faible son rival n’aura pas encore été éloigné du lieu où il est né. Le roi eût pu sans doute partir lui‑même immédiatement pour Bethléem, mais la chose eût fait trop de bruit, ce qu’il voulait à tout prix éviter. Il est beaucoup plus habile de sa part et beaucoup plus simple de transformer les Mages en espions inconscients, allez, informez-vous. – Afin que moi aussi… C’est bien là le monarque hypocrite dont nous parle l’historien Josèphe. Il essaie, par ces dévotes paroles, de tromper les âmes bonnes et droites des Mages, qui eussent été pris au piège sans la révélation spéciale qu’ils reçurent plus tard, v.12.
Mt2.9 Ayant entendu les paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient allait devant eux, jusqu’à ce que, venant au-dessus du lieu où était l’enfant, elle s’arrêta. – Ils partirent. Les Mages, heureux des renseignements qu’ils ont reçus, quittent Jérusalem et se dirigent vers la cité de David. La route qu’ils suivirent traverse d’abord la profonde vallée de Gihon et gravit les flancs escarpés de la montagne du Mauvais Conseil ; elle parcourt ensuite un terrain rocailleux qui n’est cultivé que par intervalles, mais qu’illustrent de nombreux souvenirs, en particulier le tombeau de Rachel et la fontaine où les trois héros vinrent puiser un peu d’eau pour David au péril de leur vie ; 2 Samuel 23, 15 et suiv. – Et voilà que l’étoile. Cette apparition eut lieu au sortir de Jérusalem : elle suppose que le départ des Mages s’était effectué le soir ou durant la nuit, selon la coutume orientale ; elle suppose en outre une éclipse temporaire de l’étoile. Peut-être même cet astre mystérieux, après s’être montré aux Mages en Orient, était‑il resté caché jusqu’alors ; en effet, ils n’avaient pas besoin de guide pour venir de leur pays à Jérusalem. “Ils n’avaient pas vu l’étoile pendant tout le voyage ”, Bengel. – Allait… s’arrêta, on ne dit pas d’une étoile qu’elle marche ou qu’elle s’arrête, et on le dit moins encore d’une constellation, ce verset accrédite l’idée d’un phénomène purement miraculeux.
Mt2.10 A la vue de l’étoile, ils se réjouirent d’une grande joie. Ils se sentirent alors si visiblement conduits par Dieu lui‑même que cela leur causa de vifs transports de joie quand l’étoile leur apparut de nouveau.
Mt2.11 Ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent, puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. – La maison. Ce mot, d’après un assez grand nombre d’anciens auteurs (S. Justin, S. Jean Chrysost., S. Augustin, etc.), serait un euphémisme pour désigner l’étable. Mais on admet plus généralement aujourd’hui qu’il faut le traduire d’une manière littérale ; d’où l’on conclut, et ce semble, à juste titre, que depuis Noël S. Joseph avait pu trouver à Bethléem un logement plus convenable que la pauvre grotte de la Nativité. L’affluence des premiers jours, occasionnée par le recensement, Cf. Luc 2, 1, 7, n’avait pas été de longue durée. – Se prosternant, ils l’adorèrent. Cette attitude prouve que les Mages ont reconnu la vertu divine de l’enfant, ils reçurent à ce sujet des révélations spéciales. Telle est la croyance générale de l’antiquité chrétienne. « Ceux‑ci adorèrent Dieu dans des petits membres », S. Augustin, sermo 200, al. 30 ; Cf. S. Jean Chrys. Homil. 8 in Matth. Il y a là plus qu’une cérémonie extérieure accomplie devant le berceau d’un enfant, c’est un véritable hommage spirituel. – Leurs trésors. Ils lui offrirent comme cadeaux. D’après l’usage immémorial de l’Orient, on ne visite jamais des personnes de quelque importance sans leur offrir des présents. – De la myrrhe. “La myrrhe est le produit d’un arbre qui croît dans plusieurs endroits de l’Arabie (Les botanistes modernes l’ont nommé “Balsamodendron myrrha” ; il appartient à la famille des Térébinthacées). Il est épineux et sa feuille ressemble à celle de l’olivier. On pratique sur lui deux incisions par an ; mais il produit spontanément, avant l’incision, une myrrhe appelée stractée, qu’on préfère à toutes les autres. En général, la bonne myrrhe a la forme de globules résultant de la concrétion d’un suc blanchâtre qui se dessèche peu à peu. (…) Elle s’emploie à l’état liquide après qu’on l’a fait dissoudre dans quelque essence”, Pline, Hist. Nat., 156. – Ces dons avaient une signification symbolique, il n’existe pas le moindre doute à ce sujet ; toutefois, la tradition a tellement varié dans l’interprétation du symbole, qu’il est très difficile de savoir à quelles idées il est préférable de s’arrêter. Les deux opinions les plus reçues sont 1° celle de S. Irénée et de Théophylacte, que suit la prose de Noël :
L’or nous déclare qu’il est roi ;
La myrrhe, un homme sous la loi ;
Le pur encens, qu’il est Dieu même.
S. Jérôme disait dans le même sens : « Le prêtre Juvencus fait une belle synthèse des sacrements liés à ces cadeaux lorsqu’il écrit ce vers : « Ils apportent l’or, l’encens et la myrrhe, pour le roi, le dieu et l’homme »
2° celle de S. Fulgence, qui établit un rapport de ressemblance entre la triple offrande des Mages et la triple fonction du Messie : « Ils voulaient par l’or représenter son règne, par l’encens son pontificat, et par la myrrhe sa mort » (ou mieux, selon d’autres, sa dignité prophétique.) D’autres interprétations ont été faites. Quoi qu’il en soit, ces offrandes durent être d’une utilité providentielle à la Sainte Famille au moment de son départ précipité pour l’Égypte. – On trouvera dans les Évangiles apocryphes de singulières légendes, qui font remonter la matière de ces présents jusqu’à Noé ou même jusqu’au paradis terrestre, à travers toute sorte de péripéties. – Les peintres qui ont représenté le mystère de l’Adoration des Mages ont choisi de préférence l’instant où ils offrent leurs dons à l’enfant Jésus : les plus célèbres sont Rubens (musée de Lyon), Véronèse, Andrea del Sarto, van Eyck, Ghirlandajo, Bernardino Luini, Bonifazzio ; ces trois derniers maîtres en avaient fait leur sujet favori.
Mt2.12 Mais ayant été avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. – Avertis en songe. Il est probable qu’ils avaient conçu quelque soupçon contre Hérode et interrogé le Seigneur à son sujet. – Ne pas retourner. Jérusalem n’était pas sur la route des Mages quand ils retournaient de Bethléem en Orient ; ils auraient fait un détour pour y aller porter à Hérode les nouvelles qu’il leur avait demandées. Après l’avertissement surnaturel qu’ils reçurent de Dieu, ils retournèrent directement par un autre chemin, probablement par la voie du Sud, qui leur faisait rejoindre, après quelques heures, la route suivie par les caravanes de l’Est.
Fuite en Égypte et massacre des saints Innocents, 2, 13-18.
Fuite en Égypte, vv. 13-15.
Mt2.13 Après leur départ, voici qu’un ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, et lui dit : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Égypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » – Voici qu’un ange. C’est le second songe mystérieux de S. Joseph. – L’enfant et sa mère. Ces mots ont été choisis à dessein pour montrer encore que Joseph n’est pas le père de l’enfant, mais qu’il joue simplement le rôle de gardien envers Lui et envers Marie. De même au vv. 14, 20 et 21. – Fuis en Égypte. Pourquoi l’Égypte ? Pourquoi, demandons‑nous aussi, ceux de nos compatriotes qui redoutent quelque persécution politique se dirigent‑ils immédiatement du côté de la Suisse, de la Belgique, de l’Espagne, selon la zone qu’ils habitent ? Parce que ces contrées sont les plus faciles à atteindre pour un Français, et aussi, parce qu’après avoir franchi la frontière, ils sont à l’abri de toute poursuite. Il en était de même de l’Égypte ; c’était la terre étrangère le plus à la portée de S. Joseph. Placée directement sous la domination romaine, elle se trouvait complètement en dehors de la juridiction d’Hérode. Entre elle et la Judée s’étendait le désert protecteur de l’Arabie Pétrée, traversé par des routes connues et fréquentées. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois que l’Égypte servait de refuge à des Juifs forcés de s’exiler : dès l’origine de l’histoire juive, chassé par la famine, Abraham, Cf. Genèse 12, 10, était allé lui demander du pain. Des événements providentiels y conduisirent plus tard le patriarche Jacob, qui s’installa avec toute sa famille dans la terre de Gessen, Cf. Genèse 46. Jéroboam, fuyant devant Salomon, avait pris, lui aussi, le chemin de l’Égypte, Cf. 1 Rois 11, 40. C’est là pareillement qu’un grand nombre d’Israélites, suivis par Jérémie, vinrent se cacher après l’assassinat de Godolias, pour échapper à la vengeance des Chaldéens, 2 Rois 25, 26 cf. Jérém. 43. Cette série d’événements a fait dire avec beaucoup de justesse à Maldonat, Comm. in h.l. : « L’Égypte semble être une école de fils de Dieu qui ne peuvent grandir que s’ils sont châtiés ». Au début de l’ère chrétienne, l’Égypte comptait parmi ses habitants une multitude d’Israélites qui s’y étaient établis, les uns pour se livrer à de grandes entreprises commerciales, les autres afin de s’y mettre à l’abri de la tyrannie d’Hérode. Ces Juifs formaient une colonie florissante : ils avaient à Héliopolis leur magnifique basilique bâtie par Onias ; si grande, dit le Talmud avec fierté, que, la voix de l’officiant ne pouvant pénétrer à ses extrémités, le sacristain était obligé d’agiter un mouchoir pour avertir du moment où l’on devait répondre Amen. Ils avaient leurs corporations riches et puissantes dont les largesses à l’égard des concitoyens malheureux étaient devenues proverbiales. La Sainte Famille pouvait donc trouver là les secours et la protection dont elle avait besoin. – Hérode va rechercher l’enfant.., preuve qu’Hérode avait immédiatement conçu le projet de faire mourir l’enfant, dès qu’il avait appris la nouvelle de son existence.
Mt2.14 Joseph se leva, et la nuit même, prenant l’enfant avec sa mère, il se retira en Égypte. – la nuit même. L’avertissement prophétique que nous venons de lire fut sans doute donné à S. Joseph peu de temps après le départ des Mages, et à la dernière extrémité : c’est pourquoi il était si pressant, c’est pourquoi il est exécuté sans retard, en pleine nuit. – Se retira. Après avoir quitté Bethléem, la Sainte Famille se dirigea rapidement vers la limite méridionale de la Judée, qu’elle put atteindre en quelques heures ; elle s’enfonça ensuite dans le désert et gagna, après cinq ou six jours de marche, l’ancienne province de Gessen. La distance à franchir était d’environ quarante lieues. Ce pénible voyage a été idéalisé par de nombreuses peintures qui représentent les saints voyageurs tantôt se reposant à l’ombre d’un palmier et servis par les anges (Lorrain, Poussin, Breughel, Raphaël), tantôt s’avançant à travers mille obstacles ou mille prodiges (Maratti, van der Werff, etc.). Les Évangiles apocryphes racontent, à propos de l’entrée en Égypte, les faits les plus merveilleux, parfois les plus ridicules cf. Brunet, Évangiles apocryphes 2° édit., p. 61 et ss. Il n’est pas possible de fixer avec précision l’endroit qui servit de séjour à Jésus, à Marie et à Joseph pendant leur exil égyptien : la tradition désigne plus communément Matarea, auourd’hui Matarieh, village situé à quelque distance de l’antique ville sacerdotale d’Héliopolis. On y trouve une source d’eau vive qu’on dit être la meilleure de toute l’Égypte, et à laquelle les Musulmans comme les Chrétiens attribuent une grande vertu miraculeuse. C’est là aussi que Kléber triompha d’une armée dix fois supérieure en nombre à la sienne.
Mt2.15 Et il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, afin que s’accomplît ce qu’avait dit le Seigneur par le Prophète : « J’ai rappelé mon fils d’Égypte. » – Et il y resta… L’évangéliste nous donne bien ici la “date de fin” pour calculer la durée du séjour de la Sainte Famille en Égypte ; mais, comme il n’a pas indiqué la “date de début”, c’est-à-dire le point de départ, on ne pourra jamais savoir avec une certitude complète combien de temps Jésus vécut sur la terre d’exil. Les appréciations des SS. Pères et des anciens exégètes varient entre deux et huit années. S’il est vrai que Notre‑Seigneur naquit vers la fin de l’année 749 après la fondation de Rome, Hérode étant mort dans les premiers mois de l’an 750, l’Égypte n’aura gardé le Sauveur que pendant quelques semaines ; tel est l’avis qui a prévalu dans les temps modernes. Le récit de S. Matthieu ne suppose nullement un long séjour : les événements qu’il renferme, combinés avec ceux que nous trouverons dans S. Luc, purent aisément s’accomplir entre le 25 décembre 749 et le commencement d’avril 750. – Afin que s’accomplît : Cf. 2, 22. – Par le Prophète… Ces paroles du prophète Osée, 11, 1, sont citées d’après le texte hébreu ; le texte des Septante, que S. Matthieu suit ordinairement de plus près, ne convenait nullement dans la circonstance présente, attendu qu’il porte “mes fils”. Un regard jeté sur la prophétie d’Osée suffira pour montrer que le passage emprunté par l’évangéliste concerne très directement le peuple juif, d’après le sens historique et littéral. Le contexte le démontre de la manière la plus évidente : “L’enfant était Israël, et d’Égypte j’ai appelé mon fils”. C’est d’Israël qu’il s’agit en premier lieu, et de sa délivrance miraculeuse du joug des Pharaons sous la conduite de Moïse. Envisagé collectivement comme un seul homme, il portait depuis longtemps le glorieux nom de fils de Dieu. « Le Seigneur dit ces choses, mon Fils premier‑né d’Israël », Exode 4, 22. Cf. Jérémie 31, 9. Cette première signification de la prophétie d’Osée s’était accomplie anciennement ; mais il y en avait une autre qui devait se réaliser aussi : « Les mots qui précèdent, selon la vérité et le sens plénier, se rapportent au Christ….De telle sorte que ce qui est écrit : j’ai appelé mon fils d’Égypte se dit, il est vrai, du peuple d’Israël, mais s’applique proprement et parfaitement au Christ », S. Jérôme, in Osée, 11, 1. La destinée du fils adoptif était donc le type de celle qui était réservée au vrai Fils : l’un et l’autre ils furent conduits en Égypte parmi des circonstances particulières, qui ont entre elles plus d’une analogie. – C’est ici le lieu de rappeler le rôle tout-à-fait intéressant de l’Égypte au point de vue historique et religieux. De l’Égypte est venue la vieille civilisation qui se répandit d’abord sur la Grèce et de là sur toute l’Europe ; en Égypte s’est développée la théologie chrétienne ; en Égypte se sont formés les premiers moines ; l’éducation du peuple théocratique se fit en Égypte ; c’est en Égypte que vint à son tour le Fils de Dieu, avant de réformer le régime de l’ancienne Alliance.
Massacre de saints Innocents, vv. 16-18.
Mt2.16 Alors Hérode, voyant qu’il avait été trompé par les Mages, entra dans une grande colère, et envoya tuer tous les enfants qui étaient dans Bethléem et dans les environs, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, d’après la date qu’il connaissait exactement par les Mages. – Les premiers jours qui s’écoulèrent après le départ des Mages durent être pour Hérode des jours de grande surexcitation morale et de vives impatiences. Le vieux roi tremblait sur son trône, depuis qu’il avait entendu demander en pleine Jérusalem “où est le roi des Juifs qui vient de naître ?”. Cette surexcitation et ces impatiences allèrent croissant et se terminèrent par un de ces paroxysmes de rage auxquels Hérode était sujet à la fin de sa vie, lorsqu’il comprit que les Mages l’avaient trompé. –Il avait été trompé par les Mages. Il suppose que c’est une trahison complète qui a été ourdie contre lui ; alors, ne pouvant plus se contenir, il renonce à toute dissimulation, et fait appel à la violence ouverte, brutale. Et pourtant ce n’étaient pas les Mages, c’est Dieu même qui s’était moqué de lui. –envoya. Il choisit ses mandataires parmi ses gardes du corps. On sait que les soldats attachés à la garde des rois orientaux étaient chargés, comme les licteurs romains, de l’exécution des peines capitales. Le tyran donne une large étendue à ses ordres cruels, afin de ne pas manquer son but une seconde fois ; il embrasse le plus possible en fait d’espace et de temps. Les demi‑mesures n’étaient pas de son goût, et la vie humaine n’a jamais eu beaucoup de prix à ses yeux. – Tous les enfants. Le massacre devait comprendre, au point de vue du sujet, tous les enfants mâles sans exception, comme si Hérode eût pris pour modèle l’ancien persécuteur égyptien, Cf. Exode 1, 15, 16, 22 ; au point de vue du lieu, non seulement la ville de Bethléem, mais encore tous les environs,Bethléem et dans tous les environs, c’est-à-dire les hameaux, les maisons isolées qui lui appartenaient ; au point de vue du temps, deux ans et en‑dessous… On a conclu quelquefois de cette dernière réflexion que l’étoile s’était peut-être montrée aux Mages un certain temps avant leur départ d’Orient, par exemple dès l’Incarnation du Sauveur. Mais nous croyons qu’il est plus simple et plus exact de dire avec S. Jean de Chrysostome : « la fureur et la crainte dont il était agité le portaient, pour plus de sûreté, à ajouter encore au temps indiqué par les mages, afin que nul enfant de cet âge ne pût lui échapper », Homélie 7. – Quant au nombre des enfants massacrés à Bethléem, il ne dut pas être bien considérable. La liturgie éthiopienne et le ménologe grec l’évaluent, il est vrai, à 144 000, comme si le passage de l’Apocalypse, 14, 1, que l’Église fait chanter le jour de la fête des SS. Innocents, devait être pris à la lettre et appliqué directement à eux ; mais c’est là une exagération monstrueuse. La statistique peut nous fournir des renseignements assez précis. Bethléem, y compris ses environs, comptait alors tout au plus deux mille habitants, Cf. Michée 5, 1 ; or, à chaque millier d’habitants correspondent à peu près 30 naissances annuelles qui se partagent d’une manière assez égale entre les deux sexes. Nous aurions ainsi, pour une année, quinze enfants mâles ; mais il en faut soustraire la moitié, car telle est la part ordinaire de la mort. Pour deux ans, nous arriverions donc à peine au chiffre de 30 : la plupart des commentateurs modernes le trouvent même trop fort, ne croyant pas que le nombre total des victimes ait dépassé 10 ou 15. – Les rationalistes ont vivement attaqué la véracité de la narration évangélique à propos du massacre de Bethléem, sous le spécieux prétexte que les historiens du paganisme qui se sont occupés d’Hérode, surtout le juif Josèphe qui suit pas à pas les actes du despote, ont complètement passé cette cruauté sous silence. Nous ferons d’abord une observation à laquelle nous osons attribuer quelque valeur. Si l’on eût retrouvé dans les écrits d’un auteur obscur du Bas‑Empire, et là seulement, le renseignement que nous a conservé S. Matthieu, on se sera félicité comme d’une précieuse découverte mais c’est un Évangéliste qui a tiré cet événement de l’oubli, à coup sûr il a été trompé ou il a voulu tromper. Répondons maintenant d’une manière directe à l’objection. 1° Le massacre des enfants de Bethléem est parfaitement conforme à la nature cruelle et emportée d’Hérode‑le‑Grand. “Quand on prend en considération les arrêts de mort et tous les outrages sanglants qu’il fit subir à ses sujets et à ses plus proches parents, quand on se rappelle la dureté inexorable de son cœur, il est impossible de ne pas le déclarer un barbare, un monstre sans pitié. Il suffisait de ne pas parler selon ses idées, ou de ne pas se montrer son très‑humble serviteur en toutes choses, ou encore d’être soupçonné de manifester peu de respect ou de soumission à son égard, pour qu’aussitôt on devînt l’objet de sa colère aveugle et violente, qui atteignait indistinctement parents, amis et ennemis” Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 18, 15. 2° Cette atrocité n’avait aucune portée politique au point de vue des historiens anciens qui se sont occupés d’Hérode ; de plus elle était, quant à son étendue, assez insignifiante dans la vie d’un pareil tyran. Il avait fait périr sa propre femme Mariamne, trois de ses fils, son frère, des sujets sans nombre : qu’était‑ce que le sang de quelques enfants à côté de cruautés perpétuelles ? Une goutte d’eau dans la mer, a‑t-on dit avec beaucoup de justesse. « Après tant d’exemples de cruauté donnés par Hérode à Jérusalem et dans à peu près toute la Judée, après avoir supprimé ses parents et ses amis, ce n’était pas pour lui une grosse affaire d’avoir mis à mort des enfants d’une ville ou d’un village et d’un territoire adjacent. Les lieux étaient trop petits pour qu’il y ait un grand carnage. », Wetstein, d’après J. Vossius. 3° Le silence des écrivains de l’antiquité n’est pas aussi complet qu’on l’a prétendu. Le païen Macrobe fait une allusion manifeste à l’événement raconté par S. Matthieu, dans un passage qui, bien qu’un peu confus, n’en conserve pas moins pour nous une autorité véritable, Sat. conv. 2, 4 : « Quand Auguste entendit dire que, parmi les enfants de moins de deux ans que le roi des Juifs Hérode avait, en Syrie, ordonné de mettre à mort, il y avait aussi son fils, il dit : « Il est préférable d’être le pourceau d’Hérode plutôt que son fils. ». Il nous semble qu’on ne peut rien souhaiter de plus significatif.
Mt2.17 Alors fut accomplie la parole du prophète Jérémie disant : 18 Une voix a été entendue dans Rama, des plaintes et des cris lamentables : Rachel pleure ses enfants et elle n’a pas voulu être consolée parce qu’ils ne sont plus. – Alors fut accomplie. Par cet acte barbare, Hérode accomplissait sans le savoir une prophétie messianique. – Par Jérémie, 31, 15. Ici encore, S. Matthieu s’écarte tout à la fois du texte hébreu et de la version d’Alexandrie (la Bible Septante) ; mais la divergence est très‑légère et n’atteint que l’expression. De même que la parole d’Osée citée au v. 15, ce beau passage de Jérémie a une double signification, l’une verbale, l’autre typique. Suivant le sens verbal, il concerne la déportation des Juifs en Chaldée, après le triomphe de Nabuchodonosor et la chute du royaume de Juda. Rachel avait été enterrée non loin de Bethléem, Cf. Genèse 35, 19. Par une admirable figure, le prophète suppose qu’au moment où les descendants de Benjamin, qui faisaient partie du royaume de Juda, étaient conduits en exil, elle sortit de son tombeau, poussant des gémissements lugubres, comme une mère à qui l’on arrache ses fils et que rien ne peut consoler de cette déchirante séparation. Mais, comme le dit S. Augustin, les divines Écritures ont souvent plus d’un sens : « La sainte écriture a un premier sens, un second et un troisième », et il faut que ces divers sens, quand ils ont été voulus par Dieu, s’accomplissent jusqu’à un iota, selon la parole de Jésus‑Christ. La prophétie de Jérémie devait donc trouver plus tard une seconde réalisation, supérieure à la première. Rachel sortit une seconde fois de sa tombe pour pleurer amèrement, au nom des pauvres mères de Bethléem, sur les innocentes victimes de la tyrannie d’Hérode : son deuil d’autrefois était un type de son deuil actuel. Les littérateurs ont maintes fois admiré cette personnification pathétique. –Rama. Rama, suivant quelques exégètes, serait un nom commun qui désignerait les hauteurs de Bethléem. En effet, râm, signifie “élevé”, et c’est ainsi que S. Jérôme traduit dans la Vulgate le texte hébreu de Jérémie : « Une voix dans les cieux a été entendue ». Mais Rama est plus probablement un nom propre, celui d’une petite ville située à deux lieues au Nord de Jérusalem, et dont les ruines sont encore appelées Er‑Râm par les Arabes. C’est là que les exilés furent réunis avant leur départ pour la Chaldée cf. Jérémie 90, 1 et suiv. On peut aussi dire que Jérémie évoque à Rama l’ombre de Rachel. – des plaintes et des cris lamentables. Dans sa prophétie, Jérémie ajoute, après la description tragique de ce grand deuil : « Ainsi parle le Seigneur : Retiens le cri de tes pleurs et les larmes de tes yeux. Car il y a un salaire pour ta peine, – oracle du Seigneur : ils reviendront du pays de l’ennemi. Il y a un espoir pour ton avenir, – oracle du Seigneur : tes fils reviendront sur leur territoire. » 31, 16 et 17. De même dans la circonstance présente : le Messie, l’enfant bien‑aimé de Rachel, est sauvé ; qu’elle se console. Il reviendra bientôt de la terre d’exil pour le salut et le bonheur de tous. – La peinture et la poésie ont rivalisé de zèle pour célébrer le martyre des SS. Innocents. On connaît à ce sujet les hymnes ravissantes de Prudence, insérées dans le bréviaire romain, «le tyran anxieux a entendu » et «enfants martyrs, fleurs innocentes ». On connaît aussi les belles toiles du Guide, de Rubens, de Nicolas Poussin, de Matteo di Giovanni. – Terminons ce touchant récit par deux pensées de S. Augustin : « Fleurs des Martyrs, ces premiers boutons de l’Église naissante, que l’ardeur de la plus cruelle passion fait éclore au milieu de l’hiver de l’infidélité, et qui ont été emportés par la gelée de la persécution », Serm. 3. « Bienheureux enfants, tout juste nés, jamais tentés, n’ayant pas encore lutté, déjà couronnés. ».
Retour d’exil et séjour à Nazareth, 2, 19-23. Parall, Luc, 2, 39
Mt2.19 Hérode étant mort, voici qu’un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph dans la terre d’Égypte, 20 et lui dit : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et va dans la terre d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant sont morts. » – Hérode ne jouit pas longtemps de la sécurité factice que lui avait procurée le massacre des enfants de Bethléem. Il mourut quelques semaines seulement ou tout au plus deux ou trois mois après cet acte d’inutile cruauté, dans les premiers jours d’avril 750 U. C. Il avait vécu soixante‑dix ans et en avait régné trente‑sept. Josèphe nous raconte son horrible fin dans les termes suivants : “Un feu intérieur le consumait lentement ; il lui était impossible, à cause des affreuses douleurs d’entrailles qu’il éprouvait, de satisfaire son besoin pressant de prendre quelque nourriture. Une grande quantité d’eau s’était amassée au ventre et dans les jambes. Lorsqu’il était debout, il lui était impossible de respirer : son haleine exhalait une puanteur infecte ; des crampes dans tous les membres lui donnaient une vigueur extraordinaire. C’est en vain qu’il essaya les bains de Callirhoë ; on l’en rapporta plus malade à Jéricho. Sentant alors qu’il ne guérirait pas, il fut saisi d’une rage amère, parce qu’il supposait avec raison que tous se réjouiraient de sa mort. Il fit donc assembler dans l’amphithéâtre de Jéricho et cerner par des soldats les personnes les plus notables, et il ordonna à sa sœur Salomé de les faire égorger dès qu’il aurait rendu le dernier soupir, afin qu’il y eût des larmes versées à l’occasion de sa mort. Mais Salomé n’exécuta pas cet ordre. Comme ses douleurs augmentaient de plus en plus, et qu’il était en outre tourmenté par la faim, il voulut se donner un coup de couteau, mais on l’en empêcha. Il mourut enfin dans la trente‑septième année de son règne” ; Ant. 17, 6, 1. C’est la première page du traité de Lactance “De la Mort des Persécuteurs”. L’évangéliste n’emploie pourtant qu’un seul mot, de la plus grande simplicité, “Hérode étant mort”. – Apparut en songe ; pour la troisième fois, Cf. 1, 20 ; 2, 13. – Ceux qui… sont morts ; pluriel très‑extraordinaire puisqu’il n’est question que d’Hérode. C’est un pluriel ou “de majesté” ou “de catégorie”, pour employer les expressions des grammairiens ; le premier s’emploie comme une marque de respect à l’égard des personnages haut placés, le second désignerait ici la classe entière des persécuteurs de Jésus. On les trouve fréquemment l’un et l’autre chez les classiques. L’Ange fait probablement allusion à une parole qui avait été adressée à Moïse dans une circonstance analogue, Exod. 4, 19 : « Va, retourne en Égypte, car ils sont morts, tous ceux qui en voulaient à ta vie ». Là aussi, il s’agissait uniquement du Pharaon ; mais tandis que Moïse recevait l’ordre de rentrer en Égypte, S. Joseph reçoit celui de la quitter.
Mt2.21 Joseph s’étant levé, prit l’Enfant et sa mère, et vint dans la terre d’Israël. – S’étant levé ; répétition à peu près littérale du v. 14. Nous avions déjà rencontré une formule semblable au chap. 1, v. 24. C’est une sorte de refrain qui retentit à travers l’histoire de l’enfant Jésus et qui en marque les principaux événements.
Mt2.22 Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait en Judée à la place d’Hérode, son père, il n’osa y aller, et, ayant été averti en songe, il se retira dans la Galilée – Archélaüs. Par son testament, Hérode avait partagé son royaume entre ses trois fils, donnant à l’aîné Archélaüs la Judée, l’Idumée et la Samarie, à Hérode Antipas la Galilée et la Pérée, à Philippe la Batanée, la Trachonite et l’Hauranite. Auguste respecta les dernières volontés du tyran ; toutefois il n’accorda que le titre d’ethnarque à Archélaüs, se réservant de le créer roi quelque temps après, s’il se rendait digne de cet honneur ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 17, 11, 4. Mais l’honneur ne fut pas mérité ; bien plus, Archélaüs se conduisit en si digne fils d’Hérode que les Juifs, poussés à bout par ses cruautés et par son mépris pour leur Loi, vinrent l’accuser à Rome et implorer contre lui le secours de l’empereur. Reconnu coupable, il fut déposé et relégué à Vienne en Dauphiné, où il mourut. Son administration n’avait duré que neuf années, 750-759 U. C. cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 17, 13, 2 ; de Bello Jud. 2, 7, 3. – Régnait ne doit donc pas être pris à la lettre, mais au sens large, comme synonyme de gouverner. Le caractère dur et soupçonneux d’Archélaüs était depuis longtemps connu du peuple. S. Joseph savait donc, lui aussi, ce qu’était Archélaüs : c’est pourquoi, lorsqu’il eût appris que ce prince avait succédé à son père en Judée, il craignit d’y aller ; redoutant de nouvelles persécutions pour le divin enfant, il décida de lui‑même qu’il n’irait pas s’établir en Judée. Cette réflexion semble indiquer que S. Joseph avait d’abord songé à se fixer aux environs de Jérusalem, vraisemblablement même à Bethléem où était né Jésus. – Averti en songe, pour la quatrième et dernière fois. Une direction supérieure vient ainsi confirmer le dessein de Joseph, et déterminer le lieu précis où il devra se réfugier avec le précieux dépôt qui lui a été confié. – Dans la Galilée. Le tétrarque Hérode Antipas, qui gouvernait en Galilée, était beaucoup moins redoutable que son père et que son frère ; son administration était même assez bienveillante, car il avait à cœur d’attirer dans ses états des habitants des autres provinces, par des avantages de tout genre et par la tranquillité qu’il s’efforçait de procurer à ses sujets. Plus tard cependant la volupté le rendit cruel à l’égard de S. Jean‑Baptiste.
Mt2.23 et vint habiter une ville nommée Nazareth, afin que s’accomplît ce qu’avaient dit les prophètes « Il sera appelé Nazaréen. » – Nazareth. S. Luc nous fera connaître, 1, 26 et ss., le séjour antérieur de Marie et de Joseph dans cette fameuse bourgade qui avait été témoin du mystère de l’Incarnation, et où le Verbe fait chair va passer désormais la plus grande partie de sa vie. L’Ancien Testament, le Talmud, l’historien Josèphe ne la mentionnent nulle part : c’est ici qu’elle apparaît pour la première fois. Bâtie à 347 mètres au‑dessus du niveau de la mer, sur le territoire de la tribu de Zabulon, dans un amphithéâtre formé par des collines crayeuses d’une blancheur éblouissante, elle ressemble, suivant l’étymologie de son nom, Natzar, “qui verdit, qui fleurit”, à une fleur des montagnes, symbole de la fleur céleste qui devait y germer. « Nous irons à Nazareth et nous verrons la fleur de la Galilée, car Nazareth veut dire fleur », S. Jérôme Lettre 44. Grâce à sa position isolée au milieu des montagnes, et à son éloignement de toute grande voie de communication, elle convenait admirablement à la vie cachée que Jésus devait y mener durant près de trente ans. – Afin que s’accomplît. Dans ce séjour de Jésus‑Christ à Nazareth, S. Matthieu voit un nouvel accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament. Mais de qui est le texte il sera appelé Nazaréen, qu’il cite à cette occasion ? On a beau parcourir tous les écrits des Prophètes, et même tous les livres de l’Ancienne Alliance, on ne le trouve nulle part. S. Jean Chrysostome et quelques commentateurs après lui ont supposé que ce passage a été emprunté à un livre prophétique qui s’est perdu depuis ; mais de pareilles explications n’expliquent absolument rien. S. Matthieu semble avoir voulu nous mettre lui‑même sur la voie de la bonne interprétation en employant une formule extraordinaire pour introduire son texte ; pourquoi donc se sert‑il ici du pluriel qui est nécessairement très vague ? Ce qu’avaient dit les prophètes. Cela ne signifie‑t-il pas qu’il voulait citer plusieurs textes condensés en un seul ? Telle est depuis longtemps l’opinion générale. Aussi est‑ce à tort que quelques anciennes versions ont remplacé le pluriel par le singulier “prophète”. Il nous reste maintenant, et c’est le point essentiel, à fixer le sens de la citation. Il est évident que l’évangéliste joue sur les mots à la façon orientale ; il fait actuellement une de ces combinaisons spirituelles qui leur ont été plus d’une fois directement inspirées du ciel, ainsi que nous devons l’admettre pour la circonstance présente. S. Matthieu aperçoit donc, à la lumière d’en haut, une connexion mystique qui existe entre le nom de la ville de Nazareth où Jésus‑Christ habita de longues années, et un prédicat appliqué au Messie par les prophètes en termes généraux, sous une forme ou sous une autre. Quel est ce prédicat ? Évoquons deux hypothèses à son sujet. 1° Ce serait le Nazir, “saint, consacré”, plus spécialement au Seigneur par le vœu du “nazirat” cf. Juges 13.5 car tu vas concevoir et enfanter un fils. Le rasoir ne passera pas sur sa tête, car cet enfant sera nazaréen de Dieu, dès le sein de sa mère et c’est lui qui commencera à délivrer Israël de la main des Philistins. » 6 La femme alla dire à son mari : « Un homme de Dieu est venu vers moi, il avait l’aspect d’un ange de Dieu, un aspect redoutable. Je ne lui ai pas demandé d’où il était et il ne m’a pas fait connaître son nom 7 mais il m’a dit : « Tu vas concevoir et enfanter un fils et maintenant, ne bois ni vin ni liqueur forte et ne mange rien d’impur, parce que cet enfant sera nazaréen de Dieu dès le sein de sa mère, jusqu’au jour de sa mort. » Les prophètes ont certainement prédit plus d’une fois que le Christ serait saint et même le Saint par excellence, qu’il serait éminemment consacré à Dieu ; mais Jésus n’a jamais été “nazir” dans le sens strict de cette expression ; l’Évangile l’affirme expressément puisqu’il buvait parfois du vin, cf. Matthieu. 11, 19. 2° Ce serait le substantif netzer, “rejeton, rameau”. Ce sentiment est, croyons‑nous, le plus vraisemblable des deux. En effet, – a. c’est le plus exact étymologiquement parlant. Bien que l’orthographe hébraïque du nom de Nazareth ne soit complètement certaine, il est néanmoins très probable qu’on écrivait anciennement par un tsadé et non par un zaïn, et que sa vraie racine, comme nous le disions plus haut est la même par conséquent que pour “netzer”. – b. Les prophètes attribuent réellement au Messie la dénomination de “netzer”, soit d’une manière très expresse, par exemple dans ce passage d’Isaïe : « Un rameau (en hébr. netzer) sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines, » 11, 1 ; soit en termes analogues, v. g. : Jérémie 23, 5 ; 33, 15 ; Zach. 3, 8 ; 6, 12, etc., qui nomment le Christ, germe. Ainsi pensait déjà S. Jérôme : « Ce que tous les exégètes catholiques cherchent sans le trouver, à savoir où il est écrit qu’il sera appelé nazaréen, les érudits Juifs pensent que Matthieu l’a tiré du passage suivant d’Isaïe : 11, 1 ». Puis, dans son commentaire sur S. Matthieu, expliquant notre passage, il donne la traduction suivante du texte d’Isaïe : « Il sortira une tige de la racine de Jessé et un Nazaréen poussera de ses racines ». Encore une fois, c’est un jeu de mots sacré, quelle que soit l’hypothèse que l’on adopte. – Sur la croix, au lieu de “Nazaraeus”, nous lirons “Nazarenus”, et les Juifs appellent encore Notre‑Seigneur Jésus‑Christ “Jéschou Ha‑notz’ri”. Nazaréen, Galiléen, noms de mépris qui ont été depuis couverts de gloire. – “Béthléem et Nazareth, voilà donc la double patrie de Jésus‑Christ, Bethléem qui l’a vu naître, Nazareth qui le verra grandir. Il est né dans celle‑là comme fils des rois, il vivra dans celle‑ci comme fils d’un ouvrier. L’une a entendu le chant des anges, reçu la visite des Mages…, l’autre, ne verra que la vie humble et cachée du Fils de l’homme et ne comprendra que bien tard le trésor qui l’honore”, Le Camus, Préparation exégétique à la Vie de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, p. 431. – L’enfant, après sa disparition de Bethléem, passa probablement pour mort, et ceux‑là même dont l’attention avait été excitée par l’arrivée des Mages, la réponse du Sanhédrin, etc., ne s’occupèrent bientôt plus de Lui. Cependant l’enfant divin grandissait à l’ombre de Nazareth. S’il nous est apparu pauvre, fugitif, ignoré du grand nombre, remarquons les beaux témoignages que nous avons eus en sa faveur : l’Ange, l’étoile, les docteurs juifs, les Mages, les Prophètes, les soins délicats de la Providence, tout nous a parlé de sa grandeur. Tels sont donc les renseignements que S. Matthieu nous fournit sur l’Enfance et la vie cachée de Jésus. Il a choisi, conformément à son plan général, les faits qui lui permettaient de mieux montrer l’accomplissement des prophéties messianiques par Jésus‑Christ : Jésus est né de David et d’une Vierge, dans la ville de Bethléem, et il a longtemps séjourné à Nazareth, quatre circonstances qui avaient été prédites. Nous étudierons le reste dans S. Luc, et nous nous réservons d’établir alors une harmonie parfaite entre les deux récits inspirés. Dans ces premiers chapitres de S. Matthieu, dont on a de nos jours transformé les différentes parties en mythes ou en légendes, nous n’avons trouvé rien que de très naturel et de très authentique.


