Chapitre 20
f. Parabole des ouvriers envoyés à la vigne, 20, 1-16.
Mt20.1 « Car le royaume des cieux est semblable à un père de famille qui sortit de grand matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. – Est semblable. Le texte rattache cette parabole aux derniers versets du chap. 19 avec lesquels elle a de très étroites relations : elle présente en effet une nouvelle face de la réponse du Sauveur à la question de S. Pierre, 19, 27. Il est fâcheux que la division de l’Évangile en chapitres l’ait extérieurement séparée d’un épisode sans lequel il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de la comprendre. Quoique les détails dont elle se compose soient de la plus grande clarté, l’idée qu’elle renferme et le but auquel elle tend ne se découvrent pas sans peine. On pourrait la placer sous ce rapport à côté de la Parabole de l’économe infidèle, Luc. 16, 1 et ss. : elles ont occasionné l’une et l’autre la composition de nombreuses monographies qui, en multipliant les interprétations, n’ont malheureusement pas toujours contribué à répandre la lumière. S. Jean Chrysostome se demande plusieurs fois « Que signifie cette parabole ? ». Expliquons d’abord le sens littéral dont l’intelligence nous permettra de résoudre ensuite plus aisément les difficultés d’ensemble. – Un père de famille cf. 13, 24. 45. Dans le royaume des cieux, il se passera quelque chose de semblable à la conduite de ce père de famille, telle qu’elle nous sera décrite par Jésus. – Qui sortit de grand matin, avec l’aurore. Ce zélé propriétaire devance le jour, soit pour être plus sûr de trouver les journaliers dont il a besoin, soit pour leur faire commencer à l’heure habituelle, sans qu’il y ait une seule minute perdue, les travaux auxquels il les destine. La journée commençait chez les Hébreux avec le lever du soleil : « Le travail commence au lever du soleil et se termine à l’apparition des étoiles », Bava metsia, f. 83, 2 ; et il fallait un certain temps pour se rendre à la vigne. – Afin d’embaucher des ouvriers : il s’agit de ces ouvriers qu’on prend à la journée, et qui sont souvent mentionnés par les auteurs grecs et latins sous les noms de « mercenaires ».
Mt20.2 Étant convenu avec les ouvriers d’un denier par jour, il les envoya à sa vigne. – Étant convenu, de concert, disaient délicatement les grecs , toute convention dans laquelle les partis se mettent d’accord ressemblant, pour ces artistes, à un harmonieux concert des esprits. – Un denier par jour, « pour ce jour » par conséquent. Le père de famille ne prend les ouvriers que pour ce jour‑là, et il promet à chacun d’eux un denier : cette somme relativement considérable à l’époque de Notre‑Seigneur, semble avoir été alors le salaire habituel d’une journée de travail. Cf. Tobie 5, 14, d’après la traduction des Septante, et les citations du Talmud dans l’ouvrage de Wetstein. La solde quotidienne des guerriers romains était aussi d’un denier cf. Tacit. Ann. 1, 17.
Mt20.3 Il sortit vers la troisième heure et en vit d’autres qui se tenaient sur la place sans rien faire. – Il sortit vers la troisième heure. Le jour naturel et proprement dit commençait chez les anciens au lever du soleil, et se terminait à son coucher cf. Levit. 23, 32. Avant l’exil, les Juifs le divisaient en quatre parties, le matin, midi, le soir et le crépuscule. Plus tard, ils adoptèrent les heures telles qu’elles existaient chez la plupart des peuples, c’est-à-dire des heures irrégulières dont la longueur variait suivant les saisons. Il était convenu que le jour avait douze heures ; le lever du soleil fixait le commencement de la première, les onze autres étaient réglées d’après l’intervalle qui s’écoulait depuis lors jusqu’au moment où le soleil disparaissait à l’horizon. On a calculé que le plus long jour durait en Palestine 14 heures 12 minutes selon notre division actuelle, et le plus court seulement 9 heures 48 minutes, ce qui fait une différence de 22 minutes entre une heure du plus long jour et une heure du plus court. Quand on compare la troisième heure des Juifs à 9 heures du matin en Europe, leur sixième heure à midi, et ainsi de suite, on ne parle donc que d’une manière approximative : le quart, la moitié du jour, etc., seraient des locutions plus exactes. – Sur la place. Le « forum » romain, qui servait primitivement de local aux marchés, était chez les anciens, plus encore que de nos jours, l’endroit où se réunissaient les oisifs et aussi tous ceux qui cherchaient de l’occupation pour la journée. Dans les pays vignobles de la Bourgogne, et partout ailleurs sans doute, c’est sur la place publique que se réunissent les ouvriers qui désirent être employés aux travaux des vignes. Le voyageur Morier mentionne l’existence d’un usage analogue en Perse : « A Hamadan, nous observâmes que chaque matin, avant le lever du soleil, une troupe nombreuse de paysans se réunissaient sur la place du marché, leurs pelles à la main, attendant qu’on les louât à la journée pour travailler dans les champs voisins. Cette coutume me frappa comme une heureuse explication de la parabole du Sauveur, surtout quand, repassant par le même endroit à une heure assez avancée du jour, nous en trouvâmes d’autres debout et oisifs. Chose étonnante, leur ayant demandé le motif de leur oisiveté, ils nous répondirent, eux aussi, que personne ne les avait pris à gages », Second Journey through Persia, p. 265. – Sans rien faire. Ils l’étaient malgré eux, puisqu’ils ne se trouvaient sur le marché que pour chercher du travail.
Mt20.4 Il leur dit : Allez aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste – Allez, aussi. Vous aussi, comme ceux que j’y ai déjà envoyés dès la première heure du jour. – Ce qui sera juste… Le père de famille ne stipule cette fois rien de positif relativement au salaire, parce qu’une partie notable de la journée s’est déjà écoulée. Il agira envers eux selon les principes de l’équité, c’est tout ce qu’il leur promet : ils supposèrent sans doute qu’il leur donnerait le soir environ les trois‑quarts d’un denier.
Mt20.5 et ils y allèrent. Il sortit encore vers la sixième et vers la neuvième heure, et fit la même chose. – Et ils y allèrent. Ils connaissaient probablement le propriétaire ; voilà pourquoi ils acceptent volontiers la proposition, se confiant à sa générosité et à sa justice. – Vers la sixième et la neuvième heure, c’est-à-dire vers le milieu du jour et vers le début de sa quatrième partie. La première, la troisième, la sixième et la neuvième heures, – dont le souvenir a été conservé dans les quatre petites heures du Bréviaire, – correspondaient au commencement des quatre veilles qui formaient la division des nuits. Elles sont souvent mentionnées dans l’Évangile, comme étant les principales du jour. – Il fit la même chose : comme à la troisième heure. Il trouva d’autres ouvriers à la journée oisifs, et il les envoya aussi travailler à sa vigne.
Mt20.6 Enfin, étant sorti vers la onzième heure, il en trouva d’autres qui étaient là oisifs, et il leur dit : Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ? 7 Ils lui répondirent : C’est que personne ne nous a embauchés. Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne. – Vers la onzième heure... Il n’y avait plus alors qu’une seule heure de jour et de travail cf. v. 12. « Comment se fait‑il que vers la neuvième, et même que vers la onzième heure, le père de famille rencontre encore des ouvriers inoccupés ? La parabole ne le dit pas. Le Maître est satisfait de la réponse générale qu’il reçoit : Personne ne nous a pris à gages. Il aurait pu leur demander : Mais où étiez-vous donc à la troisième, à la sixième et à la neuvième heures ? Toutefois la parabole passe sur ce détail qui n’intéressait en rien le but de la comparaison », Schegg, in h. l. Elle attache du moins une importance visible et toute particulière à ces ouvriers de la onzième heure : leur bonne volonté, supposé même qu’elle fût tardive, suffit au père de famille, qui les envoie comme tous les autres travailler à sa vigne.
Mt20.8 Le soir étant venu, le maître de la vigne dit à son intendant : Appelle les ouvriers et paie leur salaire, en allant des derniers aux premiers. – Le soir étant venu. A la fin de la douzième heure et aussitôt après le coucher du soleil. Un article très explicite de la Loi juive enjoignait strictement à tous ceux qui avaient employé des ouvriers de leur payer le jour même, avant la nuit, le montant de leur salaire, parce qu’ils pouvaient en avoir besoin aussitôt cf. Deutéronome 24, 15. Fidèle à cette prescription, le père de famille donne des ordres pour qu’on règle les comptes de ses ouvriers. – Dit à son intendant : cet agent était un serviteur supérieur dont les fonctions avaient une assez grande ressemblance avec celles des régisseurs actuels : il était chargé du temporel, et veillait sur les esclaves ou employés de la maison. – Paie leur le salaire. Le père de famille n’indique pas ici la somme spéciale qu’il fallait donner aux différentes catégories d’ouvriers ; mais il l’avait averti auparavant de ses généreuses intentions. – En commençant par les derniers : les derniers, ce sont les ouvriers de la onzième heure ; les premiers, ce sont les ouvriers engagés dès le matin. Entre ces deux classes, venaient les trois autres, qui devaient se succéder aussi dans un ordre inverse de celui qu’elles avaient suivi pour se mettre au travail.
Mt20.9 Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. 10 Les premiers, venant à leur tour, pensaient qu’ils recevraient davantage, mais ils reçurent aussi chacun un denier. 11 En le recevant, ils murmuraient contre le père de famille, 12 en disant : Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et tu leur donnes autant qu’à nous, qui avons porté le poids du jour et de la chaleur. – Les ordres du Maître sont fidèlement exécutés : les ouvriers de la onzième heure, payés les premiers, reçoivent chacun un denier complet. Quand tous les autres ont passé, les ouvriers de la première heure, qui ont vu donner un denier à chacun, se figurent que la somme sera sans doute doublée pour eux : mais ils n’obtiennent rien de plus que le prix convenu. – En le recevant, ils murmuraient. Déçus et mécontents, ils se plaignent à haute voix, accusant le père de famille d’injustice à leur égard : c’est l’envie qui se manifeste dans toute sa laideur. Le v. 12 résume leurs paroles insolentes. – Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure et tu leur donnes autant qu’à nous : égaux au point de vue du salaire, comme s’il n’y avait pas eu entre eux et nous la plus grande dissemblance sous le rapport du travail et de la peine. – Le poids du jour et de la chaleur. Belle métaphore. Le poids du jour, c’est toute sa durée : ces mots expriment la longueur du travail. Le poids de la chaleur, c’est une circonstance particulière qui fait très bien ressortir la fatigue des premiers ouvriers venus dès le matin : tandis qu’un grand nombre de leurs camarades ont travaillé à la fraîcheur du soir, ils ont été eux‑mêmes exposés pendant la plus grande partie du jour aux feux brûlants du soleil. Le travail dans une vigne, par un soleil d’été, doit être en effet particulièrement pénible en Orient.
Mt20.13 Mais le Maître s’adressant à l’un d’eux, répondit : Mon ami, je ne te fais pas d’injustice : n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? – Il répondit à l’un d’eux. C’était vraisemblablement le meneur de la troupe : il avait exprimé son mécontentement avec plus de violence que les autres ; c’est pour cela que le père de famille s’adresse tout spécialement à lui. – Mon ami : ce terme peut devenir, selon les circonstances, une appellation de tendresse ou de simple indifférence. On appelle souvent « mon ami » des inférieurs que l’on connaît à peine et auxquels on ne sait pas quel autre titre l’on pourrait donner. Sous le rapport de la justice, comme sous tous les autres, la conduite du père de famille était inattaquable : la convention librement conclue le matin même entre lui et les ouvriers ne portait‑elle pas expressément que ceux‑ci recevraient un denier pour salaire ? Puisque les mécontents ont osé porter la querelle sur le terrain du droit, c’est sur ce terrain même que le Maître se défend d’une manière victorieuse.
Mt20.14 Prends ce qui te revient, et va-t’en. Pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15 Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? Et ton œil sera-t-il mauvais parce que je suis bon ? – Il se défend aussi en alléguant son autorité absolue en ce qui regarde ses propres biens, et l’usage qu’il en peut faire à son gré. – Prends… et va‑t-en. Parole sévère sous une forme polie ; il congédie froidement l’insolent qui s’est permis de censurer sa manière d’agir. – Je veux donner... Et comme c’est une résolution légitime, qui ne viole les droits de personne, qui est même à l’avantage d’un grand nombre, pourquoi ne la mettrait‑il pas à exécution ? – Ton œil sera-t‑il méchant... Le mauvais œil, Cf. Prov. 28, 22 ; Eccli. 31, 3 ; 35, 8, 10, est aussi connu que redouté dans tout l’Orient et même en Europe. Il symbolise ici l’envie, ce vice dont le nom latin suppose précisément des regards méchants jetés sur les avantages du prochain. « L’envie, dit Cicéron, Tusc. 3, 9, vient du fait de regarder de trop près les biens d’autrui ». – L’entretien et la parabole se terminent ainsi brusquement. Le père de famille tourne le dos aux mécontents et les laisse humiliés, confondus.
Mt20.16 Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers, les derniers, car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. » – Maintenant, Jésus tire la morale de la parabole, en répétant, après l’avoir tant soit peu modifié, le proverbe qui avait servi de prélude à ce petit drame intéressant. Cf. 19, 30. – Ainsi… Selon ce que vous venez d’entendre. Dans le royaume messianique, les choses se passeront comme dans cette parabole. – Les derniers seront les premiers… Plus haut, ch. 19 v. 30, Jésus avait parlé tout d’abord du sort des premiers : beaucoup des premiers seront les derniers ; ici, il commence par les derniers : les événements racontés dans la parabole réclamaient cette inversion, ou du moins la rendaient plus naturelle. Autre différence : plus haut, Notre‑Seigneur avait dit qu’un grand nombre de ceux qui étaient au premier rang seraient relégués au dernier, tandis qu’ici il généralise la pensée en employant des termes absolus : Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers. Toutefois, le sens est le même, comme le démontre la phrase finale où nous retrouvons l’expression « beaucoup » ; il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Les derniers devenus les premiers, ce sont évidemment, d’après la parabole, les ouvriers des dernières heures du jour, qui ont été traités avec tant de bonté par le père de famille ; les premiers devenus les derniers, ce sont les ouvriers de la première heure, qui, bien qu’ils reçoivent le salaire convenu, sont néanmoins dépassés par les autres en ce sens que le père de famille est plus généreux à l’égard de ceux‑ci. – Car il y beaucoup d’appelés... Autre sentence mystérieuse ajoutée à la première pour la justifier et l’éclaircir. Plusieurs manuscrits (B. L. Z. Sinait. etc.) et versions anciennes ne la contiennent pas : néanmoins son authenticité n’est pas douteuse, vu le grand nombre des témoins qui l’attestent. Son omission peut s’expliquer en partie par ce qu’on appelle un Homoiotéleuton (ressemblance entre fragments de phrases) qui aura trompé quelques copistes. Nous apprenons donc par ces mots le motif pour lequel tant de premiers deviendront les derniers et réciproquement : c’est un changement qui n’a rien d’injuste, ni d’arbitraire, mais qui est au contraire basé sur les décrets les plus légitimes. En effet, conclut Jésus, beaucoup (c’est-à-dire, en réalité, tous) sont appelés, appelés par Dieu à travailler dans la vigne messianique et à recevoir ensuite la récompense de leurs travaux ; mais, peu sont élus : ceux qui deviennent finalement l’objet d’un choix privilégié ne forment malheureusement que la minorité, beaucoup des appelés ne méritant pas d’être élus. Pour revenir encore au texte de la parabole, les « appelés » sont tous les ouvriers recrutés dans le cours de la journée par le père de famille : les élus sont figurés par ceux qui se seront montrés dignes de la récompense finale. – Reprenons à présent la question de S. Jean Chrysostome : « Que signifie cette parabole ? » Il est plusieurs points sur lesquels tout le monde est d’accord et nous allons d’abord les noter. Le père de famille, c’est Dieu, Cf. Jean 15, 1, qui invite tous les hommes sans exception à travailler dans sa vigne. Cette vigne même n’est autre que le royaume messianique, l’Église du Christ, si souvent comparée à une vigne dans les Saintes Écritures. Le procureur représente Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, chargé par son Père d’exercer une haute surveillance sur sa vigne mystique, et de récompenser les bons ouvriers à la fin des temps. La place publique sur laquelle le père de famille va chercher les journaliers dont il a besoin, c’est le monde. Les ouvriers figurent les hommes ; plus spécialement les pasteurs des âmes qui travaillent d’une manière particulière à la vigne du Seigneur. Mais que dénotent les différentes heures du jour ? Que dénote le denier distribué aux ouvriers à la fin de la journée ? Par‑dessus tout, quelle leçon précise ressort de cette parabole pour les Apôtres et pour nous ? – 1. Les heures du jour. Plusieurs Pères ont pensé que les différentes heures de la journée correspondent à des époques distinctes de l’histoire de l’humanité, depuis ses débuts les plus reculés jusqu’à la fin du monde. Telle est l’opinion de S. Grégoire‑le‑Grand : « La vigne est l’Église universelle, qui a produit des ceps, c’est à dire des saints, depuis le juste Abel jusqu’au tout dernier saint qui sera né avant la fin du monde. Le matin est la période allant de Adam à Noé ; la troisième heure, de Noé à Abraham ; la sixième heure, d’Abraham à Moïse, la neuvième de Moïse à la venue du Seigneur ; la onzième heure va de la venue du Seigneur à la fin du monde », Hom. 19 in Evang. cf. Orig. in Matth. tract. 10 ; S. Irénée. l. 4. cap. 70. D’après ce sentiment, les ouvriers de la première, de la troisième, de la sixième et de la neuvième heure seraient exclusivement les Juifs (« l’ancien peuple hébraïque », S. Grégoire), tandis que les ouvriers de la onzième heure représenteraient les païens cf. S. Hilaire, Comm. in Matth. Mais d’autres Pères, et à leur suite la plupart des commentateurs modernes et contemporains, ont adopté une interprétation beaucoup plus naturelle, qui permet de faire de notre parabole une explication tout à la fois plus étendue et plus profonde. Les heures du jour représentent les différentes périodes de la vie humaine auxquelles l’appel de Dieu se fait entendre et vient enchaîner victorieusement, définitivement, les cœurs. Tous les hommes, en effet, ne reçoivent pas à la même époque de leur existence la grâce qui les transforme à tout jamais. Quelle différence entre eux sous ce rapport ! Les uns, heureux ouvriers de la première heure, sont appelés à la foi et à la sainteté dès leur enfance : ils naissent pour ainsi dire dans la vigne même du Seigneur ; « ceux qui comme le Psalmiste (Ps 21, 11) peuvent dire : dès le ventre de ma mère, tu es mon Dieu », S. Jérôme, Comment in h. l. De la sorte, le jour de travail correspondrait, pour chaque individu, à toute la durée de sa vie : mais on aura plus ou moins travaillé, selon qu’on se sera converti à une époque plus ou moins tardive. Le soir, c’est-à-dire à l’heure de la mort, chacun reçoit déjà sa récompense particulière, en attendant qu’elle soit solennellement proclamée au jugement général. – 2. Le denier. Il est assez de mode, dans le camp des exégètes protestants, de voir dans ce denier la figure d’une récompense purement temporelle, quoique on ait beaucoup de peine à définir au juste sa nature. La plupart des interprètes catholiques répondent au contraire avec S. Augustin : « Ce denier est la vie éternelle », Serm. 343 ; et telle est bien l’idée qui semble nettement ressortir de l’ensemble de la parabole. Il existe cependant sur ce point une difficulté que S. Jean Chrysostome, Hom. 114 in Matth., faisait déjà remarquer à ses auditeurs. Comment peut‑on concevoir qu’il y ait des mécontents et des envieux dans le ciel ? Est‑il possible de se figurer des âmes qui, après avoir reçu la récompense éternelle représentée par le denier, se plaignent à Dieu de son insuffisance, et jettent des regards jaloux sur le sort des autres bienheureux ? « Car aucun murmurateur ne peut y entrer, comme aucun de ceux qui le reçoivent pour récompense, ne peut se laisser aller aux murmures », S. Grégoire, Hom. 19 in Matth. Mais la difficulté est plus spécieuse que sérieuse, et il y a plusieurs moyens de la résoudre. On peut répondre d’abord avec S. Jean Chrysostome, loc. cit., que, dans les paraboles de même qu’en général dans les comparaisons, il ne faut pas vouloir presser tous les détails. « Dans ces figures paraboliques il n’est pas nécessaire d’expliquer chaque mot. Mais quand nous avons bien compris la fin et le but de toute la parabole, nous devons nous en servir pour notre édification, sans faire tant d’efforts pour éclaircir tout le reste » . Voir l’introduction aux Paraboles, en tête du chapitre 13. On peut répondre encore que, sous cette image, Jésus‑Christ a voulu, comme nous l’expliquerons plus bas, cacher un grave avertissement à l’adresse de ceux qui, ayant reçu de bonne heure l’appel de Dieu et y ayant correspondu fidèlement, pourraient être tentés ensuite de se négliger, ce qui leur ferait perdre leurs avantages antérieurs. Quoique le denier soit le même pour tous les ouvriers, c’est-à-dire, bien qu’ils reçoivent tous la vie éternelle en prix de leurs travaux, il est bien évident qu’il y aura des degrés dans leur gloire et dans leur félicité : « La vie éternelle sera également accordée à tous les saints, comme le figure ce denier donné à tous comme la récompense commune de leur travail. Le denier, qui est le même pour tous, signifie que la vie éternelle sera égale en durée pour tous les saints dans le ciel, mais tous n’auront pas la même gloire. De même, les étoiles brillent perpétuellement dans le ciel ; mais certaines brillent plus que d’autres », S. Aug. in Luc. c. 15. Ou encore, d’après Bellarmin, de Aetern. Felic. Sanct. 5 : « De même que le soleil apparaît plus brillant aux aigles qu’aux autres oiseaux, et de même que le feu réchauffe plus ceux qui en sont proches que ceux qui en sont éloignés, ainsi dans la vie éternelle certains verront plus clair et se réjouiront plus que d’autres » ; S. Thom. Sum. Theol. 1a q. 12. a. 6. – 3. L’idée mère de la parabole. Cette idée a été bien différemment exprimée ; elle l’a même été parfois d’une manière assez superficielle ; par exemple, quand on a soutenu que Jésus se proposait simplement, dans ce discours figuré, de mettre en lumière l’égalité des récompenses célestes pour les élus, sans égard à la date de leur conversion. Pour d’autres, le point culminant de la parabole consiste dans la parfaite liberté de Dieu relativement au salut des hommes : il peut y appeler qui bon lui semble et quand il lui plaît, sans avoir à rendre de compte à personne. Maldonat ne s’écarte de ces deux sentiments que par une nuance lorsqu’il dit : « La parabole veut montrer que le salaire est proportionnel non pas au temps pendant lequel quelqu’un a travaillé, mais au travail et à l’effort qu’il a faits ». Malheureusement ces interprétations, et plusieurs autres qui leur ressemblent, viennent toutes se heurter contre quelque détail important du récit, qu’elles faussent ou qu’elles n’expliquent pas. Plusieurs écrivains anciens et modernes se rapprochent davantage de la vérité en voyant dans cette parabole l’annonce terrible, quoique aimablement dissimulée, de l’exclusion de la plupart des Juifs du royaume messianique (Van Steenkiste, Schegg, Greswell, etc). Il est certain en effet qu’il y est indirectement question d’un châtiment divin, bien que chacun y reçoive de fait un salaire : ce châtiment, déguisé sous les reproches sévères adressés par le père de famille à l’ouvrier qui murmure (v. 14 : « Prends ce qui t’appartient et va‑t-en » ; v. 15 : « Ton œil est‑il méchant parce que je suis bon ? ») apparaît d’une manière manifeste dans le proverbe qui sert de cadre à la parabole, 19, 30 ; 20, 16, et surtout dans les dernières paroles, qui supposent la damnation d’un grand nombre d’hommes : « il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ». Nous croyons toutefois que la menace n’atteint pas les seuls Juifs ; elle s’adresse plutôt en général à tous les hommes qui, appelés par Dieu à une vie sainte, conforme aux vérités et à la morale chrétiennes, ne se conduisent pas ensuite de façon à mériter l’élection proprement dite. Bien plus, ainsi qu’il semble ressortir du contexte et de la liaison étroite qui existe entre la parabole et la question de S. Pierre, 19, 27, la menace retombe sur les Apôtres eux‑mêmes, pour le cas où ils ne profiteraient pas du céleste appel, accompagné pour eux de tant de grâces et formulé de si bonne heure. L’exemple de Judas prouve que l’avertissement n’était pas inutile, même en ce sens restreint. N’était‑il pas le plus signalé d’entre ces premiers qui sont devenus les derniers par leur faute, et qui verront un jour les publicains et les pécheresses entrer dans le royaume des cieux, Cf. 21, 31, tandis qu’ils en seront à tout jamais exclus ? – Il est intéressant pour l’exégète d’avoir à noter, à côté de cette profonde parabole, deux morceaux littéraires qui ont avec elle une certaine analogie et qui sont tirés l’un du Talmud et l’autre du Sunna, recueil arabe où sont entassés les propos attribués à Mahomet par la tradition. On pourra faire la comparaison. 1° La parabole juive : « A qui peut on comparer R. Bon bar Chaija ? A un roi qui embaucha plusieurs ouvriers, parmi lesquels s’en trouvait un qui effectua extraordinairement bien son travail . Que fit le roi ? Il le prit à l’écart et marcha avec lui çà et là. Quand le soir fut venu, les ouvriers vinrent, pour recevoir leur salaire, et il lui donna un salaire complet. Les ouvriers murmurèrent en disant « nous avons travaillé dur toute la journée, et cet homme seulement deux heures, et pourtant il a reçu le même salaire que nous ». Le roi leur dit : »Il a travaillé plus en deux heures, que vous pendant la journée entière ». Ainsi R. Bon a travaillé plus pour la Loi pendant 28 ans, que d’autres en 100 ans ». Hieros. Berach. Fol. 5, 3 ; Cf. Ligthfoot in h. l. C’est on le voit le commentaire de cette parole du Sage, Sap. 4, 13 : « Arrivé au but en peu de temps, il a parcouru tous les âges de la vie ». 2° La parabole arabe. Les Juifs, les chrétiens et les Musulmans sont comparés à trois groupes de journaliers, embauchés à différentes heures du jour, le matin, à midi et dans la soirée. Les ouvriers embauchés en dernier lieu reçoivent à la fin de la journée deux fois autant que les autres. Les Juifs et les chrétiens se plaignent en disant : Seigneur, vous avez donné deux carats à ceux‑ci et à nous un seul carat. Le Seigneur leur demande : Vous ai‑je fait tort dans votre salaire ? Ils répondent : Non. Eh bien, apprenez, reprend Dieu, que le reste est une surabondance de ma grâce. Cf. Gerock, Christol. des Koran, p. 141.
Mt20, 17-19. Parall. Marc. 10, 32-34 ; Luc. 18, 31-34.
Mt20.17 Pendant que Jésus montait à Jérusalem, il prit à part les douze disciples et leur dit en chemin – Jésus montait à Jérusalem. Le moment venu, Jésus quitte sa retraite de Pérée pour aller à Jérusalem consommer son sacrifice. La capitale juive étant bâtie sur un plateau élevé, l’expression « monter à Jérusalem » était devenue technique, ou plutôt populaire, pour désigner un voyage qui avait cette ville pour terme : elle revient à chaque instant dans la Bible. Cf. 1 Rois 12, 27, 28 ; Psaume 122, 3, 4 ; Luc. 2, 42 ; 18, 31 ; Jean 2, 13 ; 5, 1 ; 7, 8, 10, etc. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 2, 3, 1. – Prit à part… C’est donc sur la route même, et chemin faisant, qu’eut lieu l’entretien dont les trois synoptiques nous ont conservé le souvenir. Les Douze seuls entendirent ces paroles mémorables de Jésus : l’Évangile le note formellement, il prit à part les douze disciples. Jésus voyageait sans doute en ce moment au milieu d’une société nombreuse : il prit à part ses Apôtres proprement dits, pour leur faire la grave communication qui va suivre : c’était une nouvelle que les autres disciples, non encore avertis, n’étaient pas capables de porter. Mais au contraire, il faut que les Douze soient avertis de nouveau, de crainte qu’ils ne soient trop scandalisés quand les événements s’accompliront.
Mt20.18 « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux Princes des prêtres et aux Scribes. Ils le condamneront à mort, – Voici que nous montons. « Voilà que déjà se produit, dans cette montée devant les portes (de Jérusalem), ce que je vous ai quelquefois annoncé au sujet de ma mort », Jansenius. La particule fait ressortir la proximité de l’accomplissement : c’est durant le voyage actuel que la Passion de Jésus aura lieu. – Le Fils de l’homme sera livré : première trahison, laissée dans le vague pour ce qui regarde l’auteur ; l’indication ne sera complétée que le soir du Jeudi Saint. Cf. 26, 2 et ss. – Aux princes des prêtres… C’est le Sanhédrin juif qui est désigné par ces mots. Cf. 2, 4. – Ils le condamneront : livré tout d’abord au Sanhédrin, Jésus sera condamné à mort par ce tribunal suprême ; mais l’exécution de la sentence viendra d’ailleurs, ainsi qu’il sera dit au verset suivant.
Mt20.19 et le livreront aux païens pour être moqué, flagellé et crucifié, et il ressuscitera le troisième jour. » – Et le livreront aux païens. Deuxième trahison dont les auteurs sont cette fois clairement indiqués. Nous n’avons plus un verbe passif, « sera livré », mais un verbe actif avec son sujet bien distinct. Cette trahison nouvelle placera Jésus entre des mains pires encore, s’il est possible, que le premières. Prisonnier d’abord du Sanhédrin qui avait du moins un semblant d’autorité théocratique, il deviendra le prisonnier des païens. « Païen » est la traduction de l’hébreu du nom donné par les Israélites à tout ce qui n’était pas Juif. – Pour qu’il soit moqué… Ces trois verbes affirment le but et le résultat final de cette cruelle livraison du Christ aux païens de Rome : de plus, ils contiennent en abrégé les principales scènes de la Passion. – Il ressuscitera : comme autrefois, ce mot revient à la façon d’un rayon lumineux destiné à jeter l’espoir dans le cœur des Apôtres. A deux reprises déjà, Cf. 16, 21 et 17, 21-22, et à des intervalles assez rapprochés, nous avons entendu des prédictions semblables à celle‑ci ; mais la dernière des trois est de beaucoup la plus explicite. La première ne faisait aucune mention de la trahison, ni de la croix ; dans la seconde la trahison est indiquée, mais assez vaguement ; la troisième distingue les deux manières dont Jésus‑Christ sera livré à ses ennemis, elle distingue aussi très nettement les divers actes du drame douloureux de la Passion, les outrages, la flagellation, le crucifiement. Tout y est donc très bien marqué. C’est un résumé de la Passion, un sommaire de ses souffrances écrit d’avance par Jésus. « L’annonce de ce qui allait arriver a été faite avec presque les mêmes mots que ceux avec lesquels la réalité est présentée ci-dessous 27,27-31 », Fritzsche – S. Matthieu omet de signaler l’effet produit sur les Apôtres par cette communication du Sauveur : S. Luc, 18. 34, le fait en termes intéressants.
Mt20, 20-28 – Parall. Marc. 10, 35-45.
Mt20.20 Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de Jésus avec ses fils, et se prosterna devant lui pour lui demander quelque chose. – Cette scène offre un singulier contraste. Nous y voyons une complète confirmation de la réflexion de S. Luc, ch. 18 v. 34 : « Eux ne comprirent rien à cela ». Jésus achève à peine la prédiction relative à ses souffrances et à sa mort qu’on vient briguer les premières places dans son empire ! Il est vrai qu’il a ajouté tout aussitôt qu’il ressusciterait, et cela signifie pour les Apôtres qu’il se dispose à fonder le royaume messianique tel qu’ils l’attendent. Ils comprennent du moins que son voyage actuel à Jérusalem est décisif et qu’il va y prendre enfin possession de son trône : l’heure était donc urgente pour ceux qui ambitionnaient le rôle de premiers ministres. Aussi comme elle est avidement saisie ! – la mère des fils de Zébédée s’approcha. Les deux fils de Zébédée n’étaient autres que S. Jacques le Majeur et S. Jean l’évangéliste, Cf. 10, 3. Ce n’est pas sans surprise assurément qu’on trouve ces deux âmes d’élite à une pareille scène, surtout en un pareil moment. Leur mère s’appelait Salomé (comparez Marc. 15, 40 et Matth. 27, 56) : elle était du nombre de ces saintes femmes qui avaient coutume d’accompagner Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans ses voyages. C’est à elle que S. Matthieu attribue l’initiative dans la circonstance présente, tandis que S. Marc fait agir directement les deux frères ; mais le premier évangéliste, qui fut du reste témoin oculaire, est plus exact pour les premiers détails de l’épisode. Il nous montre les deux fils du Tonnerre s’avançant à la suite de leur mère. Celle‑ci se chargea de formuler la demande, car il était plus délicat d’agir ainsi ; peut-être se disait‑elle qu’il serait plus difficile au Sauveur de refuser la requête d’une femme. – Et se prosterna. Arrivée tout auprès de Jésus, elle fait d’abord la prostration habituelle ; puis, comme une autre mère non moins célèbre, Bethsabé, Cf. 1 Rois 2, 20, avant de rien préciser, elle dissimule ses grands désirs sous une humble formule : en lui demandant quelque chose. Tout serait gagné, en effet, si Jésus daignait s’engager d’avance, en promettant de lui accorder en général tout ce qu’elle demandera.
Mt20.21 Il lui dit : « Que voulez-vous ? » Elle répondit : « Ordonnez que mes deux fils, que voici, soient assis l’un à votre droite, l’autre à votre gauche, dans votre royaume. » – Que voulez-vous ?. Le Sauveur déjoue la politique maternelle en demandant brusquement, sèchement, l’objet précis de la supplique. – Cette fois Salomé s’exprime avec toute la clarté désirable. – Ordonnez que mes deux fils que voici est pittoresque : elle montre à Jésus ses deux fils agenouillés derrière elle. – L’un à votre droite… Dans tous les temps et chez tous les peuples, les deux places d’honneur ont été, comme elles le sont aujourd’hui, à la droite et à la gauche du personnage principal cf. 1 Rois 2, 19 ; Psaume 44, 10 : 109,1 ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 6, 11, 7. « Dans les temps à venir, le Dieu très saint fera asseoir le roi Messie à sa droite, et Abraham à sa gauche », Talmud (ap. Wetstein). Salomé demandait en conséquence pour ses deux fils le rang de premiers ministres dans le royaume futur de Jésus. C’est bien une mère prise sur le fait, mais une mère oubliant momentanément la grâce pour écouter les inspirations de la nature. Les Saints Pères, sans excuser Salomé, veulent qu’avant de la juger nous nous rappelions ce qu’elle était : « Si c’est une erreur, c’est une erreur de tendresse ; les entrailles d’une mère ignorent la patience… Souvenez vous qu’elle était mère, pensez à cette mère », S. Ambr. Lib. 5 de fide, c. 2. « En présentant sa demande, la mère des fils de Zébédée commet une erreur de femme emportée par l’amour, ne sachant pas ce qu’elle demandait », S. Jérôme.
Mt20.22 Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? Nous le pouvons », lui dirent-ils. – Jésus leur dit. Le Sauveur accueille cette étrange demande avec une grande bonté. Les suppliants méritaient un blâme qu’ils reçoivent immédiatement : toutefois, ce blâme est adressé non pas à la mère, mais aux fils qui étaient les plus coupables en cette affaire : c’étaient eux peut-être qui avaient eu la première idée de ce petit complot. « Que personne ne s’étonne de voir ici tant d’imperfection dans les apôtres. Le mystère de la Croix n’avait pas encore été consommé, et la grâce du Saint‑Esprit ne s’était pas encore répandue sur eux. Si vous désirez savoir quelle a été leur vertu, considérez ce qu’ils ont fait ensuite, et vous les verrez toujours élevés au‑dessus de tous les maux de la vie », S. Jean Chrys. Hom. 65 in Matth. – Vous ne savez pas ce que vous demandez. Vous agissez comme des enfants qui ne comprennent pas la portée de leurs demandes : vous avez, de plus, une idée très fausse de mon royaume, qui n’est pas ce que vous supposez. – Jésus fait ressortir ensuite les difficultés qu’ils doivent se résoudre à affronter pour arriver à la position élevée qu’ils ambitionnent : – Pouvez-vous boire le calice...? Il y a des coupes royales de différentes sortes : celle dont parle ici Jésus est évidemment, d’après le contexte, la coupe amère de sa Passion et de sa mort. Auront‑ils assez de courage pour la vider avec lui jusqu’à la lie ? Cette belle métaphore du calice, pour représenter des destinées heureuses ou malheureuses, revient fréquemment dans la Bible et dans les classiques, Cf. Psaume 10, 6 ; 15, 5 ; 22, 5 ; Jérém. 25, 15. Les fils de Zébédée demandent des couronnes : Jésus leur présente sa croix ! – Nous le pouvons. L’amour ardent, quoique encore imparfait, qu’ils portaient à Jésus leur inspire cette réponse généreuse : Nous le pouvons. S. Jacques et S. Jean étaient en réalité, et ils le prouveront bientôt l’un et l’autre, deux des membres les plus courageux du collège apostolique.
Mt20.23 Il leur répondit : « Vous boirez en effet mon calice, quant à être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder, si ce n’est à ceux à qui mon Père l’a préparé. » – Jésus répond : Vous boirez mon calice. Il prophétise ainsi, comme l’admet la tradition, les souffrances réservées aux fils de Zébédée : « Je vous prédis que vous serez honorés du martyre, et que vous souffrirez comme moi », S. Jean Chrys. Hom. 65 in Matth. S. Jacques le Majeur vida le premier d’entre les Apôtres la coupe des persécutions et du martyre, Cf. Actes des Apôtres 12, 2 ; S. Jean vécut le plus longtemps et souffrit jusqu’à la fin de sa vie : la prédiction s’est donc accomplie à la lettre. Mais ce n’est pas tout. Pour jouir des places supérieures désirées par les deux disciples, il faut encore qu’une autre condition soit réalisée. – Ce n’est pas à moi de l’accorder... Jésus parle ici, selon le beau langage de S. Augustin, « à la façon d’un serviteur » : quand il parle en tant que Dieu, il ne craint pas de dire : « Tout ce qui est à moi est à toi ». Il ne fait donc en aucune façon l’aveu de son impuissance touchant la requête qui lui est exposée ; mais il approprie à son Père céleste, comme en d’autres circonstances, Cf. 11, 25 ; 16, 17, tout ce qui concerne l’élection et la prédestination des Apôtres. Théophylacte fait à ce sujet, d’après S. Jean Chrysostome, une frappante comparaison : « Si un roi avait proposé une couronne d’or à celui qui l’emporterait sur tous les autres à la course dans le stade, et si, alors qu’il la tenait à la main, l’un de ceux qui, non seulement n’avaient pas gagné mais même n’avaient pas couru, lui réclamait la couronne, il répondrait à juste titre : Tu peux courir certes mais il m’appartient de donner cette couronne non pas à toi mais à ceux pour qui elle a été prévue, c’est à dire aux vainqueurs ; en réalité cela ne signifierait pas qu’il ne peut donner, alors que c’est son privilège propre, mais qu’il ne doit la donner qu’aux vainqueurs pour qui elle avait été prévue ». ; Cf. Jansen. in h. l. Il y a une double antithèse dans les paroles de Jésus : 1° « Mon calice, à mon Père » ; 2° « vous donner, à ceux pour qui cela a été préparé ».
Mt20.24 Ayant entendu cela, les dix autres furent indignés contre les deux frères. – Ayant entendu cela. En entendant ces discours, les dix autres Apôtres ne peuvent s’empêcher de manifester ouvertement leur indignation contre les deux fils de Zébédée. Ce n’est pas qu’ils eussent eux‑mêmes des idées plus parfaites touchant le royaume de Jésus. Ils croient leurs droits lésés par les deux frères ; car, eux aussi, ils désirent posséder les premières places.
Mt20.25 Mais Jésus les appela et leur dit : « Vous savez que les chefs des nations leur commandent en maîtres, et que les grands font sentir leur pouvoir. – Jésus les appela à lui. Jésus groupe alors autour de lui toute la troupe apostolique : les dix s’étaient tenus à quelque distance pendant la scène qui vient d’être racontée, bien qu’ils s’en fussent très bien rendu compte, comme l’a montré le v. 24. Les apôtres ont tous besoin d’une leçon, car ils ont tous manifesté leur ambition humaine : le Maître la leur donne avec une grande douceur. Pour les corriger, il établit un parallèle entre la fausse grandeur, telle qu’elle existe dans le monde, et la vraie grandeur, telle qu’elle doit se manifester dans le royaume messianique. 1° La grandeur mondaine, que les Apôtres doivent éviter, v. 25. – Vous savez : Jésus fait appel à leur expérience relativement à un point bien connu, même des hommes les plus humbles. – Les chefs des nations, c’est-à-dire les princes qui gouvernent les païens ; voir 20, 19 et la note correspondante. – Leur commandent en maître. Une domination violente, absolue, qui n’a été que trop à la mode chez les princes païens cf. Psaume 10, 5, 10 ; et voici que les Apôtres de Jésus voulaient dominer à la façon des païens ! – Les grands : les grands en général, les ministres des rois. – Font sentir leur pouvoir. Il s’agit d’un pouvoir odieusement exercé. – Sur elles, non pas « sur les rois », comme le veulent Rosenmüller et Stier, mais « sur les nations ».
Mt20.26 Il n’en sera pas ainsi parmi vous, mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il se fasse votre serviteur, – 2° La vraie grandeur chrétienne, que les Apôtres doivent pratiquer (vv. 26-28). Après avoir rappelé ce triste exemple des païens, Jésus trace aux Apôtres et à tous les dignitaires chrétiens de l’avenir une ligne de conduite tout opposée, concernant l’exercice de leur autorité. – Il n’en sera pas ainsi, c’est-à-dire à la manière des rois et des grands du monde païen. – Mais quiconque veut être grand... Ces mots supposent qu’il y aura, dans l’Église du Christ, des rangs supérieurs et des rangs inférieurs, des hommes qui commanderont et d’autres qui obéiront : il est impossible aux hérétiques de le nier, malgré leur désir de faire table rase dans le Christianisme afin de le mieux renverser. – Se fasse votre serviteur ; le contraire de la grandeur humaine.
Mt20.27 et quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il se fasse votre esclave. – Jésus continue de développer la même pensée, mais en lui donnant plus de force : en effet, premier dit plus que « le plus grand » ; esclave indique une situation inférieure à celle de « serviteur ». Autrefois, 18, 2 et suiv. le Sauveur avait proposé un petit enfant à ses disciples comme un exemple de la grandeur chrétienne : actuellement, allant plus loin, il leur demande de se faire les serviteurs et les esclaves de tous. Les grands devenant les serviteurs de la foule, le premier de tous transformé en esclave ! Admirable antithèse, ou mieux, paradoxe frappant qui n’est pas demeuré à l’état de simple conseil cf. 1 Corinthiens 4, 9-13. Telle s’est toujours montrée l’autorité ecclésiastique, dont le représentant suprême, le vicaire de Jésus‑Christ, s’intitule humblement « serviteur des serviteurs de Dieu ».
Mt20.28 C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la rançon de la multitude. » – Notre‑Seigneur avait commencé cette leçon importante donnée aux Apôtres, en signalant un mauvais exemple dont ils devaient s’éloigner ; il la termine par un autre exemple, exemple sublime et divin qu’ils doivent imiter. – C’est ainsi que, au lieu de « il n’en sera pas ainsi » du v. 26. – Non pour être servi, pour se faire servir. – Mais pour servir : tel a bien été constamment le rôle du Fils de l’homme ; ce n’est pas en vain qu’il était venu sur la terre sous la forme d’un esclave. Cf. Phil. 2, 7. – Et donner sa vie. Jésus mentionne, dans cette dernière phrase, la partie la plus importante, comme aussi la plus humiliante, de son ministère à notre égard. Il a daigné laver nos souillures, porter le fardeau sous lequel nous étions écrasés. – La rançon cf. Isaïe 53, 10. – La multitude, ce que les théologiens appellent la « satisfaction vicaire » de Jésus‑Christ. Maldonat explique l’expression « un grand nombre » par une bonne distinction : « Si l’on considère du moins son souhait, il est mort pour tous les hommes sans exception… Si l’on considère le résultat, il a touché non pas tous les hommes mais beaucoup, parce que tous n’ont pas voulu le recevoir. ». De même S. Thomas d’Aquin : « Il ne dit pas pour tous, parce que « pour tous » indique la quantité nécessaire ; tandis que « pour beaucoup », à savoir les élus, se réfère à la réalité ». Les écrits du Nouveau Testament emploient tantôt « tous », Cf. 2 Corinthiens 5, 14 ; 1 Tim. 2, 6, d’après le texte grec ; 1 Jean 2, 2, etc., et tantôt « nombreux », Cf. Romains 3, 25 ; 5, 6 ; Éphésiens 5, 2, etc., lorsqu’ils font allusion au salut des hommes, selon que leurs auteurs veulent désigner objectivement ou subjectivement ceux pour lesquels Notre‑Seigneur Jésus‑Christ a enduré la souffrance et la mort.
c. Guérison des aveugles de Jéricho, 20, 29-34. Marc. 10, 46-52 ; Luc. 18, 35-43.
Mt20.29 Comme ils sortaient de Jéricho, une grande foule le suivit. – Comme ils sortaient de Jéricho. Entre l’épisode auquel a donné lieu la supplique de Salomé et la guérison des deux aveugles, Jésus est entré dans la ville de Jéricho, où il a fait un rapide séjour dont S. Luc (9, 1-27) raconte le principal incident. S. Matthieu se borne à exposer un miracle qui fut opéré, dit‑il, au moment où le Sauveur quittait la ville. – Jéricho. « Jéricho était alors une des plus florissantes cités de la Judée, et se trouvait sur le grand chemin des caravanes, dans une plaine d’une luxuriante fertilité, qui était arrosée par le Jourdain et par le fameux cours d’eau que le prophète Élisée avait miraculeusement assaini. Une délicieuse fraîcheur tempérait l’ardeur du ciel tropical qui brûle les steppes voisines de la mer Morte. Aussi, toute cette contrée formait une ravissante oasis parée de tout ce que la végétation a d’éclatant et de varié dans ce pays du soleil. Les montagnes de Judée, colorées par une lumière de feu, l’encadraient à l’Ouest, tandis que vers l’Orient le Jourdain disparaissait sous les roseaux et allait se perdre dans le lac maudit. Jéricho, placée comme au milieu d’un verger de palmiers et d’arbres fruitiers de toute espèce, s’appelait la ville des parfums. Elle présentait l’aspect d’une ville très peuplée et riche, et les pèlerins qui venaient du Nord se plaisaient à faire halte au sein d’une si merveilleuse abondance, » de Pressensé, Jésus‑christ, sa vie, etc. p. 542. Jéricho, était située, d’après Josèphe, à 50 stades du Jourdain et à 150 stades (environ 7 lieues) de Jérusalem : l’écrivain juif dit que son territoire était vraiment divin, Guerre des Juifs, 4, 8, 3. C’est de Jéricho que Josué avait entrepris la conquête de la Terre promise ; c’est de Jéricho que Jésus entreprend la conquête du monde. Il quitte en effet cette ville afin d’aller à Jérusalem se sacrifier pour le salut de tous les hommes. – Une grande foule le suivit… Notre‑Seigneur n’est plus seul avec ses disciples ; une foule considérable l’accompagne : ce sont vraisemblablement les pèlerins venus du Nord de la Palestine, qui se rendent en caravane à Jérusalem pour y célébrer la Pâque.
Mt20.30 Et voilà que deux aveugles, qui étaient assis sur le bord du chemin, entendant dire que Jésus passait, se mirent à crier : « Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous. » – Deux aveugles. L’occasion se présente tout à coup pour le Sauveur de faire un double miracle devant ces nombreux témoins : l’évangéliste en raconte les divers traits avec une grande précision. Ainsi, il n’omet pas de nous dire que les pauvres aveugles étaient assis sur le bord de la route. – Entendant dire : entendant un bruit extraordinaire de pas et de voix, ils s’informent de sa raison d’être, et on leur apprend que c’est Jésus qui passe, entouré d’une nombreuse multitude. Jésus, c’est peut-être le salut pour eux ! Ils le connaissent de réputation, ils savent qu’il a rendu la vue à beaucoup d’infortunés qui leur ressemblaient. Aussi, avec quelle ardeur ils implorent sa pitié ! – Seigneur, fils de David. « Seigneur » n’est ici qu’une simple formule de politesse. Il n’en est pas de même des mots fils de David par lesquels ils terminent leur courte mais pressante prière, car c’était une confession très explicite du caractère messianique de Jésus. Cf. 9, 27. Bel acte de foi de la part de ces malheureux. Ils croient que Notre‑Seigneur est le Christ par excellence ; ils croient en outre qu’il peut les guérir miraculeusement : Isaïe n’a‑t-il pas prédit du Messie qu’il ouvrirait les yeux des aveugles ? Cf. Isaïe 29, 18 ; 35, 5.
Mt20.31 La foule les rabrouait pour les faire taire, mais ils criaient plus fort : « Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous. » – La foule les rabrouait. « Ce n’est pas par honneur pour le Sauveur qu’ils font taire ces deux aveugles, mais parce qu’il leur faisait peine d’entendre affirmer par ces aveugles ce qu’ils niaient eux‑mêmes, c’est-à-dire que Jésus était fils de David », écrit S. Hilaire sur ce passage. Mais tel ne nous paraît pas avoir été le vrai motif qui inspira la foule, car rien n’indique dans le récit qu’elle ait été défavorable à Jésus. Elle craignait plutôt que les voix implorantes des aveugles n’incommodassent le Maître qu’elle suivait respectueusement, dont elle écoutait peut-être les paroles avec avidité, tout en poursuivant sa marche. – Mais ils criaient plus fort : on leur dit de se taire, et il crient au contraire avec un redoublement d’énergie : ils n’ont que ce moyen d’attirer l’attention du Christ et, s’ils laissent passer l’occasion, tout espoir sera perdu pour eux.
Mt20.32 Jésus, s’étant arrêté, les appela et dit : « Que voulez-vous que je vous fasse ? – Jésus s’étant arrêté. Voilà donc les efforts des aveugles couronnés d’un plein succès. Le divin Maître, qui a paru pendant quelques instants indifférent à leurs supplications afin d’éprouver leur foi, s’approche d’eux avec bonté. C’est encore pour les mettre à l’épreuve qu’il leur demande, bien qu’il fût si manifeste, l’objet de leur requête. Ou encore, « il leur demande ce qu’ils veulent, afin que leur réponse rende évidentes leur infirmité et la puissance qui doit les guérir », S. Jérôme in h. l.
Mt20.33 Seigneur, lui dirent-ils, que nos yeux s’ouvrent. » – Que nos yeux s’ouvrent… Leur cri de détresse, qui avait été jusqu’alors indéterminé, se transforme en une prière bien précise. « Seigneur, que je voie », avait déjà répondu un autre aveugle à la même question. Cf. Marc. 10, 51. S. Grégoire‑le‑Grand, Hom. 2 in Evang., veut que nous procédions comme eux dans nos prières et que nous allions toujours droit au but : « Ne demandons au Seigneur ni des richesses trompeuses, ni des présents terrestres, ni des honneurs passagers, mais la lumière ; non la lumière circonscrite par l’espace, limitée par le temps, interrompue par la nuit, et dont nous partageons la vue avec les animaux ; mais demandons cette lumière que seuls les anges voient avec nous, qui ne débute par aucun commencement et n’est bornée par aucune fin ».
Mt20.34 Ému de compassion, Jésus toucha leurs yeux, et aussitôt ils recouvrèrent la vue et le suivirent. – Ému de compassion. Quelle est l’affliction qui le trouvait insensible ? – Jésus toucha leurs yeux : c’était, nous l’avons vu en mainte occasion, sa méthode habituelle de guérir les infirmités de ce genre. – Et aussitôt ils recouvrèrent la vue : effet merveilleux, instantané, de ce léger contact. Il y eut un autre effet non moins remarquable : et le suivirent. « Ces aveugles, qui étaient assis près de la ville de Jéricho, retenus par leur infirmité et qui ne pouvaient que gémir et crier, suivent maintenant Jésus, moins par le mouvement des pieds que par leurs vertus », S. Jérôme. Ils se mêlent tout joyeux au cortège, et accompagnent probablement le Sauveur jusqu’à Jérusalem, lui témoignant ainsi leur reconnaissance. – Ce fait avait lieu, selon toute vraisemblance, un vendredi, huit jours avant la mort de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. – Nous n’avons rien dit encore de la difficulté qu’il présente au point de vue de la concorde évangélique, difficulté assez sérieuse, qui a été un écueil pour la sagacité de plus d’un exégète. En voici brièvement l’exposé et la solution la plus probable. Selon S. Matthieu, le miracle est accompli au sortir de Jéricho, et deux aveugles recouvrent la vue ; d’après S. Luc, au contraire, Jésus ne guérit qu’un seul aveugle, et il le guérit au moment de son entrée dans la ville. Le récit de S. Marc ne s’accorde avec aucune des deux autres narrations, mais il prend en quelque sorte une situation intermédiaire. Comme S. Matthieu, le second évangéliste place le prodige au moment du départ de Jésus ; comme S. Luc, il ne mentionne qu’un aveugle. Où se trouve l’exacte vérité ? Des trois côtés à la fois, ont répondu quelques commentateurs, entre autres S. Augustin, l’Accord des Évangélistes 2, 65, Lightfoot, Harm. of the N. Test., et Greswell, d’après lesquels les synoptiques auraient relaté trois faits distincts. Mais ne serait‑il pas bien étonnant qu’auprès de la même ville un miracle de même nature eût été si souvent renouvelé parmi des circonstances tout à fait identiques ? Aussi plusieurs auteurs, Bisping, Wieseler, Ebrard, Van Steenkiste, etc., se bornent‑ils à distinguer deux prodiges, dont l’un aurait été opéré quand Jésus entrait dans Jéricho, l’autre quand il en sortait. Mais n’est‑il pas plus naturel encore de dire, comme l’on fait S. Jean Chrysostome, Théophylacte, Maldonat, Grotius, et après eux la plupart des interprètes, que nous sommes ici en face d’un seul et même événement, bien qu’il n’ait pas été relaté par les trois évangélistes avec une rigoureuse exactitude ? « Touts les faits sont à ce point semblables, qu’il ne semble pas possible qu’il s’agisse de miracles distincts », Maldonat. Cela posé, la contradiction apparente porte sur deux points seulement, le nombre des aveugles et l’heure du miracle. Sur le premier point, nous dirons avec S. Augustin qu’il dut y avoir deux aveugles, puisque S. Matthieu l’affirme formellement, mais que l’un d’eux, pour un motif ou pour un autre, peut-être parce qu’il était moins connu, disparut de bonne heure de la tradition évangélique : c’est pourquoi S. Marc et S. Luc se contentent d’en mentionner un seul. Nous avons déjà rencontré une disparition analogue à propos des démoniaques de Gérasa, Cf. 8, 28. Relativement au second chef de divergence, on admet assez communément la solution suivante : Quand Jésus entrait à Jéricho, un aveugle se mit à implorer sa pitié, Cf. Luc. 18, 35 ; mais le Sauveur passa sans l’exaucer sur‑le‑champ. A son départ, il le retrouva, mais cette fois avec un autre aveugle, à la porte de la cité : il daigna les guérir l’un et l’autre, comme le raconte S. Matthieu. Le troisième évangéliste, dit, il est vrai, que le miracle eut lieu dès l’entrée de Jésus ; mais c’est là une anticipation sans importance, une de ces petites libertés que les historiens anciens se permettaient fréquemment, et qui n’atteint en rien la substance du récit cf. Maldonat, Jansenius, Sylveira, Corneille de Lapierre, Bengel, etc. – Sous ce titre : « Les aveugles de Jéricho », il existe deux belles peintures de Nic. Poussin et Philippe de Champaigne, comme aussi une charmante poésie de Longfellow.
Entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, le Dimanche des Rameaux, 21, 1-11.
Parall. Marc. 11, 1-11 ; Luc. 19, 29-44 ; Jean. 12, 12-19.
« Quoique le premier avènement de Jésus‑Christ, contre l’attente des Juifs, dut se passer en humilité, il ne devait pas être destitué de cette gloire et de cet éclat que les Juifs attendaient. Cet éclat était nécessaire pour leur faire voir que, tout humble qu’était le Sauveur et tout méprisable qu’il paraissait selon le monde, il y avait dans ses actions et dans sa personne de quoi lui attirer la plus grande gloire que les hommes puissent donner sur la terre, et jusqu’à le faire roi, si l’ingratitude des [chefs] Juifs et une secrète dispensation de la sagesse de Dieu ne l’eût empêché. C’est donc ce qui parut à cette entrée, la plus éclatante et la plus belle qui fut jamais, puisqu’on y voit un homme, qui paraissait le dernier de tous les hommes en considération et en puissance, recevoir tout d’un coup de tout le peuple, dans la ville royale et dans le temple, des honneurs plus grands que n’en avaient jamais reçu les plus grands rois. Voilà donc cet éclat dont nous parlons : mais le caractère d’humiliation et d’infirmité, inséparable de l’état du Fils de Dieu sur la terre, n’y devait pas être oublié, et nous l’y verrons aussi ». Bossuet, Méditat. sur l’Évangile, la dernière semaine, 1er jour. Tous les exégètes ont relevé ce mélange étonnant de gloire et d’humilité qui nous frappera dans le triomphe de Jésus, le seul qu’il ait permis qu’on lui décernât de son vivant. Mais il fallait qu’il employât ce dernier moyen pour toucher les cœurs rebelles : c’était une preuve suprême de son caractère messianique donnée à Jérusalem incrédule, sous la forme prédite anciennement par les Prophètes. Cf. vv. 4 et 5.


