Évangile selon saint Matthieu commenté verset par verset

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Chapitre 21

a. Préparatifs du triomphe, vv. 1-6.

Mt21.1 Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem, et furent arrivés à Bethphagé, vers le mont des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, – Nous discuterons un peu plus loin, 26, 2, les principales données chronologiques de l’Évangile relatives à la Passion et nous pourrons fixer alors avec connaissance de cause la date des événements les plus importants. En attendant, nous admettrons comme un point hors de conteste la tradition ecclésiastique d’après laquelle l’entrée solennelle du Sauveur à Jérusalem aurait eu lieu dans la journée du Dimanche qui précéda immédiatement la Pâque, c’est-à-dire le 10 du mois de Nisan (2 avril de l’an de Rome 782). – Lorsqu’ils approchèrent. Pour venir de Jéricho à Bethphagé, Jésus avait dû traverser pendant plusieurs heures l’une des régions les plus sauvages de la Palestine : une des plus belles paraboles du divin Maître, Cf. Luc. 10, 25 et ss., nous fournira l’occasion de la décrire. – Beth‑Phaghé, maison des figues en hébreux. C’était un petit village, ou même probablement un simple hameau formé de quelques maisons, et situé sur la route de Jéricho à Jérusalem. Il était à peu de distance de Béthanie, Cf. Marc. 11, 1 ; Luc. 19, 29 ; mais on ne sait pas au juste dans quelle direction. L’emplacement traditionnel que l’on montre aux pèlerins à l’Ouest et à environ dix minutes de Béthanie semble réunir en sa faveur les meilleures garanties d’authenticité cf. Schegg, Gedenkbuch einer Pilgerreise, t. 1. p. 361 et ss. Sepp; Jerusalem, t. 1. p. 579 et ss. Il correspond du reste très bien au renseignement que nous fournit encore S. Matthieu, car il se trouve près de la montagne des Oliviers, sur le revers oriental de cette montagne célèbre qu’il nous faut ici décrire en peu de mots. Elle se dresse à l’Est de la ville sainte, dont elle n’est séparée que par la profonde vallée du Cédron. Son nom, Cf. Zach. 14, 4, lui vient des nombreux oliviers qui couvraient autrefois, et qui couvrent encore en partie ses flancs. Elle ne s’élève guère que de trois cents pieds au‑dessus du mont Sion, bien que son altitude réelle soit de 2724 pieds au‑dessus du niveau de la mer. Elle présente trois sommets arrondis qui portent, dans la direction du N. au S., les nom suivants : « Hommes de Galillée », montagne de l’Ascension, montagne du Scandale. Le sommet central est le plus haut des trois. Tandis que le versant occidental descend par une pente rapide jusqu’au lit du Cédron, celui de l’Orient domine à peine le plateau élevé, solitaire, sur lequel étaient autrefois les villages de Béthanie et de Bethphagé. La vue admirable dont on jouit du haut du mont des Oliviers a été vantée par tous les voyageurs. A l’Ouest Jérusalem avec ses églises, ses mosquées, ses rues, ses jardins, ses ruines et son admirable ceinture de murs crénelés ; au Nord les hauteurs de Samarie qui s’élèvent graduellement : au Sud les montagnes de Juda jusque vers Hébron ; à l’Est des vallées profondes et sauvages, qui serpentent à travers des rochers nus, jetés pêle‑mêle les uns sur les autres, puis dans le lointain la mer Morte aux couleurs azurées, derrière laquelle se dresse comme une muraille gigantesque la longue chaîne des montagnes de Moab : tout cela forme une perspective émouvante que le regard ne se lasse pas de savourer cf. Schegg, loc. cit., p. 362 et ss. Mais le cœur y est encore plus ému que les yeux, quand il songe aux longs et fréquents séjours que Jésus fit sur le mont des Oliviers pendant les derniers temps de sa vie. – Jésus envoya. On pourrait supposer, d’après la relation des trois synoptiques, que l’entrée solennelle de Jésus‑Christ dans Jérusalem eut lieu le même jour que le départ de Jéricho, Cf. 20, 29 et ss. Mais le quatrième évangéliste nous apprend qu’il s’écoula au moins un jour, Cf. Jean 12, 2, entre ces deux événements, Jésus s’étant arrêté vingt‑quatre heures, peut-être même trente‑six heures, à Béthanie dans la maison de S. Lazare et de ses sœurs Marthe et Marie. S. Matthieu raconte aussi ce séjour, 26, 6 et ss., mais un peu plus loin et sans tenir compte de l’ordre chronologique, parce qu’il a hâte pour le moment d’introduire Jésus en qualité de Messie dans la capitale juive et dans le temple. – Deux de ses disciples. « Quels étaient ces deux disciples, dit Maldonat avec sa réserve habituelle, un interprète prudent n’a pas à le rechercher, un lecteur prudent doit préférer l’ignorer, puisque les évangélistes ne l’ont pas précisé. Ils l’auraient fait certainement s’ils avaient jugé que nous avions intérêt à le savoir ». Les anciens avaient hasardé sur ce point toutes sortes d’hypothèses contradictoires dont il est inutile de s’occuper.

Mt21.2 en leur disant : « Allez au village qui est devant vous, vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon avec elle, détachez-les, et amenez-les-moi.En leur disant. Le triomphateur donne lui‑même des ordres pour organiser son prochain triomphe : il le fait avec la dignité d’un prophète et d’un Homme‑Dieu. Pour une entrée triomphale à Jérusalem du côté de l’Est, aucune localité ne convenait mieux que Bethphagé comme point de départ : c’est donc dans le voisinage de ce hameau que Jésus confie la mission suivante à ses deux envoyés. – Au village qui est devant vous, c’est-à-dire en face de vous. En prononçant ces mots, Jésus montrait du doigt les deux ou trois métairies dont se composait Bethphagé. Il dit ensuite aux disciples qu’à l’entrée même du hameau, aussitôt, ils trouveraient une ânesse attachée, et son ânon auprès d’elle. C’est ainsi qu’il embrassait dans sa prédiction les plus petits détails cf. Marc. 11, 2 ; Luc. 19, 30. Mais pourquoi ces animaux ? La réponse est aisée. Le Sauveur veut entrer dans Jérusalem à la façon d’un roi victorieux ; pour cela il lui faut une monture, car il ne conviendrait pas à un triomphateur de s’avancer à pied, perdu au milieu des rangs de la foule. C’est donc la monture de son triomphe que Jésus‑Christ envoie chercher. – Détachez-les et amenez-les-moi. Jésus se présente comme le Messie et avec toute l’autorité de ce divin personnage : tout lui appartient en tant qu’il est le chef suprême du peuple juif ; il a par conséquent le droit de tout réquisitionner sur son passage. C’est en vertu de ce droit indiscutable qu’il dispose de l’ânesse et de l’ânon comme un maître.

Mt21.3 Et si l’on vous dit quelque chose, répondez que le Seigneur en a besoin, et à l’instant on les laissera aller. »Et si l’on vous dit… L’hypothèse était très vraisemblable ; elle se réalisa de fait d’après les passages parallèles de S. Marc et de S. Luc : il était donc convenable de prévenir les disciples pour leur éviter tout embarras. – Vous dit quelque chose, soit pour vous demander raison de la liberté que vous prenez, soit pour se plaindre d’une manière d’agir qui pourrait rendre votre honorabilité douteuse. Dans ce cas, ils se contenteront de répondre que « le Maître en a besoin ». – Le Seigneur. M. Alford est d’avis que cette expression est synonyme de « Dieu » dans ce passage ; d’autres la traduisent par Roi‑Messie. Elle désigne à coup sûr Jésus‑Christ en tant qu’il était le Seigneur par excellence, le vrai roi d’Israël, dont tous les Juifs avec leurs biens étaient la complète propriété. – A l’instant on les laissera aller. Il y a dans cette dernière explication du Sauveur quelque chose de mystérieux qui rappelle une communication analogue à laquelle nous arriverons bientôt, Cf. 26, 18. Mais nous nous garderons bien de supposer, à la suite de plusieurs exégètes, que le divin Maître avait à Bethphagé des amis avec lesquels il avait combiné d’avance toute cette scène. Non, il n’y avait pas eu le moindre arrangement préalable ; de la part de Jésus tout eut lieu en vertu d’une prescience prophétique, analogue à celle dont Samuel avait fait preuve à l’égard de Saül, Cf. 1 Samuel 10, 2-7, quoique bien supérieure, puisque le Sauveur est Dieu.

Mt21.4 Or ceci arriva, afin que s’accomplît la parole du prophète :Or ceci. S. Matthieu fait ici une grave réflexion, pour montrer la manière dont cet acte de Jésus se rattachait au plan divin relatif au Messie. En envoyant les deux disciples à Bethphagé pour y accomplir la mission détaillée dans les versets 2 et 3, Notre‑Seigneur se proposait, comme en d’autres circonstances semblables, d’accomplir une prophétie de l’Ancien Testament. Tout ce qui avait été prédit à son sujet par les prophètes flottait sans cesse devant son esprit, et il en accomplissait à l’heure voulue par la Providence les points les plus minutieux. – Afin que s’accomplît. Cf. 1, 22 et l’explication. Nous protestons de nouveau contre le « sens consécutif » que Maldonat ne cesse pas de donner à cette formule. – Par le prophète. Cf. Zach. 9, 9.

Mt21.5 « Dites à la fille de Sion : Voici que ton roi vient à toi plein de douceur, assis sur une ânesse et sur un ânon, le petit de celle qui porte le joug. » – Dites à la fille de Sion. Ces premiers mots du texte ne sont nullement de Zacharie : ils sont d’Isaïe, 62, 11, auquel l’évangéliste, qui cite de mémoire, les emprunte peut-être à son insu. Du reste la prophétie de Zacharie s’ouvrait aussi par une petite introduction du même genre : « Exulte fille de Sion. Jubile, fille de Jérusalem. Voici ton roi etc… ». Le changement est sans importance, et s’explique sans peine par la ressemblance des expressions. Sion est la plus haute des collines sur lesquelles Jérusalem était bâtie : la fille de Sion est donc, par correspondance entre terme propre et terme figuré, la capitale juive elle‑même. Les villes sont fréquemment appelées en Orient les filles des localités sur lesquelles elles s’élèvent. On peut dire aussi que le mot fille désigne ici d’une manière collective tous les habitants de Jérusalem, représentés sous la figure d’une vierge. – Voici : cette particule attire l’attention ; elle annonce un fait remarquable, important. – Ton roi, le roi par excellence et en même temps le roi de Jérusalem. Il lui appartient en tant qu’elle est la métropole du royaume messianique, en tant qu’il lui a été spécialement promis. – Vient à toi. Nouvelle emphase dans le pronom : il est à toi et c’est pour toi qu’il vient, car tu es la résidence qu’il s’est choisie et dont il veut prendre possession. – Dans cette entrée du Messie‑Roi tout annonce la paix. Le prophète a soin de relever par deux circonstances particulières ce côté pacifique du triomphe du Christ. 1° Son caractère est la bonté même, il est plein de douceur : il se présente pour sauver, non pour détruire ; la justice l’accompagne : loin de lui les violentes conquêtes ! C’est ce que dit le texte complet de Zacharie : « Il vient à toi en homme juste et en sauveur ; et il est pauvre ». Le mot que S. Jérôme traduit par « pauvre », a plutôt dans ce passage la signification de « doux ». Comme on le voit par plusieurs anciennes versions (70, chald, etc.) auxquelles s’est conformé S. Matthieu, et par les interprétations des commentateurs juifs. 2° La monture du Christ n’a rien de commun avec des intentions belliqueuses, monté sur une ânesse... « Il ne fera pas cette entrée monté sur un char magnifique comme les rois, il n’imposera pas de tributs, il n’exigera pas d’impôts, il ne sera pas fier et superbe. Il ne se fera pas craindre par le grand nombre de gardes qui l’accompagnent ; mais il témoignera en toute chose une douceur et une humilité toute divine. Qu’on demande aux juifs quel autre roi que Jésus est jamais entré dans Jérusalem monté sur un âne? », S. Jean Chrysost. Hom. 66 in Matth. Le nom hébreu et son équivalant grec étant des deux genres, il serait possible, d’après un assez grand nombre d’interprètes, que les mots suivants, et sur l’ânon de celle qui porte le joug, fussent des expressions synonymes de « ânesse », de sorte que nous aurions, dans le texte primitif de la prophétie, trois locutions parallèles pour désigner un seul et même animal. Dans ce cas, la préposition « et » devrait se traduire par « évidemment, bien entendu », car elle serait explicative et pas copulative, ainsi que s’expriment les grammairiens dans leur étrange langage. En faveur de ce sentiment, on allègue d’une part le parallélisme poétique des Hébreux, d’autre part les trois autres évangélistes qui ne font mention que de l’ânon. Mais ne ressort‑il pas au contraire de l’ordre même donné par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, v. 2, dans l’intention d’accomplir la prophétie, et de l’exécution de cet ordre, v. 7, que l’Esprit‑Saint, en inspirant Zacharie, avait deux animaux en vue ? Pourquoi Jésus aurait‑il expressément commandé qu’on lui amenât l’ânon et sa mère, pourquoi S. Matthieu eût‑il ajouté qu’il agissait ainsi pour réaliser une ancienne prédiction, si cette prédiction n’eût parlé que d’un seul animal ? – Le petit de celle qui porte le joug. Les Orientaux accumulent volontiers les synonymes, comme on le voit par un exemple analogue extrait du Targum « sur le petit du lion, fils de la lionne ». Le mot « qui porte le joug » est un peu obscur : c’est une traduction littérale du substantif grec que S. Matthieu a emprunté à la version d’Alexandrie, où il est employé plus de vingt fois comme synonyme. Il désigne en général toutes les bêtes de somme. L’hébreu dit simplement : « fils des ânesses ». Telle est donc la monture du Christ‑Sauveur faisant son entrée solennelle à Jérusalem. Les Juifs l’ont prise pour le thème des légendes les plus ridicules, qu’on trouve fidèlement consignées dans le Talmud. Tantôt c’est le roi Sapor promettant d’envoyer au Messie un noble coursier pour remplacer ce vil équipage, et recevant d’un rabbin cette fière réponse : Vous n’avez pas de cheval aux cent taches, semblable à l’âne du Christ. Tantôt c’est la généalogie de cet âne, prouvant qu’il remonte en droite ligne à ceux de Moïse et d’Abraham, etc. Un rabbin du moyen âge, Emmanuel Ben‑Salomo, lancé en plein dans le rationalisme, montre d’une manière tout opposée combien il avait perdu l’esprit théocratique, quand il ose, dans un de ses sonnets célèbres, parler au Messie dans les termes suivants : « Si tu ne peux faire ton apparition que sur une monture si misérable, je te conseille d’abandonner plutôt complètement l’œuvre de la Rédemption » cf. A. Geiger, Allg. Einleitung in die Wissenschaft des Judenthums, p. 132 et 214. – Les Saints Pères se livrent volontiers, lorsqu’ils étudient ce passage du prophète Zacharie, à des considérations allégoriques : « On peut encore y voir une figure de la spéculation et de la pratique, de la science et des œuvres. Cette ânesse qui avait été domptée et qui portait le joug, représente la synagogue qui avait porté le joug de la loi, et le petit de l’ânesse, le peuple des païens fougueux et indompté ; car, dans le plan de Dieu, la Judée fut la mère des nations », S. Jérôme in h. l. ; de même s. Justin, Origène, S. Cyrille et plus tard S. Thomas d’Aquin et S. Bonaventure. 

Mt21.6 Les disciples allèrent donc et firent ce que Jésus leur avait commandé.Les disciples allèrent. « Jésus savait ce qu’il voulait, qui était l’accomplissement des prophéties ; mais une vertu cachée exécutait tout le reste… Ainsi, dans cette occasion, l’ânesse et l’ânon se trouvèrent à point nommé près du lieu où devait se faire la célèbre entrée », Bossuet, Méditations, dern. semaine, 3° jour. La Providence a tout préparé pour le triomphe du Messie, et les disciples exécutent sans peine la commission qu’ils ont reçue.

b. L’entrée triomphale, vv. 7-11.

Mt21.7 Ils amenèrent l’ânesse et l’ânon, mirent dessus leurs manteaux, et l’y firent asseoir.L’ânesse et l’ânon. L’ânon était encore indompté, comme le note S. Marc, 11, 2 ; on amène sa mère avec lui pour le rendre plus docile, bien que celle‑ci ne dut pas servir de monture à Jésus. Cf. Marc. 11, 7 ; Luc. 19, 35 ; Jean 12, 14. – Mirent dessus leurs manteaux… au moment où ils reviennent près de leur Maître, les deux disciples étendent sur le dos de l’ânesse et de l’ânon, en guise de selles ou plutôt de housses à la façon de l’Orient, ces grands manteaux que les Hébreux portaient toujours avec eux, et qui pouvaient au besoin leur servir de couverture pendant la nuit ; voir l’explication de v. 40. – Et l’yfirent asseoir, c’est-à-dire sur les vêtements. C’est en effet l’explication la plus naturelle. Cependant quelques exégètes admettent que l’évangéliste aurait considéré les deux animaux comme un tout indivis, ou bien il aurait voulu dire que Jésus monta à tour de rôle sur l’ânesse et sur l’ânon. Cette dernière conjecture, adoptée par plusieurs écrivains anciens, est complètement invraisemblable : celle de Strauss, qui fait monter Notre‑Seigneur « en même temps » sur les deux animaux pour tourner l’Évangile en ridicule, est indigne d’un homme sensé. 

Mt21.8 Le peuple en grand nombre étendit ses manteaux le long de la route, d’autres coupaient des branches d’arbres et en jonchaient le chemin. – Tous les préparatifs sont terminés et le cortège se met en marche, formant une procession glorieuse ; mais dans cette marche triomphale il n’y a rien de politique ni de profane, les moindres détails manifestent au contraire un caractère franchement religieux, le seul du reste qui fût digne du Messie. L’évangéliste a décrit avec amour tous les traits de cette scène unique. Il nous montre d’abord l’assistance nombreuse qui se pressait autour de Jésus, Le peuple en grand nombre : c’étaient des Juifs venus de toutes les régions de la Palestine à Jérusalem pour y célébrer la Pâque ; ils étaient allés au‑devant de Jésus à Béthanie et ils l’accompagnent jusqu’au temple au milieu des marques les plus touchantes de leur foi et de leur amour. – Étendit ses manteaux le long de la route… Les plus rapprochés du Sauveur enlèvent leur Mehîl, comme avaient fait les deux disciples, v. 7, et ils les étendent au milieu de la route sur son passage comme des tapis. C’était là une manifestation tout orientale dont nous trouvons des traces dès l’époque de Jéhu, Cf. 2 Rois 9, 13. Le Dr Robinson raconte qu’en 1834 le consul anglais de Damas s’étant rendu à Bethléem, les habitants de cette ville, qui s’étaient révoltés contre les Turcs et qui redoutaient les représailles les plus terribles, allèrent au‑devant de lui pour implorer sa protection et se mirent à étendre leurs vêtements sous les pieds de son cheval, de la façon la plus spontanée ; Palæstina, t. 2, p. 383. Nous lisons dans les Antiquités de l’historien Josèphe, 2. 8, 5, que les Juifs rendirent le même honneur à Alexandre‑le‑Grand quand il fit son entrée à Jérusalem. – D’autres coupaient... La route était, sur tout le parcours, bordée d’oliviers et d’autres arbres touffus auxquels il était aisé d’enlever quelques rameaux sans leur nuire : chacun se munit d’une branche en signe de joie. On répandit aussi des feuilles sous les pas de Jésus comme nous faisons encore au jour de la Fête‑Dieu. On avait fêté de la même manière le héros juif Judas Maccabée, le jour où il avait purifié le temple après l’avoir repris aux infidèles. Cf. 2 Macc. 10, 7.

Mt21.9 Et toute cette multitude, en avant de Jésus et derrière lui, criait : « Hosanna au fils de David. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux. » – Après les actes viennent les paroles. Le cortège fut d’abord silencieux pendant quelque temps ; mais bientôt, « lorsqu’il approchait déjà de la descente de la montagne des Oliviers, toutes les foules des disciples, transportées de joie, se mirent à louer Dieu à haute voix pour toutes les merveilles qu’ils avaient vues », Luc. 19, 37. Une double circonstance fit éclater tout à coup l’enthousiasme. A cet endroit marqué par S. Luc, la ville sainte apparaissait soudain dans toute sa magnificence, et en avant se dressait le temple éblouissant de splendeur cf. 24, 1 et le commentaire. A la vue de la capitale du Messie, à la vue de son palais auquel on le conduit, la foule ne peut se contenir et elle se livre librement à ses joyeux transports. D’un autre côté, c’est là sans doute qu’une seconde procession, partie de Jérusalem pour aller à la rencontre du Sauveur, rejoignit le cortège qui venait de Bethphagé, Cf. Jean 12, 17. Quand ces deux foules arrivèrent en face l’une de l’autre, cernant avec amour Jésus au milieu d’elles, l’allégresse fut à son comble et des cris de bénédiction s’échappèrent de toutes les poitrines. – En avant de Jésus et derrière lui : ces mots désignent sans doute les deux foules distinctes que nous venons de signaler, et qui opérèrent leur jonction sur le sommet du mont des Oliviers. – Hosanna. Il est intéressant de signaler les réflexions inspirées par cette expression juive à deux des plus célèbres Pères de l’Église Latine. S. Augustin, qui ignorait l’hébreu, donne l’interprétation suivante, mélangée de vrai et de faux : « Hosanna… est une exclamation de prière; elle indique un sentiment plutôt qu’une chose précise : ainsi sont les mots que, dans la langue latine, on appelle interjections : par exemple, dans la douleur, nous disons : hélas ! ou dans la joie nous disons : oh ! ». Le plus docte hébraïsant de l’antiquité, S. Jérôme, se rapproche davantage de la vérité lorsqu’il détermine ainsi l’étymologie et le sens du mot Hosanna : « ‘Osi’ signifie Sauve ; ‘Anna’ est l’exclamation de la personne qui prie. Si l’on veut former un seul mot, l’on dira ‘Osianna’ ou, en éliminant la voyelle médiane, Osanna », lettre ad Damas. La prononciation primitive de cette locution hébraïque était Hoschiah‑Na ; plus tard on écrivit Hoschah‑Na par abréviation, puis Hoschahna en un seul mot, d’où nous avons fait Hosanna, à la suite des Grecs et des Latins. Ses racines étaient le verbe sauver. Elle signifie : Sauve donc ! comme traduisent les Septante. C’était par conséquent une prière ardente et pleine de foi qui semble s’être transformée plus tard en un cri d’allégresse, en un souhait de bonheur. Les Juifs la répétaient des milliers de fois à la fête des Tabernacles, en agitant des palmes qu’ils tenaient à la main, et en faisant une procession autour de l’autel des holocaustes. On comprend donc que, dans la circonstance présente, elle soit venue spontanément sur toutes les lèvres en l’honneur du Messie, que la foule désigne par son nom populaire de Fils de David. La locution entière « Hosanna au fils de David » signifie : Sauve donc le Fils de David, c’est-à-dire : Seigneur, bénissez le Messie ! Béni soit celui qui vient. Après la prière pour le Christ, vient un salut au Christ : qu’il soit le bienvenu dans sa cité, dans son temple ! – Au nom du Seigneur, au nom de Dieu, muni d’une mission toute divine. Zorobabel, faisant son entrée dans le second temple après la captivité de Babylone, fut accueilli par des acclamations semblables. – La phrase « béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » est empruntée au Psaume 117, v. 26, qui jouait aussi un grand rôle dans la liturgie de la fête des Tabernacles : les habitants de Jérusalem, dit‑on, chantaient ce verset à l’arrivée des pèlerins pour les saluer. Mais qui mieux que Jésus a mérité d’être appelé le Bienvenu ? – Hosanna au plus haut des cieux. Par cette nouvelle formule, le peuple prie le Seigneur, dont le trône est au plus haut des cieux, de ratifier dans son glorieux séjour les souhaits de bonheur qu’il forme pour le Messie. Voilà donc Jésus acclamé publiquement à Jérusalem comme le Christ, par une multitude innombrable, et il accepte ces hommages populaires, lui qui pendant si longtemps les avait refusés, imposant silence à ceux qui les lui rendaient avant l’heure voulue par son Père.

Mt21.10 Lorsqu’il entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi, on disait : « Qui est-ce ? » – Les versets 10 et 11 décrivent l’effet produit dans l’intérieur de la ville par cette entrée triomphale. Après avoir côtoyé lentement le flanc occidental de la montagne des Oliviers et franchi la vallée du Cédron, le cortège pénètre dans la sainte cité, et se dirige vers le temple. – Toute la ville fut en émoi. Trente‑trois ans auparavant, Jérusalem s’était déjà troublée à l’occasion de Jésus, Cf. 2, 3 : mais alors c’étaient seulement des princes étrangers qui annonçaient sa naissance, tandis qu’aujourd’hui il vient en personne dans la capitale du royaume théocratique. En émoi :  une violente agitation. Mille sentiments, l’amour, la haine, la crainte, l’espérance et le doute, se croisent dans les cœurs de ces hommes, venus de tous les coins du monde pour la solennité pascale, et qui attendaient alors si ardemment leur Messie. – Qui est‑ce, demandaient les étrangers qui ne connaissaient pas Jésus, ou qui du moins n’avaient pas pu l’apercevoir au milieu d’une affluence si considérable.

Mt21.11 Et le peuple répondait : « C’est Jésus le prophète, de Nazareth en Galilée. »Le peuple. S. Matthieu désigne ainsi les multitudes qui avaient pris part à la marche triomphale. Elles donnent volontiers le renseignement qu’on leur demande. Celui que nous accompagnons en triomphe, comme le Christ promis, c’est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée. On se borne à citer son nom, sa patrie et le titre que le peuple lui conférait habituellement : cela suffisait, car ses miracles et sa prédication étaient connus du plus grand nombre. – Tel fut le triomphe de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. « Dans les autres entrées, on ordonne aux peuples de parer les rues, et la joie pour ainsi dire est commandée. Ici tout se fait par le seul ravissement du peuple. Rien au dehors ne frappait les yeux : ce roi pauvre et doux était monté sur un ânon, humble et paisible monture ; ce n’était pas ces chevaux fougueux, attachés à un chariot, dont la fierté attirait les regards. On ne voyait ni partisans, ni gardes, ni l’image des villes vaincues, ni leurs dépouilles ou leurs rois captifs. Les palmes qu’on portait devant lui, marquaient d’autres victoires ; tout l’appareil des triomphes ordinaires était banni de celui‑ci… On conduit le Sauveur avec cette pompe sacrée par le milieu de Jérusalem jusqu’à la montagne du temple. Il y parait comme le Sauveur et comme le Maître, comme le Fils de la maison, le Fils de Dieu qu’on y sert. Ni Salomon qui en fut le fondateur, ni les pontifes qui y officiaient avec tant d’éclat, n’y avaient jamais reçu de pareils honneurs », Bossuet, Méditations, la dernière semaine, 1er jour. – On a remarqué que l’entrée du Sauveur à Jérusalem eut lieu le dix du mois de nisan, c’est-à-dire au jour même où l’agneau pascal devait être choisi et mis à part jusqu’à l’heure du sacrifice. Cf. Exode 12, 3, 6. Jésus, le véritable agneau pascal, qui allait faire disparaître bientôt toutes les autres victimes, était ainsi conduit, à l’heure fixée par Moïse, au lieu de son immolation. Aussi a‑t-on appelé à bon droit son triomphe une procession de sacrifice ; nous pouvons donc sans erreur regarder cette solennité comme le début de sa Vie souffrante. – L’entrée de Jésus à Jérusalem a été dignement célébrée par le pinceau de Lebrun, de Jos. Fuhrich.

Vendeurs chassés du temple, 21, 12-17. Parall. Marc. 11, 15-19 ; Luc. 19, 45-48.

Mt21.12 Jésus étant entré dans le temple, chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple, il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient les colombes,Jésus étant entré. Nous devons répondre tout d’abord à deux questions préliminaires : 1° Cette expulsion des vendeurs diffère‑t-elle de celle que l’évangéliste S. Jean raconte presque au début de la Vie publique de Notre‑Seigneur, 2, 13 et ss. ? 2° Eut‑elle lieu le jour même de l’entrée solennelle à Jérusalem, ou seulement le lendemain ? – Sur le premier point notre réponse sera franchement affirmative. Nous distinguerons avec la plupart des exégètes deux purifications du temple très distinctes l’une de l’autre, et séparées par environ trente mois d’intervalle. – L’expulsion des vendeurs du quatrième évangile ne doit pas être confondue avec celle que les synoptiques relatent. Comp. Jean 2, 14-22 ; Matth. 21, 12 et ss. ; Marc. 11, 15 et ss. ; Luc. 19, 45 et 46. Sans doute, on a parfois proposé dans les camps protestant et rationaliste (Lücke, de Wette, Strauss, von Ammon, etc.) d’identifier les deux scènes. S. Jean, nous dit‑on, se serait permis de placer au début de la vie publique, à la façon d’un programme de son héros, ce qui n’aurait eu lieu en réalité qu’aux derniers jours de Jésus ; ou bien, cette transposition serait le fait de synoptiques. Mais une pareille opinion est absolument inadmissible. En effet : 1° les écrivains sacrés ne prennent jamais de libertés si étranges à l’égard des faits qu’ils racontent ; 2° ils fixent ici très nettement les dates de part et d’autre : s’il y a identité, ou S. Jean ou les synoptiques se sont trompés ; or nous ne saurions admettre une erreur de ce genre ; 3° chacun des récits, malgré des points communs, a sa physionomie individuelle et présente des différences importantes : notamment, en ce qui concerne les paroles de Jésus, l’usage du fouet, les conséquences immédiates de l’acte ; 4° la tradition a toujours distingué deux faits (Cf. S. August., de Cons. Evang., 2, 67) ; 5° enfin la répétition du même incident n’a rien d’impossible, ni du côté des Juifs qui ne tardèrent pas, la première émotion une fois calmée, à reprendre leurs tristes habitudes, ni du côté de Notre‑Seigneur, qui voulut signaler le commencement et le fin de son ministère par cet acte de zèle, tout en tolérant l’abus durant les séjours intermédiaires qu’il fit à Jérusalem. Le premier comme le dernier acte du ministère public de Jésus‑Christ pendant sa vie mortelle aura donc consisté à purifier le temple profané par les Juifs et devenu un vil « marché ». Le rôle du Messie ne pouvait ni mieux commencer, ni mieux finir. – Relativement à la seconde question, nous abandonnerons la chronologie de S. Matthieu, pour suivre celle de S. Marc, qui est beaucoup plus exacte. Le premier évangéliste paraît en effet supposer que l’expulsion des vendeurs suivit immédiatement l’entrée de Jésus à Jérusalem et dans le temple cf. vv. 1, 10, 12 et ss. ; de même S. Luc, 19, 29, 41, 45 et ss. ; mais S. Marc affirme en termes formels qu’elle n’eut lieu que le jour suivant, c’est-à-dire le lundi de la semaine sainte. Voici, d’après sa relation, l’ordre très précis des faits. Le triomphe se termine sous les portiques du temple, où Jésus est conduit par la foule. Là, Notre‑Seigneur examine toutes choses (« Il parcourut du regard toutes choses », Marc 11, 11) à la façon d’un roi nouvellement introduit dans son palais. Mais il est tard, et le divin Maître retourne à Béthanie avec les Douze. Le lendemain matin, il reprend en compagnie de ses Disciples la route de Jérusalem et, après avoir maudit le figuier stérile, il entre de nouveau dans le temple, cette fois pour faire disparaître les abus qu’il a remarqués la veille et pour chasser sans pitié les vendeurs (Marc. 11, 11, 12, 15, et ss.). S. Matthieu a donc groupé les événements d’après l’ordre logique, comme en plusieurs autres endroits de son Évangile. Nous aurons bientôt un nouvel exemple de la liberté qu’il prend à l’égard des dates. – Dans le temple. Il était d’usage, même chez les peuples païens, de terminer les triomphes dans un temple, afin de rapporter toute gloire à la divinité. Jésus avait une raison spéciale de se conformer à cette coutume. C’est comme Messie qu’il venait d’être conduit triomphalement à Jérusalem ; mais le Messie avait un rôle foncièrement religieux, et, à ce titre, le temple était sa résidence habituelle : c’est donc au temple que devait s’achever sa marche glorieuse. Nous passons maintenant au LUNDI SAINT. – Chassa tous ceux qui vendaient... Les Rabbins parlent souvent de ce commerce dont l’origine remonte probablement à la fin de la captivité babylonienne. Des Juifs nombreux venaient des contrées les plus éloignées, pour célébrer à Jérusalem les fêtes d’obligation : il fallait donc qu’ils pussent se procurer aux alentours du temple les victimes, le sel, le vin, la farine, l’huile, l’encens et autres objets nécessaires pour le sacrifice. Mais les prêtres, oubliant les lois les plus élémentaires du respect pour les lieux sacrés, avaient établi des boutiques, et un grand marché à bestiaux dans l’enceinte même du temple. – Dans le temple, c’est-à-dire dans la cour gigantesque nommée Cour des Gentils (les non-juifs : les païens), parce qu’il était permis aux païens d’y pénétrer. On trouvait là des bœufs et des brebis par milliers ; et il est aisé de comprendre le bruit, les scandales que devait produire un tel rassemblement. Jésus indigné chasse tout ensemble hommes et bêtes, acheteurs et vendeurs. – Les tables des changeurs. Nous avons vu, Cf. 17, 24, que tout Israélite devait payer chaque année l’impôt du temple, qui consistait en un demi‑sicle : les étrangers profitaient de leur voyage à Jérusalem à l’occasion des fêtes pour s’en acquitter. Mais, comme l’on n’admettait que la monnaie sainte et nationale, on avait également laissé s’établir sous les parvis, des changeurs qui, moyennant un droit assez considérable prélevé par eux sur les monnaies grecques et romaines, fournissaient à tout venant le demi‑sicle exigé pour le culte. De là vient la dénomination de Kolboz, donnée dans la langue rabbinique au profit usuraire qu’ils retiraient de leur trafic. – Les sièges de ceux qui vendaient les colombes. Les colombes formaient le sacrifice des pauvres ; on en immolait chaque jour un très grand nombre. Les marchands qui les vendaient les tenaient dans des cages exposées sur des tables, et ils étaient eux‑mêmes assis en face, sur des sièges que l’évangéliste appelle ici sièges, bien que ce nom désigne habituellement dans le Nouveau Testament les chaires des Docteurs. Jésus renverse sans pitié les tables des changeurs avec l’or et l’argent qui s’y trouvait, et les tréteaux des marchands de colombes. Quelle scène singulière dut s’ensuivre ! Les grands maîtres des différentes écoles de peinture, entre autres Jouvenet (au musée de Lyon), Panini, Rembrandt, Albert Durer, Bonifazio, etc., se sont complu à la représenter.

Mt21.13 et leur dit : « Il est écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière, et vous en faites une caverne de voleurs. »Et leur dit. Le divin Maître ajoute la parole à l’action pour condamner les abus que nous venons de décrire. Son saint zèle lui arrache de fortes expressions, qu’il emprunte aux livres prophétiques pour leur communiquer encore une plus grande énergie. – Il est écrit : dans Isaïe, 56, 7 et dans Jérémie, 7, 11. Le Sauveur réunit les deux textes de manière à n’en faire qu’un seul. Ma maison s’appellera « Maison de prière pour tous les peuples », disait Dieu par la bouche d’Isaïe. Il demandait au contraire à son peuple infidèle par l’intermédiaire de Jérémie : « Est‑elle à vos yeux une caverne de bandits, cette Maison sur laquelle mon nom est invoqué ? » Au moyen d’une légère modification, Jésus produit un contraste frappant, et montre à l’assistance stupéfaite qu’elle a elle‑même (vous, avec emphase), par sa conduite indigne, transformé en un repaire de brigands le lieu le plus saint qui fût au monde, la maison du vrai Dieu. Là en effet où la prière seule devait se faire entendre, n’était‑on pas assourdi tout le jour par les cris des marchands, les querelles des agioteurs, les beuglements des troupeaux ? Le spectacle qu’on y contemplait n’était‑il pas celui qu’on peut voir dans une caverne où des voleurs se disputent à l’occasion des biens qu’ils y ont amoncelés ! Noble conduite, vraiment digne du Messie ! Aussi, bien qu’ils soient peut-être cent contre un, les marchands n’osent résister à Jésus. Est‑ce à dire, comme le pensait Origène, que Notre‑Seigneur ait réduit ses adversaires à l’impuissance en recourant à son pouvoir de Thaumaturge ? Une pareille conjecture est tout-à-fait inutile ; car ce n’est pas la seule fois qu’on a vu un homme énergique tenir tête à des foules hostiles et les manier à son gré. Et dans Jésus il y avait plus que de la vigueur morale. « Sans doute, un feu céleste rayonnait de ses yeux, et la splendeur de la majesté divine reluisait sur son visage », S. Jérôme. – M. Schegg fait ici une observation pleine de justesse : c’est que les derniers jours passés par Jésus‑Christ dans la capitale juive sont des jours de jugement et de sainte colère contre le peuple juif. « Nous trouvons ce caractère judiciaire et terrible dans tout ce que le Sauveur fait et dans tout ce qu’il dit à partir de cet instant jusqu’à sa mort : dans la malédiction du figuier, dans la prophétie relative à la ruine de Jérusalem, les « Malheur » lancés contre les Pharisiens et les Scribes, même dans les paraboles. Il est venu pour juger, son rôle de pasteur a pris fin ; les deux houlettes pastorales sont brisées. Il brise la houlette Amabilité à la porte du Temple, quand il expulse les acheteurs et les vendeurs ; il brise la houlette Alliance au moment où le Sanhédrin compte à Judas les trente deniers de sa trahison, Cf. Zach. 11, 7-14.

Mt21.14 Des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple, et il les guérit. – A l’épisode qui précède, S. Matthieu rattache, vv. 14-17, divers faits secondaires qui eurent lieu dans le Temple aussitôt après la scène principale. – Vinrent à lui… « Le nouveau roi a d’abord purifié à nouveau son palais, puis il s’est assis sur son trône. Il a ensuite distribué ses dons à son peuple avec une munificence royale, faisant ainsi une chose digne du lieu où il se trouve. Il confirme par des signes célestes l’éloge de la foule, et démontre que c’est à lui que reviennent véritablement le droit et l’honneur du Messie, auquel les prophètes ont attribué des signes de cette sorte, Isaïe 35, 5-6 », Luc de Bruges. – Des aveugles et des boiteux, l’entourage habituel de Jésus, toujours traité par le divin Maître avec une si grande bonté ! – Et il les guérit. Il change ainsi le Temple en un asile de miséricorde et de salut, tandis que ses compatriotes en faisaient une caverne de bandits.

Mt21.15 Mais les Princes des prêtres et les Scribes, voyant les miracles qu’il faisait, et les enfants qui criaient dans le temple et disaient : « Hosanna au fils de David, » s’indignèrent,Les princes des prêtres, c’est-à-dire les chefs des vingt‑quatre familles sacerdotales, ou du moins quelques‑uns d’entre eux. Plusieurs Docteurs de la Loi les accompagnent. Ils sont évidemment blessés de la conduite que Jésus s’était permise dans le Temple, dont ils étaient constitués les gardiens, Cf. v. 23, car elle contenait pour eux une rude leçon. – Les miracles, cette expression désigne, d’après le contexte, tout à la fois la purification du Temple et les guérisons miraculeuses mentionnées au verset précédent. – Et les enfants qui criaient… Trait délicieux qui n’a été conservé que par le premier évangéliste. Les petits enfants – on les trouve partout où il y a une foule, – se sont réunis eux aussi autour de Jésus. Ils étaient au premier rang quand il guérit les aveugles et les boiteux ; enthousiasmés, ils se mettent à répéter de toutes leurs forces les vivats qu’ils avaient entendus la veille. Cet écho de l’Hosanna triomphal dut être bien doux au cœur de Jésus ! – Mais quel contraste odieux ! – S’indignèrent : Ces voix fraîches et pures qui louent leur plus grand ennemi sont pour les prêtres quelque chose d’insupportable. Afin de les étouffer, ils vont se donner des airs hypocrites de zèle pour la gloire de Dieu et pour les droits du Messie.

Mt21.16 et ils lui dirent : « Entendez-vous ce qu’ils disent ? Oui, leur répondit Jésus, n’avez-vous jamais lu : De la bouche des enfants et de ceux qui sont au sein, vous vous êtes préparé une louange ? » – S’adressant à Jésus, ils lui demandent : Entendez-vous… ? C’est de leur part un reproche manifeste. Ne vois‑tu pas que leurs exclamations signifient que tu es le Christ ? Comment donc peux‑tu les supporter ? Impose‑leur silence. – Jésus ne se méprend pas sur leurs intentions ; mais, sans en tenir aucun compte, il accroît encore le supplice de ces envieux par le sang‑froid et la sagesse de sa réponse. – Oui. Oui sans doute, j’entends ce qu’ils disent ; mais pourquoi les ferais‑je taire ? Et il prouve ensuite à l’aide d’une parole inspirée qu’ils ont parfaitement raison. – N’avez-vous jamais lu : Cf. 12, 5, etc. Jésus considère ces enfants comme un chœur de prophètes inconscients, mais qui parlent sous l’impulsion divine, et tel est précisément le sens du beau passage emprunté au Psaume 8, v. 3. – De la bouche des enfants… C’est-à-dire que Dieu est loué, glorifié par ce qu’il y a de plus petit, de plus humble. Jésus s’applique à lui‑même ce texte que le Psalmiste adressait tout d’abord à Dieu ; mais on admet généralement que le Psaume 8 est messianique au moins d’une manière indirecte. Il est très souvent cité dans les écrits du Nouveau Testament cf. 1 Corinthiens 15, 17 ; Éphésiens 1, 12 ; Hébreux 2, 6, etc. – Voilà donc les enfants qui bénissent Notre‑Seigneur, tandis que les prêtres et les docteurs lui lancent l’injure. Néanmoins, après cette réponse habile, les ennemis du Sauveur sont confondus, et ils n’ont aucune réplique à lui faire.

Mt21.17 Et les ayant laissés là, il sortit de la ville, et s’en alla dans la direction de Béthanie, où il passa la nuit en plein air. Jésus tourna le dos à ces incrédules et, quittant la ville, il gravit la montagne des Oliviers, pour aller passer la nuit dans sa retraite favorite, à Béthanie, à quinze stades, Cf. Jean 11, 18, c’est-à-dire environ trois quarts d’heure de Jérusalem. Nous décrirons ailleurs ce village hospitalier. Voir le commentaire sur Luc, 10, 3.

2. – Le figuier maudit, 21, 18-22. Parall. Marc. 11, 12-14, 20-24.

Mt21.18 Le lendemain matin, comme il retournait à la ville, il eut faim.Le lendemain. D’après le récit de S. Marc (voyez l’explication du v. 12), il faut diviser en deux actes le récit de cet événement. Le premier acte eut lieu le lundi matin, avant l’expulsion des vendeurs : il correspond aux vv. 18-19. Le second acte, vv. 20-22, ne se passa que le mardi de la semaine sainte, au moment où Jésus venait à Jérusalem pour la troisième fois depuis l’épisode de Jéricho, 20, 29 et ss. – Il eut faim. Les anciens commentateurs se demandent à la suite de S. Jean Chrysostome : « comment eut‑il faim le matin ? » et ils supposent généralement que ce fut une faim factice ou miraculeuse (comparez Maldonat, Corneille de Lapierre, etc.). Mais à quoi bon ce subterfuge ? Notre‑Seigneur Jésus‑Christ n’avait‑il pas adopté notre nature avec toutes ses infirmités ? Et ses fatigues des jours précédents ne suffisent‑elles pas pour expliquer cette faim matinale ? En tout cas, elle lui fournit l’occasion de donner une leçon à ses apôtres. 

Mt21.19 Voyant un figuier près du chemin, il s’en approcha, mais il n’y trouva que des feuilles, et il lui dit : « Que jamais aucun fruit ne naisse de toi » Et à l’instant le figuier sécha.Voyant un figuier. Le figuier, « ficus carica » de Linné, a toujours été l’un des arbres les plus communs de la Palestine, où il est volontiers cultivé à cause de ses fruits succulents cf. Deutéronome 8, 8. Il abondait aux environs de Jérusalem et particulièrement auprès de Bethphagé, la « maison des figues » par antonomase. Jésus, allant de Béthanie à la ville sainte, remarqua un de ces arbres entre tous les autres ; c’est, nous dit S. Marc, 12, 13, qu’il était déjà couvert de feuilles, circonstance extraordinaire pour la saison, et qui attirait aussitôt l’attention des passants. – Près du chemin. Pline rapporte dans son histoire naturelle, 15, 17, que l’on plantait volontiers le figuier sur le bord des routes, parce qu’on s’imaginait que son exubérance de sève était absorbée par la poussière, ce qui arrêtait la croissance des branches gourmandes et contribuait à donner aux fruits une qualité supérieure. – Il s’en approcha. Fritzsche, singulier à ses heures, donne à cette phrase pourtant si claire le sens de « monta dans l’arbre », comme si la préposition grecque exprimait toujours un mouvement ascensionnel proprement dit ! Jésus s’approche donc de cet arbre dans l’espoir d’y trouver quelques figues pour calmer sa faim, mais il n’y trouva rien, du moins rien en fait de fruit ; car son feuillage était luxuriant. Quelques détails sont ici nécessaires pour que nous puissions bien comprendre en quoi consistait, si l’on peut parler ainsi, le tort du figuier et le motif pour lequel il fut maudit par Jésus, comme s’il eût été un agent moral. Dégageons d’abord complètement de ce fait la prescience du Christ. Quand il s’approche de l’arbre, il sait fort bien qu’il n’y trouvera que des feuilles ; mais il agit ici en tant qu’homme, et son omniscience n’est pas le moins du monde en cause. On sait que le figuier émet ses fruits assez longtemps avant de produire des feuilles. « Son feuillage apparaît plus tard que ses fruits », Pline, Hist. Nat. 16, 499 ; cf. Arnoldi, Palaestina, p. 64. Mais ils ne sont généralement mûrs qu’au mois d’août. Toutefois, il est aussi des figues printanières (la « ficus præcox » de Pline, Hist. nat. 15, 19 ; la Biccoura des Hébreux, l’albacora des Espagnols) qui mûrissent en juin, parfois en mai et même en avril, au temps de la Pâque, dans les ravins chauds et abrités du mont des Oliviers. Enfin, il existe encore une troisième sorte de figue appelée tardive, qui passe fréquemment l’hiver sur l’arbre et qu’on peut recueillir encore au printemps. Ainsi donc, bien que ce ne fût pas alors la vraie saison des figues, Notre‑Seigneur pouvait chercher et trouver soit des fruits printaniers, soit des fruits tardifs ; il le pouvait d’autant mieux que l’arbre auquel il s’adressait était déjà couvert de feuillage, et manifestait ainsi une précocité extraordinaire. – Que jamais aucun fruit ne naisse de toi : Telle fut la sentence prononcée par Jésus contre cet arbre stérile. Il est puni non seulement parce qu’il est sans fruit, mais encore et surtout parce qu’étant en avance sur les figuiers voisins au point de vue du feuillage, il annonce pour ainsi dire avec ostentation qu’il les dépasse en fertilité. Il est important de noter ce fait pour l’explication du symbole. – Et à l’instant le figuier sécha. La sentence reçoit à l’instant sa réalisation ; non que l’arbre ait été immédiatement desséché des pieds à la tête ; mais la sève cesse de monter et de descendre, peu à peu elle se coagule et ne communique plus la vie : les belles feuilles vertes s’étiolent et retombent le long des branches ; puis le soleil, dardant ses rayons sur elles, les grille complètement. Toutefois il fallut une bonne partie de la journée pour que ces divers phénomènes fussent produits : on ne s’en aperçut pas sur‑le‑champ. – S. Hilaire remarquait déjà que, parmi les nombreux miracles du Sauveur, il n’en est qu’un seul qui ait une apparence de dureté et qu’il a lieu sur un végétal, non sur une créature raisonnable : « C’est en cela que nous pouvons trouver une preuve de sa bonté. En effet, lorsqu’il voulut prouver par des exemples qu’il venait sauver le monde, il fit sentir les effets de sa toute‑puissance aux corps des hommes, établissant ainsi l’espérance des biens futurs, et le salut des âmes par la guérison des maux de cette vie ; mais maintenant qu’il veut donner un exemple de sa sévérité contre les rebelles opiniâtres, c’est en faisant mourir un arbre qu’il nous donne l’image des châtiments futurs ». Mais pourquoi ce miracle ? Pourquoi frapper ainsi un arbre dépourvu de raison et de responsabilité ? Se proposait‑il simplement, comme on l’a dit, de fortifier la foi de ses disciples en vue de la Passion ? Voulait‑il, comme on l’a dit encore, éloigner par une manifestation de sa puissance divine le scandale qu’aurait pu leur causer cette faim anticipée, qui l’avait obligé de chercher sa nourriture à la façon des autres hommes ? Ce seraient là, il faut l’avouer, des motifs bien étranges et qui eussent exigé du Sauveur des miracles à chaque pas durant cette dernière semaine. Tout devient clair si nous disons avec Bossuet, Méditations, dernière semaine, 20è jour, à la suite d’Origène et de S. Jérôme : « C’est une parabole de choses, semblable à celle de paroles que l’on trouve en S. Luc, ch. 13, 6, » et cette parabole concernait, d’après les mêmes Pères, la synagogue juive, bien qu’elle fût alors comme un arbre verdoyant, était cependant complètement stérile et dépourvue de fruits de salut. « Cet arbre qu’il rencontre dans le chemin, c’est la synagogue et les assemblées des Juifs… il n’y a rien trouvé, si ce n’est des feuilles, bruissantes de promesses, de traditions pharisaïques et d’étalage de la Loi, ornements de paroles mais sans aucun fruit de vérité », S. Jérôme, Comm. in h. l. ; cf. S. Hilaire, ib. Combien le peuple juif, comblé des faveurs divines, n’était‑il pas en avance sur les autres nations ! Quelles douces espérances ne devait‑on pas concevoir à la vue de ses lois, de son culte, de ses écrits inspirés ? Et pourtant les fruits faisaient défaut : le divin agronome prend donc la hache pour le frapper. Tel est le sens de la malédiction du figuier : c’est une action typique, un symbole prophétique du châtiment réservé aux Juifs dans un prochain avenir. Plusieurs des discours subséquents de Jésus, 21, 26-44 ; 22, 1-14 ; 23, 24, 25, seront le commentaire enflammé de cet acte qu’il accomplit avec la sainte colère d’un juge souverain. – Cependant un jour viendra, jour de repentir et de conversion, où l’arbre desséché reverdira par un nouvel effet de la puissance divine, Cf. Romains 11, 25 et s. ; alors, le peuple juif croira en Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, portera par lui des fruits nombreux qui lui mériteront le salut. Il ne faut donc pas urger les mots à jamais de la sentence. – Luc de Bruges fait ici une excellente réflexion morale : « Que cet exemple nous serve à nous aussi : si nous sommes semblables à ce figuier, ayant l’apparence de la piété, mais reniant ce qui en fait la force (2 Tim. 3, 5), nous serons réprouvés avec les Juifs », Comm. in h. l. [Les fondateurs du christianisme sont tous juifs, il ne s’agit ici que de la condamnation religieuse du refus de reconnaître en Jésus comme Messie, comme Christ. Le catholicisme condamne toute forme d’antisémitisme et de racisme].

Mt21.20 A cette vue, les disciples dirent avec étonnement : « Comment a-t-il séché en un instant ? » – Comme nous l’avons dit plus haut, v. 18, S. Matthieu a sacrifié ici l’ordre chronologique à l’ordre logique. Il aime à présenter les événements d’un seul jet, sans s’inquiéter des intervalles de temps qui ont pu en séparer les différentes parties, sans tenir compte de la perspective historique qui est au contraire chère à S. Marc. C’est donc seulement le mardi matin, vingt‑quatre heures après la malédiction prononcée par le Sauveur, que les Apôtres revirent le figuier sur lequel elle était tombée. Le lundi soir, en retournant à Béthanie, ils avaient peut-être pris un autre chemin, ou bien l’obscurité les avait empêchés de remarquer l’effet merveilleux de la parole de Jésus. Maintenant qu’ils ont devant eux cet arbre complètement desséché, à tout jamais stérile, ils éprouvent un vif étonnement, les disciples dirent avec étonnement. Et pourtant, ils avaient été témoins de miracles sans nombre et beaucoup plus surprenants ; mais c’est le propre des manifestations surnaturelles de plonger ceux qui les contemplent dans une admiration toujours croissante et toujours nouvelle, parce qu’elles révèlent constamment un nouveau côté de la puissance divine. – Comment s’est‑il desséché en un instant ? Jésus n’a parlé que d’une stérilité perpétuelle, et voici que le figuier a perdu même la vie, et si rapidement ! Cette circonstance inattendue contribua sans doute à accroître l’étonnement des Apôtres. Comprirent‑ils le symbole caché sous cette mort ? Il est possible qu’ils n’en aient saisi que plus tard toute la signification. Jésus du moins pouvait redire ces paroles inspirées autrefois au prophète Ézéchiel : « Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. », Ézéchiel 17, 24. Les Juifs seront abandonnés et les païens participeront au salut messianique.

Mt21.21 Jésus leur répondit : « En vérité, je vous le dis, si vous avez de la foi et que vous n’hésitiez pas, non seulement vous ferez comme il a été fait à ce figuier, mais quand même vous diriez à cette montagne : Ote-toi de là et jette-toi dans la mer, cela se ferait.Notre‑Seigneur ne laisse passer aucune occasion d’instruire ses disciples. Partant de la réflexion qu’ils viennent d’exprimer, il en profite pour aviver leur foi. Ce prodige vous étonne ; mais ne vous ai‑je pas déjà fait connaître que vous pourrez en opérer vous‑mêmes de plus considérables, si vous avez une foi vive ? Nous avons en effet rencontré et commenté précédemment, Cf. 17, 19, l’assurance grandiose que Jésus donne en ce moment aux Douze : elle ne subit que de légères modifications tirées des circonstances. – Et que vous n’hésitiez pas. Le texte grec emploie le verbe qui signifie : débattre le pour et le contre, ce qui exprime bien une hésitation de l’esprit. – Vous feriez comme il a été fait, ce qui est arrivé au figuier. Vous pourrez comme moi maudire un arbre et le faire périr à l’instant. – A cette montagne. Jésus montrait soit le mont des Oliviers, soit la colline de Sion, soit la montagne du Mauvais Conseil, selon l’endroit où il était alors. – Dans la mer, la mer Méditerranée, située cependant à une assez grande distance de Jérusalem.

Mt21.22 Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l’obtiendrez. » – Jésus, dilatant sa promesse, passe du particulier au général. Ce n’est pas seulement une espèce de miracles, mais tous les prodiges sans exception que ses disciples pourront accomplir au moyen de la foi. – Dans la prière : réflexion importante, qui a pour but de montrer que le thaumaturge, outre sa foi, a encore besoin d’un secours spécial du ciel pour réussir. Sa puissance personnelle n’est rien ; tout ce qu’il produit, il le produit par Dieu dont il est l’instrument et auquel il doit en conséquence s’unir par une fervente prière. Ce verset rappelle aussi les résultats tout‑puissants et infaillibles de la prière cf. 7, 8, 9 ; 18, 19.

Mth 21, 23-27. – Parall. Marc. 11, 27-23 ; Luc. 20, 1-8.

Mt21.23 Étant entré dans le temple, comme il enseignait, les Princes des prêtres et les Anciens s’approchèrent de lui et lui dirent : « De quel droit faites-vous ces choses, et qui vous a donné ce pouvoir ? »Dans le temple. C’est là, comme dans son palais messianique, que Jésus passa une grande partie du lundi et du mardi de la semaine sainte. Un mot de l’évangéliste, il enseignait, nous apprend quelle était sa principale occupation : il consacrait les dernières heures de sa vie à instruire ces pauvres brebis égarées d’Israël qui lui étaient si chères, et que des pasteurs pervers conduisaient à la ruine. Lui, il essaie au contraire de les ramener à Dieu et de les convaincre de sa céleste mission. Les parvis du temple étaient alors remplis de pèlerins qui s’attroupaient volontiers auprès du prophète populaire de Nazareth, demeurant là de longues heures sous le charme de sa sublime parole. Cf. Luc. 19, 48. – Les princes des prêtres et les anciens. A ces deux catégories, S. Marc, 11, 27, et S. Luc, 20, 1, en ajoutent une troisième, celle des Scribes ou Docteurs de la Loi : nous avons ainsi les trois classes qui composaient le grand Conseil ; voir l’explication du chap. 2, v. 4. Il est probable toutefois que le Sanhédrin ne vient pas tout entier auprès de Jésus, mais qu’il se contenta d’envoyer une députation choisie parmi ses membres les plus influents. – Par quelle autorité… Cette question était légitime en apparence, puisque le Sanhédrin était tenu de veiller à la pureté de la doctrine théocratique ; mais, après les preuves si évidentes que Notre‑Seigneur avait fournies de sa mission divine, l’acte des Sanhédristes était au fond une indignité masquée sous les dehors de la légalité. De quel front prétendaient‑ils vérifier les pleins pouvoirs, le titre doctoral de Celui qui était en communication manifeste avec Dieu, qui menait la vie la plus sainte, qui semait les miracles sous ses pas ? « Maître, avait dit avec raison Nicodème deux ans auparavant, nous savons que c’est Dieu qui vous a constitué Docteur, car personne ne peut faire les miracles que vous opérez à moins d’avoir Dieu avec lui », Jean 3, 2. Qu’eût été, en face de pareilles garanties, un brevet de Rabbin délivré en due forme par Gamaliel ? Vieille question, du reste, déjà posée au Sauveur par les prêtres au début de sa Vie publique, quoique d’une manière moins pressante cf. Jean 2, 18. – Et qui vous a donné... Seconde demande, parallèle à la première qu’elle développe en la rendant plus précise : ils veulent connaître non seulement la source générale d’où lui vient son autorité, mais encore la personne qui la lui a conférée. – Ce pouvoir : le pouvoir d’agir comme il le faisait depuis trois jours. Ces mots désignent donc tout ensemble l’entrée triomphale, la purification du Temple, l’enseignement public, les hommages de la foule acceptés sans entraves, etc.

Mt21.24 Jésus leur répondit : « Je vous ferai, moi aussi, une question, et, si vous y répondez, je vous dirai de quel droit je fais ces choses : – Les membres du grand Conseil espéraient causer de la sorte à Jésus un embarras dont il lui serait impossible de sortir. Ou bien il répondra qu’il est le Messie et alors on l’accusera de blasphème, Cf. 26, 65 ; ou bien il ne pourra pas légitimer les droits qu’il s’arroge et il sera humilié devant le peuple ; ou bien, mais on ne songeait guère à cette hypothèse, ce seront les interrogateurs eux‑mêmes qui seront pris dans leur propre filet : c’est pourtant ce qui arriva. – Je vous ferai moi aussi... Jésus ne répond pas directement à la question qui lui est posée. La vraie réponse ressortira toutefois d’une manière très claire de sa façon de procéder ; mais ce seront ses adversaires eux‑mêmes qui devront la donner. « Un dicton populaire dit : Un mauvais nœud d’un arbre sera frappé avec un mauvais coin ou un mauvais clou. Notre‑Seigneur pouvait réfuter les calomnies de ceux qui le tentaient, par une réponse claire ; mais il aime mieux leur poser une question pleine de prudence, pour qu’ils soient condamnés, ou par leur silence ou par leur science prétendue », S. Jérôme. Il leur pose donc une contre‑question en promettant de satisfaire leur désir dès qu’ils auront satisfait le sien. – Une question : hébraïsme, une chose, un petit mot seulement.

Mt21.25 Le baptême de Jean, d’où était-il, du ciel, ou des hommes ? » Mais ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion :Le baptême de Jean. Jésus ne mentionne que le côté le plus caractéristique, le point central du ministère de Jean‑Baptiste ; mais il a en vue l’activité tout entière du Précurseur. – Du ciel, c’est-à-dire « de Dieu », comme le fait remarquer Wettstein : « Les Talmudistes emploient fréquemment le mot ciel pour désigner Dieu, par opposition aux hommes », Hor. in h. l. – Ou des hommes. Jean‑Baptiste, dans ce second cas, aurait été simplement l’homme d’un parti, un fanatique, ou plutôt un imposteur sans mission. Le dilemme du Christ est parfait : la mission du Précurseur ne pouvait venir que de Dieu ou des hommes, du ciel ou de la terre. Quoi qu’ils répondent, les délégués du Sanhédrin recevront un coup d’un « argument tranchant ». Du reste leur embarras nous découvre mieux que toute autre chose l’habileté de la question du Sauveur : on dirait que l’évangéliste prend plaisir à décrire leur confusion, qu’il avait d’ailleurs contemplée de ses propres yeux. – ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion. Il ne s’agit plus pour eux d’attaquer leur adversaire, ils ont à se défendre sur leur propre terrain, et ils tiennent conseil pour le faire avec prudence.

Mt21.26 « Si nous répondons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? Et si nous répondons : Des hommes, nous avons à craindre le peuple : car tout le monde tient Jean pour un prophète. » – Sommaire intéressant de la délibération. On y voit des hypocrites qui se demandent non pas de quel côté se trouve la vérité, mais ce qu’ils doivent dire pour ne pas se compromettre. S’ils répondent que Jean‑Baptiste était un envoyé de Dieu, Jésus lancera aussitôt contre eux, ils le prévoient bien, ce reproche terrible : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? Jean n’a‑t-il pas à mainte reprise affirmé catégoriquement que je suis le Christ ? Cf. Jean 1, 33. S’il était prophète et envoyé de Dieu, pourquoi donc ne croyez-vous pas en moi ! Voilà le raisonnement qu’ils redoutaient dans cette première hypothèse. – Nous avons à craindre le peuple. D’après S. Luc, « le peuple tout entier va nous lapider ». Comme ils manifestent bien par ce langage la bassesse de leur caractère ! Au fond ils ne croient pas à la mission du Précurseur, et pourtant ils font semblant d’y croire par politique, de crainte d’indisposer le peuple contre eux s’ils avouaient publiquement leur incrédulité. Telle était la valeur morale des hommes qui exerçaient alors chez les Juifs une autorité suprême en fait de religion. – Car tout le monde… Indication du motif qui leur fait craindre d’exaspérer l’opinion publique, s’ils nient l’origine divine du rôle de S. Jean. Hérode, lui aussi, avait hésité pendant quelque temps à faire mourir le Baptiste, parce qu’il redoutait de soulever une révolte parmi le peuple. Cf. 16, 5. – tient Jean pour un prophète.

Mt21.27 Ils répondirent à Jésus : « Nous ne savons. Et moi, dit Jésus, je ne vous dis pas non plus de quel droit je fais ces choses. »Ils répondirent. Placés dans une alternative embarrassante, ils essaient d’en sortir par une réponse évasive. Mais leur Nous ne savons mensonger était une complète défaite, surtout si l’on se rappelle que la foule était là, assistant à toute cette discussion, et qu’elle entendit l’aveu que ses maîtres faisaient de leur ignorance. Jésus achève de les accabler en disant : je ne vous dirai pas non plus… Mais, s’écrie S. Jean Chrysostome : le Seigneur ne devait‑il donc pas les instruire, puisqu’ils ignoraient ? Il ajoute aussitôt : C’est à bon droit qu’il refusa de leur répondre, parce qu’ils agissaient avec malice. Hom. 67 in Matth. « Il leur démontre ainsi qu’ils le savent fort bien, mais qu’ils ne veulent pas répondre, et qu’il sait aussi que répondre, mais qu’il ne veut pas le faire, parce que eux‑mêmes ne veulent pas dire ce qu’ils savent », S. Jérôme. Quelle dignité et quelle majesté royales brillent ici en Jésus ! 

Parabole des deux fils 21.28-32.

Mt21.28 « Mais qu’en pensez-vous ? Un homme avait deux fils, s’adressant au premier, il lui dit : Mon fils, va travailler aujourd’hui à ma vigne.Qu’en pensez-vous ? Par cette vague formule de transition, Jésus commence une série de belles et frappantes paraboles, par lesquelles il leur fera contempler comme dans un miroir la honte de leur conduite, la gravité de leurs fautes, et la grandeur du châtiment qui les attend. La première, celle des deux fils envoyés à la vigne, se borne presque à exposer en gros la situation : aussi est‑elle moins menaçante. Elle est du reste d’une exégèse très facile. – Un homme : cet homme représente Dieu, « de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient son nom », Éphésiens 3, 15. Il a deux fils, Cf. Luc. 15, 11, qui figurent, d’après les vv. 31 et 32, deux catégories de Juifs contemporains du Sauveur, les Pharisiens et leurs imitateurs d’une part, de l’autre les publicains, les pécheresses et tous ceux qui leur ressemblaient au moral. C’est à tort que plusieurs auteurs ont vu dans le premier fils l’image des païens, dans le second celle de la nation juive en général. Jésus‑Christ nous montre en effet par son commentaire authentique que, si nous voulons nous restreindre au sens littéral et historique de la parabole, l’explication doit se faire dans les limites même du Judaïsme. Mais on peut se donner une plus grande latitude quand on commente cette parabole au point de vue moral. – S’adressant au premier. L’ordre est intimé avec la plus grande bonté. Remarquons-y l’adverbe aujourd’hui qui réclame une obéissance immédiate. « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur » Psaume 94, 7 et 8.

Mt21.29 Celui-ci répondit : Je ne veux pas, mais ensuite, touché de repentir, il y alla.Je ne veux pas. Le refus est brutal, irrespectueux au dernier degré : ce mauvais fils ne cherche pas même à adoucir sa désobéissance par une réponse polie. Il est en cela l’image de tant de pécheurs éhontés qui ont perdu toute pudeur, et que leurs fautes ont cessé de faire rougir. Une vie dans le péché n’est rien d’autre en réalité qu’un cri, qu’une déclaration : Nous ne voulons pas faire la volonté de Dieu. Il est en particulier l’image des publicains, qui avaient d’abord reçu sans en tenir aucun compte les exhortations à la pénitence que le Seigneur leur avait adressées par la bouche du Précurseur et du Messie. Toutefois les natures brusques et violentes ne sont pas toujours les plus mauvaises ; il arrive fréquemment qu’elles se repentent avec générosité et qu’une conversion sincère fasse place à leurs débordement passés : telle fut l’histoire de ce fils rebelle. – Il y alla.

Mt21.30 Puis, s’adressant à l’autre, il lui fit le même commandement. Celui-ci répondit : J’y vais, seigneur, et il n’y alla pas.S’adressant à l’autre. Le père s’approche de son second fils et agit envers lui de la même manière, c’est-à-dire qu’il lui commande comme au premier d’aller travailler dans sa vigne. Cette fois l’ordre est reçu avec une politesse et un respect affectés : J’y vais, seigneur. Le titre de seigneur est à noter. Les fils, chez les Hébreux, le donnaient parfois à leur père ; mais il ne sert ici qu’à mieux voiler une conduite pleine d’hypocrisie, et une désobéissance formelle, et il n’y alla pas. Ainsi faisaient les Pharisiens et les Scribes et les prêtres juifs : zélés pour Dieu et pour son culte, si l’on n’envisage que l’extérieur, ils allaient très souvent dans la pratique contre ses injonctions les plus importantes, Cf. le chap. 23, l’honorant du bout des lèvres, mais ayant en réalité le cœur séparé de lui. Ils montrèrent bien le fond de leur âme quand Jésus leur apporta le royaume des cieux.

Mt21.31 Lequel des deux a fait la volonté de son père ? Le premier, lui dirent-ils. Alors Jésus : « Je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous devancent dans le royaume de Dieu.Lequel des deux. Jésus, pour rendre l’application plus piquante, fait résoudre le cas par les délégués du Sanhédrin, les obligeant ainsi à prononcer leur propre culpabilité, puisqu’ils étaient représentés par le second fils. Leur solution est parfaite : Le premier, répondent‑ils sans hésiter. Le premier fils avait en effet racheté par son repentir la désobéissance outrageante dont il s’était rendu coupable tout d’abord : au contraire la conduite hypocrite du second présentait un caractère extrêmement odieux que rien n’avait réparé dans la suite. – Je vous le dis en vérité… Jésus faisant maintenant disparaître le voile des figures, exprime clairement sa pensée. – Les publicains et les prostituées. Les publicains et les femmes de mauvaise vie sont nommés comme les représentants des plus grands pécheurs ; ces deux classes étaient traitées chez les Juifs avec le plus profond mépris, la première parce qu’on voyait en elle le type de l’injustice et du servilisme antipatriotique, la seconde à cause de l’immoralité qu’elle personnifiait. – Vous devanceront, c’est-à-dire ils entreront avant vous dans le royaume des cieux. Cela ne veut pas dire cependant que les Pharisiens et leurs semblables y entreront aussi. – Quel rapprochement honteux pour les prêtres et les docteurs superbes auxquels Notre‑Seigneur Jésus‑Christ s’adressait alors !

Mt21.32 Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui, mais les publicains et les prostituées ont cru en lui, et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas encore repentis pour croire en lui.Car Jean est venu… Nous trouvons dans ce verset le motif pour lequel les publicains et les pécheresses précéderont les hiérarques juifs dans le royaume de Dieu. Ceux‑ci n’ont pas tenu compte de la prédication du Précurseur, tandis que les autres ont cru et se sont convertis. – Dans la voie de la justice. Jésus veut dire que le Précurseur apportait aux Juifs le moyen de parvenir aisément à la vraie justification, et par là-même au salut. Des commentateurs assez nombreux croient cependant que cette locution désigne plutôt la vie sainte et parfaite de Jean‑Baptiste. Le sens général serait alors celui‑ci : Jean s’est présenté à vous comme un homme parfait, attestant sa mission divine par son éminente sainteté, et néanmoins, vous avez refusé de croire en lui. – Cru en lui. Nous trouvons dans les récits évangéliques plusieurs exemples de ces conversions étonnantes, Cf. Luc. 3, 12 ; 7, 29, opérées par le langage véhément du Précurseur. – Et vous, qui avez vu cela. Les hiérarques étaient déjà bien coupables de n’avoir pas reconnu immédiatement l’autorité de S. Jean‑Baptiste et de n’avoir pas accepté les moyens de salut qu’il leur présentait : ils le sont davantage encore parce qu’ils n’ont pas profité des beaux exemples qu’ils recevaient ainsi des pécheurs les plus endurcis. Le repentir des publicains et des courtisanes était un miracle moral qui équivalait pour S. Jean à des lettres de créance venues directement du ciel. Les prêtres et les Docteurs auraient dû le comprendre et se rendre, quoique tardivement, à l’évidence de cette preuve. Leur culpabilité se trouve notablement aggravée par ce second refus dénué de toute excuse. « Il a fait paraître en tout une sagesse extraordinaire, « et cependant vous ne l’avez pas cru ». Et ce qui augmente votre crime, c’est que les publicains mêmes et les femmes perdues ont cru en lui ; et de plus, c’est « que vous qui avez vu leur exemple, n’avez pas été touchés ensuite de repentance pour croire au « moins après eux », vous qui deviez croire avant eux. Ainsi vous êtes entièrement inexcusables, comme ils sont dignes de toute louange. Et considérez, je vous prie, combien de circonstances relèvent ici l’infidélité des uns et la foi des autres. Il est venu à vous et non à eux. Vous n’avez pas cru en lui, et ils n’en ont pas été scandalisés, Ils ont cru en lui, et vous n’en avez pas été touchés », S. Jean Chrys. Hom. 67 in Matth.

Parabole des vignerons perfides, 21, 33-46. Parall. Marc. 13, 1-12 ; Luc. 20, 9-19.

Mt21.33 « Écoutez une autre parabole. Il y avait un père de famille qui planta une vigne. Il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, et l’ayant louée à des vignerons, il partit pour un voyage.Une autre parabole. Les députés du Sanhédrin auraient assurément souhaité que Jésus s’en tînt à la parabole des deux fils, car ils sentaient que le terrain devenait de plus en plus brûlant, leur situation de plus en plus fausse. Mais la leçon est loin d’être terminée, et il faut qu’ils écoutent jusqu’au bout les rudes vérités que le Sauveur doit encore leur faire entendre. Les rôles ont bien changé depuis le début de cette scène, Cf. v. 23. Ceux qui interrogeaient tout à l’heure le divin Maître avec tant de désinvolture sont maintenant réduits, d’après la fine observation de Stier, à se tenir devant lui comme de petits enfants qu’il catéchise et auxquels il pose des questions humiliantes. Toutefois, comme le dit Bossuet, « c’est à nous que Jésus parle aussi bien qu’aux Juifs, écoutons donc et voyons, sous la plus claire et sous la plus simple figure qui fut jamais, toute l’histoire de l’Église », Méditat. sur l’Evang., dernière semaine du Sauveur, 28e jour. Nous avons en effet dans cette parabole l’histoire complète de l’Église juive, puis en abrégé celle de l’Église chrétienne désignée par la conversion des païens. Mais le but que se propose ici Notre‑Seigneur est avant tout d’annoncer la réprobation de la nation juive et de ses chefs. Son langage devient de plus en plus expressif. « Dans la parabole précédente, il avait fait sentir aux sénateurs, aux Docteurs et aux pontifes, leur iniquité ; il leur va faire avouer maintenant le supplice qu’ils méritent. Car il les convaincra si puissamment, qu’ils seront eux‑mêmes contraints de prononcer leur sentence », Bossuet, ibid. La parabole des deux fils décrivait donc simplement un fait passé ; celle des Vignerons, bien qu’elle contienne plusieurs traits rétrospectifs, a surtout un caractère prophétique. – Il y avait un père de famille. C’est encore Dieu, le chef de la grande famille humaine répandue sur toute la terre, à travers tous les siècles : mais on l’envisage plus spécialement dans ses rapports avec le peuple d’Israël qui constituait la partie privilégiée de sa famille. – Qui planta une vigne. Nulle image ne revient plus fréquemment que celle de la vigne dans les divers écrits de l’Ancien Testament, pour représenter le royaume de Dieu sur la terre, et en particulier la théocratie juive cf. Deutéronome 32, 32 ; Psaume 79, 8-16 ; Isaïe 27, 1-7 ; Jérémie 2, 21 ; Ézéchiel 15, 1-6 ; 19, 10 ; Osée 10, 1, etc. ; aussi un cep, une grappe de raisin, une feuille de vigne étaient‑ils, à l’époque des Maccabées, les emblèmes habituels de la Judée. Mais nulle part la comparaison n’a été mieux développée que dans les premiers versets du 5è chap. d’Isaïe auxquels Jésus fait en ce moment une évidente allusion, ou plutôt qu’il s’approprie en partie dans sa parabole. Voici, d’après l’hébreu, ce cantique de la vigne, gracieux et triste tout ensemble, composé par le fils d’Amos pour dépeindre les relations de Dieu avec son peuple de prédilection : Isaïe 5. 1 Je vais chanter pour mon bien-aimé le chant de mon bien-aimé au sujet de sa vigne. Mon bien-aimé avait une vigne, sur un coteau fertile. 2 Il en remua le sol, il en ôta les pierres, il la planta de ceps exquis. Il bâtit une tour au milieu et il y creusa aussi un pressoir. Il attendait qu’elle donnât des raisins, mais elle donna des raisins acides. 3 « Et maintenant, habitants de Jérusalem et hommes de Juda, jugez, je vous prie, entre moi et entre ma vigne. 4 Qu’y avait-il à faire de plus à ma vigne, que je n’aie pas fait pour elle ? Pourquoi, ai-je attendu qu’elle donnât des raisins et n’a-t-elle donné que des raisins acides ? 5 « Et maintenant, je vous ferai connaître ce que je vais faire à ma vigne : j’arracherai sa haie et elle sera broutée, j’abattrai sa clôture et elle sera foulée aux pieds. 6 J’en ferai un désert et elle ne sera plus taillée, ni cultivée, les ronces et les épines y croîtront et je commanderai aux nuées de ne plus laisser tomber la pluie sur elle » 7 car la vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël et les hommes de Juda sont le plant qu’il chérissait, il en attendait la droiture, voici du sang versé, la justice et voici le cri de détresse. Dieu ne se contenta donc pas de planter sa vigne. « Il fait lui‑même la plus grande partie de ce que ces serviteurs devaient faire eux‑mêmes. Il plante sa vigne, il l’environne d’une haie, et fait tout le reste. Il ne leur laisse à faire que fort peu de choses, c’est-à-dire à entretenir cette vigne et à conserver en bon état ce qui leur avait été confié. Car nous voyons par le rapport de l’Évangile que ce Maître si sage n’avait rien omis », S. Jean Chrysost. Hom. 68 in Matth. – Quelques traits signalés de concert par Isaïe et par Notre‑Seigneur nous montrent jusqu’où était allée sa sollicitude. Il l’entoura d’une haie : il l’entoure d’un mur protecteur qui arrêtera toute incursion hostile. C’était, sous le rapport physique, cette mer aux rivages inhospitaliers, ces déserts du Sud et de l’Est, ces montagnes du septentrion, cette profonde vallée du Jourdain, qui rendaient le territoire juif si facile à défendre, si difficile à envahir. C’était, sous le rapport moral, cet ensemble de prescriptions rigoureuses, minutieuses, qui séparaient totalement le peuple théocratique de toutes les autres nations, formant, selon le langage du Talmud, une haie autour de la Loi ; « Il a mis autour de lui le mur d’enceinte des précepteurs célestes, et a confié sa garde aux anges », S. Amb. Hexam. 3, 12. – Creusa un pressoir. Il s’agit plutôt d’une cuve inférieure, que d’un pressoir proprement dit. Le pressoir des anciens Orientaux consistait en deux cuves superposées : dans la première on amoncelait les raisins que les vignerons écrasaient en les foulant aux pieds ; le jus, qui s’échappait par une ouverture pratiquée au bas, coulait dans la seconde cuve, placée sous terre et fréquemment taillée dans le roc. Plusieurs Pères ont pensé que le « pressoir » du cantique et de la parabole désigne les prophètes de l’ancienne Alliance. « Il a creusé un pressoir, il a préparé le réceptacle pour recueillir l’esprit des prophètes », S. Irénée, Contre Les Hérésies 4, 36 ; Cf. S. Hilaire, in h. l . – Bâtit une tour. Cette tour devait servir tout d’abord à protéger la vigne, selon la coutume orientale des temps anciens et modernes. C’est là que le gardien s’installe nuit et jour, à l’époque de la maturité des fruits, pour empêcher les maraudeurs et les animaux sauvages de venir saccager la récolte. On y place aussi les instruments qui servent à la culture, et le propriétaire s’y établit parfois pendant la durée des vendanges. – Il la loua à des vignerons. Il existait, chez les Juifs comme dans nos contrées, deux sortes de contrats pour la location des vignes : tantôt le vigneron s’engageait à payer chaque année au propriétaire une somme d’argent déterminée ; tantôt il était simplement métayer et partageait les fruits ou le vin avec le maître de la vigne. Le v. 34 nous apprend que le père de famille de la parabole préféra le bail du second genre. Tous ces détails préliminaires étant terminés, il partit pour un voyage, comptant sur la fidélité des vignerons. Par ce lointain voyage, dit fort bien Bengel, Gnomon in h.l., « Le silence divin permet aux hommes d’agir selon leur libre arbitre ». – Telle est donc la situation : tout y est clair et l’on n’a qu’à relire le cantique d’Isaïe pour faire l’application de ces premiers détails : leur objet évident est de montrer que Dieu a fait tout ce qu’il devait, et bien au‑delà, pour la prospérité spirituelle de son peuple choisi.

Mt21.34 Quand vint le temps des fruits, il envoya aux vignerons ses serviteurs pour recevoir le produit de sa vigne.Le temps des fruits, l’époque de la vendange. Le propriétaire de la vigne envoie chercher sa part de raisins, conformément aux conventions arrêtées. – Produit de sa vigne. Le pronom désigne le père de famille. – Dans la vigne mystique de Dieu, il n’y a pas de temps spécial affecté à la récolte, parce qu’elle doit porter perpétuellement des fruits : mais le raisin ne croît qu’une fois chaque année sur les ceps matériels. – Les serviteurs envoyés par Dieu représentent les prophètes, ces messagers d’élite qu’il se vante dans les Saints Livres d’avoir délégués à chaque instant vers son peuple : « Inlassablement je vous ai envoyé tous mes serviteurs les prophètes, pour dire : “Revenez chacun de votre mauvais chemin, rendez meilleurs vos actes et n’allez pas suivre d’autres dieux pour les servir ; vous habiterez sur le sol que je vous ai donné, à vous et à vos pères”, Jérémie 35, 12 cf. 25, 3. Mais, ajoute le Seigneur avec tristesse, « Vous n’avez pas prêté l’oreille, vous ne m’avez pas écouté ». La même chose aura lieu dans la parabole.

Mt21.35 Les vignerons s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième.Les vignerons… Chardin, Voyage en Perse, t. 5, p. 384, édit. Langlès, décrit en ces termes, d’après divers faits dont il avait été témoin, les inconvénients nombreux qui résultent en Orient du second système de location mentionné plus haut : « Cet accord, qui paraît un marché de bonne foi et qui le devrait être, se trouve être néanmoins une source intarissable de fraude, de contestation et de violence, où la justice n’est presque jamais gardée, et ce qu’il y a de fort singulier c’est que le seigneur est celui qui a toujours du pire, et qui est lésé ». Rien n’a donc changé. Mais, à l’époque du Sauveur et longtemps auparavant, c’étaient des droits autrement sérieux qui étaient violés sans pudeur, c’était un Seigneur autrement honorable qui se trouvait injurié et lésé. – Quand les serviteurs du propriétaire se présentent pour recevoir en son nom la part de la récolte qui lui revient, les vignerons leur font subir les traitements les plus indignes, frappant l’un, tuant l’autre, en condamnant un troisième au supplice affreux de la lapidation. Les mots battirent, tuèrent, lapidèrent forment ainsi une gradation ascendante, chacun d’eux exprimant un nouveau degré de rébellion et d’atrocité. – Au moral, quand Dieu envoya ses prophètes à la nation juive, comment furent‑ils traités ? Jésus le dira plus bas, 23, 37 ; S. Étienne le dira de même à ses bourreaux : « Lequel des prophètes vos pères n’ont‑ils pas persécuté ? » Actes des Apôtres 7, 52 ; S. Paul le répétera dans la Lettre aux Hébreux, 11, 36-38 : « D’autres ont subi l’épreuve des moqueries et des coups de fouet, des chaînes et de la prison. Ils furent lapidés, sciés en deux, massacrés à coups d’épée. Ils allèrent çà et là, … manquant de tout, harcelés et maltraités … Ils menaient une vie errante dans les déserts et les montagnes, dans les grottes et les cavernes de la terre. »

Mt21.36 Il envoya de nouveau d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même.Il  envoya de nouveau. Admirable patience, longanimité vraiment prodigieuse du Maître de la vigne. Combien d’autres, et en toute justice, auraient vengé aussitôt la première insulte ? Mais lui, il attend avec bonté, il daigne même envoyer d’autres serviteurs pour toucher ainsi le cœur des vignerons séditieux. C’est que ce propriétaire est l’image du Dieu qui daigne s’appeler dans les Écritures, Psaume 102, 8, « tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». Cet acte de condescendance est pourtant inutile, car il ne ramène ni les vignerons de la parabole, ni les Juifs figurés par eux, au sentiment de leur devoir. – Ils les traitèrent de même : les nouveaux envoyés sont traités avec la même barbarie que les premiers.

Mt21.37 Enfin il leur envoya son fils, en disant : ils respecteront mon fils.Enfin. Nouvelle tentative plus miséricordieuse que les autres : toutefois ce sera la dernière, car si les vignerons ne respectent pas le fils même de leur propriétaire, s’ils osent lever sur lui des mains criminelles, ils ne mériteront plus aucune pitié, et on agira contre eux avec toute la rigueur du talion. – Mon Fils, fils unique et bien‑aimé, dit S. Marc, 12, 6. – Les Saints Pères se sont fréquemment appuyés sur ce verset pour prouver la divinité de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ; S. Ambroise, par exemple, qui écrit dans son traité « De fide », 5, 7 : « Vois pourquoi il a d’abord envoyé des serviteurs, puis ensuite son fils : pour que tu saches que le Fils unique de Dieu jouit du pouvoir divin, et n’a ni le nom ni de part commune avec les serviteurs ». Le père de la parabole espérait que les vignerons respecteraient son fils ; quant à Dieu, observe S. Jean Chrysostome, l.c., « sachant que son Fils allait être tué, il l’envoya cependant ».

Mt21.38 Mais quand les vignerons virent le fils, ils se dirent entre eux : Voici l’héritier, venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. – Le triste récit continue. – quand les vignerons virent le fils, dès qu’ils le reconnaissent de loin. – Entre eux ; ils ourdissent entre eux le plus noir complot. – Venez, tuons‑le. Tel avait été le langage des fils de Jacob à Dothaïn, quand ils virent s’approcher d’eux leur frère Joseph, type de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Venez, avaient‑ils dit, donnons‑lui la mort, Genèse 37, 20. Tel avait été, Matth. 12, 14 ; Marc. 3, 6 ; Jean 7, 1 ; 11, 50-53 ; Luc. 19, 47, tel devait être encore, Cf. Matth. 26, 4 ; 27, 1, le langage des hiérarques. – Et nous aurons son héritage. Ceux qui parlent ainsi dans la parabole n’avaient été jusque‑là que des vignerons à gages ; ils supposent qu’après avoir tué l’héritier, ils pourront partager entre eux la vigne et en jouir librement. Mais comme le fait remarquer S. Augustin, ils se trompent étrangement. « Ils ont tué pour prendre possession ; et parce qu’ils ont tué, ils ont tout perdu ». S. Hilaire applique ce trait à la Synagogue dans les termes suivants : « Le dessein des vignerons est de s’emparer de l’héritage du fils tué ; ils ont le vain espoir de s’approprier la gloire de la Loi, une fois le Christ mort », Comm. in h.l. L’erreur des membres du Sanhédrin n’est donc pas moins étrange que celle des vignerons.

Mt21.39 Et s’étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.S’étant saisis de lui. Cette résolution cruelle est exécutée sans retard. On se saisit du fils‑héritier, bien qu’il arrive avec des intentions de paix et de miséricorde ; on le traîne en dehors de la vigne et on le fait périr sous les coups. – Ils le jetèrent hors de la vigne. En citant ce trait, Jésus faisait évidemment allusion à une circonstance qui accompagna sa mort. Lui aussi, il fut conduit hors de la vigne, c’est-à-dire hors de Jérusalem, pour y subir le dernier supplice, « Jésus… a souffert sa Passion à l’extérieur des portes de la ville », Hébreux 13, 12-13 cf. Jean 19, 17. Tout est prophétique dans ces derniers versets (37 et suiv.) : Notre‑Seigneur a sous les yeux les scènes de sa Passion, qu’il raconte comme si elles s’étaient déjà réalisées, tant il est sûr, par sa prescience divine, que ses ennemis se porteront contre lui aux dernières extrémités.

Mt21.40 Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » – Poussé à bout par tant de crimes et surtout par la mort de son fils unique, le maître de la vigne viendra enfin lui‑même pour exiger des coupables un compte sévère. Comment les traitera‑t-il alors ? Jésus, à l’imitation d’Isaïe, 5, 3, fait résoudre cette question par ceux‑là mêmes dont il avait décrit la conduite à la fin de la parabole.

Mt21.41 Ils lui répondirent : « Il frappera sans pitié ces misérables, et louera sa vigne à d’autres vignerons, qui lui en donneront les fruits en leur temps. »Il frappera sans pitié ces misérables, ou ces méchants. Ils répondent avec justesse et impartialité, montrant par un de ces jeux de mots que les Orientaux emploient si volontiers, que le châtiment sera en conformité parfaite avec la nature des criminels : misérables, ils périront misérablement. C’était la sentence de leur propre condamnation qu’ils prononçaient : les sicaires Juifs et le Romain Titus furent chargés par Dieu de l’exécuter. – D’autres vignerons. Après avoir prédit leur propre destruction et celle de leur peuple, ils annoncent avec une égale vérité la conversion future des païens, auxquels Dieu confiera sa vigne et qui se montreront des vignerons fidèles. – En leur temps, c’est-à-dire au temps de la récolte. La parabole est maintenant terminée. S. Jean Chrysostome , Hom. 68 in Matth., relève la multiplicité des leçons qu’elle renferme malgré sa parfaite unité. « Jésus‑Christ découvre beaucoup de choses par cette parabole. Il fait voir aux Juifs avec quel soin la providence de Dieu a toujours veillé sur eux ; qu’elle n’a rien omis de tout ce qui pouvait contribuer à leur salut; qu’ils ont toujours été portés à répandre le sang ; qu’après qu’ils ont tué si cruellement les prophètes, Dieu, au lieu de les rejeter avec horreur, leur avait envoyé son propre fils. Il leur marque encore par cette figure qu’un même Dieu était l’auteur de l’Ancien et du Nouveau Testament : que sa mort produirait des effets admirables dans le monde ; qu’ils devaient attendre une terrible punition de l’attentat par lequel ils allaient le faire mourir sur une croix. Que les païens seraient appelés à la connaissance du vrai Dieu, et que les Juifs cesseraient d’être son peuple ».

Mt21.42 Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre d’angle ? C’est le Seigneur qui a fait cela, et c’est un prodige à nos yeux. – L’image change tout-à-coup, tant le langage de Jésus est vif et rapide ; mais l’idée reste absolument la même. « Il avait auparavant comparé l’Église à une vigne, il la compare maintenant à une construction que Dieu a bâtie, ainsi que le fait S. Paul (1 Corinthiens 3, 9) ; et ceux qu’il avait auparavant appelés cultivateurs, il les appelle maintenant bâtisseurs ; Celui qu’il avait auparavant appelé le Fils, il l’appelle maintenant une pierre, comme S. Jérôme et Euthymius l’ont observé », Maldonat in h.l. – N’avez-vous jamais lu. Formule familière de Jésus quand il s’adresse à des personnes instruites. Elle introduit ici une confirmation solennelle de la sentence que les Sanhédristes venaient de prononcer contre eux‑mêmes. Oui, vous avez bien répondu : n’avez-vous pas lu en effet ce passage des Écritures qui ratifiait d’avance le jugement que vous avez porté ? – Dans les Écritures cf. Psaume 117, 22 et ss. ; Isaïe 28, 16. Il y a là une prophétie messianique très importante, que S. Pierre rappellera plus tard à son tour au Sanhédrin. Cf. Actes des Apôtres 4, 11 ; 1 Pierre 2, 4 et suiv. – La pierre. Le substantif est à l’accusatif en vertu de la loi d’attraction, Cf. Jean 14, 24 : c’est là une tournure dont on trouve de fréquents exemples chez les classiques grecs et latins. – Qu’ont rejetée. Les architectes et les entrepreneurs ont rejeté cette pierre, comme inutile, ou comme impropre à la construction ; mais un architecte supérieur en a jugé autrement et, par suite de son intervention toute‑puissante, à ce bloc dédaigné a été précisément attribué le rôle principal, car il est devenu le nœud et le fondement de tout l’édifice. L’expression pierre d’angle, désigne une pierre angulaire qui réunit et maintient par la base deux murs principaux. Quelle est cette pierre ? Les Rabbins sont unanimes pour dire qu’elle figure le Messie. « R. Salomon au sujet de Michée 5, 1. C’est le Messie, fils de David, de qui il est écrit : la pierre qu’ils ont rejetée etc. » Abarbanel au sujet de Zacharie 4, 10. « La pierre d’airain indique le messie roi. Et il complétera par : la pierre qu’ils ont rejetée. », Wettstein. Mais S. Paul nous l’a dit aussi en termes magnifiques, Éphésiens 2, 19-22 : « vous êtes concitoyens des saints, … vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondations les Apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui‑même. En lui, toute la construction s’élève harmonieusement pour devenir un temple saint dans le Seigneur. En lui, vous êtes, vous aussi, les éléments d’une même construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit Saint ». Quant aux constructeurs qui l’ont méprisée et rejetée, ce sont les chefs spirituels du Judaïsme : mais une pareille conduite leur attirera une juste punition. – C’est le Seigneur qui a fait cela… « cela », c’est-à-dire la réintégration de la pierre dans l’édifice auquel elle était destinée. Dieu lui‑même s’est chargé d’accomplir cette œuvre de justice, et de rendre au Messie la place qu’on lui enlevait indignement. – Dans le texte grec, le pronom est au féminin, (Cf. Psaume 117, 22 et ss. d’après les Septante), ce qui est une traduction littérale de l’hébreu. On sait que les Hébreux n’ont pas de genre neutre et qu’ils l’expriment très souvent par le féminin.

Mt21.43 C’est pourquoi je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté et qu’il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. – Après avoir démontré la faute de ses compatriotes, Jésus passe à la promulgation solennelle du châtiment qui les attend. Ce châtiment sera tout à la fois négatif et positif. Le côté négatif est indiqué au v. 43. – C’est pourquoi… parce que vous avez rejeté le Messie, parce que vous avez mis à mort le Fils de Dieu. – Le royaume de Dieu vous sera enlevé... Vous cesserez d’être le peuple privilégié du Seigneur ; les droits spéciaux que vous aviez à faire partie du royaume de Dieu sur la terre vous seront enlevés sans miséricorde. – Il sera donné à un peuple… Dieu se formera un nouveau peuple théocratique, un Israël mystique dont l’élément prépondérant sera pris parmi les païens. Et tandis que les Juifs, semblables à des vignerons infidèles, n’ont pas fourni à Dieu les fruits qu’il attendait, cette nouvelle nation, l’Église chrétienne, lui rapportera d’abondantes récoltes. – Les fruits. Les derniers mots du verset nous ramènent à la parabole qui précède.

Mt21.44 Celui qui tombera sur cette pierre se brisera, et celui sur qui elle tombera sera écrasé. » – Côté positif du châtiment des Juifs, exprimé sous l’image de la pierre angulaire qu’ils ont repoussée. Jésus reprend ainsi le langage figuré qu’il avait en partie abandonné au v. 43. – Celui qui tombera… On tombe sur cette pierre quand on offense volontairement le Christ. On se précipite sur lui pour le renverser et le détruire, mais les agresseurs se brisent infailliblement contre ce bloc inébranlable. C’est ce qui arrivera en réponse aux refus de reconnaître le Messie. – Celui sur qui elle tombera. Même pensée répétée avec une nuance et d’une manière plus énergique ; car si un vase fragile ne manque pas d’être brisé quand on le heurte contre une pierre, il est littéralement réduit en poussière, anéanti, quand cette pierre vient à rouler d’en haut sur lui. La pierre fameuse de la vision de Daniel, 2, 34-35, avait pulvérisé de la sorte la statue qui représentait les royaumes impies hostiles à celui du Christ ; les ennemis de Jésus ou de son Église, quel que soit leur nom, n’auront pas une autre destinée : ils seront écrasés par la pierre angulaire.

Mt21.45 Les Princes des prêtres et les Pharisiens ayant entendu ces paraboles, comprirent que Jésus parlait d’eux.Pharisiens. On n’avait parlé plus haut que des princes des prêtres et des anciens ; mais ces derniers appartenant pour la plupart au parti pharisaïque qui avait la majorité dans le grand Conseil, l’évangéliste les désigne ici sous le nom général de Pharisiens, pour mieux marquer quel était leur esprit. On peut dire aussi que plusieurs membres de la secte s’étaient joints aux délégués du Sanhédrin, espérant jouir de l’humiliation de Jésus. – Jésus parlait d’eux. Cette connaissance les jette dans un trouble semblable à celui qu’éprouva le roi David quand Nathan lui eût fait prononcer d’une façon analogue sa propre condamnation. Mais elle redouble en même temps leur rage et leur haine contre Jésus. 

Mt21.46 Et ils cherchaient à se saisir de lui, mais ils craignaient le peuple, qui le regardait comme un prophète.Cherchaient à se saisir de lui. Ils pensent un instant à se saisir de sa personne pour exécuter l’arrêt de mort qu’ils avaient porté depuis longtemps contre lui ; mais la crainte les retient. En recourant aux voies de fait, ils ont peur de s’attirer la colère de la foule qui est visiblement disposée en faveur de leur ennemi, elle le prend en effet pour un prophète, Cf. v. 11, et il est probable qu’elle le défendrait par la force si on essayait de l’arrêter sous ses yeux.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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