Chapitre 24
Discours eschatologique, 24, 1-25, 46
Ce discours, qui forme la sublime conclusion de l’activité doctrinale de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans les trois premiers Évangiles, contient sur la ruine de Jérusalem, sur le second avènement du Christ et sur la fin du monde d’importantes instructions, destinées à éclairer les Apôtres et l’Église future. Le nom de « Discours eschatologique » qu’on lui donne habituellement, est donc tiré de son objet. C’est S. Matthieu qui le reproduit de la manière la plus complète : S. Marc et S. Luc ont abrégé la première partie, ils omettent même presque entièrement la seconde. – Olshausen prétend que la rédaction du premier évangéliste a considérablement amplifié l’instruction originale du Sauveur. Ici encore, S. Matthieu aurait cousu ensemble des pièces rapportées, rapproché des paroles évangéliques appartenant à différentes époques ; Cf. Bibl. Commentar über sæmmtl. Schrift. des N. Testam. 3è édit. t. 1. p. 858. Nous croyons que ce discours fut prononcé par Jésus tel que nous le lisons ici. Les amalgames dont parle Olshausen sont entièrement opposés au genre simple et à la parfaite véracité des historiens du Christ. Voir Stier, Reden Jesu, in h. l.
1° Première partie, 24, 1-35
Dans ouvrage sur l’Histoire évangélique, p. 697, M. Reuss appelle très justement ce passage « l’un des plus célèbres » de la vie de Jésus‑Christ.
Mt 24, vv. 1-3. Parall. Marc. 13, 1-4 ; Luc. 21, 5-7.
Mt24.1 Comme Jésus s’en allait, au sortir du temple, ses disciples s’approchèrent de lui pour lui en faire remarquer les constructions. – Jésus, en cet instant, quittait à tout jamais le temple de Jérusalem : il ne devait plus en franchir le seuil. La prophétie du chapitre précédent, 23, 38, commençait donc à s’accomplir. – Pour lui en faire remarquer. Pourquoi les Apôtres eurent‑ils alors la pensée d’attirer l’attention de leur Maître sur les constructions du temple ? Origène s’était déjà adressé cette question : « On se demande naturellement pourquoi ils lui montrent les constructions du temple comme s’il ne les avait jamais vues. La raison en est que Notre‑Seigneur ayant prédit plus haut la ruine du temple, les disciples qui l’entendirent, s’étonnèrent qu’un édifice de cette grandeur et de cette magnificence dût être entièrement détruit, et ils lui en firent voir la beauté, pour le fléchir en faveur de cet édifice, et l’engager à ne pas accomplir les menaces qu’il avait faites », D. Thomae Catena in Matth. h. l. Peut-être serait‑il vrai de dire qu’ils désiraient lui faire expliquer sa pensée, qu’ils avaient insuffisamment comprise. – Les constructions ; par conséquent l’ensemble gigantesque des bâtiments qui composaient le temple, et dont le seul emplacement occupe la cinquième partie du terrain sur lequel Jérusalem est bâtie. La magnificence et la richesse de ces constructions étaient devenues proverbiales. Qui n’a pas vu le temple d’Hérode, disait‑on, n’a pas vu de bel édifice. Le temple d’Hérode formait, l’une des combinaisons architecturales les plus splendides de l’ancien Monde. Situation admirable et extrêmement pittoresque au‑dessus de la vallée du Cédron, avec la ville bâtie en amphithéâtre sur les collines avoisinantes, vastes terrasses superposées et entourées de galeries aux mille colonnes, édifices aux formes variées, élégamment groupés, revêtus d’or et de pierres précieuses, tout s’unissait pour faire une masse harmonieuse que l’œil ne se lassait pas de contempler. Voir les descriptions dans Josèphe, Guerre des Juifs 5, 5, 6.
Mt24.2 Mais, prenant la parole, il leur dit : « Voyez-vous tous ces bâtiments ? Je vous le dis en vérité, il n’y sera pas laissé pierre sur pierre qui ne soit renversée. » – Voyez-vous ? A son tour, Jésus attire leur attention sur ces bâtiments magnifiques, afin de mieux mettre en relief la sentence qui va suivre. Sous le sceau du serment, je vous le dis en vérité , il annonce dans les termes les plus clairs et les plus explicites que de ce temple merveilleux il ne restera pas pierre sur pierre : tout sera impitoyablement renversé. L’oracle fut réalisé à la lettre, comme nous le savons par l’histoire. Après s’être emparé de Jérusalem, Titus fit démolir par ses soldats, quoique à regret, les murs de la ville et du temple incendié. Ce qui restait des fondements fut complètement anéanti à l’époque de la restauration impie tentée par Julien l’Apostat. On lira sans doute avec intérêt le récit que nous a laissé sur ce dernier fait le païen Ammien Marcellin, 23, 1 ; Cf. Théodoret, 3, 17 ; Sozom, 5, 31 : « Il voulait relever… ce magnifique temple de Jérusalem, qu’après une série de combats meurtriers livrés par Vespasien, Titus avait enfin enlevé de vive force. Il chargea de ce soin Alypius d’Antioche… Alypius, bien secondé par le correcteur de la province, poussait en conséquence les travaux avec vigueur ; quand soudain une éruption formidable de globes de feu, qui s’élancèrent presque coup sur coup des fondements même de l’édifice, rendit la place inaccessible aux travailleurs, après avoir été fatale à plusieurs d’entre eux ». « Pendant la nuit, ajoute l’historien Socrate, Hist. Eccl. 3, 20, un violent tremblement de terre fit sauter les pierres des anciens fondements du temple et les lança au loin avec les maisons voisines ». Où est maintenant cette masse de marbre blanc qui ressemblait, au dire des contemporains, à une montagne de neige ? Où sont ces pierres aux couleurs variées qui représentaient les vagues de l’océan ? Jésus a dit vrai : il n’est pas resté deux pierres réunies. Il prophétisait la destruction la plus complète, et la destruction la plus complète est survenue. « Les ruines mêmes ont péri » : Cf. Lightfoot, Hor. Hebr. in h.l. [En 2011, des archéologues travaillant pour l’Autorité des antiquités d’Israël annoncent que des fouilles sous les fondations en pierre du Mur des lamentations ont permis de mettre au jour des pièces frappées par un procurateur romain de Judée 20 ans après la mort d’Hérode. Cela indique qu’Hérode n’a pas construit le Mur des Lamentations. Les pièces de bronze ont été frappées aux alentours de l’an 17 après Jésus-Christ par Valerius Gratus, qui précéda Ponce Pilate en tant que représentant de Rome à Jérusalem, souligne Ronny Reich, de l’Université de Haïfa, l’un des deux archéologues en charge des fouilles. Ces pièces ont été découvertes dans un bain rituel qui date d’avant la construction du complexe du Temple d’Hérode, et avait été comblé à l’époque pour soutenir les nouveaux murs, précise Ronny Reich. Si Hérode a bien mis en route l’extension du Second Temple, les pièces montrent que la construction du Mur des Lamentations n’avait même pas commencé avant sa mort et a été probablement achevée seulement des générations plus tard. La découverte vient confirmer un récit de Flavius Josèphe, historien romain du Ier siècle, qui après la destruction du Second Temple par Rome en 70 après Jésus-Christ, raconta que les travaux au Mont du Temple n’avaient été terminés que par le roi Agrippa II, arrière-petit-fils d’Hérode. Flavius Josèphe explique également que la fin du chantier avait laissé 18.000 travailleurs au chômage, ce qui, selon certains, est à mettre en relation avec l’éclatement de la Grande Révolte des Juifs de la province de Judée contre l’Empire romain en 66 après Jésus-Christ. Après quatre années d’affrontements, les légionnaires romains de Titus viennent à bout de l’insurrection en l’an 70 et détruisent totalement le Temple.]
Mt24.3 Lorsqu’il se fut assis sur la montagne des Oliviers, ses disciples s’approchèrent, et, seuls avec lui, lui dirent : « Dites-nous quand ces choses arriveront, et quel sera le signe de votre avènement et de la fin du monde ? » – Il était assis… Détail pittoresque. La scène qui précède avait eu lieu au moment où le Sauveur quittait le Temple : celle‑ci se passe une demi‑heure plus tard. Notre‑Seigneur a gravi en silence le Mont des Oliviers. Arrivé au sommet de la colline, il s’est assis en face du Temple, Cf. Marc 13, 3, à l’endroit d’où les armées romaines devaient bientôt se précipiter sur la ville. Il contemple avec tristesse l’édifice dont il vient de prédire la ruine, et qui, de ce lieu élevé, paraissait plus riche encore et plus beau que de près. La troupe apostolique se tenait à quelque distance. Quatre des disciples, Cf. Marc. l. c., s’approchent alors du divin Maître, en particulier, c’est-à-dire sans que d’autres témoins fussent présents, pour l’interroger sur le Quand et le Comment des faits qu’il a prophétisés. Pour bien comprendre leur question, il faut se rappeler que, d’après la christologie judaïque, la destruction de Jérusalem et du Temple, l’avènement du Messie et la fin du Monde devaient être trois événements à peu près simultanés ; Cf. Stier, Reden des Herrn, in h. l. ; Reuss, Histoire évangélique, p. 597 et ss. « Les disciples, écrit ce dernier, ne voyaient dans la ruine du Temple, dont leur Maître leur offrait la perspective, que l’un des incidents d’une révolution beaucoup plus grande : de celle‑là même que S. Matthieu signale en parlant de la fin des temps. Loin donc de se récrier au sujet d’une menace qui aurait dû effaroucher leur patriotisme religieux, ils la considèrent comme une confirmation indirecte de leurs espérances messianiques, et loin de se livrer à un sentiment de tristesse autrement si naturel, c’est la curiosité de l’attente intéressée qui leur dicte leur question. » – Quand ces choses arriveront. « Ces choses » retombe sur la prophétie de Jésus, par conséquent sur la ruine du Temple. – Quel sera le signe. Le mot grec habituellement employé dans le Nouveau Testament pour désigner l’apparition du Christ, Cf. les versets 27, 37, 39 ; 1 Thessaloniciens 2, 19 ; 3, 13 ; 4, 15 ; 5, 23 ; 2 Thessaloniciens 2, 1, etc ; Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 20, 2, 2., signifie présence. Il est synonyme des substantifs Épiphanie (Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ) dans 1. Timothée 6, 14 ; 2 Timothée 4, 1, 8, et Apocalypse (Révélation de notre Seigneur Jésus Christ), 1 Corinthiens 1, 7 ; 2 Thessaloniciens 1, 7 ; 1 Pierre 1, 7. 13 ; comme eux, il désigne un avènement solennel, destiné à fonder ouvertement, d’une manière définitive, le royaume messianique. – Et de la fin du monde. En latin : la consommation du siècle. Les apôtres nommaient ainsi ce que nous appelons en termes à peu près identiques la fin du monde, Cf. Genèse 49, 1 ; Isaïe 2, 2 ; Michée 4, 1, Daniel, 12, 13 ; S. Pierre, 1 Pierre 1, 5 ; « la dernière heure » de S. Jean, 1 Jean 2, 18, sans parler de plusieurs autres expressions équivalentes cités dans nos saints Livres. Voir Olshausen, bibl. Comment., t. 1, p. 871, 3è édit. – Il y a trois parties dans la demande des disciples : ils veulent savoir 1° quand aura lieu la catastrophe particulière prophétisée par Jésus. 2° à quel signe précurseur ils pourront reconnaître l’approche de son avènement glorieux. 3° quel sera également le signe de la fin des temps. En étudiant la réponse de Notre‑Seigneur, nous verrons qu’il donne sur ces trois points de nombreux éclaircissements.
Mt 24, 4-35. Parall. Marc. 13, 5-31 ; Luc. 21, 8-33.
Mt24.4 Jésus leur répondit : « Prenez garde que nul ne vous séduise. – Jésus leur répondit. C’est ici qu’éclate entre les exégètes le dissentiment dont nous avons parlé. Ils ne peuvent en effet se mettre d’accord sur l’objet direct de la première partie du discours de Notre‑Seigneur, non plus que sur la manière dont chaque pensée se rattache à cet objet. Pour plusieurs, l’instruction entière concernerait la ruine de Jérusalem et la destruction de l’état juif. Selon d’autres, elle serait uniquement relative à la fin du monde. Lightfoot, MM. Norton, Barnes, Brown et A. Clarke soutiennent la première hypothèse ; S. Irénée, S. Hilaire, S. Grégoire‑le‑Grand et quelques auteurs modernes défendent la seconde. Entre ces deux opinions qui semblent directement opposées à différentes paroles de Jésus (voir les versets 15-20, 29-31 avec leur explication), et qui, pour ce motif, n’ont jamais trouvé qu’un petit nombre de défenseurs, il en existe une troisième adoptée déjà par S. Jérôme et S. Augustin, et autour de laquelle se sont de tout temps rangés la plupart des commentateurs. Elle consiste à dire que, dans sa prophétie, Notre‑Seigneur a tout à la fois en vue la destruction de Jérusalem et la fin des temps. Toutefois, l’harmonie est loin d’être parfaite même sur ce terrain commun. Nous ne tardons pas à y rencontrer des divisions ou du moins des nuances. Suivant un système assez répandu, les deux prédictions seraient exprimées parallèlement dans chaque verset du discours, la même image pouvant s’appliquer tout ensemble et à la ruine de la théocratie juive et à la fin du monde. D’après une autre conjecture, ces deux idées seraient au contraire entièrement séparées ; mais les traits relatifs à chacune d’elles auraient été proférés à dessein avec si peu d’ordre qu’il est moralement impossible de les retrouver tous avec certitude. Suivant l’opinion qui nous paraît la plus raisonnable (voir les commentaires de Schegg, Bisping, Stier, etc.), on distingue dans la première partie du discours eschatologique plusieurs séries de versets qui traitent alternativement de la ruine de Jérusalem et de ce qui doit se passer à la fin des temps. Il serait trop long de discuter ces divers sentiments : une lecture attentive du texte et du commentaire suffira pour montrer que celui que nous adoptons explique pour le mieux la pensée de Jésus et fait disparaître la plupart des difficultés. – Il ne faut cependant pas s’attendre à une parfaite clarté sur les points mystérieux que Jésus va développer : le Sauveur, en effet, ne se propose pas de satisfaire la curiosité de ses disciples, ni d’enflammer leur imagination. Il veut plutôt les préparer aux événements qu’il décrit que leur en fournir une description adéquate. Aussi ne leur dira‑t-il rien de l’époque à laquelle auront lieu les grandes crises historiques qu’il annonce, et plusieurs de ses paroles demeureront obscures jusqu’à ce qu’elles aient été mises en lumière par leur accomplissement. – Dans les versets 5-35 nous trouvons trois strophes d’inégale étendue, analogues à celles qui existent dans les discours habituellement rythmiques des anciens Prophètes. A trois reprises, la pensée prend une direction nouvelle, de manière à produire des tableaux variés. Tout d’abord, Jésus répond en termes généraux à la question de ses Apôtres, leur indiquant quels seront les pronostics communs de la ruine de Jérusalem et de la fin des temps, vv. 5-14 : c’est la première strophe. Dans la seconde, vv. 15-22, il revient d’une manière spéciale à la destruction de l’empire juif, dont il décrit les calamités et les signes. Enfin, dans la troisième, vv. 23-35, il parle spécialement aussi de la fin du monde, des malheurs qui l’accompagneront et des moyens par lesquels on pourra reconnaître son approche. – Prenez garde. Les disciples, nous l’avons vu, avaient confondu dans leur demande plusieurs choses qui devaient être séparées par des intervalles considérables lorsqu’elles se réaliseraient. Au début de sa réponse (première strophe), Notre‑Seigneur mélange comme eux les divers points sur lesquels il se proposait de les instruire : il envisage donc comme si c’était un seul et même acte la ruine de la capitale juive et la fin des temps. Il l’avait déjà fait plusieurs fois en d’autres circonstances ; Cf. 10, 23 ; 16, 28. Après tout, n’existe‑t-il pas entre ces deux événements la plus étroite union, malgré leur distinction réelle ? Ils sont le commencement et la fin d’une même œuvre, la scène initiale et la scène finale d’une grande et unique tragédie divine. S’ils se correspondent ainsi l’un à l’autre, le Sauveur a pu, comme les Prophètes, les contempler ensemble d’un seul coup d’œil. Les années et les siècles, en s’écoulant, devaient rétablir la perspective qui demeurait invisible pour les premiers auditeurs et les premiers lecteurs. – Ne vous égare. Avis plein de gravité sur lequel le divin Maître reviendra plus loin, vv. 23-25, et qui a pour but de faire pressentir aux disciples les dangers terribles des temps qu’ils désirent connaître. « Ils étaient peu prémunis encore contre l’effet moral des déceptions qui attendaient leurs espérances et des luttes qu’ils rencontreraient dans leur chemin ; de plus, ils étaient très disposés à se laisser éblouir et égarer par le mirage des illusions que leur propre simplicité ou le fanatisme des enthousiastes… pouvaient faire naître dans leur esprit ». Reuss, Histoire évangélique, p. 600.
Mt24.5 Car plusieurs viendront sous mon nom, disant : C’est moi qui suis le Christ, et ils en séduiront un grand nombre. – Par la description de plusieurs dangers contemporains soit de la fin des temps, soit des derniers jours de Jérusalem, Jésus motive son exhortation sévère : Prenez garde. – Les disciples pourraient d’abord être séparés de leur Maître par des séducteurs qui, à l’aide de mille artifices, se feront passer pour le Messie. Ces séducteurs seront nombreux ; ils s’appuieront sur le nom du vrai Christ qu’ils usurperont avec une sacrilège audace, et malheureusement ils ne réussiront que trop à égarer les âmes. – Le livre des Actes, 5, 35 ; 21, 38, et l’historien Josèphe, Ant. 20, 5, 8 ; 8, 6 ; Guerre des Juifs 2, 35, 5, parlent de plusieurs de ces faux Rédempteurs qui provoquèrent en Judée, peu de temps après la mort de Jésus‑Christ, de graves mouvements insurrectionnels : les Juifs accouraient en foule autour d’eux, s’attendant à une délivrance miraculeuse du joug romain. Ce fanatisme redoubla pendant le siège de Jérusalem ; il redoublera surtout à l’approche de la fin du monde. Voir dans l’ouvrage de MM. les abbés Augustin et Joseph Lemann, La question du Messie et le Concile du Vatican, p. 22 et suiv., Lyon, 1869, une liste assez complète des Pseudo‑Messies avec des documents historiques à l’appui. « Non pas une fois, non pas dix fois, s’écrient douloureusement les auteurs, mais vingt‑cinq fois nos ancêtres ont été le jouet de ce mirage : pour avoir méconnu le Messie là où il était, on était réduit à le chercher là où il n’était pas ». L’anglais Buck, dans son Dictionnaire théologique, compte jusqu’à 29 faux Messies.
Mt24.6 Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerre, n’en soyez pas troublés, car il faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin. – Ce n’est pas seulement la séduction qui pourra égarer les disciples : la terreur suscitera pour eux le même danger. – Vous entendrez parler de guerres. Le bruit des combats, le cliquetis des armes, ne tardera pas à retentir tout auprès d’eux. Ces guerres auront lieu dans le voisinage. – Bruits de guerres représente au contraire des guerres lointaines, qu’on ne connaît que par la renommée et les rumeurs publiques, mais qui menacent de s’approcher bientôt et dont la seule perspective suffit pour glacer d’effroi ; Cf. Jérémie 4, 19. – La paix la plus parfaite régnait dans tout le monde romain au moment de la naissance du Christ : peu de temps après sa mort la guerre sévit avec toutes ses horreurs, particulièrement en Palestine. Elle sévira de même au moment de la catastrophe finale. – Gardez-vous de vous troubler. S. Jean Chrysostome donne au verbe le sens de « être dans le trouble » : il désigne plutôt le trouble de l’âme causé par l’effroi, trouble si dangereux dans les circonstances décrites par Jésus, car il est un fâcheux conseiller. Le vrai disciple fixera solidement son cœur en Dieu, et demeurera calme pendant la tempête. – Car il faut… ; Cf. 18, 7. La guerre, comme les scandales, n’est pas d’une nécessité absolue ; mais la malice des hommes la rend nécessaire d’une manière relative. Puisqu’elle doit exister, il faut que les chrétiens sachent en supporter les rigueurs avec tranquillité. Du reste, continue Jésus, ce ne sera pas encore la fin. Les bouleversements produits par la guerre ne seront pas la fin, soit pour Jérusalem, soit pour le monde ; ils en seront seulement le présage. Bien d’autres malheurs devront arriver encore avant la consommation suprême.
Mt24.7 On verra s’élever nation contre nation, royaume contre royaume, et il y aura des pestes, des famines et des tremblements de terre en divers lieux. – Car on verra se soulever… C’est l’explication des premiers mots du v. 6. Tacite, au début de ses Histoires, 1, 2, semble avoir écrit le commentaire de ce passage : « Une époque féconde en catastrophes, ensanglantée de combats, déchirée par les séditions, cruelle même durant la paix : quatre princes tombant sous le fer ; trois guerres civiles, beaucoup d’étrangères, et souvent des guerres étrangères et civiles tout ensemble ; des succès en Orient, des revers en Occident ; l’Illyrie agitée ; les Gaules chancelantes ; la Bretagne entièrement conquise et bientôt délaissée ; les populations des Sarmates et des Suèves levées contre nous ; le Dace illustré par ses défaites et les nôtres ; le Parthe lui‑même prêt à courir aux armes pour un fantôme de Néron ; et en Italie des calamités nouvelles ou renouvelées après une longue suite de siècles ; des villes abîmées ou ensevelies sous leurs ruines, dans la partie la plus riche de la Campanie ; Rome désolée par le feu, voyant consumer ses temples les plus antiques ; le Capitole même brûlé par la main des citoyens ». Jésus prophétise donc ici de violentes commotions, en particulier ces formidables crises politiques qui ensanglantèrent le monde, spécialement la Syrie et la Palestine, où les Juifs furent massacrées en grand nombre par leurs ennemis. Cf. Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs 2, 17 ; 18, 1-8. – Des pestes, des famines. A côté de la guerre et du tumulte des nations, il prédit aussi d’autres calamités non moins désastreuses ; d’abord la peste et la famine ; puis des tremblements de terre qui renverseront des villes entières. Tous ces malheurs eurent lieu entre l’Ascension du Sauveur et la ruine de Jérusalem : les écrivains sacrés et profanes nous l’apprennent très explicitement. Tacite, Annales 16, 37, et Suétone parlent d’une peste qui enleva, seulement à Rome, 30 000 hommes en quelques mois. L’auteur du livre des Actes, 11, 28, et Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 20, 2, 3, mentionnent la famine qui ravagea tout le monde romain sous le règne de Claude. Les tremblements de terre furent très fréquents dans l’empire entre les années 60 et 70 ; Cf. Tacite, Ann. 14, 16 ; Senec. Quæst. natur. 6, 1 ; Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs 4, 4, 5. Mais ces malheurs passés ne sont qu’un faible prélude de ceux qu’on verra éclater vers la fin des temps. – Les Rabbins rattachent pareillement de grandes angoisses publiques à l’avènement du Messie. Sohar chadasch, f. 8, 4 : « A cette époque, le monde sera agité par des guerres, les nations s’opposeront aux nations, et les villes à d’autres villes : Les embûches se renouvelleront contre l’état d’Israël ». Bereschith rabba, sect. 42, f. 41, 1 : « R. Eleazar, fils d’Abina, dit : Si vous voyez des royaumes s’insurger les uns contre les autres, alors faites attention et regardez au pied du Messie » . Pesikta rabb. f. 2, 1 : « R. Levi dit : Au temps du Messie la peste viendra dans le monde et détruira les impies ». – L’expression en divers lieux a reçu deux interprétations contradictoires. Selon de Wette et d’autres exégètes, elle signifierait « en tous lieux ». Wetstein, Grotius, etc. la traduisent par « en de nombreux lieux ». Ce second sens est le plus vraisemblable.
Mt24.8 Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. – « mais ce ne sera pas encore la fin », avait dit plus haut, v. 6. Notre‑Seigneur : il répète ici cette pensée. Tout cela, toutes ces affreuses tribulations qu’il vient d’énumérer ne sont qu’un préambule, le commencement des douleurs, annonçant d’autres tribulations plus grandes encore. Que sera‑ce donc aux derniers jours ? L’expression employée dans le texte grec est littéralement : le début des douleurs de l’enfantement. « La métaphore des femmes en couches est utilisée pour rappeler que les premières douleurs qui annoncent l’enfantement sont cependant bien petites si on les compare aux tortures qui accompagnent la naissance de l’enfant » . S. Paul, dans la lettre aux Romains, 8, 22, décrit sous la même figure les souffrances de la création dégénérée : « la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. »
Mt24.9 Alors on vous livrera aux tortures et on vous fera mourir, et vous serez en haine à toutes les nations, à cause de mon nom. – Du tableau des malheurs qui attendent l’humanité dans son ensemble, le divin Prophète passe à celui des peines réservées spécialement à ses disciples. – Alors ; non pas après, mais pendant les grandes calamités extérieures signalées dans les versets qui précèdent. – On vous livrera… Le monde nourrira des dispositions hostiles à l’égard des chrétiens et, dans sa haine, il les persécutera de mille manières, il les massacrera brutalement. Qu’on lise les Actes des Apôtres et l’on y verra à chaque page la réalisation de ces sombres prédictions dès l’origine du Christianisme. Et, depuis cette époque lointaine, quand est‑ce que l’Église du Christ n’a pas été persécutée ? La haine qu’elle inspire aux méchants redouble à mesure que s’avance l’ère de la fin des temps. – Vous serez en haine… Race détestée, dit Tacite parlant des chrétiens. Les Juifs de Rome, dans l’entrevue qu’ils eurent avec S. Paul, lui dirent aussi : « Tout ce que nous savons de cette secte, c’est qu’on s’oppose partout à elle », Actes des Apôtres 28, 22.
Mt24.10 Alors aussi beaucoup failliront, ils se trahiront et se haïront les uns les autres. – A partir de ce verset, Jésus signale les tristes conséquences qui résulteront pour plusieurs d’entre ses disciples des persécutions dirigées contre eux par le monde. – Beaucoup seront scandalisés. De nombreux chrétiens viendront se heurter contre les obstacles extérieurs et, manquant de force, ils seront bientôt renversés. Sans figure, ils abandonneront lâchement leur foi, quand il leur en coûtera quelque chose pour la garder. – Ils se trahiront. Ces apostats désireux de conquérir les bonnes grâces des païens par un zèle monstrueux, dénonceront leurs anciens frères et les livreront aux tribunaux. Voici l’accomplissement d’après Tacite, Annales 15, 44 : « On saisit d’abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d’autres ». – Se haïront les uns les autres, quoique l’essence du Christianisme consiste précisément dans l’amour fraternel. Cf. Jean 15, 17.
Mt24.11 Et il s’élèvera plusieurs faux prophètes qui en séduiront un grand nombre.– A ces dissensions funestes, à ces trahisons qui viendront rompre tristement les rangs des fidèles, se joindra bientôt un autre danger qui accompagne toujours les époques de crise, le danger des doctrines erronées. Des faux prophètes, c’est-à-dire des hérésiarques, prêcheront ouvertement l’erreur, et, dans le désarroi où les persécutions auront jeté les fidèles, ils ne réussiront que trop à en pervertir un grand nombre. Jésus leur donne le nom de faux prophètes parce que les fauteurs des hérésies nouvelles ne manquent jamais de se dire les envoyés de Dieu. Dès la seconde moitié du premier siècle, nous voyons, en conformité avec la prédiction du Sauveur, les hérésies pulluler dans l’Église, menaçant d’envahir tout le champ que les Apôtres avaient ensemencé avec tant de peine. Comparez Actes des Apôtres 20 ,30 ; Galates 1, 7-9 ; Romains 16, 17-18 ; Colossiens 2, 17 et ss. 1 Timothée 1, 6, 7. 20 ; 6, 3-5, 20, 21 ; 2 Timothée 2, 18 ; 3, 6-8 ; 2 Pierre 2 ; 1 Jean 2, 18, 22, 23, 26 ; 4, 1-3 ; 2 Jean 7 ; 2 Corinthiens 11, 13, etc. Voir aussi l’histoire ecclésiastique de cette époque dans Darras, Rohrbacher, Mœhler, etc. La fin du monde fera germer cette fâcheuse ivraie avec un redoublement de vigueur.
Mt24.12 Et à cause des progrès croissants de l’iniquité, la charité d’un grand nombre se refroidira. – L’iniquité abondera. Ce verbe indique un accroissement considérable, une sorte de débordement du mal. – L’iniquité, l’opposition directe à la loi divine, l’iniquité en général, l’éloignement volontaire des principes vitaux du Christianisme. L’iniquité ne cesse jamais d’exister et d’agir dans le monde ; mais elle est surtout active aux époques de crises dont parle Notre‑Seigneur. « Dans les jours précédent l’avènement du Messie, disent les rabbins, Sota, 9, 15, l’impudence augmentera ». – Ce redoublement de malice produira le résultat le plus déplorable, que Jésus exprime sous une belle image : La charité se refroidira. La charité, c’est l’amour en général, c’est la charité chrétienne, dont Dieu est l’objet principal et direct. Le divin Maître ne veut donc pas désigner ici d’une manière spéciale l’amour des fidèles les uns pour les autres, comme l’ont pensé Maldonat, Arnoldi, Buchner, etc. Cela posé, l’amour est une flamme ardente qui brûle sans cesse : hélas ! Le vent des persécutions l’éteindra, la refroidira dans le cœur d’un grand nombre. – D’un grand nombre, avec l’article, représente la masse, la plupart des chrétiens. Il n’y aura que les âmes d’élite qui ne deviendront pas tièdes ou indifférentes sous le coup des dangers extérieurs.
Mt24.13 Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. – Voici pourtant une parole de puissant encouragement parmi ces prophéties désolantes : le salut sera possible pour les hommes vigoureux ! – Celui qui persévérera. Persévérer, « sauver à travers », ou, d’après le grec, résister. C’est garder au milieu des difficultés et des obstacles la foi en Jésus, l’amour pour Jésus, la pratique des devoirs imposés par Jésus ; c’est d’après le contexte, ne pas se laisser scandaliser par les maux du dehors, v. 10, ne pas se laisser induire en erreur par les faux prophètes, v. 11, ne pas se laisser refroidir intérieurement, v. 12. – Mais, pour que cette persévérance soit vraie, elle ne doit pas être passagère : il faut qu’elle dure jusqu’à la fin, c’est-à-dire, autant que les dangers prophétisés ; en tout cas, pour chaque fidèle jusqu’à la fin de sa vie. A ce prix, mais seulement à ce prix, on sera sauvé, on participera au salut messianique, mélange de gloire et de bonheur qui durera pareillement « jusqu’à la fin », ou plutôt sans fin.
Mt24.14 Cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour être un témoignage à toutes les nations, alors viendra la fin. – Jésus signale un dernier événement, événement plein d’importance et de consolation, qui devra se passer avant la fin de Jérusalem comme avant la fin des temps. – Cet Évangile. « L’évangéliste s’oublie en cet endroit, dit sottement de Wette, Kurzgef. exeget. Handbuch zum N. Test. t. 1, 1ère partie, in h. l., car il suppose que Jésus fait allusion à l’Évangile écrit plus tard par lui ». Comme si le pronom « cet » ne désignait pas l’Évangile oral prêché par le Sauveur lui‑même – L’épithète du royaume précise la nature de la bonne nouvelle ; c’est celle du royaume par excellence, du royaume que le Christ a fondé. – Dans le monde entier. Dût‑on voir avec S. Jean Chrysostome une hyperbole dans cette expression, il est certain qu’elle ne s’applique pas seulement à la Palestine : elle s’étend pour le moins au monde romain, probablement même à l’univers entier, puisqu’il est question, une ligne plus bas, de « toutes les nations ». Le mieux est de dire que l’Évangile devait être proclamé dans tout l’empire romain avant la destruction de la nation juive, et sur toute la terre avant la fin du monde. Le premier s’est parfaitement accompli. « Cet Évangile du royaume sera prêché par toute la terre… avant la fin de Jérusalem. Car saint Paul marque assez que l’Évangile avait déjà couru dans tout le monde avant même la destruction de cette ville : «Leur voix , dit‑il, s’est répandue dans toute la terre. (Romains 10, 10.) Et ailleurs : « L’Évangile que vous avez entendu a été prêché à toute créature qui est sous le ciel». (Colossiens 1, 6.) C’est ainsi qu’on voit cet apôtre passer de Jérusalem dans l’Espagne pour y prêcher l’Évangile. Et si saint Paul a lui seul porté la foi dans une si grande étendue de provinces, jugez de ce que tous les autres Apôtres auront pu faire », S. Jean Chrys. Hom. 75 in Matth. – Témoignage à toutes les nations. Tout à la fois un témoignage pour les peuples et contre les peuples, selon les circonstances : témoignage favorable dans le cas où ils accepteront la vérité chrétienne, car alors ils seront sauvés par elle ; au contraire témoignage accusateur, s’ils rejettent l’Évangile. Les exégètes se partagent entre ces deux interprétations du datif « aux nations » ; nous préférons les adopter l’une et l’autre, croyant obtenir ainsi un sens plus vrai et plus complet. – Et alors. Quand tous les signes précédemment indiqués, et spécialement ce dernier, auront apparu. – Viendra la fin. Jésus donne collectivement ce nom à la fin de Jérusalem, puis à celle du monde : il oppose la « consommation » au début dont il avait parlé au v. 8.
Mt24.15 « Quand donc vous verrez l’abomination de la désolation, annoncée par le prophète Daniel, établie dans le lieu saint, que celui qui lit entende, – Quand donc vous verrez. Après avoir décrit les pronostics et les préludes communs aux deux grandes époques touchant lesquelles ses disciples l’avaient interrogé, le divin Maître revient maintenant sur chacune d’elles pour les faire connaître plus en détail. Il suit l’ordre des temps, et s’occupe en premier lieu de la catastrophe qui engloutira Jérusalem avec l’état juif. – L’abomination de la désolation. Ces mots sont une traduction littérale du grec, et cette locution grecque, empruntée aux Septante, avait été elle‑même calquée sur l’hébreu du prophète Daniel. Ils sont assez obscurs dans les trois langues. Ils équivalent d’après Maldonat à « désolation abominable et redoutable », selon d’autres à « abomination horrible ». Du moins, ce qui est clair, c’est qu’ils prédisent quelque chose d’affreux, un sacrilège épouvantable. – Dont a parlé le prophète Daniel. Jésus montre, par cette phrase incidente, qu’il n’entend pas formuler un présage nouveau et inouï jusqu’alors. L’abomination de la désolation dont il parle a été prédite depuis longtemps par l’un des plus grands prophètes du Judaïsme, Daniel 9, 27 ; Cf. 11, 31 ; 12, 11 ; ses auditeurs la connaissent donc par ouï-dire, au moins d’une manière générale. – Établie : expression pittoresque qui personnifie la désolation, la présentant aux regards comme établie et domiciliée pour ainsi dire dans le lieu saint. – Quel est ce lieu sacré ? Si l’on se reporte au texte même de Daniel cité librement par Notre‑Seigneur, on voit qu’il y est fait mention expresse du temple : « sur une aile du Temple il y aura l’Abomination de la désolation » ; aussi, n’est‑il pas douteux que Jésus‑Christ ait voulu exprimer la même pensée que le Prophète. Si nous parcourons les derniers temps de l’histoire juive, nous ne voyons guère que les scènes sanglantes opérées dans le temple par les Zélotes, Cf. Joseph. Guerre des Juifs 4, 5, 10 ; 3, 10 ; 3, 10, qui puissent cadrer parfaitement avec la prédication du Sauveur. Plusieurs Pères, S. Hilaire en particulier, ont pensé à l’Antéchrist ; mais il n’est pas question de lui dans cette strophe. D’autres exégètes (S. Jean Chrys., Euthym., etc.) supposent que Jésus avait en vue l’érection des statues de Titus et d’Adrien sur l’emplacement du temple, ou l’incendie de cet édifice par les Romains : toutefois, ces événements furent postérieurs à la ruine de Jérusalem, tandis que la prédiction parle d’un fait qui devait la précéder, car elle suppose qu’on aura encore le temps de fuir quand éclatera l’abomination de la désolation. (Voir d’autres opinions dans Maldonat, Comm. in h. l). La profanation du lieu saint par les Zélotes s’accorde au contraire parfaitement avec la prophétie de Jésus. Elle fut d’ailleurs d’autant plus horrible qu’elle avait pour auteurs des adorateurs de Dieu. On en trouvera le récit détaillé dans l’ouvrage de M. de Champagny, Rome et la Judée. – Que celui qui lit... D’après S. Jean Chrys., Euthymius, Hengstenberg, Ewald, Stier, etc., cette parenthèse aurait été insérée par le Sauveur lui‑même ; elle ferait partie de son discours primitif, et rappellerait aux lecteurs du livre de Daniel que les malheurs de Jérusalem et du temple auront lieu bientôt. M. Schegg, qui partage ce sentiment, cite la parole analogue qui revient fréquemment sur les lèvres de Jésus : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ». Mais il est plus probable que ces mots ne furent pas prononcés par Notre‑Seigneur : c’est plutôt une réflexion de l’évangéliste, un avis pressant qu’il adresse à tous ceux qui lisaient dans les premiers temps ce passage de son récit. Prenez garde, leur disait‑il, l’heure annoncée par le Maître n’est‑elle pas arrivée et n’est‑il pas temps de prendre les précautions auxquelles il vous invite ? Ce sens est le plus naturel et la plupart des commentateurs l’ont adopté.
Mt24.16 alors que ceux qui sont dans la Judée s’enfuient dans les montagnes, – Ce verset et les suivants, 16-20, fournissent quelques moyens d’échapper aux calamités qui tomberont prochainement sur Jérusalem. – Alors reprend la pensée momentanément interrompue par la parenthèse. « Lorsque vous verrez… alors… ». – Ceux qui sont en Judée. Jésus s’adresse surtout aux habitants de la Judée, parce que, plus rapprochés de Jérusalem autour de laquelle allaient se livrer les combats les plus acharnés, ils étaient exposés par là-même à de plus grands dangers. – Le mot d’ordre, c’est s’enfuient ! Il faut fuir au plus vite, comme Loth de Sodome, ou, selon l’expression de Flavius Josèphe, comme l’on s’enfuit d’un vaisseau qui sombre. – Dans les montagnes. En temps d’invasion, l’on se réfugie de préférence dans les montagnes, qui offrent des abris naturels contre la fureur de l’ennemi. Les montagnes de Judée, et celles qui sont situées de l’autre côté du Jourdain, abondent en cavernes qui pouvaient servir de refuge en cas de danger. On sait que les chrétiens de Jérusalem et de la Judée, dociles à cette recommandation de Jésus‑Christ, se retirèrent dans la montagneuse Pella, en Pérée, dès qu’ils virent approcher les armées de Rome et qu’ils y trouvèrent le salut ; Cf. Euseb. Hier. Eccl. 3, 5.
Mt24.17 et que celui qui est sur le toit ne descende pas pour prendre ce qu’il a dans sa maison, 18 et que celui qui est dans les champs ne revienne pas pour prendre son vêtement. – Jésus démontre par deux exemples familiers, tirés de la vie pratique, qu’il ne faudra pas différer la fuite d’un instant. – Premier exemple, v. 17 : Celui qui sera sur le toit. Nous avons dit, Cf. 10, 27 et l’explication, que les toits des maisons orientales sont habituellement plats : on aime à s’y retirer à divers moments de la journée. – N’en descende pas… Le plus souvent, dans les habitations des Levantins, deux escaliers conduisent au sommet du toit : l’un est extérieur et aboutit à la rue ou aux champs ; l’autre est intérieur et communique avec les appartements. C’est à ce second escalier que Jésus fait allusion. La fuite qu’il recommande est si pressante qu’elle ne permet pas même de descendre du toit dans la maison, pour y aller chercher quelque objet qu’on désirerait sauver. Il faut se précipiter aussitôt dans la rue ou dans la campagne et s’échapper sans délai. – Second exemple, v. 18 : Celui qui sera dans les champs, occupé au travail des champs. – Ne retourne pas. « dans sa maison ». – Prendre sa tunique, ou mieux, d’après le grec, sa toge, son pallium, désigne en effet un vêtement supérieur servant de manteau. Ce passage est plein de couleur locale. Les ouvriers juifs, comme les nôtres, se dépouillaient de leurs vêtements de dessus pour travailler plus aisément ; mais ils en avaient besoin pour se présenter en public d’une manière convenable. Néanmoins, le Sauveur ne veut pas qu’ils retournent les chercher dans leurs maisons. Qu’ils s’occupent avant tout de sauver leur vie. – Ces avis, donnés sous une forme hyperbolique, font très bien ressortir la gravité des périls qui fondront sur Jérusalem.
Mt24.19 Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là. – Conséquence logique des versets qui précèdent. La fuite, et une prompte fuite, sera nécessaire : malheur donc à ceux qui seront retardés par quelque obstacle ! Ils risqueront de tomber entre les mains d’un ennemi qui ne fera pas de quartier. – Enceintes ou qui allaiteront. Notre‑Seigneur signale deux catégories spéciales de personnes à plaindre au moment d’une fuite précipitée, les femmes enceintes et celles qui ont des enfants encore au sein. « Malheur aux femmes qui seront enceintes, parce que le poids qui les chargera les rendra moins disposées à se sauver par la fuite ; malheur aux femmes qui allaiteront, parce que, retenues dans la ville par l’affection de leurs enfants nouveau‑nés, ne pouvant les sauver d’une si grande misère, elles seront contraintes de périr aussi avec eux » S. Jean Chrys., Hom. 76 in Matth.
Mt24.20 Priez pour que votre fuite n’arrive pas en hiver, ni un jour de sabbat, – Dès l’heure présente, les disciples de Jésus, avertis par leur Maître, doivent conjurer le Seigneur de faire disparaître les obstacles indépendants de leur volonté qui pourraient s’opposer à leur fuite. Nous trouvons ici l’indication d’un nouvel empêchement ; mais, tandis que le précédent était tiré de deux circonstances personnelles, celui‑ci est déduit de deux circonstances de temps. – En hiver : c’est un obstacle qui provient de la nature. En hiver, le mauvais temps retarde notablement la marche : dans l’Orient c’est la saison des pluies et les chemins, mauvais à toute époque, deviennent alors impraticables. – Ou un jour de sabbat: obstacle qui provient d’un précepte divin. Les Juifs – car c’était pour les chrétiens issus du Judaïsme que parlait alors Jésus – ne pouvaient parcourir aux jours de sabbat que de courtes distances, rigoureusement fixées ; Cf. Actes des Apôtres 1, 12. Le chemin de sabbat était d’après les Rabbins de 2000 coudées, équivalentes à 6 stades grecs, à 750 pas romains. Il est vrai que cette loi souffrait des exceptions, comme nous l’apprend le Talmud : « Si quelqu’un est poursuivi par des païens ou par des voleurs, ne lui est‑il pas permis de profaner le sabbat ? Nos rabbins ont dit que cela lui est permis, pour sauver sa vie », Bammidbar R. S. 23, f. 231, 4. Mais il y avait aussi des Docteurs sévères qui ne les autorisaient jamais, ou des disciples scrupuleux qui refusaient d’y avoir recours. Jésus, du reste, parle en termes généraux, indépendamment de toute exception. Remarquons encore que les chrétiens de la Judée, en prenant la fuite au jour du sabbat, pouvaient s’attirer des persécutions de la part de leurs anciens coreligionnaires, qui les regarderaient comme des profanateurs.
Mt24.21 car il y aura alors une si grande détresse, qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis le commencement du monde jusqu’ici, et qu’il n’y en aura jamais. – Ce verset et le suivant font ressortir par anticipation le caractère affreux des calamités qui devaient bientôt tomber sur Jérusalem et sur les Juifs. – L’adverbe alors se rapporte à l’époque mentionnée, dans les vv. 15 et 16. La conjonction car relie la description des vv. 20 et 22 à l’idée qui précède : Jésus indique à ses disciples pourquoi ils devront fuir sans retard. – Une grande tribulation. La tribulation qui accompagna le siège et la prise de la capitale juive fut horrible en effet. On frémit en lisant les détails que nous a conservés l’historien Josèphe, Guerre des Juifs passim. Il y eut alors des horreurs, des atrocités sans parallèles dans l’histoire du monde. A Jérusalem seulement, 1100000 Juifs furent égorgés, 97000 furent faits prisonniers et condamnés soit à de cruels supplices, soit à un dur esclavage. On en crucifia un si grand nombre que « l’espace manquait pour les croix et les croix pour les condamnés ». La famine enlevait « des maisons et des familles entières » ; les mères mangeaient leurs propres enfants. Voir les récits de M. de Champagny. Rome et la Judée, chap. 14-17 ; de M. de Saulcy, Les derniers jours de Jérusalem, Paris 1866 ; de M. Renan, l’Antéchrist. Faisant allusion aux paroles suivantes de Jésus, « pas eu de pareille », S. Jean Chrysostome peut donc s’écrier en toute vérité : « Ceci ne doit pas être pris pour une exagération, et l’histoire de Josèphe en justifie assez la vérité. On ne peut pas dire non plus que cet auteur, étant chrétien, a pris plaisir à exagérer ces malheurs pour faire voir la vérité de ce que Jésus‑Christ prédit ici, puisque Josèphe était juif, et des plus zélés d’entre les Juifs qui sont venus après la naissance du Sauveur. Cependant il dit que ces malheurs ont passé tout ce que l’on peut s’imaginer de plus tragique, et il assure que les Juifs ne se sont jamais trouvés réduits à de si étranges extrémités », Hom. 76 in Matth. Flavius Josèphe conclut aussi sa description lugubre par des réflexions tout à fait identiques à celle du Sauveur : « Aucune autre ville n’a jamais souffert tant de misères… Si les malheurs du monde entier depuis la création étaient comparés à ceux que les Juifs endurèrent alors, on les trouveraient inférieurs aux leurs ». – Depuis le commencement du monde, à partir de la création du monde ; jusqu’à présent, jusqu’au moment où Notre‑Seigneur faisait cette prédiction, Joël, 2, 2, et Daniel, 12, 1, emploient des formules identiques.
Mt24.22 Et si ces jours n’étaient abrégés, nul n’échapperait, mais, à cause des élus, ces jours seront abrégés. – Notre‑Seigneur, à la façon des Prophètes, s’exprime comme si les événements qu’il annonce avaient déjà reçu leur accomplissement : de là l’emploi du plus‑que‑parfait. Ce qu’il dit ici est une lueur d’espoir au milieu de la tempête. Dieu, qui est Père même lorsqu’il châtie, se souviendra donc de sa miséricorde ; c’est pourquoi il diminuera le nombre de ces jours affreux : autrement, tous les Juifs eussent péri. – Nulle chair (hébraïsme pour « tout homme » ; Cf. Genèse 6, 12 et ss. ; Actes des Apôtres 2, 16) doit en effet se restreindre au peuple juif. Nous admettons cependant sans peine, avec M. Schegg, que le regard prophétique de Jésus était aussi dirigé, tandis que sa bouche prononçait ces paroles, sur les catastrophes finales et sur les angoisses des derniers temps qui les réaliseront dans toute leur étendue. Mais elles regardent directement les compatriotes et les contemporains du Sauveur. Alford signale dans son commentaire plusieurs combinaisons providentielles qui abrégèrent d’une manière notable le siège et par suite les maux de Jérusalem. 1° Hérode Agrippa avait entrepris de réparer les fortifications de la ville, de manière à la rendre imprenable ; mais son entreprise fut bientôt arrêtée par l’empereur Claude ; Cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 19, 7, 2. 2° Les Juifs, en proie à des divisions intestines, avaient négligé de se préparer à un siège sérieux. 3° Leurs magasins de blé furent incendiés peu de temps avant l’approche de Titus : ils contenaient, au dire de Josèphe, des provisions pour plusieurs années. 4° Titus commença soudainement l’attaque et les assiégés abandonnèrent d’eux‑mêmes une partie des ouvrages fortifiés. Cf. Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs 6, 8, 4. Au reste, le général romain reconnut lui‑même le doigt de Dieu dans les incidents du siège : « Dieu a combattu pour nous, et c’est lui qui a privé les Juifs de leurs fortifications : car qu’est‑ce qu’auraient pu contre ces tours des bras ou des engins humains ? » – À cause des élus. A coup sûr, ce n’était pas sur les coupables que le cœur divin s’apitoyait ; mais il voulait sauver les bons, les élus, qui eussent partagé, sans les mesures prises par sa Providence, le sort malheureux des méchants ; Cf. Genèse 28, 29 et suiv.
Mt24.23 Alors, si quelqu’un vous dit : Le Christ est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas. – Cet « alors » est loin d’être parallèle à ceux des vv. 16 et 21. De l’avis commun des exégètes, il nous fait franchir tout d’un coup de longs siècles d’intervalle, pour nous conduire des derniers jours de Jérusalem à la fin du monde. Cf. S. Jean Chrys., Hom. 76 in Matth. De même Maldonat : « Le Christ passe donc de la fin et de la ruine des Juifs à la fin du monde ; la dévastation de Jérusalem est en effet une figure et une image de la dévastation et de la fin du monde ». Ce brusque changement de matières n’est cependant indiqué que par le contexte ; mais il est clairement indiqué, car les nouvelles prédictions que nous allons entendre ne peuvent convenir qu’au second avènement du Christ, et par là-même qu’à la fin des temps considérée soit en elle‑même, soit dans sa période de préparation. C’est ainsi que les Prophètes de l’Ancien Testament passaient rapidement d’une chose à l’autre, du début d’une ère à sa fin. – Les premières instructions du Christ touchant la fin des temps, vv. 23-27, se bornent à développer l’idée contenue dans le v. 5 et déjà appliquée partiellement à la fin du monde. Elles mettent l’Église de l’avenir en garde contre les dangers qui lui surviendront de la part des faux prophètes et des faux messies. – Le Christ est ici... La narration décrit une rumeur qui circule de bouche en bouche et qui ne tarde pas à devenir publique. – Ne le croyez pas. Précieux avertissement par lequel Jésus‑Christ a préservé son Église d’un dangereux enthousiasme à l’époque des derniers jours.
Mt24.24 Car il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, et ils feront de grands prodiges et des choses extraordinaires, jusqu’à séduire, s’il se pouvait, les élus mêmes. – Nous trouvons dans ce verset et dans les suivants les motifs de la sage incrédulité recommandée par Jésus. C’est d’abord l’apparition d’une multitude d’imposteurs qui se feront passer les uns pour le Messie lui‑même, les autres pour ses précurseurs ou ses compagnons. Le danger de les croire et de se laisser égarer par eux sera d’autant plus grand qu’ils accompliront des prodiges sataniques, que l’on risquera de confondre avec des miracles divins opérés à l’appui de leur mission. – Qui feront : ils fourniront, ils opéreront. – De grands signes. S. Paul, 2 Thessaloniciens 2, 9-10, parlant de l’Antéchrist, relève aussi l’éclat de ses prodiges « La venue de l’Impie, elle, se fera par la force de Satan avec une grande puissance, des signes et des prodiges trompeurs, avec toute la séduction du mal, pour ceux qui se perdent du fait qu’ils n’ont pas accueilli l’amour de la vérité, ce qui les aurait sauvés. – Et des prodiges. Les mots « signes » et « prodiges », sont assez souvent associés dans la Bible ; ils représentent à peu près la même idée. Il existe cependant entre eux une légère différence : « prodige » désigne surtout le côté extérieur du miracle, sa nature extraordinaire, merveilleuse, qui étonne l’esprit ; « signe » est le nom qui lui convient en tant qu’il appuie et confirme quelque chose en dehors de lui. – Au point de séduire... La même pensée est exprimée avec une nuance dans le récit de S. Marc, 13, 22. Tandis que Jésus‑Christ signale, d’après le premier Évangile, une conséquence funeste que l’œuvre des thaumaturges diaboliques pourrait avoir sans un secours spécial de Dieu, il indique simplement, d’après le second, le but que se proposent ces ouvriers d’iniquité. Au reste, le texte de S. Matthieu peut se ramener au même sens que celui de S. Marc. – S’il était possible. « C’est-à-dire : s’il était possible que la force créée l’emporte sur le décret du Créateur, sur son bon plaisir, et sur les forces qui les protègent. Ce qui veut dire que si les dits élus étaient abandonnés à leur prudence et à leurs propres forces, ils tomberaient inévitablement. C’est donc avec raison que saint Augustin écrit dans la correction et la grâce, au chapitre 7 : « Si quelqu’un d’eux périt, c’est Dieu qui serait pris en faute. Mais personne d’entre eux ne périt, car Dieu ne se fait pas défaut à lui-même. Si quelqu’un d’eux périt, Dieu est vaincu par le vice humain. Mais aucun d’entre eux ne périt, parce que Dieu n’est vaincu par rien. C’est le Christ lui-même qui dit de ces brebis : personne ne les arrachera de ma main ». Cette belle explication est de Jansénius.
Mt24.25 Voilà que je vous l’ai prédit. – Cf. S. Marc, 13, 23, qui est un peu plus explicite. Les chrétiens sont donc bien avertis, et ce sera leur faute s’ils se laissent séduire par les faux Messies. Grâce aux lumières que Jésus‑Christ leur a données plusieurs siècles à l’avance (le divin Maître se place au point de vue des fidèles qui se rappelleront plus tard ses avertissements), ils pourront attendre patiemment sa venue sans qu’aucun éclat mensonger réussisse à les égarer.
Mt24.26 Si donc on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez pas, le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, ne le croyez pas. – Ce point a tant d’importance, il sera parfois si difficile aux derniers jours de distinguer le vrai du faux, que le divin Maître revient encore sur la même pensée pour notre plus grande utilité. – Si donc : maintenant que vous êtes avertis. Les vv. 26 et 27 renferment une conséquence du précédent. – Dans le désert. Le voici : il s’agit du Christ. Nous avons ici une spécification et un développement des adverbes « ici » et « là » du v. 23. On entendra donc dire autour de soi, lorsque s’approcheront les suprêmes péripéties, tantôt qu’il s’est manifesté dans le voisinage, mais d’une manière secrète, dans le lieu retiré. Ce substantif désigne en effet, par opposition au désert, les appartements les plus retirés d’une maison, une retraite rapprochée mais secrète et mystérieuse. Jésus interdit à ses disciples dans le premier cas toute démarche extérieure (ne sortez pas), dans le second même la simple foi. Ces bruits sont des mensonges absurdes qui ne méritent pas qu’on s’en occupe.
Mt24.27 Car, comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. – Le vrai Christ, quand il fera son second avènement, apparaîtra simultanément à tous les hommes ; il n’y aura donc pas lieu d’aller le chercher en quelque endroit particulier. L’image qui exprime cette idée est pleine de force et de beauté. L’éclair, localisé au premier instant de sa naissance, envahit aussitôt l’horizon entier ; tous l’aperçoivent en même temps. « Vous savez, mes frères, comment paraît un éclair. II n’a besoin ni de précurseur ni de héraut pour annoncer sa venue. il paraît en un moment à tout le monde sans qu’on en puisse douter. C’est ainsi que le Sauveur paraîtra tout d’un coup par toute la terre dans l’éclat de la gloire dont il sera accompagné », S. Jean Chrys. Hom 76 in Matth.
Mt24.28 Partout où sera le cadavre, là s’assembleront les vautours. – Si l’on en juge par les nombreuses interprétations qu’a reçues ce verset, il doit contenir une véritable énigme ; les exégètes ne peuvent tomber d’accord à son sujet. C’est à coup sûr un proverbe, qui rappelle des paroles analogues de Job, 39, 30, d’Osée, 8, 1, et d’Habacuc, 1, 8. C’est de plus un proverbe prophétique, déjà cité par Notre‑Seigneur dans une autre circonstance. Cf. Luc. 17, 37. Mais quelle est sa portée ? Que doit‑il prophétiser ? – Étudions d’abord les deux expressions principales. « cadavre » et « vautours ». Les aigles ne se nourrissent pas de cadavres et ils n’existent guère en Palestine, Jésus emploie donc ce mot dans son acception populaire. Cela posé, la phrase entière rappelle un fait bien connu. « S’il y a un vautour, attends‑toi à trouver un cadavre », disait de même Sénèque. Les oiseaux de proie accourent promptement aux lieux où se trouvent des cadavres. Passons maintenant à l’application. Ceux qui pensent qu’ici encore il est question de Jérusalem et de sa ruine, disent que le cadavre figure cette ville corrompue, tandis que les aigles représenteraient les armées de Rome lancées contre elle (Lightfoot, Wettstein, etc). Les partisans de cette opinion [qu’il faut traduire par « aigles » et non pas « vautours »] ne manquent pas de faire observer que les enseignes romaines étaient précisément surmontées d’un aigle. Mais le contexte leur donne tort, puisqu’il ne s’agit plus maintenant que de la fin du monde dans l’instruction de Jésus. Suivant d’autres écrivains, parmi lesquels nous mentionnerons Bisping, Hengstenberg, de Wette, Kistemaker et Abbott, les cadavres aussi bien que les vautours doivent se prendre au moral, pour symboliser d’une part la mort spirituelle, le péché, d’autre part les terribles jugements de Dieu contre les pécheurs. Le sens serait : Comme les cadavres appellent les vautours, de même la corruption morale appelle les châtiments du ciel. Selon MM. Schegg et Crosby, les vautours sont l’emblème des faux Christs et des faux prophètes ; le cadavre, la figure du monde pervers des derniers jours. Par conséquent, les imposteurs se rassemblent là où règne le dérèglement de l’intelligence du cœur. Il est aisé de voir que ces deux interprétations ne sont pas moins opposées au contexte que la première. Pourquoi ne pas adopter simplement l’explication traditionnelle, d’après laquelle ce verset serait quant au sens entièrement parallèle au précédent, et dirait en termes figurés ce que l’autre avait exprimé au propre et directement ? C’est l’opinion de S. Jean Chrysostome, de S. Jérôme, de Bède le Vénérable, d’Euthymius, pour ne citer que quelques noms anciens, et de la plupart des commentateurs catholiques. « Cela signifie que tous les hommes seront rassemblés à l’endroit ou lui‑même sera, pour y être jugés, comme les vautours se rassemblent autour des cadavres », Maldonat. Cf Jansenius, Van Steenkiste, Arnoldi, etc.
Mt24.29 Aussitôt après ces jours d’affliction, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. – Les détails qui vont suivre décrivent les différentes scènes dont se composera le grand drame du second avènement du Christ à la fin des temps. Nous y retrouvons les mêmes images que dans les tableaux analogues tracés par les Prophètes ; Cf. Isaïe 13, 10 ; 24, 18 et s. ; 34, 4 ; Ezéch. 32, 7 ; Joël, 2, 10, 28 ; Agg. 2, 21 et ss. – Après la tribulation… Ces jours terribles sont ceux de l’Antéchrist : Notre‑Seigneur laisse à dessein dans l’ombre leur nombre et leur durée. D’ailleurs, il ne faut pas confondre la tribulation qu’ils amèneront avec les malheurs spéciaux à Jérusalem et à la Palestine, qui ont été signalés plus haut, v. 21. – Le soleil s’obscurcira... Toute une catégorie de signes effroyables apparaîtra dans le ciel, inaugurée par des éclipses extraordinaires du soleil et de la lune. Il faut nous demander ici ce que l’on doit penser de la valeur intrinsèque de ces tableaux. Seraient‑ce des embellissements poétiques ? De simples métaphores pour dépeindre la fin du monde sous des couleurs plus vives ? On l’a dit, mais sans preuves suffisantes. S. Augustin, lettre 80, Grotius, Lightfoot et d’autres se rabattent sur des sens allégoriques et mystiques. Par exemple, « S. Augustin… pense que le soleil représente le Christ, et la lune l’Église ; ils seront obscurcis, parce que, en raison de la gravité de la persécution, ils seront moins visibles à l’humanité. Les étoiles tombantes sont les saints qui abandonneront leur foi. Les puissances des cieux sont les chrétiens qui seront ébranlés dans leur foi », Van Steenkiste, Comment. in Evang. sec. Matth. t. 1, p. 428. Il est aisé de voir que ces interprétations n’ont pas le moindre fondement ; elles sont d’ailleurs réfutées par la contradiction qui règne entre leurs auteurs pour l’explication des détails. Reste donc le sens strict et littéral, qui est généralement admis et dont la vérité nous semble incontestable. C’est en effet la doctrine universelle de la bible qu’à la fin du monde il y aura des bouleversements étranges dans la nature physique. Bornons‑nous à citer 2 Pierre 3, 5-7, comme un résumé de cet enseignement. Le sens littéral ne présente du reste aucune difficulté, pourvu qu’on prenne garde de ne pas exagérer les traits particuliers. – Les étoiles tomberont… Jésus emprunte cette expression aux idées populaires de son temps. Les anciens supposaient les étoiles attachées à la voûte solide du firmament. Les astres tomberont donc et s’entrechoqueront d’une manière épouvantable pour annoncer la fin du monde actuel. – Les puissances des cieux. Quoique les anges soient plusieurs fois désignés dans l’Ancien Testament, le plus souvent, et en particulier dans ce passage, c’est l’ensemble des corps célestes indépendamment du soleil et de la lune qui est appelé « Vertu des cieux » (comparez Deutéronome 4, 19 ; 17, 3 ; 2 Rois 17, 16 ; 23, 5 ; Isaïe 34, 4 ; Daniel 8, 10, etc. Voir la note de M. Schegg au tome 3, p. 565, de son commentaire). Il est possible aussi, selon quelques exégètes, que le Sauveur ait eu l’intention de représenter par ces mots les lois ou les forces qui sont actives dans le ciel pour soutenir l’édifice céleste et en maintenir dans l’équilibre les différentes parties.
Mt24.30 Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme, et toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté. – Alors… Adverbe solennel qui a déjà retenti bien des fois depuis les premières phrases du Discours eschatologique ; Cf. vv. 9, 10, 14, 16, 21, 23 : il marque pour ainsi dire les principales scènes des grands actes prophétisés par Notre‑Seigneur. Il retombe ici sur les catastrophes du v. 29, et prépare l’incident grandiose qui précédera immédiatement l’apparition du Souverain Juge. – Le signe du Fils de l’homme. Quel sera ce signe ? Le texte grec donne à supposer qu’il s’agit d’un signe bien connu, du signe qui caractérise par excellence le Fils de l’homme. Aussi les Pères répondent‑ils presque unanimement que ce sera la croix du Sauveur. « Le signe du Fils de l’homme qui a fait les choses célestes, celles qui se trouvaient dans les cieux et celles qui se trouvaient sur terre, apparaîtra alors : en d’autres termes la puissance que le Fils de l’homme a fait éclater lorsqu’il était attaché à la croix », S. Cyrille de Jérusalem, 12, p. 105. « Sa croix paraîtra alors plus éclatante que le soleil… sa croix sera la marque de sa justification et le trophée de son innocence », S. Jean Chrys. Hom 76 in Matth. De même S. Augustin, S. Jérôme, etc. L’Église confirme ce sentiment dans ses offices liturgiques où elle fait chanter le verset suivant : « Ce signe de la croix sera au ciel lorsque le Seigneur viendra pour juger » (Fête Invention S. Croix). Toutes les autres interprétations sont arbitraires, entre autres l’étoile d’Olshausen, l’apparition lumineuse de Meyer, etc. Ewald et Fritzche confondent plus arbitrairement encore le signe du Messie avec le Messie lui‑même. – Les tribus de la terre… Le texte grec exprime par un verbe plus énergique la douleur que fera éclater parmi les peuples réunis pour le jugement la vue du signe du Fils de l’homme, faisant en même temps une allitération qui vient après, « ils se frapperont la poitrine ». Dans un passage célèbre du prophète Zacharie, 12, 10-14, dans un autre passage plus célèbre encore d’Isaïe, 53, 1 et ss., ce sont les seuls Juifs qui déplorent les traitements affreux qu’ils ont fait subir au Christ dans leur aveuglement : ici nous voyons tous les peuples pleurer, parce qu’ils auront tous été coupables ; Cf. Apocalypse 1, 7 ; 6, 15-17. – Venant sur les nuées… Comme dans toutes les théophanies. Cf. Psaume 17, 10-12 ; Isaïe 19, 1. Telle avait été du reste la vision de Daniel, 7, 13 : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ». Voir aussi Matth. 16, 27 ; 26, 64. Le Fils de l’homme se présentant pour le jugement suprême sera comme un autre Dieu sur un autre Sinaï. – Avec une grande puissance... La force et la majesté, double attribut qui convient au Souverain Juge du monde, double emblème des pleins pouvoirs qu’il aura reçus de son Père.
Mt24.31 Et il enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité du ciel jusqu’à l’autre. – Les nations qu’on nous a montrées tout à l’heure pleurant à l’apparition de la croix dans les airs, figuraient sans doute les hommes qui seront encore vivants sur la terre au moment de la fin du monde. Maintenant, Jésus‑Christ donne ses ordres pour faire assembler devant lui tous ceux qu’il doit juger : les anges sont chargés de ce ministère. – Avec la trompette... Avec une trompette à la voix retentissante. Il n’y a aucune raison de ne pas croire à la réalité de la trompette du Jugement dernier : S. Paul a sur ce point des paroles très formelles (Cf. 1 Corinthiens 15, 52 , 1 Thessaloniciens 4, 16, 17 et l’explication de ces passages par M. Drach et M. Van Steenkiste), prises dans leur sens obvie par la tradition tout entière. – Ils rassembleront les élus. Jésus ne mentionne que les élus, parce qu’ils seront convoqués les premiers : mais les réprouvés ne seront pas oubliés. Cf. 24, 41 et ss. – Des quatre vents, c’est-à-dire des quatre points cardinaux d’où soufflent les vents, par conséquent de toutes les directions. Voir des figures semblables dans 1 Chroniques 9, 24 ; Ezech. 37, 9 ; Apocalypse 7, 1 etc. – Depuis une extrémité du ciel… C’est un éclaircissement donné à l’image qui précède (Cf. Deutéronome 4, 32).
Mt24.32 « Écoutez une comparaison prise du figuier. Dès que ses rameaux deviennent tendres, et qu’il pousse ses feuilles, vous savez que l’été est proche. – Le Sauveur cite maintenant un phénomène naturel pour démontrer l’indubitable certitude des choses qu’il a prédites. Le figuier étant un des arbres les plus communs de la Palestine, toute image empruntée à sa culture et à sa vie était facilement intelligible. Jésus veut donc qu’on prenne ce végétal pour maître, qu’on aille chercher auprès de lui une importante leçon. – Une comparaison : une parabole dans le sens large, c’est-à-dire un exemple, une comparaison capable de mettre une vérité en relief. – Ses branches sont tendres. La sève monte au printemps et rend les jeunes branches des arbres tendres et délicates ; alors les bourgeons éclatent et les feuilles ne tardent pas à s’épanouir. – Ses feuilles naissent ; « ses branches produisent des feuilles ». Jésus signale en effet une chose bien connue. – L’été est proche. Même en Palestine, le figuier est un arbre tardif, dont les feuilles ne poussent communément qu’au mois de mai. Voir notre explication de 21, 9.
Mt24.33 Ainsi, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à la porte. – Jésus applique maintenant sa comparaison. Les lois qui régissent la vie des plantes étant invariables, il est facile de calculer les diverses saisons de l’année d’après l’apparition de tel ou tel phénomène de végétation. De même pour la fin du monde ou pour la ruine de Jérusalem. Quand on verra s’accomplir toutes ces choses, tous les incidents notifiés par le divin Prophète dans la première partie de son discours, on saura que les événements dont ils sont les signes avant‑coureurs se réaliseront bientôt. – Est proche n’a pas de sujet visible. Les exégètes substituent à tour de rôle les mots suivants : le Messie (Grotius, Meyer, de Wette), le jugement (Ebrard et Schegg), le royaume de Dieu (Olshausen, J. P. Lange, etc), ce qui a été prédit plus haut, etc. Cette dernière opinion a nos préférences, parce qu’elle nous semble mieux traduire la pensée de Jésus : les trois autres sont trop restrictives. – Aux portes. Métaphore facile à saisir et qu’on trouve en d’autres endroits de la Bible ; Cf. Genèse 4, 7 ; Jacques 5, 9. Une chose qui est déjà sur le seuil est une chose inévitable, qui fera instantanément son apparition.
Mt24.34 Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera pas que toutes ces choses n’arrivent. – En vérité... C’est le serment accoutumé du Sauveur. Il est destiné à renforcer ici une assertion des plus graves, et des plus positives. – Cette génération ne passera pas. Pour bien saisir le sens exact de cette assertion, il importe d’abord de déterminer celui des mots « cette génération ». Comme les expressions des Grecs, de l’hébreu ou les expressions analogues dans toutes les langues, elle ne s’emploie pas toujours pour représenter les hommes qui vivent à une époque donnée de l’histoire ; ce mot signifie aussi race, nation. Mais quel peuple était à la pensée de Jésus quand il tenait ce langage imposant ? S. Jean Chrysostome, S. Grégoire, S. Thomas et d’autres croient qu’il voulait désigner la nation chrétienne en général, qui doit en effet persister jusqu’à la fin du monde. S. Jérôme généralise davantage encore et applique l’expression à la race humaine tout entière. Plusieurs auteurs la restreignent au peuple juif, qui devait être miraculeusement préservé jusqu’au second avènement du Christ, malgré ses malheurs et sa dispersion, pour être, disent‑ils, comme une preuve vivante et perpétuelle de la vérité des prédictions du divin Maître. Nous croyons, avec d’autres exégètes (en particulier Reischl et Bisping), qu’il est mieux d’établir ici une distinction. En considérant de près les versets 34 et 35, on voit qu’ils forment la péroraison et la récapitulation de toute la première partie du Discours eschatologique. Or, à partir du v. 4, il a été question de deux événements distincts, la ruine de Jérusalem et la fin des temps. Il nous semble donc que les mots « cette génération » ont un double sens suivant qu’ils retombent sur l’un ou sur l’autre de ces événements. En tant que Jésus faisait allusion aux maux de Jérusalem, ils représentent les Juifs alors existants ; en tant qu’il voulait décrire la fin du monde, ils désignent tout le peuple juif qui persévérera, comme on l’exprimait plus haut, jusqu’aux derniers jours, pour rendre hommage à la véracité de Jésus. Il y aurait ainsi dans le v. 34 une de ces prophéties à double perspective qu’on rencontre si souvent dans les Saints Livres. – La signification de toutes ces choses est déterminée par ce que nous venons de dire : tout ce que le Sauveur a prophétisé depuis le v. 4.
Mt24.35 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. – Enfin Jésus affirme que ses paroles n’ont à craindre aucun démenti, tout se réalisera comme il l’a prédit. – Un rapprochement inattendu fortifie son affirmation. – Le ciel et la terre... Le ciel et la terre, ces parties de la création qui semblent si robustes, si stables, Cf. Jérémie 31, 35 et 36, passeront cependant ; ils seront complètement transformés, sinon détruits en totalité ; Cf. 2 Pierre 3, 7 ; 1 Corinthiens 7, 31. Mais les assertions du Christ demeureront. Il est vrai qu’il n’y a rien de plus transitoire, de plus fugitif qu’une parole. Cependant, quand la parole profère une vérité immuable, appuyée sur un décret divin, elle reste jusqu’à son accomplissement intégral et parfait. – Le v. 35 manque dans le Codex Sinaïticus, et Tischendorf l’omet dans ses éditions ; néanmoins son authenticité est suffisamment garantie par sa présence dans les deux autres rédactions synoptiques, Marc. 13, 31, Luc. 21, 33, et dans tous les témoins ordinaires.
Mt24.36 Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges du ciel, mais le Père seul. – Ce jour, cette heure : le jour et l’heure de l’apparition du Christ pour le jugement dernier, auquel tous les détails se rapportent à peu près exclusivement jusqu’à la fin du discours. Ces deux expressions réunies renforcent l’idée et désignent un temps bien précis, bien exact ; la minute, comme nous dirions en français. – Ce jour, le jour par excellence qui terminera l’innombrable série de tous les autres ; Cf. Luc. 10, 12 ; 1 Thessaloniciens 5, 4 ; 2 Timothée 1, 12, 18 ; 4, 8. – Personne ne les connaît : cette connaissance n’a été communiquée à aucune créature. Les anges eux‑mêmes, ces esprits pourtant si éclairés, ces amis intimes à qui Dieu fait habituellement part de ses projets, ne la possèdent pas. D’après la rédaction de S. Marc. 13, 32, après les mots « pas même les anges des cieux », Jésus‑Christ ajouta « pas même le Fils ». On trouve dans les actes officiels du Magistère de l’Église catholique romaine, la Constitution « Inter innumeras sollicitudines » sur les « Trois Chapitres », à l’empereur Justinien, datée du 14 mai 553, laquelle condamne des erreurs du Nestorianisme concernant l’humanité du Christ et notamment celle-ci qui intéresse notre verset : Si quelqu’un dit que l’unique Jésus Christ, vrai Fils de Dieu et vrai Fils d’homme, était dans l’ignorance de l’avenir ou du jour du jugement dernier, et qu’il n’a pu savoir que ce que la divinité habitant en lui comme dans quelqu’un d’autre lui révélait, qu’il soit anathème [être anathème signifie être expulsé physiquement et spirituellement de la sainte Église catholique Romaine] cf. Denzinger, Symboles et Définitions de la Foi Catholique, Paris, éditions du Cerf, N°419. Autre document du Magistère de l’Église : la lettre « Sicut aqua » au patriarche Euloge d’Alexandrie, août 600, sur la science du Christ (contre les Agnoètes), Denzinger N°474 : « Pour ce qui concerne… le passage de l’Écriture selon lequel « ni le Fils ni les anges ne connaissent le jour et l’heure » (voir Marc 13,32), votre Sainteté pense très justement qu’il n’est pas à rapporter à ce même Fils considéré comme tête, mais considéré en son corps que nous sommes… A ce sujet Augustin fait usage en beaucoup d’endroits de cette signification. Il dit autre chose également, qu’on peut entendre de ce même Fils, à savoir que le Dieu tout-puissant parle parfois de façon humaine, par exemple lorsqu’il dit à Abraham : « Maintenant je sais que tu crains Dieu » (Genèse 22, 12 non pas que Dieu ait alors appris qu’il était craint, mais parce que, par lui, Abraham a reconnu alors qu’il craignait Dieu. Comme nous parlons d’un jour heureux, non pas parce que le jour lui-même est heureux, mais parce qu’il nous rend heureux, de même le Fils tout-puissant dit qu’il ignore le jour que lui-même fait ignorer, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne permet absolument pas qu’on le connaisse. » Donc, nous voyons que les Pères de l’Église ont indiqué le véritable sens de ce verset, à savoir que Jésus connaissait ce jour de la fin du monde en raison de sa divinité et non en raison de son humanité. Citons quelques‑unes de leurs paroles : « Comment le Fils peut‑il ne pas savoir ce que sait le Père, puisque le Fils est dans le Père ? Mais dans un autre endroit, il montre pourquoi il ne veut pas le dire » (Actes des Apôtres ch.1, v.7 : « (…) ce n’est pas à vous de connaître les temps ni les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. ») Saint Ambroise de Milan, In Luc, 17, 31. De même saint Augustin, Discours sur les Psaumes, 36, 1 : « Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, envoyé pour nous instruire, a dit que le Fils de l’homme lui‑même ne connaît pas ce jour, parce qu’il n’était pas dans ses attributions de nous le faire connaître. Le Père, en effet, ne sait rien que le Fils ne sache également, puisque la science du Père est identique à sa sagesse, et que sa sagesse est son Fils, son Verbe [Donc tout ce que sait le Père, le Fils le sait et tout ce que sait le Fils, le Père le sait car ils sont UN en divinité]. Mais comme il n’était pas utile pour nous de connaître ce que connaissait fort bien celui qui était venu nous instruire, sans nous apprendre ce qu’il ne nous était pas avantageux de savoir : alors, non‑seulement c’est en qualité de maître qu’il nous a donné certains enseignements, mais encore en qualité de maître qu’il nous en a refusé d’autres. ». Cf. saint Augustin, de Trinitate, 12, 3, saint Hilaire de Poitiers, de Trinitate, 9 ; et les commentaires de Jansenius, de Maldonat, de Patrizi, h. l. Nous citerons encore cette excellente interprétation : « Il dit que c’est le Fils de l’homme, c’est‑à‑dire lui en tant qu’homme, qui ne sait pas, non absolument parlant, mais d’une manière qui lui est propre… Dieu ne révèle à aucune créature ce jour qu’il est impossible à aucune créature de découvrir. Mais l’âme du Christ, bien qu’elle soit une créature, le voit dans la nature de Dieu à laquelle elle est unie. Car, que le Christ fils d’homme soit aussi fils de Dieu, c’est une chose qui lui est propre, et qui n’est le partage d’aucune créature. Et c’est du seul fait que le Fils de l’homme est uni au Fils de Dieu qu’il sait qu’il ignorera, comme les autres créatures, certaines choses, même les plus subtiles… C’est dans ce sens que Grégoire le Grand dit que le Christ a connu ce jour dans la nature humaine, mais pas par la nature humaine » [car le Christ a connu ce jour par sa nature divine] Franciscus Lucas Brugensis, Commentarius in Sacro‑sancta Quatuor Iesu Christi Evangelia, h. l. Voyez aussi Bossuet, Méditation sur l’Évangile, Dernière Semaine, 77e et 78e jour. – Mais le Père seul. Dieu seul connaît donc l’époque précise de la fin du monde : c’est son secret ; par conséquent il serait insensé en même temps qu’il serait impie dans une certaine mesure de vouloir la fixer. L’Église l’a du reste interdit sous des peines sévères.
Mt24.37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de l’homme. – Aux jours de Noé, c’est-à-dire au temps du déluge. Notre‑Seigneur va établir durant l’espace de trois versets, 37-39, une comparaison entre le déluge et son second avènement, pour faire comprendre aux chrétiens le caractère inopiné, l’arrivée soudaine du Jugement dernier et par suite la nécessité de s’y préparer. – Arrivera aussi… Le déluge tomba tout à coup sur un monde incrédule, quoique averti par divers signes évidents ; de même le dernier jour, qui surprendra la plupart des hommes malgré les symptômes indiqués par Jésus.
Mt24.38 Car dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs filles, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, – Développement pittoresque des mots « comme aux jours de Noé », très conforme du reste au récit de la Genèse. – Les hommes mangeaient : en grec, mot énergique qui signifie tantôt manger d’une manière gloutonne, à la façon des bêtes fauves, tantôt manger à son aise, avec gourmandise. La tournure du texte marque l’habitude, une chose qui se fait régulièrement. Boire, manger, se marier, formait donc toute la vie des hommes vers l’époque du déluge : ils n’existaient en quelque sorte que pour la jouissance matérielle. Pour eux l’accessoire était devenu le principal. On comprend maintenant la réflexion de la Genèse, 6, 12 : « sur la terre, tout être de chair avait une conduite corrompue », et la haine de Dieu pour une race si dissolue. – Se mariaient est dit des hommes, qui prennent les femmes en mariage ; le verbe qui suit, mariaient leurs enfants, s’applique aux parents des fiancées, conformément à l’usage oriental d’après lequel les jeunes filles sont données en mariage par leurs proches, sans égard pour leurs affections personnelles. – Jusqu’au jour... La construction de l’arche dont ils étaient tous les jours témoins, l’entrée même de Noé dans l’arche, n’arrêtèrent pas dans ses plaisirs cette race dépravée. Uniquement attentive aux désirs de la chair, elle négligea pour sa perte tous les avertissements du ciel ; Cf. 1 Pierre 3, 19.
Mt24.39 et ils ne surent rien, jusqu’à ce que le déluge survînt, qui les emporta tous : ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme. – Ils ne surent rien, ils ne comprirent rien, ou du moins ils ne voulurent rien croire jusqu’au dernier instant. Mais les menaces divines eurent leur cours quand même. Le déluge éclata et il eût bientôt enlevé, emporté, balayé jusqu’au dernier tous ces voluptueux. « Quand les gens diront : « Quelle paix. Quelle tranquillité. », c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux, comme les douleurs sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper. » 1 Thessaloniciens 5, 3.
Mt24.40 Alors, de deux hommes qui seront dans un champ, l’un sera pris, l’autre laissé, – Deux exemples familiers montrent jusqu’à quel point sera soudaine l’arrivée du Souverain Juge, et combien d’hommes seront surpris par elle dans l’état de péché, de manière à mériter une condamnation sévère. – Alors, lorsque aura lieu l’avènement du Fils de l’homme ; Cf. v. 39. – Deux hommes seront dans un champ. Jésus suppose deux ouvriers travaillant ensemble dans le même champ. Malgré l’identité de leur occupation au moment suprême, quelle différence dans leur sort final ! L’un sera pris ; en bonne part. Il sera pris par les anges, v. 31, et placé au nombre des élus, Cf. Jean 14, 3. Au contraire, l’autre laissé. Laissé de côté par les esprits bienheureux que le Christ avait chargés de réunir tous ses saints pour la récompense éternelle, il fera partie du nombre des réprouvés, que les démons viendront chercher ensuite. On dirait que Jésus‑Christ siège déjà sur son trône, et qu’il contemple les faits tels qu’ils se passeront un jour.
Mt24.41 de deux femmes qui seront à moudre à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée. – Deux femmes, et deux seulement, occupées à moudre avec des moulins à main. Tout est de la plus parfaite exactitude dans cette courte description. Les grands moulins ont toujours été extrêmement rares en Orient : en revanche, presque chaque ménage possède son petit moulin portatif dont les femmes, et habituellement les servantes ou les esclaves, Cf. Exode 11, 5 ; Juges 16, 21, se servent pour moudre la provision de blé nécessaire aux repas quotidiens de la famille. « A peine installés, raconte l’Anglais Clarkes, dans la maison de Nazareth qu’on nous avait désignée comme logement, nous aperçûmes par la fenêtre, dans la cour voisine, deux femmes en train de moudre du blé, qui nous rappelèrent très vivement à la pensée la parole Jésus, Matth. 24, 41… Elles étaient assises sur le sol, en face l’une de l’autre, et entre elles on voyait deux pierres plates et arrondies. Au milieu de la pierre supérieure se trouvait une ouverture dans laquelle on versait le blé, et sur le côté une poignée de bois verticale qui servait à la faire tourner. L’une des femmes, avec la main droite, poussait cette poignée à l’autre femme assise devant elle et celle‑ci la poussait à son tour à la première : la meule tournait ainsi très rapidement sous leur impulsion commune. En même temps, chacune jetait de la main gauche un peu de blé dans l’ouverture, et l’on voyait sortir le son et la farine aux côtés de la machine ». – Ces exemples signifient que les hommes seront surpris par le jugement, que tels ils seront alors tels ils comparaîtront à la barre du Juge suprême, enfin que de leur état moral à cette heure décisive dépendra leur éternité heureuse ou malheureuse.
Mt24.42 Veillez donc, puisque vous ne savez à quel moment votre Seigneur doit venir. – Avec ce verset, qui pourrait servir de texte à la seconde partie du discours, commence une longue exhortation à la vigilance, que nous verrons se poursuivre sous des faces variées jusqu’au milieu (v. 30) du chapitre suivant. – Veillez donc. La conséquence est bien naturelle, vu l’incertitude complète qui régnera sur l’époque précise de la fin des temps. – Votre Seigneur : le Christ, qui est notre Seigneur et Maître. Nous savons qu’il viendra infailliblement ; cela suffit, quoique l’heure soit incertaine. Bien plus, l’heure étant incertaine, il est indispensable pour nous de veiller constamment.
Mt24.43 Sachez-le bien, si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. – Sachez-le. Le pronom est mis en avant avec emphase, pour attirer l’attention sur une chose remarquable. – Si le père de famille savait ; un père de famille quelconque. Ce verset contient l’abrégé d’une parabole pleine d’intérêt. – A quelle heure. Nous avons parlé plus haut de la division de la nuit chez les Juifs en quatre veilles de trois heures chacune. Cf. 20, 3-5, et l’explication. – Il veillerait. Jésus suppose que le malheur est arrivé faute de vigilance. – Percer sa maison : littéralement, « être percé à travers » ; les habitations des Orientaux étaient surtout construites en briques cuites au soleil, en pisé, en pierres mobiles : il était donc facile de faire des trous dans les murs pour s’y introduire. – Voir des avertissements semblables dans 1 Thessaloniciens 5, 1-10 ; 2 Pierre 3, 10 ; Apocalypse 3, 3 ; 16, 15.
Mt24.44 Tenez-vous donc prêts, vous aussi, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas. – C’est pourquoi, en conséquence, avertis par cet exemple frappant. – Soyez prêts. Faisons au spirituel ce qu’un père de famille bien avisé ne manque pas de faire au temporel ; gardons nos demeures, et le voleur, à quelque moment qu’il vienne, ne nous surprendra pas. – A l’heure que vous ne savez pas… Cela est vrai dès à présent pour chaque individu, de même que ce sera vrai d’une manière générale pour tout le genre humain aux derniers jours du monde, selon la pensée de S. Jérôme, in Joël. c. 2. S. Augustin, lettre 199, parle dans le même sens : « Le dernier jour viendra pour chacun, quand viendra le jour où il sortira de la vie dans le même état où le trouvera le jugement dernier. Tout chrétien doit donc veiller afin que l’avènement du Seigneur ne le surprenne pas sans être préparé. Or, celui‑là ne sera pas trouvé prêt au dernier jour du monde, qui n’aura pas été trouvé prêt au dernier jour de sa vie ».
Mt24.45 Quel est donc le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur les gens de sa maison, pour leur distribuer la nourriture en son temps ? – Les v. 45-51 contiennent une nouvelle parabole imparfaite que le divin Maître avait déjà citée, mais dans des circonstances très différentes et avec une variété évidente de détails ; Cf. Luc. 12, 42-46. – Quel est… Formule destinée à exciter l’attention des auditeurs ; Cf. S. Jean Chrysost. Hom. 77 in Matth. – Le serviteur fidèle et prudent. Le contexte prouve qu’il s’agit d’un serviteur élevé, d’un intendant de maison à qui incombent des devoirs tout particuliers. De là cette juste réflexion de saint Hilaire : « Bien que le Seigneur nous ait recommandé à tous en général une vigilance continuelle sur nous‑mêmes, il ordonne aux princes du peuple, c’est-à-dire aux Apôtres, aux évêques et aux prêtres, une sollicitude toute particulière dans l’attente de son avènement ». Remarquons les deux qualités essentielles que doit posséder le bon serviteur dont parle Jésus : la fidélité à son maître, à ses obligations, et la prudence, une profonde sagesse. – Sur ses gens... Famille dans l’ancien sens de cette expression, pour désigner les autres esclaves de la maison, « serviteur fidèle ». – Le maître qui a ainsi confié à un serviteur le soin de diriger les autres est Dieu lui‑même ou le Christ. – Pour leur distribuer… But de cette prépondérance. La parabole fait allusion aux rations quotidiennes que l’intendant était chargé de distribuer aux esclaves placés sous sa responsabilité. – En temps convenable, « au temps fixé ».
Mt24.46 Heureux ce serviteur que son maître, à son retour, trouvera agissant ainsi. – Heureux. Régulièrement, on devrait lire : « Ce serviteur, que… », C’est le serviteur que son Maître… etc., puisque Jésus répond ici à la question posée au verset précédent. Mais ce tour nouveau donné à la réponse, ce « Heureux » prononcé avec emphase, font ressortir le mérite et la récompense du bon serviteur. – Agissant ainsi, c’est-à-dire en plein exercice de ses fonctions, occupé à distribuer des vivres aux autres serviteurs au temps fixé par le maître.
Mt24.47 En vérité, je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens. – Sur tous ses biens ; parce que celui qui est fidèle dans les petites choses le sera pareillement dans les grandes. Celui qui n’avait été qu’un intendant inférieur, deviendra ainsi, en récompense de sa bonne conduite, le régisseur de tous les biens du Maître. – Mais c’est au ciel, non sur la terre, que Dieu donnera cette glorieuse récompense: comment donc chacun des pasteurs fidèles et prudents pourra‑t-il être chargé d’administrer toutes les possessions du divin Maître ? Cette promotion ne sera pas comme les promotions terrestres, où l’éminence de l’un exclut celle de l’autre ; elle ressemblera plutôt à la diffusion de l’amour dans laquelle plus il y a pour chacun en particulier, plus il y a pour tous ensemble.
Mt24.48 Mais, si c’est un serviteur méchant, et que, disant en lui-même : Mon maître tarde à venir, – Mais si… Il nous reste à entendre la contre‑partie ; car, si l’on trouve des serviteurs fidèles qu’on est heureux de récompenser, il en existe aussi de mauvais qu’on est obligé de châtier sévèrement. – Ce serviteur est méchant. L’intendant avait reçu, par anticipation, v. 45, les surnoms de « prudent et fidèle » dans la supposition qu’il se conduirait bien ; il est maintenant appelé « mauvais » de la même manière, dans l’hypothèse qu’il remplira mal ses devoirs les plus graves. – En son cœur, c’est-à-dire en lui‑même. Le cœur est pour les Hébreux le siège de la réflexion ; c’est là que l’homme s’entretient avec lui‑même, qu’il combine ses plans, etc. – Mon maître tarde... Le Maître est absent, et son retour, que l’on croyait devoir être prochain, se fait attendre au‑delà du temps calculé par l’intendant. Ce misérable profitera de ce délai pour abuser de la manière la plus criante de la confiance qui a été placée en lui et de l’autorité qu’on lui a laissée. Mais Jésus donne seulement le début de son monologue affreux ; la suite n’est que trop bien exprimée par les actes.
Mt24.49 il se mette à battre ses compagnons, à manger et à boire avec des gens adonnés au vin, – S’il se met... Aussitôt dit, aussitôt fait. Heureusement, il ne pourra que commencer, car l’arrivée soudaine de son maître mettra promptement un terme à sa conduite indigne. – A battre ses compagnons : c’est le premier crime, qui consiste dans l’oppression cruelle et injuste des autres serviteurs. – S’il mange et boit : c’est le second, l’orgie aux dépens du maître dont on dilapide les biens. – Avec les ivrognes. Naturellement le coupable a pris pour compagnons de ses débauches ceux dont il ne peut attendre que des applaudissements flatteurs et d’encourageants exemples. Les Arabes ont un proverbe plein de vérité : Dis‑moi avec qui tu manges et je te dirai qui tu es.
Mt24.50 le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne l’attend pas, et à l’heure qu’il ne sait pas,– Comme nous l’avons dit, le retour subit du père de famille déjouera tous les calculs du serviteur infidèle. On ne pense plus à lui, on croit que son absence durera longtemps encore, et voici qu’il apparaît tout-à-coup, et qu’il saisit son intendant en flagrant délit de cruauté, de vol. Il en sera de même de la venue du Fils de l’homme pour le jugement.
Mt24.51 et il le fera déchirer de coups, et lui assignera son lot avec les hypocrites : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. ». – lui assignera son lot. Ce mot indique certainement quelque supplice insigne. Lequel ? On ne saurait l’affirmer d’une manière tout-à-fait certaine. Il est probable cependant, d’après le grec, qu’il signifie scier en deux, ou bien mutiler, écarteler. Ces tortures existaient chez les Juifs aussi bien que chez les Grecs et les Romains. Cf. Juges 19, 29 ; 1 Samuel 15, 33 ; 2 Samuel 12, 31 ; 1 Rois 3, 25, etc. ; parmi les profanes, Diod. Sic. 1, 2 ; Herod. 3, 17 ; Tite‑Live, 1, 28 ; Horace, Sat. 1, 1, 99 ; Suet. Calig. c. 27. Les locutions latines « flagris tergum secare, discindere, distruncare », ont fait croire à quelques exégètes (Paulus, de Wette, Kuinœl, etc.) que « séparera » représente ici la flagellation. D’après S. Jérôme, Maldonat, Grotius et d’autres, ce verbe signifierait simplement « congédier ». Mais ce serait une peine bien bénigne dans la circonstance. – Sa part : hébraïsme qui marque aussi le sort, la destinée. – Avec les hypocrites. Cet homme s’est conduit comme un véritable hypocrite, profitant de l’absence de son maître pour faire le mal ; il est juste qu’il soit traité comme tel. – Là, c’est-à-dire dans le lieu spécial réservé au supplice des hypocrites. – La formule Il y aura des pleurs… désigne évidemment en ce passage, comme dans tous les autres où nous l’avons déjà rencontrée, Cf. 7, 12 ; 13, 42-50 ; 22, 12 et parall., la damnation éternelle et les tourments de l’enfer. Les Rabbins s’accordent pour placer les hypocrites dans la Géhenne et Dante, l’Enfer, 23, 58, relègue au sixième enfer ceux qu’il appelle ironiquement « la foule des Ombres ».


