« Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme » (Dn 7, 2-14)

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Lecture du livre du prophète Daniel

Daniel prit la parole et dit : « Durant la nuit, dans ma vision, je regardais. Les quatre vents du ciel agitaient la grande mer. Quatre bêtes immenses surgirent de la mer, chacune différente des autres.

La première ressemblait à un lion, avec des ailes d’aigle. Tandis que je l’observais, ses ailes lui furent arrachées, elle fut soulevée de terre et dressée sur ses pattes comme un homme, et un cœur d’homme lui fut donné.

La deuxième bête ressemblait à un ours ; elle se tenait à moitié dressée, et elle avait trois côtes dans la gueule, entre les dents. On lui dit : « Lève-toi, dévore de la chair en abondance ! »

Je continuais à regarder : je vis une autre bête, semblable à une panthère ; elle avait quatre ailes d’oiseau sur le dos et quatre têtes. La domination lui fut accordée.

Puis, durant la nuit, je regardais encore ; je vis une quatrième bête, terrifiante, épouvantable, d’une puissance extraordinaire ; elle avait d’énormes dents de fer ; elle dévorait, déchiquetait et foulait aux pieds ce qui restait. Elle était différente des trois autres bêtes, et elle portait dix cornes.

Comme j’examinais ces cornes, une autre en surgit au milieu, plus petite ; trois des premières cornes furent arrachées devant elle. Et cette corne avait des yeux semblables à des yeux humains, et une bouche proférant des paroles arrogantes.

Je continuai à regarder : des trônes furent installés, et un Ancien prit place ; son vêtement était blanc comme la neige, et la chevelure de sa tête, comme de la laine pure ; son trône était fait de flammes ardentes, avec des roues de feu incandescent. Un fleuve de feu s’écoulait, jaillissant de devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal siégea et l’on ouvrit des livres.

Je regardais, j’entendais les paroles arrogantes que vomissait la corne. Je regardais, et la bête fut mise à mort, son corps fut jeté au feu. Quant aux autres bêtes, la domination leur fut ôtée, mais un sursis leur fut accordé, pour une période et un temps déterminés.

Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’à l’Ancien, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. »

Quand le Ciel renverse les empires : la vision qui change tout

L’avenir appartient à celui qui vient sur les nuées.

Vous vous sentez parfois écrasé par la violence du monde ? Les systèmes qui broient les faibles, les pouvoirs qui mentent sans vergogne, cette impression que les forces du mal ont déjà gagné ? Daniel aussi. Exilé à Babylone, déporté loin de chez lui, il vivait sous la botte d’un empire terrifiant. Pourtant, une nuit, il reçoit une vision qui fracasse toutes les certitudes. Ce qu’il voit ne ressemble à rien de ce que les puissants imaginent. C’est l’annonce d’un renversement total, d’une victoire qui ne passera jamais. Et cette promesse nous concerne directement.

Ce texte de Daniel 7 marque un tournant dans toute la Bible. Il nous montre que l’histoire humaine n’appartient pas aux tyrans, mais à une figure mystérieuse qui vient « avec les nuées du ciel ». Ce Fils d’homme recevra une royauté éternelle. Voici ce que nous allons découvrir ensemble : d’abord, le cauchemar des quatre bêtes et ce qu’elles révèlent sur nos propres systèmes ; ensuite, l’apparition du Vieillard et du tribunal céleste qui rétablit la justice ; puis, le Fils d’homme et sa domination qui change tout ; enfin, comment cette vision transforme notre manière de vivre aujourd’hui.

Babylone, l’exil et le choc des empires

Daniel écrit au sixième siècle avant Jésus-Christ, en pleine déportation babylonienne. Le peuple d’Israël a vu Jérusalem détruite, le Temple rasé, ses élites emmenées de force en terre étrangère. Là-bas, à Babylone, règne un pouvoir colossal, impitoyable, qui se prend pour éternel. Nabuchodonosor fait ériger des statues géantes, organise des défilés militaires, impose sa langue, sa culture, sa violence.

Dans ce contexte étouffant, Daniel reçoit des visions. Le chapitre 7 est le pivot du livre. Avant lui, on trouvait surtout des récits (la fosse aux lions, les trois jeunes gens dans la fournaise). Après, viennent les grandes visions apocalyptiques. Ce chapitre inaugure un genre littéraire nouveau : l’apocalypse, ce dévoilement du sens caché de l’histoire. Il ne s’agit pas de prédictions ésotériques, mais d’une révélation sur ce qui se joue vraiment derrière les apparences.

Le texte situe la vision « au cours de la nuit ». La nuit, c’est le moment des angoisses, mais aussi des révélations divines. Daniel regarde la « grande mer » agitée par les quatre vents du ciel. Dans l’imaginaire biblique, la mer symbolise le chaos primordial, la menace permanente, le lieu d’où surgit le danger. De cette mer montent quatre bêtes monstrueuses, chacune plus terrifiante que la précédente.

Ces bêtes représentent les empires qui se succèdent : Babylone, les Mèdes, les Perses, les Grecs. Mais leur signification dépasse l’histoire immédiate de Daniel. Elles incarnent toute forme de pouvoir qui écrase, dévore, piétine. Le lion aux ailes d’aigle évoque la force brute alliée à la rapidité. L’ours vorace engloutit sans limite. La panthère à quatre têtes multiplie son emprise. Et la quatrième bête ? Innommable. Terrible. Extraordinairement puissante. Elle possède des dents de fer et dix cornes, symboles de domination totale.

La petite corne qui surgit au milieu concentre toute l’arrogance. Elle a des yeux humains et une bouche qui « tient des propos délirants ». Littéralement : des paroles qui défient Dieu lui-même. Cette figure annonce tous les tyrans futurs qui prétendent réécrire le réel, qui mentent pour asservir, qui violent la vérité pour maintenir leur pouvoir.

Voilà le monde tel qu’il apparaît : une succession de monstres qui se dévorent entre eux avant de nous dévorer. Et Daniel, en regardant cette scène, doit se sentir complètement impuissant.

Le tribunal de l’Ancien des Jours : quand Dieu reprend les commandes

Mais la vision bascule. Soudain, « des trônes furent disposés ». Notez le pluriel : il ne s’agit pas d’un seul trône, mais de plusieurs. Un tribunal céleste s’installe. Et au centre, un personnage bouleversant : le « Vieillard », que d’autres traductions appellent l’« Ancien des Jours ». Cette expression hébraïque évoque celui qui existe avant tout, qui traverse les âges, qui était là quand rien n’existait encore.

Son habit est blanc comme la neige, ses cheveux comme de la laine immaculée. Blancheur absolue, pureté totale. Son trône ? Fait de flammes, avec des roues de feu ardent. Le feu, dans la Bible, c’est la présence divine elle-même. Il purifie, il révèle, il détruit ce qui est faux. Un fleuve de feu jaillit devant lui, image d’une sainteté qui brûle tout mensonge.

Des milliers de milliers le servent. Des myriades de myriades se tiennent devant lui. Ces chiffres immenses disent l’infini. Face à cette cour céleste, les empires terrestres se réduisent à rien. Le tribunal prend place. On ouvre des livres. Tout est consigné, rien n’est oublié. Chaque acte d’oppression, chaque larme versée, chaque injustice commise : tout est inscrit.

Alors, la quatrième bête, celle qui vomissait des propos délirants, est tuée. Son cadavre jeté au feu. Sentence définitive. Les autres bêtes perdent leur domination mais reçoivent un sursis. L’histoire humaine ne s’arrête pas net, mais son sens profond se dévoile : les puissances du mal n’ont qu’un temps. Leur règne est toujours provisoire.

Ce passage révèle quelque chose de fondamental : Dieu n’est pas absent. Il n’observe pas passivement le chaos. Il siège, il juge, il rétablit. L’Ancien des Jours représente la transcendance absolue, celui qui dépasse tous les cycles de violence, qui n’est manipulable par personne. Face à lui, les tyrans ne sont que des marionnettes éphémères.

« Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme » (Dn 7, 2-14)

Le Fils d’homme : une royauté différente de toutes les autres

Et voici le sommet de la vision. Daniel regarde encore, « au cours des visions de la nuit », et il voit quelqu’un venir « avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ». Notez bien : pas depuis la mer du chaos, mais depuis le ciel, lieu de Dieu. Cette figure ne surgit pas de la violence, mais de la présence divine elle-même.

L’expression « Fils d’homme » signifie d’abord « être humain ». Mais ici, elle prend une profondeur inouïe. Face aux bêtes monstrueuses, apparaît un être d’humanité authentique. Il ne domine pas par la terreur, il ne dévore pas, ne piétine pas. Il est présenté devant le Vieillard, et celui-ci lui donne « domination, gloire et royauté ».

Ce don change tout. Contrairement aux bêtes qui arrachent leur pouvoir par la force, le Fils d’homme reçoit le sien. C’est une investiture divine. Sa domination n’est pas basée sur la peur, mais sur la légitimité absolue que confère Dieu lui-même. Tous les peuples, toutes les nations, les gens de toutes langues le serviront. Non par contrainte, mais parce que cette royauté correspond à l’ordre véritable du monde.

Et ce qui frappe le plus : « Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » Toutes les bêtes ont eu leur moment. Toutes sont tombées ou tomberont. Mais celle-ci ne finira jamais. Elle traverse les siècles, elle survit à tous les empires, elle accomplit l’intention originelle de Dieu pour l’humanité.

Les premiers chrétiens ont immédiatement reconnu Jésus dans ce Fils d’homme. Lui-même se désigne ainsi dans les Évangiles. Lors de son procès devant le sanhédrin, il déclare : « Vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel. » Il revendique cette identité, cette mission, cette royauté. Mais il l’accomplit d’une manière totalement inattendue : non pas en écrasant ses ennemis, mais en se laissant crucifier. Sa victoire passe par l’amour jusqu’au bout, par le don total de soi.

Voilà le scandale et la merveille : le Fils d’homme triomphe non par la violence, mais par la vulnérabilité. Il renverse les bêtes non en devenant plus fort qu’elles, mais en révélant une autre forme de puissance, celle de l’amour qui va jusqu’à la mort et qui ressuscite.

Trois dimensions qui transforment notre lecture du monde

La solidarité humaine retrouvée face aux empires déshumanisants

Les quatre bêtes incarnent des systèmes qui nient l’humanité. Elles représentent tout ce qui réduit les personnes à des chiffres, à de la chair à canon, à des consommateurs exploitables. Le lion, l’ours, la panthère, la bête innommable : autant de figures de la déshumanisation.

Or, le Fils d’homme restaure l’humain. Il ne vient pas comme une cinquième bête, plus puissante encore. Il vient comme un homme, simplement. Et cette humanité assumée devient le lieu de la révélation divine. Dieu ne méprise pas notre condition. Il la prend sur lui, il l’élève, il la couronne.

Concrètement, cela signifie que la vraie résistance aux systèmes oppressifs passe par la solidarité humaine. Quand vous refusez de traiter quelqu’un comme un objet, quand vous reconnaissez sa dignité, quand vous choisissez la fraternité plutôt que la compétition féroce, vous incarnez le Fils d’homme. Vous devenez signe de sa royauté. Vous témoignez que l’humanité vraie est plus forte que les monstres.

Pensez aux résistants sous les dictatures, à ceux qui ont caché des persécutés au risque de leur vie. Pensez aux soignants qui voient des personnes là où le système voit des dossiers. Pensez aux enseignants qui croient en leurs élèves quand tout les pousse à les réduire à des statistiques. Chaque geste de reconnaissance de l’autre comme un semblable est une victoire du Fils d’homme sur les bêtes.

La justice divine contre l’illusion de l’impunité

La vision de Daniel affirme quelque chose de radical : les tyrans ne s’en tireront pas. Le tribunal céleste siège, les livres sont ouverts, les comptes sont rendus. Cette certitude traverse toute la Bible. Aucune injustice ne demeure cachée à Dieu. Aucun abus de pouvoir ne reste impuni éternellement.

Cette perspective ne nous dispense pas d’agir pour la justice ici et maintenant. Au contraire, elle nous donne la force de le faire. Si nous savions que le mal l’emporte définitivement, pourquoi résister ? Mais si nous croyons que le tribunal de Dieu rétablira toute chose, alors chaque combat pour la justice prend un sens ultime.

Regardez la petite corne qui vomit des propos délirants. Elle représente le mensonge systématique, la propagande qui inverse le vrai et le faux, le bien et le mal. Aujourd’hui encore, nous vivons submergés par des discours manipulateurs. Les réseaux sociaux amplifient les fake news. Les puissants réécrivent l’histoire. Les lobbies achètent les consciences.

Mais la vérité finit toujours par surgir. Pas nécessairement tout de suite. Parfois après des décennies. Mais elle surgit. Le tribunal céleste garantit que le mensonge ne gagne jamais vraiment. Cela ne veut pas dire que nous devons attendre passivement. Au contraire, nous sommes appelés à témoigner de la vérité, à dénoncer le mensonge, à refuser la complicité silencieuse.

Chaque lanceur d’alerte, chaque journaliste intègre, chaque citoyen qui refuse de se laisser manipuler participe à l’œuvre du tribunal divin. Dire la vérité, même quand c’est dangereux, même quand cela coûte cher, c’est déjà anticiper le jugement de Dieu.

La vocation à la patience et à l’espérance contre le désespoir

Daniel voit les bêtes régner. Il voit la terreur s’installer. Mais il voit aussi leur fin. Cette double vision change tout. Nous savons où l’histoire va. Pas parce que nous aurions une boule de cristal, mais parce que Dieu a révélé son projet : le Fils d’homme recevra une royauté éternelle.

Cette espérance n’a rien de naïf. Elle ne nie pas la brutalité du présent. Daniel n’édulcore rien. Les bêtes dévorent, déchiquetent, piétinent. Le mal est réel, massif, terrifiant. Mais il n’est pas le dernier mot. Voilà la différence radicale entre l’optimisme béat et l’espérance chrétienne.

L’optimisme dit : « Tout va s’arranger naturellement. » L’espérance dit : « Dieu accomplira sa promesse, mais cela passe par la traversée du mal, par la lutte, par la fidélité dans l’épreuve. » Cette espérance exige de la patience. Pas une passivité résignée, mais une persévérance active.

Quand vous vous engagez pour une cause juste et que les résultats tardent, quand vous éduquez vos enfants dans la foi malgré l’indifférence ambiante, quand vous résistez à la corruption alors que tout le monde y cède, vous incarnez cette patience. Vous témoignez que la victoire finale du Fils d’homme ne dépend pas des victoires immédiates, mais de la fidélité à long terme.

L’apôtre Paul le dira magnifiquement : « Nous sommes accablés, mais non écrasés ; désemparés, mais non désespérés. » Voilà l’attitude de celui qui connaît la vision de Daniel. Il sait que les bêtes rugissent, mais que leur temps est compté.

« Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme » (Dn 7, 2-14)

Augustin, Jean et la tradition qui déploie cette vision

Cette vision de Daniel n’est pas restée lettre morte. Elle a irrigué toute la pensée chrétienne. Saint Augustin, dans La Cité de Dieu, s’en inspire pour distinguer deux logiques à l’œuvre dans l’histoire. D’un côté, la cité terrestre, bâtie sur l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu. De l’autre, la cité céleste, fondée sur l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi.

Les quatre bêtes de Daniel appartiennent à la cité terrestre. Elles incarnent cette logique de domination, de rivalité, de violence. Mais le Fils d’homme inaugure la cité céleste. Sa royauté ne repose pas sur la force, mais sur l’amour et le service. Augustin écrit au cinquième siècle, alors que Rome s’effondre. Certains accusent le christianisme d’avoir affaibli l’empire. Augustin répond : l’empire romain était déjà une des bêtes de Daniel, et toutes les bêtes tombent. Seule la royauté du Christ demeure.

Jean, dans l’Apocalypse, reprend explicitement les images de Daniel. Il voit lui aussi une bête monstrueuse surgir de la mer, blasphémant contre Dieu. Il voit lui aussi le tribunal céleste, l’Agneau immolé qui prend le livre scellé et révèle le sens de l’histoire. Et il affirme que « le royaume du monde est devenu le Royaume de notre Seigneur et de son Christ ».

Cette continuité entre Daniel et Jean montre que la vision n’était pas une curiosité exotique. Elle est devenue la grille de lecture chrétienne de l’histoire. Les martyrs des premiers siècles, face à la Rome impériale, se sont appuyés sur cette certitude : l’empereur n’est qu’une bête parmi d’autres, et sa puissance passera. Le Fils d’homme a déjà vaincu.

La liturgie chrétienne célèbre cette victoire chaque fois qu’elle proclame : « Le Christ est roi. » Pas un roi à la manière des empires, mais le roi qui lave les pieds de ses disciples, qui porte sa croix, qui ressuscite. Sa royauté traverse tous les régimes politiques. Elle ne s’identifie à aucun d’entre eux, mais elle les juge tous.

Au Moyen Âge, les peintres ont représenté le Christ en majesté, entouré des quatre animaux symbolisant les évangélistes. Mais ces animaux n’ont plus rien de monstrueux. Ils sont devenus figures de la Bonne Nouvelle. Le lion (Marc), le taureau (Luc), l’homme (Matthieu), l’aigle (Jean) : tous servent la révélation du Fils d’homme. Ce qui était signe de terreur devient signe de salut. Voilà la puissance transformante de la royauté du Christ.

Six chemins pour vivre cette royauté dès maintenant

Comment cette vision de Daniel nous rejoint-elle au quotidien ? Pas d’abord comme une doctrine abstraite, mais comme un appel à vivre autrement. Voici six pistes concrètes.

Premièrement, apprenez à détecter les bêtes contemporaines. Elles ne portent plus de cornes, mais elles opèrent toujours. Les systèmes économiques qui créent des milliardaires pendant que des enfants meurent de faim, les régimes qui enferment les opposants, les idéologies qui déshumanisent ceux qui pensent différemment : autant de visages actuels des bêtes de Daniel. Ne vous laissez pas impressionner par leur puissance apparente. Rappelez-vous : elles passent, le Fils d’homme demeure.

Deuxièmement, choisissez des gestes d’humanité radicale. Chaque fois que vous traitez quelqu’un avec respect alors que la logique ambiante vous pousserait à l’ignorer ou à l’écraser, vous manifestez la royauté du Fils d’homme. Cela peut être un mot d’encouragement à un collègue en difficulté, un refus de participer à un lynchage sur les réseaux sociaux, une attention portée à la caissière du supermarché.

Troisièmement, cultivez la prière contemplative qui voit au-delà des apparences. Daniel reçoit sa vision « au cours de la nuit ». Il faut accepter de se retirer du bruit du monde, de faire silence, pour percevoir ce que Dieu révèle. Prenez dix minutes par jour pour relire votre journée à la lumière de l’Évangile. Où avez-vous vu les bêtes à l’œuvre ? Où avez-vous reconnu le Fils d’homme ?

Quatrièmement, engagez-vous dans des combats pour la justice, mais sans illusion messianique. Vous ne sauverez pas le monde à vous seul. Mais chaque action juste contribue à préparer le royaume. Soutenez une association qui défend les droits humains, participez à une initiative locale de solidarité, votez en conscience. Ces gestes ne sont pas insignifiants. Ils tissent la royauté du Christ dans le concret.

Cinquièmement, témoignez de l’espérance chrétienne. Autour de vous, beaucoup vivent dans l’angoisse ou le cynisme. Ils voient les bêtes, mais pas le Fils d’homme. Votre manière de parler de l’avenir, de réagir aux crises, de garder confiance malgré les échecs : tout cela est un témoignage. Pas en niant les difficultés, mais en pointant vers une victoire déjà acquise.

Sixièmement, participez à la liturgie avec une conscience renouvelée. Chaque Eucharistie anticipe le banquet final où tous les peuples seront rassemblés. Chaque baptême plonge dans la mort et la résurrection du Fils d’homme. Chaque pardon donné ou reçu manifeste la victoire sur les logiques de vengeance. La liturgie n’est pas une évasion, c’est une immersion dans la réalité ultime.

L’heure où tout bascule définitivement

Nous arrivons au terme de notre parcours. Cette vision de Daniel nous a fait traverser le cauchemar des empires, assister au tribunal céleste, contempler la venue du Fils d’homme. Qu’en retenir ?

D’abord, que l’histoire n’appartient pas aux puissants. Ils font du bruit, ils écrasent, ils terrorisent. Mais leur règne est provisoire. Toutes les bêtes tombent, toutes les tyrannies s’effondrent. Aucune domination fondée sur la violence ne dure éternellement. Cette conviction permet de résister sans désespérer, de lutter sans haïr, de persévérer sans se décourager.

Ensuite, que Dieu n’est pas absent. Le Vieillard siège sur son trône de feu. Les livres sont ouverts. Rien n’échappe à son regard. Toute larme est comptée, toute injustice sera jugée, toute vérité sera révélée. Cela ne signifie pas que nous devons attendre passivement. Au contraire, le tribunal céleste nous appelle à agir dès maintenant selon la justice de Dieu.

Enfin, que le Fils d’homme a déjà reçu la domination éternelle. Sa victoire ne dépend pas de nos succès ou de nos échecs. Elle est accomplie dans sa mort et sa résurrection. Nous n’avons pas à l’établir, mais à en témoigner, à la manifester, à y conformer nos vies. Cette royauté se déploie chaque fois que l’amour l’emporte sur la haine, que la vérité triomphe du mensonge, que la fraternité brise les murs de l’indifférence.

Voilà le message révolutionnaire de Daniel : les empires passeront, le Fils d’homme demeure. Les tyrans tomberont, sa royauté ne finira jamais. Alors, ne vivez plus comme si les bêtes avaient le dernier mot. Ne vous laissez plus impressionner par leur rugissement. Ne cédez plus au cynisme ou à la résignation.

Vivez comme des citoyens de la royauté éternelle. Agissez comme si le Fils d’homme régnait déjà, parce qu’il règne déjà. Résistez aux logiques de mort, semez des gestes d’humanité, annoncez l’espérance. Le monde a besoin de témoins qui croient que l’histoire ne s’arrête pas au chaos, mais s’ouvre sur un royaume sans fin.

Et quand la nuit vous semblera trop longue, quand les bêtes paraîtront invincibles, souvenez-vous : Daniel aussi a vu l’horreur. Mais il a vu plus loin. Il a vu quelqu’un venir sur les nuées, recevoir toute autorité, rassembler tous les peuples. Cette vision n’était pas une consolation illusoire. Elle était la révélation de ce qui est déjà en train de s’accomplir.

Vous êtes appelés à devenir partie prenante de cette royauté. Non par la force, mais par l’amour. Non en dominant, mais en servant. Non en écrasant, mais en relevant. Voilà la révolution que le Fils d’homme inaugure. Elle ne fait pas la une des journaux, elle ne s’impose pas par les armes. Mais elle transforme tout de l’intérieur. Elle fait reculer les bêtes. Elle annonce l’aube d’un monde nouveau.

Alors, debout. Relevez la tête. Le Fils d’homme vient sur les nuées. Son règne est déjà commencé. Et vous, vous êtes invités à le manifester dès aujourd’hui.

« Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme » (Dn 7, 2-14)

Sept pratiques pour incarner cette vision

Consacrez cinq minutes chaque matin à lire un passage d’Évangile montrant Jésus comme Fils d’homme, en méditant comment il exerce sa royauté par l’amour et le service plutôt que par la domination.

Identifiez une « bête » contemporaine dans votre environnement, qu’il s’agisse d’un système déshumanisant ou d’une logique d’oppression, et posez un acte concret de résistance non-violente cette semaine.

Pratiquez l’examen de conscience quotidien en vous demandant où vous avez reconnu le visage du Fils d’homme aujourd’hui et où vous avez peut-être cédé aux logiques des bêtes.

Engagez-vous dans une action de solidarité durable, qu’elle soit locale ou internationale, pour témoigner que la fraternité est plus forte que les systèmes qui divisent et écrasent.

Refusez de participer aux discours haineux ou manipulateurs, spécialement sur les réseaux sociaux, et choisissez de relayer des paroles de vérité et d’espérance même quand cela semble dérisoire.

Participez à l’Eucharistie en conscience renouvelée, en y voyant l’anticipation du banquet final où le Fils d’homme rassemblera tous les peuples dans sa royauté éternelle.

Partagez cette espérance avec au moins une personne découragée ce mois-ci, en lui rappelant que les empires passent mais que la victoire du Christ demeure pour toujours.

Références

Daniel 7, 2-14 (texte source)

Livre de l’Apocalypse, chapitres 4-5, 13, 19-22 (reprises johanniques de la vision de Daniel)

Saint Augustin, La Cité de Dieu, livres XIV et XIX (distinction entre cité terrestre et cité céleste)

Évangiles synoptiques, passages sur le Fils de l’homme (notamment Mt 24-25, Mc 13-14, Lc 21-22)

Tradition patristique sur l’interprétation christologique du Fils d’homme (Irénée de Lyon, Origène)

Liturgie du Christ Roi et lectures du temps de l’Avent (contexte liturgique de Daniel 7)

Commentaires exégétiques contemporains sur le livre de Daniel (contexte historique et théologique)

Iconographie médiévale du Christ en majesté entouré des quatre vivants (tradition visuelle de la vision)

Équipe Via Bible
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