Assise, lieu de paix et de conversion intérieure, a servi de toile de fond à la conclusion de l’assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne (CEI), le 20 novembre 2025. Le pape Léon XIV, élu depuis moins d’un an, y a prononcé un discours très attendu. Beaucoup prévoyaient un ton de fermeté, voire de blâme, après la publication d’un rapport sévère sur la gestion des abus sexuels au sein de l’Église italienne. À la surprise générale, Léon XIV a préféré l’encouragement à la réprimande.
Ce choix n’est pas anodin. Face à une crise qui touche à la crédibilité morale même de l’institution, le pape a choisi de miser sur la conversion intérieure des communautés plutôt que sur la contrainte administrative. À ses yeux, la réforme durable de l’Église italienne ne se fera pas dans la peur, mais dans une redécouverte du service évangélique et de la responsabilité partagée.
Une Église confrontée à sa propre résistance
Un mois plus tôt, la Commission pontificale pour la protection des mineurs avait publié un rapport alarmant. Elle y pointait une « résistance culturelle considérable » de nombreux diocèses italiens à la mise en œuvre des normes de prévention des abus. Moins de la moitié avait répondu au questionnaire d’audit, preuve d’une inertie préoccupante. Ce mutisme a profondément marqué Rome.
Pourtant, loin d’attiser la confrontation, Léon XIV a opté pour la patience évangélique. Il a évoqué la nécessité d’un « changement de mentalité » avant toute réorganisation institutionnelle. Ce mot d’ordre — conversion, solidarité, vérité — résume bien l’esprit de son pontificat naissant.
La diplomatie de la réforme douce
Hériter sans renverser
Léon XIV s’inscrit dans la continuité de François, qui avait déjà initié une réorganisation territoriale profonde en Italie. De nombreux diocèses, parfois trop petits pour fonctionner efficacement, ont été regroupés afin de favoriser la transparence et la mutualisation des ressources. Le nouveau pape a confirmé la poursuite de ces regroupements, mais a insisté sur le respect des réalités locales.
Cette approche reflète une conviction : l’efficacité administrative ne peut suffire à guérir les blessures spirituelles. Les fusions de diocèses, souvent vécues comme des amputations identitaires, doivent s’accompagner d’un accompagnement pastoral humain et fraternel. Réformer, pour Léon XIV, revient à tisser des liens avant de trancher des structures.
Le choix du dialogue plutôt que de la sanction
Beaucoup espéraient un signal fort, voire des sanctions exemplaires contre les évêques accusés d’inaction face aux abus. Le pape, lui, a préféré un appel à la conscience et à la responsabilité. Il sait qu’un changement imposé de Rome risque d’être rejeté ou vidé de sa substance. En revanche, une transformation issue de la base peut durer, à condition qu’elle soit encouragée et accompagnée.
Son discours a ainsi pris la forme d’un examen de conscience collectif. Il a invité les pasteurs italiens à « ne pas se protéger sous le silence » mais à redevenir « des signes de la compassion de Dieu pour les plus blessés ». La réforme n’est pas qu’un plan de réorganisation ; elle passe d’abord par le cœur.
Une écoute attentive des réalités locales
Dans ses échanges à huis clos, le pape aurait longuement écouté les évêques des régions les plus touchées par le scandale. Il leur a demandé de créer des cellules d’écoute et d’accompagnement pour les victimes, avec un point de contact unique dans chaque diocèse. Ces mesures, bien que modestes en apparence, marquent un tournant. Elles introduisent une culture nouvelle : celle de la transparence, du dialogue, et du soin apporté à la parole des victimes.
Les défis d’une Église en transition
Une question de crédibilité spirituelle
La gestion des abus sexuels est devenue, pour l’Église, un test de vérité. Ce n’est plus seulement une question de justice, mais de témoignage. Quand les victimes ne sont pas entendues, c’est la mission même de l’Église — se faire proche des petits, des blessés et des oubliés — qui perd toute crédibilité. Léon XIV en a pleinement conscience. Son ton doux n’est pas signe de faiblesse, mais de discernement.
Le pape cherche à provoquer une réforme par la confiance. Plutôt que de stigmatiser, il veut convaincre les évêques qu’ils ont, ensemble, la responsabilité de guérir le corps ecclésial. Cette logique de coresponsabilité rappelle la démarche synodale : personne n’est au-dessus, tous sont appelés à marcher ensemble.
Entre tradition et mutation
La spécificité du catholicisme italien — profondément enraciné dans la culture locale, mais réticent aux directives venues de Rome — rend la réforme délicate. Dans certaines régions, les évêques craignent qu’une transparence totale fragilise encore davantage la confiance des fidèles. D’autres redoutent des conséquences judiciaires ou médiatiques.
Léon XIV tente d’apaiser ces craintes. Il affirme que la vérité ne détruit pas, mais libère. Cette perspective s’appuie sur une théologie du pardon : reconnaître la faute ouvre la voie à la réconciliation. Par ce biais, le pape transforme la crise en opportunité spirituelle, invitant l’Église italienne à retrouver la simplicité de l’Évangile.
Des signes d’espérance
Dans certains diocèses, des initiatives locales donnent déjà des fruits. Des prêtres participent à des formations sur la prévention des abus, des laïcs sont nommés dans des commissions indépendantes, des cérémonies publiques de repentance sont organisées. Ces démarches, encore isolées, incarnent pourtant la vision du pape : une réforme organique, venue du terrain, enracinée dans la conscience des fidèles.
De jeunes prêtres commencent à parler sans crainte de ces sujets autrefois tabous, signe qu’un climat nouveau s’installe lentement. Léon XIV mise sur cette nouvelle génération, moins marquée par la culture du secret, plus ouverte à la transparence.
En somme, le pape Léon XIV s’impose comme un réformateur patient. Son allocution à Assise traduit une stratégie claire : ne pas casser un système déjà fragile, mais aider l’Église italienne à se redresser de l’intérieur. Plutôt que de gouverner par décret, il choisit de gouverner par conviction. Et dans un moment où la tentation serait grande d’improviser des mesures spectaculaires, il rappelle une vérité évangélique : la réforme la plus forte est celle qui commence par la conversion du cœur.


