Le message du pape Léon XIV adressé à la VIIe conférence nationale sur les addictions organisée à Rome résonne comme un diagnostic sans détour : nos dépendances trahissent plus qu’un malaise individuel, elles révèlent un déclin social profond. En s’adressant aux responsables politiques, aux éducateurs et aux acteurs de terrain, le souverain pontife n’a pas seulement voulu dénoncer un fléau, mais poser une question cruciale : de quoi nos sociétés sont-elles malades ?
Le Pape évoque un monde où la jeunesse, confrontée à des horizons économiques et moraux incertains, se replie sur elle-même. Non par égoïsme, mais par peur. Peur de l’avenir, peur du vide, peur d’un monde qui semble avoir perdu toute boussole. Dans ce contexte, la tentation de l’addiction devient un refuge, un anesthésiant social, une manière de combler le silence intérieur.
Les addictions contemporaines ne se limitent plus à l’alcool ou à la drogue : elles se logent dans nos poches, sur nos écrans, derrière les jeux en ligne ou les flux infinis d’images. Elles traduisent un besoin désespéré d’échapper au réel, d’oublier un présent perçu comme dénué de sens.
Quand le lien social s’effondre
La société du manque
Léon XIV ne parle pas simplement de morale : il parle de relation. L’addiction, rappelle-t-il, naît souvent d’un manque de lien. Là où la famille se fragilise, où l’école se réduit à la performance, où la foi et la communauté disparaissent des horizons de vie, les jeunes se retrouvent seuls face à leurs écrans. Ils remplacent la rencontre réelle par la connexion virtuelle, l’espérance par la distraction.
Le Souverain Pontife parle d’un monde sans espérance — une phrase forte, presque prophétique. Cette absence d’espérance ne vient pas de la pauvreté matérielle, mais de la pauvreté existentielle : celle d’un monde saturé d’offres mais vide de promesses. On peut tout acheter, tout regarder, tout consommer… sauf le sens de la vie.
Ainsi, l’addiction devient l’un des symptômes les plus visibles du déséquilibre social : quand la société n’offre plus de repères, l’individu cherche des compensations chimiques ou numériques. C’est une fuite, mais aussi un symptôme d’un besoin inassouvi de relation, d’écoute, d’amour véritable.
Le marché de l’évasion
Les acteurs économiques ont bien compris ce besoin. Le marché des addictions – licites ou non – prospère sur la fragilité humaine. Les algorithmes des plateformes sociales capturent notre attention, les paris en ligne exploitent l’appât du gain, et la pornographie transforme la solitude en source de profit. Ce système ne crée pas seulement des dépendances : il rend la dépendance rentable.
Dans ce contexte, le message papal sonne comme un appel à la résistance : celle qui consiste à redonner la primauté à la personne humaine, à sa dignité et à sa liberté. Car l’addiction, avant d’être un problème médical, est une question anthropologique : que faisons-nous de notre liberté ?
Guérir par la solidarité et le sens
Retisser les liens personnels
Léon XIV souligne que tout n’est pas perdu. Partout, des familles, des enseignants, des éducateurs, des prêtres travaillent à reconstruire les repères des jeunes. Ces efforts sont précieux : ils redonnent aux adolescents la capacité de discernement moral et la confiance nécessaire pour affronter le doute.
Le Pape rappelle que la liberté n’est pas l’absence de limites, mais la capacité à choisir le bien. Cette éducation à la liberté se cultive par la vie intérieure, la prière, le dialogue intergénérationnel et la découverte du sens du service. Là se trouve l’enjeu véritable de la prévention des dépendances : reconstruire la conscience morale et la force de la volonté.
L’addiction, dans cette perspective, n’est pas une fatalité. Elle devient un lieu possible de rédemption et de renaissance, si la société retrouve le courage de tendre la main, d’accompagner, de croire encore à la guérison.
Une responsabilité collective
« Agir de manière concertée », dit le Saint-Père. Cela signifie que la lutte contre les addictions n’appartient pas seulement aux médecins ou aux psychologues, mais à toute la société : l’État qui garantit l’éducation et les emplois, les associations qui offrent des espaces d’écoute, l’Église qui propose un accompagnement spirituel, et les communautés locales qui recréent du lien.
Le pape Léon XIV parle d’« intercepter le cri des jeunes ». Un cri souvent silencieux, masqué par les likes ou l’humour cynique, mais qui vient d’un cœur blessé. Répondre à ce cri, c’est proposer un horizon : l’amitié, le travail, l’art, la foi, la beauté du monde. C’est rappeler à chaque être humain qu’il peut être artisan libre de sa propre existence, non esclave de ses désirs.
Redonner soif de vie
L’expression choisie par le Pape — « profonde soif de vivre » — est bouleversante. Elle renverse le regard : derrière chaque dépendance se cache une aspiration authentique à la plénitude, une demande de joie. Mais cette soif, pour ne pas se transformer en empoisonnement, doit rencontrer des sources vivantes : la rencontre, la culture, la nature, la foi.
Redonner soif de vie, c’est donc redonner confiance : faire sentir aux jeunes qu’ils ont une place, un rôle, une mission. Là où la société les traite comme des consommateurs, l’Évangile les appelle à devenir des créateurs. Là où la peur fige, la fraternité ouvre. Là où le désespoir enferme, la foi libère.
Une espérance en chantier
La culture de l’écoute
Léon XIV invite les institutions à bâtir une « culture de solidarité et d’écoute ». Cela suppose d’apprendre à écouter sans juger, à comprendre sans moraliser. Le Pape ne condamne pas ; il appelle à accompagner. Car on ne guérit pas d’une addiction par la seule volonté : on guérit par la rencontre, par le regard de quelqu’un qui vous dit encore : « Tu vaux plus que ta blessure. »
Cette culture de l’écoute concerne aussi l’Église elle-même. Elle doit être un lieu d’accueil, non de condamnation. Là où certains jeunes se sentent perdus ou exclus, la communauté chrétienne peut devenir un espace de reconstruction, de confiance restaurée. Le confessionnal, le groupe de parole, ou simplement la prière partagée peuvent ouvrir une brèche vers la liberté intérieure.
Des repères pour demain
Sortir du cercle vicieux des addictions implique de reconstruire une société du repère. Cela passe par une revalorisation de la famille, de l’éducation au discernement moral, de la spiritualité comme dimension de l’existence, mais aussi par des politiques publiques courageuses : limiter la publicité pour les jeux de hasard, encadrer les réseaux sociaux, soutenir les structures d’accompagnement, favoriser l’emploi des jeunes.
Le Pape ne sépare pas le spirituel du social : il voit dans la politique et l’économie des champs indispensables de la charité. La charité sociale, disait-il déjà lors de sa Journée internationale contre la drogue, consiste à « démanteler les systèmes qui profitent de la faiblesse humaine ». C’est donc un enjeu éthique global.
Repartir de la personne
La clé, au fond, est là : repartir de la personne. Le message de Léon XIV est une invitation à remettre la dignité humaine au centre. Les addictions ne sont pas seulement des pathologies, mais des appels à la cohérence collective. Elles nous rappellent brutalement que l’homme ne se nourrit pas seulement de confort ou de technologie, mais de sens, de vérité et d’amour.
Retrouver la justesse de ces mots, c’est redonner un horizon à toute une génération. Le Pape nous pousse à faire de cette crise une opportunité : reconstruire une société plus humaine, où l’on s’écoute vraiment, où la liberté renaît, où la vie intérieure retrouve sa place.
En somme, les addictions sont bien le symptôme d’un déclin social, mais elles peuvent aussi devenir le point de départ d’un renouveau. À condition que nous acceptions d’affronter notre propre vide, de refonder nos solidarités et d’orienter notre liberté vers le bien commun. Léon XIV n’accuse pas ; il espère. Et cette espérance, dans un monde saturé de sollicitations, est peut-être le premier remède à nos dépendances.

