CHAPITRE 1
Jean 1. 1 Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. – Commentaire général sur les versets 1 – 18, Prologue de l’Évangile selon saint Jean : 1° Dès le début, l’écrivain sacré a voulu, pour ainsi dire, orienter ses lecteurs, insister sur les idées principales et une explication : Jésus‑Christ est Dieu, il est le Verbe éternel et créateur qui s’est fait chair pour sauver la pauvre humanité. C’est donc une véritable christologie que nous trouvons ici. Toute la vie divine et toute la vie humaine de Jésus y est contenue. 2° Richesse théologique. – Le Verbe au sein du Père et le Verbe incarné, Dieu, l’Homme‑Dieu et l’homme sauvé : aussi quelle n’a pas été l’importance de ce prologue pour les théologiens de tous les temps ? « La métaphysique chrétienne, de S. Augustin à S. Anselme, de S. Thomas à Malebranche, a creusé cet abîme sans en toucher le fond » (Baunard, L’apôtre S. Jean, p. 381). « Le plus haut degré de la doctrine qui traite de Jésus-Christ vrai Dieu et Fils de Dieu se trouve concentré dans un seul chapitre de saint Jean, 1, 1-18. En ce lieu, on nous enseigne que celui qui s’est fait chair dans le temps est Dieu, Dieu éternel, Dieu créateur de l’univers, Dieu auteur de la grâce et de l’ordre surnaturel ; qu’il est le Dieu à qui est dû le culte suprême, qu’il est distinct du Père sans lui être pourtant inférieur, qu’il a été engendré par Dieu le Père, qu’il est son verbe et son Fils unique ». Franzelin, Du Verbe Incarné, th 8. Voyez aussi Mgr Ginouillhac, Histoire du dogme catholique, 1ère partie, livre 9, ch. 1. Mais rien de plus expressif que les paroles de S. Augustin, In Jean Tract. 36 : les autres Évangélistes semblaient marcher sur la terre avec Jésus‑Christ considéré comme homme ; mais Jean, en quelque sorte honteux de se traîner ici‑bas, a élevé la voix à tel point que, dès le commencement de son écrit, il s’est placé, non‑seulement au‑dessus de la terre, de l’air et des astres, mais même au‑dessus de l’armée des anges et de toutes les puissances invisibles établies de Dieu ; il est ainsi arrivé jusqu’à Celui qui a créé toutes choses, car il a dit: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe, était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Le reste de son Évangile est digne d’un si beau commencement. Comme un oiseau, il a pris son vol, et il a parlé de la divinité du Sauveur. Il n’a fait, en cela, que nous rendre ce qu’il avait puisé à la source de la vérité. Évidemment, il ne nous a pas sans raison raconté, en parlant de lui, dans son Évangile, qu’à la dernière Cène il avait reposé sur la poitrine du Seigneur. Appuyé sur le cœur de Jésus, il y puisait un secret breuvage ; mais ce breuvage ignoré, il nous l’a fait connaître en nous le distribuant. Il a enseigné à toutes les nations, non‑seulement l’incarnation du Fils de Dieu, sa passion et sa résurrection, mais ce qu’il était avant de se faire homme : Fils unique du Père, son Verbe, coéternel à Celui qui l’a engendré, égal à Celui qui l’a envoyé, mais devenu, par son incarnation, inférieur à son Père et moins grand que lui ». De même S. Jean Chrysostome : « Ne vantez plus les pensées de Platon et de Pythagore. Ils cherchent ; Jean a vu. Dès son début, il s’empare de tout notre être, il le soulève au‑dessus de la terre, de la mer et du ciel, l’emporte plus haut que les anges, par delà toute créature. Alors, quelle perspective s’ouvre devant nos yeux. L’horizon recule sans bornes, les limites s’effacent, c’est l’infini qui apparaît, et Jean, l’ami de Dieu, ne se repose qu’en Dieu ». Hom. in Jean 1, n. 2. Le lecteur trouvera d’autres magnifiques citations des pères sur le Verbe, dans le bel ouvrage de Mgr Landriot, Le Christ de la tradition. 3° Beauté de la forme. – Cette splendeur suscitait l’admiration même des philosophes païens, entre autres de ces platoniciens qui auraient voulu, raconte S. Augustin, De civit. Dei, liv. 10, 29, qu’on gravât ce prologue en lettres d’or à l’entrée des temples, cf. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 11, 18. Le langage humain n’a rien de comparable à cette « sublime ouverture », à ce « prologue qui vient du ciel » (S. Jérôme, Proem. in Matth.). C’est la plus noble association de la simplicité et de la majesté. Autant les idées sont relevées, autant le style paraît dépourvu d’ornements, avec ses petites phrases entrecoupées et rattachées les unes aux autres par la conjonction et ; mais cela même est une grande beauté et produit un grand effet. – On a signalé une autre particularité de la forme, une sorte de mouvement en spirale dans l’agencement des pensées ; C’est ainsi qu’une idée fait son apparition, se retire et réapparaît plus loin pour être développée et plus complètement définie. Pendant ce temps, une autre idée se présente à nous et se retire pour réapparaître d’une façon analogue. Par exemple, le Logos nous est montré au verset. 1, il disparaît ensuite, et nous est montré de nouveau au verset. 14. La création passe sous nos yeux au verset. 3, pour revenir au verset. 10. La lumière apparaît au verset. 4 ; elle disparaît ensuite et revient aux versets. 10 et 11. Enfin le témoignage de Jean‑Baptiste est mentionné aux versets 6 et 7, réitéré au verset. 15, pour être repris aux versets 19 et suivants. – Au commencement. Comme emporté par un ravissement…, il commence sans préambule son Évangile. C’est déjà, « le regard de l’aigle dans l’infini » (Lacordaire). Mais de quel commencement l’évangéliste a‑t‑il voulu parler ? Rien de plus clair. Il avait certainement à la pensée, le début identique de la Genèse, 1, 1 : « Au commencement ». Dieu a voulu que l’histoire de la rédemption, ou seconde création, s’ouvrît par la même formule que l’histoire de la création proprement dite. De part et d’autre, « commencement » désigne donc l’origine du monde, le commencement du temps. Mais quelle différence, toutefois. Ici, le narrateur remonte au‑delà de la création pour plonger son regard dans l’éternité divine ; là, Moïse redescend au contraire le cours des âges. Sans marquer par elle‑même et directement l’éternité, l’expression « au commencement » nous ramène donc ici, de la manière la plus nette, à cette idée. Elle équivaut à « avant que le monde existe », Jean. 17, 5. « Où vais‑je me perdre ? Dans quelle profondeur, dans quel abîme ?… Allons, marchons sous la conduite du bien‑aimé parmi les disciples, de Jean enfant du tonnerre, qui ne parle pas un langage humain, qui éclaire, qui tonne, qui étourdit, qui abat tout esprit créé sous l’obéissance de la foi, lorsque par un rapide vol fendant les airs perçant les nues, s’élevant au‑dessus des anges, des vertus, des chérubins et des séraphins, il entonne son évangile par ces mots : Au commencement était le Verbe…. Pourquoi parler du commencement, puisqu’il s’agit de celui qui n’a pas de commencement ? C’est pour dire qu’au commencement, dès l’origine des choses, il était ; il ne commençait pas, il était ; on ne le créait pas, on ne le faisait pas, il était…. Au commencement, sans commencement, avant tout commencement, au‑dessus de tout commencement, était celui qui est et qui subsiste toujours, le Verbe ». Bossuet, Élévations sur les mystères, 12ème semaine, 7e élév, cf. aussi la 8e élévation. – Était : nous venons de le voir dans cet admirable commentaire de Bossuet, est un imparfait plein d’importance, puisque c’est lui qui transforme ainsi la notion des mots « au commencement », de manière à leur faire représenter l’éternité. Il dénote la permanence, une continuité sans fin. Aussi l’évangéliste le répétera‑t‑il quatre fois coup sur coup dans ce verset et au suivant, afin de bien montrer qu’il n’y eut aucune période où le Verbe n’existait pas, cf. Colossiens 1, 15 ; Hébreux 1, 8 ; 7, 3 ; Apocalypse 1, 8. Voyez plus bas (note du verset 4) la différence qui existe entre cet « être » du Logos et le « exister » des créatures. C’est sans motif suffisant que divers exégètes anciens et modernes ont traduit le substantif grec par Père éternel, ou Sagesse divine (Origène, S. Cyrille d’Alexandrie, etc.). – Le Verbe, (avec l’article, le Logos par excellence). C’est là, évidemment, l’expression principale du prologue, lequel est dominé tout entier par elle, cf. versets 1 et 14. il importe donc de bien la comprendre et de s’en faire une juste idée. On lui a parfois attribué dans les derniers siècles de fausses significations : par exemple, quand on l’a regardée comme un synonyme de « parole, promesse », c’est-à-dire Messie ; ou de « parole révélée », c’est-à-dire le Christ en tant que docteur. Non, le terme est ici éminemment théologique et métaphysique, et il exprime les plus profonds concepts. On semble avoir hésité pendant quelque temps dans l’Église latine pour en donner une traduction adéquate : on disait tantôt « sermo », tantôt « verbum », au second siècle. Tertullien cite ces deux mots, et il en préfère à tort un troisième, « ratio ». Peu à peu « verbum » prévalut. Mais dit plus que cela : c’est une expression à double face, qui marque tout ensemble et la pensée, le « verbum mentis », et la parole par laquelle est exprimée cette pensée, le « verbum oris » (S. Augustin). Les quatre évangélistes l’emploient fréquemment (S. Jean, près de quarante fois) dans sa signification générale de « parole » , etc., et les synoptiques s’en servent aussi d’une façon plus spéciale pour désigner la parole de Dieu, la prédication évangélique. Toutefois l’usage remarquable qui en est fait, sans commentaire et d’une manière absolue, soit en ce passage à quatre reprises (versets 1 et 14), soit 1 Jean 5, 7, pour désigner le verbe personnel, le fils de Dieu, la seconde personne de la Très Sainte Trinité, est propre à S. Jean. Comparez 1 Jean 1, 1 et Apocalypse 19, 13, où on la trouve avec le même sens, mais accompagnée d’un autre substantif qui la caractérise : « le Verbe de Dieu ». Et, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que notre évangéliste la suppose parfaitement claire pour ses lecteurs, et n’ajoute pas la moindre explication. Cherchons d’abord d’où il l’avait tirée ; il sera aisé ensuite d’indiquer pourquoi il a été seul à en faire usage. – 1° D’après les rationalistes, qui ont écrit de longues dissertations à ce sujet, c’est à des sources profanes que S. Jean aurait puisé le nom et la doctrine du Logos. Nous répondons, et la démonstration est aujourd’hui bien facile, que S. Jean n’a emprunté ce nom et cette doctrine ni aux gnostiques, ni aux écrits du juif Philon, mais à la tradition juive complétée pour lui par une révélation spéciale. – 1. Nous connaissons le Logos des Gnostiques par quelques citations de S. Irénée, Contre les Hérésies 1, 24, 3. Rien de plus compliqué que les systèmes rattachés par eux à cette notion sublime. Ainsi, d’après Basilides (début de second siècle), le Verbe est la seconde des sept intelligences émanées du Dieu suprême. « L’esprit naquit en premier lieu du Père éternel ; puis de l’esprit est né le Logos, du Logos la Prudence, de la Prudence la Sagesse et la Puissance, de la Sagesse et de la puissance les Vertus, les Princes et les Anges ». Valentin (milieu de second siècle) admet un premier principe, appelé Proarkè ou premier commencement, Propator ou premier Père, Bythos ou abîme. Ce « Propator » est éternel ; avec lui coexiste l’ennoïa ou pensée de son esprit, qui conçoit et produit le nous, lequel engendre à son tour le fameux pléroma, et en premier lieu le Logos. Du Logos uni à la Vie naissent l’homme et l’Église. Ogdoade, décade, dodécade, les trente éons : vraiment, y a‑t‑il quelque rapport entre ces complications embrouillées et le prologue si simple de saint Jean ? Oui, mais « bien loin que l’auteur du quatrième évangile ait emprunté à la gnose les termes de Verbe, de Vie, de Lumière, de Fils unique, c’est la gnose qui lui a pris ces expressions métaphysiques ; elles avaient en effet le double avantage de se prêter à des interprétations subtiles, tout en étant consacrées par le respect de l’Église ». D’une source si troublée que ces grossières erreurs, on ne saurait extraire la liqueur fraîche et limpide que nous donne saint Jean. Voyez Mgr Ginouilhac, Histoire du dogme cathol., t. 2, p. 183 et s. ; Vacherot, Histoire critiq. de l’École d’Alexandrie, p. 201 et s. – 2. Philon est le représentant principal de ces théosophes d’Alexandrie, contemporains de S. Jean, dont la doctrine était un étonnant mélange de platonisme, de judaïsme, de mysticisme oriental. C’est lui surtout qu’on a regardé fin XIXème siècle comme l’inspirateur de S. Jean. Il est vrai que Philon parle fréquemment du Logos, mais d’une manière si hésitante, parfois si contradictoire, qu’on a de la peine à savoir au juste ce qu’il en pense. On ne peut même dire si son Verbe est une personne réelle ou une simple abstraction. Ce qui est vrai, du moins, c’est que le Logos de Philon n’est qu’un agent intermédiaire entre Dieu et le monde, entre la lumière céleste inapprochable et la matière : il sépare autant qu’il unit. Il est Dieu, fils de Dieu, mais Dieu inférieur, Dieu d’une manière improprement dite, par opposition au Dieu en vérité. Il ne s’est pas incarné, il ne nous a pas rachetés, il n’est pas le Messie. Quelle différence du tout au tout entre ces idées si vagues et la riche substance du prologue de S. Jean. Le Logos du quatrième évangile est au Logos de Philon ce que le discours de S. Paul devant l’Aréopage athénien était à l’inscription au Dieu inconnu – 3. Si la ressemblance entre les idées de Philon et de S. Jean au sujet du Verbe est purement extérieure, et se change en une complète opposition dès qu’on entre dans le détail et au fond des choses, nous devons admettre au contraire que la tradition juive offrait à notre évangéliste un point d’appui réel pour son prologue. Il est aisé de le prouver à l’aide soit de l’Ancien Testament, soit des Targums ou anciennes paraphrases juives de la Bible. Les première traces du Logos nous apparaissent dès l’origine du monde, car c’est par sa parole, mentionnée à dix reprises dans l’histoire de la création, que Dieu produisit tout l’univers (Genèse 1, 3, 6, 9, 11, 14, 20, 22, 24, 26, 29). Plus tard, au livre des Psaumes, cette même parole est presque personnifiée, et on lui attribue des propriétés divines (Ps. 32, 6 : « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle de sa bouche » ; Ps. 147, 15 : « Il envoie sa parole sur la terre : rapide, son verbe la parcourt » ; Ps. 106, 20 : « il envoie sa parole, il les guérit, il arrache leur vie à la fosse »). De même dans Isaïe (cf. 40, 8 : « l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours » ; 55, 11, et ss.). Aux livres de Job (28, 12 et ss.) et des Proverbes (8 et 9), il y a encore un mouvement en avant vers la personnification, quoique nous trouvions une modification dans les termes : « Sagesse » de Dieu, au lieu de « Verbe » de Dieu ; mais ces expressions sont synonymes. Remarquez surtout ce passage des Proverbes, 8, 22 et s. : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre. Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes. Avant que les montagnes ne soient fixées, avant les collines, je fus enfantée… jouant devant lui à tout moment, jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes ». Enfin le progrès s’accentue de plus en plus dans les écrits deutérocanoniques, cf. Ecclésiastique 1, 1-20 ; 25, 1 22 ; Sagesse 6, 21-9, 18 ; Baruch 3, 9-4, 4. Il y a là des lignes extrêmement frappantes, qui font du Verbe divin une hypostase bien distincte : c’est notamment la suivante, Sagesse 18, 15, « ta Parole toute‑puissante fondit en plein milieu de ce pays de détresse », où le Verbe apparaît comme l’instrument des célestes vengeances. Les Targums nous présentent des faits analogues, non‑seulement çà et là, mais d’une manière constante. C’est par centaines de fois en effet, que la locution Mèmera da Yeya, « Parole de Dieu » y vient remplacer les noms divins ou se surajouter à eux. On la trouve plus de cent cinquante fois dans le seul Targum d’Onkélos sur le Pentateuque, près de cent fois dans le Targum de Jérusalem, environ trois cent‑vingt fois dans celui de Jonathan. Et, dans beaucoup de ces cas, la Mèmera représente non seulement Dieu en tant qu’il se révèle, mais comme une hypostase distincte dans la divinité. Les exemples suivants sont significatifs sous ce rapport. Genèse 3, 8-9, au lieu de ces mots du texte : « Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu… ; Dieu appela Adam », nous lisons dans les paraphrases aramaïques : « Ils entendirent la voix du Verbe de Dieu ; … le Verbe de Dieu appela Adam ». Genèse 9, 12, Onkélos traduit : « Le signe de l’alliance sera entre mon Verbe et vous » (c’est Dieu lui‑même qui parle). Genèse 22, 16, au lieu de : « J’ai juré par moi‑même », Dieu dit dans le Targum : « J’ai juré par mon Verbe ». Genèse 16, Agar voit « le Verbe de Dieu », qu’elle identifie ensuite avec la Schekinah ou présence divine. Deutéronome 1, 32 et 33, d’après Onkélos : « Vous n’avez pas vu le verbe de Dieu, qui fut votre guide sur la terre ». Deutéronome 26, 17 et 18, d’après le Targum de Jérusalem : « Vous avez aujourd’hui établi le Verbe de Dieu roi sur vous, afin qu’il soit votre Dieu » ; etc. Remarquons en outre que les Targums ont une autre expression, Pithgama, pour désigner le langage ordinaire de Dieu, ce qui rehausse encore la force de Mèmera. Par exemple, Deutéronome 18, 19, nous trouvons cette nuance bien marquée : « Si quelqu’un n’écoute pas ma parole (Pithgami), qu’il a proférée en mon nom, mon Verbe (mèmerati) lui en demandera compte », cf. Deutéronome 5, 5, etc. ; L. Stapfer, Les idées religieuses en Palestine à l’époque de Jésus‑Christ, 2è édit. p. 39 et ss.. – 4. Et pourtant cette tradition juive, quoique si formelle, ne put suffire à saint Jean, car elle est loin d’être aussi nette que son prologue, d’exprimer tout ce qu’il dit lui‑même. Nulle part elle n’attribue au Verbe de Dieu le caractère messianique ; nulle part elle n’exprime directement qu’il est en Dieu une personne distincte. Aussi l’apôtre bien‑aimé eut‑il besoin d’une révélation spéciale pour acquérir ces connaissances sublimes, ainsi qu’il le raconte lui‑même, Apocalypse 19.« 11 Puis je vis le ciel ouvert et il parut un cheval blanc, celui qui le montait s’appelle Fidèle et Véritable, il juge et combat avec justice. 12 Ses yeux étaient comme une flamme ardente, Il avait sur la tête plusieurs diadèmes et portait un nom écrit que nul ne connaît que lui-même, 13 il était revêtu d’un vêtement teint de sang, son nom est le Verbe de Dieu. » – 2° Répondons maintenant à la deuxième question qui a été posée plus haut : Pourquoi saint Jean est‑il seul à faire usage de ce nom remarquable ? C’était à cause des besoins particuliers de son époque, et pour opposer, sur ce sujet non moins délicat qu’important, la vraie doctrine aux erreurs qui commençaient à circuler dans l’Église. Quant à la merveilleuse convenance du mot Logos pour désigner la seconde personne de la Saint Trinité, elle ressort si bien de cette expression même, qu’il n’est pas nécessaire d’insister là-dessus. « Ce nom de Verbe ou de parole divine est l’image la plus déliée, la plus spiritualisée de la nature du Fils qui soit dans le langage » (Baunard, L’apôtre S. Jean, p. 381) ; rien ne marque mieux les relations intimes et éternelles du Père et de N.-S. Jésus‑Christ, cf. S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, partie 1, q. 34 ; Mgr Ginouilhac, Histoire du dogme catholiq., t. 2, p. 2-6, p. 386 et s., etc. « Qui dit Verbe dit la parole intérieure, la parole substantielle de Dieu, son intelligence, sa sagesse ; un discours éternellement dit, et dans lequel tout est dit, qui, dans l’infinie fécondité d’une âme, d’une parole prononcée une fois pour ne jamais cesser, renferme toute vérité, est substantiellement avec la vérité même ». Fouard, La vie de N.S. Jésus‑Christ, t. 1, p. 461 (c’est le début d’une excellente dissertation sur le Verbe de S. Jean). – Et le Verbe … On a remarqué depuis longtemps le mouvement de gradation solennelle qui existe dans le premier verset : trois propositions le composent, relatives toutes les trois à la vie du verbe au sein de son Père ; mais la seconde dit plus que la première, et la troisième plus que la seconde. Cela va montant toujours dans une admirable symétrie. – Était continue d’exprimer cinq fois de suite (versets. 1-4) une éternelle permanence ; quand nous le retrouverons pour la sixième fois (verset. 4, « la vie était la lumière des hommes »), il marquera encore la perpétuité, mais dans le temps. – En Dieu. Le choix de la préposition grecque est remarquable ; à la suite d’un verbe de repos, on attendrait plutôt autre chose. C’est à dessein que l’évangéliste a employé en cet endroit et au verset 18 une construction qui dénote non seulement la juxtaposition, la coexistence dans un même lieu, mais, en plus une activité intérieure, des énergies et des tendances ineffables, en un mot, ces communications divines qui portent dans le langage théologique les noms de processions, de relations. Voyez 3, 35, une de ces relations. Il suit évidemment de là que le Verbe possède une personnalité distincte de celle de Dieu le Père. – Et le Verbe était Dieu. Troisième proposition, qui ajoute un nouvel élément aux deux autres. Sans doute, la divinité du Verbe avait été implicitement affirmée dans les lignes qui précèdent ; néanmoins saint Jean tenait à la déclarer en formes expresses et explicites. « Dieu » est mis en avant pour mieux accentuer l’idée, quoique « Verbe » soit encore le sujet de la proposition. Cette fois l’article est omis devant le mot grec pour éviter une importante amphibologie : la phrase grecque aurait pu signifier que le Verbe possède à lui seul tout l’être divin, qu’il est la Divinité (ce fut l’erreur de Sabellius), tandis qu’il partage la nature divine avec le Père et le Saint‑Esprit. Ainsi donc, dans ces quelques mots, trois grandes vérités sont révélées : le Verbe est éternel, le Verbe jouit d’une personnalité distincte, le Verbe a part à l’essence divine. C’est bref et c’est complet.
Jean 1.2 Il était au commencement en Dieu.– Après s’être ainsi plongé dans l’abîme de la Divinité, et après avoir décrit l’état éternel du Verbe de Dieu et son action intime, l’évangéliste, avant de passer à un autre genre d’action du Logos, résume plus brièvement encore ce qu’il vient de dire. Une quatrième proposition (verset 2) résume en les combinant tous les éléments compris dans les trois autres (verset 1). – Il est un sommaire de la troisième proposition : ce Verbe‑Dieu ; était au commencement reproduit la première ; en Dieu abrège la seconde. C’est une récapitulation pleine d’énergie.
Jean 1.3 Tout a été fait par lui et sans lui n’a été fait rien de ce qui a été fait.–Nous avons contemplé le Verbe intérieur, vivant au sein du Père ; voici maintenant le Verbe se portant au dehors, se manifestant dans le monde par ses œuvres (Saint Justin, Apol. 1.). L’évangéliste indique les relations du Logos d’abord avec les créatures en général (versets 3 et 4), puis plus spécialement avec l’humanité (versets 5). – Tout : tout ce qui existe en dehors de Dieu, l’univers entier (cf. verset 10, « le monde »), dans son ensemble et dans tous ses plus petits détails. Le mot grec sans article est plus expressif que celui de saint Paul (1 Corinthiens 8, 6 ; Colossiens 1, 15 ; etc.), parce qu’il n’est limité d’aucune manière. – Par lui : Dieu le Père est la « cause efficiente » de la création, comme s’expriment les théologiens : aussi ses relations avec le monde créé sont‑elles ordinairement désignées par la préposition « de ». Quand il s’agit du Fils, du Verbe, ses rapports avec les créatures sont marqués de préférence par deux autres formules, « par » et « en ». 1 Corinthiens 8, 6, cf. Hébreux 1, 2. Il est en effet tout ensemble la « cause instrumentale » « causa instrumentalis » et la « cause exemplaire » « causa exemplaris » de la création ; l’instrument du père ou le bras du père, et un type merveilleux de toutes choses. Voyez Mgr Ginouilhac, l. c., p.320 et s. – De ce qui a été fait : Quelle différence. Le Verbe « était » ; les créatures « ont été faites » ; plus littéralement : « elles sont devenues », expression si fréquemment employée au premier chapitre de la Genèse. – Et sans lui …L’idée pourtant si claire que nous venons de lire au premier hémistiche est répétée dans le second, mais sous une forme négative qui est plus expressive encore. C’est là une particularité du style de saint Jean, cf. 1, 20 ; 3, 16 ; 10, 5, 8. ; 20, 27 ; 1 Jean 1, 5, 6 ; 2, 4, 10, 11, 27, 28 ; Apocalypse 2, 13 ; 3, 9. Elle rappelle le parallélisme antithétique de la poésie juive… Rien n’a été fait : Le grec dit avec plus d’énergie, « pas une seule chose ». Tout ce qui existe a donc passé par la volonté du verbe avant d’arriver à l’être : atome, brin d’herbe, insecte minuscule, séraphin brillant ; il n’y a pas d’exception. Tout se ressemble sous ce rapport. – De ce qui a été fait : L’aoriste grec se rapportait au fait même de la création, et nous montrait les créatures passant à l’existence sur un ordre du Verbe ; le parfait grec décrit maintenant la création comme un résultat acquis et permanent.
Jean 1.4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, – Quelle sorte de vie ? La vie sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, selon les divers degrés et propriétés des créatures : vie physique, vie intellectuelle et vie morale ; vie naturelle et surnaturelle ; vie du temps et de l’éternité. Nous n’avons aucune restriction à faire. A tous les points de vue le Verbe est une source de vie, cf. 5, 26 ; 14, 6. Et il le fallait bien, puisque « toutes choses ont été faites par lui », verset 3. La formule « en lui » dit plus que « par lui ». – Continuant de redescendre le « fleuve du temps », l’écrivain sacré passe des relations générales du Logos avec l’univers à ses relations plus spéciales avec l’homme. Il se rapproche ainsi rapidement de son sujet spécial. Le Verbe « touche tous les êtres, mais d’une manière inégale. Il a des contacts qui donnent seulement l’existence sans la vie ni le sentiment ; d’autres qui donnent l’existence, la vie, le sentiment et l’intelligence ». S. Grégoire‑le Grand. Le contact du verbe avec sa créature privilégiée, l’homme, porte ici le beau nom de lumière : et la vie était la lumière des hommes, la lumière par excellence, lumière idéale et essentielle (S. Cyr. d’Alexandrie). Magnifique symbole, que les pères et les théologiens catholiques ont si bien fait valoir. Jésus s’en fera plus tard une application personnelle (8, 12, cf. 1 Jean 1, 5). – Des hommes, au pluriel, pour montrer qu’il s’agit sans exception de tous les membres de la grande famille humaine. « Tout être raisonnable, dit encore S. Cyrille, est comme un beau vase que le grand Artiste de l’univers a formé pour le remplir de cette divine lumière ».
Jean 1.5 et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas reçue. Encore un pas en avant. Nous allons apprendre ce qu’est le Verbe pour l’homme déchu. – Et la lumière. Le Logos suivant la belle expression de S. Pierre (1 Pierre 1, 19). Rien de plus grandiose que ces propositions si riches, simplement alignées les unes à la suite des autres. – Dans les ténèbres. Mais d’où peuvent bien venir ces ténèbres ? Que s’est‑il passé dans le monde créé par le Verbe ? Le chap. 3 de la Genèse répond à ces questions. Entre les versets 4 et 5 il faut donc intercaler la terrible catastrophe de la chute des premiers hommes, qui amena sur la terre tant de ténèbres. Malgré cela la lumière luit. Remarquez ce présent, le seul que nous trouvions dans les cinq premiers versets. Il est pittoresque et plein de signification. En dépit du démon, en dépit du péché, des passions humaines qui tendent à tout obscurcir moralement, le Verbe luit de la façon la plus sereine, conformément à sa nature et à son but. Il est là comme un réparateur après la chute. – Et les ténèbres. Hélas, il ne réparera pas tout le mal produit. Car ces ténèbres sont intelligentes ; elles résistent, et refusent de se laisser entièrement pénétrer par la lumière, cf. 3, 19 : « la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». Ce passage nous présente le premier exemple de ce que nous appellerons le « ton tragique » de S. Jean. L’évangéliste cite d’abord un fait heureux, puis il lui rattache sans transition un autre fait, extrêmement douloureux et triste, qui est en contradiction complète avec les bons résultats que l’on croyait pouvoir attendre du premier, cf. versets 10, 11 ; 3, 11, 19, 32 ; 5, 39, 40 ; 6, 36, 43, etc. Sur l’emploi métaphorique du mot « ténèbres » voyez 8, 12 ; 14, 35, 46 ; 1 Jean 1, 5 ; 2, 8, 9, 11. – Ne l’ont pas reçue. Ce tableau est vivant. On croirait voir une masse d’épaisses ténèbres qui se resserrent et se rendent de plus en plus compactes, pour empêcher le soleil de pénétrer parmi elles et de les dissoudre. Éphésiens 3, 18 : Ils ont l’intelligence obscurcie et sont éloignés de la vie de Dieu, par l’ignorance et l’aveuglement de leur cœur. C’est à tort que le verbe grec a parfois (à la suite, il est vrai, d’illustres exégètes, tels qu’Origène et S. Jean Chrysostome) été traduit par « arrêter, dominer ».
Jean 1.6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu, son nom était Jean.
« Jusqu’alors l’évangéliste traitait de la divinité du Verbe, il commence ici à traiter de l’incarnation du Verbe », S. Thomas d’Aquin. Le Précurseur ouvre la marche (versets 6-8), comme dans les synoptiques et dans la vie réelle de Notre-Seigneur Jésus‑Christ. Le verset 6 indique sa nature et sa dignité ; les versets 7-8 développent son rôle. Très peu de paroles, mais une grande richesse de pensées. S. Jean renvoie tacitement ses lecteurs aux trois premiers évangiles pour les détails. – Il y eut ; comme au verset 3 ; Le Verbe « était », le Précurseur « devint », il eut un commencement. Notez le manque absolu de transition ; le narrateur passe brusquement à son nouveau sujet. – Un homme. Le Logos était Dieu, Jean‑Baptiste n’était qu’un homme. – Envoyé de Dieu. Cet homme est caractérisé d’abord en termes généraux : c’était un apôtre, un divin messager, cf. Malachie 3, 1 ; 4, 5. La formule grecque n’est pas une simple périphrase pour « fut envoyé » ; le participe est un véritable attribut, qui doit être traduit à part : Il y eut un homme, envoyé de Dieu. – Son nom était Jean. Beau nom, tout à fait significatif (Iochanan, le Seigneur a fait grâce). voyez commentaire Luc, 1, 13. Le Précurseur est mentionné vingt fois dans le quatrième évangile ; mais jamais on n’y ajoute à son nom l’épithète de Baptiste.
Jean 1.7 Celui-ci vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui : – Celui-ci résume et récapitule le verset 6 : Cet homme, envoyé de Dieu. – Vint désigne les débuts du ministère public de S. Jean. Matth. 3, 1. « Et il vint dans toute la région du Jourdain, prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés », cf. Luc. 3, 3. – En témoignage. Voilà, sous son aspect général le rôle de Jean‑Baptiste : il devait être un témoin. Les mots suivants, pour rendre témoignage à la lumière déterminent l’objet spécial de sa mission : son témoignage concernait le Verbe‑lumière. Sur la particule grecque ἵνα (pour), dont notre évangéliste fait un si fréquent usage, surtout pour marquer une intention divine, voyez la Préface, § 6, 2 ; μαρτυρεῖν (témoigner) et μαρτυρία (témoignage) comptent aussi parmi ses expressions favorites : elles reviennent environ cinquante fois dans son évangile, près de quarante fois dans ses lettres et l’Apocalypse. – Afin que tous croient. C’était le but final du témoignage de Jean‑Baptiste : inciter tous les hommes à croire en N.-S. Jésus‑Christ. Sans doute, « tous » désigne plus directement les Juifs, car c’est d’abord à leurs oreilles que retentit la prédication du Précurseur (cf. versets 19 et ss.) ; mais cette expression convient aussi au genre humain tout entier, puisque, dans le plan divin, Jean faisait partie intégrante d’un système religieux au moyen duquel la foi devait pénétrer chez tous les peuples sans exception. Voyez du reste, Matth. 3 , 7-10, la vigueur avec la quelle il contestait l’interprétation outrée que l’Israël d’alors donnait de ses privilèges nationaux. L’emploi du verbe « croire » sans complément est très fréquent dans le quatrième évangile, cf. v. 51 ; 4, 41, 42, 48, 53 ; 5, 44 ; 6, 36, 64 ; 11, 15, 40 ; 12, 39 ; 14, 29 ; 19, 35 ; 20, 8, 29, 31. – Par lui : par l’intermédiaire du Précurseur.
Jean 1.8 non que celui-ci fût la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière. – Non que celui-ci fût… . […] Ce n’est pas lui qui était la lumière. Comparez 2, 21 ; 5, 19, 35, 46, 47 ; 6, 29 ; 8, 42, 44 ; 9, 9, 11, 25, 36, etc. Cet usage est encore caractéristique des écrits de S. Jean. – La lumière, cf. v. 4. Quelque grand que fût Jean‑Baptiste, il n’était pas lui‑même source de lumière, mais simplement il réfléchissait la lumière qu’il recevait ; ou, pour employer les expressions de Jésus lui‑même (5, 35), « la lampe qui brûle et qui brille » (voyez le commentaire). S. Augustin le dit avec son énergie ordinaire : « Qui était‑il pour rendre témoignage de la lumière? C’était quelque chose de grand, grand mérite, grande grâce, grande élévation. Admirez-le, oui, admirez-le, mais admirez-le comme une montagne. Or, une montagne demeure dans les ténèbres, à moins que la lumière ne vienne l’éclairer de ses rayons », Tract. 2, 5. – Mais il avait à rendre témoignage…Le narrateur insiste d’une manière étonnante sur cette idée : Jean‑Baptiste est un témoin du Verbe, pas davantage. Comme on l’a souvent répété, il le fait évidemment dans un but polémique, pour réfuter les erreurs qui avaient cours, même à la fin du premier siècle, sur la personnalité et le rôle du Précurseur. Voyez l’épisode significatif du livre des Actes, 19, 1-6, cf. Clement. Recognitiones, 1, 54, 60. Jean avait été pourtant si fidèle à sa mission de témoin du Christ.
Jean 1.9 La lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme, venait dans le monde. – C’était la vraie lumière. Nous revenons au Verbe‑lumière et à son action sur les hommes, cf. versets 4 et 5. « Était » (toujours ce majestueux imparfait) a « Verbe » pour sujet sous‑entendu ; « lumière » est ici un attribut. Les adjectifs vrai et parfait reviennent souvent dans le quatrième évangile et dans les autres écrits de S. Jean ; ils expriment des nuances délicates. Le premier est le contraire de menteur, trompeur ; le second caractérise un être qui correspond à son idéal, qui est par conséquent complet et parfait. Telle est la lumière du Verbe, cf. 6, 32, « le vrai pain venu du ciel » ; 15, 1, « moi, je suis la vraie vigne ». – Qui éclaire. Le présent après l’imparfait, comme aux versets 4 et 5 ; construction très expressive. L’objet des divines illuminations du Verbe est marqué par les mots « tout homme ». L’absence d’article dans le grec et l’emploi du singulier accentuent davantage la pensée : pour que personne ne soit exclu. Et non seulement personne n’est exclu, mais chaque homme est compris dans cette formule d’une manière individuelle. La plupart des versions anciennes (en particulier l’Itala, la Vulgate, le syriaque, le copte) rattachent à « homme », le qualificatif « venant en ce monde », qui est ambigu dans le texte grec et peut dépendre aussi de « lumière » : de même le plus grand nombre des commentateurs. C’est une locution générale calquée sur le mot hébreu des Rabbins (venir au monde, c’est-à-dire « naître » ), et destinée encore à placer tous les hommes sans exception sous les rayons illuminateurs du Verbe. Quelques exégètes préfèrent néanmoins l’autre liaison, et traduisent : Il était la vraie lumière.., laquelle venait (alors) en ce monde. Leur interprétation ajoute, il est vrai, une heureuse idée au texte, en préparant l’apparition historique du Verbe (vers. 10 et 11).
Jean 1.10 Il était dans le monde et le monde a été fait par lui et le monde ne l’a pas connu. Phrase analogue à celle du verset 1 : de part et d’autre trois propositions courtes, solennelles, simplement juxtaposées. – Il était dans le monde. On admet communément que l’évangéliste se reporte aux temps qui précédaient l’Incarnation, cf. versets 4 et 5. Même avant de se manifester aux hommes comme l’un d’entre eux, le verbe vivait au milieu du monde, et il était aisé de le reconnaître dans ses œuvres. L’expression «monde», l’une des plus fréquemment employées par saint Jean (quatre‑vingts fois dans son évangile, vingt‑deux fois dans sa première lettre), désigne ici d’une manière plus spéciale le monde païen, par opposition au peuple théocratique, verset 11. – Et le monde a été fait par lui, cf. verset 3 et le commentaire. – Et le monde ne l’a pas connu. Nous retrouvons le ton tragique plus encore qu’au verset 5. Le narrateur avait admirablement mis en relief les circonstances qui semblaient devoir préparer au verbe l’accueil le plus favorable de la part du monde. Le monde, où il attestait de tant de manières sa présence bienfaisante ; le monde, où il continuait d’exercer son action créatrice. Et cependant l’incrédulité, quoique impossible en apparence, a été le grand crime de ce monde ingrat : il n’a pas voulu acquérir la connaissance du Verbe.
Jean 1.11 Il vint chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. Autre insuccès du Verbe, encore plus douloureux parce qu’il paraissait alors impossible. Les versets 9 à 11 forment comme trois cercles concentriques, qui vont se rapprochant progressivement de leur centre commun. Au verset 9, le Logos brille suspendu au firmament moral et illumine divinement tous les hommes ; au verset 10, le voilà en communications plus intimes avec le monde, mais le monde ne s’inquiète pas de lui ; au verset 11, nous le voyons rejeté même d’Israël, son peuple de prédilection. En effet, ce sont certainement les Juifs qui sont désignés par les expressions chez lui. Plusieurs passages de la Bible nous les montrent comme la nation choisie de Dieu, qui lui appartenait en propre (en hébreu littéralement : le peuple de la propriété). La Palestine est la « terre d’Emmanuel ». Aussi, les relations du Logos avec Israël sont‑elles marquées non par « était », mais par un verbe plus concret, vient. Il est venu dans la Terre‑Sainte comme « chez lui », pour avoir avec « les siens » d’étroites et amicales communications. – Le résultat de sa venue est exprimé sur un ton plus profondément élégiaque et douloureux que jamais : et les siens ne l’ont pas reçu. Les ténèbres n’avaient pas saisi la lumière (verset 5), le monde n’avait pas connu le Verbe (verset 10) ; maintenant nous avons une expression plus forte, qui correspond à une culpabilité plus grande des Juifs [les élites juives : la majorité du Sanhédrin] : ils ont opiniâtrement et volontairement refusé de recevoir leur Maître, leur Messie‑Roi. Voyez, dans le grec, le verbe composé qui est ici plein de solennité. Il signifie proprement « recevoir chez soi », et convient très bien pour décrire l’accueil que les Juifs auraient dû faire au Verbe comme nation. Et pourtant, quelle délicatesse dans cette énergie même car Israël fut loin de s’en tenir à une incrédulité négative envers N.-S. Jésus‑Christ. Voir Isaïe 53, 1-6, sur le rejet de Jésus.
Jean 1.12 Mais quant à tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, – à tous ceux… Toutefois, l’insuccès du Logos ne fut pas absolu. Il trouva soit chez les Juifs, soit dans le monde païen, des partisans fidèles qui adhérèrent à lui. La particule grecque établit un contraste entre ces croyants et les incrédules des versets 10 et 11. « à tous ceux » relève le caractère individuel, isolé des conversions. Le monde et Israël, en tant que masses, rejetèrent le Christ ; ce furent de simples particuliers qui le reçurent. On ne fit nulle part à Jésus‑Christ de réception officielle, pour ainsi dire. – Il a donné : A ses amis, le Logos sut offrir la plus magnifique récompense en échange de leur dévouement : le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Le terme grec ne désigne pas seulement une possibilité mais un vrai droit, un pouvoir réel. Et quel droit. Le glorieux et ineffable privilège de la filiation divine, dont S. Paul exposera tout au long les avantages. Remarquez pourtant la différence qui existe : le Fils unique de Dieu possède ce titre de toute éternité ; il ne « devient » pas fils comme nous. – A ceux qui croient : L’évangéliste ajoute une explication, pour dire à quelle condition les hommes pourront devenir enfants de Dieu, ou, en d’autres termes, ce que c’est que recevoir le Verbe. L’une et l’autre de ces choses se résume dans la foi, ce mot si important de l’évangile et du christianisme. – En son nom : Hébraïsme d’un usage très commun dans les deux Testaments. Le nom est considéré comme une révélation de celui qui le porte, comme l’expression adéquate de sa nature : croire au nom du verbe c’est donc croire à sa divinité. S. Jean construit le Verbe « croire », tantôt avec la préposition « en » et l’accusatif (trente‑cinq fois dans son évangile), tantôt simplement avec le datif : la première formule, employée dans ce passage, est beaucoup plus énergique, comme nous le redirons de temps à autre.
Jean 1.13 qui sont nés non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. Beau développement des mots «enfants de Dieu » (verset 12) . La filiation divine, à laquelle ont droit tous ceux qui croient à N.-S. Jésus‑Christ, ne s’obtient pas par la génération humaine, ainsi que le pensaient les Juifs ; comme son nom l’indique, elle provient directement de Dieu. Ces deux idées sont mises en opposition de la manière la plus expressive. La première, sur laquelle S. Jean insiste davantage, est répétée coup sur coup jusqu’à trois fois, au moyen de synonymes énergiques placés en gradation ascendante. – Qui ne sont pas nés du sang. « non comme le fils d’un mortel, mais comme un rejeton de la race divine », Tite Live, 38, 58. Le sang était regardé chez les anciens comme le centre de la vie physique, cf. Genèse 9, 4 ; Lévitique 17, 1, 14 ; Deutéronome 12, 23, etc. D’après quelques commentateurs, le pluriel grec désignerait le sang du père et celui de la mère, communiqué à leurs enfants. D’autres le regardent comme un hébraïsme. On voit plus communément aujourd’hui dans l’expression « du sang » un pluriel idiomatique, et désignant les particules multiples dont le sang, comme tout autre liquide, est composé. – Ni de la volonté de la chair. Par chair, il faut entendre, d’après de nombreux passages du Nouveau Testament et surtout de S. Paul, l’homme animal et ses appétits inférieurs, sensuels. – Ni de la volonté de l’homme. Troisième assertion, qui reprend et résume les deux autres. La gradation est marquée en ces termes par S. Thomas : « Du sang, donc d’une cause matérielle ; de la volonté de la chair, donc d’une cause liée à la concupiscence ; de la volonté de l’homme, donc d’une cause d’ordre intellectuel ». La « volonté de l’homme », c’est la personnalité supérieure à l’instinct aveugle. – Mais de Dieu. Contraste saisissant. Un seul mot opposé aux trois qui précèdent ; une naissance toute spirituelle en face de l’origine charnelle et matérielle ; une seconde humanité qui vient remplacer la première. « Notre naissance est une naissance virginale. Dieu seul nous fait naître de nouveau comme ses enfants », Bossuet. – Sont nés. « ont été engendrés » en grec. Fait étrange S. Irénée et Tertullien protestent contre le pluriel ; ils réclament le singulier comme la vraie leçon, et appliquent ce mot au Verbe de Dieu. C’est une erreur évidente, que le contexte réfute suffisamment, sans parler de tous les documents anciens. Quelle beauté dans ce titre de « fils de Dieu » ainsi conféré aux croyants. Nous le trouvons parfois dans les écrits de l’Ancien Testament pour désigner les relations d’Israël avec Dieu ; mais il est loin d’avoir la même signification que sous la nouvelle Alliance. Là il exprime seulement une affection, une tendresse particulières, mais jamais une adoption proprement dite, cf. Exode 4, 22 et s. ; Deutéronome 14, 1 ; 32, 11 ; Isaïe 43, 1, 15 ; 45, 11 ; 63, 16 ; 64, 7 ; Jérémie 31, 9, 20 ; Malachie 1, 6 ; 2, 10, etc.
Jean 1.14 Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu’un fils unique tient de son Père, plein de grâce et de vérité. – Voici le sommet de l’histoire du monde et des divines bontés. – Et le Verbe s’est fait chair. Le Verbe fait chair. Saint Jean ne recule pas devant le réalisme de cette expression. Il aurait pu dire « il s’est fait homme », comme nous faisons dans le Symbole ; mais il a choisi à dessein le mot le plus énergique et le plus humble, afin de mieux marquer les profonds anéantissements de N.-S. Jésus‑Christ, cf. Philippiens 2, 6 et s. Il aurait pu dire aussi : « Le Fils de Dieu s’est fait chair » ; mais, pour un motif semblable au précédent, il a voulu employer de nouveau le nom de Logos, qui nous rappelle les inexprimables grandeurs marquées aux versets 1- 5. Enfin il aurait pu dire : « Le Verbe s’est uni à la chair » ; mais ici encore il a pris l’expression de l’humilité. « Dans tout le reste, (le Verbe) était, et voici qu’il commence à être fait » (Bossuet), à devenir, comme ses propres créatures, cf. versets 3, 6 12. C’est une phrase unique au monde, et digne du mystère qu’elle représente. 1 Jean 4, 2, et 2 Jean 7, nous trouvons la locution analogue « venir dans la chair », également appliquée au Fils de Dieu ; mais elle est loin d’avoir la même vigueur. Du reste, par ce langage expressif, l’apôtre donnait le coup de mort au docétisme, qui niait en Jésus‑Christ la réalité de l’Incarnation. Quant aux détails de ces deux sublimes mystères, saint Luc les a plus longuement exposés dans un récit tout virginal, 1, 28-38. – Et il a habité parmi nous Le verbe grec (littéralement : il a habité sous la tente) est plus pittoresque. Il rappelle, d’une part, le tabernacle mobile (la tente sacrée), sous lequel le Seigneur avait daigné habiter au milieu des Juifs durant de longues années, et d’autre part, le caractère transitoire du séjour que le Logos devait faire dans le monde sous la forme humaine, cf. 16, 28. Saint Jean est seul à l’employer, cf. Apocalypse 7, 15 ; 12, 12 ; 13, 6 , 21, 3. – Et nous avons vu ; en grec : nous avons contemplé, vu à notre aise. Dans sa première lettre, qui sert, ainsi qu’on l’admet généralement, d’introduction à son évangile, saint Jean développe lui‑même admirablement cette pensée : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. » (1 Jean, 1, 1-3). Il y a là un véritable accent de triomphe. L’apôtre se souvient avec émotion du bonheur qu’il a eu de contempler personnellement, avec les autres apôtres et disciples, les merveilles du Verbe fait chair. – Sa gloire. Quoique le Logos, en devenant comme l’un de nous, se fût dépouillé de ses attributs divins, néanmoins des faits nombreux, durant sa vie mortelle, attestèrent son origine et sa nature célestes. Les miracles qu’il multipliait sous ses pas, et spécialement celui de la Transfiguration (cf. Luc. 9, 32 ; 1 Pierre 1, 17), furent de brillants rayons de sa gloire. – Gloire, répétition solennelle en vue de compléter la pensée. – Comme celle qu’un Fils unique tient de son Père. Saint Jean ne fait usage de l’expression « unique » que pour désigner N.-S. Jésus‑Christ. Ici elle différencie le Verbe incarné des nombreux enfants de Dieu signalés plus haut, verset 12. Lui, il possède la filiation divine dans un sens propre et unique. « Comme » dénote çà et là dans les saints Livres, et spécialement dans ce passage, une ressemblance exacte et réelle, une complète identité. Ce n’est pas une comparaison, c’est une assertion, cf. Matth. 7, 25 ; Luc. 22, 44 etc. La gloire qui se manifestait dans la personne, et les œuvres et les paroles du Verbe incarné était de telle nature, qu’elle ne pouvait appartenir qu’au Fils de Dieu. Le contexte indique nettement quel est ce fils, quel est ce père. – Deux idées nous ont été déjà présentées dans ce riche verset : le fait de l’Incarnation, et le témoignage du narrateur en l’honneur de « l’Homme‑Dieu ». Un troisième trait révèle brièvement le caractère de l’Homme‑Dieu : plein de grâce et de vérité. La construction, un peu singulière, rend encore la pensée plus saillante. Saint Jean s’était un instant interrompu pour chanter en l’honneur du Verbe un court mais sublime cantique ; il achève maintenant sa phrase, en rattachant « plein » à « Verbe ». Deux attributs essentiels, la grâce et la vérité, ont révélé en Jésus‑Christ le Fils unique du Père. Rien ne pouvait être plus clair pour un Juif ; car l’Ancien Testament associe très souvent ces deux attributs et les signale comme un apanage exclusif du vrai Dieu, cf. Genèse 24, 27, 49 ; 32, 10 ; Exode 34, 6 ; Psaume 86, 15 ; 89, 1-2, etc. Plein de grâce en tant qu’il est la vie, le Verbe est plein de vérité en tant qu’il est la lumière par excellence.
Jean 1.15 Jean lui rend témoignage et s’écrie en ces termes : « Voici celui dont je disais : Celui qui vient après moi, est passé devant moi, parce qu’il était avant moi » En faveur de cette gloire toute divine dont il avait été l’un des premiers témoins, l’évangéliste cite dès maintenant un témoignage explicite du Précurseur. – Rend témoignage. Choisi pour rendre témoignage au Christ (versets 7 et 8), Jean‑Baptiste remplit fidèlement son rôle. L’emploi du temps présent est remarquable ; car, au moment où le disciple bien‑aimé écrivait cette ligne, il y avait plus d’un demi siècle que la bouche du Précurseur était muette ; mais le témoignage subsistait encore avec toute sa force. – Et crie. Dans le grec, au parfait, parce que la voix, au point de vue physique et matériel, avait cessé de retentir. L’expression est très énergique : elle indique une parole vive, émue, sonore. C’était la voix claire et retentissante du héraut qui proclamait publiquement son message, de sorte que tous pussent l’entendre, cf. 7, 28, 37 ; 12, 44. – C’est celui. Début pittoresque. En disant ces mots Jean‑Baptiste montrait du doigt N.-S. Jésus‑Christ, cf. versets 29, 30, 36. L’imparfait exprime une nuance délicate au point de vue du temps. Comme le Précurseur avait répété en différentes circonstances l’assertion solennelle « Celui qui doit venir après moi » (cf. v. 27 ; Matth. 3, 11 ; Marc. 1, 7 ; Luc. 3, 16), on suppose ici qu’il se reporte par la pensée au moment où il la proférait pour la première fois avant l’apparition de Jésus sur les bords du Jourdain. – Dont je disais. Voilà celui que j’avais en vue lorsque je vous disais… – Celui qui vient… Parole solennelle, qui détermine avec la plus grande netteté les relations mutuelles du Verbe fait chair et de S. Jean‑Baptiste. C’est, dans la forme extérieure, un de ces paradoxes apparents que les Orientaux ont constamment goûtés. On joue en quelque sorte avec les mots « après et avant, qui doit venir, a été fait, et était ». La pensée est très riche, très profonde. Elle revient à la phrase suivante en langage occidental : Quoique Jésus, en tant qu’homme, n’ait apparu qu’après moi sur la terre, il me surpasse néanmoins de beaucoup, car il est éternel. – On le voit, nous entendons ici « après moi » sous le rapport du temps ; « a été placé au‑dessus de moi » sous le rapport de la dignité ; « était avant moi » également sous le rapport du temps. Jean‑Baptiste explique pourquoi il dut céder aussitôt le pas à Jésus, et s’effacer peu à peu totalement devant lui : c’était le Verbe éternel.
Jean 1.16 et c’est de sa plénitude, que nous avons tous reçu et grâce sur grâce,– Dans les trois derniers versets du prologue (16-18) l’évangéliste confirme l’assertion de Jean‑Baptiste par l’expérience de tous les croyants. C’est à tort qu’on a quelquefois regardé ce passage comme la continuation des paroles du Précurseur : les mots « Et nous avons tous reçu » ne sauraient convenir à son temps spécial. – De sa plénitude… Le narrateur, revenant sur les mots « plein de grâce et vérité » du verset 14, en confirme la vérité par un ensemble de faits magnifique. Le Verbe incarné, répète‑t‑il d’abord, possède réellement une plénitude de tous biens. « Donner, pour lui, veut‑il dire, ce n’est pas partager, il est lui‑même le principe et la source de tous les biens ; il est la vie même, la lumière même, la vérité même ; il ne retient pas en lui‑même ses trésors, mais il les répand sur tous les autres ; et après qu’il les a répandus, il demeure plein ; après qu’il a donné, aux autres, il n’a rien de moins ; mais il prodigue ses biens, toujours il les répand, et en les répandant avec profusion sur les autres, il demeure dans la même perfection, dans la même plénitude », S. Jean Chrysostome Hom. 14 in h.l, cf. Éphésiens 1, 23 ; Colossiens 1, 19 ; 2, 9. – Tous. Ce ne sont pas seulement les apôtres et les disciples (verset 14) qui ont puisé à cette source abondante, intarissable, mais tous les fidèles. Et cette consolante parole est aussi vraie qu’à l’époque de S. Jean. Les grâces du Verbe ont débordé sur des siècles, et ses trésors sont pleins comme au premier jour. – Et grâce pour grâce. Ces mots ont reçu d’assez nombreuses interprétations : qu’il suffise de citer les principales. 1° La grâce de l’évangile substituée à la grâce de l’Ancien Testament (S. Jean Chrysost., S. Cyrille, S. Léonce, Théophylacte, Euthymius, etc.). Cette explication est peu en harmonie avec le verset 17, qui fait de la grâce un apanage de la nouvelle Alliance. 2° La grâce de la gloire dans le ciel, après la grâce de la foi sur cette terre (S. Augustin). Cela semble un peu recherché. 3° Grâce pour grâce ; c’est-à-dire, une série nouvelle de grâces en récompense de celles qu’on aura fidèlement mises à profit. 4° Grâce sur grâce, grâces qui débordent l’une après l’autre des trésors du Verbe. Cette dernière interprétation a nos préférences.
Jean 1.17 parce que la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. – A la façon de S. Paul, l’évangéliste établit un rapide et frappant contraste entre l’Ancien Testament et le Nouveau, pour mettre en relief la haute supériorité de ce dernier. – La loi a été donnée par Moïse : la loi par excellence. Tous les mots portent, Moïse avait donné une loi ; loi sublime, sans doute, qui avait été pour Israël un précieux avantage ; mais rigoureuse et difficile à accomplir. De plus, il ne l’avait pas donnée de son propre fond, mais comme un simple médiateur, cf. Galates 3, 19. – La grâce et la vérité (cf. verset 14), ces deux biens incomparables, voilà ce que nous tenons directement de N.-S. Jésus‑Christ. L’omission de toute particule au début de la seconde proposition rend le contraste plus saillant. – Par Jésus‑Christ. S. Jean écrit ici pour la première fois ce beau nom. Maintenant que le Verbe divin, le Fils de Dieu, s’est incarné, on lui donne sa dénomination historique, sous laquelle il demeure plus connu et à jamais adoré. – Sont venues. La grâce et la vérité « vinrent », prirent naissance en quelque sorte avec l’Incarnation ; car, auparavant, elles n’existaient que d’une manière imparfaite. Ainsi donc, le Nouveau Testament a de toutes façons la prééminence sur l’Ancien. Il l’emporte par la nature du bienfait accordé : la grâce et la vérité en place d’une législation sévère. Il l’emporte sous le rapport des médiateurs : d’une part un homme , cet homme fût‑il Moïse ; de l’autre le Logos fait chair. Il l’emporte par le mode dont fut conféré le bienfait : là Moïse reçoit des mains de Dieu les institutions théocratiques pour les communiquer aux Juifs. Ici, « Jean dit que le Christ a non seulement donné, mais encore fait la grâce… Le Christ n’a pas reçu la grâce, il l’a faite, car il est lui même fontaine de grâce ». Maldonat.
Jean 1.18 Dieu, personne ne le vit jamais : le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.– L’évangéliste expose le but de l’Incarnation, lequel consistait à révéler, à manifester le Seigneur, demeuré en grande partie inconnu jusqu’alors. Plus haut, verset 14, Jésus‑Christ nous avait été présenté comme plein de grâce et de vérité. Le verset 16 a séparé ces deux éléments pour insister davantage sur la grâce. Le verset 17 les a de nouveau réunis. Voici que la vérité est à son tour envisagée à part. – Le substantif « Dieu » est mis en avant comme portant l’idée principale. – Personne ne le vit jamais : Grand luxe de négations. Le verbe grec est au parfait, pour mieux accentuer la chose. Non, jamais ; non, personne. Pas même Moïse, auquel l’allusion est si visible. Exode 33, 18 et ss. : Moïse dit : « Je t’en prie, laisse‑moi contempler ta gloire. » Le Seigneur dit : « Je vais passer devant toi avec toute ma splendeur, et je proclamerai devant toi mon nom qui est : LE SEIGNEUR. Je fais grâce à qui je veux, je montre ma tendresse à qui je veux.» Il dit encore : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie. » Le Seigneur dit enfin : « Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir ». Les autres théophanies de l’Ancien Testament n’ont de même manifesté que très incomplètement l’être divin. Comment donc les hommes parleraient‑ils de Dieu d’une manière exacte et adéquate ? – Quelle différence pour N.-S. Jésus‑Christ , le Fils unique du Père. Au verset 14 nous avons déjà trouvé cette épithète fils unique significative. Elle accompagne ici, dans un certain nombre de documents très anciens non pas le substantif (ainsi que portent la plupart des manuscrits, des versions et des pères grecs ou latins), mais « Deus, Dieu » (d’après […] le syriaque révisé, S. Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Didyme, etc. ). Cette seconde leçon, qui est plus difficile, et même étrange au premier regard, pourrait bien être la vraie. Elle a été adoptée fin XIXème siècle par de nombreux critiques et commentateurs. D’ailleurs, le sens est identique de part et d’autre. – Qui est dans le sein du Père. Charmant tableau, qui dénote l’intimité la plus complète, par conséquent une connaissance absolue de Dieu. L’image est empruntée aux manifestations de la tendresse humaine, cf. 13, 23 ; Nombres, 11, 12. Notez encore le temps présent, qui marque si bien l’éternité, la permanence, et, dans le texte grec, la nouvelle association du mouvement et du repos. Même après l’Incarnation le verbe demeure au sein du Père, échangeant avec lui ses communications indicibles. – Voilà celui est emphatique comme au verset 8 : Lui et aucun autre. S. Jean aime cet usage du pronom, cf. v. 33 ; 5, 11, 37, 39, 43 ; 6, 57 ; 9, 37 ; 12, 48 ; 14, 12, 21, 26 ; 15, 26, etc. – L’a fait connaître . Le verbe a été admirablement choisi, car il représente une interprétation complète, une parfaite exégèse. L’objet de ces merveilleuses narrations du verbe fait chair n’est pas directement exprimé, mais il ressort clairement du contexte : c’est Dieu, sa nature, ses attributs, ses volontés. La raison seule ne nous fournit que des lambeaux de « théologie » ; la révélation de l’Ancien Testament laisse en blanc bien des pages du magnifique traité sur Dieu. Heureusement, Jésus‑Christ qui sait tout, qui a tout vu au sein du Père, a daigné se faire notre instructeur. – Et maintenant, « taisez-vous, pensées humaines. Homme, viens te recueillir dans l’intime de ton intime… Répétons : Au commencement était le Verbe ; au commencement, au‑dessus de tout commencement était le Fils. Le Fils, c’est, dit S. Basile (Orat. De Fid., Hom. 25) un Fils qui n’est pas né par le commandement de son Père, mais qui par puissance et par plénitude a éclaté de son sein : Dieu de Dieu, lumière de lumière, en qui était la vie, qui nous l’a donnée. Vivons donc de cette vie éternelle, et mourons à tout le créé. Amen. Amen ». Bossuet, Elévat. sur les Myst.
Jean 1.19 Et voici le témoignage que rendit Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : « Qui êtes-vous ? » – Les mots voici le témoignage de Jean dominent et caractérisent ces mêmes épisodes. – Lorsque signale l’occasion du premier témoignage raconté par notre évangéliste. L’époque n’est pas directement indiquée ; mais il résulte des versets 29-34 que la scène dut se passer après le baptême de N.-S. Jésus‑Christ . – Les Juifs. Cette dénomination, qui est très rare dans les synoptiques, revient plus de soixante‑dix fois dans le quatrième évangile. D’après l’étymologie et l‘usage primitif, elle ne s’appliquait qu’aux seuls membres de la tribu de Juda ; mais, depuis l’exil, elle fut employée pour désigner indistinctement touts les descendants de Jacob, à quelque tribu qu’ils appartinssent. Quoique saint Jean la prenne parfois dans ce sens général (cf. 2, 6, 13 ; 3, 1 ; 5, 1 ; 6, 4 ; 8, 31, etc.), il lui attribue fréquemment, et c’est ici le cas, une signification particulière, selon laquelle nous devons entendre les chefs religieux de la nation juive, et, plus spécialement encore, ces chefs en tant qu’ils étaient hostiles au Seigneur Jésus, cf. 2, 18, 20 ; 5, 10, 15, 16, 18 ; 7, 1, 11, 13 ; 9, 22, etc, etc. Il s’agit en cet endroit du Sanhédrin, corps célèbre dont nous avons exposé la constitution dans notre commentaire sur saint Matthieu, 2, 4. Le rôle des sanhédristes étant avant tout religieux, ils n’outrepassaient pas leurs droits en faisant interroger saint Jean‑Baptiste à propos de son ministère ; La Mischna (tr. Sanhedr. 1, 5) réserve formellement au tribunal des Soixante‑et‑onze le jugement d’une tribu, d’un prophète et d’un grand‑prêtre. Il est à croire néanmoins que, dans la circonstance présente, leur mobile principal fut moins le véritable esprit de zèle qu’un sentiment d’aversion et de rivalité contre le Précurseur. Voyez Maldonat. Le parti pharisaïque avait alors la prépondérance dans le Grand Conseil des Juifs (cf. verset 24) ; or, nous savons par saint Matthieu, 3, 7 et suiv., que Jean‑Baptiste avait attaqué vigoureusement les vices des pharisiens dès les premiers jours de sa prédication. – De l’emploi si fréquent du mot « Juifs » dans le quatrième évangile, quelques rationalistes ont voulu conclure que son auteur n’était pas Juif de naissance, et par suite, que saint Jean ne saurait l’avoir composé. La déduction est des plus illogiques. Le fait en question prouve seulement que le quatrième évangile fut écrit pour les païens, à une époque où les Chrétiens et les Juifs formaient deux corps bien séparés, bien distincts, de sorte qu’un Juif converti n’était plus un Juif, mais un chrétien. – Les Juifs envoyèrent de Jérusalem. Ce fut une députation en forme, qui partit du cœur même de la théocratie, de la ville sainte, pour rejoindre saint Jean sur les bords du Jourdain (verset 28). Elle se composait de prêtres et de lévites : choix bien naturel, puisque le point à traiter était éminemment religieux, ecclésiastique. Les prêtres étaient par excellence les théologiens de la nation ; les lévites les accompagnent ici comme une escorte d’honneur. Au reste, plusieurs passages de l’Ancien testament (2 Chroniques 22, 7-9 ; 35, 3 ; Néhémie 8, 7) démontrent que les lévites avaient aussi pour fonction d’enseigner la Loi mosaïque ; ils pouvaient donc eux‑mêmes servir de juges, surtout si un grand nombre d’entre eux étaient des scribes ou des docteurs de la loi, comme on l’a souvent conjecturé. Il n’est fait mention d’eux qu’en trois endroits du nouveau Testament (ici, Luc. 10, 32, et Actes 4, 36). – Qui êtes-vous ? Tant de bruit s’était fait autour de la personne de Jean‑Baptiste (cf. Matth. 3, 5 et parall.), qu’on pouvait à bon droit soupçonner en lui un être supérieur. – Maldonat relève très bien le caractère solennel de cette mise en scène : « Soit que l’on considère les envoyés eux‑mêmes, ou ceux qui les avaient envoyés, certainement de la grande synagogue des Juifs, ou le lieu d’où ils avaient été envoyés, ou la personne de Jean à qui ils étaient envoyés, ou l’affaire pour laquelle ils avaient été envoyés, tout montre que cette délégation avait une importance extrême, et montre l’importance du témoignage de Jean sur le Christ. C’est pourquoi l’évangéliste la raconte de façon aussi précise ».
Jean 1.20 Il déclara et ne le nia pas, il déclara : « Je ne suis pas le Christ. » – Le Précurseur répond d’abord d’une manière négative aux envoyés du Sanhédrin, cf. verset 21. La série de ses réponses est introduite par une formule remarquable (Et il confessa et il ne nia pas ; et il confessa ), dont l’insistance avait déjà frappé les anciens exégètes. « L’évangéliste dit trois fois la même chose », s’écrie S. Jean Chrysostome. Cette répétition a pour but manifeste de relever la franchise, l’énergie, la netteté, la promptitude avec lesquelles Jean‑Baptiste repoussa le titre immérité qu’on voulait à toute force lui attribuer. Comme un loyal serviteur, il refuse d’usurper l’honneur qui revenait à son maître. Voyez, 5, 33, l’éloge par lequel N.-S. Jésus‑Christ récompensa la noble confession de S. Jean. L’écrivain sacré avait sans doute de nouveau une intention polémique contre les Joannites, lorsqu’il écrivait ces mots pleins de vigueur. Comp. le v. 8 et l’explication. – Je ne suis pas le Christ. En effet, les délégués s’étaient contentés de demander au Précurseur : Qui êtes‑vous ? Mais Jean avait compris toute la portée de leur question ; car il n’ignorait pas quelles idées avaient cours parmi le peuple à son sujet : « Comme le peuple était dans l’attente et que tous se demandaient si Jean n’était pas le Christ », Luc. 3, 15. Il répond donc vraiment à la pensée intime de ses interrogateurs. – Notez le fréquent emploi que S. Jean fait du pronom « Je » dans tout ce passage, et la force avec laquelle il l’accentue, cf. versets 23, 26, 27, 30 (dans le grec), 31, 33, 34.
Jean 1.21 Et ils lui demandèrent : « Quoi donc. Êtes-vous Élie ? » Il dit « Je ne le suis pas. Êtes-vous le prophète ? » Il répondit « Non. – On peut regarder les mots « quoi donc » comme une exclamation de surprise. Et telle paraît être la meilleure traduction. Mais il est loisible aussi de suppléer le verbe « es ». Qui êtes‑vous donc, si vous n’êtes pas le Christ ? – Êtes‑vous Élie ? Cette nouvelle question et les suivantes reflètent très bien la nature des préoccupations religieuses associées alors par les Juifs à leur attente du Messie. Ils supposaient tous, d’après Malachie, 4, 5, 6, que le prophète Élie reviendrait sur la terre peu de temps avant l’apparition du Christ (voyez Matth. 17, 14) ; or, Jean‑Baptiste avait plus d’un trait de ressemblance avec le grand prophète de Thisbé. – Je ne le suis pas. Et pourtant Notre‑Seigneur affirma un jour que S. Jean était un autre Élie (Matth. 11, 14) ; néanmoins le Précurseur et le Christ ne se contredisent pas. Après tout, Jean n’est pas Élie en personne, et, comme on l’a dit avec beaucoup de justesse, il n’a pas à entrer ici dans des distinctions théologiques entre l’Élie personnel et l’Élie figuré ; c’est pourquoi il nie purement et simplement. – Êtes‑vous le prophète ? Dans le grec avec l’article, il s’agit donc d’un prophète déterminé. Lequel ? C’est ce qu’on ne saurait dire avec certitude. D’assez nombreux exégètes ont pensé à Jérémie, auquel les Juifs attribuaient en ces temps un rôle quelconque concernant la venue du Messie, cf. Matth. 16, 14 et le commentaire. D’autres (comme S. Jean Chrysost.) voient ici une allusion au prophète innommé que Moïse promit aux Hébreux dans une célèbre prophétie, Deutéronome 18, 15. Il est vrai que ce prophète ne diffère pas du Messie ; mais la suite du récit (7, 40-41) nous apprendra que telle n’était pas alors l’opinion générale, et que plusieurs, parmi les Juifs, établissaient une distinction entre ces deux personnages. Enfin quelques commentateurs, en petit nombre, supposent que le Christ est directement désigné. Ils s’appuient : 1° sur Jean 6, 14, où nous voyons le peuple se servir de cette locution pour représenter le Messie ; 2° sur Matth. 11, 9 et Luc. 1, 76, où Jean‑Baptiste reçoit d’une manière toute divine le titre de prophète, titre qu’il ne rejetterait pas ici dans le cas où le mot « prophète » ne serait pas synonyme de « Christ ». Mais nous avons vu précédemment que les compatriotes de Notre‑Seigneur n’étaient pas d’accord touchant la nature du prophète prédit par Moïse ; d’autre part, Jean‑Baptiste ne dit pas qu’il n’est pas prophète : ce qu’il nie, c’est d’être le prophète déterminé dont on lui parle. Enfin et surtout, il suffit, pour réfuter cette opinion, de renvoyer ses partisans au verset 26e, où les délégués du Sanhédrin demandent au Précurseur : « Pourquoi donc baptisez-vous si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? ». Ils établissent ainsi très clairement entre le Messie et le prophète une distinction à laquelle le verset 2e nous avait d’ailleurs préparés. Conclusion : le prophète en question semble avoir été rattaché par les Juifs d’alors à l’avènement du Christ ; toutefois nous ne saurions préciser au juste son caractère, qui semble être demeuré assez vague pour les Israélites eux‑mêmes. – Il répondit : Non. « Non ; toujours non, et toujours non : ce n’est qu’un non partout ; et Jean n’est rien à ses yeux … Et quoiqu’il soit si excellent, il n’est rien ». Bossuet, Élévations sur les Myst., 24è sem., 2è élév. Les négations du Précurseur sont remarquables par leur énergie, remarquables aussi par leur brièveté qui va toujours croissant. « Je ne suis pas le Christ ; Je ne le suis pas ; Non. ».
Jean 1.22 Qui êtes-vous donc, lui dirent-ils, afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dites-vous de vous-même ? » – N’ayant rien obtenu de positif par leurs premières interrogations, qui étaient toutes particulières, les prêtres et les lévites en adressent une autre d’un caractère général, qui forcera leur interlocuteur de donner une réponse catégorique. – Afin que nous donnions une réponse …. Délégués officiels, ils devront présenter un rapport au Sanhédrin ; mais, pour cela, ils ont besoin de savoir nettement la manière dont Jean‑Baptiste définit lui‑même son rôle.
Jean 1.23 Il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur, comme l’a dit le prophète Isaïe. » – Il répondit. La réponse désirée ne se fait pas attendre, et elle est aussi claire que possible pour quiconque avait un vrai désir de s’instruire. En effet, pour bien définir sa mission, Jean s’approprie un passage d’Isaïe (40, 3) qui l’avait depuis longtemps prédite. C’est la mission d’un précurseur, et le Seigneur précédé de son héraut n’est autre que le Messie. Voyez l’Évangile selon saint Matth.3, 3. – Je suis la voix : seulement une voix, un cri, « un souffle qui se perd en l’air ». Bossuet. Il y a un grand acte d’humilité dans cette citation, qui n’attribue au Baptiste qu’un rôle très secondaire. – Aplanissez le chemin du Seigneur. Dans les Septante : « préparez ».
Jean 1.24 Or ceux qu’on lui avait envoyés étaient des Pharisiens. – Avant de passer à la seconde partie de l’interrogatoire, le narrateur revient sur le caractère des délégués. Ils appartenaient, dit‑il, au parti pharisaïque. Le motif de cette mention rétrospective est aisé à déduire du contexte. Les Pharisiens, ces ultraconservateurs du Judaïsme, comme on les a spirituellement appelés, tenaient très fort aux traditions et ne pouvaient supporter la moindre innovation sur le domaine religieux (voyez commentaire sous Mth. 3, 7) : or voici que Jean‑Baptiste administrait un nouveau rite.
Jean 1.25 Et ils l’interrogèrent et lui dirent : « Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? »– Pourquoi donc baptises‑vous …. ? Pourquoi. De quel droit. En signalant soudain, sans aucun détail explicatif, le baptême du Précurseur, auquel rien encore ne nous a préparés dans la narration qui précède, l’évangéliste montre qu’il s’adresse à des lecteurs familiarisés avec les écrits de S. Matthieu, de S. Marc et de S. Luc, publiés antérieurement. – Si vous n’êtes ni le Christ… Les prophètes avaient autrefois prédit une ablution messianique, qui devait avoir la vertu de remettre les péchés. « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai », dit le Seigneur à la maison d’Israël par la bouche d’Ézéchiel, 36, 25. Les Pharisiens, qui prenaient ces paroles à la lettre, auraient donc trouvé naturel que le Messie ou ses précurseurs officiellement reconnus, Élie et le prophète, instituassent un baptême ; mais aucun autre, d’après eux, ne pouvait s’arroger ce droit. Ils essaient ainsi de condamner Jean‑Baptiste par ses propres aveux. N’avait‑il pas affirmé catégoriquement qu’il n’était ni le Christ, ni Élie, ni le prophète ?
Jean 1.26 Jean leur répondit : « Moi je baptise dans l’eau, mais au milieu de vous il y a quelqu’un que vous ne connaissez pas, 27 c’est celui qui vient après moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. » – Jean leur répondit : Les rationalistes prétendent que cette réponse du Précurseur est obscure, et qu’elle ne cadre pas avec la question des délégués. Ils ne font que renouveler une vieille objection d’Héracléon, réfutée par Origène, et qu’il est facile de réfuter encore. On demandait à S. Jean de justifier son baptême, et c’est précisément ce qu’il fait ici en indiquant la nature, le caractère de cette cérémonie, et en décrivant son propre rôle par rapport au Messie. – 1° Moi, je baptise dans l’eau. Le Précurseur dut appuyer sur les mots « dans l’eau », montrant par là que ce baptême, qui inquiétait si fort les députés du Sanhédrin, n’était qu’un rite extérieur et rien de plus. – 2° Après ce début déjà très net, il poursuit son apologie indirecte en disant que le Messie a fait son apparition, et qu’il est lui‑même le serviteur, l’avant‑coureur du Christ, ce qui lui confère évidemment le droit de baptiser. Dans la proposition quelqu’un que vous ne connaissez pas, il y a insistance sur le pronom « vous » : à l’ignorance des délégués Jean oppose tacitement les lumières personnelles qu’il a reçues. Vous, vous ne le connaissez pas, mais moi je le connais. C’est au baptême de Jésus que le Précurseur avait été éclairé d’une manière toute merveilleuse sur le rôle du fils de Marie, son parent, cf. versets 31-34 et Matth. 3, 13-17. D’où il suit, comme il a été dit plus haut, qu’un certain temps s’était écoulé depuis ce mystère, quand la députation du Sanhédrin arriva sur les bords du Jourdain. Une comparaison établie entre le verset 29, Matth. 4, 2 et Luc 4, 2, permet d’évaluer ce temps à quarante jours environ. – C’est lui qui vient… Jean‑Baptiste relève très fortement la dignité supérieure du Messie, d’abord en termes positifs (passé devant moi : voyez le v. 15 et le commentaire), puis en termes négatifs : je ne suis pas digne… Voir dans l’Evang. Selon S. Matth., 3, 11, l’explication de la formule expressive : Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale.
Jean 1.28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait. – Cette note, par laquelle l’évangéliste termine son premier récit, ne lui fut « certainement pas dictée par un intérêt géographique ; elle est inspirée par la solennité de la scène précédente, et par la gravité extraordinaire de ce témoignage officiel, adressé aux représentants du Sanhédrin et de la nation tout entière » (Godet, h. l.). Elle n’est pas sans célébrité dans l’histoire de la critique du texte sacré, à cause de la discussion soulevée depuis l’époque d’Origène touchant le mot Béthanie. Origène raconte qu’ayant cherché sur les bords du Jourdain une localité de ce nom, il n’en trouva pas, mais qu’en revanche il en rencontra une autre, appelée Béthabara, qu’on lui dit être sur l’emplacement où le Précurseur avait autrefois baptisé. Il pourrait se faire que Béthabara soit identique à Béthanie, ainsi qu’on l’a depuis longtemps conjecturé ; car, d’un côté, il existe entre ces deux mots une assez grande analogie dans la langue hébraïque, (beth onyah), signifiant « maison du lac », et (beth habarah), « maison du passage » ; d’un autre côté, les bouleversements politiques firent disparaître ou modifièrent bien des noms en Palestine durant les deux premiers siècles de notre ère. – Au‑delà du Jourdain. Le narrateur mentionne ces détails pour empêcher ses lecteurs, peu au courant de la géographie palestinienne, de confondre la Béthanie des bords du Jourdain avec la bourgade habitée par Lazare. Cette dernière était située en Judée, non loin de Jérusalem (cf. 11, 18) : l’autre était en Pérée, on ignore en quel endroit précis, mais plus probablement vers le sud‑ouest. – Où Jean baptisait. Cette construction est souvent employée par les évangélistes pour marquer des actes réitérés, des situations qui se prolongent.
Jean 1.29 Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui et il dit : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. – Il y a gradation dans les témoignages du Précurseur. Plus haut, il s’était borné à dire : Le Messie est parmi vous ; voici maintenant qu’il désigne le Christ d’une manière directe, personnelle, et qui le caractérise par le côté le plus important de son œuvre rédemptrice – Le lendemain. Traduire par « un autre jour, un peu plus tard », serait contraire à la signification habituelle de cette locution. Les dates sont très soigneusement marquées dans ce chapitre et dans le suivant, cf. 1, 35, 43 ; 2, 1, 12, 13, 23. Le narrateur se manifeste en toutes façons comme un témoin oculaire. Le mot « Jean », qu’omettent plusieurs manuscrits très anciens, pourrait bien avoir été inséré par les copistes. – Jean vit Jésus qui venait vers lui. D’où venait alors Notre‑Seigneur ? Quelle circonstance l’amenait auprès de saint Jean ? L’évangéliste néglige ces détails, parce qu’ils n’avaient qu’une importance secondaire pour son récit, et que, d’ailleurs, il ne se proposait pas de tout relater. Mais il est aisé de suppléer à son silence. D’après ce qui a été dit précédemment (note du verset 26), Jésus revenait alors du désert où il avait été tenté par le démon ; et il avait pour but de fournir à saint Jean l’occasion de lui rendre un nouveau témoignage (S. Thom. d’Aquin). – Et il dit : Cette fois, le Précurseur prend de lui‑même la parole : on a conclu du v. 35 (« Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples ») qu’il s’adressait alors à ses disciples, au moins plus spécialement. – Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte... Dans ce passage, qui est l’un des plus beaux et des plus importants de l’Évangile, chaque mot est digne de notre attention, malgré la parfaite clarté de la pensée. – La particule voici dut être accompagnée d’un geste qui montrait la personne sacrée de Jésus. – De Dieu est diversement rattaché à « agneau » par les commentateurs : l’agneau soumis à Dieu (A. Maier), l’agneau agréable à Dieu (Tholuck), l’agneau consacré à Dieu, le divin agneau (plusieurs anciens exégètes), l’agneau destiné par Dieu au sacrifice (Maldonat, Corluy…). L’interprétation la plus simple et la plus naturelle paraît être : l’agneau qui appartient à Dieu, l’agneau de Dieu. « de Dieu » est donc ce que les grammairiens appellent un génitif de propriété. Quant au doux nom « d’agneau », qui convient si bien à N.-S. Jésus‑Christ, c’est évidemment une désignation typique, basée sur l’Ancien Testament ; toutefois, il y a controverse parmi les exégètes touchant le fait particulier qui lui a servi de point de départ dans la pensée de saint Jean. L’agneau qu’on immolait chaque matin et chaque soir dans le temple au nom de tout Israël, pour offrir au Seigneur un holocauste perpétuel (cf. Exode 29, 38 ; Nombres 28, 3 et ss. ) ; l’agneau pascal, que le quatrième Évangile (19, 31) et saint Paul (1 Corinthiens 5, 7) présentent comme un type du Messie, et dont le sang avait autrefois produit d’admirables résultats de salut (Exode 12, 13) ; l’agneau décrit par Isaïe dans son célèbre chapitre 53 (verset 7), se partagent sous ce rapport les préférences des divers auteurs. Mais c’est bien à la prophétie d’Isaïe que le Précurseur faisait plus probablement allusion. Tel était déjà le sentiment d’Origène, de S. Jean Chrysostome, de S. Cyrille, suivi ensuite par Théophylacte, Euthymius, Cornelius a Lapide. L’article placé devant agneau montre que Jean‑Baptiste voulait parler d’un agneau déterminé, connu de tous les Juifs ; or l’agneau de la prophétie d’Isaïe était alors universellement regardé comme une figure du Christ souffrant, cf. Actes 8, 32. Aussi Érasme avait‑il raison d’écrire dans ses annotations : « L’article a non seulement l’emphase de la dignité, mais aussi de la relation : Voici cet agneau, dont a prophétisé Isaïe ». Comparez aussi Jérémie 11, 19, où nous rencontrons le même type : « Moi, j’étais comme un agneau docile qu’on emmène à l’abattoir ». – Les paroles suivantes, celui qui ôte le péché du monde, confirment cette explication, car elles résument tout ce qu’Isaïe, divinement éclairé, disait de l’agneau céleste qui expia nos fautes par son généreux sacrifice. « Enlève » remplace le verbe hébreu qui signifie ordinairement « porter » mais qui, rapproché d’autres mots en maint endroit de l’Ancien Testament, a le sens spécial de enlever les péchés, en offrant à Dieu un sanglante compensation, cf. Lévitique 10, 17 ; 24, 15 ; Nombres 5, 31, 14, 34 ; Ézéchiel 4, 5 ; 23, 5 ; etc. « En voyant Jésus comme l’agneau de Dieu, saint Jean le voyait donc déjà comme nageant dans son sang » (Bossuet). C’est comme s’il l’eût contemplé d’avance portant sa croix et se dirigeant vers le Calvaire. – Notez l’emploi du temps présent : « qui ôte ». L’évangéliste suppose ainsi la certitude et la continuité de notre rédemption par le Seigneur Jésus. – Le péché est mis collectivement pour les péchés ; mais ce singulier est plus expressif que le pluriel. Tous les péchés du genre humain (du monde) sont ainsi envisagés comme une horrible masse que le divin agneau doit faire disparaître. C’est donc l’universalité du salut qui est prédite par le Précurseur, de même qu’elle l’avait été autrefois par les prophètes. – Il est remarquable que ce titre d’agneau, sous lequel l’évangéliste apprit à connaître pour la première fois Jésus, soit celui par lequel le sauveur est désigné de préférence dans l’Apocalypse. La corde qui avait vibré, à cette heure décisive, au plus profond de son être, a retenti chez lui jusqu’à son dernier soupir. Et pourtant, d’après quelques écrivains rationalistes, ce beau titre, dans lequel on a vu justement un abrégé de l’Évangile, n’aurait eu d’autre but que de représenter la douceur et l’innocence de Jésus, sans aucune relation avec l’idée de sacrifice. (Gabler, Paulus, Ewald, etc.).
Jean 1.30 C’est de lui que j’ai dit : un homme vient après moi, qui est passé devant moi, parce qu’il était avant moi. » – C’est de lui que j’ai dit : Après avoir relevé la grandeur de l’œuvre de Jésus‑Christ, Jean revient à sa personne et à sa dignité. Ce qu’il avait autrefois affirmé du Messie d’une manière générale, il le répète pour l’appliquer directement à Jésus. – Un homme vient après moi : Au présent. Voyez le v. 15 et le commentaire. Homme est une expression pleine de noblesse.
Jean 1.31 Et moi, je ne le connaissais pas, mais c’est afin qu’il fût manifesté à Israël, que je suis venu baptiser dans l’eau. » – Dans ce verset et dans les trois suivants, Jean‑Baptiste raconte comment il lui a été donné de connaître le Messie d’une manière infaillible, toute divine. – Et moi je ne le connaissais pas. Saint Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, etc., pensent qu’en réalité le Précurseur n’avait jamais vu N.-S. Jésus‑Christ avant de le baptiser sur les bords du Jourdain, car le fils de Zacharie et d’Élisabeth semble s’être retiré au désert dès ses années les plus tendres, cf. Luc. 1, 80. On suppose néanmoins plus communément que le verbe « connaissais » ne doit pas être pris dans un sens absolu ; on a en effet de la peine à concevoir que la personne, la nature et la mission de Jésus aient pu demeurer si longtemps inconnues de son cousin. Il s’agit donc d’une ignorance relative. Jean ne connaissait pas officiellement le caractère messianique de Jésus tant qu’il n’avait pas reçu d’en haut le signe miraculeux qui devait le lui attester. Cette distinction simple et naturelle fait disparaître toute apparence de contradiction entre ce passage et Mth. 3, 14 (voyez le commentaire). – Afin qu’il fut manifesté… Expression qui met en relief le but principal du baptême administré par le Précurseur. Le but secondaire était de préparer les cœurs à la venue du Messie en les incitant à la pénitence. Quel beau rôle que celui de manifester N.-S. Jésus‑Christ. – à Israël. Saint Jean‑Baptiste sait que sa mission est limitée aux Juifs et qu’elle ne concerne pas les païens, cf. Luc. 1, 16, 17, 76, 77.
Jean 1.32 Et Jean rendit témoignage en disant : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il s’est reposé sur lui. – Et Jean rendit témoignage… Cette formule n’introduit pas un nouveau témoignage distinct du précédent (versets 29-31) : elle sert du moins de transition solennelle au commentaire que le Précurseur va donner lui‑même à ses dernières paroles (verset 31). Jean signale d’abord un fait miraculeux, dont il a été naguère témoin (verset 32) ; puis il montre, d’après une révélation céleste, le rapport qui existe entre ce fait et la dignité de Jésus (verset 33) ; enfin, il raconte comment il a obtempéré aux ordres divins (verset 34). – Le fait nous est connu par les narrations détaillés des synoptiques : Matth. 3, 16 ; Marc. 1, 10 ; Luc, 3, 12, et nos commentaires. C’est la troisième personne de la sainte Trinité qui est représentée par le mot « Esprit ». – Comme une colombe : c’est-à-dire, sous la forme d’une colombe. – Et il s’est reposé sur lui. est un trait important, propre à notre évangile. En planant ainsi d’une manière sensible durant un temps notable sur la tête sacrée de Jésus, la divine colombe attestait qu’en lui se trouvait réalisé la prophétie d’Isaïe, 11, 2 : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur. ». Évidemment Jésus‑Christ, en tant que Verbe de Dieu, n’avait jamais été séparé de l’Esprit saint : ce symbole d’union intime était donc destiné à éclairer d’abord le Précurseur, puis plus tard les Juifs, auxquels celui‑ci en faisait part.
Jean 1.33 Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit-Saint. – Et moi je ne le connaissais pas… Jean‑Baptiste insiste à bon droit sur ce point, cf. verset 31. Son témoignage avait d’autant plus de poids qu’il était entièrement désintéressé, n’étant fondé ni sur la chair et le sang, ni sur l’amitié ou l’inclination, mais sur un avertissement venu tout droit du ciel. – Celui qui m’a envoyé baptiser …m’a dit… Les auditeurs de S. Jean savaient bien que c’était Dieu même qui l’avait envoyé baptiser, cf. Marc. 11, 32 ; Luc. 20, 6. – C’est celui qui baptise dans l’Esprit‑Saint. Autre périphrase solennelle, qui désignait assez clairement le Messie, car Jean‑Baptiste, dans son premier témoignage rendu en face de tout le peuple (Matth. 3, 11 et parall.), s’était servi de ces mêmes expressions pour décrire le rôle du Rédempteur.
Jean 1.34 Et moi j’ai vu et j’ai rendu témoignage que celui-là est le Fils de Dieu. » Et moi j’ai vu. Il y a, dans ces trois mots, comme un accent de triomphe. Un signe m’avait été promis : ce signe, je l’ai vu, je l’ai vu de mes propres yeux, et j’ai cru, cf. verset 32. – Le Précurseur se hâte d’ajouter qu’il s’est mis aussitôt à accomplir sa tâche : et j’ai rendu témoignage ; et à cet instant même il l’accomplissait fidèlement encore. – Le Fils de Dieu. Jean‑Baptiste emploie la locution « fils de Dieu » dans le sens strict, pour représenter Jésus comme le Verbe fait chair, et pas simplement dans le sens large, en tant qu’elle est parfois synonyme de Messie. Le Précurseur se fait donc l’écho de la voix céleste qui, au baptême de Notre‑Seigneur, avait publiquement proclamé sa divinité. Il n’y a rien dans tout cet épisode (versets 29-34) qui ne cadre à merveille avec la narration des synoptiques ; ceux qui prétendent y trouver des antilogies doivent faire violence aux textes pour justifier leurs assertion.
Jean 1.35 Le lendemain, Jean se trouvait encore là, avec deux de ses disciples. – Le lendemain. C’est-à-dire, le surlendemain du jour où la délégation officielle du Sanhédrin était venue trouver saint Jean, cf. verset 29. – Jean se trouvait encore là. Les anciens exégètes louent volontiers cette attitude de Jean‑Baptiste : il est debout pour témoigner de son zèle à remplir son ministère : ou bien, il est debout pour attendre le Messie, son maître. Comp. Habacuc 2, 1. – Avec deux de ses disciples. Sur les disciples du Précurseur, qui paraissent avoir été assez nombreux, voyez Matth. 9, 14 ; 11, 2 ; Marc. 2, 18 ; Luc. 5, 33 ; 7, 18 ; Actes 19, 3. Ceux d’entre eux qui vivaient alors auprès de lui devaient être animés de très ardents désirs, depuis qu’ils connaissaient la personne du Messie .
Jean 1.36 Et ayant regardé Jésus qui passait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. » – Ayant regardé : indique un regard fixe, pénétrant, cf. verset 42 ; Matth. 19, 26 ; Marc. 14, 67 ; Luc. 20, 17, etc. Au verset 29, nous avions simplement « vit ». – Jésus qui passait. Plus haut (verset. 29) : « venait à lui ». La nuance, qui est d’ailleurs facile à saisir, hier, Jésus venait à Jean, comme à celui qui devait l’introduire auprès des futurs croyants. Aujourd’hui le témoignage est rendu ; il n’a plus rien à recevoir de son Précurseur que les âmes que son Père a préparées ; et, semblable à l’aimant que l’on promène dans le sable pour attirer les paillettes métalliques, il se borne à se rapprocher du groupe qui entoure le Baptiste, pour décider la venue à lui de quelques‑uns de ceux qui le composent. Jésus passa donc silencieusement, à quelque distance de Jean et de son entourage. – Il dit : Voici l’agneau de Dieu. Ses disciples l’ayant entendu la veille, le Précurseur n’avait pas besoin de réitérer en entier son témoignage. Il n’en redit que la partie la plus saillante.
Jean 1.37 Les deux disciples l’entendirent parler et ils suivirent Jésus. – Les deux disciples montrèrent par leur conduite immédiate qu’ils avaient compris la signification pratique du regard et des paroles de leur maître. Ce regard et ces paroles signifiaient en effet : C’est à lui qu’il faut vous attacher désormais. Et les voilà qui se dirigent sans hésiter, quoique avec une réserve délicate (comp. le verset suivant)., à la suite de Jésus. N’était‑il pas bien juste que les premiers amis du Christ fussent des disciples de son Précurseur ?
Jean 1.38 Jésus s’étant retourné et voyant qu’ils le suivaient, leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi ce qui signifie Maître, où demeurez-vous ? » – Jésus s’étant retourné et voyant... Les disciples se proposaient sans doute d’accompagner silencieusement Jésus jusqu’à sa demeure et de lui déclarer seulement alors leurs intentions ; mais sa bonté va au devant de leurs désirs, et c’est pour cela qu’il leur demande familièrement, lui qui connaissait tous les secrets des cœurs (cf. 2, 24, 25) : Que cherchez-vous ? Telle est la première parole de Notre‑Seigneur dans le quatrième Évangile. Elle est toute humaine en apparence, et marquée au coin de la plus grande simplicité ; mais, de la bouche qui la proférait sortiront bientôt des enseignements visiblement divins (versets. 42, 47, 48, 51). En rapprochant de ce passage Matth. 3, 15 ; Marc. 1, 15 ; Luc. 2, 49, on aura les quatre premières paroles de Jésus dans les Évangiles. – Rabbi. On donnait d’ordinaire ce titre à un maître révéré ; mais il était loin d’exprimer toutes les espérances que les deux disciples de S. Jean avaient conçues au sujet de Jésus. Le narrateur en donne la traduction, preuve que ceux auxquels il s’adressait étaient d’origine païenne, cf. versets 41 et 42. – Où demeurez-vous ? Ils demandent à Jésus de vouloir bien leur indiquer le lieu où il avait fixé sa résidence temporaire. C’était lui exprimer d’une manière discrète le désir de l’entretenir longuement, et non passagèrement.
Jean 1.39 Il leur dit : « Venez et vous verrez. » Ils allèrent et virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. Or, c’était environ la dixième heure. – Venez et vous verrez. Leur prière est aussitôt exaucée. « Que ces paroles sont douces. et qu’il est doux de savoir où Jésus habite ». Bossuet, Elévat. sur les Myst. Viens et vois. disaient fréquemment les rabbins à leurs élèves, quand ils se disposaient à leur fournir quelques explications sur un point donné ; mais il est probable que la ressemblance des formules est ici toute accidentelle. – Ils allèrent et virent. L’évangéliste répète avec insistance, pour relater ce fait, les expressions, mêmes de Jésus. – Et ils restèrent auprès de lui ce jour‑là. C’est-à-dire, d’après le contexte, depuis la dixième heure du jour jusqu’à l’entrée de la nuit. La parole de S. André au verset 41 nous fait connaître le résultat de cette entrevue. Les deux disciples avaient, en quittant Notre‑Seigneur, des lumières complètes sur son caractère messianique. – c’était environ la dixième heure. Suivant le système alors adopté en Palestine pour la numération des heures, cela revient à 16 heures. D’assez nombreux exégètes pensent, il est vrai, que S. Jean se conforme ici au système romain, en vertu duquel les jours allaient de minuit à minuit, et, dans ce cas, la dixième heure équivaudrait à 10 heures du matin ; mais ils n’apportent aucune raison convaincante de cette dérogation aux coutumes palestiniennes.
Jean 1.40 Or, André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus. – André, le frère de Simon‑Pierre. Voici un fait vraiment remarquable. Il n’a pas encore été question de S. Pierre et l’on désigne son frère d’après lui. Ainsi donc, et les protestants eux‑mêmes le reconnaissent, « Pierre est traité dès l’abord comme le personnage le plus important » (Godet). Cela suppose en outre que les lecteurs auxquels S. Jean s’adressait connaissaient déjà l’histoire évangélique. – Était l’un des deux… Quel était l’autre disciple ? Son nom n’est pas mentionné mais les anciens exégètes avaient déjà très heureusement conjecturé, et la plupart des modernes admettent sans la moindre hésitation, que c’était notre évangéliste lui‑même. Trois arguments puissants démontrent la légitimité de cette croyance. 1° Tout le récit, déjà nous l’avons remarqué, est celui d’un témoin oculaire : ce sont visiblement des souvenirs personnels que l’écrivain a consignés dans ce passage intéressant. 2° S. Jean ne se met jamais directement en scène, mais il a coutume de se dissimuler de la façon la plus délicate et la plus modeste derrière le voile de l’anonyme, cf. 13, 25 ; 18, 15 ; 19, 26, etc. 3° Si le compagnon de S. André n’était pas le narrateur en personne, on ne voit pas pourquoi son nom n’a pas été mentionné tandis que tous les autres le sont, cf. versets 35 et 36. Il paraît bien difficile d’admettre à la suite d’Euthymius et de Maldonat que c’était un « un disciple insignifiant ». – Qui avaient entendu la parole de Jean cf. versets 35 et 36. Voyez plus bas, 6, 45, un emploi semblable du verbe « entendre ».
Jean 1.41 Il rencontra d’abord son frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie, ce qui se traduit Christ. » – Il rencontra d’abord. Quelque leçon que l’on adopte dans le texte grec, il résulte assez clairement de cette locution que l’autre disciple avait aussi un frère, et qu’il s’était mis de même à le chercher pour le conduire à Jésus, mais qu’il ne réussit qu’un peu plus tard à le trouver. Telle est l’interprétation la plus rationnelle ; elle est d’ailleurs la plus commune. Il est moins bien de dire avec Klofutar, A. Maier, de Wette, Alford, L. Abbott, que les recherches simultanées de saint André et de saint Jean se rapportaient uniquement à Simon‑Pierre. Quant à la traduction du professeur américain Jacobus, « La première chose que fit celui‑ci fut de trouver son frère », elle est tout à fait insoutenable. Voilà donc les premiers disciples de Jésus qui travaillent déjà à lui gagner des cœurs ; ils préludent ainsi à leur rôle d’apôtres. – Nous avons trouvé le Messie : André parle du Messie comme d’une personne vivement désirée, longtemps et impatiemment attendue. Mais voici que l’espérance d’Israël est enfin réalisée. Le quatrième évangile est seul à employer le nom de Μεσσἰας, calqué, comme l’on sait, sur l’hébreu « Maschiach », ou, mieux encore, sur la forme araméenne « Meschicha ». Encore n’en fait‑il usage que deux fois (ici et 4, 25), ayant soin de le traduire aussitôt pour ses lecteurs : ce qui signifie le Christ. Messie est donc un mot hébreu ; Christ un mot grec, mis en honneur par la traduction des Septante. La signification est la même de part et d’autre : l’oint de Dieu, par excellence. Voyez l’Evang. selon saint Matth., 1, 16.
Jean 1.42 Et il l’amena à Jésus. Jésus, l’ayant regardé dit : « Toi, tu es Simon, fils de Jean, tu seras appelé Céphas, ce qui se traduit Pierre. » – Et il l’amena. Au verset 41, le narrateur avait mis les verbes au présent ; il se sert maintenant du passé simple. Ce changement de temps donne beaucoup de vie au récit. A trois reprises, nous voyons S. André jouer dans le quatrième évangile le beau rôle d’introducteur auprès de N.-S. Jésus‑Christ, cf. 6, 8 ; 12, 22. Les écrits du Nouveau Testament ne nous racontent pas autre chose à son sujet. Selon toute vraisemblance, l’entrevue décrite au verset 42 eut lieu le même soir que celle des versets 37 et ss. – Jésus l’ayant regardé : La même expression qu’au verset 36. Peu d’heures avant sa mort, Jésus jettera sur S. Pierre un autre regard pénétrant, mais en de tristes circonstances, cf. Luc. 22, 61. Actuellement, par une intuition toute divine (cf. 2, 2), le Fils du l’homme voit le caractère intime du futur prince des apôtres, et il le signale au moyen d’une antithèse remarquable. – Tu es Simon, fils de Jean. C’est-à-dire : Jusqu’ici tu n’as été qu’un homme ordinaire, comme tous les autres fils d’Adam. Mais, à l’avenir, il n’en sera plus ainsi. Tu cesseras d’être simplement le Juif Simon, fils de Jean ; tu seras appelé Céphas. Cette transformation de nom présageait pour Pierre, comme autrefois pour Abraham, Genèse 17, 5, et pour Jacob, Genèse 31, 28, une transformation de nature et de rôle. Képha, forme araméenne de l’hébreu Keph (cf. Job 30, 6 ; Jérémie 4, 29), signifie pierre, rocher, comme l’ajoute l’évangéliste dans une note explicative : ce qui se traduit Pierre, le masculin de « Petra »). C’est là un jeu de mots à la façon orientale, pour dire que Pierre sera un jour le roc inébranlable sur lequel sera bâtie l’Église du sauveur. « Magnifique surnom, qui fait de Simon le principal personnage après Jésus ». Il nous est agréable de recueillir ce précieux aveu dans un commentaire protestant. Les synoptiques ne font jamais usage du mot Céphas, qu’il remplacent par son équivalent grec. S. Jean lui‑même ne le cite qu’en cet endroit. Mais on le rencontre assez fréquemment dans les lettres de saint Paul, cf. 1 Corinthiens 1, 12 ; 3, 22 ; 9, 55 ; 15, 5 ; Galates 1, 18 ; 2, 9, 11, 14. – Les rationalistes ont prétendu qu’il existe une contradiction entre ce récit et Matth. 16, 17, 18, où Notre‑Seigneur, environ deux ans plus tard, dit encore à Simon : « Heureux es‑tu, Simon fils de Yonas … Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre ». Mais où est l’antilogie ? La seconde scène ne suppose‑t‑elle pas au contraire la première, comme H. W. Meyer lui‑même le reconnaît ? Ici le nom est simplement promis, là il est donné d’une manière définitive ; voilà pourquoi nous avons ici le langage de la prophétie, « tu sera appelé », là celui de l’accomplissement, « tu es Pierre ». Simon ne devint Pierre qu’en récompense de sa glorieuse confession (Matth. 16, 16).
Jean 1.43 Le jour suivant, Jésus résolut d’aller en Galilée. Et il rencontra Philippe. – Le jour suivant : Remarquez de nouveau cette indication très précise des dates. Nous avons ainsi quatre jours consécutifs : versets 19, 29, 35 et 43. De pareils détails ne s’inventent guère ; ils contribuent donc pour leur part à prouver l’authenticité du récit. – Le passé simple résolut exprime, comme on l’a fort bien dit, « une volonté réalisée » : l’évangéliste nous transporte par conséquent à l’heure même où Jésus se mettait en route pour regagner sa chère Galilée. – Aller, sortir du lieu qui lui avait servi de domicile temporaire en Judée. – Il rencontra (en grec au présent). Rencontre toute providentielle et bienheureuse pour S. Philippe. L’analogie du contexte semblerait même indiquer que le bon berger avait daigné chercher cette nouvelle brebis, cf. versets 41 et 45. –
Jean 1.44 Et Jésus lui dit : « Suis-moi. » Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre. – Suis‑moi. Il y a dans ces deux mots autre chose qu’une invitation à faire en compagnie de Notre‑Seigneur le voyage de Judée en Galilée. C’est la formule dont Jésus se servait habituellement pour attacher à sa personne, en qualité de disciples intimes, ceux auxquels il s’adressait, cf. Matth. 8, 22 ; 9, 2 ; 19, 21 ; Marc. 2, 14 ; 10, 21 ; Luc. 5, 27 ; 9, 59, etc. S. André, S. Jean et S. Pierre étaient allés eux‑mêmes trouver Notre‑Seigneur ; mais voici que Jésus fait maintenant les premières avances. – Philippe est un nom d’origine grecque, comme André et beaucoup d’autres noms galiléens. On voit par là jusqu’à quel point les districts du nord de la Palestine avaient été envahis par les coutumes et le langage helléniques. – Bethsaïde, la ville d’André. De ce détail, qui est propre au quatrième évangile, nous sommes en droit de conclure que S. Philippe connaissait Pierre et André, qu’il était probablement aussi un disciple de Jean‑Baptiste, et que ses compatriotes lui avaient parlé de leur entrevue avec Jésus. De la sorte, il se trouvait préparé à l’appel du Sauveur. Sur l’emplacement de Bethsaïde, voyez commentaire Mc, p. 103.
Jean 1.45 Philippe rencontra Nathanaël et lui dit : « Nous avons trouvé celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les Prophètes : c’est Jésus, fils de Joseph de Nazareth. » –Philippe rencontra… Les frères ont conduit leurs frères à Jésus ; l’ami lui conduit son ami. Cette nouvelle scène eut lieu probablement au début du voyage ; mais le texte ne détermine rien à ce sujet. Notez le fréquent emploi du verbe « rencontrer » dans ce passage (versets 41-45). Jésus trouve des disciples, ceux‑ci se trouvent mutuellement et trouvent le Messie. – Nathanaël est une dénomination toute juive, qu’on rencontre plusieurs fois dans l’Ancien Testament, cf. Nombres 1, 8 ; 1 Chroniques 2, 14 ; Esdras 1, 9 ; 9, 22. Elle signifie « don de Dieu » et correspond au grec Théodore. On a toujours cru communément depuis Rupert de Deutz (douzième siècle) que le Nathanaël mentionné en cet endroit et vers la fin de notre évangile (21, 2), ne diffère pas de l’apôtre S. Barthélemy. Voyez Salmeron, Cornelius Jansenius, Cornelius a Lap., Calmet, etc. Ce sentiment est rendu pour le moins très vraisemblable par les raisons suivantes : 1° tous les personnages cités à partir du verset 37 devinrent apôtres ; 2° 21, 2, nous voyons encore Nathanaël dans une société qui se compose exclusivement d’apôtres : l’analogie demande qu’il le fût aussi ; or, dans le cercle apostolique, S. Barthélemy peut seul s’identifier avec Nathanaël ; dans les listes des apôtres, S. Barthélemy est d’ordinaire rapproché de S. Philippe, de même qu’ici Nathanaël ; 4° Barthélemy, en hébreu Bar‑tholmaï, est un nom patronymique, qui suppose généralement la coexistence d’un autre nom, personnel et privé. On peut ajouter 5° que plusieurs d’entre les apôtres et les disciples eurent deux noms distincts : Matthieu‑Lévi, Jude‑Thaddée, Jean‑Marc, etc. Les Pères ne s’occupent pas directement de cette question ; quand ils parlent de Nathanaël, ils semblent ne le pas mettre au nombre des Douze, cf. S. August., Tract. 7 in Jean, 17 ; Enarrat. In Ps. 65, 2 ; s. Greg. M., Moral. 33, 1 – Celui dont Moïse a écrit. Paraphrase solennelle du nom de Messie. Les principales prophéties messianiques contenus dans la Loi, c’est-à-dire dans le Pentateuque, sont relatives à la « descendance de la femme », Genèse 3, 15, au lion de Juda, Genèse 49, 10, à l’étoile de Jacob, Nombres 24, 17, et, Deutéronome 17, 15-19, au prophète semblable à Moïse. Ceux des livres prophétiques sont : Isaïe 7, 14 ; 9, 6 ; 53 ; Jérémie 23, 5 ; Ezéchiel 34, 23-31 ; Michée 5, 2 ; Zacharie 13, 7, etc. – Nous avons trouvé. En parlant au pluriel, Philippe montre que d’autres partagent sa croyance et qu’il n’a pas été seul à découvrir le Christ, cf. verset 41. – Jésus, fils de Joseph, de Nazareth. On voit par ces dernières paroles que S. Philippe était encore dans l’erreur sur plusieurs points très graves relativement à Jésus. Il ignore sa nature, il le croit fils de l’humble charpentier Joseph, et originaire de Nazareth. Mais la lumière se fera peu à peu. Que penser toutefois des rationalistes (de Wette, Strauss, etc.), qui osent inférer de ce passage que l’évangéliste lui‑même ne connaissait pas le mystère de la conception surnaturelle de N.-S. Jésus‑Christ ? Rien de plus arbitraire et de moins scientifique qu’une telle assertion ; car il est bien évident que l’écrivain parle ici comme un simple rapporteur, se bornant à relater, sans les apprécier, les paroles de Philippe. La seule conclusion légitime est que le secret de Dieu avait été admirablement gardé.
Jean 1.46 Nathanaël lui répondit : « Peut-il sortir de Nazareth quelque chose de bon ? » Philippe lui dit : « Viens et vois. » – Peut‑il sortir (…) quelque chose… ? Nathanaël ne pouvait pas exprimer plus fortement son dédain à l’égard de Nazareth. Pourquoi avait‑il une si triste opinion de la cité de Jésus ? Peut-être parce qu’elle n’était qu’une bourgade sans importance, perdue au milieu des montagnes de la Galilée. Peut-être encore, a‑t‑on dit, mais sans alléguer de preuve positive, à cause de la morale relâchée de ses habitants. Les synoptiques nous montrent du moins les compatriotes de Notre‑Seigneur sous un jour peu favorable : à deux reprises, les Nazaréens refusèrent par orgueil de croire à la mission divine de jésus ; ils voulurent même un jour le mettre cruellement à mort, cf. Matth. 13, 58 ; Marc. 6, 6 ; Luc, 4, 29. C’est aussi par mépris que les Juifs modernes donnent au sauveur le surnom de « Hannôtzeri » (le Nazaréen). On connaît ce mot de S. Jérôme : « On appelait, par opprobre, Nazaréens, ceux que l’on appelle maintenant chrétiens ». – Peut‑il sortir quelque chose de bon, à plus forte raison le bien par excellence, le Messie. – Viens et vois. Belle réponse, qui est d’ailleurs la meilleure qu’on puisse adresser aux hommes imbus de préjugés religieux. Philippe savait par expérience qu’il suffirait de voir N.-S. Jésus‑Christ pour être aussitôt convaincu de son rôle supérieur. « Nous devons croire qu’il y avait une grâce ineffable dans les discours et les paroles du Christ, qui attirait et charmait les âmes de ses auditeurs », S. Cyrille. – Cette fois Nathanaël n’objecte rien et se laisse docilement conduire à Jésus.
Jean 1.47 Jésus vit venir vers lui Nathanaël et dit en parlant de lui : « Voici vraiment un Israélite, en qui il n’y a nul artifice. » C’est toujours la même fraîcheur et la même délicatesse de récit. Quelle simplicité pourtant. – Et dit en parlant de lui : Jésus s’adressait directement à ses premiers disciples, S. Pierre, S. André et S. Jean : mais il parla de manière à être entendu de Nathanaël, qui était déjà tout auprès de lui. – Voici vraiment un Israélite. De nouveau (cf. verset 42), Notre‑Seigneur manifesta sa connaissance surnaturelle du cœur humain, en décrivant le caractère intime de Nathanaël. Bien des Juifs n’étaient alors fils d’Israël que selon la chair et par le nom (1 Corinthiens 10, 18) : l’ami de Philippe l’était, au contraire, en toute réalité. – En qui il n’y a nul artifice. Ces mots expliquent les précédents et contiennent une allusion à l’histoire du grand ancêtre des Juifs. Voyez Genèse 25, 27, où Jacob est appelé : « un homme sans détours ».
Jean 1.48 Nathanaël lui dit : « D’où me connaissez-vous ? » Jésus répondit et lui dit : « Avant que Philippe t’appelât, lorsque tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » – La candeur de Nathanaël s’est déjà révélée dans sa réponse à Philippe ; elle se révèle encore dans celle qu’il fait à Jésus : D’où me connaissez-vous ? Le voilà tout surpris, et, en effet, « rien ne frappe autant l’homme que de voir qu’un autre homme lit au plus profond de son cœur. « Tholuck. – Pour toute explication Jésus adresse à Nathanaël une parole encore plus étonnante que la première, montrant ainsi qu’il n’y avait rien de caché pour lui. Avant que Philippe t’appelât, nous reporte, selon toute vraisemblance, aux instants qui avaient immédiatement précédé l’entrevue de Philippe et de Nathanaël, versets 45 et 46. Il est inutile et contraire au contexte de remonter à une époque antérieure indéterminée. – Après la date, Jésus fixa le lieu : lorsque tu étais sous le figuier ; sous lequel Nathanaël s’était retiré, probablement pour méditer et pour prier. Dans le Talmud de Jérusalem, traité Berachoth, 2, 8, nous voyons en effet Rabbi Akiba étudiant la loi sous un figuier, et les recueils rabbiniques mentionnent plusieurs autres cas analogues. Cet arbre est du reste célèbre dans la littérature sacrée, qui, pour décrire une ère de bonheur et de paix, en particulier l’ère messianique, représente chaque membre de la nation choisie assis à l’ombre de son figuier et de sa vigne, cf. 1 Rois 4, 25 ; Malachie 4, 4 ; Zacharie 3, 10, etc. – Je t’ai vu. Avec insistance : En ce moment précis, en cet endroit précis, je t’ai vu. Il n’est pas douteux que la perception dont parle Jésus n’ait été surnaturelle, miraculeuse. La plupart des exégètes admettent en outre que Notre‑Seigneur ne fait pas seulement allusion à un phénomène externe (« tu étais sous le figuier »), mais qu’il rappelle à Nathanaël en termes voilés une situation d’âme toute particulière dans laquelle celui‑ci s’était alors trouvé.
Jean 1.49 Nathanaël lui répondit : « Rabbi, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël. » – Quand il voit que Jésus a découvert ses pensées les plus secrètes, Nathanaël est pleinement convaincu, et il n’attend pas davantage pour faire sa profession de foi. Il la fait précéder de l’appellation respectueuse de Rabbi, lui qui, antérieurement (verset 48), n’avait donné aucun titre à son interlocuteur. – Vous êtes le Fils de Dieu. Il semble difficile que Nathanaël ait pu prendre les mots « Fils de Dieu » dans leur stricte acception théologique de Dieu fait homme ; en effet, environ deux ans plus tard, quand saint Pierre affirmera solennellement la divinité de Jésus, il lui sera répondu qu’il n’avait tenu un langage si élevé qu’en vertu d’une révélation spéciale, cf. Matth. 16, 18 et suiv., et les passages parall. Aussi des auteurs importants, tels que saint Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, et fin XIXème siècle : A. Maier, le P. Corluy, etc., ont‑ils pensé que Fils de Dieu a simplement ici, comme en maint autre endroit des évangiles, le sens de Messie. Toutefois, sans aller aussi loin que d’autres exégètes anciens et modernes (saint Augustin, Maldonat, Olshausen, Milligan, etc.), qui maintiennent la signification littérale, nous croyons pouvoir admettre que Nathanaël avait au moins pressenti la nature divine de Notre‑Seigneur ; car l’Ancien Testament s’exprime d’une manière très nette sur le caractère surhumain du Messie (cf. Ps, 2, 7, 12 ; Isaïe 9, 6), et Nathanaël avait eu coup sur coup deux preuves frappantes de la science extraordinaire de Jésus. Il est vrai que les prophéties messianiques étaient souvent bien mal compris. – Vous êtes le roi d’Israël. Comme on l’a dit, le « bon Israélite » reconnaît ici son roi et lui rend un fidèle hommage. Après avoir fixé, dans sa noble confession, les relations de Jésus avec Dieu, Nathanaël indique son rôle par rapport au peuple juif. Le roi qu’Israël attendait alors n’était autre que le Christ. Malgré la clarté de ce témoignage, les rationalistes prétendent que Jésus n’en vint que beaucoup plus tard et peu à peu, poussé par ses disciples, à s’arroger le titre de Messie.
Jean 1.50 Jésus lui répondit : « Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois. Tu verras de plus grandes choses que celle-là. » – Dans cette première partie de sa réponse, Notre‑Seigneur relève d’abord l’acte de foi de Nathanaël ; puis il lui fait une promesse générale, qui sera développée dans la seconde partie (verset 51). – Tu crois. Il n’est pas nécessaire de donner un tour interrogatif à la pensée (S. Jean Chrysost., etc. ). Jésus constate simplement un fait. – Tu verras des choses plus grandes… C’est-à-dire, des merveilles de beaucoup supérieures à celles qui excitent déjà ton admiration à un si haut degré, des preuves encore plus fortes de ma mission divine.
Jean 1.51 Et il ajouta : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l’homme. » – L’évangéliste introduit par une nouvelle formule de transition (et il lui dit) l’importante révélation qui va suivre. Jésus l’introduit lui‑même par une assertion solennelle : En vérité, en vérité, je vous le dis. A part deux passages de l’Ancien Testament (Nombres 5, 22 ; Néhémie 8, 6), ce double « en vérité » n’apparaît que dans le quatrième évangile, où nous le rencontrons jusqu’à vingt‑cinq fois, toujours sur les lèvres du Sauveur. Il est remarquable que Jésus parle maintenant au pluriel (« vous verrez ») ; il ne s’adresse donc plus exclusivement à Nathanaël (cf. verset 50 : tu verras ») ; quoique sa prédiction le concerne d’une manière plus directe (« il lui dit »), mais aussi à Philippe et aux autres disciples qui l’entouraient alors. Voyez la note du verset 47. – Vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant. Il y a dans ces mots, tout le monde en convient, une allusion nouvelle (voir la notre du verset 47) à l’histoire du patriarche Jacob. « Il (Jacob) eut un songe : voici qu’une échelle, appuyée sur la terre, avait son sommet qui touchait les cieux et que les anges de Dieu montaient et descendaient sur elle. Et voici que le Seigneur qui se tenait debout devant lui, dit : « Je suis le Seigneur… » Genèse 28, 12 et 13. Ce que l’ancien Israël avait vu, le « véritable Israélite » son petit‑fils, devait le voir aussi ; avec cette différence que, pour l’un, tout se passait en songe, tandis que, pour l’autre, la scène mystérieuse s’était transformée en réalité. Mais quel sens faut‑il donner aux paroles de Jésus ? Devons‑nous les interpréter à la lettre, ou bien nous contenterons‑nous de les prendre au moral et au figuré ? La première opinion a été soutenue dans l’antiquité par S. Jean Chrysostome, S. Cyrille, Euthymius. Suivant ces grands commentateurs, les « anges qui montent et descendent sur le Fils de l’Homme » seraient les anges qui apparurent après la tentation de Notre‑Seigneur, durant son agonie, après sa Résurrection et son Ascension. Toutefois, sans compter que les disciples de Jésus ne contemplèrent pas la première de ces apparitions, un si petit nombre de faits semblerait réaliser bien mal une telle prophétie. Aussi d’autres exégètes ont‑ils conjecturé, mais d’une façon toute gratuite, que Nathanaël et Philippe auraient été favorisés de visions d’anges passées sous silence dans la narration évangélique. Il est donc difficile d’accepter l’interprétation littérale. S. Augustin la rejetait déjà (cf. Tract. 7 in Jean ; Contr. Faust. 12, 26) ; de même, Bède le Vénérable, Tolet, Maldonat, A. Maier, Beelen, Klofutar. Mgr Haneberg et d’autres auteurs se déclarent pareillement favorables à la signification mystique, quoique de différentes manières. Selon l’idée la plus simple et la plus naturelle, les anges figurent ici, conformément à leur rôle habituel, un échange perpétuel de relation entre le ciel et la terre, ces deux royaumes autrefois divisés, mais qui ne formeront désormais, grâce à N.-S. Jésus‑Christ, qu’un tout inséparable. Autour de Jésus, il y aura un incessant va‑et‑vient de forces divines d’étonnantes merveilles : ce qui s’était passé naguère au moment de son baptême devait se reproduire sans cesse pendant sa vie publique. De la sorte, il serait vraiment le point central du monde, un parfait intermédiaire entre Dieu et les hommes, cf. Éphésiens 1, 10 ; Colossiens 1, 20. Les apôtres furent témoins de ces miracles : « Et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique » (verset 14). – Il paraît surprenant, au premier regard, que les anges soient représentés « montant et descendant », surtout après les mots « vous verrez le ciel ouvert », qui demanderaient la construction inverse, « descendant et montant ». Mais 1° telle était déjà la description de la Genèse (voyez les commentaires), et l’on conçoit que Jésus en ait conservé l’agencement ; 2° le Fils de l’homme est depuis longtemps sur la terre, et, partout où il se trouve, les anges l’environnent en grand nombre : il est donc juste qu’il se prenne lui‑même comme point de départ. Voyez dans Platon, Sympos. 23, un beau passage relatif aux puissances médiatrices qui contribuent à maintenir des relations entre les dieux et les hommes. Il n’est pas sans analogie avec la présente parole de Jésus. – Sur le Fils de l’homme. Nous avons expliqué ce nom mystérieux dans notre commentaire sur S. Matthieu, 8, 20.). Notre‑Seigneur se le donne à lui‑même quatre‑vingts fois environ dans les écrits évangéliques (d’après Westcott : S. Matth. trente fois, S. Marc treize fois, S. Luc vingt‑cinq fois, S. Jean douze fois. On peut noter que le Christ s’est appelé ainsi en certaines circonstances, surtout quand il s’attribue des choses qui sont divines ou qui excèdent la nature humaine. Il s’appelle autrement quand il parle des choses pour lui avilissantes, mais pour nous salutaires, qu’il endurait ou qu’il était sur le point d’endurer, cf. S. August., De cons. Evang., 1. – Combien de titres attribués à Jésus dans le cours de ce chapitre. Il est le Verbe (versets 1, 14), la lumière par excellence (verset 9), le Fils unique du Père (verset 14), le Fils de Dieu (versets 34, 49), l’agneau de Dieu (verset 36), un maître révéré (versets 38, 49), le Messie (verset 41, 45), le roi d’Israël (verset 49), enfin le Fils de l’homme.


