L’Évangile selon saint Jean commenté verset par verset

Share

CHAPITRE 11

Jean 11.1 Il y avait un malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa sœur.La résurrection de Lazare. (11, 1-56) : si le changement de l’eau en vin aux noces de Cana mérita le nom de « miracle de la piété filiale », celui‑ci a été appelé le « miracle de l’amitié », cf. versets 3, 5, 36. La résurrection de Lazare est, tout le monde en convient, le plus éclatant des miracles de Jésus rapportés dans les saints évangiles. Un mort de quatre jours est rendu à la vie par une simple parole. Le fait se passe aux portes de Jérusalem et est constaté par de nombreux témoins, hostiles pour la plupart au thaumaturge ; il a aussitôt de graves conséquences : d’une part la « gloire » de Jésus est manifestée et des Juifs nombreux croient en lui (cf. 11, 46-53 ; 12, 10, 11). Aucun autre miracle, pas même celui du chap. 9, n’a été raconté d’une manière si complète, avec tous ses détails principaux et accessoires. Des écrivains, parmi les plus rationalistes en furent eux‑mêmes frappés. Ce qui ne fut pas le cas de Keim : « Histoire artificielle, marchant sur des échasses, et christologie ampoulée qui confond Dieu et l’homme » (Gesch. Jesu von Nazara, t. 3, p. 71). Vingt détails minutieux démontrent que le narrateur est un témoin oculaire, digne de foi, qui raconte ce qu’il a vu de ses yeux, entendu de ses oreilles, et pas autre chose. Des années nombreuses s’étaient pourtant écoulées depuis ; mais S. Jean avait la mémoire du cœur, qui n’oublie rien. « Chaque démarche et chaque mouvement du Fils de Dieu, sa parole, son frissonnement, son émotion, ses larmes, tout ce qu’il a de plus intime…, est demeuré ineffaçable dans S. Jean. Spinoza ne s’était pas dissimulé l’importance exceptionnelle de ce miracle, et il avouait, au dire de Bayle (Dictionn. Encycl. édit. de 1740, t. 4, p. 964, note), « que s’il eût pu se persuader la résurrection de Lazare, il aurait brisé en pièces tout son système et aurait embrassé sans répugnance la foi ordinaire des chrétiens ». C’est précisément à cause de son importance que le miracle de Béthanie a été, fin XIXème siècle plus que jamais, en butte à des attaques très vives de la part de tous les incrédules. Mais, dit M. Reuss, qui est lui‑même si fortement rationaliste, « il faut reconnaître que tous les essais d’écarter le miracle sont arbitraires… Aucune explication, de toutes celles qu’on a proposées, ne porte en elle‑même un caractère de vraisemblance et de simplicité tel, qu’on serait tenté de la substituer sans plus ni moins à la forme traditionnelle du récit » (La théologie johannique, p. 251). Et l’on comprend que Reuss jette ainsi ses amis par dessus bord, quand on étudie les étonnants systèmes grâce auxquels ils espèrent déchirer cette page toute divine du quatrième évangile. Simple léthargie de Lazare (Paulus, von Ammon, Schweizer, etc.), « pieuse fraude » du frère et des deux sœurs afin de fermer la bouche à ceux qui niaient outrageusement la mission divine de leur ami (Renan), imposture de Jésus lui‑même, mythe complet (Strauss), transformation légendaire d’une conversation que Notre‑Seigneur aurait eue avec Marthe et Marie sur la résurrection générale, quelque temps après la mort de leur frère (Weisse), transformation analogue de la parabole du pauvre Lazare (Schenkel) : voilà quelques échantillons des faiblesses, des invraisemblances, des contradictions, disons le mot à la suite de Keil, des « monstruosités », que l’on ose opposer, en invoquant le nom de la critique, au lumineux récit de S. Jean. Le Dr Keil ajoute à bon droit que de pareils systèmes n’ont pas besoin d’être réfutés, attendu qu’il suffit de les mentionner pour les juger (Commentar über das Evang. des Johannes, p. 356 et s. Voyez aussi Corluy, Commentarius in Evangel. S. Joannis, 2è éd., p. 290 et s. ; Meyer, Evang. des Johannes, 6è éd., p. 452 et ss. ; Godet, Comment. sur l’Evang. de S. Jean, 2è éd., p. 238 et ss., et une page éloquente de Mgr Guiol, Démonstration philosophique de la divinité de Jésus‑Christ, Paris 1856, p. 244-245). En réalité, un seul argument a quelque semblance de valeur, et ce n’est qu’un argument négatif, tiré du silence des trois premiers évangiles. Encore peut‑il être facilement « neutralisé » par la considération des nombreuses lacunes que présentent les récits des synoptiques » (Reuss, l. c.). S. Matthieu, S. Marc et S. Luc omettent à peu près complètement les faits de la biographie du Sauveur qui n’ont pas de relation avec son ministère galiléen ; ils ne nous montrent Jésus à Jérusalem que dans la dernière semaine de sa vie : Saint Jean, au contraire, décrit le ministère de Notre Seigneur à Jérusalem et en Judée ; il néglige en grande partie les autres événements. Des deux côtés c’est le plan des évangélistes qui a déterminé le choix des narrations ; le silence des synoptiques par rapport à la résurrection de Lazare ne prouve donc pas plus contre la véracité du quatrième évangile, que le silence de S. Jean ne prouve contre la véracité des résurrections racontées par les synoptiques et omises par lui. Nous préférons cette réponse à celle que l’on a fréquemment proposée, d’après Grotius : S. Matthieu, S. Marc et S. Luc auraient évité à dessein la mention du grand miracle de Béthanie, de crainte d’attirer sur Lazare et ses sœurs les persécutions des Juifs. Mais le miracle ne fut‑il donc pas immédiatement connu à Jérusalem ? et qu’avait‑on à redouter vingt, trente ou quarante ans plus tard ? En rapprochant 10, 22 de 11, 55, on voit que la résurrection de Lazare eut lieu entre la fête des Tabernacles et la fête de Pâques de la dernière année de Jésus.  – Il y avait…Cette particule sert de transition au nouvel épisode. On va introduire tout d’abord le héros du miracle. – Un malade. Ce trait est mis en avant, comme ayant une grande importance pour la suite du récit. On ne dit rien du genre particulier de la maladie ; il est évident qu’elle était grave, d’après le contexte, cf. aussi Actes 9, 37 ; Philippiens 2, 26, 27. La touchante simplicité de ce début est à noter. – Lazare.C’est tout à fait le même nom que celui du pauvre rendu célèbre par une des plus belles paraboles de Jésus ; voyez Luc. 16, 20 et le commentaire. Il est encore assez souvent porté par les Juifs (mot hébreu, Lazar, abréviation de אלעזר Elazar, ou Eléazar, « Dieu secourt »). Sur l’identification invraisemblable de Lazare avec le jeune homme revêtu du « sindôn », voyez notre explication de l’Evang. selon S. Marc, 14, 51-52. – De Béthanie, ἀπὸ Βηθανίας. Béthanie, ou, comme on l’appelle en arabe, El‑Azariyeh (le pays de Lazare), est situé sur le versant oriental du mont des Oliviers, à 5 km de Jérusalem. – Village de Marie et de Marthe sa sœur.Marie est nommée la première, comme étant la plus connue par suite de sa célèbre onction, cf. verset 2 et 12, 3. Marthe était probablement l’aînée des deux sœurs ; on le suppose d’ordinaire d’après les versets 5, 19, et d’après Luc. 10, 38 et ss. Il résulte de plusieurs détails de ce récit (verset 38, le tombeau taillé dans le roc ; versets 31 et 45, les visiteurs de haute condition sociale qui viennent consoler Marthe et Marie ; comparez 12, 2 et 3, l’onction) que la famille était riche et considérée. 

Jean 11.2 Marie est celle qui oignit de parfum le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux et c’était son frère Lazare qui était malade.Marie était…Renseignement anticipé pour mieux montrer encore de quelle Marie il s’agissait, puisque les évangiles mentionnent plusieurs saintes femmes de ce nom. L’histoire même de l’onction ne viendra qu’un peu plus bas (12, 1-8). Ici, comme en beaucoup d’autres passages, il est visible que S. Jean présuppose dans ses lecteurs la connaissance préalable (grâce à la catéchèse et aux narrations synoptiques) d’un grand nombre de faits appartenant à la biographie de Jésus. – Qui oignit de parfum. Nous venons de parler d’anticipation, suivant en cela l’opinion commune et plus probable ; mais divers commentateurs de renom (Maldonat, Corluy, Hengstenberg, etc.) pensent que ces deux aoristes en grec font plutôt allusion à un épisode antérieur, l’onction de la pécheresse rapportée par S. Luc, 7, 37 : d’où ils infèrent que S. Jean nous fournit ici un argument très fort pour l’identification de cette pécheresse et de Marie, sœur de Lazare. Quoique partisan de l’identité (cf. commentaire S. Luc 7, 37 et s.), nous aurions de la peine à admettre l’allusion et, par suite, le raisonnement. – Son frère… Après avoir rattaché Lazare à Marthe et surtout à Marie, le narrateur revient à la circonstance principale : qui était malade.

Jean 11.3 Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que vous aimez est malade. »Ses sœurs envoyèrent… En ce moment d’angoisses terribles, sur le point de perdre leur frère unique, Marthe et Marie pensent naturellement à Jésus. Elles connaissaient le lieu de sa retraite au‑delà du Jourdain. – direest un hébraïsme (לאםר) ; le message est d’ailleurs rapporté littéralement, tel que les deux sœurs le formulèrent à leur envoyé. – celui que vous aimez est malade. Cette simple phrase est d’une exquise délicatesse à tous les points de vue. En premier lieu, les suppliantes se contentent de transmettre à Jésus la douloureuse nouvelle. « Elles n’osèrent pas lui dire : Venez et guérissez-le ; elles n’osèrent pas lui dire : Commandez du lieu où vous êtes, et il sera fait ici comme vous l’ordonnerez… Elles ne lui dirent rien de pareil, mais seulement ceci : Seigneur, celui que vous aimez est malade. Il suffit que vous le sachiez, car ceux que vous aimez vous ne les abandonnez pas ». S. August., Traité sur S. Jean, 49. Et pourtant, quel appel énergique ne faisaient‑elles pas tacitement à la bonté toute puissante de leur divin ami. Comparez, 2, 3, la conduite analogue de la Sainte Vierge. En outre, les mots « celui que vous aimez » contenaient un pressant motif : que ne ferait‑on pas, surtout de quoi n’était point capable Jésus, pour un ami très cher ?

Jean 11.4 Ce qu’ayant entendu, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. »La réponse de Jésus, adressée au messager en présence des disciples, était destinée à encourager Marthe et Marie, à maintenir leur foi, même quand tout espoir humain aurait disparu pour elles, cf. verset 40, où Notre‑Seigneur rappellera doucement à Marthe sa prédiction. C’est pourtant une parole équivoque, qui dut occasionner aux deux sœurs une rude épreuve à la mort de leur frère. – Cette maladie ne conduit pas à la mort, cela ne semblait‑il pas signifier dans la circonstance présente : Il n’en mourra pas ? Mais Jésus, comme il va le dire, voyait au‑delà de cette mort passagère, qui ne fut en vérité pour Lazare qu’une sorte de sommeil (cf. verset 11) ; il parlait du résultat définitif, lequel dépassa étonnamment une guérison ordinaire. – La particule adversative mais introduit le but véritable et final de la maladie de Lazare. Ce but se dédouble aussitôt : il consiste d’abord d’une manière générale dans la gloire de Dieu (cf. 9, 3) ; puis, plus spécialement, dans celle de Jésus lui‑même en sa qualité de thaumaturge (afin que le Fils de Dieu soit glorifié). Nous verrons bientôt se réaliser cette noble prophétie (cf. verset 45 ; 12, 9-11). Le titre de Fils de Dieutire en cet endroit une force particulière du nom de Dieu, mentionné dans la ligne précédente ; il désigne certainement plus que le Messie. 

Jean 11.5 Or, Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie et Lazare.– Or, Jésus aimait…Réflexion de l’évangéliste, destinée à préparer le détail du verset 6. Mais il est remarquable que l’expression employée pour désigner l’affection de Jésus n’est pas le même qu’au verset 3. Là nous lisions φιλεῖς ; ici nous avons Ἠγάπα. Le premier marque davantage l’inclination naturelle, un attachement plus instinctif, une relation qui appartient souvent au sentiment ; le second dénote une amitié où la raison a présidé au choix. Le premier de ces deux termes est donc plus tendre, le second est plus calme et a ordinairement quelque chose de plus noble, cf. 21, 15, 17 et le commentaire. On a expliqué de deux manières ce changement subit de locutions : 1° par la différence des personnes qui parlent. Au verset 3 ce sont les sœurs de Lazare (cf. verset 36, où les Juifs se servent aussi du verbe φιλεω, et il est naturel qu’elles emploient l’expression qui fait mieux ressortir la tendresse de Jésus pour leur frère ; au verset 5 c’est l’écrivain sacré, et il se sert très naturellement aussi du terme le plus relevé, le plus digne de son Maître. 2° Par la différence des personnes dont il est parlé. Là (verset 3) il n’est question que de Lazare ; ici (verset 5) Marthe et Marie sont nommées avec lui, et il était plus convenable de désigner dans ce second cas l’amitié de Jésus par ἀναπάω : nuance délicate, que les Anglais peuvent exprimer par les verbes « to love » et « to like ». – Marthe, et Marie sa sœur…Cette fois Ste Marthe est mentionnée au premier rang (cf. verset 19), selon son droit d’aînesse très vraisemblable.

Jean 11.6 Ayant donc appris qu’il était malade, il resta deux jours encore au lieu où il était.Ayant donc appris…Le narrateur reprend son « entendant » du verset 4, pour ajouter un autre effet de la nouvelle (la conduite de Jésus après sa parole). – Il resta…Jésus aimait Lazare, et pourtant il ne s’empresse pas d’aller à Béthanie. Mais il se proposait, en retardant ainsi son départ, de manifester plus vivement son amitié. Du reste, c’était sa coutume d’attendre toujours le moment précis que lui indiquait la volonté de son Père céleste. Telle est la meilleure explication de ce délai, qui paraît de prime abord étrange si l’on se place à un point de vue purement humain. – Deux jours.Un bonne journée de marche avait été nécessaire à l’envoyé pour rejoindre Notre‑Seigneur ; Jésus attend lui‑même deux jours avant de partir, puis il voyage une journée entière et arrive sur le soir du quatrième jour à Béthanie. En combinant ces détails avec les versets 17 et 39, on voit que le messager dut trouver Lazare mort quand il vint rendre compte de sa mission. 

Jean 11.7 Il dit ensuite à ses disciples : « Retournons en Judée. » Retournons en Judée.Béthanie était au cœur même de cette province. Ce n’est pas sans raison, l’objection des apôtres le prouve (verset 8), que Jésus nomme la Judée au lieu de Béthanie : il opposait à la tranquille Pérée (cf. 10, 40) la contrée hostile dont il avait fui naguère les dangers. 

Jean 11.8 Les disciples lui dirent : « Maître, tout à l’heure les Juifs voulaient vous lapider et vous retournez là ? »– Les disciples lui dirent.Ils sont naturellement épouvantés à ce seul nom de la Judée, et ils font à leur Maître de respectueuses remontrances. – tout à l’heure les Juifs voulaient vous lapider, cf. 8, 59, et surtout 10, 31. Les disciples n’avaient pas oublié ces scènes terribles. Il est touchant de les voir manifester tant d’intérêt pour Jésus. – Et vous retournez là ?La phrase est pleine d’énergie. Mais n’est‑ce pas vous exposer à une mort certaine ? 

Jean 11.9 Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne se heurte pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde. 10 Mais s’il marche pendant la nuit, il se heurte parce qu’il manque de lumière. »Le Sauveur essaie, par quelques paroles figurées qui ont une grande analogie avec 9, 4 (voyez le commentaire), de calmer les esprits troublés de ses amis. Vos craintes sont exagérées, leur répond‑il au moyen de cette petite parabole, car, actuellement, je ne cours aucun péril. – Le jour n’a‑t‑il pas douze heures ?Il part du fait tout évident de la division du jour en douze heures, puis il suppose le cas d’un voyageur qui marche pour arriver à son but. Tant que dure le jour, continue‑t‑il (Si quelqu’un marche pendant le jour), cet homme surmonte aisément les obstacles du chemin ; et Dieu sait ce qu’ont toujours été les chemins de l’Orient. – Il ne heurte pas(προσκόπτει, verbe pittoresque, « il ne frappe pas contre », l’équivalent du mot hébreu בשל) : il ne va pas se heurter péniblement à chaque pas, car il est bel et bien éclairé par le soleil parce qu’il voit la lumière de ce monde ; expression relevée pour désigner l’astre du jour). La nuit, il en est autrement (Mais s’il,antithèse), pour le motif contraire : il manque de lumière ; le voyageur est plongé dans les ténèbres, et tout devient pour lui une difficulté, un embarras pénible. – L’application à Jésus se fait maintenant d’elle‑même. Les douze heures représentent l’ensemble de sa vie, plus particulièrement la durée de son ministère public. Actuellement, quoique pour lui le jour approche de sa fin, il marche encore en pleine lumière ; il n’a donc pas à redouter les embûches de ses ennemis, car Dieu est avec lui et le protège.

Jean 11.11 Il parla ainsi et ajouta : « Notre ami Lazare dort, mais je me mets en route pour le réveiller. » –  Il parla ainsi et ajouta, cf. verset 7. Cette tournure indique une pause légère ; notez la manière dont les plus menus détails sont signalés dans cette narration extrêmement circonstanciée. Jésus fait connaître aux disciples le motif de son retour en Judée. Sa science divine apparaît merveilleusement dans toute cette première partie du récit : il sait que la maladie n’est arrivée que pour la gloire de Dieu et la sienne propre, qu’il ne court personnellement aucun danger actuel, que Lazare est déjà mort. C’est d’une façon toute gratuite et bien inutile que divers auteurs lui font recevoir en ce moment un second message de Béthanie. – Notre ami Lazare.Ce « notre » est très touchant. Les amis de Jésus sont les amis de ses apôtres, tant ces derniers lui sont étroitement associés ; et par là même, réciproquement, ses disciples ne peuvent pas ne pas être affectionnés à ceux qu’il aime. – Dort(dans le grec, au parfait : il s’est endormi) ; mais je me mets en route pour le réveiller.Qui mieux que Jésus pouvait employer cette métaphore ? « Mais le Seigneur le fit sortir du tombeau plus facilement que tu ne fais sortir de son lit un homme endormi. C’est donc eu égard à sa puissance qu’il a dit que Lazare dormait », S. Augustin, Traité sur S. Jean, 49, 9. Voyez la note du verset 13. 

Jean 11.12 Ses disciples lui dirent : « S’il dort, il guérira. »Les apôtres avaient pris le verset 4 à la lettre ; ils interprètent littéralement aussi la dernière parole de Jésus, et concluent qu’une heureuse crise, pronostic d’un prompt rétablissement, s’est produite dans l’état de Lazare. Ils pensaient que le retour du sommeil était un excellent présage de guérison. Les vieux rabbins, qui s’occupaient parfois de médecine, mentionnaient le sommeil comme l’un des dix symptômes favorables. Il est fort possible que les disciples auront relevé aussitôt cette circonstance, pour empêcher le départ du Sauveur. Maître, à quoi bon exposer votre vie, maintenant que la sienne est en sûreté ? 

Jean 11.13 Mais Jésus avait parlé de sa mort et ils pensaient que c’était du repos du sommeil. S. Jean explique la méprise à laquelle il avait lui‑même participé. – de sa mort et ils pensaient queNon que l’image fût obscure en elle‑même, car elle apparaît déjà dans l’Ancien Testament (cf. Ecclésiastique 43, 23) ; bien plus, Jésus l’avait employée dans une circonstance analogue, Matth. 9, 24, et elle était alors d’un fréquent usage, comme on le voit par les littératures rabbinique et chrétienne (cf. encore Matth. 27, 52 ; Actes 7, 60 ; 13, 36 ; 1 Thessaloniciens 4, 13 et ss. ) : mais l’esprit des apôtres en ce moment était dirigé d’un autre côté. L’évangéliste raconte cela avec une admirable candeur. Voyez, 4, 33 ; 14, 5, 8, 22, et Matth. 16, 7, d’autres épisodes analogues. 

Jean 11.14 Alors Jésus leur dit clairement : « Lazare est mort 15 et je me réjouis à cause de vous de n’avoir pas été là, afin que vous croyiez, mais allons vers lui. »Jésus leur dit clairement. Donc, parce qu’ils avaient mal interprété sa parole ; παρρησίᾳ, dit le grec (cf. 7, 13 ; 10, 24 ; 16, 25, 29), ouvertement, sans métaphore ni ambiguïté. – Je me réjouis à cause de vous.Jésus contemple avec joie une heureuse conséquence pour ses disciples : afin que vous croyiez(ἵνα πιστεύσητε, ce mot ἵνα -afin que- si fréquent dans le quatrième évangile ; voyez l’Introduction, § 6, 2). Ils croyaient déjà, mais « leur foi avait besoin de se fortifier encore, et l’accroissement qu’elle va recevoir auprès de la tombe de Lazare leur sera, dans peu, bien nécessaire, quand ils se trouveront en face de celle de leur Maître » (Godet, h. l. ). – De n’avoir pas été là. Comme si la mort eût été impossible en présence du Christ. – Mais (néanmoins ; brusque transition) allons(ἄγωμεν comme au verset 7 ; de même au verset 16)… Cela encore est une expression extraordinaire, et sans doute intentionnelle de la part de Notre‑Seigneur : il parle du mort comme d’une personne vivante (vers lui). 

Jean 11.16 Et Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui. »Thomas…dit(voyant Jésus décidé à partir, et répondant en quelque sorte à son invitation). Non seulement personne ne fait plus d’objection au départ immédiat (cf. verset 8), mais l’un des disciples prend la parole pour encourager les autres (aux autres disciples, τοῖς συμμαθηταῖς, expression qu’on ne trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testament). – Thomas, appelé Didyme.Le premier de ces noms vient de תומא (Thôma), forme araméenne dérivée de l’hébreu תאס (Theôm) ; le second n’est que la traduction grecque du premier. Le premier mot hébreu, comme Δίδυμος dont les Latins ont fait « Didymus », signifie donc « jumeau » (cf. le texte hébreu de Genèse 25, 24), et ce nom contenait sans doute une allusion à la naissance de S. Thomas (« qui était né simultanément avec son autre frère, comme dit Euthymius », Maldonat). Il est vraisemblable que l’appellation grecque était devenue d’un usage plus fréquent à l’époque où écrivait S. Jean : c’est pour cela qu’elle est ajoutée soit ici, soit plus bas, 20, 24 ; 21, 2, au nom hébreu, qui est seul mentionné dans les listes des apôtres d’après les synoptiques et d’après les Actes. Voyez la note sous Matthieu, 10, 2-4 . – Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui.Non pas avec Lazare, selon l’interprétation étrange de quelques auteurs, mais avec Jésus, cf. verset 8. Les disciples savaient fort bien que la haine des Juifs pour leur Maître rejaillirait sur eux, et qu’on ne les épargnerait guère si l’on attentait à sa vie. Cette parole de S. Thomas est donc marquée au sceau d’un vrai courage et d’un amour généreux. Toutefois, l’apôtre nous apparaît dès maintenant avec son tempérament sombre, qui voit les choses en noir et qui hésite avant de croire. L’assertion si nette de Jésus, versets 9 et 10, ne l’a pas rassuré ; il doute, et se voit infailliblement voué à un prochain martyre.

Jean 11.17 Jésus vint donc et trouva Lazare depuis quatre jours dans le tombeau. – Jésus vint donc…D’après le verset 30, il s’arrêta vers l’entrée de la bourgade. – La locution il trouvamet bien en évidence le but de son voyage : Lazare. – Depuis quatre jours.Voyez la note du verset 6. L’indication de cette circonstance a évidemment pour but de relever l’éclat du miracle. – Dans le tombeau, cf. 5, 5. Conformément aux coutumes orientales, Lazare avait été déposé dans le tombeau rapidement après sa mort. Voyez Actes 5, 6-10.

Jean 11.18 Or Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ.Détail topographique pour expliquer aux lecteurs non‑juifs le fait raconté plus bas, verset 19 : la proximité de Jérusalem amena des visiteurs nombreux à Marthe et à Marie. – L’imparfait était ne prouve pas nécessairement, comme on l’a cru parfois, que Béthanie avait cessé d’exister (par suite de la guerre des Romains), quand S. Jean écrivait son récit ; l’emploi de ce temps est très usité pour désigner une chose qui dure encore, mais que le narrateur associe à l’histoire d’un fait complètement passé, cf. 18, 1 ; 19, 41 ; Act 17, 21, etc. – À environ quinze stades.Le stade, σταδίων, était une mesure de longueur qui comprenait 185 mètres. Telle est bien la distance qui sépare aujourd’hui Béthanie de Jérusalem (un peu moins de trois kilomètres) ; on la franchit en 35 minutes.

Jean 11.19 Beaucoup de Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler au sujet de leur frère.Beaucoup de Juifs.Avant l’arrivée du vrai Consolateur, d’autres consolateurs, parents et amis de la famille, sont venus de Jérusalem à Béthanie. Le mot « Juifs » représente ici le parti de l’opposition contre Jésus, cf. verset 37 et 1, 19, etc. – Près de Marthe et de Marie.La locution grecque est à remarquer, littéralement : vers celles qui entouraient Marthe et Marie. Ce n’est pas une tournure oiseuse. On ne rencontre pas souvent cette expression, sauf dans le cas de personnages illustres ou de ceux qui faisaient partie du cercle de leurs amis ou de leurs ministres. On peut donc en déduire que Marthe et Marie étaient membres de la haute société juive. Conclusion d’autant plus légitime, que, nous l’avons vu, d’autres considérations la favorisent aussi. – Pour les consoler.De tout temps les Juifs, formalistes comme souvent les Orientaux, ont eu leur étiquette de deuil, rigoureusement suivie, cf. Genèse 50, 11 ; 1 Samuel, 31, 13 ; Judith, 16, 14 ; Ecclésiastique 22, 10 ; Josèphe, Antiq. 17, 8, 4. Au retour de la procession funéraire, Marthe et Marie, rentrées chez elles, s’assirent à terre, les pieds nus, la tête voilée, et les visites de condoléance commencèrent. Leurs amis, assis auprès d’elles, manifestaient leur sympathie par de profonds soupirs, mais sans rien dire, à moins qu’elles ne proférassent elles‑mêmes les premières paroles ; ainsi le veut l’usage. Les sept premiers jours surtout étaient consacrés aux visites, et considérés comme le temps d’un deuil plus solennel. Du reste, certains de ces rites subsistent dans le judaïsme moderne. Évidemment, dans la circonstance présente, c’est la Providence qui avait conduit tous ces Juifs à Béthanie pour les rendre témoins, et témoins hostiles, témoins forcés, du miracle de Jésus.

Jean 11.20 Dès que Marthe eut appris que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison.Dès que Marthe eut appris que Jésus arrivait, elle alla au‑devant. C’est bien Marthe, telle que S. Luc nous l’a dépeinte, 10, 40-42 (voyez la note sous Luc 10, 38.) avec son activité fiévreuse, sa nature plus extérieure. A peine a‑t‑elle appris, et elle dut l’apprendre la première en sa qualité de maîtresse de maison, cette heureuse nouvelle, Jésus venait, qu’elle se précipite à sa rencontre et le rejoint à l’endroit où il s’était arrêté, cf. verset 30. – Tandis que Marie se tenait assise à la maison.Marie aussi est bien la même que dans S. Luc, 10, 38, avec son caractère calme, intérieur, contemplatif. La coïncidence est vraiment frappante, et l’on voit bien que chaque évangéliste a décrit des personnages historiques, réels. Toutefois, si la plus jeune sœur ne va pas immédiatement au devant du Sauveur, « ce n’est pas, dit très bien S. Jean Chrysostome, Homil. in h. l., que Marthe fût en ce moment plus zélée, mais Marie n’avait pas entendu ». Marthe, sous le coup d’une vive émotion, avait oublié de l’avertir que le Maître était là. Nous avons dit plus haut que les personnes en deuil recevaient assises les visites de leurs amis ; c’est ce qu’exprime d’une manière pittoresque l’imparfait « était assise » (Erasme, « restait assise »), qui dénote une posture habituelle, cf. Job. 2, 8, 13 ; Ézéchiel 8, 14 ; Néhémie 1, 4. 

Jean 11.21 Marthe dit donc à Jésus : « Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort.– Martheprononce la première parole, trait si naturel dans une pareille rencontre, et parfaitement conforme au caractère de Marthe. – Seigneur, si vous aviez été ici.Ce n’est pas une plainte, c’est la simple constatation d’un fait, un retour douloureux sans doute, mais plein de délicatesse, sur ce qui certainement n’aurait pu avoir lieu en présence de Jésus. Voyez au verset 15 une supposition semblable de Notre‑Seigneur. De plus, Marthe ne dit pas : Si vous étiez venu plus tôt, ce qui eût ressemblé à un reproche, mais : Si vous aviez été ici. Le P. Patrizi, expliquant cette parole, dit excellemment : « Elle se comportait comme une personne modeste, simple, spontanée, capable d’exprimer le sentiment qu’elle éprouvait à ce moment‑là, et en y mettant toute son âme ». – Mon frère ne serait pas mort.

Jean 11.22 Mais maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous l’accordera. »– Marthe développe et rend encore plus complet l’acte de foi qu’elle a si bien commencé.Mais maintenant encore, je sais que(même maintenant que mon frère est mort). Je sais et je crois. Ce qu’elle sait, elle l’accentue énergiquement dans la suite de la phrase : tout ce que vous demanderez à Dieu… Toutes choses sans exception ; par conséquent, ainsi que cela est insinué avec une nouvelle délicatesse sous cette formule générale, même la résurrection de Lazare. – Dieu vous l’accordera.La répétition du nom de Dieu est remarquable, et montre que Marthe supposait Jésus uni au Seigneur par des liens tout à fait intimes. Et néanmoins, ne dirait‑on pas en même temps, comme l’ont pensé des exégètes anciens et modernes, que l’idée qu’elle se fait de N.-S. Jésus‑Christ n’est pas exempte d’imperfections ? Elle paraît supposer qu’il a un besoin absolu de demander à Dieu la puissance miraculeuse, qu’il n’a de force que par intercession, et, pour désigner la prière à laquelle il devrait recourir dans ce cas, elle emploie une expression d’un ordre inférieur, αἰτήσῃ, qui ne sert nulle part ailleurs dans l’évangile à représenter les supplications de l’Homme‑Dieu. En effet, les écrivains sacrés, et le Sauveur lui‑même, ont alors recours à des termes plus nobles, qui marquent mieux la demande du Fils à son divin père : ἐρωτᾶν (14, 16 ; 16, 26 ; 17, 9, 15, 20), δεῖσθαι (Luc, 22, 32), θέλω (Jean 17, 24), προσεύχεσθαι (Matth. 26, 36, 39, 42, 44 ; Marc. 32, 35, 39 ; Luc, 3, 21 ; 5, 16 ; 6, 12 ; 9, 18, 28, 29 ; 11, 1 ; 22, 41, 44).

Jean 11.23 Jésus lui dit : « Votre frère ressuscitera. »Ce qui suit (versets 23-27) est d’une finesse exquise, qu’on sent beaucoup mieux qu’on ne peut s’exprimer. Les deux interlocuteurs luttent en quelque sorte, si l’on nous permet cette parole humaine relativement à Jésus, d’habileté pour fuir la pensée l’un de l’autre, et pour s’amener réciproquement à la fin qu’ils poursuivent. Marthe voudrait, mais sans le dire en termes ouverts, faire entendre au Sauveur qu’il pourrait bien ressusciter son frère ; Jésus semble ne pas comprendre ce point de vue spécial, car il veut, selon sa coutume, préparer le miracle en accroissant la foi. Ils se disent donc des choses générales, que Marthe, malgré toute sa délicatesse féminine, ne réussit pas à rendre particulières. Voyez Maldonat, Comment. in Jean 11, 24. – Votre frère ressuscitera.Parole d’espérance assurément, mais très ambiguë dans la circonstance ; car Ἀναστήσεται peut désigner aussi bien la résurrection générale à la fin des temps, qu’une résurrection miraculeuse et prochaine. 

Jean 11.24 « Je sais, lui répondit Marthe, qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour. »Marthe, dans sa réponse, adopte le premier des deux sens ; elle espérait sans doute que Jésus serait ainsi forcé de préciser davantage sa pensée, et passerait de lui‑même à la seconde interprétation. – Lors de la résurrection, au dernier jour.Toute équivoque disparaît devant ce petit commentaire du verbe il ressuscitera.Il ressuscitera ; oui, je le sais, mais comme tous les autres hommes, et si tardivement. L’expression ἐν τῇ ἐσχάτῃ ἡμέρᾳ est propre à S. Jean dans l’évangile, et il l’emploie toujours pour désigner la résurrection finale et le jugement dernier. Elle représente très nettement l’heure où le temps cessera, pour faire place à l’éternité. Sur la croyance en la résurrection générale à cette époque, voyez Daniel 12, 2 ; 2 Maccabées 6, 9, 14.

Jean 11.25 Jésus lui dit : « Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, – Le Sauveur réplique cette fois par une révélation toute divine, qui forme vraiment le point central du récit. C’est un grand et solennel témoignage qu’il se rend à lui‑même, et dont il attestera la vérité par son prochain miracle. – Je suis la résurrection et la vie… Moi, moi personnellement. Jésus attire ainsi l’attention de Marthe sur lui‑même, sur sa nature, sur ses propres pouvoirs. Non, il ne s’agit pas seulement d’une espérance lointaine ; non, la résurrection n’est pas une faveur pour laquelle je dépendrais d’un autre : en effet, je ne suis pas seulement capable de l’opérer, de la donner aux morts, ainsi je suis vraiment la résurrection personnifiée (ἡ ἀνάστασις) et la vie (καὶ ἡ ζωή, la vie par excellence). Ceci dit plus encore ; car la résurrection ou vie restituée suppose une mort transitoire, tandis que la vie simple, absolue ne connaît pas de défaillance, et triomphe constamment de la mort et du tombeau. Jésus se manifeste très nettement ici comme le Dieu vivant, cf. 1, 4. Comparez aussi les titres analogues qu’il reçoit et d’autres passages du Nouveau Testament : Romains 4, 17, Colossiens 3, 4, 1 Timothée 6, 16, Apocalypse 1, 8), etc. – Les deux mots qui précèdent étaient comme un thème magnifique ; Jésus va maintenant les développer tout à tour, en faire l’application de la manière la plus consolante. Deux hypothèses pouvaient en effet se présenter : parmi ceux qui avaient le bonheur de croire en N.-S. Jésus‑Christ, les uns étaient morts comme Lazare, les autres étaient encore vivants. Le Sauveur examine, relativement à sa personne sacrée, le cas des unes et des autres : pour les premiers il est la résurrection, pour les seconds il est la vie. En résumé, telle sera sa pensée : la mort n’a pas de véritable empire sur ceux qui croient en moi ; quiconque a perdu la vie la retrouvera grâce à moi, quiconque la possède ne la perdra jamais. – Première hypothèse : celui qui croit en moi… La foi au Christ est évidemment la condition sans laquelle on ne saurait avoir part aux précieux avantages signalés ensuite. – quand même il serait mort(physiquement, d’une mort extérieure), vivra(spirituellement et à tout jamais). La mort ne disparaît donc pas d’une manière absolue ; mais, là même où elle se manifeste, elle n’est que relative, grâce au Messie. Les blessures faites par elle sont aussitôt réparées ; la vie des fidèles, qui semblait interrompue, brisée, refleurit soudain dans un monde meilleur, et elle est plus vie que jamais : « la vie est changée, mais pas enlevée », cf. Isaïe 25, 8 ; 26, 19.

Jean 11.26 Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas pour toujours. Le croyez-vous ? »Deuxième hypothèse : Et quiconque vit (physiquement) et croit…« Quiconque » manquait dans la phrase précédente, quoiqu’il fût bien dans la pensée ; il ajoute ici « de l’ampleur à la promesse », Westcott. – Ne mourra pas pour toujours.Grande énergie d’assertion. Le redoublement de la particule négative l’accroît encore dans le texte grec. C’est ainsi que la foi devient l’élément d’une vie perpétuelle, laquelle ne saurait être lésée par la mort même. On voit de quelle manière forte et délicate Jésus élève jusqu’aux régions supérieures de la vie l’esprit et le cœur de Marthe, qui retombaient trop vers la terre. – Le croyez-vous ?Par cette interpellation soudaine, il la provoque à faire un aveu de foi explicite sur l’imposante vérité qu’il vient de lui révéler. 

Jean 11.27 « Oui, Seigneur » lui dit-elle, « je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir en ce monde. »Oui, Seigneur.Elle répond fermement, sans hésiter, par une noble confession analogue à celle de S. Pierre, Matth. 16, 16. – Je(moi à qui vous adressez cette question)crois.Elle exprime une conviction parfaitement établie, et qui existait déjà depuis un certain temps. – Vous êtes le Christ,Marthe reconnaît en Jésus le Messie promis à son peuple. Le Fils du Dieu vivant. L’épithète vivant, si expressive parce qu’elle contient une frappante allusion aux paroles de Jésus : « Je suis la résurrection et la vie ». Quelle idée théologique Marthe associait‑elle au titre de Fils de Dieu ? Sa réponse ne suffit pas pour le déterminer (avec certitude)… Ce titre exprimait du moins la persuasion que Jésus possédait un être surhumain. C’est toujours en des occasions solennelles, et lorsqu’ils voulaient marquer leurs plus hautes conceptions relativement à leur Maître, que les disciples l’appelaient Fils de Dieu, cf. 1, 49 ; Matth. 14, 33 ; 26, 54, etc. Néanmoins, ils ne prenaient pas toujours ces mots dans le sens métaphysique qu’on leur réserve aujourd’hui, cf. Tolet, h. l. – Qui devait venir en ce monde.Sur cette qualification juive du Messie, voyez Matth. 11, 3 ; Luc. 7, 19, 20, et les commentaires. L’expression « venir dans le monde » est fréquente dans les écrits de S. Jean (1, 9 ; 3, 19 ; 6, 14 ; 9, 39 ; 12, 46 ; 16, 28 ; 18, 37). Appliquée au Christ, elle désigne sa mission céleste, et représente le monde comme le théâtre de son ministère. – Euthymius accuse injustement Ste Marthe de n’être pas bien entrée dans la pensée du Sauveur, et de répondre à une chose par une autre. En vérité, l’incohérence n’existe qu’à la surface. Marthe « croit que Jésus est la résurrection et la vie, puisqu’elle croit qu’il est le Christ », Luthardt. Ces deux dogmes étaient du reste très étroitement unis dans la théologie des anciens Juifs. « Le Messie ressuscitera ceux qui dorment dans la poussière », lisons‑nous au Midrasch Tillin, f. 42, 1, et, aujourd’hui encore, l’article du symbole israélite qui affirme la résurrection des morts suit immédiatement celui où il est question de la venue du Messie. 

Jean 11.28 Lorsqu’elle eut ainsi parlé, elle s’en alla et appela en secret Marie, sa sœur, disant : « Le Maître est là et il t’appelle. »Jésus et Marie, versets 28-32. – Lorsqu’elle eut ainsi parlé, elle s’en alla.Après cette belle confession, Marthe n’avait plus rien à ajouter ; laissant donc un instant Jésus, elle s’en retourne à la maison pour avertir sa sœur. – Et appela en secret Marie, parlant à voix basse et à l’oreille. Ce mot n’est employé qu’en trois autres endroits du N. T. (Matth. 1, 19 ; 2, 7 ; Actes 16, 37), et il est toujours associé au verbe appeler. Marthe savait que, parmi les visiteurs venus de Jérusalem, plusieurs nourrissaient des sentiments hostiles à l’égard de Jésus ; elle ne voulut donc pas leur faire connaître sa présence. Ou bien, plus simplement, elle désirait que sa sœur et elle fussent seules avec lui. – Le Maître. Le Maître bien connu. C’était l’appellation familière usitée dans la famille. – Il t’appelle.Jésus avait donc manifesté directement le désir de voir Marie, bien que l’évangéliste, dans son intention d’abréger, n’en eût encore rien dit.

Jean 11.29 Dès que celle-ci l’eut entendu, elle se leva promptement et alla vers lui.La description est tout à fait graphique. Combien Jésus était vénéré dans cette maison de Béthanie. Cf. 4, 30 et le commentaire. Marthe revint auprès de Jésus avec sa sœur, cf. verset 39. 

Jean 11.30 Car Jésus n’était pas encore entré dans le village, il n’avait pas quitté le lieu où Marthe l’avait rencontré.Note rétrospective, qui a pour but de préparer le détail suivant, verset 31. Jésus désirait probablement que les premiers moments de son entrevue avec Marthe et Marie fussent sans témoins désagréable ; c’est pourquoi il n’alla pas les trouver directement chez elles. 

Jean 11.31 Les Juifs qui étaient avec Marie et la consolaient, l’ayant vue se lever en hâte et sortir, la suivirent en pensant : « Elle va au tombeau pour y pleurer. »– Les Juifs…cf. verset 19. – L’ayant vue se lever en hâte et sortir.L’évangéliste répète ce trait, pour mieux montrer combien les visiteurs furent frappés de l’émotion subite de Marie et de son départ précipité. – La suivirent, en pensant… Croyant que, saisie par un paroxysme de douleur, elle allait pleurer auprès du tombeau de son frère, ils la suivirent pour lui adresser là quelques paroles de sympathie. – Elle va au tombeau…La visite des tombeaux, surtout aux premiers jours de deuil, n’était pas moins dans les mœurs des anciens Juifs que dans les nôtres. Ce sont plus ordinairement les femmes qui la pratiquent en Orient. Elles passent parfois de longues heures au cimetière, et s’abandonnent sur la tombe de leurs proches à toutes les manifestations qu’inspire une violente douleur. – Pour y pleurer :expression qui désigne des pleurs à haute voix, des sanglots, cf. 16, 20 ; 20, 11 et ss ; Matth. 2, 18 ; Marc. 5, 38 ; Luc. 7, 13 ; Actes 9, 39, etc. Nous aurons un autre verbe au verset 35. – Les Juifs n’avaient pas songé à faire la même supposition quand Marthe les avait quittés ; elle leur vient immédiatement à l’esprit pour Marie : cela encore est caractéristique.

Jean 11.32 Lorsque Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant, elle tomba à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. » – Arrivée auprès de Jésus, Marie se laisse tomber à ses pieds : Marthe était restée debout ; mais sa sœur est plus passionnée, plus ardente, nous en avons encore une preuve dans ce geste pittoresque. – Seigneur, si vous aviez été ici… Marthe avait déjà fait à Jésus la même réflexion, verset 1. On conçoit que les deux sœurs l’eussent maintes fois échangée entre elles pendant la maladie de Lazare. Nous avons pourtant à signaler ici une inversion significative : le pronom mis en avant accentue davantage la perte personnelle que Marie avait faite, et, par suite, la douleur très vive qu’elle ressentait. « C’est comme une partie d’elle‑même » (Godet) qui avait disparu. – Marie ne dit pas autre chose à Jésus ; sa sœur, moins impressionnable, avait pu converser avec le Maître : pour elle, elle éclate tout à coup en sanglots (cf. verset 33). Ce fut du reste une puissante prière. « Ce qu’elle n’a pas pu demander avec des paroles, elle l’a demandé avec des larmes », Maldonat. Comparez ce passage célèbre du prince des orateurs romains, qui décrit la douleur d’une pauvre mère dont un cruel fonctionnaire avait fait périr le fils : « Elle est venue vers moi, et, m’appelant son salut et implorant le nom de son fils, elle s’est jetée à mes pieds, la malheureuse, comme si je pouvais rappeler son fils des enfers » (In Verr. 5, 39). Mais Marie n’aura pas gémi en pure perte aux pieds du Sauveur. 

Jean 11.33 Jésus la voyant pleurer, elle et les Juifs qui l’accompagnaient, frémit en son esprit et se laissa aller à son émotion.Jésus la voyant pleurer,comme au verset 31. – …Et les Juifs qui l’accompagnaient.Encore la même expression. Les Juifs aussi pleurent à haute voix, gagnés par la contagion des larmes. Tableau bien simple, mais infiniment touchant. – A cette vue, Jésus lui‑même est saisi par une émotion violente, que l’évangéliste a essayé de retracer par la locution ἐνεβριμήσατο τῷ πνεύματι, frémit en son esprit. Le verbe ἐνεβριμᾶσθαι (racine : bourdonner, ronfler, avec harmonie imitative), n’est employé que cinq fois dans le Nouveau Testament : Jean 11, 33, 38 ; Matth. 9, 30 ; Marc. 1, 43 ; 14, 5 (voyez nos commentaires de ces trois derniers passages), et toujours il exprime, comme dans les classiques et dans la traduction des Septante, le mécontentement, et même la colère, l’indignation. Frémir, éprouver une violente colère, et s’indigner. Grotius, Lücke, Tholuck, Ewald en affaiblissent la signification d’une manière notable, quand ils ne lui font exprimer ici qu’une explosion de vive sympathie et de chagrin. – en son esprit localise pour ainsi dire, et restreint à l’âme de N.-S. Jésus‑Christ le mouvement de la passion, cf. verset 38. – Et se laissa aller à son émotionn’est pas une simple périphrase pour « fut troublé », 13, 21 : c’est une expression d’une parfaite exactitude théologique, choisie à dessein par le narrateur, dans le but de montrer qu’il n’y avait rien de purement passif dans la sainte âme du Sauveur, mais que toutes ses émotions demeuraient constamment sous son contrôle, cf. S. Thomas d’Aquin, Somme Théologique partie 3, q. 18, a. 6. D’après quelques exégètes, ce trouble volontaire ne devrait pas être confondu avec le sentiment d’indignation mentionné plus haut ; c’eût été un ébranlement physique, un frisson passager, cf. Euthymius, Meyer, etc., h. 1. – Mais pour quel motif spécial Jésus s’indigne‑t‑il ? Les opinions sont diverses. Notre‑Seigneur s’irriterait, a‑t‑on dit, à l’occasion des larmes de Marie, dans lesquelles il voyait un signe d’incrédulité (Lampe, etc.) ; ou bien, à cause de la douleur affectée et hypocrite des Juifs (Meyer, Watkins, Plummer, etc.) ; ou parce qu’il se voyait un objet de haine pour un grand nombre, et que ses meilleurs amis ne le comprenaient pas assez (Brückner) ; plus spécialement, en prévision du redoublement de rage que la résurrection de Lazare, le plus glorieux de ses miracles, allait susciter dans les cœurs de ses ennemis (Godet, Abbott, etc.), ou encore, à cause de sa propre émotion humaine que sa divinité, elle, ne pouvait éprouver (Origène et d’autres auteurs anciens ou modernes). Nous préférons dire avec S. Augustin, Nicolas de Lyre, Cornelius a Lap., Tolet, Luc de Bruges, et un grand nombre de commentateurs, que Jésus, ému par la douleur qui éclatait autour de lui, s’indigne en ce moment contre les puissances soit infernales, soit naturelles (le démon, le péché, le mort), qui apportent sur la terre tant de maux et tant de tristesses, dont les pires sont les damnations. S. Augustin : « Dans la voix de celui qui frémit apparaît l’espoir de celui qui reprend vie ». Pour consoler Marthe, il avait eu recours à la parole ; il consolera Marie par l’action. 

Jean 11.34 Et il dit : « Où l’avez-vous mis ? Seigneur, lui répondirent-ils, venez et voyez. » – Où l’avez-vous mis ?S’adressant aux deux sœurs, il demande à être conduit auprès du tombeau. Si nous ne nous trompons pas, cette question est la seule que les évangélistes attribuent à N.-S. Jésus‑Christ. – Venez et voyez.La réponse, comme la demande, est énoncée avec le moins de mots possibles. C’est ainsi qu’on parle dans la douleur.

Jean 11.35 Et Jésus pleura. – Ligne toute divine, qu’on a bien de la peine à lire sans verser soi‑même quelques larmes. Elle méritait d’être mise à part dans un verset qui est à la fois l’un des plus courts et peut-être le plus touchant des Saints Livres. La brièveté dramatique et solennelle du style la relève admirablement. Le verbe grec marque des pleurs muets et silencieux, par opposition aux sanglots de Marie et des Juifs (versets 31 et 33). Pourtant Jésus pleura lui‑même un jour à haute voix, à l’occasion de la mort morale, de la ruine prochaine de sa patrie, cf. Luc. 19, 41 et le commentaire. Quelques rationalistes se scandalisent des larmes de Jésus (Baur, Strauss, Keim) : ils préféreraient sans doute un Fils de l’homme apathique et froid comme les dieux du paganisme, qui ne savaient pas pleurer. Dans l’Hippolyte d’Euripide, le héros dit tristement à Artémise : « Vois‑tu, ma souveraine, l’état déplorable où je suis ? » … Et Diane répond : « Je le vois, mais il n’est pas permis à mes yeux de verser des larmes » (Hippolyte, v. 1395). Mais le Verbe fait chair n’était pas au‑dessus des larmes, qui manifestent, après tout, un des plus nobles côtés de la nature humaine. « En donnant des larmes, la nature affirme qu’elle a donné au genre humain des cœurs très tendres. C’est la meilleure partie de nos sentiments ». Juvénal, Sat. 15, 131 et ss.

Jean 11.36 Les Juifs dirent : « Voyez comme il l’aimait. » -L’assistance porte, elle aussi, deux jugements bien dissemblables sur cette conduite de Jésus. Partout, du reste, depuis la naissance de Notre‑Seigneur, nous avons remarqué dans les évangiles un double courant de l’opinion à son sujet. Voyez la note sous Luc, 2, 34-35. – Voyez comme il l’aimait…Dans le grec, nous avons pareillement l’expression de tendresse employée par les sœurs de Lazare, verset 3, cf. verset 5 et le commentaire. 

Jean 11.37 Mais quelques-uns d’entre eux dirent : « Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d’un aveugle-né, faire aussi que cet homme ne mourût pas ? » Mais quelques‑uns…Ceux‑ci font une suggestion dure et odieuse : Il pleure, soit. Mais à quoi bon quelques larmes stériles ? n’eût‑il pas mieux fait de guérir à temps son ami ? Nous retrouverons ces hommes sans cœur au verset 46, comme les dénonciateurs de Jésus auprès du parti pharisaïque. – Ils font du moins un aveu important (Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle‑né), car ils supposent la parfaite réalité de la guérison de l’aveugle‑né, miracle qui avait été d’ailleurs pleinement et officiellement constaté à Jérusalem, et qui occupait encore l’opinion publique, tant son éclat avait été grand. Voyez le chap. 9. De prime abord, il semblerait plus naturel que ces critiques fissent mention des autres résurrections opérées par Jésus ; mais elles remontaient à une époque antérieure, et avaient eu la Galilée pour théâtre ; pour ce double motif elles présentaient moins d’intérêt à des habitants de la capitale, qui pouvaient en outre fort bien les ignorer. Ce trait a donc été justement regardé comme un garant de la véracité du narrateur. – C’est bien en vain que plusieurs exégètes récents (Lücke, Tholuck, de Wette, A. Maier, Brückner, Ewald, etc.) ont voulu contester le caractère malin et sarcastique de la réflexion contenue dans ce verset.

Jean 11.38 Jésus donc, frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au tombeau : c’était un caveau et une pierre était posée dessus.– Jésus, frémissant de nouveau : même expression qu’au verset 33, avec la petite variante en lui‑mêmeau lieu de en son esprit. Cette fois, au motif indiqué plus haut pour le frémissement d’indignation, vinrent s’ajouter les murmures des Juifs (donc), qui dénotaient une haine implacable, interprétant à faux les sentiments les plus délicats. Dans ce chapitre, où la divinité de N.-S. Jésus‑Christ est manifesté avec tant d’éclat, les sentiments humains du Sauveur ne sont pas moins clairement marqués : l’amitié, verset 5, la sympathie et les larmes, verset 35, la colère, versets 33 et 38. Comparez les passages suivants du quatrième évangile, où nous rencontrons la description de sentiments analogues : 4, 6 (la fatigue) ; 4, 7 ; 19, 28 (la soif) ; 13, 2, 23 ; 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7, 20 (l’affection). – Au tombeau(en grec, littéralement : un souvenir, un mémorial, cf. verset 31). Ce monument funèbre qui, d’après l’ensemble du récit, était une propriété de famille, est ensuite rapidement décrit, pour que le lecteur puisse bien suivre toute la scène du miracle. – C’était un caveau.Le mot grec σπήλαιον désigne expressément un caveau creusé par la main des hommes. Ces grottes artificielles, servant de tombeaux aux riches, abondaient aux environs de Jérusalem. On y pénétrait de plain pied, par un ouverture horizontale, tantôt par un escalier aménagé verticalement. – Et une pierre était posée dessus:ce qui pouvait avoir lieu de deux manières, selon que l’entrée du tombeau était placée en haut ou de côté ; l’expression ne détermine rien là-dessus. La pierre était d’ordinaire très grosse (cf. Marc. 16, 4), et elle avait pour but d’empêcher les voleurs nocturnes de dépouiller les cadavres, et les animaux sauvages de les dévorer. Derrière elle, on trouvait le plus souvent une grande salle, dont les parois étaient munies de cavités-couchettes latérales pour recevoir les corps. Quand la famille était nombreuse, il y avait parfois plusieurs salles consécutives, qui communiquaient entre elles par des corridors souterrains. – On vénère aujourd’hui encore à Béthanie le tombeau de S. Lazare, de même qu’on l’a vénéré à travers tous les siècles du Christianisme. Le pèlerin de Bordeaux le mentionne en 333, S. Jérôme au siècle suivant (cf. Onomasticon, au mot Bethania).

Jean 11.39 « Otez la pierre », dit Jésus. Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là. »– Ôtez la pierre.Commandement énergique dans sa brièveté : déjà l’on entend le maître de la vie. Les esprits et les yeux de toutes l’assistance étaient suspendus. – Marthe, la sœur de celui qui était mort…Les mots ajoutés au nom de Marthe ne sont pas ici une vaine formule : c’est plutôt un trait d’une grande délicatesse, destiné à préparer et à expliquer l’opposition momentanée que fit «  la sœur du mort » à l’enlèvement de la pierre. Une sœur devait éprouver un sentiment particulier de répugnance et de peine à voir elle‑même, et à laisser contempler par de nombreux témoins, le sceau hideux de la mort imprimé sur la face de son frère. Elle prévoit même plus que cela, comme elle l’exprime. Mais il est encore bien caractéristique que cette réflexion vienne tout d’abord à la pensée de Marthe et non à celle de Marie. – Seigneur : terme de respect, pour demander en quelque sorte la permission de s’opposer à l’ordre de Jésus. – Il sent déjà.Marthe expose dans toute son horreur ce qui lui paraît être, vu la circonstance, un fait trop réel ; car, ajoute‑t‑elle, car il y a quatre jours… Il n’est pas sans intérêt de noter ici une étrange tradition juive : « C’est surtout le troisième jour que le deuil atteint son maximum. En effet, durant trois jours l’esprit (du mort) erre autour du tombeau, attendant pour voir s’il pourra se réunir au corps. Mais quand il s’aperçoit que l’aspect du visage est changé, il s’éloigne et abandonne le cadavre à son sort. Or après trois jours, l’aspect du visage est changé. » D’après quelques anciens auteurs, par les mots Il sent déjà,Marthe n’aurait pas seulement énoncé une présomption, du reste bien légitime, mais le résultat d’une expérience que chacun pouvait faire. (« Ils sentaient l’infection », dit S. Ambroise, De Fide resurrect., 2, 80. « Une maladie infectieuse exhalait une odeur putride », Sedulius… cf. Prudentius, Apotheosis, 759-766 ; S. Augustin, Traité 49 sur S. Jean, etc. La lettre apocryphe de Pilate à l’empereur Tibère (ap. Thilo, Codex apocryph. N. T. p. 807) relève aussi cette circonstance, avec des développements dont la crudité en montre le caractère légendaire. Le corps avait été sans doute embaumé selon la coutume, mais d’après la méthode juive, qui consistait simplement à parfumer le mort avec une huile précieuse et à l’entourer d’aromates, ce qui ne retardait la corruption que pour un temps. 

Jean 11.40 Jésus lui dit : « Ne vous ai-je pas dit que si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu ? »Marthe, on l’a compris, ne soupçonnait pas l’intention de Jésus ; elle pensait qu’il voulait seulement jeter un dernier regard sur son ami : c’est pourquoi elle avait essayé de l’en détourner. Le Sauveur ranime par une grande parole cette fois chancelante: Ne vous ai‑je pas dit … ?Il le lui avait dit, sinon en propres termes, du moins équivalemment, soit par l’entremise du messager, verset 4, soit par lui‑même quelques instants auparavant, versets 23-26 – Vous verrez la gloire de Dieu : la gloire de Dieu manifestée par la résurrection de ton frère. Spectacle magnifique que Jésus promet à Marthe, et qu’il oppose aux impressions pénibles qu’elle redoute pour les assistants et pour elle‑même une fois que la pierre aura été enlevée. Vous verrezest en corrélation avec si vous croyez. D’ordinaire, l’homme aime à contempler les choses avant de croire : c’est le contraire que demande Jésus.

Jean 11.41 Ils ôtèrent donc la pierre et Jésus leva les yeux en haut et dit : « Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé.– Ils ôtèrent donc la pierresans attendre un nouvel ordre. Le Sauveur, quand il le voulait, exerçait par sa seule majesté une puissance irrésistible. – Jésus, leva les yeux en haut… Le thaumaturge se met en communication intime avec son père, et il prie. – Et dit :à haute voix, de manière à être parfaitement entendu. Quelle émotion devait régner autour de lui. – Père…Il débute par ce solennel et tendre appel vers Dieu le Père, qu’il prend à témoin de sa mission et de sa filiation. – Je vous rends grâces…C’est bien une prière qu’il adresse à son Père céleste, mais une prière de remerciements, non de demande. Il n’est pas comme Élisée, qui ne saura rendre la vie qu’à force de supplications prolongées (2 Rois 4, 33 et ss, cf. Actes 9, 40). Pour lui, il y a longtemps qu’il a été exaucé (vous m’avez exaucé), et c’est le motif de son action de grâces. Comme il est sûr de ses pouvoirs il les affirme publiquement, sans craindre d’être démenti par les faits. 

Jean 11.42 Pour moi, je savais que vous m’exaucez toujours, mais j’ai dit cela à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé. »– Pour moi, je savais…L’imparfait, temps de la durée : J’ai toujours su. Le pronom est emphatique. Moi qui connais nos relations réciproques. Jésus s’explique davantage : il ne veut pas qu’il puisse entrer un seul instant dans l’esprit de personne que ses précédentes prières n’auraient pas été toujours bien reçues de Dieu. – Vous m’exaucez toujours.C’est un fait ordinaire et commun (l’adverbe mis en avant fortifie l’idée). Jésus « n’est pas un thaumaturge d’occasion, mais le dépositaire des forces divines d’une manière permanente » (Reuss). – Mais j’ai dit cela à cause de la foule qui m’entoure(il a dit : « je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé »), afin qu’ils croient… Voilà le but du miracle très clairement accentué. Après cela, « si Lazare reste dans la tombe, que Jésus soit reconnu comme un imposteur, et que tous ses autres miracles soient attribués à Béelzébul. Si Dieu, solennellement invoqué, déploie son bras, que Jésus soit reconnu son envoyé « son propre Fils). C’est ainsi que cette action de grâces anticipée, en face de ce tombeau encore habité, fait de ce moment celui d’une épreuve décisive, … et donne à ce miracle, dans l’ensemble de la vie de Jésus, un caractère unique et suprême… Jésus met positivement Dieu à partie dans l’œuvre qui va se faire ; cette œuvre devient par là celle de Dieu même. Dieu, le Dieu d’Israël, sera désormais le garant de sa mission, ou le complice de son imposture ». Godet, Comment. sur l’Evang. de S. Jean, 2è édit., t. 2, p. 225. – Quand, malgré la beauté de cette invocation de Jésus, les rationalistes (décidés à blâmer malgré tout les plus magnifiques passages de cette scène) la traitent de « pièce d’apparat » (Baur, Strauss, etc.), il suffit, pour les réfuter, de leur riposter avec le Dr Stier : « Vous êtes des juges incompétents lorsqu’il s’agit de la prière ». Reden des Herrn Jesu, h. l.

Jean 11.43 Ayant parlé ainsi, il cria d’une voix forte :Il cria : expression énergique, qui est encore renforcée par les mots d’une voix forte, cf. 12, 13 ; 18, 6, 15 ; v. 28. 

Jean 11.44 « Lazare, sors. » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes et le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le et laissez-le aller. »Lazare… Notre‑Seigneur adresse personnellement au mort cette parole d’autorité, ainsi qu’il avait fait déjà dans les résurrections précédentes (Marc. 5, 41 ; Luc. 7, 14 ; 8, 54) – Sors, hors du tombeau. La phrase est autrement vigoureuse dans le grec grâce à un ellipse du verbe : « ici dehors ! ». Nous lisions plus haut, 5, 25 « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. » Cette prophétie de Jésus est maintenant réalisée. –Et le mort sortit, immédiatement : trait pittoresque. « Sans intervalle entre la voix et la vie » (S. Hilaire, de Trinit. 6, § 43). – Le mort: contraste frappant avec la vie dont Lazare est tout à coup rempli. – Les pieds et les mains liés de bandelettes (ici seulement dans le N. T.). Ces bandelettes étaient d’ordinaire en toile de lin. Il est possible qu’elles aient enveloppé à part chaque membre, selon la coutume égyptienne, ou bien, elles n’auront été enroulées autour du corps : dans l’une et l’autre hypothèse, on comprend que Lazare ait pu faire plus ou moins péniblement les quelques pas nécessaires pour sortir du tombeau (il sortit). Du reste, Jésus va venir encore à son aide : Déliez-le. Il n’est donc pas nécessaire d’admettre ici un nouveau miracle, « merveille dans la merveille », comme dit S. Basile, cf. S. Augustin, Deuxième discours sur le Ps. 101, 3 : « il ne sortit donc pas par la force de ses pieds, mais par la force de celui qui le ressuscitait ». – Et le visage(ὄψις, ici seulement et Apocalypse 1, 16) enveloppé d’un suaire.Autre détail graphique qui marque le témoin oculaire. Personne, dans l’assistance, ne dut oublier l’apparence extérieure de Lazare sortant du tombeau. Le « sudarium » (mot dont nous avons fait « suaire ») servait, dans son emploi comme linge funèbre, à voiler le visage des morts ; peut-être aussi le passait‑on sous leur menton, pour empêcher la mâchoire inférieure de tomber (cf. 20, 7 ; Luc. 19, 20 ; Actes 19, 12. – Déliez-le et laissez-le aller…Trait délicat de la part du thaumaturge. Il avait tenu une conduite semblable envers la fille de Jaïre, Marc. 5, 43. On conçoit que les assistants, effrayés et émerveillés, n’aient pas songé d’eux‑mêmes à rendre ce service à Lazare. Admirons la réserve du narrateur : il se tait sur la joie de Marthe et de Marie, sur l’ovation qui fut faite à Jésus, sur Lazare lui‑même et sur sa vie subséquente. C’est bien là encore une marque d’authenticité, de véracité. Une légende et un mythe n’eussent pas été aussi sobres. Comparez les récits apocryphes. On trouve pourtant, dans ces pages où l’exagération abonde, quelques détails dignes d’être mentionnés. Par exemple, d’après la Lettre de Ponce‑Pilate (voyez la note du verset 30), Lazare sortit du tombeau. Suivant une légende, Lazare à peine ressuscité aurait demandé à Jésus s’il devrait mourir une seconde fois ; ayant reçu une réponse affirmative, il en fut tellement frappé qu’on ne le vit plus jamais sourire. – Une tradition autrement digne de foi nous apprend que plus tard les Juifs, pleins de haine contre le saint ami de Jésus, le placèrent avec ses sœurs et d’autres disciples sur un vieux bateau dépourvu d’agrès, qu’ils lancèrent dans la Méditerranée. « Mais le navire, sous la gouverne de Dieu, est arrivé à bon port après avoir préservé la vie de tous ses passagers. C’est là que Lazare a été sacré évêque des Marseillais, et qu’il en a converti un grand nombre par la prédication de la parole et par les exemples célestes de sa vie. Il vécut ainsi environ trente années après sa résurrection (cf. S. Épiphane, Haeres, 56, 34), et eut la gloire de subir le martyre à Marseille, âgé de soixante ans. « Son corps sacré, enseveli à Marseille avec les honneurs qui convenaient à un si grand homme, y demeura jusqu’au dixième siècle. Alors, par crainte des invasions musulmanes, il fut transporté à Autun. C’est là encore qu’il est conservé dans la cathédrale… et qu’on fait mémoire de lui dans un culte des plus solennels. L’art chrétien ne pouvait manquer de traduire à sa manière et d’orner noblement ce grand miracle. Pour les représentations antiques, voyez Rohault de Fleury, L’ Évangile, études iconographiques, t. 2, p. 112 et ss. ; Grimouard de S. Laurent, Guide de l’Art chrétien, t. 4, p. 230 et ss. Les plus célèbres des tableaux moins anciens sont ceux de Giotto, de Pordenone, de Fra Angelico, de Michel‑Ange et de Sébastien del Piombo (associés pour la même peinture), de Girofalo, de Bonifazzio, de Barbieri, de Jouvenet, d’Overbeck. On signale aussi une sculpture saisissante de Ghiberti et une eau‑forte vraiment admirable de Rembrandt. Au point de vue musical, nous ne connaissons que le drame lyrique de Rolle, représenté à Leipzig en 1777. Pour la poésie, voyez M. de Laprade, Poèmes évangéliques, p. 169 et ss., et la pièce de Victor Hugo intitulée : Première rencontre du Christ avec le tombeau. Enfin Massillon a un beau sermon, dans son Carême, sur la résurrection de Lazare. 

Jean 11.45 Beaucoup d’entre les Juifs qui étaient venus près de Marie et de Marthe et qui avaient vu ce qu’avait fait Jésus, crurent en lui.Dans ce verset et le suivant, nous voyons le double résultat se manifester chez les témoins oculaires du miracle. – Les mots beaucoup donc d’entre les Juifs…nous ramènent aux versets 19 et 31. – Qui avaient vu ce qu’… Trait noté à dessein. Les hommes en question n’étaient pas les premiers venus : ils avaient vu de leurs yeux le miracle. – Crurent en lui.Le doute était‑il possible désormais ? cf. versets 41-42. Le but de la résurrection de Lazare (versets 4 et 42) fut donc en partie réalisé, puisqu’il y eut aussitôt de nombreux croyants. 

Jean 11.46 Mais quelques-uns d’entre eux allèrent trouver les Pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait fait. – Mais quelques‑uns d’entre eux(c’est-à-dire, des témoins du miracle). Le contraste est aussi frappant que douloureux ; aussi ne comprend‑on pas comment divers exégètes ont pu supposer que les témoins ainsi désignés seraient allés sans la moindre malice trouver les pharisiens,uniquement pour leur narrer le cas, et se faire donner par eux, en tant que docteurs de la loi, une solution sur le caractère et le rôle de Jésus. Non, leur démarche est visiblement hostile ; c’est une odieuse dénonciation : mais de nouveau l’évangéliste expose les choses avec réserve. Au passage 9, 13, la situation n’était pas la même. 

Jean 11.47 Les Pontifes et les Pharisiens assemblèrent donc le Sanhédrin et dirent : « Que ferons-nous ? Car cet homme opère beaucoup de miracles.En conséquence de cette nouvelle,Les Pontifes… assemblèrent donc…La sensation produite sur les hiérarques et sur les Pharisiens, c’est-à-dire sur les deux classes dirigeantes du Judaïsme d’alors, fut immense. A la hâte on rassemble le Sanhédrin ou grand conseil (ici seulement dans le quatrième évangile, et sans article), afin d’aviser à ce que l’on pourra faire. Sur la composition de cette assemblée, Voyez la note sous Matthieu, 2, 4. L’association des princes des prêtres et des pharisiens est étrange au premier regard (cf. 7, 45) ; c’étaient en effet deux partis rivaux, toujours en guerre l’un contre l’autre, et cherchant à se soustraire mutuellement l’autorité, la direction politique et religieuse du pays. Mais le désir de renverser un ennemi commun a souvent produit les alliances les plus disparates : voilà ce qui unit pontifes et Pharisiens contre Jésus. – Et dirent(l’imparfait de la continuité) : Que ferons‑nous, les Sanhédristes supposent qu’ils doivent agir promptement et énergiquement. – Carannonce le motif qui leur inspire ce changement de conduite : cet homme(dédaigneux, cf. 9, 16, 24, etc.) opère beaucoup de miracles ?Voilà tout le crime qu’ils reprochent à Jésus : ses miracles, qui se dressent comme une multitude innombrable devant leurs souvenirs, à l’occasion du dernier qu’il a opéré. Fait bien frappant : malgré l’intensité de leur haine, ils ne songent pas à nier la réalité des miracles du Sauveur, et c’est là un témoignage extrêmement fort ; mais ils ne songent pas davantage, tant ils sont aveugles, à en rechercher la signification. Aussi leur langage est‑il une contradiction singulière. Que ferons‑nous ? Mais, si vous admettez ses miracles, vous n’avez qu’une chose à faire, croire en lui. Remarquez l’antithèse : Lui, il fait des miracles sans nombre, et nous demeurons inactifs. 

Jean 11.48 Si nous le laissons faire, tous croiront en lui et les Romains viendront détruire notre ville et notre nation. »– S’alarmant et s’échauffant de plus en plus, ainsi qu’il arrive aisément dans les assemblées délibérantes, ils développent les dangers de leur inaction, et signalent les résultats terriblesqui ne manqueront pas de se produire s’ils ne trouvent un prompt remède à la situation. – Si nous le laissons faire,tous croiront en lui.Ils disaient juste. Oui, sans eux, la nation en masse se serait convertie à Jésus, toute l’histoire évangélique en fait foi. – Et les Romains viendront… A leur point de vue, il faut le reconnaître, cette crainte n’était nullement chimérique. Ce n’est donc pas, comme on l’a dit quelquefois, un cri d’alarme hypocrite qu’ils poussent ici pour légitimer ensuite leur cruauté à l’égard de Jésus ; ils pensaient bien exprimer une inquiétude sérieuse et réelle. Ils connaissaient Rome, et ils connaissaient leur peuple. Rome était tout à fait jalouse de ses droits sur les provinces qu’elle avait conquises, et des séditions antérieures, écrasées sans pitié, lui inspiraient des sentiments de grande méfiance envers les Juifs, cf. 18, 33 ; Actes 16, 21 ; 17, 7, 8, etc. A la moindre occasion sa colère éclaterait, violente, irrésistible. D’un autre côté, la masse du peuple juif, remplie de préjugés, concevait le Messie comme un puissant libérateur, qui secouerait tout d’abord le joug de Rome, et dominerait en roi sur le monde ; on n’attendait que son apparition pour accourir sous ses étendards, et marcher avec lui à la victoire, à la vengeance. Les hiérarques savaient cela, et l’avenir justifia parfaitement leurs sinistres prévisions. Ce fut la rébellion des Juifs qui amena la ruine de leur État et de leur capitale. Toutefois ils connaissaient bien mal Jésus, le vrai Messie, dont le royaume était tout céleste, et qui voulait seulement la conquête des âmes. Sous son empire pacifique, si les Juifs l’eussent proclamé, les conséquences désastreuses redoutées par les pharisiens n’auraient pas eu la moindre raison d’être. « Ils craignaient de perdre les biens temporels, et ils ne se soucièrent pas de la vie éternelle. C’est ainsi qu’ils perdirent les deux », S. Augustin. – Les Romains viendront.Ils étaient déjà en Judée, comme conquérants ; mais ils avaient laissé aux Juifs certaines libertés, grâce auxquelles ceux‑ci pouvaient supposer, l’amour‑propre patriotique aidant, que Rome n’avait pas encore pris pied à Jérusalem. – Détruire notre ville et notre nation. Remarquez ce notre mis en avant de la façon la plus superbe, comme si les choses nommées ensuite étaient le bien propre des Sanhédristes. « τόπον » peut désigner la ville de Jérusalem, ou le temple (cf. 2 Maccabées 5, 19), ou la Palestine entière. 

Jean 11.49 L’un d’eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit :– L’un d’eux :par conséquent, membre, comme eux, du grand Conseil. – Caïphe (Καϊάφας). Sur ce nom, ou plutôt sur ce surnom, car le vrai nom de Caïphe était Joseph, voyez Matth. 26, 3 et nos commentaires. – Qui était grand prêtre cette année-là Cette tournure est à noter : déjà l’évangéliste montre que Caïphe va parler en tant que Pontife suprême du Judaïsme, cf. verset 51. Les mots cette année‑làrépétés de la même manière au verset 51 et 18, 13, ont souvent embarrassé les exégètes et réjoui au contraire les rationalistes. Il est notoire en effet, d’une part, que le souverain pontificat était à vie chez les Juifs, et nullement annuel ; d’autre part, que Caïphe en exerça les fonctions pendant onze années consécutives (25-36 ap. J.-C.) : le narrateur serait ainsi coupable de deux grosses inexactitudes ; donc ce n’est pas un Juif, ce n’est pas S. Jean, qui a composé notre évangile (Strauss, etc.). On a donné trois solutions principales de cette difficulté. Nous avons cité et rejeté ailleurs (voir notes sous Luc, 3, 1-2) la première, d’après laquelle Caïphe et Anne son beau‑père auraient été pontifes à tour de rôle, chacun une année. D’après la seconde, la locution grand prêtre de cette annéene doit pas être prise à la lettre et en toute rigueur : elle se justifie par la succession fréquente des grands‑prêtres depuis la conquête de la Judée par les Romains (S. Jean en connut de 20 à 30). La troisième solution, qui nous paraît être la meilleure et qui est assez communément reçue, consiste à appuyer sur le pronom cette: « cette année célèbre », l’année si remarquable de la mort du Christ. On conçoit maintenant que l’évangéliste ait relevé cette grave circonstance. Caïphe était pontife, non pas en telle ou telle année, ce qui importait peu, mais dans celle où mourut Jésus. 

Jean 11.50 « Vous n’y entendez rien, vous ne réfléchissez pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que toute la nation ne périsse pas. » Vous n’y entendez rien.C’est le langage de l’orgueilleux dédain. Caïphe, du reste, savait qu’il n’avait pas besoin de plaire à son auditoire actuel pour l’amener à ses fins : il ne prend donc pas la peine d’abaisser sa fierté sadducéenne. « Les manières des Sadducéens sont très rudes, lisons‑nous dans l’historien Josèphe, Guerre des Juifs 2, 8, 14, soit entre eux, soit envers les autres hommes, qu’ils traitent à la façon d’étrangers. » – Et vous ne réfléchissez pas.Poursuivant la phrase commencée, il leur suggère avec la même désinvolture un moyen sommaire et expéditif, mais brutal, qui conjurera tout péril. – Qu’il est de votre intérêt qu’un seul hommeL’assemblée comprit à demi‑mot quel était cet homme qui, d’après la motion de Caïphe, devait servir de bouc émissaire. – Meure pour le peuple: c’est dans la Bible une dénomination spécifique des Juifs, en tant qu’ils formaient la nation théocratique ; le peuple par excellence. – toute la nation.« toute » par opposition à « un seul » (ces deux expressions sont emphatiques). Le mot « gens » (nation) correspond à ἔθνος, qui représente simplement les Juifs comme un des peuples du monde. – Périsse : à la manière et pour le motif précédemment développé, verset 48. La mort d’un seul au lieu de la ruine universelle. N’était‑ce pas un expédient admirable ? C’était, indépendamment de la nature divine de Jésus, un abominable sophisme, pour légitimer un crime. Comme si la raison d’État pouvait tout justifier, tout permettre. Mais Caïphe, avant et après tant d’autres, était un politique que ne gênait aucun scrupule. 

Jean 11.51 Il ne dit pas cela de lui-même, mais étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation 52 et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui sont dispersés.Cette affreuse parole de Caïphe, S. Jean « la voit tout éclairée d’un rayon prophétique », Bougaud, Jésus‑Christ, 3e édit., p. 485. Proférée par le grand‑prêtre, elle lui semble être « un de ces prophéties involontaires que l’Esprit Saint a arrachées plus d’une fois aux méchants ». – Il ne dit pas cela de lui‑même: c’est-à-dire en tant qu’homme ordinaire. Ce n’étaient pas les paroles de Caïphe, c’étaient les paroles du Pontife suprême, du représentant officiel, quoique indigne, de Dieu sur la terre. – Étant grand prêtre… ; l’idée principale est dans cette réflexion de l’écrivain sacré. – Il prophétisa : doit se prendre dans la signification la plus stricte  : Caïphe parla, quoique sans en avoir conscience, en vertu d’une véritable inspiration divine. Anciennement, les grands prêtres juifs avaient le privilège de rendre des prophéties en consultant Dieu par l’Urim et le Thummim (cf. Exode 28, 30 ; Nombres 28, 19 ; 1 Samuel, 28, 6. Le Seigneur fit revivre en quelque sorte pour Caïphe ce merveilleux pouvoir. Comparez Philon, De Creat. princ., 8, 11, où il est dit que tout vrai prêtre est un prophète. – Jésus devait mourir pour la nation(ἔθνος, expression générale, mais désignant le peuple juif). Tel avait été, au fond, le sens du discours de Caïphe : seulement, le grand‑prêtre était demeuré à la surface de l’idée ; l’Esprit prophétique avait vu bien au‑delà, et S. Jean exprime en son nom la signification complète. – Et non‑seulement pour la nation (encore ἔθνος). Le mot λαος cesse d’être employé, les Juifs, ne méritant pas d’être la nation choisie, ou toute faveur de ce genre devant désormais disparaître. Le narrateur se reprend et se corrige pour ainsi dire : ce n’est pas seulement Israël qui bénéficiera de la mort de Jésus, mais le monde tout entier. – afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui.Beau nom donné aux païens par anticipation. Ils sont les fils de Dieu en puissance, jusqu’à ce qu’ils le deviennent en réalité. – Qui sont dispersésest un trait pittoresque. Les païens étaient en effet disséminés à travers toute la surface du globe. Toutefois, le bon berger saura bien les ramener à un seul et même bercail : afin de réunir en un seul corps(10, 16, cf. 17, 21). Voyez plus bas, 18, 51, une allusion à cette importante parole de Caïphe. 

Jean 11.53 Depuis ce jour, ils délibérèrent sur les moyens de le faire mourir. – A partir de ce jour donc… La proposition du grand‑prêtre fut immédiatement adoptée, et, dès cet instant, ce fut pour les membres du Sanhédrin une chose décidée, un plan arrêté, pour le faire mourir.Dans le texte grec, le verbe n’indique pas une sentence formelle, officielle, mais du moins un projet complètement adopté, sur lequel il n’y a plus à revenir. Ainsi donc, selon la remarque de Corneille de la Pierre, « La vie de Lazare est la mort du Christ ». Voyez, 5, 16 et ss. ; 7, 32, 45 et ss. ; 8, 59 ; 9, 22 ; 10, 39, les phases diverses et toujours croissantes de l’hostilité des Juifs contre N.-S. Jésus‑Christ. 

Jean 11.54 C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs, mais il se retira dans la contrée voisine du désert, dans une ville nommée Éphrem et il y séjourna avec ses disciples.Après la conduite des témoins immédiats du miracle et celle des autorités juives, nous voyons celle de Jésus, versets 54-56. – C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public.., cf. 7, 1, 10, 13, sur ces expressions pittoresque. Le divin Maître se retire de devant ses ennemis, suivant son habitude en pareil cas ; jamais il ne s’est exposé au danger sans nécessité, ni avant le temps marqué par Dieu. – Dans la contrée voisine du désert. Pour déterminer cette contrée et ce désert, il faudrait connaître la ville nommée Éphrem ; or, il règne beaucoup d’incertitude à son sujet. Eusèbe et S. Jérôme, dans leur Onomasticon, l’identifient à Ephron (cf. 2 Chroniques 13, 19 ; 1 Maccabées 5, 46 ; 2 Maccabées 12, 27, sans s’accorder néanmoins sur l’emplacement de cette localité, qu’ils placent l’un à 5 km, l’autre à 12,5 km au N. de Jérusalem. Suivant l’opinion la plus probable, elle ne différerait pas d’Ophrah, dont il est question Josué 18, 23 ; Juges 6, 15 ; 1 Samuel, 16, 13-18, non plus que d’Ephron (Ephraïn dans l’hébreu des Chroniques), ni enfin de l’Éphrem mentionnée par Josèphe, Guerre des Juifs 4, 9, 9, à l’occasion de la guerre romaine, et située, dit‑il, dans les montagnes de la Judée, du côté de Béthel, au lieu nommé aujourd’hui Thayibeh. « Le désert » par antonomase des environs de Jérusalem étant le désert de Judée, ces différentes notions s’harmoniseraient assez bien. – Il y séjourna avec ses disciples.Dans cette petite cité paisible et retirée, parfaitement appropriée à son dessein de retraite, Jésus « demeurait » ; il y resta donc un certain temps, non pas seul toutefois, mais avec ses disciples.

Jean 11.55 Cependant la Pâque des Juifs était proche et beaucoup montèrent de cette contrée à Jérusalem, avant la Pâque, pour se purifier.– La Pâque des Juifs était proche.La dernière Pâque de la vie du Sauveur. C’est sans doute par opposition avec la Pâque chrétienne que S. Jean l’appelle Pâque des Juifs.Et beaucoup montèrent(l’expression technique pour désigner les voyages à la capitale juive) de cette région à Jérusalem: de la campagne située aux environs de Jérusalem. – Pour se purifier.Ceux d’entre les Juifs qui avaient contracté quelque impureté légale ne pouvaient participer au grand sacrifice pascal, cf. 18, 28 et le commentaire. Ils allaient donc à Jérusalem avant la fête avant la Pâqueafin de se faire purifier par les prêtres. Quelques‑unes de ces souillures légales imposaient des expiations particulières, qui ne pouvaient avoir lieu que dans le temple et qui devaient durer plusieurs jours, cf. Nombres 6, 1-21 ; 2 Chroniques 30, 16-20 ; Actes 21, 24. Ainsi qu’on l’a justement observé, seul un Juif pouvait signaler un pareil détail. 

Jean 11.56 Ils cherchaient Jésus et ils se disaient les uns aux autres, se tenant dans le temple : « qu’en pensez-vous ? Pensez-vous qu’il ne viendra pas à la fête ? » Or, les Pontifes et les Pharisiens avaient donné l’ordre que, si quelqu’un savait où il était, il le déclarât, afin qu’ils le fissent prendre.Ils cherchaient Jésus.Tous les pèlerins arrivés d’avance à Jérusalem cherchaient Jésus, qui depuis longtemps déjà, était devenu l’objet de l’intérêt universel. On l’avait souvent rencontré et entendu dans les parvis du temple, cf. 10, 12 et ss., etc. – Et ils se disaient…Deux imparfaits, qui marquent, selon la coutume, la continuité, la répétition des actes. – se tenant dans le templeest une peinture sur le vif. – Qu’en pensez-vous ?On admet généralement qu’il y a deux questions distinctes : Que pensez-vous ? Qu’il ne viendra pas à la fête ? – Ils avaient donné l’ordre… Détails rétrospectifs pour expliquer ces colloques et ces doutes des pèlerins : tout le monde savait qu’il y avait un mandat d’arrêt de la part du Sanhédrin contre Jésus. – Les Pontifes et les pharisiens... Même association qu’au v. 47, cf. Matth. 27, 62. Mais, dorénavant, ce sont les prêtres qui vont prendre la direction du mouvement hostile à Notre‑Seigneur, cf. 12, 10 ; 18, 3, 35 ; 19, 6, 15, 21 ; Matth. 26, 3, 14, etc. ; Actes 4, 1 ; 5, 17 ; 22, 30 ; 23, 14, etc. – Avaient donné l’ordre... Ce qui implique des instructions spéciales bien précises, données par l’autorité à ses agents. Une crise est désormais imminente, et les sanhédristes seront bientôt au comble de leurs vœux.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

Sommaire (cacher)

A lire également

A lire également