L’Évangile selon saint Jean commenté verset par verset

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CHAPITRE 13

Jean 13.1 Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. – Le lavement des pieds. 13, 1-20. Notre évangéliste est seul à raconter ce fait. – Avant la fête… La phrase entière du texte original, longue, solennelle, chargée de particules qui décrivent des circonstances extérieures ou des sentiments intimes de Jésus, a été manipulée de différentes manières par les exégètes. Ce verset 1 est complet en soi, et sert de préambule à toute la section (chap. 13-17) ; les deux suivants (2-3) introduisent le récit spécial du lavement des pieds (vv. 4-20). Sur la discussion qui se rattache à cette date, voyez la note sous Matthieu, 26, 17, et Marc, 14, 12. Des études nouvelles et plus approfondies rendent aussi sûre que possible à nos yeux l’opinion autrefois adoptée. – Sachant. « Parce qu’il savait » : la connaissance toute divine et surnaturelle que Jésus avait de sa fin prochaine fut pour lui un motif de manifester plus intimement, plus tendrement son amour à ses apôtres. On redouble d’affection envers ses amis, quand on prévoit qu’on sera bientôt séparé d’eux. – Son heure était venue. Voyez 12, 23. Son heure, il l’a toujours eue sous les yeux comme une chose parfaitement connue. Autrefois, il avait prédit qu’elle n’était pas encore venue ; il annonce maintenant qu’elle est imminente. – Les mots de passer de ce monde au Père précisent la signification de « son heure ». Dans le texte grec, le verbe exprime la translation d’une sphère à une autre ; translation qui, pour N.-S. Jésus‑Christ, devait avoir lieu par le triple mystère de sa mort, de sa résurrection et de son ascension. « S’en aller de ce monde » était une locution juive assez fréquemment usitée dans le sens de mourir. S. Augustin relève la paronomase qui semble exister entre «Pâque» (passage) et « passer ». – Α ce moment suprême, les pensées de Jésus sont pour les siens, non pour lui‑même : après avoir aimé les siens… Le texte grec est encore plus expressif ; c’est l’équivalent de « lui appartenant » : ses disciples, en effet, lui appartenaient en propre, Dieu les lui ayant donnés et lui‑même les ayant choisis, cf. 1, 11, 12 ; 17, 11 ; Actes 4, 23, etc. Comme il les avait toujours chéris. Mais, ces privilégiés de son cœur, il allait les laisser dans le monde, dans ce monde méchant et pervers qu’il se disposait à quitter, et où ils rencontreraient toutes sortes de difficultés, de périls. – Les aima jusqu’à la fin, cf. le v. 34 et 1 Jean 4, 10, 19. Eux, et nous aussi. Comme plus haut, « aima » exprime le sentiment et sa manifestation, laquelle ne comprendra pas seulement le lavement des pieds, mais la série entière des actes racontés jusqu’à la fin du chap. 17. « A la fin », c’est-à-dire, d’après les uns (Tolet, Corneille de Lapierre, Luc de Bruges, etc.), jusqu’à la fin de sa vie ; d’après les autres (Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Beelen, Patrizi ; etc.), jusqu’à la perfection, d’un amour parfait. Nous préférons cette seconde interprétation, qu’ont patronnée dès l’antiquité S. Jean Chrysostome et S. Cyrille. Elle est d’ailleurs plus conforme soit à l’usage classique de la locution grecque, soit au contexte, qui paraît se rapporter beaucoup plus à l’intensité de l’affection de Notre‑Seigneur qu’à sa simple durée. Nous allons donc assister, d’après cela, au témoignage le plus vif, le plus intense, et comme au couronnement de l’amour de Jésus pour les siens.

Jean 13.2 Pendant le dîner, lorsque déjà le diable avait mis dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, le dessein de le livrer, – L’évangéliste fait ressortir davantage encore, par une saisissante et douloureuse antithèse, la vivacité des sentiments du Sauveur. Il met en opposition Jésus et le démon, Judas et les disciples de Notre‑Seigneur, la haine la plus monstrueuse et le plus généreux amour. – Pendant le dîner,est une nouvelle note chronologique, plus précise que « avant la fête de la Pâque » du verset 1. D’après le sentiment que nous avons adopté, il s’agit de la cène légale, du festin officiel et sacré que l’on célébrait la veille de la Pâque, au soir du 14 nisan.  S. Augustin, « Nous ne devons pas entendre l’expression à la fin du repas, comme si le repas était déjà terminé et qu’on était déjà passé à autre chose. Car on mangeait encore quand le Seigneur se leva de table ». Comp. le v. 26 et la note qui lui correspond : voyez les notes sous Matth., 26, 21 et 26. La dernière cène était donc commencée, mais pas encore achevée. MM. Beelen et Patrizi pensent à tort que le lavement des pieds n’eut lieu qu’après l’institution de la sainte Eucharistie ; au contraire, d’après l’opinion commune qui s’appuie à bon droit sur les paroles mêmes, de N.-S. Jésus‑Christ (voyez la suite du récit et des notes), cette cérémonie devait servir de préparatif à la communion des apôtres. Quant à l’omission de cette institution divine dans le quatrième évangile, omission assurément bien extraordinaire au premier regard, voyez la Préface, § 3. Il n’y a là en réalité rien qui ne soit très conforme au dessein de S. Jean. Son plan général était de compléter les récits antérieurs, et, par contre, de laisser ordinairement dans l’ombre les faits suffisamment racontés par les synoptiques. D’après Strauss, l’auteur de l’évangile dit de S. Jean n’aurait pas connu l’Eucharistie. Assertion qui touche à l’absurde, puisque : N°1 S. Paul, dans une lettre universellement reconnue comme authentique (1 Corinthiens 11) narre lui‑même, tout au long, la cène eucharistique. N°2 les Actes des apôtres, également antérieurs au quatrième évangile, donnent la célébration de l’Eucharistie comme une pratique universelle de l’Église. – Le diable. S. Jean commence par désigner l’instigateur premier et principal du déicide : un crime si horrible ne pouvait provenir que de Satan. Voyez le verset 27 et comp. Luc. 22, 3. – Ayant déjà mis (plus énergiquement encore dans le grec, ayant jeté, lancé) dans le cœur. Α coup sûr il ne s’agit pas du cœur du démon, comme le veulent plusieurs exégètes, mais du cœur de Judas. La locution « mettre dans le cœur » semble dire un peu plus que « mettre dans l’esprit » ; elle indiquerait l’acquiescement libre du traître à la suggestion de Satan (Olshausen). Voyez, 6, 65, la première indication de la trahison de Judas (déjà). – Judas Iscariote, fils de Simon. L’apôtre infidèle est distingué de S. Jude par son nom patronymique et par l’indication de son pays d’origine (Iscariote). Voyez, sur ce dernier point la note sous Matthieu, 10, 4.

Jean 13.3 Jésus, qui savait que son Père avait remis toutes choses entre ses mains et qu’il était sorti de Dieu et s’en allait à Dieu, – Une autre science de Jésus, supérieure encore à celle du v. 1, est ici décrite par l’écrivain sacré. Nous voyons par là que le Sauveur agissait dans la pleine et entière connaissance de sa dignité infinie. « Ayant l’intention de parler de la si grande humilité du Seigneur, il a voulu d’abord attirer l’attention sur sa majesté seigneuriale ». S. Augustin, h. l. – Trois détails de cette science sont relevés tour à tour. 1° Jésus connaît la communication ineffable que son divin Père lui a faite de sa toute‑puissance : son Père avait remis toutes choses (tout sans exception) entre ses mains. C’est une autorité souveraine, un pouvoir absolu qu’il a dès à présent « dans ses mains ». Remarquez cette locution pittoresque, déjà employée précédemment, 3, 35. Comp. Aussi 17, 2 ; Matth. 11, 27 ; Éphésiens 1, 22 ; Philippiens 2, 9-11. L’emploi du temps passé, « avait remis », est pareillement à noter, surtout à ce moment où Jésus va paraître si faible et comme abandonné par son Père. Il n’est pas question d’une future transmission de pouvoirs, mais d’une puissance déjà et irrévocablement concédée. – 2° Jésus connaît son origine et sa mission, l’une et l’autre divines : qu’il était sorti de Dieu, cf. 3, 31, et surtout 8, 42. – 3° Jésus connaît sa prochaine glorification dans le ciel : et s’en allait à Dieu. Son œuvre de rédemption accomplie, il ira bientôt se rasseoir à la droite de Dieu le Père, pour y jouir d’une splendeur et d’un bonheur éternels. 

Jean 13.4 se leva de table, dépose son vêtement et, ayant pris un linge, il le mit autour de sa taille. – « Cet exemple du Christ, unique en son genre, l’évangéliste le décrit avec un soin tout particulier », dit excellemment Maldonat. Phrases courtes correspondant à chaque acte, particularités détaillées et dramatiques qui peignent les diverses phases de la scène de manière à la faire revivre pour le lecteur, emploi fréquent et pittoresque du temps présent : toutes ces choses rendent le récit extrêmement intéressant, sans parler de l’intérêt autrement grand encore de l’action du Sauveur. « Se leva » : Jésus était à demi couché sur un triclinium (une sorte de banquette-lit utilisée pour les repas, voyez la note du v. 23) ; il se lève pour procéder au lavement des pieds. – dépose son vêtement : c’est-à-dire l’ample pièce d’étoffe qu’il portait par‑dessus sa tunique d’après la mode de l’Orient. Voyez la note sous Luc, 8, 2-3. Ce vêtement l’eût gêné dans l’acte qu’il se proposait d’accomplir ; on l’enlevait d’ordinaire avant de se mettre au travail. Le pluriel est employé pour le singulier, ainsi qu’il arrive quelquefois en hébreu pour le mot équivalent, הלמש (Ruth, 3, 3 ; Ps. 22, 19). – Ayant pris un linge : une serviette de « lin », pour essuyer les pieds des Douze après les avoir lavés. – Il le mit autour de sa taille. Dans sa condescendance ineffable, Jésus n’omet rien de ce qui caractérise la servitude, cf. Luc. 17, 8. C’est ainsi que Suétone (Calig. c. 26) et d’autres classiques nous montrent les serviteurs de leur temps, sur le point de faire un travail, se ceignant d’un linge autour des reins. Relisez maintenant le verset qui précède, et comparez Ρhilippiens 2, 6-7: « 6 bien qu’il fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu, 7 mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ».

Jean 13.5 Puis il versa de l’eau dans le bassin et se mit à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.Puis il versa de l’eau dans le bassin. Le bassin de cuivre a toujours fait partie du mobilier des maisons orientales, pour ce même usage, cf. 2 Rois 3, 11. – Il se mit à laver les pieds… D’ordinaire, les serviteurs rendaient cet office à leur maître avant le repas ou en d’autres circonstances, ainsi que le disent les Rabbins : « Parmi les hommes, c’est le rôle de l’esclave de laver son seigneur ; mais il n’en est pas ainsi pour Dieu », ajoutent‑ils comme s’ils avaient eu à la pensée cette action de Jésus.  Voyez, à propos de cette coutume, Genèse 18, 4 ; 19, 2 ; Juges 19, 21 ; Luc. 7, 44, etc. On ne rencontre qu’en cet unique passage de S. Jean le verbe pittoresque « il commença, il se mit à  », employé si fréquemment par les trois premiers évangélistes. Les convives avaient les pieds nus selon l’usage, et appuyés sur la partie extérieure du divan-lit. Voyez l’explication du v. 23 et notre commentaire de Luc. 7, 36. – Qui n’a vu, dans l’original ou d’après des reproductions, quelques‑uns des chefs‑d’œuvre inspirés à nos peintres et sculpteurs chrétiens par cet émouvant épisode ? Voyez Grimouard de S. Laurent, Guide de l’art chrétien, t. 4, p. 275 et suiv. Giotto, fra Angelico, Valentin, Nicolas Poussin ont des tableaux et des fresques particulièrement remarquables. Il faut noter aussi, dans l’admirable liturgie du jeudi saint, la reproduction annuelle et vivante du lavement des pieds par le prêtre.

Jean 13.6 Il vint donc à Simon-Pierre et Pierre lui dit : « Quoi, vous Seigneur, vous me lavez les pieds. »Il vint donc à Simon‑Pierre. Ici, les exégètes ouvrent une discussion, pour déterminer l’apôtre auquel Jésus aura lavé tout d’abord les pieds. Α prendre à la lettre les paroles du verset 5, Notre‑Seigneur avait opéré cette humble cérémonie sur plusieurs disciples avant d’arriver à S. Pierre. S. Jean Chrysostome, Euthymius, Messmer, Α. Maier, etc., se décident en faveur de cette opinion, qui semble en outre confirmée par les mots « il vint donc ». Ce fut ensuite le tour de Simon : telle serait la signification naturelle et obvie. S. Augustin, et après lui un très grand nombre de commentateurs (Cornelius a Lapide, Maldonat , Calmet, Jansenius, Rosenmüller, Βisping, etc.), préfèrent donner à la phrase « Il commença à laver les pieds de ses disciples » (v. 5) le sens général de « Il se procure ce qu’il faut pour laver et essuyer ». (Jansenius) ; ce qui leur permet de supposer ensuite que Jésus se serait approché en premier lieu de S. Pierre pour lui laver les pieds, la narration détaillée ne commençant, disent‑ils, qu’avec le v.6. Ils ajoutent que, de la sorte, on explique mieux la résistance et les protestations du prince des apôtres, aucun exemple antérieur n’ayant existé pour l’encourager et le calmer. Ajoutons que Simon‑Pierre occupant la seconde place sur le divan de son Maître (vv. 23 et 24), il était dans l’ordre que celui‑ci commençât par lui. Du reste, la primauté de S. Pierre est tout à fait indépendante de ce détail. – Pierre lui dit. Un beau dialogue s’engage (vv. 6-10), dans lequel nous retrouvons la foi vive, la profonde humilité, et en même temps l’entrain et l’ardeur qui caractérisent S. Pierre. – Vous, Seigneur, vous… Les deux pronoms sont mis en avant, et opposés l’un à l’autre, cf. Matth. 3, 14. Vous, mon Seigneur et Maître ; moi, pécheur et votre pauvre serviteur. – …me lavez les pieds. Dans le sens de : Voudriez-vous donc, de vos mains bénies, me laver les pieds, me rendre le plus humble des services ? Mais un tel acte serait inconvenant de votre part. Par conséquent, éloignez-vous de moi, bien plus encore qu’après la première pêche miraculeuse, Luc. ν, 8. 

Jean 13.7 Jésus lui répondit : « Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu le comprendras bientôt. » – Le Sauveur rassure doucement son apôtre en l’instruisant. – Ce que je fais, tu ne le sais pas. Jésus aussi établit une opposition emphatique entre les deux pronoms. Tu ignores pour le moment, lui dit‑il, la portée et la signification morale de mon acte, et c’est pour cela que tu veux l’empêcher, mais bientôt, quand je t’aurai fourni les éclaircissements nécessaires, tu comprendras ; en attendant, obéis‑moi. – Tu le comprendras bientôt paraît faire allusion aux vv. 13 et ss., et désigner par conséquent un très prochain avenir. Dans le texte grec, à l’idée exprimée tour à tour par « ne sais pas » et « sais » correspondent deux verbes différents. Le dernier marque une science empirique, acquise peu à peu (voyez le v. 14), tandis que le premier s’emploie d’une connaissance qui est complète immédiatement.

Jean 13.8 Pierre lui dit : « Non, jamais vous ne me laverez les pieds. » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave, tu n’auras pas de part avec moi. » – L’apôtre s’opiniâtre dans la résistance, sans tenir compte de la leçon du Maître. – non, jamais, nous ne me laverez les pieds. Quelle énergie de négation. Jamais, non, jamais, je ne souffrirai que vous me laviez les pieds. – Jésus lui répondit… Cette fois, Jésus prend un ton sévère et menaçant : Si tu continues de t’opposer à ma démarche tu n’auras pas de part avec moi. La locution « avoir part avec » est assez fréquente dans l’Ancien Testament (cf. Josué 22, 24-25 ; 2 Rois 20, 1, etc.) ; le Nouveau ne l’emploie que deux fois, ici et Apocalypse 20, 6. Elle signifie : être en communion avec quelqu’un. Jésus annonce donc catégoriquement à Pierre qu’il sera exclu de sa communion, de son amitié, s’il continue de se montrer rebelle. Quels rapports d’intimité pourraient exister entre un disciple et son maître, les volontés de celui‑ci n’étant pas rigoureusement accomplies par celui‑là ?

Jean 13.9 Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête. » – L’ardent apôtre (S. Jean Chrysostome) est bien obligé de céder, car à aucun prix il ne consentirait à vivre séparé de Jésus ; tout, plutôt qu’une si cruelle rupture cf. 6, 69. Mais, comme le dit S. Cyrille, Pierre cède à sa façon habituelle, en passant d’un extrême à l’autre. Excusons‑le pourtant, car ce double excès provenait de la force de son amour. C’est bien ici, le Pierre qui s’élance sur les eaux, et qui crie l’instant d’après : Je péris ; qui frappe de l’épée, et qui prend la fuite ; qui pénètre chez le grand‑prêtre (Caïphe), et qui renie. La concordance parfaite de ces détails disséminés et l’image pleine de vie qui en résulte prouvent admirablement, dans ce cas comme dans tous les autres, la pleine réalité de l’histoire évangélique. – Non seulement les pieds. Non‑seulement il accepte maintenant avec enthousiasme la condition imposée, mais il offre encore à Jésus les mains et la tête ; comme si un nouveau degré d’union avec son Maître devait résulter de chaque partie de son corps qu’il laisserait laver par surérogation. L’intention généreuse ne raisonne pas.

Jean 13.10 Jésus lui dit : « Celui qui a pris un bain n’a besoin que de laver ses pieds, il est pur tout entier. Et vous aussi, vous êtes purs, mais non pas tous. » – Α son tour, Jésus refuse d’accepter. Α quoi bon, dit‑il, une ablution si complète, lorsqu’on en a fait de toutes récentes ? Dans ce cas, il suffit de se laver les pieds. Pour bien comprendre la pensée du Sauveur, il faut se rappeler que les anciens, et les Juifs surtout, prenaient des bains fréquents et qu’ils se lavaient les mains plus fréquemment encore, tandis qu’ils marchaient chaussés de simples sandales, lesquelles ne garantissaient qu’imparfaitement les pieds de la boue et de la poussière du chemin. Or l’expression celui qui a pris un bain désigne un lavage de tout le corps, tandis que le verbe employé ensuite se laver les pieds indique seulement un nettoyage partiel, un bain de pieds. – il est pur tout entier : à part les pieds, toutefois, comme il vient d’être dit ; et c’est précisément pour cela que Jésus désirait les laver. Α coup sûr, le divin Maître tenait ici un langage symbolique ; toute la scène, du reste, ainsi que le contexte et la tradition nous l’enseignent, était une figure dans la pensée de N.-S. Jésus‑Christ. Il voulait marquer d’une manière expressive, spécialement en vue de la sainte Eucharistie, qu’il allait instituer et distribuer aux siens, la nécessité d’une constante purification morale, destinée à laver les fautes légères, alors même qu’on a le bonheur d’être en état de grâce. S. Augustin fait une belle application de ce passage à tous les chrétiens (Traité 56 sur S. Jean, 4) : « Bien que l’homme soit lavé tout entier dans le baptême… quand ensuite il vit au milieu des affaires humaines, il est obligé de marcher sur la terre. Alors les affections terrestres sans lesquelles il est impossible de vivre en cette vie mortelle sont comme les pieds par lesquels les choses humaines entrent en contact avec nous, et elles nous touchent… Chaque jour celui qui intercède pour nous nous lave les pieds ; et chaque jour nous avouons que nous avons besoin de nous laver les pieds, c’est-à-dire de redresser même nos démarches spirituelles, puisque dans l’oraison dominicale nous disons : Pardonnez-nous nos offenses ». – Et vous aussi, vous êtes purs. Jésus applique aux apôtres sa locution proverbiale. Vous êtes, vous, sans grave souillure ; il suffit de laver vos pieds, c’est-à-dire de vous purifier de transgressions légères. – Mais non pas tous. Restriction douloureuse, que l’évangéliste lui‑même commentera au verset suivant. C’était un avertissement donné par Jésus au traître à mots couverts, cf. 6, 71. Les onze apôtres demeurés fidèles durent à peine y faire attention sur l’heure ; mais ils en furent frappés après l’accomplissement.

Jean 13.11 Car il savait quel était celui qui allait le livrer, c’est pourquoi il dit : « Vous n’êtes pas tous purs. »Il savait : d’une science surnaturelle, ainsi qu’aux vv. 1 et 3. Le regard divin de Jésus scrutait jusqu’au plus profond du cœur de Judas. – Celui qui allait le livrer. Dans le texte grec, au présent : celui qui, en cet instant même, était tout occupé de son noir projet de trahison. – C’est pourquoi il dit… Il y a une emphase dans cette formule, et dans la répétition de la prophétie : vous n’êtes pas tous purs.

Jean 13.12 Après qu’il leur eut lavé les pieds et repris son vêtement, il se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? – Nous abordons la deuxième partie du récit (vv. 12-20), qui contient l’explication authentique du motif que le Sauveur s’était proposé en lavant les pieds de ses apôtres. Il leur laissait, dit‑il, un grand exemple à imiter. – Après qu’il leur eut lavé les pieds. C’est encore, dans le grec, le verbe νίπτειν (laver), lequel est employé huit fois entre les versets 5 et 14. Interrompu par l’incident qu’avait occasionné la protestation de S. Pierre, Jésus reprit et acheva son humble et touchant ministère. – Il reprit son vêtement : c’est-à-dire son vêtement de dessus, conformément à la note du v. 4. De nouveau le récit devient vivant et pittoresque. – il se remis à table (ανέπεσεν, le mot si souvent usité dans les évangiles pour désigner l’attitude que les anciens prenaient à table).., et leur dit. Tous les disciples se taisent, absorbés qu’ils sont par l’étonnement où les avait plongés l’action de leur Maître : celui‑ci reprend la parole pour leur donner le renseignement annoncé plus haut (v. 7). – Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Phrase générale d’introduction, avec un tour interrogatif destiné à provoquer davantage l’attention de l’auditoire. Jésus insistera sur la profonde humilité de son acte, afin de mieux porter ses apôtres à l’imiter, car ce n’est pas sans peine que l’on consent à s’abaisser. 

Jean 13.13 Vous m’appelez le Maître et le Seigneur et vous dites bien, car je le suis.Vous m’appelez… Le Sauveur va rappeler aux apôtres un menu détail de leur vie quotidienne. Α chaque instant, en lui adressant la parole, ils lui donnaient ces deux titres qui marquaient leurs relations réciproques : Maître, Seigneur (dans le texte grec : ό διδασκαλος, ό κύριος, avec l’article, pour signifier le Maître et le Seigneur par antonomase). Comp. Matth. 23, 8. Deux noms, du reste, que les docteurs juifs recevaient ordinairement à cette époque de la part de leurs disciples. Le premier équivaut en hébreu à יבר (Rabbi) ; le second à רמ (Mar) ou à ארומ (Μοré) ; celui‑ci représente la science et la sagesse ; celui‑là la puissance et l’autorité : disciples et serviteurs sont les deux expressions corrélatives. – Et vous dites bien, car je le suis. Votre conduite correspond à la parfaite réalité. Avec quelle pleine et admirable conscience de son haut rôle N.-S. Jésus‑Christ s’exprime toujours dans l’évangile, et tout spécialement ici. Il s’est humilié profondément, mais sans oublier sa nature supérieure.

Jean 13.14 Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres.Si donc… Jésus tire la conclusion de son raisonnement. – Je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître... Tout rehausse encore et accentue la pensée : le pronom mis en avant, la répétition des titres, leur renvoi à la fin de la phrase, « Seigneur » placé le premier cette fois comme le plus important des deux. Détails minutieux, si l’on veut, mais desquels se dégage la vivacité du style évangélique. – Vous. Même emphase que dans « moi » : vous à plus forte raison, puisque vous êtes égaux entre vous. – Devez aussi… Le verbe grec, όφείλετε, exprime une dette proprement dite. Mais évidemment Notre‑Seigneur, ici comme en beaucoup d’autres endroits, ne voulait pas parler d’une obligation absolue au point de vue restreint d’un simple lavement des pieds. – Vous laver les pieds…, indépendamment de l’interprétation littérale qui n’a pas été négligée par l’Église (cf. 2 Τim. 5, 10 ; S. Ambr. De Mysteriis, c. 6), est surtout un symbole de la charité fraternelle, de la parfaite condescendance que les disciples de Jésus sont tenus de pratiquer les uns à l’égard des autres. Une coutume très usitée de l’Orient devient ainsi un emblème pour les chrétiens du monde entier.

Jean 13.15 Car je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi vous-mêmes. – La particule « car » relève, comme le « donc » qui précède (v. 14), la conséquence de l’acte du Sauveur. L’exemple : ce qu’on met sous les yeux, un modèle. Quel archétype sublime et tout divin nous avons en Jésus. – Afin que, comme je vous ai fait. Dans le texte grec, καθὼς : « comme, à la manière de ». Notre‑Seigneur veut qu’on prenne l’esprit et non la lettre stricte de sa recommandation. Il faut imiter son exemple. – Vous fassiez aussi. Il y a de nouveau une antithèse emphatique entre « je » et « vous », entre « de même que » et « ainsi ».

Jean 13.16 En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé. – Jésus insiste encore sur la leçon qui ressort de son exemple ; de plus en plus il inculque la nécessité, entre chrétiens, d’un amour qui s’humilie pour se mieux manifester. – Le serviteur n’est pas… S. Matthieu, 10, 24, et S. Luc, 6, 40, avaient déjà cité cet axiome ; Jésus le réitérera une quatrième fois un peu plus bas, 15, 20. Il l’accommode chaque fois à de nouvelles conclusions. – Ni l’envoyé… Il y a une sorte de jeu de mots entre ce substantif et le verbe a envoyé, puisque apôtre signifie envoyé.

Jean 13.17 Si vous savez ces choses vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez. – Ces choses, c’est-à-dire, ce que Jésus a exposé dans les versets 13-16. Il semble parler en termes hypothétiques, comme on le fait souvent dans le langage ordinaire pour donner plus de force à la pensée. – Vous êtes heureux… Il ne suffit pas de connaître : avant tout il faut agir, accomplir ; mais c’est déjà un immense avantage de savoir, car la science provoque l’action. Nouvelle et précieuse béatitude ajoutée à celles qui avaient ouvert le discours sur la montagne ; par là-même, fécond encouragement que Jésus donne à ses disciples. Évidemment, « heureux » ne porte pas sur le simple accomplissement de la bonne œuvre prescrite, mais sur la récompense qui lui sera réservée par Dieu. Les Rabbins disent aussi : « Ce n’est pas la science qui importe, mais l’action ».

Jean 13.18 Je ne dis pas cela de vous tous, je connais ceux que j’ai élus, mais il faut que l’Écriture s’accomplisse : Celui qui mange le pain avec moi, a levé le talon contre moi. – Les phrases deviennent plus courtes dans ce verset, comme si elles étaient entrecoupées par suite d’une vive émotion. C’est que Jésus se rappelle de nouveau (comp. le v. 10) et va mentionner plus au long l’odieuse présence du traître parmi les Douze. – Je ne parle pas de vous tous :ces mots se rattachent à la promesse du v. 17 : « Vous serez heureux ». Ce n’est pas à vous tous que s’applique ma Béatitude. – Je connais ceux que j’ai choisis. En grec, Οἶδ : je les connais à fond, cf. vv. 1 et 3. Ceux que j’ai choisis entre tous. Voyez 6, 70, et 15, 16. Le choix de Jésus n’a donc pas été inconscient, mais extrêmement lucide ; dès le début il connaissait Judas : les événements ne l’ont ni trompé ni surpris. Augustin : « Judas a été choisi, certes, pour accomplir une œuvre nécessaire, mais non pour parvenir à la béatitude, comme les onze autres disciples », voir la doctrine catholique sur la prédestination dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, consultable gratuitement sur Internet. – Mais il faut que l’écriture s’accomplisse… Ellipse comme plus bas, 15, 25 ; comp. Marc. 14, 49, etc. Rangé au nombre des apôtres, Judas restait entièrement libre, et les avertissements affectueux ne lui manquèrent pas. Néanmoins, par sa trahison il devait réaliser les plans divins, signalés tout au long dans l’Écriture. – Celui qui mange le pain… Ce passage est emprunté au Ρs. 40. (Hébreux 41), 10 ; Jésus en fait une citation libre, qui diffère toutefois de l’hébreu et des Septante. L’expression « manger du pain avec quelqu’un » est tout orientale et biblique, pour désigner un ami très intime. Elle exprime un fait réel dans le cas présent, puisque Judas était assis à la table de Jésus et mangeait avec lui. La locution la levé le talon contre moi (littéralement, d’après l’hébreu : Il a élevé bien haut son talon contre moi), exprime un violent coup de pied, ou la ruade d’un cheval. Le contraste entre les deux circonstances mentionnées ne saurait être plus frappant : l’amour généreux et la haine brutale. Ainsi qu’on l’apprend dans les bons commentaires du Psautier, ce douloureux passage n’est messianique que d’une manière indirecte et typique. C’est-à-dire qu’avant de se réaliser finalement et intégralement dans l’infâme conduite de Judas envers N.-S Jésus‑Christ, il avait eu un premier accomplissement historique, quoique d’une façon transitoire et incomplète. David faisait surtout allusion au lâche et cruel abandon où le laissa son ami intime Achitophel, lorsque éclata la révolte d’Absalom (cf. 2 Samuel 15, 31- 17, 23), mais, dans la pensée de l’Esprit saint, sa description lugubre allait bien au‑delà des temps actuels, et concernait la passion du Messie. Notez que la désignation du traître est voilée comme précédemment (v. 10) ; mais elle ne tardera pas à devenir plus claire pour quelques‑uns des apôtres (vv. 23-27).

Jean 13.19 Je vous le dis dès maintenant, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu’elle sera arrivée, vous reconnaissiez qui je suis.Dès maintenant... Dès cet instant, avant la réalisation. Et dans quel but fait‑il une déclaration si triste ? Pour susciter leur foi en sa mission : afin que… vous croyiez. Quelques heures plus tard, lorsque cette prophétie aura été accomplie à la lettre, jusque dans une ignominieuse identité de mort pour les deux traîtres (Judas se pendit comme Achitophel), les apôtres ne devront pas se laisser décourager par la fin douloureuse de leur Maître, mais au contraire redoubler de confiance en lui. C’est ainsi qu’il les prépare à sa Passion prochaine. – Ce que je suis, c’est-à dire le Christ et Dieu fait homme, cf. 4, 26 ; 8, 24, 28. Prédire ce qui doit arriver (« Annoncez-nous ce qui arrivera, et nous saurons que vous êtes des dieux » Isaïe 41, 23) et manifester les secrets des cœurs (« Moi, le Seigneur, je scrute le cœur et je sonde les reins » Jérémie 17, 9), est le propre de Dieu.

Jean 13.20 En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. » – Jésus emploie encore sa formule solennelle, en vérité, en vérité, je vous le dis, pour introduire une autre pensée, que nous avons également rencontrée dans les évangiles synoptiques (cf. Matth. 10, 40 ; Luc. 9, 48), mais d’après un enchaînement tout divin : Quiconque reçoit… Recevoir un apôtre du Messie, c’est recevoir le Messie lui‑même ; et recevoir le Messie, c’est recevoir Dieu, duquel il tient sa mission. Cette parole est très claire en elle‑même, l’ambassadeur formant une seule et même personne morale avec celui qui l’envoie ; toutefois, la liaison avec le contexte est vraiment difficile à établir : si difficile, qu’on l’a parfois niée purement et simplement, soit que l’évangéliste, a‑t‑on dit, ait omis les idées qui marquaient la transition (Corluy), soit que ce verset ne contienne qu’une glose insérée à tort dans le texte (opinion contredite par la présence du v. 20 dans tous les anciens documents). D’après Μ. Godet, N.-S. Jésus‑Christ compléterait ici l’adage du v. 16. Le disciple n’est pas plus grand que son maître, était‑il dit là-haut ; et maintenant : Le disciple, d’autre part, n’est pas inférieur à son maître. Suivant le Dr J.-P. Lange, Jésus oppose à la destinée misérable de Judas la gloire et le bonheur des apôtres fidèles. Un autre commentateur allemand, H. A. W. Meyer, établit la connexion suivante : L’humilité que le Sauveur exige de ses disciples n’empêchera pas ceux‑ci d’être partout noblement reçus, attendu qu’ils seront à bon droit regardés comme d’autres lui‑même. Selon le Dr Keil, il serait question, non pas de la manière dont les apôtres seront traités, mais de la réception qu’ils devront accorder eux‑mêmes aux simples fidèles. Ces petits aussi vous sont envoyés par moi, telle serait la pensée de Jésus ; honorez-les donc, me considérant en leur personne par les yeux de la foi. Etc., etc. Le sentiment le plus commun envisage cette parole du divin Maître comme une consolation qu’il donnerait à ses onze vrais apôtres, après leur avoir annoncé la triste défection de Judas : le crime du traître n’enlèvera au reste du corps apostolique rien de sa dignité ; l’infamie d’un seul ne fera pas disparaître le privilège de tous les autres ; qu’ils travaillent donc avec zèle. Cette liaison nous semble être la meilleure, car elle tient compte pour le mieux des versets 18, 19 et 21, qui parlent tous successivement soit de Judas, soit des onze autres disciples. Au besoin, du reste, on pourrait attribuer à l’émotion du Sauveur ce qu’il y a d’abrupt extérieurement dans le va‑et‑vient des idées.

Jean 13.21 Ayant ainsi parlé, Jésus fut troublé en son esprit et il affirma expressément : « En vérité, en vérité, je vous le dis, un de vous me livrera. » – Jean 13, 21-30 = Matth. 26, 21-25 ; Marc. 14, 18-21 ; Luc. 22, 21-23. – La formule de transition lorsqu’il eut dit marque vraisemblablement une pause rapide. – Jésus fut troublé. Trait spécial. Jésus se trouble en face de Judas et de la monstrueuse ingratitude de cet homme qu’il avait tant aimé. Cette émotion, qui le gagnait visiblement depuis quelques instants (voyez l’explication du v. 18), est rattachée, comme dans une circonstance non moins touchante (11 39), non pas à sa sensibilité, mais à la partie la plus relevée de son être humain, le πνεύμα (esprit). Qu’il est beau encore de le voir semblable à l’un de nous. mais quel calme et quelle dignité divine dans ses actes, malgré la vivacité des impressions qui l’agitaient. – Et il affirma expressément. Mot tout à fait solennel : il attesta, il déclara ouvertement, cf. 4, 44. – C’est avec une pleine et entière connaissance de cause que Jésus prédit la trahison de Judas (en vérité… pour la troisième fois), et il le fait, dans le quatrième évangile, en termes identiques à ceux qui nous ont été conservés par S. Matthieu et par S. Marc. S. Marc ajoute : « qui mange avec moi ». Comp. la narration de S. Luc.

Jean 13.22 Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant pas de qui il parlait. – Magnifique tableau, propre à S. Jean. Il décrit l’effet produit sur les Douze par cette parole qui, sans désigner directement la personne du traître, était d’une précision beaucoup plus nette que les allusions des versets 10 et 18. – Se regardaient. Notez l’imparfait : ils regardaient et regardaient encore en conséquence de cette lugubre nouvelle jetée parmi eux. – Les uns les autres : comme pour s’interroger mutuellement du regard. Rien de plus vrai sous le rapport psychologique. Les apôtres, plongés dans une morne stupéfaction, manquent d’abord de paroles pour exprimer leurs sentiments. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’ils durent poser à Jésus la question réitérée dont parlent les synoptiques : Est‑ce moi, Seigneur ? La « cène » de Léonard de Vinci rend à merveille ce muet et douloureux étonnement des disciples. Ils sont là, se regardant mutuellement, marquant par des poses aussi belles que variées leur inquiétude, leur tristesse, leur indicible ébranlement moral : ne sachant de qui il parlait. Dans le texte grec, le verbe exprime moins l’hésitation et le doute que l’étonnement. On trouve ce même verbe Luc. 24, 4 ; Actes 25, 20 ; 2 Corinthiens 4, 5 ; Galates 4, 20.

Jean 13.23 Or, l’un d’eux était couché sur la poitrine de Jésus, c’était celui que Jésus aimait. – Ici se place dans notre évangile un épisode dramatique, auquel rien ne correspond chez les synoptiques. Pour le rendre parfaitement intelligible, et lui rendre ce que nos coutumes occidentales lui ont fait perdre de sa vie, il sera bon de réunir en cet endroit, en les complétant sur quelques points, les notes que nous avons répandues çà et là touchant l’attitude et le placement des convives à table au temps de N.-S. Jésus‑Christ. Les convives étaient à demi‑couchés, d’ordinaire au nombre de trois, sur des divans qui recevaient, ensuite de cette circonstance, le nom de lits de salle à manger ; mais, au besoin, un lit pouvait contenir quatre et même cinq personnes. Ces divans étaient assez bas, et munis de coussins sur lesquels on appuyait le coude gauche, qui supportait la tête. On les disposait à peu près en fer à cheval, de manière à former les trois côtés d’un carré, le quatrième restant libre pour le service. Chaque lit avait sa dénomination : « summus » (le plus élevé) à droite, « medius » (médian) au centre, « imus » (le plus bas) à gauche. Des épithètes identiques caractérisaient les convives couchés sur un même divan. Ces noms provenaient du degré d’honneur attaché soit aux lits, soit aux places. Au milieu du fer à cheval était la table, petite et peu élevée. D’après la coutume juive (voyez le traité talmudique Beracoth, fol. 46, 2, l’hôte se tenait « medius in summo ». Derrière lui, ou au‑dessus de lui, comme on disait, était la place d’honneur, « summus in summo » ; devant lui, ou au‑dessous de lui, se trouvait la troisième place, « imus in summo ». D’après l’attitude reçue, tout convive placé à un rang inférieur sur un divan pouvait aisément appuyer sa tête contre la poitrine de celui qui le précédait immédiatement. Aussi, pour ce motif, la troisième place était‑elle réservée habituellement à un ami intime. – Telle était précisément, dans le cas actuel, la position du disciple privilégié du Sauveur : il était couché sur la poitrine de Jésus (l’imparfait de la durée),sur cette expression, comp. 1, 18 ; Luc. 16, 22. – Celui que Jésus aimait. Notez ici, comme en d’autres passages analogues, la douce et aimable répétition de ce nom sacré. Quant à cet heureux apôtre que Jésus chérissait entre tous, indépendamment de la tradition, qui est unanime pour le désigner, la façon délicate dont il est parlé de lui indiquerait, à elle seule, qu’il n’est autre que l’évangéliste lui‑même. Voyez la Préface, § 1. Même à l’âge avancé où il composa son récit, ce souvenir de la familiarité de son bon Maître était si vivant à son cœur et lui présentait tant de charmes, que trois fois encore il y fera clairement allusion. 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7, 20.

Jean 13.24 Simon-Pierre lui fit donc signe pour lui dire : « Qui est celui dont il parle ? »– Il est fort possible que S. Pierre ait occupé la place d’honneur (« summus in summo »), ainsi qu’on l’a souvent conjecturé. Alors, se redressant à demi derrière Jésus sur le divan, il aura fait un geste et prononcé à voix basse un mot rapide, en un moment où l’apôtre bien‑aimé se trouvait tourné de son côté. Du reste, quelque rang qu’il occupât la narration nous montre qu’il n’était pas très éloigné de S. Jean. Que c’est bien lui, tel que nous le connaissons déjà par les pages antérieures de toute l’histoire évangélique. Ardent, inquiet, aimant passionnément son Maître, et ne pouvant supporter plus longtemps la cruelle incertitude suscitée par l’annonce de la trahison de l’un d’entre eux. Peut-être encore espérait‑il sauver Jésus, ce qui lui deviendrait plus facile s’il connaissait l’apôtre infidèle. – Qui est celui dont il parle ?

Jean 13.25 Le disciple, s’étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? »Ce disciple, s’étant alors penché… Détail admirable, à coup sûr l’un des plus beaux de l’évangile. Strauss, Keim et consorts n’y trouvent qu’une misérable intrigue du narrateur, lequel chercherait à faire valoir Jean aux dépens de Pierre ; mais détournons‑nous de cette mesquine et révoltante explication, pour goûter le véritable sens. Le texte grec surtout est dramatique, il emploie le verbe επιπεσών, littéralement : s’étant jeté sur…, qui exprime un mouvement subit de l’apôtre bien‑aimé, un brusque changement d’attitude après le signal de S. Pierre, afin d’adresser aussitôt la parole à Jésus. Beau contraste avec sa pose précédemment décrite (v. 23). – Sur la poitrine. Les mots ἐπὶ τὸ στῆθος ont fait donner à S. Jean dès la plus haute antiquité le beau nom de ἐπιστήθιος, « celui qui se tient sur la poitrine ». Voyez Eusèbe, H. E., 5, 8, 24.

Jean 13.26 Jésus répondit : « C’est celui à qui je présenterai le morceau trempé. » Et ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon.Jésus répondit. Le Sauveur n’a pas de secrets pour son apôtre favori. Évidemment, d’après le contexte (v. 28), c’est à voix basse qu’il lui fit sa réponse, puisque le reste du groupe des douze apôtres ne connaissait rien encore au moment où Judas quitta la salle. – C’est celui à qui je présenterai le morceau trempé. Le substantif ψωμίον désigne un « morceau » en général (le Nouveau Testament ne l’emploie qu’ici et aux vv. 27 et 30). C’est grandement à tort qu’on a vu dans le ψωμίον une petite tranche de l’agneau pascal, ou même la sainte Eucharistie (S. Cyrille d’Alex., Tholuck). Jésus, ayant donc rompu un morceau de pain azyme, dont la forme mince et malléable se prêtait fort bien à cette opération, le trempa, non dans du vin, comme dit Nonnus, mais dans le charocelle, cette sauce complexe que nous avons décrite ailleurs (voir la note sous Matth., 26, 21.). L’acte de Jésus était en soi une marque d’honneur et d’amitié : les habitants de l’Orient biblique, quand ils voulaient donner à l’un de leurs convives un témoignage particulier de respect ou d’affection, recueillaient sur un morceau de pain trempé dans un des plats et le lui présentaient directement. Le Talmud dit aussi que le père de famille agissait de la même manière vers la fin du repas de la Pâque. – Ayant trempé du pain. Le grec a de nouveau ψωμιον. Il emploie le temps présent au lieu du preterit ; de plus, quelques manuscrits ajoutent λαμβανει avant ce verbe : Ayant donc trempé le pain, il le prend et le donne à Judas. De ces détails graphiques il ressort que Judas n’était pas très éloigné de son Maître ; peut-être était‑il sur le lit voisin.

Jean 13.27 Aussitôt que Judas l’eut pris, Satan entra en lui et Jésus lui dit : « Ce que tu fais, fais-le vite. » – Effet sinistre produit par un acte bien simple. Aussitôt après avoir accepté le morceau de pain que lui tendait Jésus, Judas, qui s’était totalement endurci dans le mal, tomba dans la possession pleine et entière de Satan : Satan entra en luicf.Matth. 12, 45 ; Marc. 5, 12 ; Luc. 8, 30, etc., pour désigner des faits analogues.Notez le ἐκεῖνονdu grec (en lui, en celui‑ci), employé en mauvaise part (de même au v. 30) : désormais Judas ne fait plus partie du collège des Douze, il est un suppôt du démon. Voyez au v. 2 et Luc. 22, 3, le début de cette horrible prise de possession. Le démon entra dans Judas, dit S. Augustin, « pour prendre entièrement possession de celui qui s’était livré à lui » (Traité 62 sur S. Jean, 2). Évidemment l’évangéliste n’avait pu savoir ce trait que par une inspiration spéciale. S. Thomas d’aquin n’interprète pas dans le sens d’une possession démoniaque en bonne et due forme. Une première entrée de Satan fut quand Judas consentit à la tentation de livrer Jésus (13,2), et ici cela signifie la décision ferme de se livrer entièrement au mal sachant que c’était le mal, la malice de Judas devient parfaite, avant la bouchée et après la bouchée. Selon Luc, Satan entra en Judas pour susciter la trahison, et selon Jean, Satan entra en Judas pour la parachever, la rendre parfaite en son genre. – Et Jésus lui dit. Dans le grec, « lui dit donc »…: par suite de la connaissance que Jésus avait de l’endurcissement total de Judas. – Ce que tu fais (au présent, car l’œuvre néfaste de trahison était déjà commencée, cf. Matth. 26, 14 et ss.), fais‑le vite. Par cette parole, prononcée à haute voix d’après le verset suivant, Jésus offrait tout ensemble au traître une dernière grâce, et une facile occasion de se retirer s’il persistait dans sa perfidie. Je connais tes plans criminels, auras‑tu le courage de les exécuter ? Si tu veux me livrer à mes ennemis, c’est le moment : hâte‑toi de le faire. Comme le dit fort bien S. Léon, « Ce n’est pas la parole de quelqu’un qui commande, mais qui permet ; pas de quelqu’un qui est pressé, mais qui est prêt. » (Sermon 7 sur la Passion). En outre, Jésus désirait être désormais seul avec les apôtres fidèles, pour se livrer aux plus intimes épanchements.

Jean 13.28 Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela. – Aucun…ne comprit. Pas même S. Jean. La phrase de Jésus était trop générale pour qu’on en pût percer la douloureuse profondeur. Pourquoi, en vue de quelle affaire précise.

Jean 13.29 Quelques-uns pensaient que, Judas ayant la bourse, Jésus voulait lui dire : « Achète ce qu’il faut pour la fête » ou « Donne quelque chose aux pauvres. » – Petit commentaire intéressant du v. 28. Loin de soupçonner la réalité, les onze autres apôtres tirent deux hypothèses qui en étaient éloignées de cent lieues : 1° Judas étant l’économe du groupe (il avait la bourse cf. 12, 6), ils supposèrent que leur Maître avait voulu lui dire : Achète ce qui nous est nécessaire…Le lendemain, 15 nisan, étant le grand jour de la fête pascale, plus d’une emplette était nécessaire pour la célébrer dignement. Explication toute naturelle ; et pourtant, ainsi que nous l’avons dit ailleurs (voir la note sous Matth., 26, 17.), on a trouvé, dans cette supposition faite par les disciples, l’une des plus fortes objections contre l’identité de la cène du quatrième évangile avec celle que racontent les synoptiques. Nous renvoyons à notre commentaire antérieure, ainsi qu’à Exode 12, 16, et à Luc. 23, 56, deux passages qui montrent que certains achats et certaines occupations étaient compatibles avec le repos de la Pâque. – Ou Donne quelque chose aux pauvres... Le langage devient tout à coup indirect, comme en d’autres circonstances nombreuses. L’aumône à laquelle pensaient en ce moment les apôtres n’aurait pas eu le caractère général de celle qui a été mentionnée plus haut, 12, 5 et ss ; son but eut été très particulier et propre à la Pâque, conformément aux prescriptions mosaïques qui recommandent fortement de ne pas oublier les pauvres en cette fête, cf. Deutéronome 16, 10-12. A l’occasion de la Pâque, les plus démunis des israélites reçoivent de leurs coreligionnaires des invitations, ou des dons généreux qui les aident à fêter ce grand jour. On agissait d’ailleurs ainsi pour toutes les solennités principales, cf. Néhémie 8, 10, 12.

Jean 13.30 Judas ayant pris le morceau de pain, se hâta de sortir. Il faisait nuit. – Ayant pris le morceau de pain. Répétition emphatique ; comparez les versets 26 et 27. – se hâta de sortir. Il y a quatre actes rapides dans ce drame poignant : Judas reçoit la bouchée, Satan achève de s’emparer du traître, Jésus congédie le malheureux apôtre, Judas sort aussitôt. – Et il faisait nuit. Cette phrase est vraiment, ainsi qu’on l’a dit, d’une tragique brièveté : elle produit en un pareil endroit un effet saisissant et lugubre. S. Augustin (in h. l.) la commente à merveille par cette simple note : « Celui qui sortit était lui‑même la nuit ». Le festin pascal ne pouvait commencer qu’après le coucher du soleil ; voici que Jésus et les siens l’achevaient, et c’était maintenant la nuit noire, mais surtout une nuit morale définitive pour le traître. Voyez, 1, 40 : 6, 59 ; 8, 20 ; 10, 23 ; 11, 35, etc., d’autres détails également dramatiques du quatrième évangile. – Ici se place, d’après l’opinion que nous avons toujours regardée comme la plus probable, l’institution de la sainte Eucharistie. Voyez la note sous Luc, 22, 23. De nombreux exégètes excluent Judas de la cène eucharistique. Les partisans du sentiment contraire insèrent ordinairement la Pâque chrétienne à la suite du v. 20.

Jean 13.31 Lorsque Judas fut sorti, Jésus dit : « Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Les discours d’après la cène de Jean 13, 31 à 16, 33 sont un « Incomparable entretien, qui est bien ce que la terre a jamais entendu de plus sublime, de plus bienfaisant et de plus tendre. Nous y voyons éclater, comme elle ne l’avait pas encore fait, l’adorable beauté du Fils de l’homme ». Bougaud, Jésus‑Christ, 4e édit., p. 502 et 514. C’est vraiment ici le cœur de l’évangile, le cœur de toute la Bible ; c’est aussi un sanctuaire où l’on s’agenouille pour adorer et pour aimer. – Il règne dans ces pages un étonnant mélange de douce simplicité, d’élévation toute divine. Même dans le quatrième évangile, où l’on découvre tant de sublimités, nulle part, si ce n’est au prologue (1, 1-18), on ne trouve des passages qu’on puisse comparer à ce discours d’adieu et à la prière qui le suit (chap. 17). Les richesses théologiques abondent, et surtout les preuves de la divinité de N.-S. Jésus‑Christ. – Discours d’adieu ou Testament de Jésus : ces noms expriment assez bien l’idée dominante autour de laquelle se groupent d’elles‑mêmes toutes les autres pensées. Dans quelques heures le divin Maître va mourir ; avant de se séparer de ses apôtres il leur adresse ses dernières paroles, sous forme de consolations, d’avertissements, de recommandations. Jésus parle cinq fois du Paraclet : 14, 16-17 ; 25-26 ; 15, 26 ; 16, 8-15 ; 23-25 ; trois fois des relations de l’Église avec le monde : 14, 22-24 ; 15,18-25 ; 16, 1-3. Il en est de même de son propre départ et de son retour qu’il mentionne d’abord simplement, pour y revenir encore un peu plus loin, et d’autres fois encore). – Lorsque Judas fut sorti, Jésus dit. Jusqu’alors la présence du traître avait oppressé, gêné pour ainsi dire le cœur sacré du Sauveur ; il retrouve tout à coup sa liberté et il éclate en un transport sublime. « C’est comme si, une fois la digue rompue, des torrents de grâce s’écoulaient des lèvres de Jésus », dit un ancien commentateur (Lampe). – Maintenant ouvre l’entretien d’une manière significative et vraiment sublime. Maintenant, en cet instant même. Moment que Jésus avait attendu avec tant d’impatience : « J’ai à être baptisé d’un baptême, et comme je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse. », Luc. 12, 50. – Judas exécutait son horrible démarche, qui allait livrer le Sauveur à la mort ; mais la passion, déjà virtuellement achevée, devait produire un triomphe infaillible, que Jésus mentionne comme un résultat également atteint : le Fils de l’homme a été glorifié. C’était un fait accompli dans le domaine logique, cf. 12, 28, 32. – Fils de l’homme. Voyez la note de 1, 52. Nom d’humilité associé à une ineffable glorification. Nom important, du reste, pour l’interprétation de ces pages, où il est aussi souvent question des rapports du « Fils de l’homme » avec Dieu que du Fils avec le Père. – Et Dieu a été glorifié en lui. C’est un résultat parallèle au premier. Si un simple disciple est capable de glorifier le Seigneur en donnant sa vie pour lui (21, 19), combien plus le Verbe incarné. cf. 17, 1.

Jean 13.32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même et il le glorifiera bientôt. – Jésus insiste, mais dans l’ordre inverse, sur cette double gloire qui sera le fruit de ses souffrances et de sa mort. – Si Dieu… La conjonction « si » exprime une relation de causalité, elle équivaut à « parce que » (« Cette façon de s’exprimer ne réfère pas à une condition, mais à une cause », Maldonat). – Dieu aussi le glorifiera. Dieu aussi, Dieu à son tour. Admirable échange d’honneurs et de glorification. En Lui‑mêmecorrespond à « en lui » : le Fils de l’homme sera glorifié en Dieu, de même que Dieu aura été glorifié dans le Fils de l’homme. Mais, pour Dieu, « Le glorifier aussi en Lui‑même » ce sera s’associer N.-S. Jésus‑Christ de la façon la plus intime, faire asseoir à sa droite le Fils de l’homme pour régner et gouverner avec lui à tout jamais. Belle observation d’Origène : le Père donne plus au Fils de l’homme qu’il n’en a reçu. – il le glorifiera bientôt: sans aucun retard. En effet, l’heure du triomphe de Jésus était proche. – Remarquez ces nuances délicates : au verset 31, le Sauveur envisageait son triomphe comme accompli déjà ; il le place maintenant dans un très prochain avenir ; plus loin, 17, 1, il en demandera la réalisation. Au fond cela revient au même.

Jean 13.33 Mes petits-enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps. Vous me chercherez et comme j’ai dit aux Juifs qu’ils ne pouvaient venir où je vais, je vous le dis aussi maintenant. – Jésus descend tout à coup de ces hauteurs sublimes auxquelles il s’était élevé par anticipation. Pour aller jouir là-haut d’une si noble gloire, il lui faudra quitter ses bien‑aimés disciples, et il les prépare à cette séparation. – Mes petits enfants : suave appellation de sollicitude et de tendresse, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’évangile ; mais S. Jean l’emploie lui‑même plusieurs fois dans ses lettres, cf. 1 Jean 2, 1, 12, 28 ; 3, 7, 18 ; 4, 4 ; 5, 21. Ici elle s’échappe spontanément du cœur de N.S. Jésus‑Christ, au souvenir de ceux qu’il va bientôt laisser orphelins. – Je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps. Jésus n’avait guère qu’une heure ou deux à passer dans la compagnie du groupe des douze apôtres avant l’agonie de Gethsémani. – Vous me chercherez. Ilsle cherchèrent en effet d’une manière anxieuse, non seulement après sa Passion, et sa Résurrection, mais même après avoir été témoins de son Ascension, cf. Actes 1, 10, 11. – Et comme j’ai dit aux Juifs. Ce nom de « Juifs » est assez rare sur les lèvres de Notre‑Seigneur, cf. 4, 22 ; 18, 20, 36. La parole qu’il rappelle en ce moment remontait à la fête des Tabernacles. Voyez 7, 34, et l’explication (cf. 8, 21, 24). Il la cite dans les mêmes termes, mais en lui donnant une autre signification. Là, il s’agissait d’une séparation définitive et absolue ; ici les mots là où je vaisn’expriment qu’unéloignement temporaire et relatif. Là, Jésus disait aux Juifs : Vous ne pouvez venir, sous forme de terrible menace ; ici, c’est un délicat euphémisme pour préparer ses disciples à sa mort. Aussi n’ajoute‑t‑il pas, comme il l’avait fait précédemment : « et vous ne me trouverez pas ». – Et je vous le dis aussi maintenant. Le pronom est accentué, et aussi le mot maintenant : en cet instant même, car il est temps que vous soyez avertis.

Jean 13.34 Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, que comme je vous ai aimés, vous vous aimiez aussi les uns les autres.Je vous donne un commandement nouveau. Ainsi séparés de leur Maître, les disciples devront se soutenir mutuellement, en redoublant d’amour les uns pour les autres. Jésus leur laisse donc ce magnifique précepte de la charité fraternelle comme une sorte de compensation (vv. 34 et 35). Il insiste d’une manière étonnante, commençant par intimer l’ordre (v. 34a), puis le répétant pour en préciser le mode (v. 34b), et le réitérant encore pour en faire remarquer l’extrême importance (v. 35). Que vous vous aimiez les uns les autres. Voilà le commandement nouveau. Non qu’il fût absolument neuf en lui‑même ; car il faisait partie intégrante de la loi mosaïque, et on le trouve en toutes lettres au Lévitique, 19, 18 (cf. Matth. 22, 37 et ss.). Mais, dans la pratique et la réalité de la vie juive, il ne dépassa guère les limites d’une bienveillance restreinte, tandis qu’il est ici élargi, complété, par conséquent tout à fait renouvelé. Voyez le beau commentaire de Jésus lui‑même dans la parabole du bon Samaritain, Luc. 10, 30 et ss. Surtout, et c’est en cela véritablement que consiste la nouveauté mise en relief par le législateur de la Nouvelle Alliance, Notre‑Seigneur y ajoute un motif et un mode d’accomplissement inconnus jusqu’alors, lorsqu’il dit : comme jevous ai aimés. Nous entr’aimer parce qu’il nous a aimés, et comme il nous a aimés : sublime idéal de la charité fraternelle. « Puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres », 1 Jean 4, 11. « Non pas de la manière dont s’aiment ceux qui se corrompent, non pas de la manière dont s’aiment les hommes, parce qu’ils sont hommes ; mais de cet amour qu’ils doivent avoir parce qu’ils sont tous des dieux et les fils du Très‑Haut, et qu’ils veulent être les frères de son Fils unique ». S. Augustin d’Hippone, Traité sur S. Jean, 65, 1. Voyez d’autres explications du mot nouveau dans Maldonat, Tolet, Meyer, etc. Elles sont recherchées pour la plupart. Remarquez l’emploi du passé : je vous ai aimés.Jésus, comme en d’autres nombreux passages de ce discours, parle au point de vue de sa mission terrestre, qu’il regardait comme terminée.

Jean 13.35 C’est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » C’est à cela. Ce pronom est fortement accentué. L’affection si profonde et si parfaite que Jésus impose à ses disciples les uns envers les autres sera le signe caractéristique de son église. – Tous connaîtront(dans le texte grec : parviendront à reconnaître) : tous, quels qu’ils soient, Juifs et païens : le monde entier, malgré son hostilité, sera forcé d’admirer. – Si vous avez de l’amour. En somme, les chrétiens ont fidèlement accompli ce noble précepte, cf. Actes 3, 44 et ss. ; 4, 32 et ss. Tertullien, Apol. 39, cite ce témoignage des païens : « Vois, disent‑ils, comme ils s’aiment les uns les autres… et comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres… Car eux (les païens), se haïssaient entre eux… et ils étaient plus que prêts à se tuer les uns les autres ». La parole de Minutius Félix est également bien connue : « Les chrétiens s’aiment même avant de se connaître ». Par contre, S. Jean Chrysost., Com. in Jean 71, se plaint des divisions entre chrétiens, dont le résultat, dit‑il, est d’empêcher les païens de se convertir. Voyez dans la Préface, § 1, l’anecdote touchante qui montre combien S. Jean avait pris à cœur ce commandement du Maître.

Jean 13.36 Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où allez-vous ? » Jésus répondit : « Où je vais, tu ne peux me suivre à présent, mais tu me suivras plus tard.S. Pierre, si ardent et si aimant, est demeuré tout absorbé par les douloureuses paroles du v. 33, qui annonçaient le prochain départ de Jésus. Il oublie le reste, et se permet d’interrompre pour obtenir un éclaircissement : Seigneur, où allez-vous ? Un autre « Seigneur, où allez-vous ? » de S. Pierre revient à la pensée quand on lit ce passage. Sur cet incident si délicat, qui se serait passé à Rome quelques heures avant la mort de S. Pierre, quand il essayait d’échapper au supplice par la fuite, voyez Tillemont, Mémoires, t. 1, p. 187 et 555. Jésus répondit. Quoique la question eût été inspirée par un généreux amour, Jésus refuse d’y répondre directement ; il renvoie S. Pierre à l’avenir, par lequel il ne tardera pas d’être instruit. – Où je vais, tu ne peux me suivre à présent. Au v. 33, c’était la même pensée et presque les mêmes termes, appliqués à tous les apôtres. – mais tu me suivras plus tard. « Plus tard » est opposé à « maintenant » : quand S. Pierre aura rempli sa mission ici‑bas. Jésus fait sans doute allusion dès cet endroit au crucifiement du prince des apôtres. Voyez 21, 18, 19 et le commentaire.

Jean 13.37 Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je vous suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour vous. »Simon-Pierre lui dit. Il insiste, trouvant l’explication trop vague. Le Seigneur permettait aux siens une grande familiarité. – Pourquoi ne pourrais‑je pas… maintenant ?(dans le texte grec : sur l’heure, cf. 2, 10). Il appuie à son tour sur « maintenant ». Puis il ajoute avec l’énergie qui le caractérise, comprenant que le départ de Jésus n’est autre que la mort : Je donnerai ma vie pour vous. Il se déclare prêt à mourir avec son Maître. Admirable générosité, mais trop d’empressement, dit S. Augustin, Traité sur S. Jean 66, 1 : « Pierre, pourquoi te hâtes‑tu ? La Pierre ne t’a pas encore affermi en te communiquant son esprit ; ne te laisse pas entraîner par la présomption. Tu ne peux venir maintenant ; mais ne te laisse pas abattre par le désespoir, tu me suivras un jour ». Sur l’expression « donner sa vie » voyez 10, 11 et la note.

Jean 13.38 Jésus lui répondit : « Tu donneras ta vie pour moi. En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas, avant que tu ne m’aies renié trois fois. » – Jésus lui répondit. « Il était malade, et il vantait sa bonne volonté ; mais le médecin voyait sa faiblesse », dit encore S. Augustin, Traité sur S. Jean 66, 1, et c’est une chose bien triste que Jésus va prédire. – Tu donneras ta vie pour moi… ? Il reprend les paroles de l’apôtre ; puis, en termes solennels et en attestant la divine vérité (en vérité…), il annonce qu’avant peu S. Pierre l’aura lâchement renié jusqu’à trois fois. – Le coq ne chantera pasC’est-à-dire : avant la prochaine aurore, dans cette nuit même. voyez la note sous Matth., 26, 34. S. Luc, 22, 34,suppose également que cette prophétie fut proférée au cénacle ; S. Matthieu, 26, 30-35, et S. Marc, 14, 26-30, la placent sur le chemin de Gethsémani. Il est possible qu’elle ait été réitérée deux fois (Voyez la note sous Luc, 22, 34).S. Pierre ne prendra plus la parole durant la suite de l’entretien. On conçoit sans peine que la tristesse et l’effroi se soient emparés de son âme, et l’aient rendu muet.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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