CHAPITRE 14
Jean 14.1 « Que votre cœur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. – « Lisez le chapitre 14, a dit Bossuet, et vous y trouverez des profondeurs à faire trembler ». Méditations sur l’Évangile, 77e jour. Profondeurs étonnantes, en effet, sur l’éternité bienheureuse, sur l’auguste Trinité, sur la nature divine de Jésus‑Christ. Pour rassurer et consoler les apôtres, que l’annonce de la séparation a vivement émus, Jésus va susciter de toutes manières leur espérance. Il le fait « avec un accent de tendresse non moins saisissant que l’élévation de la pensée… Le développement est d’une incomparable beauté ». Le Camus, La vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 2, p. 244. Il leur donne d’abord, dans ce paragraphe, la certitude d’une réunion future. C’est au ciel, auprès de son Père, qu’il retourne, et il préparera là-haut une place à ses disciples : d’ailleurs, il viendra lui‑même un jour les chercher individuellement pour les introduire à cette place d’honneur. – Que votre cœur ne se trouble pas : expression très énergique. Plusieurs incidents étaient venus coup sur coup alarmer, bouleverser les disciples depuis quelques instants : la dénonciation du traître, la nouvelle du départ de leur Maître, la prédiction du reniement de S. Pierre. Ils pressentaient enfin que des événements tragiques étaient imminents. Le cœur, ce siège perpétuel des angoisses et des troubles. – Vous croyez en Dieu. Premier motif de calme : une parfaite confiance, soit en Dieu, soit en lui‑même. Beaucoup d’anciens exégètes grecs (notamment S. Cyrille, Nonnus, Théophylacte, Euthymius), et des commentateurs modernes, traduisent deux fois de suite le verbe à l’impératif : croyez en Dieu et croyez en moi. Et rien de plus légitime au point de vue du contexte et de la grammaire. Jésus établit d’abord un fait : Vous croyez en Dieu ; puis il en tire cette juste conséquence : croyez aussi en moi. Comme s’il disait : Mon Père et moi nous sommes solidaires l’un de l’autre, à cause de notre parfaite unité. Si vous avez confiance en lui, vous pouvez pareillement vous fier à moi, car notre puissance est la même. S. Cyrille : « vous croyez en Dieu, c’est à dire, vous avez appris de la Loi et des Docteurs qui vous ont instruits, à croire au Dieu d’Israël, comme au souverain protecteur du peuple qu’il a choisi. Croyez donc de même en moi, comme en celui qu’il a envoyé pour votre salut, qui est tout-puissant pour vous soutenir au milieu de grands périls, dont vous êtes menacés, et qui vous aime comme ses disciples qu’il a pris sous sa divine protection. Soyez très persuadés que tous ces maux passeront, que la foi que vous avez et en moi et en Dieu mon Père, vous rendra plus forts que tous vos persécuteurs et invincibles à tout ce que les hommes vous feront souffrir ».
Jean 14.2 Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père, s’il en était autrement, je vous l’aurais dit, car je vais vous y préparer une place. – Pour faire pénétrer cette confiance plus avant dans leurs cœurs troublés, il leur rappelle la vraie signification de sa mort : pour lui, mourir c’est aller prendre possession du ciel. – Dans la maison de mon Père. Plus haut, 2, 16, Jésus employait la même locution pour désigner le temple de Jérusalem, qui était en réalité le palais de Dieu sur la terre ; ici, c’est évidemment le ciel qu’il désigne, le lieu du divin séjour, cf. Psaume 2, 4, 32, 13, 14, Isaïe 68, 15 ; Matth. 5, 34 ; 6, 9. – De nombreuses demeures. Détail pittoresque. Quelle simplicité de langage pour exprimer les idées les plus hautes. La résidence du Seigneur ressemble à ces résidences princières où il y a beaucoup d’appartements, où l’on est sûr, par conséquent, de trouver de la place pour tous. Que les apôtres demeurent donc dans la paix. Déjà Tertullien ajoutait cette autre déduction « Comment y a‑t‑il plusieurs demeures auprès du Père, si ce n’est à cause de la diversité des mérites ? Comment, dans la gloire, une étoile sera‑t‑elle plus brillante qu’une autre, si ce n’est à cause de la diversité de leurs rayons ? ». L’idée est belle et exacte, et les anciens écrivains ecclésiastiques l’ont souvent répétée à propos de ce passage mais elle n’y est pas directement contenue. La pensée principale est bien marquée par le substantif demeure, de demeurer (d’où nous avons fait « maison ») : il s’agit avant tout d’une demeure permanente. Demeure n’apparaît qu’ici et au v. 23 dans le Nouveau Testament. – s’il en était autrement… Cette ligne est un peu obscure, et elle a reçu un assez grand nombre d’explications diverses. 1° C’est de la particule ὅτι, (que, parce que) que vient principalement la difficulté, et tel est le motif préalable de sa disparition dans quelques manuscrits grecs (N, Γ, Δ, Λ, etc., et la Recepta) : on l’aura supprimée pour alléger la phrase ; mais elle est aussi bien garantie que possible, car on la trouve dans les meilleurs documents (א, A, B, C, D, K, L, X, Π, les versions, etc.). 2° Quelques commentateurs donnent un tour interrogatif : S’il n’en était pas ainsi, vous aurais‑je dit que je vais vous préparer une place ? Dans ce cas, Jésus ferait allusion à une parole qu’il avait antérieurement prononcée. Mais où est cette parole ? On ne la trouve ni dans S. Jean ni dans les synoptiques. 3° Selon d’autres, le ὅτι est récitatif, à la façon hébraïque, ainsi qu’il arrive si souvent dans le quatrième évangile. « S’il n’y avait pas plusieurs demeures dans la maison de mon Père, je vous l’aurais dit. Il faut que je m’en aille pour vous préparer une place, de peur qu’elle soit occupée ». C’est le sentiment de S. Augustin, de Bède le Vénérable, etc. Toutefois, Maldonat a raison de dire que, d’après cette opinion, « C’était un lieu difficilement praticable ». 4° Nous préférons donc, avec Bossuet, Patrizi, Schanz, et presque tous les modernes, laisser à ὅτι sa signification plus habituelle de « parce que ». Jésus veut démontrer qu’il y a au ciel suffisamment de place pour tous ses amis. « S’il en était autrement, je vous l’aurais dit, afin de vous éviter une désillusion cruelle ; mais il en est réellement ainsi, et la preuve, c’est que je vais vous préparer une place ». – Vous y préparer une place. Promesse bien douce. cf. Hébreux 4, 14 et 6, 30, où il est dit que Jésus est monté au ciel comme notre précurseur. Auparavant le séjour bienheureux nous était entièrement fermé. « Le ciel était inaccessible aux hommes, et jamais une chair n’avait auparavant foulé le lieu pur et très saint des anges. Mais le Christ fut le premier à nous donner accès à ce lieu, et il livra à la chair le secret d’y monter en s’offrant à Dieu Père comme prémisses de ceux qui sont morts et qui gisent dans la terre. Et il fut le premier homme à se montrer à ceux qui sont au ciel ». S. Cyrille d’Alexandrie, h. l.
Jean 14.3 Et lorsque je m’en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. – Je vous aurai préparé une place. Jésus réitère cette pensée consolante, pour y rattacher une autre perspective d’avenir plus consolante encore. – Et je vous prendrai. « Remarquez le changement de temps. Les mots avec moi marquent une union à la personne même de Jésus, idée que contenait déjà le verbe je prendrai. Après une courte séparation, les apôtres devaient donc retrouver, et d’une façon beaucoup plus intime, cette présence bien aimée dont ils avaient goûté les charmes durant trois ans. On voit par là que la promesse « Je reviendrai » ne doit pas s’entendre de la fin des temps, mais d’un avenir rapproché : à la mort de chacun des disciples (voyez une bien belle réalisation pour S. Étienne, Actes 7, 55). Et cela est précisément indiqué par le futur : Jésus vient sans cesse et il est perpétuellement présent à son Église ; mais il introduit ses amis au ciel l’un après l’autre, au temps voulu par la Providence. – Afin que… Motif pour lequel il viendra chercher ses disciples, et résultat final obtenu pour eux. – Là où je suis : au ciel, dans la maison de son Père (v. 2). – Vous y soyez aussi. II ne veut pas jouir sans eux de sa gloire et de son bonheur. Actuellement il ne saurait les conduire au ciel avec lui, mais alors il se les réunira pour toujours.
Jean 14.4 Et là où je vais, vous en savez le chemin. » – Jésus insiste sur cette idée souverainement consolante du ciel, où il va et où les apôtres le rejoindront plus tard ; mais il ajoute ici un détail important, relatif au chemin qui y conduit. – Vous en savez… En effet, « Les disciples savaient, mais ils ne savaient pas qu’ils savaient » (S. Augustin, h. l.), par suite de leur embarras et de leur trouble, cf. v. 5.
Jean 14.5 Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons où vous allez, comment donc en saurions-nous le chemin ? » – Thomas lui dit. Le narrateur omet cette fois l’épithète habituelle de Didyme, cf. 11, 16 ; 20, 24 ; 21, 2. Quelle étonnante simplicité dans la question de S. Thomas. Jusqu’à la fin les apôtres demeurent imbus de leurs préjugés messianiques ; ils ont la plus grande peine à croire que leur Maître va mourir. – Sous le couvert du titre habituel, Domine (cf. 13, 36 ; 14, 8, 22), c’est un démenti formel qu’il donne à Notre Seigneur : nous ne savons pas où vous allez. Parlant au nom de tous, il affirme qu’ils ignorent le terme de ce mystérieux voyage sur lequel Jésus était revenu déjà plusieurs fois : comment donc connaîtraient‑ils la route ? C’est une pure impossibilité : comment pourrions‑nous savoir le chemin ? – Quelques auteurs ont vu, non sans quelque raison, dans l’interrogation de S. Thomas, un reflet de sa nature sceptique.
Jean 14.6 Jésus lui dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au Père que par moi. – Jésus lui dit. Réponse si profonde et si belle, où le Seigneur, par quelques mots seulement, mais avec tant de netteté, désigne à la fois et la route (Je suis la voie…) et le terme (au Père). Mais il le fait d’après sa méthode habituelle, négligeant le côté purement théorique, pour appuyer sur le côté pratique qui est le plus important pour nous, cf. vv. 23-24 ; 3, 4-6 ; 4, 19-24, etc. « Les apôtres désiraient connaître le chemin que Jésus allait suivre, et le lieu où il voulait se rendre ; sa réponse indique la voie par laquelle le disciple peut suivre son Maître et le rejoindre là où il va ». – Je suis la voie. Le Sauveur renverse l’ordre suivi par S. Thomas dans sa demande implicite, v. 5, et il montre en premier lieu la route, en second lieu le but du mystérieux voyage. Le pronom je est très emphatique, cf. 6, 35. Dans le texte grec le mot chemin, est précédé de l’article, et de même les deux substantifs qui suivent, ce qui les accentue pareillement. Jésus en personne est donc une voie royale et sûre, qui conduit d’une manière infaillible à la maison de son Père et aux nombreuses demeures qu’elle contient (v. 2). C’est là une admirable allégorie, analogue à celles du bon berger (10, 1-16) et de la vigne (15, 1-10), mais beaucoup plus concise puisqu’elle est renfermée dans un seul verset. L’idée exprimée est d’une importance vitale pour la vie chrétienne, et des rationalistes en ont très bien exposé le sens. M. Reuss, par exemple, La Théologie johannique, p. 281 « Jésus est le chemin… ; il ne guide pas seulement les siens, comme pourrait le faire un voyageur plus expérimenté que d’autres ; il les porte en même temps ; sans lui, le pèlerin cherchant le ciel ne trouverait pas où poser son pied, le sol même lui manquerait ». – Deux autres expressions, la vérité, et la vie, commentent la première au propre et sans figure. Jésus est la voie, parce qu’il est, d’une part, le parfait révélateur de Dieu et des choses divines (1, 14, 18), bien plus, la vérité incarnée et manifestée aux hommes ; d’autre part, la vie substantielle et parfaite, cf. 1, 4 et l’explication ; 6, 50-51 ; 11, 25. Les trois idées se tiennent ; celle que Jésus voulait mettre davantage en relief dans ce passage est placée en avant, puis développée encore dans la seconde moitié du verset. Quoique exacte au fond, l’interprétation de S. Augustin, « la voie véritable qui conduit à la vie », enlève de sa vigueur à la pensée. Chacun connaît le beau commentaire du livre : l’Imitation de Jésus-Christ, Livre 3, chap. 56, 1 : « Suivez-moi : je suis la voie, la vérité et la vie. Sans la voie on n’avance pas ; sans la vérité on ne connaît pas ; on ne vit pas sans la vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vérité que vous devez croire, la vie que vous devez espérer. Je suis la voie qui n’égare pas, la vérité qui ne trompe pas, la vie qui ne finira jamais. Je suis la voie droite, la vérité souveraine, la véritable vie, la vie bienheureuse, la vie incréée. Si vous demeurez dans ma voie, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera, et vous obtiendrez la vie éternelle ». – Nul (sans exception) ne vient au Père : voilà maintenant l’auguste terme auquel conduira cette voie. Et on ne saurait l’atteindre en suivant un autre chemin : que par moi. Notez la force des négations, cf. Éphésiens 2, 18 : « Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père ».
Jean 14.7 Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. Dès à présent, vous le connaissez et vous l’avez vu. » – La pensée, comme le langage, continue de s’élever de sphère en sphère. Le Sauveur vient de mentionner son Père céleste, auquel seul il peut conduire : il explique ici pourquoi il n’y a pas d’autre chemin que lui pour aller à Dieu. « En réalité, il n’est que l’extension du Père, dès lors la voie sainte qui mène à lui. Si voir Jésus c’est voir le rayonnement du Père, s’attacher à lui c’est atteindre et posséder le Père lui‑même. Donc, il est non seulement le chemin qui mène au Père, mais le sanctuaire, le miroir, l’image manifeste du Père ». Le Camus, Vie de N.-S. Jésus‑Christ, t. 2, p. 446 (dans ce bel ouvrage, M. Le Camus a particulièrement bien traité le discours d’adieu). – Si vous m’aviez connu. Si vous étiez arrivés à me connaître, grâce à tant de révélations successives que je vous ai faites de ma personne. – Vous auriez connu aussi mon Père… : par là-même vous connaîtriez mon Père. – Dès à présent, vous le connaissez. Précieuse assurance que Jésus donne à ses disciples. Non seulement ils « auraient pu » connaître Dieu le Père ; en vérité, déjà ils le connaissent (notez le temps présent), car, en cet instant même, Jésus le leur révèle avec la plus grande clarté. – Et vous l’avez vu : c’est une chose accomplie. N’ont‑ils pas vu le Père dans le Fils, qui est un avec lui ?
Jean 14.8 Philippe lui dit : « Seigneur, montrez-nous le Père et cela nous suffit. » – S. Philippe interrompt à son tour et de la même façon naïve que S. Thomas, v. 5. C’est la quatrième fois qu’il apparaît dans l’évangile selon S. Jean, cf. 1, 44-49 ; 6, 5-7 ; 12, 22. Homme pratique, 6, 5 et ss., qui aimait à se rendre compte des choses par ses propres yeux, 1, 45. – Montrez-nous le Père. Les dernières paroles de son Maître l’ont frappé (« et vous l’avez déjà vu »). Mais il leur a donné une interprétation sensible et bornée, au lieu du sens idéal et supérieur qu’elles présentaient. Or, il ne se souvient nullement d’avoir vu le Père. Si Jésus daignait le leur montrer. Il avait sans doute à l’esprit, en proférant cette audacieuse requête, les théophanies de l’Ancien Testament (Exemple : Exode 13,21 « Le Seigneur allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée, pour les guider dans leur chemin et la nuit dans une colonne de feu, pour les éclairer, afin qu’ils pussent marcher le jour et la nuit. 22 La colonne de nuée ne se retira pas de devant le peuple pendant le jour, ni la colonne de feu pendant la nuit » ; Exode 19, « 18 La montagne de Sinaï était toute fumante, parce que le Seigneur y était descendu au milieu du feu et la fumée s’élevait comme la fumée d’une fournaise et toute la montagne tremblait fortement. 19 Le son de la trompe devenait de plus en plus fort. Moïse parla et Dieu lui répondit par une voix. 20 Le Seigneur descendit sur la montagne de Sinaï, sur le sommet de la montagne et le Seigneur appela Moïse sur le sommet de la montagne et Moïse monta. » et il aurait souhaité, pour lui et les autres apôtres, quelque manifestation semblable. – Et cela nous suffit. Ils se tiendront alors pour satisfaits, et ils croiront pleinement à tout. Ce trait final n’est pas ce qu’il y a de moins étrange dans la demande.
Jean 14.9 Jésus lui répondit : « Il y a longtemps que je suis avec vous et tu ne m’as pas connu ? Philippe, celui qui m’a vu, a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : Montrez-nous le Père. – Non. « ce n’est pas a côté de Jésus qu’il faut désirer voir le Père, mais en Jésus ». Le Camus, l. c., p. 447. – La réponse du Sauveur commence par un reproche bien légitime, affectueusement exprimé : Il y a longtemps...! plus de trois années d’après la chronologie qui semble la meilleure. Et, en outre, dans des relations si intimes. La réflexion portait d’autant plus juste, que S. Philippe avait été l’un des premiers attachés à la personne de N.-S. Jésus‑Christ, cf. 1, 44. – Et tu ne m’a pas connu ? – Philippe. Il y a tout ensemble de la solennité et beaucoup de bonté dans cette appellation. La preuve que Jésus n’était pas vraiment connu de ses plus intimes disciples, c’est que ceux‑ci lui demandaient de voir son Père, comme si son Père et lui n’étaient pas, un seul et même Dieu. – celui qui m’a vu, a vu aussi le Père, cf. 12, 45, où Notre‑Seigneur avait déjà fait cette majestueuse déclaration, proclamant son unité d’essence avec Dieu dans les termes les plus catégoriques. – Comment peux-tu dire…? Jésus est comme douloureusement étonné qu’on puisse lui adresser une telle prière : n’est‑elle pas incompréhensible après tout ce qu’il a déjà montré de lui‑même, de son Père ? Voyez de beaux développements dans Bossuet, Méditat. sur l’Évangile, 84ème jour.
Jean 14.10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : le Père qui demeure en moi fait lui-même ces œuvres. – Que je suis dans le Père et que le Père est en moi, cf. 10, 38 et le commentaire. Ce que Jésus revendique de nouveau par ce langage saisissant, c’est la complète communauté d’essence avec Dieu. – Un raisonnement concis, mais décisif, rappelle à Philippe et aux autres apôtres une double démonstration, qu’ils semblaient oublier dans la circonstance présente. L’enseignement et les œuvres de leur Maître ne sont‑ils pas une preuve irrécusable de sa divinité ? cf. 5, 19, 30 ; 8, 26, 29 ; 12, 44. – 1° La preuve tirée de l’enseignement : Les paroles … je ne les dis pas de moi‑même. Jésus ne fait donc que prêter ses lèvres à son Père ; il est l’organe de Dieu quand il parle, car il ne diffère pas de Dieu. – 2° La preuve tirée des œuvres : Le Père… fait lui‑même mes œuvres. Le Père agit par le bras de Jésus, car la puissance de l’un est la puissance de l’autre.
Jean 14.11 Croyez sur ma parole que je suis dans le Père et que le Père est en moi. – S’adressant à tous les membres du groupe des douze apôtres, Jésus demande qu’ils le croient sur parole quand il leur dit : Je suis dans le Père et le Père est en moi. Cette répétition des mêmes paroles est significative.
Jean 14.12 Croyez-le du moins à cause de ces œuvres. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais et il en fera de plus grandes, – Croyez-le du moins… L’assertion de Jésus n’avait pas besoin de garantie. Pourtant, à ceux qui en désiraient une, il offre celle de ses œuvres, cf. 10, 37, 38 ; 15, 22, 24. – Première consolation : les prières des amis intimes de Jésus recevront au ciel l’accueil le plus favorable, car la gloire du Père y est intéressée, vv. 12b-14. Cette magnifique promesse est introduite par le serment habituel du Sauveur, en vérité, en vérité, je vous le dis. – Celui qui croit en moi. Une foi stable et perpétuelle est exigée par Jésus pour l’accomplissement de sa promesse. – Les œuvres que je fais. Ces œuvres, naguère mentionnées comme une des preuves les plus convaincantes de la divinité du Christ, étaient assurément, l’évangile entier en est témoin, supérieures à tout ce qui avait paru auparavant sur la terre. Et pourtant, Jésus daignera les continuer, les renouveler dans la personne de ses disciples. – Le Sauveur daigne ajouter : et il en fera de plus grandes : ce qu’on a parfois appliqué à divers miracles de S. Pierre, de S. Paul, ou des autres apôtres, que Jésus n’avait pas accomplis personnellement, cf. Marc. 16, 15 ; Actes 5, 15 ; 13, 8 ; 19, 12 etc. Mais la prédiction porte plus haut et plus loin que cela. Notre‑Seigneur parle d’œuvres en général, et pas seulement de miracles matériels ; et il est probable qu’il faisait allusion, d’une part à sa prédication et à son ministère, lesquels avaient été très restreints sous le rapport de l’espace et de la durée ; de l’autre au ministère et à la prédication des apôtres, qui devaient avoir l’univers entier pour théâtre. « Quand les disciples évangélisèrent… les païens crurent aussi. C’est, sans aucun doute, une grande chose », S. Augustin, h. l. – Parce que je m’en vais au Père. Ces mots ont pour but de motiver la déclaration qui précède ; mais quel est au juste le motif ? Deux opinions se sont formées sur ce point. D’après les uns, Jésus voudrait indiquer que son prochain départ devant nécessairement mettre fin à son activité personnelle, il achèverait par ses disciples ce qu’il ne pourrait continuer par lui‑même. Selon les autres, les apôtres seraient précisément rendus capables de si grandes choses par le retour de Jésus au ciel ; car alors, du sein de sa gloire, leur Maître leur prêterait son tout‑puissant concours. Nous préférons ce second sentiment, qui nous paraît exigé par le contexte, vv. 13-14.
Jean 14.13 parce que je m’en vais au Père et que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. – En effet, pour jouir de cette puissance à laquelle rien ne saurait résister, les apôtres devront l’obtenir de Dieu par de ferventes prières, que Jésus se charge de faire exaucer. – Tout ce que vous demanderez au Père. Il n’y a pas d’exception : tout ce qui peut être convenablement demandé au nom de N.-S. Jésus‑Christ sera accordé. – En mon nom. Nous rencontrons ici pour la première fois cette expression, « demander au nom de Jésus », qui reviendra à plusieurs reprises dans les pages suivantes (15, 16 ; 16, 23, 24, 26). Évidemment, elle désigne plus qu’une simple formule matérielle, quoique l’antique coutume de terminer les prières par les mots « Par le même notre Seigneur Jésus Christ » soit si juste, si touchante et toute basée sur ce passage. Prier au nom de Jésus : 1° c’est prier à sa place et de sa part, comme ses représentants ; 2° c’est par conséquent demander ce qu’il demanderait lui‑même à son Père ; 3° c’est faire valoir ses mérites infinis. – Je le ferai. On priera son Père, et c’est lui‑même qui exaucera la supplication. Encore une preuve frappante de sa divinité. – Afin que… : il va dire pourquoi les requêtes de ce genre seront toujours couronnées de succès. – … le Père soit glorifié dans le Fils. Toujours la gloire de son Père ! cf. 11, 4 ; 13, 31, etc. Les mots « dans le Fils » portent l’idée principale. C’est-à-dire, d’après le contexte, « dans le Fils qui fera » : l’accomplissement certain de toute prière faite au nom du Fils, et grâce à son intercession, aura lieu pour la plus grande gloire du Père.
Jean 14.14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. – Jésus va répéter sa promesse, pour la mieux graver au cœur des apôtres, et pour montrer combien elle est solide. Il le fait néanmoins avec de légères nuances de langage qui fortifient la pensée. – Si vous me demandez quelque chose. C’est ici la principale différence : « me » au lieu de « au Père ». Mais, après ce qu’il a dit antérieurement de sa parfaite unité avec son Père, le prier lui‑même, ou prier le Père, n’est‑ce pas une seule et même chose ? – Je le ferai.
Jean 14.15 Si vous m’aimez, gardez mes commandements. – Si vous m’aimez. La consolation précédente, vv. 12b-14, devait être accordée aux disciples en récompense de leur foi (v .12, « celui qui croit en moi ») ; celle‑ci suppose un plus grand mérite de leur part, un amour sincère et généreux. – Gardez… : L’obéissance, et non de fades sentiments, voilà en effet la vraie pierre de touche de l’affection. – Mes commandements, littéralement : « les commandements qui sont miens » : Il appelait de ce nom les préceptes qu’il leur avait personnellement imposés. Jésus ne mentionne ainsi ses propres commandements que dans ce discours d’adieu, cf. v. 21 ; 15, 10, 12, etc.
Jean 14.16 Et moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu’il demeure toujours avec vous. – Et moi… Moi de mon côté. Acquittez-vous de vos fonctions ici‑bas, et moi je remplirai mon rôle dans le ciel. – Je prierai le Père. Jésus n’emploie plus le verbe αιτειν, « demander », maintenant qu’il est question de sa propre prière (voyez les versets 13 et 14) ; il se sert de l’expression plus relevée ερωταν, qui ne marque pas autant la supplication, cf. 11, 9,2 et le commentaire ; 16, 26 ; 17, 9, 15, 20. – La conjonction et introduit le résultat de cette puissante intercession. – Il vous donnera un autre Consolateur. – Seconde promesse, vv. 15-17 : Jésus enverra aux apôtres son divin Esprit, qui demeurera perpétuellement avec eux. Dans un instant (v. 17) le Sauveur nous dira lui‑même quel est cet « autre Paraclet » ; nous n’avons donc qu’à expliquer ce nom, calqué sur le grec παρακλητος. S. Jean est le seul écrivain du Nouveau Testament qui en fasse usage : quatre fois dans son évangile (ici, au v. 26, 15, 26 et 16, 7, et c’est toujours Jésus qui le prononce), une fois dans sa première lettre, 2, 1. La racine consiste dans les deux mots παρα, καλεω, j’appelle auprès ; la signification littérale et classique est donc avocat, l’avocat, un homme qui est appelé auprès d’un autre pour lui venir en aide, principalement devant une cour de justice. Et tel est le sens que lui donnent non seulement un certain nombre de Pères, entre autres Tertullien, S. Augustin, S. Hilaire, etc., mais aussi les Rabbins, car ils l’emploient assez fréquemment dans leurs écrits sous la forme à peine modifiée de מילכרפ (Paraklît). Et cette acception cadre pour le mieux avec les cinq passages bibliques cités plus haut. Il est vrai qu’un certain nombre d’auteurs anciens (en particulier les Pères grecs) traduisent παρακλητος par Consolateur ; mais c’est là restreindre un peu trop la pensée, car la consolation n’est qu’un des rôles multiples de l’avocat. Du reste, il faudrait la forme active παρακλητωρ pour que cette interprétation fût exacte. – Jésus dit « un autre Consolateur », un second Paraclet ; il avait été en effet lui‑même le premier. Philon donne également au λογοσ le titre de παρακλητος. – Il vous donnera est une locution beaucoup plus expressive que « il vous enverra ». Je vous donnerai en propre ce divin avocat. – Pour qu’il demeure toujours avec vous : à tout jamais, car on a besoin d’avoir toujours son avocat auprès de soi. Jésus était obligé de quitter ses apôtres ; l’Esprit saint demeurera à côté d’eux et de leurs successeurs pour les assister. Voyez plus bas, 16, 8-11, des détails plus complets sur son divin concours.
Jean 14.17 C’est l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas, mais vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure au milieu de vous et il sera en vous. – Jésus va indiquer en termes plus précis quel est ce Paraclet, et à qui il le destine. – 1° C’est l’Esprit saint en personne qu’il appelle ici l’Esprit de vérité, soit à cause des vérités qu’il viendra manifester (cf. 15, 16 ; 16, 13), soit par opposition au démon, l’« esprit d’erreur » (1 Jean 4, 6). Ce passage (vv. 16 et 17) est justement classique dans le traité de la Sainte Trinité : il nous présente clairement le Père qui donne, le Fils qui demande, l’Esprit saint qui est donné. – 2° Ceux auxquels est destiné ce céleste don sont mentionnés d’abord négativement, puis en termes positifs. Négativement: le monde ne peut le recevoir. Le monde (cf. 1, 10 et la note) ne saurait recevoir l’Esprit saint (dans le texte grec, λαβεῖν, prendre, saisir : expression qui suppose une certaine activité). Et Jésus en explique aussitôt la cause (parce que…) : c’est qu’il n’y pas d’affinité entre le Paraclet et ce monde incrédule. – Il ne le voit pas. Les hommes pervertis n’ont pas d’yeux spirituels pour contempler le Saint‑Esprit. – Par conséquent, et ne Le connaît pas. Ce n’est pourtant, pas l’intelligence, ni l’amour de la science qui manque au monde : chaque siècle ajoute au nombre de ses connaissances, dont il est justement fier ; mais jamais il n’a su et n’a voulu percevoir le divin. – Au contraire, c’est pour les disciples et les croyants que viendra le Paraclet : Vous le connaissez. Assurément que d’une manière imparfaite, mais ses révélations devaient bientôt compléter leur science. – De nouveau, la particule parce que introduit un motif. – Il demeure au milieu de vous. Il y a un renversement remarquable de la pensée. Au premier hémistiche, le Saint‑Esprit n’était pas donné au monde, parce que celui‑ci refusait de le reconnaître ; les disciples le connaissent parce qu’ils le possèdent. Autres nuances délicates : les locutions « avec vous », « en vous », marquent les différents modes dont le Paraclet assistera les apôtres. Il sera leur compagnon fidèle, leur vaillant défenseur, une force irrésistible pour chacun d’eux pris individuellement.
Jean 14.18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. – Troisième promesse, vv. 18-24. Non content de leur procurer son Esprit, Jésus viendra lui‑même mystiquement demeurer avec ses disciples. – Je ne vous laissera pas orphelins. Mot calqué sur le grec ορφανος, qu’on trouve seulement deux fois dans le Nouveau Testament, cf. Jacques 1, 27. Jésus venait d’appeler les apôtres ses « petits enfants » ( cf. 13 34) : « il continue à parler en père », Bossuet. – Je viendrai à vous. Preuve qu’il ne s’agit pas de la fin des temps (S. Augustin, Bède le Vénérable, Maldonat, etc.), époque trop lointaine et tardive pour réaliser une promesse dans le temps présent. Il n’est pas probable non plus que le Sauveur fasse allusion par cette parole à sa résurrection et aux entrevues si rares qu’il eut avec ses amis avant l’Ascension (S. Jean Chrysost., Théophylacte, etc.) : c’est trop restreindre la consolation promise. Le mieux est donc de donner à ces mots l’interprétation mystique qui est indiquée par le contexte : cet avènement de Jésus aura lieu en même temps que celui du divin Paraclet (S. Cyrille, Rupert de Deutz, etc.).
Jean 14.19 Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez, parce que je vis et que vous vivrez. – Plus qu’un peu de temps. cf. 13, 33 ; 16, 16. – Le monde ne me verra plus. C’est le présent de la réalisation anticipée. Dans quelques heures, Jésus aura disparu d’au milieu du monde ; les hommes ordinaires cesseront donc de le voir corporellement. Quant à ses disciples (« mais vous, vous… », forte antithèse comme au v. 18), étant doués d’un regard spirituel et mystique, ils continueront de le contempler auprès d’eux, même après sa mort et son ascension. Le même verbe « voir » doit donc s’entendre tour à tour de la vision physique et de la vision spirituelle. – Parce que… Jésus veut expliquer pourquoi ses amis ne cesseront pas de le voir, même après qu’il leur aura retiré sa présence extérieure. Il vivra toujours, et eux aussi ils vivront d’une vie supérieure. – Je vis. Lui qui devait mourir le lendemain. Allusion solennelle à sa vie ressuscitée. – Et que vous vivrez. Cette fois Jésus parle au futur, car la nouvelle et complète existence des apôtres ne devait commencer qu’après la Pentecôte. Si le Maître et les disciples vivent toujours, et d’une manière transfigurée, rien ne les empêchera de demeurer présents les uns aux autres, et de se contempler mutuellement.
Jean 14.20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous. – En ce jour‑là, cf. 16, 23, 26. Au jour ou ils recevront l’Esprit saint, qui leur communiquera cette plénitude de vie ; et constamment ensuite, à partir de ce grand jour. – Vous connaîtrez. Le pronom est accentué (cf. v. 17). Dans le texte grec, le verbe γνώσεσθε marque, selon l’ordinaire, une connaissance qui provient d’une expérience personnelle. – Que je suis en mon Père. Voyez les versets 10 et 11. – Et vous en moi, et moi en vous. Douce et glorieuse union ; sorte d’existence commune et réciproque analogue à celle des personnes divines. Jésus et ses disciples ne forment qu’un organisme unique ; il est la tête, ils sont les membres, cf. 15, 4, 5 ; 17, 21, 23 ; 1 Jean 3, 24 ; 4, 13, 15, 16.
Jean 14.21 Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime et celui qui m’aime sera aimé de mon Père et moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui. » – Un amour efficace et généreux est de nouveau demandé aux apôtres comme condition de cette union parfaite, cf. v. 15. – Celui qui a mes commandements et qui les garde. Remarquez l’emploi du temps présent, qui a dans le texte grec une énergie particulière. S. Augustin exprime très bien les nuances des verbes « avoir » et « garder », Traité 75 sur S. Jean, 5 : « Celui qui les a dans la mémoire et qui les garde dans sa manière de vivre, qui les a dans ses discours, et qui les garde en ses mœurs ; qui les a en les écoutant et qui les garde en les pratiquant, ou qui les a en les pratiquant, et qui les garde en y persévérant ». Le premier désigne une possession plus passive, le second une obéissance active. – C’est celui‑là… Celui‑là, et pas un autre. – Qui m’aime. Voilà mon véritable ami. Au v. 15, l’obéissance était présentée comme une conséquence de l’amour ; ici, elle en est donnée comme la démonstration. – Celui qui m’aime… « Si tu veux être aimé, aime », dit le proverbe. Le saint amour des disciples obtiendra infailliblement ce résultat : ils trouveront en Dieu une admirable correspondance à leur affection. – Sera aimé de mon Père : le Père, en effet, regardera comme accompli pour lui‑même tout ce qu’on aura fait envers son Fils. Il daignera donc aimer divinement les amis de Jésus. – Et moi je l’aimerai. Jésus lui‑même, de son côté, ne saurait rester en retard. Quel suave échange d’affection. Mais l’on recevra bien plus que l’on aura donné. – Et je me manifesterai à lui. Dans le texte grec, le verbe ἐμφανίσω ne se rencontre qu’en ce passage du quatrième évangile (ici et au v. 22) ; il désigne une manifestation très noble, très intime, bien que cette manifestation ne soit pas toujours extérieure, comme c’est ici le cas. D’après la traduction des Septante, Moïse demande à Dieu, Exode 33, 13 « fais‑moi connaître ton chemin, et je te connaîtrai, je saurai que j’ai trouvé grâce à tes yeux ». Ce souhait sera bien autrement réalisé pour les apôtres que pour le législateur juif.
Jean 14.22 Judas, non pas l’Iscariote, lui dit : « Seigneur, comment se fait-il que vous vouliez vous manifester à nous et non au monde ? » – Le Sauveur est interrompu pour la quatrième fois, cf. 13, 36 ; 14, 5, 8. S. Jude, ou Lebbée, ou Thaddée, «l’apôtre aux trois noms» (cf. commentaire Matthieu, 10, 3), n’est mentionné qu’en cet endroit par S. Jean. – Les mots significatifs non pas l’Iscariote semblaient inutiles après la note 13, 30, qui avait annoncé le départ du traître : c’est comme un cri de légitime horreur échappé au cœur du disciple bien‑aimé. – Comment se fait-il que… Que s’est‑il donc passé pour que …? Quel événement vous a porté à modifier le plan messianique ? – Vous vouliez vous manifester à nous. Jude se sert de la même expression que son Maître, ἐμφανιζειν. La promesse « je me manifesterai à lui » l’a vivement frappé ; mais il a compris que Jésus parlait d’une manifestation restreinte, qu’il réservait à ses seuls disciples, par opposition au monde ; or, rempli comme les autres de nombreux préjugés relativement au Messie, il croyait que Notre‑Seigneur devait se révéler au monde entier et de la manière la plus éclatante. Pourquoi donc tout à coup des limites si étroites ? – A nous : à nous seuls, et non pas au monde. Voyez les vv. 17 et 19, où Jésus avait lui‑même établi cette antithèse. – Cette interruption aura ses avantages aussi bien que les précédentes ; car elle nous obtiendra du Sauveur de précieux développements sur la nature toute spirituelle de la manifestation promise.
Jean 14.23 Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. – Jésus lui répondit… Au premier regard, il nous paraîtrait que Jésus ne tient aucun compte de la question de S. Jude ; car il se contente, en effet, de réitérer, avec quelques développements, la déclaration qui l’avait occasionnée (v. 21). Néanmoins il répond d’une manière indirecte. En indiquant avec beaucoup de clarté les conditions expressément requises pour qu’il puisse se révéler et se manifester, c’est-à-dire l’amour et l’obéissance, il montre par là-même pourquoi ses amis seuls jouiront du privilège de ses manifestations, et pourquoi le monde sera privé de ce bonheur. – Si quelqu’un m’aime. La charité, l’amour envers Dieu, voilà ce qui établira la différence essentielle entre le monde et les disciples. – Il gardera ma parole, cf. vv. 15 et 21. Ici, au lieu de l’expression « commandements » du v. 21, Jésus emploie un mot plus général, τὸν λόγον μου, qui désigne le message évangélique dans son unité totale. – Et (à cette condition) mon Père l’aimera. Cette fois, c’est la forme active (v. 21 : « aimé de mon Père »), qui fait mieux ressortir l’aimable condescendance de Dieu. – Et nous viendrons à lui. La locution est tout à fait remarquable. « Nous viendrons ». Quel autre qu’un Dieu peut parler ainsi ? Un simple homme, une simple créature, quelque parfaite qu’on la fasse, oserait‑elle dire : Nous viendrons, et s’associer avec le Père éternel, pour demeurer dans le fond des âmes, comme dans son sanctuaire ? » Bossuet, Médit. sur l’Evang. 93ème jour. C’est donc là une autre preuve évidente que Jésus revendiquait intégralement la divinité. – Nous ferons chez lui notre demeure (voyez le v. 2 et la note)… Le ciel ne se contentera pas de descendre sur la terre ; Dieu fixera son séjour dans les âmes comme dans un temple (cf. 1 Corinthiens 3, 16 ; Apocalypse 3, 20). Lui qui, plus haut (vv. 2-3), nous promettait une habitation auprès de lui, voici qu’il condescend à se faire notre hôte. « Qui nous dira quelle est cette secrète partie de notre âme, dont le Père et le Fils font leur temple et leur sanctuaire ? Qui nous dira combien intimement ils y habitent ; comme ils la dilatent comme pour s’y promener, et de ce fond intime de l’âme, se répandre partout, occuper toutes les puissances, animer toutes les actions ? Qui nous apprendra ce secret, pour nous y retirer sans cesse, et y trouver le Père et le Fils ? ». Bossuet, l. c. L’Ancien Testament mentionne souvent la présence de Dieu au milieu de son peuple, cf. Exode 25, 8 ; 29, 45 ; Ézéchiel 37 27 ; Zacharie 2, 10, etc. Mais nulle part le Seigneur n’y promet de résider ainsi dans le cœur de chaque fidèle. – Nous ferons. La vraie leçon du grec est « nous nous ferons » : ce qui met bien mieux en relief la part active que Dieu prend à se préparer une habitation en nous.
Jean 14.24 Celui qui ne m’aime pas, ne gardera pas mes paroles. Et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. – Même pensée, négativement exprimée : quels sont ceux auxquels Jésus ne se manifestera pas. – Celui qui ne m’aime pas. Le monde sceptique, et opposé à N.-S. Jésus‑Christ. – Ne gardera pas mes paroles. Grand crime (cf. 7, 16 ; 8, 28 ; 12, 49), dont la conséquence implicite sera : « et mon Père ne l’aimera pas », etc. Comment se manifester à des hommes indifférents ou même hostiles ? Remarquez le pluriel « mes paroles » ; nous lisions « ma parole » au singulier dans le précédent verset. L’unique message est ainsi décomposé en ses diverses parties. – Et la parole (de nouveau le singulier, qui englobe tous les discours de Jésus) que vous entendez… Notre‑Seigneur ajoute cette idée pour mieux démontrer la culpabilité du monde. – N’est pas de moi… En ne recevant pas sa prédication, c’est la parole même de Dieu que les incrédules ont rejetée.
Jean 14.25 Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous. – Il appuie sur « ces choses », qui désigne tout ce que nous venons de lire du discours d’adieu (13, 31-14, 24). – Pendant que je demeure avec vous. Ces mots font allusion à la séparation prochaine. Toutes ces choses, j’ai pu vous les dire pendant que je demeure avec vous ici‑bas.
Jean 14.26 Mais le Consolateur, l’Esprit-Saint, que mon Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. – Mais le Consolateur… L’antithèse est visible. A son action nécessairement limitée, Jésus va opposer celle de l’Esprit Saint. Il n’a pu, lui, donner aux apôtres qu’une instruction imparfaite, à cause des circonstances où ils se trouvaient : cette instruction, le Paraclet viendra la compléter. – Esprit‑Saint sert d’apposition à Consolateur. L’épithète Saint est jointe quatre fois au substantif Esprit dans l’évangile selon S. Jean (1, 33 ; 7, 39 ; ici, et 20, 22), cinq fois dans S. Matthieu, quatre dans S. Marc, douze dans S. Luc, environ quarante fois au livre des Actes. – Que mon Père enverra en mon nom : c’est-à-dire, comme mon représentant et le continuateur de mon œuvre, cf. v. 13, et 16, 13, 14. – Dans le texte grec, le pronom « celui‑là » (εκεινος) reprend le sujet, à la façon ordinaire à S. Jean, pour appuyer sur le développement de la pensée. Comme au v. 16, les trois personnes de la sainte Trinité sont mentionnées séparément et explicitement. – Vous enseignera toutes choses. L’Esprit révélateur instruira les apôtres de deux manières. 1° N.-S. Jésus‑Christ, durant sa vie publique, avait posé dans leurs intelligences la base de toutes les vérités chrétiennes : le saint Esprit élargira cette base ; sous son action fécondante, les germes arriveront à maturité, cf. 16, 13. Les mots « enseignera toutes choses » ne désignent donc pas l’enseignement de choses absolument nouvelles. – 2° Et vous rappellera tout… Dans le grec : « il s’en souviendra, il le commémorera » (S. Augustin). Le Paraclet rappellera aux disciples, selon les occasions, tels ou tels préceptes, telles ou telles paroles de leur Maître qu’ils n’avaient pas bien compris tout d’abord. Voyez 2, 22 ; 12, 16 ; Luc. 9, 45 ; 18, 34 ; 24, 8. – La conclusion du verset, tout ce que je vous ai dit, retombe, suivant l’opinion la plus probable et la plus commune, sur les deux « tout » qui précèdent.
Jean 14.27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, je ne la donne pas comme la donne le monde. Que votre cœur ne se trouble pas et ne s’effraie pas. – Je vous laisse la paix. Il y a dans cette formule plus qu’un adieu à la manière orientale, cf. 1 Samuel, 1, 17 ; 20, 42 ; Marc. 5, 34, etc. C’est un précieux héritage que Jésus laisse à ses enfants avant de les quitter, la paix dans l’Esprit Saint. – Je vous donne ma paix. Cette seconde proposition fortifie la pensée en la réitérant. Donne est plus expressif que laisse. Et remarquez la solennité du pronom, surtout dans le texte grec. La paix qui est propre à Jésus, celle dont il est l’origine et la cause, le fruit de sa rédemption, cf. Isaïe 9, 6 ; Colossiens 1, 20 et ss. – je ne la donne pas comme la donne le monde… Il insiste encore sur la nature de cette paix. Les hommes se la souhaitent entre eux, mais sans pouvoir la communiquer : comment le monde donnerait‑il ce qu’il n’a pas lui‑même ? – Que votre cœur ne se trouble pas. Le résultat de la paix profonde et véritable que procure Jésus sera un calme parfait au milieu même de l’adversité et des dangers, cf. v. 1, où nous avons déjà entendu cette parole encourageante. – Et ne s’effraie pas. Ce second verbe n’apparaît pas ailleurs dans le Nouveau Testament. Il marque la crainte inspirée par les dangers extérieurs ; trouble se rapporte à la tristesse que les apôtres avaient en pensant au prochain départ de leur Maître.
Jean 14.28 Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais et je reviens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, car mon Père est plus grand que moi. – A sa paternelle exhortation Jésus ajoute un puissant motif de calme et de confiance. – Vous avez entendu… Il fait allusion aux paroles des vv. 2-4, qu’il répète sous une forme abrégée : Je m’en vais, et je reviens à vous. – Si vous m’aimiez. Si vous m’aimiez vraiment pour moi‑même, sans songer à votre intérêt personnel, mais seulement au mien. – Vous vous réjouiriez : Vous vous seriez réjoui à cette nouvelle, bien loin de vous laisser attrister et troubler. – De ce que (raison pour laquelle ils auraient dû se réjouir) je vais vers au Père. En réalité, tel est le véritable aspect sous lequel il faut envisager son départ : c’est un retour vers son Père. Or, continue‑t‑il, son Père étant si grand, remonter vers lui est une gloire indicible et un bonheur parfait. Que ses disciples se le disent, et ils s’en réjouiront pour leur Maître. – Parce que mon Père est plus grand que moi. Texte cher aux Ariens, et plus tard aux Sociniens, qui en déduisaient l’évidente infériorité du Fils. Les Pères l’ont fréquemment et magnifiquement commenté pour réfuter l’hérésie d’Arius. Il leur a été aisé de prouver qu’il ne s’agit que d’une infériorité improprement dite. Toutefois, ils ne présentent pas leur démonstration de la même manière, et un double courant d’opinion s’est formé parmi eux sur ce point. 1° D’après les uns, Jésus parle ici en tant que Fils de l’homme et Verbe fait chair ; rien d’étonnant à ce qu’il proclame son Père bien plus grand que lui. « Ils sont un en ce sens que le « Verbe est Dieu » ; le Père est plus grand en ce sens que « le Verbe s’est « fait chair »… Infidèle, ingrat, oses‑tu bien diminuer celui qui t’a créé, parce qu’il te fait connaître ce qu’il est devenu à cause de toi ? En effet, le Fils de Dieu, par qui l’homme a été fait, était l’égal du Père, et néanmoins il s’est fait homme pour devenir plus petit que le Père ; sans cela que serait l’homme ? » S. Augustin, Traité 78 sur s. Jean, 2. Cette interprétation est celle qui paraît la plus évidente et la plus simple. 2° La seconde est peut-être plus profonde, et elle a eu aussi de très illustres patrons dans l’antiquité (S. Athanase, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, S. Épiphane, etc., chez les Grecs ; Tertullien et S. Hilaire chez les Latins), quoiqu’elle soit à peu près abandonnée de nos jours. Elle fait consister la supériorité relative du Père dans son attribut de « non engendré ». Ainsi que l’explique le Concile de Sardique, « le Père est plus grand que le Fils,… parce que le nom même de Père est plus grand que celui de Fils ». Voyez les commentaires de Tolet, de Maldonat et de Westcott (ce dernier cite de nombreux passages des SS. Pères sur la question) ; Mgr Ginoulhiac, Histoire du dogme catholiq., t. 1, p. 467 et ss., et les grands théologiens au traité de la Trinité.
Jean 14.29 Et maintenant, je vous ai dit ces choses avant qu’elles n’arrivent, afin que, quand elles seront arrivées, vous croyiez. – Et maintenant. En ce moment de crise, où la foi des disciples allait être soumise à une rude épreuve, cf. 12, 31. – Je vous ai dit ces choses.. avant qu’elles n’arrivent. Jésus leur a parlé de son départ avant qu’il eût lieu (v. 28), en vue d’obtenir, par cette prédiction, le contraire du résultat fâcheux qui les menaçait : vous croyiez. En effet, ainsi avertis d’avance, bien loin de se scandaliser des humiliations et de la mort de leur Maître, ils trouveront dans ces événements un nouveau motif de confiance en lui, quand ils verront ses prophéties réalisées à la lettre (quand elles seront arrivées). Voyez, 13, 19 et 16, 4, des paroles semblables.
Jean 14.30 Je ne m’entretiendrai plus guère avec vous, car le Prince de ce monde vient et il n’a rien en moi. – Je ne m’entretiendrai plus guère avec vous… Le temps va manquer à Jésus pour ces douces conversations avec les apôtres. Ils n’auront plus ensemble que de rares entretiens après la résurrection. – Le prince de ce monde. Sur ce nom de Satan, voyez 12, 31 et le commentaire. Il était l’agent principal dans la passion de Jésus ; c’est pour cela qu’il est mentionné au lieu des instruments secondaires. – Vient… Le Sauveur indique sous une forme relevée ce qui mettra une si prompte fin à leurs relations mutuelles. Le verbe est au présent. En cet instant même on tramait activement la ruine de N.-S. Jésus‑Christ. – et il n’a rien en moi. Nouvelle et vigoureuse protestation d’une parfaite innocence, cf. 8, 29, 46. Quoique Satan exerce pour un temps une certaine puissance contre N.-S. Jésus‑Christ, son action est purement extérieure et superficielle : au fond, il n’y a rien, absolument rien dans le Sauveur (négation si forte), que le démon puisse revendiquer comme sien.
Jean 14.31 Mais afin que le monde sache que j’aime mon Père et que j’agis selon le commandement que mon Père m’a donné, levez-vous, partons d’ici. » – Mais afin que le monde sache que j’aime mon Père. Jésus déclare ici pourquoi il consent à se laisser vaincre en apparence et momentanément par le prince des ténèbres : sa parfaite obéissance prouvera combien il aime son Père. – et que j’agis selon le commandement que mon Père m’a donné. Plus le précepte était pénible à accomplir, plus l’amour se montrait généreux, cf. vv. 15, 21, 23. – Levez-vous, partons d’ici. Ces mots furent prononcés après une courte pause, et le Sauveur se leva sans doute le premier en les prononçant. Jusque là, le divin orateur et ses apôtres étaient demeurés sur leurs divans (voyez 13, 23 et l’explication) : Jésus rompt un instant l’entretien, pour dire aux disciples qu’il est temps de quitter le Cénacle. D’après l’hypothèse la plus vraisemblable, ils sortirent tous en effet à cet instant même, et ils se dirigèrent lentement vers Gethsémani : la suite de l’entretien (15 à 16) et la prière qui le termine (17) furent donc prononcés le long du chemin (Ammonius, S. Augustin, S. Hilaire, Rupert de Deutz, Théophylacte, Tolet, etc.). Comparez 18, 1 et le commentaire. D’autres exégètes, il est vrai (Maldonat, Jansénius, Cornelius a Lapide, Bisping, Pœlzl, etc.), supposent que la sainte Assemblée se leva simplement de table, et demeura dans le Cénacle jusqu’à la fin du chap. 17 ; mais cette explication nous semble beaucoup moins naturelle. A quoi bon la parole « allons », si elle ne devait pas être aussitôt réalisée ?


