CHAPITRE 2
Jean 2.1 Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée et la mère de Jésus y était. –Trois jours après. Cette date a été expliquée de plusieurs manières. Elle représenterait, d’après Sepp, le troisième jour de la semaine juive (le mardi) ; d’après Klofutar, Patrizi, etc., le troisième jour qui suivit l’arrivée de Notre‑Seigneur en Galilée ; d’après J. P. Lange, etc., le troisième jour à partir de 1, 19 ; d’après d’autres, le troisième jour des solennités nuptiales. Il est plus naturel et plus simple de compter les jours depuis la dernière date mentionnée en termes exprès par l’évangéliste, c’est-à-dire depuis 1, 43. Dans cet intervalle, Jésus avait pu aisément franchir avec ses nouveaux disciples la distance qui séparait Béthabara de Cana en Galilée. – Il se fit des noces. On a cherché assez anciennement à déterminer quels étaient les mariés. Des mots suivants, attribués à saint Jérôme, « Jean voulant se marier a été appelé par le Seigneur » (Prolog. in Jean), divers auteurs ont conclu que l’époux était l’apôtre bien‑aimé. Les musulmans ont adopté cette tradition curieuse, mais difficilement justifiable. D’autres l’identifient à Nathanaël, uniquement parce qu’il était originaire de Cana ; d’autres (cf. Nicéphore, Hist. eccles. 8, 30 ) à Simon le « Cananéen », dans la fausse supposition (cf. commentaire S. Matth. 10, 4) que cette épithète le désignait pareillement comme un habitant de Cana. Quant à la mariée, ce serait Suzanne (Luc. 8, 3) ou Marie‑Madeleine : conjectures non moins gratuites que les précédentes. Il est certain du moins que les mariés étaient des amis du Sauveur et de sa mère ; la suite du récit le prouve clairement. – à Cana en Galilée. Cana serait Kefr‑Kanna situé à 6km au nord de Nazareth ; on y voit les restes d’une église bâtie, dit‑on, sur l’emplacement de la maison où eurent lieu les noces et le miracle. Il existait encore en Palestine un autre Cana, signalé au livre de Josué, 19, 28, comme faisant partie de la tribu d’Aser ; on l’a retrouvé dans une bourgade de même nom assez rapprochée de Tyr. – Et la mère de Jésus y était.Marie était donc arrivée à Cana avant son divin fils. Il est question d’elle à trois reprises dans l’Évangile selon S. Jean : ici, 6, 42 et 19, 25-27. Le silence de l’historien sacré relativement à S. Joseph amenait déjà S. Épiphane à conjecturer avec beaucoup de vraisemblance que le père nourricier de Jésus était mort pendant la vie cachée de Nazareth. cf. commentaire S. Matth. 13, 55.
Jean 2.2 Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples.Jésus fut invité au moment où il arrivait à Cana ; à moins cependant qu’il n’ait trouvé l’invitation à Nazareth, qui était sur sa route. – Avec ses disciples. C’est-à-dire Simon‑Pierre, André, Jean, Philippe, Nathanaël, et probablement Jacques, frère de Jean, cf. 1, 41 et le commentaire. On ne voulait pas les séparer de leur Maître. Ce trait est d’ailleurs tout à fait en harmonie avec les mœurs hospitalières de l’Orient. – Les anciens exégètes relevaient volontiers, et à bien juste titre, la condescendance avec laquelle Notre‑Seigneur accepta d’assister même à des noces. Son but n’était‑il pas de sanctifier tous les événements de la vie humaine ? « Notre Seigneur, qui s’était fait homme, ne dédaigna donc pas la compagnie des hommes ; il ne méprisait pas les institutions de notre monde, lui qui était venu pour les réformer », S. August., Sermo 92, Appendix. Ou encore : « En venant à un mariage auquel il avait été invité, il a voulu confirmer qu’il avait établi le mariage ». Id. Tract. 19 in Jean cf. S. Epiph., Haeres. 57.
Jean 2.3 Le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »– Le Codex Sinaiticus et quelques manuscrits de l’Itala (a, b, etc.) ont ici une variante intéressante, mais très probablement apocryphe : « Et ils n’avaient pas de vin, car le vin des noces avait été consommé, etc. ». D’après un proverbe talmudique « Pesach, 109, a), « là où il n’y a pas de vin il n’y a pas de joie ». D’ailleurs, un tel incident en une telle occasion serait regardé n’importe où comme extrêmement fâcheux. Il prouve d’une façon bien évidente que les mariés étaient pauvres ; la présence de plusieurs serviteurs dans la maison (v. 5) était extraordinaire et transitoire. Mais, comme on avait reçu plusieurs convives inattendus, à savoir les disciples du Sauveur, on comprend que la provision ait été plus rapidement épuisée qu’on ne l’avait pensé. En outre, les réjouissances nuptiales duraient d’ordinaire plusieurs jours (souvent sept jours) chez les Juifs, cf. Genèse 29, 27 ; Juges 14,12 ; Tobie 9, 12 ; 10. Or, on peut raisonnablement supposer que la pénurie de vin ne se manifesta pas dès le premier repas. – La mère de Jésus lui dit.S. Jean est seul parmi les évangélistes à ne jamais citer expressément le nom de la Sainte Vierge ; il suppose, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, que ses lecteurs sont au courant de l’histoire sacrée. Marie, s’étant aperçue de la situation, songe aussitôt à éviter un grand embarras soit aux hôtes, soit aux convives. On voit dans ce trait toute la bonté de son cœur, de même que l’on voit dans la prière qu’elle adresse à Jésus les sentiments les plus vifs de foi et de respect à l’égard de son divin Fils. L’échange entre elle et lui eut lieu à voix basse, assurément. – Ils n’ont pas de vin.Rien de plus terre à terre que les interprétations données parfois de cette formule dans le camp protestant. D’après Bengel (Gnomon, h. l. ), Marie eût voulu dire : « Je voudrais que tu t’éloignes, pour que d’autres s’éloignent aussi, avant que le manque de vin n’apparaisse ». Selon Calvin, elle aurait ainsi conseillé tacitement à Jésus « que par une quelconque exhortation pieuse il soulage l’ennui des convives, et la honte des époux ». Comme si la signification pouvait être douteuse. Il y a dans ces mots une demande pressante, quoique indirecte et infiniment délicate (cf. 11, 3), de venir en aide aux hôtes par quelque moyen surnaturel. Sans doute N.-S Jésus‑Christ n’avait fait encore aucun miracle (v. 11) ; mais sa Mère ignorait‑elle donc sa nature divine et sa puissance ?
Jean 2.4 Jésus lui répondit : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » « Parce que cette réponse du Christ semble comporter quelque chose de répréhensible, ceux dont la foi n’est pas assurée en ont tiré d’absurdes erreurs », Maldonat, h. l. Combien de fois, en effet, les hérétiques et les incrédules ont pris plaisir à retourner contre la Très Sainte Vierge ces paroles de Jésus, dont ils faussaient le sens. Il faut avouer, comme l’ajoute Maldonat, que les explications des exégètes catholiques n’ont pas toujours été heureuses, et que nos adversaires se prévalent avec fierté de quelques jugements des SS. Pères, qui semblent bien sévères pour Marie. C’est ainsi que S. Irénée écrivait (3, 16, 7) : « Marie voudrait hâter le signe admirable du vin, et partager la coupe de l’eucharistie avant le temps déterminé par le Père. Le Seigneur repousse cet empressement intempestif, et dit : Qu’y a t‑il entre moi et vous, femme ? ». S. Athanase parle dans le même sens, Sermo 3 contr. Arian., 41. S. Jean Chrysostome, Hom. 21 in Jean, va encore plus loin, et ne craint pas d’attribuer à Marie un sentiment de vaine gloire. « Ces paroles de Chrysostome vont trop loin », a dit S. Thomas d’Aquin, Somme, 3a, q. 27, art. 4. Le concile de Trente a du reste implicitement condamné, au 23e canon de la 6ème session, toute interprétation défavorable à la Très Sainte Vierge. « Si quelqu’un dit que l’homme … peut, durant toute sa vie, éviter tous les péchés, même véniels, si ce n’est par un privilège spécial de Dieu accordé, selon le sentiment de l’Église, à la bienheureuse Vierge, qu’il soit anathème ». Maldonat et Tolet essaient d’adoucir la scène, en la présentant comme une feinte à laquelle Jésus aurait eu recours pour notre instruction. « Il faisait semblant de faire des reproches à sa mère, alors qu’il ne lui reprochait rien, pour montrer que ce n’était pas à cause des liens de parenté, mais par la seule charité qu’il faisait des miracles, et pour déclarer qui il était », Maldonat. Rien toutefois n’autorise cette supposition. Aujourd’hui, on envisage avec assez de calme la réponse de Jésus à sa Mère, et même plus d’un auteur protestant ou rationaliste sait déterminer impartialement la véritable interprétation. – que me veux-tu ? paraît froid, dur même, au premier abord. [On peut aussi traduire plus littéralement : « qu’est-ce pour toi et pour moi ? » Ou « Quoi à toi et à moi ? »] Mais c’est la faute de nos langages modernes, qui ne peuvent la traduire littéralement avec toutes les nuances qu’elle était susceptible de recevoir. Elle correspond aux formules des Hébreux, qu’on rencontre à plusieurs reprises soit dans l’Ancien Testament (cf. Josué 22, 24 ; Juges 11, 12 ; 2 Samuel 16, 10 ; 19, 22 ; 1 Rois 17, 18 ; 2 Rois 3, 13 ; 2 Chroniques 35, 21), soit dans le Nouveau (Matth. 8, 29 ; Marc. 1, 24 ; Luc. 8, 28 ; etc), et qui n’étaient pas inconnues des classiques. Sans doute, ces formules indiquaient toujours, et parfois même d’une manière très énergique, une divergence de vues, la non‑acceptation d’une solidarité, le refus d’une proposition ; mais leur sens spécial dépendait des circonstances du moment, et nous verrons que les circonstances du moment enlevèrent toute rudesse aux mots « Que me veux-tu ». Aussi M. Farrar trouve‑t‑il à bon droit cette expression « conciliable avec la courtoisie la plus délicate et avec le plus vif respect ». Nous adoptons volontiers la traduction qu’en donne M. Reuss : « Laissez-moi faire, ma mère. ». Notre‑Seigneur signifiait donc par là que, sa mission officielle ayant désormais commencé, il devait plutôt agir en Fils de Dieu qu’en fils de Marie, qu’il était indépendant de sa mère pour ses œuvres messianiques. Aussi sa parole actuelle n’est‑elle pas sans analogie avec celle qu’il avait prononcée dans le temple à l’âge de douze ans, Luc. 2, 49 (voyez le commentaire). « Notre‑Seigneur Jésus‑Christ était Dieu et homme tout ensemble. En tant que Dieu, il n’avait pas de mère, en tant qu’homme il en avait une. Elle était donc la mère de son corps, la mère de son humanité, la mère de l’infirmité qu’il a prise à cause de nous. Or, le miracle qu’il allait faire, il allait le faire selon sa divinité, et non selon son humanité ; en tant qu’il était Dieu, et non en tant qu’il était né dans la faiblesse, etc. ». S ; August. Tract. 8 in Jean 9. On ne saurait traduire « Qu’y a t‑il entre moi et toi », avec Euthymius et Tolet, par cette périphrase : « Le vin sera fourni en abondance non pour moi ni pour toi, mais pour les époux qui ont invité ». Ce serait aller tout à fait contre le contexte. – Femme.Il faut espérer que le jour est maintenant passé où l’on associerait à ce titre de Femme autre chose que des pensées d’honneur et de respect, surtout sur les lèvres de Celui qui a daigné revendiquer comme une gloire l’identité avec notre nature, et qui s’adressait alors à la mère à laquelle il avait été soumis. En effet, l’appellation n’a ici absolument rien de raide ni de sévère. Jésus l’emploiera plus tard sur la croix pour tenir à sa mère le langage de la plus filiale tendresse. Jean 19, 26. Il l’emploiera de même à l’égard de Marie‑Madeleine, après sa résurrection, Jean 20, 15. Elle était d’ailleurs très usuelle, non seulement chez les Juifs (cf. Jean 4, 21 ; 8, 10 ; Matth. 15, 28 ; Luc. 13, 12, passages où elle est toujours prononcée d’une manière douce et aimable », mais aussi chez les classiques. « Chez les Grecs, cet expression était usitée pour s’adresser aux femmes les plus dignes de considération » (Rosenmüller), et on l’adressait même à des reines, cf. Dio Cass., hist. 51, 12 ; Xénophon, Cyrop. 5, 1, 6 ; Hom. 2, 3, 204. Aujourd’hui même, en Espagne, « mujer », femme, est souvent un nom de tendresse, que les amies , les proches parentes se donnent mutuellement. – Mon heure n’est pas encore venue. L’heure de Jésus, dans le quatrième Évangile, c’est souvent le temps de sa Passion (cf. 7, 30 ; 8, 20 ; 12, 23, 27 ; 13, 1 ; 17, 1) ; ici néanmoins cette expression doit être prise dans un autre sens : elle désigne, d’après le v. 11, le moment précis, déterminé d’avance par le plan divin, où Notre‑Seigneur devait manifester par un premier miracle son caractère de Christ, cf. S. Irénée, Contre les Hérésies ; 3, 16 et 18. Jésus affirme que le moment n’est pas encore venu, et pourtant il va presque aussitôt faire ce que Marie lui demandait. Mais il n’y pas d’opposition réelle entre ces deux choses. On l’a fort bien dit : « Un changement de conditions morales et spirituelles ne se mesure pas à la longueur du temps » (Westcott). Ainsi, « le temps (que sa mère demandait) n’était pas encore venu ; mais le temps qu’il allait inaugurer venait, quoiqu’avec un léger intervalle », Maldonat. Cette ponctualité minutieuse de Jésus aux ordres de son Père est d’un grand exemple pour nous.
Étant donné que la Vierge Marie va dire aux serviteurs de faire tout ce que Jésus leur demandera, il faut conclure que la phrase : « femme, qu’y a-t-il entre toi et moi » ou « femme, que me veux-tu » a été prononcé à voix basse avec un grand sourire de la part de Jésus.
Saint Jean Chrysostome pense que Jésus demande un délai, le temps que les invités constatent le manque de vin pour rendre le miracle plus éclatant mais cela revient à humilier publiquement les mariés et les plonger dans un grand embarras. Une telle angoisse n’est pas un cadeau à faire à de jeunes mariés même si quelques minutes plus tard, la solution d’un vin miraculeux devait voir le jour. Le caractère éclatant du miracle ressort de l’excellence du vin miraculeusement produit par Jésus : de toute leur vie, aucune personne présente à ce mariage ne goûtera un vin aussi succulent. Saint Augustin pense que ce verset signifie que Jésus annonce à sa mère qu’il l’a reconnaîtra à la croix mais que le fait qu’il commence sa vie publique et ses miracles ne la concerne pas. Cette explication est gênante dans la mesure où elle implique qu’un reproche soit fait à la vierge Marie, un peu comme si elle avait faite une demande inappropriée ou maladroite. Cette « boulette » que la Très Sainte Vierge Marie aurait faite et que Jésus reprendrait ne me paraît pas crédible, ni digne de la Mère de Jésus. Il me semble donc que Jésus a tout de suite consenti à la demande de sa mère, d’autant qu’il était en partie responsable du manque de vin par sa présence supplémentaire avec ses premiers apôtres. Le sourire qui dû accompagner cette phrase prononcée à l’oreille de sa mère a fait comprendre à la Vierge Marie qu’il allait sortir les mariés de cette terrible humiliation d’un mariage raté faute de vin en quantité suffisante mais Jésus ajoute une allusion très profonde à sa Mère comme si elle demandait que la Passion, la Mort et la résurrection surviennent tout de suite. En effet, seule elle sait le plan de Dieu. Comme son fils, elle brûle du désir, pour la gloire de Dieu et le bien de l’humanité, que le sacrifice de son fils soit consommé, que sa mort et sa résurrection arrivent. C’est comme si Jésus et sa Mère s’échangeait un secret l’un avec l’autre : « moi aussi, je désire d’un grand désir que ma Passion, ma mort, ma résurrection et mon ascension soient consommés, puisque je suis venu sur Terre pour cela. Combien je suis heureux de cette communion entre nous pour le bien de toute l’humanité, comme je suis heureux de ce rôle que tu vas remplir comme co-rédemptrice et comme médiatrice de toute grâces pour chaque personne sur terre, mais patientons, attendons mon heure, l’heure de mon sacrifice, l’heure de ma Passion et d’ici-là inaugurons le premier miracle de ma vie publique avec ce vin merveilleux que je vais leur donner, vin délicieux qui annonce le vin miraculeusement changé en mon corps, mon âme et ma divinité à la sainte Messe.
Jean 2.5 Sa mère dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. »– La confiance de Marie en son divin Fils apparaît ici dans toute sa beauté. Elle avait compris le Oui dissimulé sous un Non apparent. Au reste, en mettant en tête de sa réponse un « pas encore » emphatique, Jésus avait montré qu’il retardait simplement l’heure où il exaucerait la prière de sa mère. – Faites tout ce qu’il vous dira. Il y a une grande énergie dans le mot « tout ». La Sainte Vierge voulait préparer les serviteurs à l’ordre extraordinaire qu’elle attendait de Notre‑Seigneur. Quoi qu’il vous commande, leur dit‑elle, accomplissez-le sans hésiter. Eût‑elle agi de la sorte, si la réponse antérieure de Jésus avait été empreinte de la dureté que nos adversaires veulent y mettre ? Il est remarquable que les paroles de Marie soient ici tout à fait les mêmes que celles du Pharaon aux Égyptiens à propos de Joseph. Genèse 40, 55.
Jean 2.6 Or, il y avait là six jarres de pierre destinées aux ablutions des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. – Les détails contenus dans ce verset sont d’une précision remarquable : ils proviennent évidemment d’un témoin oculaire. Ils servent d’introduction immédiate au miracle, en même temps qu’ils servent à en relever l’étendue. – Orest ici une particule de transition. – Il y avait là : peut-être dans la salle même du festin, ou du moins dans le vestibule de la maison. – Six jarres.Le mot grec Hydriae latinisé dont la racine est « eau » désigne ces amphores, de dimensions variées, qui ont toujours fait partie intégrante d’un mobilier oriental, et qui servent, selon leur taille, soit à aller chercher, soit à conserver, et c’est actuellement le cas, la provision d’eau de chaque ménage. Le narrateur fournit tous les renseignements désirables sur leur nature, leur nombre, leur destination directe, leur capacité. – 1° Elles étaient de pierre, par conséquent grandes et massives, restant toujours à la même place : leurs larges ouvertures permettaient d’y puiser facilement au moyen de vases plus petits. – 2° Il y en avait six, bien rangées en ordre. – 3° Elles étaient surtout destinées à contenir l’eau nécessaire pour les ablutions et purifications incessantes des Juifs contemporains de Notre‑Seigneur : destinées aux ablutions des Juifs.Voyez Matth. 15, 2 ; Marc. 7, 3, et le commentaire. – 4° Leur capacité était considérable : contenant chacune environ cent litres (deux ou trois mesures ) : tellement considérable, que divers exégètes méticuleux ou rationalistes, désireux de la réduire, ont [prétendu] que l’évangéliste avait simplement noté le total du contenu des six amphores. La « mesure » était l’unité de capacité chez les Grecs : elle équivalait, d’après les Septante et d’après Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 8, 2, 9, au « bath » qui mesurait près de 40 litres. La formule « deux ou trois » semble indiquer que les amphores n’avaient pas toutes la même capacité (« entre » deux et trois bath), mais qu’elles contenaient les unes trois, les autres seulement deux bath, c’est-à-dire, à elles toutes, de 470 litres à 710 litres environ. Vraiment, comme s’exprime de Wette, le miracle de Jésus fut tout à fait « luxueux ». Il ose en être scandalisé. L’exégète croyant admire au contraire la toute‑puissance de Jésus, et aussi la munificence royale de son « présent de noces ». La même surabondance apparaîtra dans la multiplication des pains, autre miracle matériel d’un genre analogue. Édifions‑nous avec S. Augustin de ce que celui « Quel témoignage de sa puissance ! Et pourtant il s’est abaissé jusqu’à se réduire à l’indigence. Lui qui a changé l’eau en vin, ne pouvait‑il changer des pierres en pain ? » (Serm. 123, 2) : mais le Sauveur n’a jamais voulu user directement pour lui‑même de ses divins pouvoirs.
Jean 2.7 Jésus leur dit : « Remplissez d’eau ces jarres. » Et ils les remplirent jusqu’en haut. – Jésus donne un premier ordre : Remplissez d’eau ces jarres. Les jarres avaient donc été, au moins en grande partie, vidées pour les ablutions des convives. –Et ils les remplirent jusqu’en haut.Les serviteurs obéissent à la lettre, ainsi que Marie le leur avait recommandé, v. 5. Ces nouveaux détails rehaussent encore l’éclat du miracle et en démontrent la sincérité. Les vases où aura lieu la transformation miraculeuse ne recevaient jamais que de l’eau ; leur provision vient d’être renouvelée, et « jusqu’au bord », de sorte qu’on peut voir aisément ce qu’ils contiennent. Ce récit pittoresque renverse d’avance toutes les sottes hypothèses du rationalisme, cf. S. Jean Chrysostome, Hom. 22 in Jean
Jean 2.8 Et il leur dit : « Puisez maintenant et portez-en au maître du festin » et ils en portèrent. – Second ordre du Seigneur Jésus, communiqué avec une noble et divine assurance :Puisez maintenant… Le miracle est maintenant accompli. En quoi avait‑il consisté ? En une transsubstantiation rapide, opérée par la seule volonté de Jésus, qui avait produit en un instant, comme le disent à l’envi les Pères, la lente série de phénomènes par lesquels Dieu nous donne chaque année le vin. « Celui qui en ce jour de noces a changé l’eau en vin dans ces six jarres qu’il avait ordonné de remplir, est le même qui chaque année opère dans les vignes un miracle pareil. En effet, comme l’eau versée dans les jarres par les serviteurs a été convertie en vin par l’œuvre du Seigneur, ainsi par l’œuvre du même Seigneur l’eau que versent les nuées est convertie en vin. Ce dernier miracle ne nous étonne pas, parce qu’il se renouvelle tous les ans ». S. August. Tract. 8 in Evang. Jean cf. Serm. 123, 3 ; saint Jean Chrysost. Hom. 22 in Jean ; saint Greg. le Grand, Morale sur Job, 6, 15. Les interprétations naturalistes (Venturini, Paulus, Gfroerer, Renan, von Ammon), d’après lesquelles Jésus ou Marie auraient fait apporter en secret une provision de vin pour égayer et honorer les convives, l’interprétation symbolique de Strauss (ce prétendu miracle a été inventé pour prêter à Jésus un acte analogue à l’adoucissement des eaux amères par Moïse, Exode 15, 23, et par Élisée, 2 Rois 2, 19), l’interprétation symbolique de Baur (le narrateur a voulu exprimer sous une gracieuse allégorie que le temps était venu où Jésus devait laisser l’eau de son ministère préparatoire pour le breuvage plus substantiel de l’activité messianique), et toutes les autres explications du rationalisme aux abois, sont simplement absurdes. Il suffit de les exposer pour en montrer le ridicule. M. Vigouroux les a savamment réfutées en principe dans ses beaux ouvrages, La Bible et les découvertes modernes, t. 1, et Mélanges bibliques, Paris, 1883, p. 125 et suivantes. Voyez aussi Dehaut, L’Évangile expliqué, défendu, médité, 5e éd. T. 1, p. 594 et suiv. W. Meyer, peu suspect en ces sortes de choses, fait ici un aveu plein de franchise : « Le changement de l’eau en vin aux noces de Cana doit être considéré comme un vrai miracle, car c’est comme un miracle que Jean, témoin oculaire, l’expose avec la plus parfaite précision. Toute explication qui écarterait le surnaturel est contraire aux paroles et à la tendance du narrateur, blesse sa véracité, bien plus, présente sous un jour douteux le caractère de Jésus‑Christ lui‑même ». Comment., h. l. – Et portez-en au maître du festin.Autre mot grec latinisé, qui signifie : chef du « tricilinium », par conséquent du festin. Mais deux personnages très distincts pouvaient être ainsi désignés. C’eût été, cf. Ecclésiastique 32, 1, 2, le « modimperator » ou «arbiter bibendi » des classiques, choisi parmi les convives et chargé d’égayer le festin, cf. Xenoph., Anab. 6, 1, 30. Suivant une autre opinion, plus ancienne et que nous croyons beaucoup plus probable, il s’agirait seulement du premier des serviteurs (Juvencus), du maître d’hôtel, ainsi qu’on le nomme dans les grandes maisons, chargé de l’ordonnance des repas, de la succession régulière des mets et des vins. Les anciens l’appelaient « tricliniarchus », « praifectus triclinii » (Pétrone, 27). Il devait déguster d’avance tout ce qui paraissait sur la table (« praegustator »), le vin surtout, afin d’en reconnaître la qualité, cf. v. 9 Voilà pourquoi Jésus lui fait porter l’eau miraculeusement transsubstantiée. Gerlach, Watkins, etc., supposent que le miracle aurait seulement atteint la quantité d’eau puisée par les serviteurs conformément à l’ordre de Jésus dans ce verset : c’est un scrupule indigne du divin Maître.
Jean 2.9 Dès que le maître du festin eut goûté l’eau changée en vin, il ne savait pas d’où venait ce vin, mais les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient, il interpella l’époux et lui dit : – Le narrateur ne pouvait pas désigner plus clairement le miracle et son mode : « l’eau changée en vin ». –Il ne savait d’où venait ce vin…L’ « architriclinus » n’avait pas remarqué les opérations décrites aux versets 7 et 8 ; or, comme il croyait qu’il n’y avait dans la maison que le vin mis à sa disposition, il fut naturellement fort surpris d’en trouver d’autre tout à coup. Aussi, pour avoir une explication,il interpella l’époux.Celui‑ci sans doute, dut‑il penser, aura mis une provision en réserve pour égayer les convives au dernier moment
Jean 2.10 « Tout homme sert d’abord le bon vin et, après qu’on a bu abondamment, le moins bon, mais toi, tu as gardé le bon jusqu’à ce moment. » – Le langage du maître d’hôtel est joyeux, familier, en rapport soit avec la fête, soit avec la découverte agréable qu’il venait de faire. La coutume à laquelle il fait allusion n’est connue que par ce passage ; les classiques ne la mentionnent pas, à moins donc que Pline (Hist. Nat. 14, 14) ne l’ait indirectement signalée lorsqu’il dénonce la petitesse de ceux qui « servent à leurs convives d’autre vin que le leur, ou qui en substituent d’autres dans le cours du repas ». Du reste, quoique peu conforme à nos habitudes modernes, elle est parfaitement en rapport avec la nature des choses. A la fin d’un repas les convives ne sont plus aussi bons juges de ce qu’on leur sert, car, d’après le mot d’Horace (Sat. 8, L. 2, 38) : La quantité de vin étouffe le goût. – Il n’est pas nécessaire de prendre trop à la lettre l’expression après qu’on a bu abondamment, encore moins de l’appliquer à la circonstance présente. L’ « architriclinus » parlait d’une façon proverbiale. – Mais toi, tu as gardé : tu as conservé avec soin, car tel est le sens du mot grec. – Le bon vin. Rien ne manquait au présent de Jésus, ni la qualité ni la quantité. On a fait de belles réflexions morales à propos de ce verset. « Autrement agit le Christ, autrement se conduit le monde. Le monde présente d’abord à ses convives un vin plein de douceur, le vin des joies et des plaisirs ; mais ensuite, quand ils sont enivrés, il leur offre la coupe amère de la douleur. Jésus au contraire présente souvent au début un breuvage amer, pour faire participer les âmes à ses souffrances ; plus tard il donne, et à tout jamais, ce qui est bon, ce qui est doux ». Hug. de S. Victor, De Arc. Mor. 1, 1 ; Cornel. a Lap., etc.
Jean 2.11 Tel fut, à Cana de Galilée, le premier des miracles que fit Jésus et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. – L’évangéliste rompt brusquement le fil du récit. L’essentiel a été dit, car la biographie de Jésus n’a pas été révélée pour satisfaire notre curiosité, mais pour nous aider à croire en lui. Or, ce but fut admirablement atteint par le miracle de Cana, ainsi que l’ajoute l’écrivain sacré par mode de conclusion. – le premier des miracles que fit Jésus. Précieux renseignement, qu’il faut prendre à la suite des Pères d’une manière absolue, de sorte que nous avons ici, d’après le mot énergique de Tertullien, le « jour de naissance des qualités distinctives du Seigneur », la « première manifestation de sa puissance » (De bapt. 9). Aussi citait‑on dans l’antiquité ce texte aux âmes crédules, pour leur démontrer la fausseté des étranges miracles attribués à l’enfant Jésus par les évangiles apocryphes, cf. S. Epiph. Haer. 51, 20 ; S. Jean Chrysostome Hom. 16, 20 et 22 in Jean ; Thilo, Col. Apocryph. p.84 et s. Euthymius, h. l. C’est donc à tort qu’on a parfois rattaché “premier” à Cana en Galilée, comme si l’évangéliste avait voulu opposer ce premier miracle à celui que Notre‑Seigneur accomplit un peu plus tard à Cana, 4, 46 et ss. – Et il manifesta sa gloire : sa gloire incréée, la gloire qu’il possédait en tant que Verbe divin, cf. 1, 14. Ce céleste éclat était habituellement caché par le voile humain dont s’était entouré le Fils de Dieu ; mais ses miracles le faisaient de temps en temps resplendir, car les miracles de Jésus « sont des emblèmes de ce qu’il est et de ce qu’il vient faire » : aussi S. Jean aime‑t‑il à les appeler des « signes ». A la fin de son évangile, 21, 1, 14, avant d’entreprendre et en terminant la narration du dernier miracle du Sauveur, il emploiera de même le verbe grec ἐφανέρωσε auquel on doit, du reste, le rapprochement établi par la liturgie entre le miracle de Cana et la fête de l’Épiphanie. Voyez Dom Guéranger, l’Année liturgique : le Temps de Noël, t. 2. – Et ses disciples crurent en lui.Tel fut le résultat produit. Les disciples croyaient déjà, leur nom l’indique à lui seul et le chapitre 1er nous l’a prouvé ; mais leur foi ne pouvait manquer d’être confirmée, de s’agrandir à la vue d’un tel miracle. Nous lirons, vv. 17 et 22, des réflexions analogues qui dénotent le témoin oculaire. – Les Pères et les docteurs ont souvent donné de belles explications allégoriques de ce miracle. Selon S. Cyrille d’Alexandrie, 2, 1, la fiancée symbolise l’humanité, le Christ est l’époux, le « vin qui manque » représente la loi juive, le vin miraculeusement produit n’est autre que l’évangile de Jésus, l’ « architriclinus » figure les apôtres et les ouvriers évangéliques. Voyez encore S. August. Tract. 11 in Jean, 3 et ss. ; Cornel. a Lap. ; Bossuet, Sermon pour le 2e dimanche après l’Épiphanie, 1er point ; St Bernard de Clairvaux ; Eusèbe, Demonstr. Evang., 9, 8, etc. Nous avons également à signaler au point de vue artistique, mainte sculpture naïve des premiers siècles Rohault de Fleury, l’Évangile, études iconographiques et archéologiq., t. 1, p. 118 et ss.), maint vitrail du moyen-âge (notamment à S. Nizier de Troyes, où l’on voit Jésus « estant aux nopces de Cana et muant l’eau en vin au grand estonnement d’architriclin »), de riches tableaux modernes (Bassan, et surtout Paul Véronèse, au Louvre.
Jean 2.12 Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples et ils n’y demeurèrent que peu de jours.– Nous pouvons regarder ce verset comme une transition entre le miracle de Cana et l’expulsion des vendeurs. – Il descendit à Capharnaüm.Expression d’une parfaite exactitude, car du plateau élevé où est bâti Kefr‑Kenna, jusqu’aux bords du lac de Tibériade, il y a une descente rapide et perpétuelle. Jésus n’allait pas à Capharnaüm pour y établir son séjour d’une manière définitive : son changement de résidence n’aura lieu qu’un peu plus tard, après l’incarcération de S. Jean‑Baptiste, cf. Matth. 4, 12 et 13. – Ses frères.C’est-à-dire ses cousins, le mot « cousin » n’existe pas en araméen. cf. commentaire S. Matth. 13, 55. Le sentiment chrétien s’est toujours vivement indigné contre l’hypothèse d’après laquelle Jésus aurait eu des frères proprement dits. Les théologiens protestants réformés du XIXème siècle, en adoptant cette hypothèse, montrent qu’il s’est creusé un abîme entre eux et l’Église des anciens temps. De plus, les motifs sur lesquels ils s’appuient sont dénués de valeur. Le mot énergique de S. Augustin est bien connu : « Marie a pu être mère, elle n’a pu être femme », cf. Tract. 10 in Jean 2. Il est possible que les frères de Jésus aient assisté comme lui, sa mère et ses disciples, au mariage de Cana. – Et ils n’y demeurèrent que peu de jours.Le verset suivant explique la brièveté de ce séjour : la Pâque était proche, et Jésus voulait partir rapidement pour Jérusalem. Il n’avait sans doute d’autre but, en venant à Capharnaüm, que de s’associer à la caravane de pèlerins qui s’y formait à l’époque des grandes fêtes.
Jean 2.13 Or la Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. – Sur l’institution de cette solennité, voyez Exode 12 ; sur ses cérémonies, cf. commentaire S. Matth. 26, 19. C’est ici la première Pâque de la vie publique du Sauveur. S. Jean en mentionne deux autres, 6, 4 et 11, 42, peut-être même une quatrième, v, 1, mais indirectement. Voyez l’explication de ce dernier passage. – Jésus monta à Jérusalem. « Monter à Jérusalem » était une expression technique des Juifs (cf. Matth. 20, 17 ; Marc. 10, 33 ; Luc 19, 28 ; Actes 25, 1, etc.), très justifiée d’ailleurs par la topographie. Il va de soi que Jésus fit ce voyage en compagnie de sa mère et de ses cousins, quoique l’évangéliste ne signale plus bas que ses disciples (v. 17, 22). – S. Jean distingue cinq séjours de Notre‑Seigneur à Jérusalem (ici ; v, 1 et ss. ; 7, 10 et ss. ; 10, 22 et ss. ; 12, 12 et ss.) ; les synoptiques n’en citent qu’un seul durant lequel eut lieu la passion de Jésus, cf. Matth. 21, 1 et parall. Il est intéressant de noter que la vie publique du Christ, inaugurée à Jérusalem durant les solennités pascales, se terminera pareillement à Jérusalem pendant une Pâque.
Jean 2.14 Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes et les changeurs assis.– C’est à Jérusalem, la capitale de l’État théocratique, c’est dans le temple, palais de Dieu, que Jésus déploie pour la première fois sa puissance messianique par un vigoureux acte d’autorité. Il était juste et naturel que sa première manifestation « officielle » eût lieu au centre et dans le sanctuaire de la théocratie ; qu’il commençât par faire disparaître de la maison de son père, de sa propre maison, les abus que la tolérance, ou plutôt la connivence d’un sacerdoce sans piété y avait laissé s’introduire, cf. Malachie 3, 1 ; Zacharie 14, 21. – Le temple juif se composait de divers édifices dont le sanctuaire était le centre. Il s’agit ici plus spécialement de ce qu’on nommait la cour des païens. – Les marchands de bœufs, de brebis et de colombes.Sur cet étrange bazar qui déshonorait la maison de Dieu, cf. commentaire S. Matth. 19, 12. Le Talmud en parle à différentes reprises. Il était installé à demeure dans le temple, et pas seulement d’une manière transitoire ; mais, naturellement, l’époque des fêtes était celle des plus bruyants marchés. S. Jean mentionne les trois espèces d’animaux qu’on offrait le plus souvent en sacrifice, les bœufs les brebis et les colombes. –Et les changeurs assis.Trait pittoresque. D’ailleurs, le récit tout entier est un vivant tableau. Les changeurs, qui se tenaient sans doute sous les magnifiques arcades formées d’une quadruple rangée de colonnes (cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 15, 11, 5), changeant en monnaie juive les pièces grecques, romaines, etc., que leurs emblèmes païens rendaient inacceptables pour le trésor sacré (le trésor du temple ne pouvait pas garder des pièces représentant des idoles, empereurs ou rois). Ils prélevaient une marge considérable (au moins 5 % ; selon quelques auteurs, de 10 % à 12 %.
Jean 2.15 Et ayant fait un petit fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, avec les brebis et les bœufs, il jeta par terre l’argent des changeurs et renversa leurs tables. -On a parfois supposé que Notre‑Seigneur aurait ramassé très rapidement, de manière à en faire une sorte de fouet, quelques‑uns des roseaux qui servaient de litière aux animaux de cet indigne marché ; mais il n’est pas nécessaire de presser ainsi le sens, d’autant que le mot grec correspondait alors à toutes sortes de cordes. – Brandissant cet instrument comme un signe de son autorité, le divin réformateur les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs. D’où l’on a parfois conclu que Jésus chassa seulement les animaux. – Il jeta par terre l’argent des changeurs et renversa leurs tables.Le nom grec des changeurs n’est pas le même en cet endroit qu’au v. 14 ; ici il s’agit de personnes qui faisaient payer un droit de change. – Personne, parmi cette foule considérable, n’essaya de résister à Jésus. On l’a dit justement, « cette majestueuse et soudaine apparition de la sainteté indignée frappa tous les assistants d’épouvante ». Ce fut un miracle moral.
Jean 2.16 Et il dit aux vendeurs de colombes : « Enlevez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »-Il semble, au premier regard, que Notre‑Seigneur ait agi avec moins de sévérité à l’égard de ces marchands ; ce qui a fait dire à plusieurs exégètes que cette douceur relative provenait de ce que les colombes formaient la matière ordinaire des sacrifices pour les pauvres (de Wette, Lücke), ou de ce qu’elles étaient moins turbulentes que les autres animaux et ne profanaient pas le lieu sacré (Baumgarten‑Crusius). Mais ce sont là des théories sentimentales que rien n’appuie. Très simplement et très naturellement : les colombes étant enfermées dans de grosses cages, Jésus ne pouvait les chasser comme le reste. De là, l’ordre qu’il donne sévèrement à leurs propriétaires : Enlevez cela d’ici. « Trois mots pleins de majesté », dit Stier. – Ne faites pas…Ces paroles retombaient sur tous les coupables ; elles expliquent et justifient la conduite du Sauveur. Un fils n’a‑t‑il pas le droit et le devoir de venger l’honneur de la maison paternelle ? – De la maison de mon Père. Le P. Patrizi relève ce pronom de la première personne, comme une preuve de la divinité de N.-S. Jésus‑Christ. Plus tard, quand Jésus quittera pour toujours le temple, non sans lancer contre lui une prédiction terrible, il dira aux Juifs que c’est « leur » maison, plus celle de son Père, cf. Matth. 23, 38. – Une maison de trafic. Pouvait‑il mieux caractériser leur faute ? Qu’y a‑t‑il de plus opposé qu’une maison de prière et un vil super marché où règne le tumulte ?
Jean 2.17 Les disciples se ressouvinrent alors qu’il est écrit : « Le zèle de votre maison me dévore. » – Ce souvenir vint sur le champ à l’esprit des disciples (cf. v. 22). L’impression produite en eux par le spectacle dont ils avaient été témoins leur fit découvrir, la grâce de Dieu aidant, une frappante harmonie entre le mot de David, Le zèle de votre maison me dévore, et le rôle de leur Maître. Ce mot, le psalmiste se l’était appliqué directement ; mais il convient beaucoup mieux encore au Messie, dont David était le type et la figure. Du reste, le psaume auquel il est emprunté (68, 10) est cité comme messianique en plusieurs endroits du Nouveau Testament, cf. Jean 15, 25 ; 19, 18 ; Actes 1, 20 ; Romains 11, 9, 10 ; 15, 3. – Me dévorebelle métaphore. – Il est écrit. S. Jean use habituellement de cette tournure, cf. 6, 31, 45 ; 10, 34 ; 12, 14. Il n’emploie qu’une fois (8, 17) la formule grecque des autres évangélistes. – L’expulsion des vendeurs dont le quatrième évangile vient de nous fournir le récit ne doit pas être confondue avec celle que les synoptiques relateront plus tard. Comp. Matth. 21, 12 et ss. ; Marc. 11, 15 et ss. ; Luc. 19, 45 et 46. Sans doute, on a parfois proposé dans les camps protestant et rationaliste (Lücke, de Wette, Strauss, von Ammon, etc.) d’identifier les deux scènes. S. Jean, nous dit‑on, se serait permis de placer au début de la vie publique, à la façon d’un programme de son héros, ce qui n’aurait eu lieu en réalité qu’aux derniers jours de Jésus ; ou bien, cette transposition serait le fait de synoptiques. Mais une pareille opinion est absolument inadmissible. En effet : 1° ils fixent ici très nettement les dates de part et d’autre : s’il y a identité, ou S. Jean ou les synoptiques se sont trompés ; or nous ne saurions admettre une erreur de ce genre ; 2° chacun des récits, malgré des points communs, a sa physionomie individuelle et présente des différences importantes : notamment, en ce qui concerne les paroles de Jésus, l’usage du fouet, les conséquences immédiates de l’acte ; 3° la tradition a toujours distingué deux faits (cf. S. August., de Cons. Evang., 2, 67) ; 4° enfin la répétition du même incident n’a rien d’impossible, ni du côté des Juifs qui ne tardèrent pas, la première émotion une fois calmée, à reprendre leurs tristes habitudes, ni du côté de Notre‑Seigneur, qui voulut signaler le commencement et le fin de son ministère par cet acte de zèle, tout en tolérant l’abus durant les séjours intermédiaires qu’il fit à Jérusalem.
Jean 2.18 Les Juifs prenant la parole lui dirent : « Quel signe nous montrez-vous, pour agir de la sorte ? » – L’évangéliste a signalé au v. 17 un premier effet de l’acte du Sauveur : la foi des disciples s’est encore affermie (cf. v. 11), accrue même. Voici qu’il en mentionne un second, hélas ! bien funeste : les autorités juives vont se montrer incrédules et hostiles. – Les Juifs prenant la parole lui dirent… Comme nous l’avons dit à propos de 1, 19, « Les Juifs » représente les chefs religieux de la nation juive. On conçoit l’animosité des hiérarques contre Notre‑Seigneur. Sans leur permission, il avait exercé le rôle d’un réformateur sur leur propre domaine ; bien plus, ce qu’il avait fait les condamnait eux‑mêmes, puisque les criants abus contre lesquels sa conduite venait de protester si énergiquement n’avaient pu se glisser dans le temple que grâce à leur connivence indigne. – Quel signe nous montrez-vous pour agir de la sorte ?C’est-à-dire : quelle marque évidente et certaine de ta mission ? D’après la façon de parler des Juifs (cf. Isaïe 7, 14), et en particulier de S. Jean (v. 11), cela désignait nettement un miracle, destiné à justifier l’immixtion de Jésus dans les affaires religieuses. Les hiérarques n’osent pas condamner l’acte en lui‑même, car son excellence était tropmanifeste : du moins ils espèrent embarrasser Jésus en l’obligeant de produire immédiatement un signe miraculeux. Voyez, 6, 30, une demande analogue. C’est la lutte qui commence contre le divin Maître.
Jean 2.19 Jésus leur répondit : « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours. » : Réponse qui devint plus tard célèbre dans le procès de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, cf. Matth. 26, 61 ; Marc. 16, 58 (Actes 6, 14). Ses ennemis en dénatureront le fond et la forme, pour la lui reprocher comme un blasphème insigne contre le temple. La mention qu’en fait S. Jean est très précieuse, parce qu’elle nous permet de contrôler exactement la calomnie des faux témoins ; elle montre en outre l’accord du quatrième évangile avec les trois premiers.– Détruisez ce temple(le temple proprement dit, composé du Saint et du Saint des saints). L’expression grecque est très pittoresque : elle représente « une destruction qui provient d’une dissolution, de la rupture d’un lien qui unissait les parties d’un tout » (Westcott) ; elle convient donc fort bien au symbole que le Sauveur voulait notifier (v. 21). Calmet, Klofutar, etc., ont conjecturé sans raison que Notre‑Seigneur, en prononçant le pronom « ce », se serait désigné lui‑même du geste ; comment expliquer alors la méprise des Juifs ? Sur la forme simplement permissive de l’impératif (pour « si vous détruisez »). – En trois jours est une formule hébraïque équivalant à « le troisième jour » – Je le relèverai.Littéralement en grec : « je réveillerai » . Belle image, qui convient à merveille pour désigner le miracle de la résurrection. Comparez Matth. 12, 38-40 ; 16, 4, où Jésus renverra pareillement ses adversaires à ce signe grandiose ; il refusa toujours de leur en donner d’autres. Dès la première Pâque de sa vie publique, il prophétise donc ce qu’il accomplira pendant la dernière (Wordsworth), car il n’ignore rien de ce qui lui arrivera ; mais, en jouant sur le mot temple, il rend à dessein la prophétie énigmatique : la réalisation enlèvera toute obscurité.
Jean 2.20 Les Juifs repartirent : « C’est en quarante-six ans que ce temple a été bâti et vous, en trois jours vous le relèverez ? » – Les Juifs semblent avoir été tout d’abord plus étonnés que choqués de cette réponse de Jésus ; du moins, ils se bornent à faire valoir dans leur riposte la disproportion qui existait entre les longues années employées à bâtir le temple et les quelques jours que demandait Jésus pour sa reconstruction. –C’est en quarante‑six ans que ce temple a été bâti !On distingue trois temples juifs : celui de Salomon (1 Rois 6, 7 ; 2 Chroniques 3, 4), détruit par les Babyloniens ; celui de Zorobabel (Esdras 3, 8-11 ; 6, 3-5), et celui d’Hérode‑le‑Grand. Ce dernier, dont il est ici question (ce temple), était plutôt un embellissement du second temple qu’un édifice neuf de toutes pièces. Il fut commencé l’an 734-735 de Rome fondée, la dix‑huitième année du règne d’Hérode, cf. Josèphe, Guerre des Juifs 1, 21, 1 ; Antiquités Judaïques 15, 11, 1. Il ne fut achevé que sous Agrippa II, l’an 64 de l’ère chrétienne, peu de temps avant d’être détruit par les Romains (en 70), cf. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques 20, 9, 7. On mit donc plus de 80 ans à l’élever. D’après les calculs de Wieseler, la période de 46 ans expirait précisément à la Pâque de l’année 781 U. C. [depuis la fondation de Rome]. – Et vous, en trois jours vous le releverez ?Ces mots expriment énergiquement l’incrédulité, le mépris.
Jean 2.21 Mais lui, il parlait du temple de son corps. – S. Jean éclaircit maintenant l’énigme, en opposant la pensée intime de Jésus (Mais lui, il parlait), le vrai sens de ses paroles, à la fausse interprétation des Juifs. – Du temple de son corps.Le corps sacré de Notre‑Seigneur était en effet le temple de la divinité ; le crucifiement le renversa, mais il fut rebâti par la résurrection. Voyez 7, 39 ; 12, 33 ; 21, 19, des observations analogues de S. Jean ; il aime à expliquer, à l’occasion, les paroles de Notre‑Seigneur quand elles ont été mal comprises. Ici, quelques auteurs (Paulus, Bleek, Baumgarten‑Crusius, Strauss, Reuss, Renan, etc.) ont osé protester contre l’interprétation de l’écrivain sacré : S. Jean, d’après eux, aurait défiguré le sens de la réflexion de Jésus, donné « une allégorie forcée ». Ils rétablissent comme il suit la signification véritable : Votre conduite, ô Juifs, amènera infailliblement la ruine du culte mosaïque ; mais j’établirai à sa place une religion nouvelle. L’Évangile en main, il est facile de voir où se trouve l’allégorie forcée. Admirons d’ailleurs ces hommes qui, après tant de siècles, en savent beaucoup plus que l’ami de Jésus, le témoin oculaire de sa vie.
Jean 2.22 Lors donc qu’il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela et ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.– La résurrection de Notre‑Seigneur est regardée comme l’œuvre immédiate de Dieu le Père, cf. Actes 3, 15 ; 4, 10 ; 5, 30 ; 10, 40 ; 13, 30, 37 ; Romains 4, 24 ; 8, 11 ; 10, 9 ; 1 Corinthiens 15, 15, etc. Plus rarement elle est envisagée comme une opération directe de Jésus lui‑même, cf. Marc. 8, 31 ; 9, 9 ; Luc. 24, 7 ; Jean 11, 23, 24, etc. – Ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela…L’application du texte « Le zèle de ta maison… » (v. 17) au Sauveur était facile, aussi les disciples l’avaient‑ils faite sur‑le‑champ. Au contraire, le signe que Jésus venait de donner aux hiérarques était mystérieux ; voilà pourquoi les apôtres ne le comprirent que beaucoup plus tard, à la lumière des événements. Du moins en avaient‑ils conservé un souvenir vivant. – Et ils crurent à l’Écriture: c’est-à-dire, aux prophéties de l’Ancien Testament qui concernent la résurrection du Christ ; entre autres, Psaume 15, 10 (cf. Actes 3, 15) ; 16, 15 ; 72, 24 ; Isaïe 26, 19 ; Osée 6, 2. Comp. Luc. 24, 26, 27 et le commentaire. – Et à la parole que Jésus avait ditec’est-à-dire « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai », v. 19. Les Apôtres virent que cette prédiction s’était admirablement vérifiée.
Jean 2.23 Pendant que Jésus était à Jérusalem, à la fête de Pâque, beaucoup voyant les miracles qu’il faisait, crurent en son nom.A Jérusalem d’une manière générale, par opposition à l’enclos sacré du temple, où s’était passée la scène qui précède. – A la fête de Pâque.C’est la détermination du temps, après celle du lieu. Toute l’octave pascale (les huits jours) est donc désignée. – Beaucoup crurent en son nom.Détail consolant. Un grand nombre de Juifs crurent que Jésus était le Messie. Le motif de leur foi est ensuite indiqué : voyant les miracles qu’il faisait. Le verbe grec exprime un regard attentif, accompagné de réflexion, cf. 7, 3 ; 11, 45 ; 14, 19, etc. La série des miracles du Seigneur, brillamment inaugurée à Cana, se poursuivra désormais sans interruption jusqu’à l’Ascension. L’imparfait grec indique des miracles nombreux, réitérés. Comp. 4, 45 : « car ils avaient vu TOUT ce qu’il avait fait à Jérusalem pendant la fête de la Pâque ». Ces miracles opérés à Jérusalem sont notés par l’évangéliste sans détails et d’une manière incidente ; de même ailleurs, 7, 31 ; 11, 47 ; 20, 30. De telles formules supposent aussi un grand nombre de faits.
Jean 2.24 Mais Jésus ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous, 25 Et qu’il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage d’aucun homme, car il savait, lui, ce qu’il y avait dans l’homme. – Contraste douloureux, et, en même temps, trait des plus délicats qui révèle le fin observateur, le disciple aimant, à qui rien n’échappait dans la vie de son Maître. – Les mots ne se fiait pas à eux, sont évidemment opposés à « beaucoup crurent en son nom » du verset 23 ; c’est un jeu de mots à l’orientale. Le pronom « se » précise la pensée du narrateur : c’était sa propre personne que Jésus ne voulait pas confier à la plupart de ces nouveaux disciples ; il évitait tout rapport intime avec eux. Il ne semble pas qu’il s’agisse ici de l’enseignement chrétien, comme l’ont pensé S. Jean Chrysostome, Kuinoel, etc. – Parce qu’il les connaissait tous.Motif de cette réserve du Sauveur, si étonnante à première vue. Connaissant à fond le cœur humain, il n’ignorait pas que de grands préjugés étaient mêlés à la foi de la plupart de ses adhérents ; que, par là même, cette foi fragile, superficielle, fruit d’une impression passagère produite par ses miracles, tomberait au premier obstacle. – Et qu’il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage d’aucun homme.C’est là aussi une répétition pleine de vigueur, destinée à commenter la phrase « il les connaissait tous ». Si Jésus connaissait tous les hommes, ce n’était pas parce qu’on lui avait parlé d’eux ; c’était directement, personnellement : car lui‑même savait ce qu’il y avait dans l’homme. C’est-à-dire : dans chaque homme pris à part. On a toujours trouvé dans ce passage une preuve très forte en faveur de la divinité de Jésus‑Christ, et, en effet, il y est manifestement question d’une science surhumaine, divine. « Lire dans les cœurs et connaître la pensée de l’homme sans qu’aucun signe extérieur ne la déclare est propre à Dieu seul, et ne peut être attribué à aucune créature », S. Cyrille.


