L’Évangile selon saint Jean commenté verset par verset

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CHAPITRE 4

Jean 4.1 Quand le Seigneur connut que les Pharisiens avaient appris que Jésus faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean,Nous sommes ramenés vers le milieu du précédent chapitre, 3, 22-26. Plusieurs exégètes (même protestants), alléguant l’opposition qui semble, de prime abord, avoir été établie par l’écrivain sacré entre le verbe su et la locution avaient appris, pensent qu’il s’agit ici d’une connaissance miraculeuse (cf. 2, 25) ; toutefois, comme rien, dans le texte, ne signale directement un effet surnaturel, il est possible aussi que Jésus ait été averti par ses amis des craintes qu’il inspirait aux Pharisiens. A la place des mots ὁ Ἰησοῦς admis dans le texte par Tischendorf (dernière édition) sur le témoignage des manuscrits, de la Vulgate, d’Origène, etc…, il est probable qu’il faut lire ὁ ϰύριος (Seigneur) avec la Recepta, d’après A, B, C, L, T, etc. Ce noble titre est assez rarement donné à Jésus avant sa résurrection, si ce n’est dans le troisième évangile (Luc 10, 1 ; 11, 39 ; 12, 42 ; 17, 5, 6 etc.). Comp. pourtant Jean 6, 23 ; 11, 2. – Le motif pour lequel Notre‑Seigneur va changer tout à coup de résidence est clairement indiqué dans ce passage. Les Pharisiens, ce parti si remuant, si puissant du Judaïsme, ces farouches zélotes sous le rapport religieux, ont appris à leur tour la nouvelle qui avait causé tant de peine aux disciples du Précurseur (3, 25-26) ; et voici que leur jalousie contre Jésus est pareillement excitée de la façon la plus vive. Déjà ils s’étaient inquiétés de S. Jean et de son baptême (1, 19 et ss.) ; à plus forte raison durent‑ils se troubler de la popularité rapide de Jésus, soit parce qu’ils le connaissaient moins, soit parce qu’ils redoutaient ses réformes (cf. 2, 14 et ss.), soit parce qu’il ajoutait l’autorité des miracles à celle de ses discours, etc. Ils manifestaient sans doute par de violentes paroles leur haine et leur envie. – Plus de disciples. C’était beaucoup dire, vu le concours énorme qui s’était fait durant des mois entiers autour de S. Jean‑Baptiste, cf. Matth. 3, 5 et les passages parallèles. – Les verbes faisait et baptisait sont expressifs et pittoresques : ils indiquent des actions réitérées. Peut-être faut‑il regarder la phrase comme une reproduction littérale de la nouvelle, telle qu’elle fut apportée aux Pharisiens. La répétition du sujet (« Jésus ») est un fondement sérieux pour cette hypothèse. Voyez, Galates 1, 23, une citation analogue.

Jean 4.2 toutefois ce n’était pas Jésus lui-même qui baptisait mais ses disciples, La parenthèse que l’on trouve ici dans la plupart des éditions grecques et latines est tout à fait inutile, puisque la phrase continue régulièrement et même élégamment son cours. L’équivalent grec n’apparaît qu’en cet endroit du Nouveau Testament. – Toutefois ce n’était pas Jésus lui-même qui baptisait. Voyez 3, 22, et le commentaire. Nonnus, dans sa paraphrase, exprime d’une manière concise et énergique le motif pour lequel Jésus ne conférait pas personnellement le baptême. Tertullien, De Bapt., c. 11, avait déjà développé la même pensée en disant que, ce baptême n’étant encore que préparatoire, il ne convenait pas à Notre Seigneur de l’administrer.

Jean 4.3 Il quitta la Judée et s’en alla de nouveau en Galilée. – Quitta. Expression forte et pittoresque ; littér. « il laissa aller ». Le départ du Sauveur fut immédiat, ainsi qu’il résulte du contexte. Nous verrons souvent, dans l’Évangile, Jésus‑Christ se retirer ainsi devant ses ennemis, tant que son « heure », comme il l’appelle, ne sera pas venue. Comp. 7, 1 ; 10, 39 et 40 ; 11, 54, etc. Lorsqu’un terrain a cessé d’être propice à son ministère, ou est devenu dangereux pour sa personne, il l’abandonne lui‑même et s’en va en d’autres parages, pratiquant ainsi la recommandation qu’il fit un jour à ses apôtres (Matth. 10, 23). – Et s’en alla de nouveau. Notre évangéliste avait mentionné plus haut, 1, 43, un premier retour de Jésus en Galilée ; il en signale maintenant un second avec son exactitude habituelle, en vue de compléter la narration des synoptiques. En effet, il est tout à fait vraisemblable que le voyage de Notre‑Seigneur raconté ici par S. Jean ne diffère en rien de celui qu’on lit dans S. Matth., 4, 12, dans S. Marc, 1, 14-15, et dans S. Luc, 4, 14-15. – En Galilée. En combinant les quatre récits sacrés, on voit que deux raisons s’unirent pour éloigner Notre‑Seigneur de Jérusalem et de la Judée, où régnaient en maîtres des hiérarques jaloux, et pour le conduire dans la tranquille Galilée : 1° S. Jean‑Baptiste ayant été incarcéré par Hérode Antipas, le ministère de Jésus allait commencer ; 2° ce ministère, qui eût été alors infructueux aux alentours de la capitale juive, devait pour un temps réussir à merveille chez les bons Galiléens. 

Jean 4.4 Or, il lui fallait passer par la Samarie. Note géographique qui, de l’occasion générale du récit, nous conduit à l’occasion particulière (v. 5 et 6). Il pourrait bien avoir ici, comme en d’autres passages des évangiles, une signification intime et mystique, relative au plan divin. « Il fallait » que Jésus traversât la Samarie, pour exécuter les desseins miséricordieux de son Père sur les habitants de Sichar. Il est cependant beaucoup plus naturel de s’en tenir au sens immédiat des termes. Étant, ainsi qu’on l’a dit fort justement, serrée comme un îlot entre les deux grandes provinces du Judaïsme (la Judée et la Galilée), la Samarie formait en Palestine une espèce d’enclave : aussi, dans l’hypothèse où Jésus prendrait le chemin le plus court pour aller de Judée en Galilée, « il fallait » bien passer par la Samarie. L’historien Josèphe emploie la même expression dans des circonstances analogues. « Ceux qui voulaient, dit‑il, Vita, § 52, aller rapidement (de la Galilée à Jérusalem), devaient nécessairement traverser la Samarie. » Antiquités Judaïques 20, 6, 1. Cette province, la plus petite des quatre qui composaient la Palestine au temps de Notre‑Seigneur, était bornée au N. par le Carmel et la plaine d’Esdrelon, à l’E. par le Jourdain, à l’O. par la Méditerranée, au S. par les anciennes frontières septentrionales de la tribu de Benjamin. Elle englobait donc les territoires qui avaient autrefois appartenu à la tribu d’Éphraïm et à la demi‑tribu (cis‑jordanienne) de Manassé. Josèphe en décrit la physionomie dans les termes suivants : « Le caractère de la Samarie ne diffère pas de celui de la Judée. L’une et l’autre, elles abondent en montagnes et en plaines, et conviennent fort bien pour l’agriculture, sont fertiles, boisées et remplies de fruits soit sauvages, soit cultivés. Elles ont peu de cours d’eau, mais il y tombe beaucoup de pluie. Les sources ont un goût extrêmement agréable, et, grâce à la quantité comme à la qualité du fourrage, le bétail y donne plus de lait que partout ailleurs. La meilleure preuve de leur richesse et de leur fécondité, c’est qu’elles sont toutes deux très peuplées. » Guerre des Juifs 3, 3, 4.

Jean 4.5 Il vint donc en une ville de Samarie, nommée Sichar, près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. Ces mots introduisent l’occasion particulière, qui est admirablement décrite avec les plus minutieuses circonstances de lieu et de temps. Littéral. « en une ville de la Samarie ». La préposition en a ici, comme en d’autres endroits, le sens de « auprès de ». Jésus en effet n’entra que plus tard dans la ville (v. 40, cf. v. 8). – Nommée Sichar. (Les manuscrits grecs varient entre Συχάρ et Σιχάρ : la première leçon paraît devoir être préférée). Ce nom, qu’on ne rencontre en aucun autre passage de la Bible, a de tous temps divisé les commentateurs et les palestinologues. Désigne‑t‑il l’antique Sichem, ou une localité voisine ? Tel est le point litigieux. S. Jérôme tranchait déjà la difficulté en faveur de Sichem, le mot Sichar n’étant, selon lui, qu’une faute de copiste : toutefois le motif allégué n’est pas valable. Les partisans de l’identification, et ils ont toujours été très nombreux (citons parmi les plus récents Lücke, Hilgenfeld, Olshausen, Furrer, Porter, V. Guérin, etc.), expliquent de deux manières le changement de Sichem en Sichar. Suivant les uns, cette substitution aurait été faite à dessein et malicieusement par les Juifs, quelque temps avant l’époque de Notre‑Seigneur, en haine des Samaritains : Sichar serait donc un sobriquet populaire, rattaché soit au mot mensonge, et à un texte d’Habacuc, 2, 18, comme l’a pensé Reland, soit au substantif ivrogne, et à un passage d’Isaïe, 27, 1, d’après Lightfoot, etc. Comparez Béthel devenant Beth‑aven par suite d’une ironie semblable (Osée, 10, 5), Achan transformé en Achar (1 Chroniques 2, 7), et, chez les Latins ou chez les Grecs, Vigilantius appelé Dormitantius, Ephiphanès nommé Epimanès, etc. Il est à remarquer néanmoins que le Talmud, qui contient tant de bons mots, tant d’histoires contre les Samaritains, est complètement muet sur ce point ; que S. Étienne, dans son discours (Actes 7, 16), emploie la dénomination ordinaire de Sichem ; enfin, que l’évangéliste aurait difficilement adopté le sobriquet de préférence au véritable nom. D’autres auteurs ont donc simplement supposé que le changement en question serait une « variation dialectique » opérée peu à peu, et analogue à bar dérivé de ben (fils), à Béliar pour Bélial, à Nebucadrézar pour Nebucadnézar (Nabuchodonosor), etc. – Les auteurs qui distinguent Sichem de Sichar (entre autres Hug, Meyer, Delitzch, Caspari, Klofutar, etc.) appuient leur opinion sur des preuves auxquelles on ne saurait refuser l’épithète de plausibles. Ils allèguent : 1. L’autorité de l’évangéliste, qui, non seulement appelle la ville « Sichar », mais qui semble indiquer de plus qu’il avait en vue une localité obscure. Eût‑il songé à désigner ainsi une cité aussi antique et aussi connue que Sichem ? 2. Le témoignage de plusieurs anciens écrivains, notamment d’Eusèbe (Onomasticon, aux mots Sichar et Luza), du pèlerin de Bordeaux (Itinerar. Hierosol, édit. Wessel. p. 587), plus tard d’Arculf et de Phocas, qui distinguent très nettement Sichar de Sichem (ou de Naplouse, comme on l’appelait aussi). 3. La topographie. Naplouse (de Neapolis), bâtie sur l’emplacement de l’ancienne Sichem, est à une demi‑heure environ du puits de Jacob ; au contraire, à dix ou douze minutes et au nord du même puits, se trouve le village d’Askar, dont le nom a certainement une grande analogie avec Συχάρ : aussi, des géographes n’hésitent‑ils pas à identifier les deux localités. Nous admettons aussi cette seconde opinion, sans vouloir cependant affirmer sa parfaite certitude ; elle nous a semblé du moins plus probable. Le mot ville ne désigne pas nécessairement une ville considérable, cf. 11, 54 ; Matth., 2, 23. – Que Jacob avait donné à son fils. Ce don spécial, fait par Jacob au plus aimé de ses douze fils, n’est pas mentionné directement ailleurs ; mais il est en parfaite harmonie avec plusieurs notes consignées dans les premiers livres de l’Ancien Testament. Genèse, 33, 18-20, nous lisons : « Venant de Paddane‑Aram, Jacob arriva sain et sauf à la ville de Sichem, au pays de Canaan, et il campa en face de la ville. Pour cent pièces d’argent, il acheta aux fils de Hamor, père de Sichem, la parcelle de champ où il avait dressé sa tente. Là, il érigea un autel qu’il appela El, Dieu d’Israël ». Et un peu plus loin, Genèse 48, 21-22 : «  21 Israël dit à Joseph : Voici que je vais mourir. Mais Dieu sera avec vous, et il vous ramènera dans le pays de vos pères. 22 Je te donne, de plus qu’à tes frères, une portion que j’ai prise de la main des Amorrhéens avec mon épée et mon arc. ». Enfin, au livre de Josué, 24, 32 : « Quant aux ossements de Joseph, que les fils d’Israël avaient emportés d’Égypte, on les ensevelit à Sichem, dans la parcelle du champ que Jacob avait acheté pour cent pièces d’argent aux fils de Hamor, père de Sichem. Ils devinrent un héritage pour les fils de Joseph. Comp. Josué 16, où l’on voit en effet que le pays de Sichem devint la part des Éphraïmites, descendants de Joseph, quand la Terre promise fut divisée entre les tribus israélites. On conçoit que Jacob ait voulu attribuer au plus cher de ses fils le lieu qui avait été en quelque sorte le premier sanctuaire de la théocratie : car c’est à Sichem qu’Abraham avait érigé pour la première fois un autel au Dieu de la promesse et de la révélation, cf. Genèse 12, 6-7. Rien de plus fertile, du reste, que ce district magnifique. Voyez l’explication du verset 35. Les voyageurs décrivent le « val du campement » (Ouadi el Moknah), comme l’appellent les Arabes, c’est-à-dire, la riante vallée qu’enserrent à l’E. une série de collines, au N. le mont Ebal, à l’O. le Garizim. La nudité presque entière des montagnes ne fait que mieux ressortir la verdure éclatante de la plaine, entretenue par des sources nombreuses, abondantes et intarissables. « On avance à l’ombre du feuillage, le long d’eaux vives, charmé par les mélodies d’une multitude d’oiseaux », Van de Velde, Reise durch Syrien, t. 1, p. 291. C’est « comme une scène d’enchantement féerique ; nous n’avons rien vu de comparable dans toute la Palestine ». Robinson, Palaestina, t. 3, p. 315. – Entre le village d’Askar et la fontaine de Jacob se trouve le tombeau de Joseph, humble monument à demi ruiné, mais objet d’une grande vénération dans le pays.

Jean 4.6 Or, là était le puits de Jacob. Jésus fatigué de la route, s’assit au bord du puits, il était environ la sixième heure.Là était le puits de Jacob. Le grec porte également source ; dans les versets 11 et 12 nous lisons puits. S. Augustin explique fort bien la différence de ces deux expressions : « tout puits est une fontaine ; mais toute fontaine n’est pas un puits. Car dès qu’une eau sort de terre et qu’on la puise pour en faire usage, on l’appelle une fontaine ; toutefois, s’il est facile de la voir et qu’elle se trouve à la surface de la terre, elle s’appelle simplement une fontaine. Si, au contraire, elle se voit dans les profondeurs de la terre, on l’appelle un puits, bien qu’alors le nom de fontaine puisse encore lui convenir », Traités sur l’évangile de Jean, 15. La fontaine de Jacob était donc tout ensemble, d’après cette définition, un puits et une source. Les deux noms subsistent encore dans la dénomination populaire : Aïn-Yakoub, « source de Jacob », ou Bîr el Yakoub, « puits de Jacob ». Une église fut construite de bonne heure au‑dessus de cette fontaine célèbre (on la mentionne dès le 4ème siècle) ; mais elle était déjà en ruine à l’époque des croisades. Le puits est donc en plein air, comme au jour où nous transporte le sublime récit de l’évangile ; de sorte que, pour ce qui concerne le décor extérieur, la scène s’est à peine modifiée dans le long intervalle des âges. Fait bien rare dans l’histoire des saints Lieux, c’est avec une remarquable unanimité que les palestinologues anciens et modernes, que les Samaritains, les Juifs, les musulmans, les chrétiens de toute dénomination, que les touristes protestants ou rationalistes les plus sceptiques, reconnaissent l’authenticité de cet emplacement : elle ne saurait être contestée. Le puits de Jacob n’est cependant pas signalé dans la Genèse, et, d’autre part, il existe tout autour de nombreuses sources d’eau vive. Mais, chacun sait que c’était la coutume des patriarches de creuser des puits qui leur appartenaient en propre (voyez, pour Abraham, Genèse 21, 25 et ss. ; pour Isaac, Genèse 26, 18, 32), et, dans ces contrées souvent arides, où l’élevage du bétail jouait autrefois un si grand rôle, l’usage d’une source était souvent loin d’être libre, surtout pour des étrangers : rien de plus naturel, par conséquent, que Jacob ait voulu assurer son indépendance sous ce rapport. L’orifice du puits n’est pas visible extérieurement : on y arrive à travers les ruines d’une ancienne église et par une voûte encore bien conservée. Le diamètre est d’environ 2 m. 30 ; la forme générale, celle d’un cylindre. La profondeur, qui était de 32 mètres quand Maundrell la mesura (en 1697), n’atteignait plus au XIXème siècle que 23 mètres. Les décombres qui s’accumulent et les pierres jetées par chaque voyageur ont produit peu à peu cette différence de niveau. Le puits est habituellement à sec : la source, en partie obstruée, s’écoule sans doute ailleurs. La partie supérieure, creusée dans une sorte de tuf, porte un revêtement de grossière maçonnerie ; on n’a pas encore reconnu la nature du terrain qui est à la base. – 2° La personne, Jésus. La fontaine étant située sur le grand chemin de communication qui unit la Judée à la Galilée, il était tout naturel que Jésus la rencontrât. – Fatigué de la route, cf. Exode 2, 15, un trait parallèle dans la vie de Moïse. N.-S. Jésus‑Christ avait adopté notre nature humaine avec toutes ses faiblesses ; une longue et pénible marche à travers les montagnes d’Éphraïm l’avait donc épuisé. Il est possible, comme on l’a conjecturé, qu’il fût parti de grand matin de Khân Lubban. Rien de plus touchant que ce simple détail ; aussi, dans l’office des morts, l’Église le rappelle‑t‑elle au Sauveur pour susciter sa miséricorde : « En me cherchant, vous vous êtes assis de fatigue » – s’assit au bord du puits. Trouvant l’endroit favorable, il s’assit, tel qu’il était, sans ostentation, seul, … désireux de se reposer de sa grande fatigue. Le caractère sociable et aimable de la vie de Jésus mérite notre admiration. Cette note indique évidemment le témoin oculaire. Remarquez l’imparfait : Jésus était dans la situation décrite, au moment où ses disciples le quittèrent (v. 8), au moment où la Samaritaine arriva auprès de lui. – 3° La circonstance de temps. Rien ne manque à la scène, pas même le moment précis. Pas plus qu’au chap. 1, v. 39, nous ne sommes autorisés à croire que S. Jean marque les heures à la façon des Romains. Son système de numération est celui des Juifs, et celui des trois autres évangélistes : la sixième heure équivaut par conséquent à midi, non à six heures du matin, ou du soir. En Orient, les voyageurs ont toujours eu la coutume de s’arrêter au milieu du jour pour se reposer et prendre leur repas : la halte a lieu autant que possible auprès d’une fontaine, comme c’est actuellement le cas.

Jean 4.7 Une femme de Samarie vint puiser de l’eau. – Le calme et la solitude qui régnaient autour de Jésus sont tout à coup troublés. La Samarie peut désigner la province, comme aux versets 4 et 5 : ces mots sont donc synonymes de la Samaritaine du v. 9. La ville de Samarie, à laquelle d’anciens exégètes ont songé, était à deux heures de là, dans la direction du Nord. – Puiser de l’eau. Cette femme s’en venait, la cruche sur la tête ou sur l’épaule, chercher sa provision d’eau à la fontaine de Jacob. Pourquoi si loin, puisqu’il y avait, à Sichar même, d’excellentes sources ? Pourquoi à une heure si incommode et si inhabituelle ? C’est en effet le matin que les femmes orientales vont d’ordinaire à la fontaine, comme autrefois Rébecca, Genèse 24, 11. Mais il est évident, d’après le v. 12, qu’elle avait une dévotion spéciale pour le puits de Jacob ; d’un autre côté, sa situation irrégulière (v. 16-20) n’était‑elle pas un motif suffisant pour elle de venir à la fontaine précisément quand elle espérait n’y rencontrer personne ? Enfin combien de motifs imprévus de renouveler la provision d’eau dans un ménage ? Ce sont les rationalistes qui nous obligent d’entrer dans ces minutieux détails, car ils les ont signalés pour attaquer l’authenticité du récit. Les préliminaires ont pris fin : S. Jean les a retracés en véritable artiste. Bien des peintres ont dessiné après lui Jésus et la Samaritaine tels que nous les avons vus s’aborder ; mais il n’a été égalé ni par Philippe de Champagne, ni par Garofolo, ni par Giorgione, ni par le Titien, etc, cf. Rohault de Fleury. L’Évangile, études iconographiq. et archéologiq. t. 1, p. 232 et ss. – Jésus lui dit. « La femme vint au puits, dit S. Augustin, Serm. 93, et trouva une fontaine qu’elle n’espérait pas ». Mais celui qui devait lui procurer ces eaux vives et jaillissant pour la vie éternelle (v. 13 et 14), commence par lui demander d’abord à elle‑même quelques gouttes de l’eau fraîche et naturelle dont elle avait sans doute déjà rempli sa cruche. Faveur fréquemment implorée en Orient auprès des fontaines par les voyageurs altérés, et bien rarement refusée. Il faut prendre à la lettre les mots : Donne‑moi à boire. Jésus était réellement altéré par suite de sa longue marche. Nous pouvons néanmoins ajouter mystiquement avec S. Augustin : « Celui qui lui demandait à boire avait soif de la foi de cette femme ». C’est par ces termes d’une extrême simplicité que s’engage l’un des plus sublimes dialogues évangéliques ! Le Maître rattache, suivant sa coutume, une leçon toute céleste à un évènement banal. Plus haut (2, 1-21) nous l’avons vu s’entretenir avec un sage d’Israël, membre du Sanhédrin juif ; ici, c’est une femme du peuple, une pécheresse qu’il instruit. Quelle différence dans les interlocuteurs ! Il y a aussi une grande différence dans les choses qui leur sont révélées, dans le fond du sujet ; et pourtant c’est bien la même méthode générale d’enseignement, ce sont des procédés pédagogiques analogues. De part et d’autre Jésus profite des circonstances immédiates, il passe admirablement du naturel au surnaturel, il se contente de répéter des paroles incomprises afin de susciter ainsi l’attention et la foi, il essaie de toucher après avoir convaincu, etc. Modèle tout divin de la manière dont le prêtre doit s’adresser aux âmes pour susciter le foi chez elles. Pour d’autres rapports de N.S. Jésus‑Christ avec les femmes, mentionnés çà et là dans les saints Évangiles, voyez Matth. 9, 20 et parall. ; 15, 22 et parall. ; 27, 55 et parall. ; 28, 9-10 ; Luc. 8, 2-3 ; 10, 38 et ss. ; 11, 27-28 ; 13, 11 et ss. ; Jean 11 ; 20, 14 et ss.

Jean 4.8 Jésus lui dit : « Donnez-moi à boire » car ses disciples étaient allés à la ville pour acheter des vivres. – Note rétrospective du narrateur, pour mieux déterminer encore la situation : le dialogue se passa sans témoins. S. Jean veut expliquer en outre la requête adressée par Jésus à la Samaritaine. Les disciples étant tous allés à la ville, Notre‑Seigneur n’a rien pour puiser dans ce puits profond l’eau dont il a besoin. Ils ont en effet emporté avec eux l’ ἄντλημα (cf. v. 11 et l’explication).

Jean 4.9 La femme samaritaine lui dit : « Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis Samaritaine ? » Les Juifs, en effet, n’ont pas de relations avec les Samaritains. – Par ces paroles, la Samaritaine n’oppose pas un refus formel à la demande du Sauveur, ainsi qu’on l’a quelquefois prétendu, mais elle manifeste un grand étonnement. – Vous, qui êtes Juif. Le costume de Jésus, ou mieux encore son accent, avait suffi pour trahir sa nationalité. Il avait seulement prononcé quelques mots (v. 7) ; mais il n’en fallait pas davantage, car ils contenaient la lettre caractéristique sch, qui, pour les Samaritains d’alors comme pour les anciens Éphraïmistes (cf. Juges 12, 5, 6), équivalait sans doute à la simple sifflante s. La finesse d’observation a toujours été renommée chez les femmes. – À moi qui suis Samaritaine. Une femme, et, en outre, une femme de Samarie. Remarquez l’opposition parfaite qui règne entre ces expressions et celles qui précèdent. – Les Juifs en effet… Phrase certainement authentique, quoiqu’elle ait été omise par le Cod. Sinait. Plusieurs exégètes supposent qu’elle fut prononcée, comme les paroles précédentes par la Samaritaine ; mais on la regarde plus communément et plus justement comme une note explicative, ajoutée par l’évangéliste pour ses lecteurs issus issu du paganisme. Le verbe συγχρῶνται (être en relation) n’apparaît en aucun autre endroit du Nouveau Testament : il désigne des relations amicales, familières, et pas seulement un commerce quelconque, cf. v. 8. D’ailleurs, rien n’est mieux démontré que l’antagonisme national auquel cette remarque fait allusion : on en trouve des traces manifestes soit dans l’Ancien Testament, soit dans les récits évangéliques, soit dans le Talmud, soit dans les récits de l’historien F. Josèphe. Son origine remonte à la formation même du peuple samaritain, racontée au 2ème livre des Rois, chap. 17. Après avoir dépeuplé l’ancien royaume d’Israël, en déportant dans les lointaines provinces de l’Assyrie ceux des habitants que la guerre et la misère avaient épargnés, Salmanasar songea à lui donner une population nouvelle. Pour cela, dit le texte sacré, « il fit venir des habitants de Babylone, et de Cutha, et de Avath, et de Emath, et de Sepharvaim, et il les établit dans les villes de Samarie à la place des enfants d’Israël. Ces peuples possédèrent la Samarie, et habitèrent dans les villes » (v. 24). C’était là, naturellement, une origine toute païenne ; et, quoiqu’elle se fût convertie plus tard (d’une manière plus ou moins parfaite, il est vrai) au culte de Dieu, les Juifs ne lui pardonnèrent jamais ce vice originaire. Aussi quand, après le retour d’exil, elle offrit à Zorobabel de coopérer au rétablissement du Temple, sa demande fut‑elle ignominieusement rejetée (Esdras 4). Indignés de cet affront, les Néo‑Samaritains mirent tout en œuvre pour ruiner la colonie naissante, et il y eut dès lors entre eux et les Juifs une haine irréconciliable. « Il est deux nations que mon âme abhorre, lisons‑nous dans l’Ecclésiastique (50, 25 et 26, d’après le texte grec), et la troisième n’est pas même une nation : ceux qui sont établis sur la montagne de Samarie, les Philistins, et la folle populace qui habite à Sichem ». Cette haine reçut encore un aliment nouveau lorsque le prêtre Manassé, expulsé de Jérusalem par Néhémie parce qu’il avait contracté un mariage illicite, vint se réfugier chez les Samaritains (vers 400 av. J.-C.), et les aida à construire sur le mont Garizim un temple considérable. Il y eut dès lors autel contre autel, et ce furent, des deux parts, vexations et représailles sans cesse réitérées. Comp., comme trait spécial dans la vie de Jésus, Luc, 9, 52 et ss. De là le nom de Samaritain employé par les Juifs comme une sanglante injure, Jean 8, 48 ; de là ces malédictions solennelles dont les « Cuthéens » (hommes venus de Cutha) sont l’objet dans le Talmud ; de là l’interdiction de les recevoir au rang des prosélytes, de dire Amen à leurs prières, de manger leur pain (mieux eût valu, au dire des Rabbins, manger de la chair de porc), etc. L’exemple des disciples (v. 8) nous montre pourtant que la pratique mitigeait bien des choses ; au reste, les dires rabbiniques étaient contradictoires sur plusieurs de ces points, et il ne manquait pas de docteurs pour assurer qu’il était licite de se procurer au moins des fruits et des œufs auprès des Samaritains. Après 2500 ans, l’hostilité dure encore entre les deux peuples. Les Samaritains ni ne mangent ni ne boivent ni ne contractent d’alliances matrimoniales avec les Juifs ; ils n’entretiennent avec eux que de simples relations d’affaires.

Jean 4.10 Jésus lui répondit : « Si vous connaissiez le don de Dieu et qui est celui qui vous dit : Donnez-moi à boire, vous-même lui en auriez fait la demande et il vous aurait donné de l’eau vive. – Jésus ne répond pas directement à la Samaritaine, et pourtant sa réponse est pleine d’à-propos. Dans cette première partie du dialogue, il s’adresse davantage à l’intelligence de son interlocutrice, tâchant de susciter en elle un pressentiment de la dignité de celui avec qui elle s’entretenait ; plus loin (v. 16 et ss.) c’est à son cœur et à sa conscience qu’il fera surtout appel. – Si vous connaissiez le don de Dieu. Le substantif grec correspondant à don ne se rencontre qu’en cet endroit des Évangiles ; il est tout à fait noble, et représente ailleurs, tantôt le don de l’Esprit saint (Actes 2, 38 ; 8, 20 ; 10, 45 ; 11, 7), tantôt le bienfait de la Rédemption (Romains 5, 15 ; 2 Corinthiens 9, 15, etc.). Il est difficile de déterminer ici sa signification spéciale, des opinions multiples s’étant formées à ce sujet depuis les premiers jours de l’exégèse (l’Esprit Saint, le don que Dieu a fait aux hommes en la personne de son Fils, le don par excellence, etc.). Peut-être est‑il mieux, d’après le contexte, de ne l’envisager que par rapport à la Samaritaine : « la faveur insigne que Dieu t’accorde présentement par cette conversation » (Maldonat, Fr. Luc, etc.). Jésus dut appuyer sur ces mots si graves et si solennels. Prends garde ce n’est pas un Juif ordinaire qui te parle. – Vous-même lui en auriez fait la demande… Si tu savais qui je suis, c’est toi qui, au lieu de t’arrêter à des mesquines considérations d’origines, te hâterais de demander rafraîchissement et vigueur au voyageur fatigué, altéré ; car, au spirituel, nos situations sont complètement renversées. – Il vous aurait donné de l’eau vive. Métaphore d’autant plus belle qu’elle convient à merveille à la situation. Mais à quelle hauteur nous sommes déjà transportés par cette image pleine de charme. L’eau vive, c’est à proprement parler l’eau courante, par opposition à celle qui demeure stagnante dans les citernes et dans les puits. (cf. Genèse 26, 19 ; Lévitique 14, 5 ; Jérémie 2, 13 ; Baruch 3, 12, etc.) ; elle est d’autant plus précieuse en Palestine qu’elle y est plus rare. Au moral, et dans le sens le plus relevé, il s’agit de la connaissance de Jésus, de la foi en Jésus, qui donneront la vraie vie à cette femme. – La lettre de S. Ignace aux Romains, chapitre 7, contient une allusion manifeste à ce verset : c’est donc un témoignage qui remonte jusque vers l’an 115.

Jean 4.11 Seigneur, lui dit la femme, vous n’avez rien pour puiser et le puits est profond, d’où auriez-vous donc cette eau vive ? – Elle demeure dans le sensible, ne pouvant s’élever encore à la signification spirituelle, à laquelle du reste elle n’était pas préparée. Mais, trait remarquable, tandis que précédemment (v. 9) elle n’avait donné à Jésus aucun titre de respect en lui adressant la parole, elle l’appelle maintenant Seigneur, impressionnée qu’elle a été par les mots « et quel est celui qui vous dit… » et par la distinction, la noblesse de Jésus. « Elle sent la présence de quelqu’un qui parle avec autorité ». – Rien pour puiser. Dans le texte grec, ἄντλημα désigne non seulement la cruche mentionnée plus loin (v. 28), mais aussi la corde au moyen de laquelle on la descendait dans le puits. Les voyageurs orientaux se munissent d’ordinaire d’un seau en peau ou une gourde remplaçant la cruche ; on s’enroule la corde autour du corps. Les disciples avaient emporté le leur à Sichar, de sorte que Jésus n’avait en réalité rien pour puiser. – Et le puits est profond. Allégation que justifient parfaitement les chiffres cités dans la note du v. 6. – D’où auriez-vous donc… Cette eau vive à frappé la Samaritaine. Son étonnement ressort d’avantage dans le texte grec qui emploie deux articles. S. Jean aime à répéter ainsi l’article pour appuyer sur une idée, cf. 5, 30 ; 6, 38, 42, 44, 50, 51, 58, etc.

Jean 4.12 Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? » – Ces paroles furent sans doute prononcées avec un sourire d’incrédulité et d’orgueil national. Il y a une emphase manifeste dans le pronom et dans le comparatif. Comment cet homme, qui n’est en apparence qu’un pauvre voyageur, peut‑il afficher la prétention de faire ce que le grand patriarche lui‑même n’avait pu opérer ? Espère‑t‑il donner de l’eau vive, quand Jacob a dû se borner à creuser un puits ? – Notre père Jacob. Elle appelle Jacob l’ancêtre des Samaritains, et pourtant nous avons vu que leur origine n’était rien moins que juive : c’est tout au plus (quoi que disent fin XIXème siècle en sens contraire plusieurs exégètes d’Allemagne), si quelques éléments israélites s’étaient peu à peu fondus avec les populations païennes déportées du Nord‑Est. N.-S. Jésus‑Christ lui‑même les appelle des étrangers relativement à sa nation (Luc. 17, 18), et l’on a observé que leur physionomie, assez intéressante, n’a rien de commun avec celle des vrais enfants de Jacob. Mais on conçoit qu’il leur fût agréable de s’attribuer ce glorieux privilège ; surtout, comme le dit l’historien Josèphe d’une manière piquante, lorsque tout prospérait chez les Juifs (Ant. 9, 14, 3 ; 11, 8, 6, etc.). Aujourd’hui encore leurs prêtres se targuent d’être issus de Lévi. A nous, ses héritiers naturels. – Qui nous a donné. Les détails suivants sont plein de charmes dans leur naïveté : ils comptent parmi ceux qu’un faussaire ne saurait inventer après coup. Le sens est que le puits de Jacob avait suffi aux besoins d’une nombreuse famille de bergers : que pourrait‑on demander ou donner en plus ? Le mot grec employé dans ce seul passage du Nouveau Testament, désigne aussi parfois les esclaves ; mais on admet qu’il est beaucoup mieux traduit ici par « troupeaux ».

Jean 4.13 Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura plus jamais soif. – Jésus suit encore, s’il est permis de parler ainsi, le même jeu qu’au v. 10. De nouveau il se garde de répondre directement au langage extérieur de la Samaritaine, quoique en réalité il réponde à sa pensée intime (De quelle eau voulez-vous parler, Seigneur ?). Il développe donc l’allégorie commencée, et signale les grandes qualités de son eau vive. En pédagogue tout divin, il laisse de côté les points secondaires, qui auraient interrompu le cours du dialogue sans produire d’utiles résultats, et il va droit au principal. Quelle merveilleuse charité pour réveiller doucement l’étincelle qui couvait sous la cendre. – Quiconque boit. Jésus atteste d’abord un fait général : l’eau matérielle du puits de Jacob n’étanche que transitoirement la soif ; aussi bien, celui qui s’y était désaltéré avec joie aura soif de nouveau : la Samaritaine, sa cruche à la main, en était une preuve vivante. Bel abrégé, du reste, de l’histoire de toutes les satisfactions humaines. – Celui qui boira. Notez le changement de temps et de tournure (quiconque aura bu une fois pour toutes), afin de mieux marquer le contraste. – L’eau que je lui donnerai. La femme avait opposé Jacob à Jésus ; Jésus accepte et relève l’opposition, mais pour se montrer supérieur à Jacob. Son eau mystique assouvit la soif à tout jamais. Ici une expression extrêmement énergique, qui réapparaît 8, 51, 52 ; 10, 28 ; 11, 26 ; 13, 8, cf. 1 Corinthiens 8, 13. « De quelle eau donnera donc le Sauveur, sinon de celle dont il est écrit : « En vous est la source de vie ? » Comment, en effet, auront soif « ceux qui seront enivrés de l’abondance de votre maison ? », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean, 16. Comp. Apocalypse 7, 16 et 17 : « Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur berger pour les conduire aux sources des eaux de la vie » .

Jean 4.14 Au contraire l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant jusqu’à la vie éternelle. » – Après avoir exposé les qualités négatives de l’eau vive qu’il se charge de fournir, Jésus en décrit positivement les avantages. L’image dont il se sert est d’une parfaite beauté : « qui saute », qui s’élance. Les eaux tendent, suivant un principe bien connu d’hydrostatique, à remonter jusqu’à leur niveau primitif. L’eau qui jaillit des sources terrestres, quelle qu’en soit l’impétuosité, ne s’élève que de quelques pieds dans les airs. Mais ici sont creusés des puits qui, par une force surnaturelle, montent jusqu’au ciel lui-même, et jusqu’à la vie éternelle. Venues du ciel, elles veulent rejaillir jusqu’au ciel, et y transporter avec elles celui qui a le bonheur de les posséder au fond de ses entrailles. On comprend que, dans ces conditions, la soif soit étanchée pour toujours. Donc, « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau. », Isaïe 55, 1 et ss. Voyez plus bas, 7, 38, une autre parole analogue de Jésus ; comparez aussi ce mot de Rabbi Méir : L’homme qui se livre avec affection à l’étude de la loi « est fait comme une source qui ne cesse jamais de jaillir, et comme une rivière qui va toujours augmentant ». Pirké Aboth, 6, 1.

Jean 4.15 La femme lui dit : « Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. -Enfin elle change de ton et de langage. Si elle prend encore la parole (on a souvent fait la remarque qu’elle la prend beaucoup plus que Nicodème ; mais cela est si naturel), ce n’est pas désormais pour faire une objection, c’est pour adresser à Jésus la demande par laquelle avait débuté l’entretien (v. 7) : Donnez-moi de cette eau. Cri touchant, dans lequel on a vu parfois très à tort une pointe d’ironie. Non, quoique basée sur deux motifs bien terrestres, la requête est sérieuse et sincère. Comment, d’ailleurs, les désirs de la Samaritaine n’auraient‑ils pas été suscités par la description qui précède ? – Afin que je n’aie plus soif. C’est le premier avantage qu’elle obtiendra, si elle arrive à posséder en elle‑même cette source intarissable, perpétuellement rafraîchissante. – Et que je ne vienne plus… Second avantage : elle ne sera plus obligée de venir chaque jour péniblement renouveler sa provision au puits de Jacob. Le verbe, déjà employé au chapitre 2, 8 et 9, est propre au quatrième évangile.

Jean 4.16 Allez, lui dit Jésus, appelez votre mari et venez ici. » Ici commence la seconde partie du dialogue. Après avoir attiré l’attention de la Samaritaine sur la chose mystérieuse qu’il se proposait de lui faire gagner, après lui avoir fait pressentir sa propre dignité, Jésus donne tout à coup à l’entretien une direction inattendue, surprenante : allez, appellez votre mari. Faut‑il dire avec Rosenmüller, pour expliquer cette brusque transition : « peut-être manque‑t‑il une partie du dialogue » (Scholia in h. l.) ? Faut‑il se demander avec certains exégètes quelles pouvaient bien être les intentions de Notre‑Seigneur à l’égard de cet homme ? Supposer, par exemple, qu’il désirait se révéler aux deux conjoints en même temps ? Ou bien, qu’il ne voulait pas violer davantage les lois de la bienséance telles que ses compatriotes les entendaient (voyez la note du v. 27) ? Tout cela est peu naturel. En réalité, Jésus ne se proposait pas de faire venir immédiatement le mari, sachant bien, du reste, qu’il ne méritait pas ce nom (v. 18) : il employait cette sorte de stratagème pour « éveiller une conscience endormie », et, en même temps, pour manifester de plus en plus son caractère supérieur. Voilà dans quel but il frappe ce grand coup.

Jean 4.17 La femme répondit : « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Vous avez raison de dire: Je n’ai pas de mari, 18 car vous avez eu cinq maris et celui que vous avez maintenant n’est pas votre mari, en cela, vous avez dit vrai. » La loquacité féminine des versets antérieurs a pris fin. Trois mots, c’est tout ce que la Samaritaine trouve à dire actuellement, et elle dût les prononcer la rougeur au visage, avec un profond embarras. Mais est‑ce bien une confession qu’elle fait ? Elle espère plutôt, par cette réponse ambiguë, éluder toute interrogation subséquente, pensant que son interlocuteur ne parviendrait pas à découvrir le reste. Cela peut signifier, en effet : Je ne suis pas mariée ; ou bien, je n’ai pas de mari légitime. – Vous avez raison de dire… Inutile de chercher à tromper celui qui sonde les reins et les cœurs par sa science divine : il sait tout, le passé comme le présent. D’un mot Jésus fait cesser l’équivoque. Il y a ici un changement remarquable dans le texte grec. La femme avait dit, en appuyant sur le verbe : JE N’AI PAS de mari (voir plus haut) ; Jésus appuie au contraire sur le substantif, qu’il déplace pour le mettre en tête de la phrase, comme l’expression principale : DE MARI, je n’en ai pas. – Le verset 18 commente, en la développant, cette triste révélation. Le Sauveur fait à la Samaritaine un saisissant portrait de la misère morale dans laquelle elle croupit. – Tu as eu cinq maris. Tout porte à croire qu’il ne s’agit ici ni d’un nombre rond (Ewald) pour signifier « plusieurs », ni d’unions criminelles (S. Jean Chrysost., Maldonat), mais d’unions légitimes (S. Augustin, Bède le Vénérable et la plupart des commentateurs) ; « car le Christ distingue entre les cinq premiers maris, qui avaient été légitimes, et le sixième, qui n’est pas légitime », dit fort bien Corn. a Lapide. La chose était facile alors, grâce au divorce. Sur ce simple chiffre, les rationalistes (Strauss, Keim, etc.) ont bâti le système le plus étrange, qu’il suffit d’exposer pour le renverser. Partant de ce fait, que le peuple samaritain d’alors tirait son origine de cinq nations différentes (voyez 2 Rois 17, 30, 31 et la note du v. 9), « qui avaient apporté chacune son dieu et adopté, de plus, Dieu, le Dieu du pays », ils prétendent que « la femme, avec ses cinq maris et l’homme avec lequel elle vivait maintenant comme sixième, serait le symbole du peuple samaritain tout entier » ; nous aurions donc là « une preuve du caractère idéal (mythique) de tout le récit ». Voilà l’exégèse de ceux qui ne veulent pas admettre le sens simple et évident du texte. Nous leur répondrons : dans le passage de l’A. Testament, 2 Rois 17, 30, 31, il est bien question de cinq peuples, mais de sept dieux, deux peuples en ayant importé deux. De plus, ces sept dieux étaient adorés simultanément, et non successivement, jusqu’au moment où ils firent place à Dieu. Enfin, serait‑il concevable que Dieu fût comparé au sixième mari, qui était évidemment le pire de tous dans la vie de la femme ? ». – N’est pas votre mari. La place attribuée au pronom renforce la pensée. C’est de même par emphase que, dans la proposition suivante, précède les deux autres mots. Quelle énergie également de l’adverbe vrai, qui fait allusion à la confession à moitié fausse de la Samaritaine !

Jean 4.19 La femme dit : « Seigneur, je vois que vous êtes un prophète. – En face d’allégations aussi nettes, que lui restait‑il à faire? Elle ne pouvait qu’avouer en toute simplicité que les choses étaient dans l’état où Jésus les avait décrites. Si cet aveu n’est qu’implicite sur ses lèvres (vous êtes un prophète), il est cependant réel, les prophètes étant censés lire au fond des cœurs. Voyez la note sous Luc, 7, 39. C’est pour la troisième fois que le titre Seigneur revient depuis le v. 11. L’équivalent grec de je vois dénote la contemplation, une vision progressive, et non la perception immédiate. Au reste, c’est peu à peu et admirablement que la foi de cette femme s’était développée. Comp. les v. 9, 11, 13 et celui‑ci. 

Jean 4.20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites que c’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer. » – Dans cette réflexion de la Samaritaine, de Wette ne voit qu’une « ruse féminine », destinée à détourner la conversation d’un sujet désagréable, et plusieurs exégètes partagent son sentiment. Mais c’est là sûrement une idée arbitraire, surajoutée au texte. Non, l’interlocutrice du Sauveur est sérieuse et de bonne foi en tenant ce langage : elle n’essaie pas de faire une diversion habile ; mais comprenant, comme elle l’a dit, que Jésus est un prophète, elle utilise sa présence pour acquérir une connaissance certaine sur un point capital, très discuté entre les Juifs et les Samaritains. Tout porte à croire, en outre, qu’elle se proposait un but pratique, celui d’honorer Dieu à l’endroit voulu par lui, afin de mieux obtenir ainsi le pardon de ses fautes. Par « nos Pères », les uns entendent les grands patriarches Abraham et Jacob (Euthymius, Schegg, Trench, etc.) ; les autres, plus probablement, ceux des Samaritains qui avaient construit le temple de Garizim. – Les mots sur cette montagne furent accompagnés d’un geste qui désignait la montagne située immédiatement au‑dessus du puits de Jacob. Elle surplombe la plaine d’environ 865 mètres. Son sommet présente de magnifiques ruines, dans lesquelles certains pensaient voir les restes du temple samaritain détruit par Jean Hyrcan, l’année 129 avant J.-C., environ 200 ans après sa construction. – Ont adoré. Est pris dans un sens absolu, cf. 12, 30, etc., pour désigner l’ensemble du culte divin. fin XIXème siècle encore le Garizim est étroitement associé à la religion des 150 personnes environ qui forment les restes de la population samaritaine : elles l’appellent la sainte montagne, se tournent de son côté pour prier, lui rattachent toutes sortes de traditions légendaires (par exemple : le paradis terrestre, la création d’Adam, l’autel de Noé après le déluge, le sacrifice d’Abraham, etc.), vont enfin immoler et manger l’agneau pascal sur sa cime. Les Samaritains ont de tout temps appuyé leur vénération spéciale pour le Garizim sur Deutéronome 27, 4-8 : « Quand vous aurez passé le Jourdain, vous dresserez ces pierres sur le mont Ébal, comme je vous le commande aujourd’hui, et tu les enduiras de chaux. Là, tu bâtiras un autel au Seigneur ton Dieu, un autel de pierres que tu n’auras pas travaillées avec le fer. C’est avec des pierres brutes que tu bâtiras l’autel du Seigneur ton Dieu ; sur cet autel, tu offriras des holocaustes au Seigneur ton Dieu. Tu offriras aussi des sacrifices de paix, et là, tu mangeras, tu te réjouiras en présence du Seigneur ton Dieu. Puis, tu écriras sur les pierres toutes les paroles de cette Loi, bien lisiblement. ». Ils ont prétendu que les Juifs ont altéré le texte primitif, et qu’on doit lire « Garizim » au lieu de « Hebal ». – Et vous, vous dites. Vous, Juifs, cf. v. 9. – Que Jérusalem (et pas ailleurs) est le lieu… Le Talmud contient, sur cette rivalité, plus d’un curieux passage. « Rabbi Yochanan, lisons‑nous dans Bereschith Rabba, § 32, allant à Jérusalem pour prier, passa auprès (du Garizim). Un Samaritain, le voyant, lui demanda : Où vas‑tu? Je vais, répondit‑il, Jérusalem pour prier. Le Samaritain riposta : Ne serait‑il pas mieux pour toi de prier sur cette sainte montagne que dans cette maison maudite (le temple de Jérusalem) ? » – Notez la délicatesse du langage de la Samaritaine. Aucune question directe n’est formulée (v. g. : Qui a tort? Où est le lieu véritable?) ; le problème est simplement signalé sous ses deux faces : on laisse à Jésus toute liberté pour le résoudre.

Jean 4.21 Jésus dit : « Femme, croyez-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem, que vous adorerez le Père. – Précédemment, il avait pris garde de se laisser entraîner dans aucune digression ; il suit maintenant l’humble femme sur le terrain choisi par elle, ce terrain se prêtant à merveille aux importantes révélations qu’il voulait faire : mais à quelles hauteurs sublimes il porte aussitôt la question. – Il y a, dans le mot femme, quelque chose de pathétique et de sérieux tout ensemble. La petite introduction croyez‑moi fait un pressant appel à la foi de la Samaritaine ; Jésus relève par là sa propre autorité : Tu dis que je suis un prophète, crois donc à ma parole, sans hésiter, quelle que soit la décision. – L’heure vient. Le temps messianique, alors si impatiemment attendu (cf. v. 25). S. Jean emploie volontiers ce mot 2, 4 ; 5. 25, 28, 35 ; 8, 20, etc. (Jésus dut faire à son tour le même geste que la Samaritaine, v. 20), ni sur cette montagne… Bientôt donc tout particularisme religieux aura cessé, parce qu’il régnera un culte supérieur, universel, qui sera l’abrogation de celui des Juifs et de celui des Samaritains. Comme l’avait prédit Malachie, 1, 11 : « En tout lieu, on brûle de l’encens pour mon nom et on présente une offrande pure ». La prophétie ne tarda pas à s’accomplir : peu d’années après ce dialogue, le temple juif subissait le même sort que le sanctuaire samaritain et devenait un monceau de ruines. – Vous adorerez. Jésus aurait pu dire d’une manière générale ; mais il était plus naturel qu’il appliquât directement sa prédiction au peuple dont faisait partie son interlocutrice. Voyez aux v. 39-42 et Actes 8, 1-26, les rapides succès du christianisme en Samarie. – Le Père. Ici une expression significative (au lieu de l’abstrait Dieu), qui indique à elle seule le caractère de la religion nouvelle. Ce n’est guère à la façon d’un Père que Dieu avait été honoré jusque‑là ; mais voici que la religion de Jésus créera entre le Seigneur et les hommes les relations les plus intimes, les plus douces. Ce nom de Père est souvent donné à Dieu dans le quatrième évangile, rarement dans les autres écrits du Nouveau Testament. – Ainsi, d’après cette première partie de la réponse du Sauveur, le vrai culte ne sera désormais ni dans le judaïsme schismatique de Samarie, ni dans le judaïsme orthodoxe de Jérusalem : ces limites étroites vont tomber.

Jean 4.22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. – Après avoir ouvert cet horizon grandiose, Jésus résout directement, d’après l’histoire sainte, la question de la Samaritaine. Il revendique franchement le droit des Juifs et de leur sanctuaire. – Vous adorez… nous adorons. Même antithèse qu’au v. 20. Il est touchant de voir Notre‑Seigneur se ranger parmi les Juifs : c’était en effet son peuple de toutes manières, cf. Galates 4, 4. – Ce que vous ne connaissez pas. Quoique étrange à première vue, la leçon (au neutre) est bien la vraie. Dieu est ici envisagé dans sa nature, et non dans sa personne. Voyez, Actes 17, 23, une formule analogue. Les Samaritains ignoraient Dieu d’une manière relative, car en réalité ils étaient séparés de la théocratie. N’acceptant pas d’autres livres sacrés que le Pentateuque, ils avaient totalement négligé les révélations ultérieures, c’est-à-dire le développement de la connaissance divine : l’arbitraire avait pris chez eux la place des célestes volontés ; leur religion était mutilée, tronquée et imparfaite. – Ce que nous connaissons. Les Juifs, au contraire, connaissaient le Seigneur tel qu’il s’était révélé, par conséquent d’une manière aussi intégrale que possible. Ses manifestations avaient été multiples à travers les âges, et, consignées dans les écrits inspirés, elles étaient toujours une vivante école où l’on apprenait à le connaître. – Le salut vient des Juifs. Le salut par excellence, le salut messianique, cf. Luc 1, 77 ; Actes 4, 12 ; Romains 11, 11. Par cette parole Jésus motive le second jugement qu’il vient de porter ; dans sa vie nous le voyons toujours fidèle à mettre en relief les prérogatives de son peuple ; or celle‑ci était assurément la plus noble. Elle s’est réalisée sous deux formes distinctes : d’abord, en tant que les Juifs avaient seuls le dépôt complet de la révélation et qu’ils ont formé, durant toute leur histoire, comme une chaîne par laquelle a été transmis le salut promis jadis à Abraham, Genèse 12, 1 et ss. ; puis en tant que le Sauveur lui‑même devait être un Israélite selon la chair, cf. Isaïe 2, 1-3 ; Romains 3, 1, 2 ; 9, 4, 6, etc. – Donc les Samaritains ont tort sur la question pratique qui a été proposée à Notre‑Seigneur ; leur culte n’est pas celui que Dieu désire ; le Garizim n’est pas le lieu du véritable sanctuaire. Avec quelle force et aussi avec quelle délicatesse cela est insinué.

Jean 4.23 Mais l’heure approche et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, ce sont de tels adorateurs que le Père demande. – Jésus revient maintenant à sa première réponse (v. 21), c’est-à-dire au magnifique idéal religieux qui était sur le point de devenir une réalité historique. Il exprime en termes positifs ce qu’il avait d’abord proposé négativement ; de plus, il développe davantage sa pensée (v. 23 et 24). – Mais : Par contraste avec ce qui a été dit soit du culte juif, soit du culte samaritain. – L’heure vient… Ces derniers mots sont empreints d’une touchante solennité. Voici que le nouvel état de choses commence, le Messie ayant inauguré son ministère. L’heure du vrai culte a sonné. Déjà Notre‑Seigneur avait autour de lui, dans la personne de ses disciples, un petit groupe de vrais adorateurs. Les vrais adorateurs sont ceux qui honorent Dieu conformément à son œuvre, à ses attributs, à sa volonté ; ceux qui réalisent pour le mieux la notion du culte véritable. Les Juifs étaient, certes, de vrais adorateurs, mais d’une manière imparfaite encore, leur religion devant être portée beaucoup plus haut par le Messie : des adorateurs plus « vrais » qu’eux étaient donc possibles. – Adoreront le Père. Jésus va signaler les deux principaux caractères de la religion nouvelle, qui sont la spiritualité, la vérité. – 1° Ce culte de l’avenir aura lieu en esprit, par apposition à « dans la chair ». Ce qu’il ne faut pas entendre du Saint‑Esprit, mais de la partie la plus relevée de l’être humain, de ces régions supérieures de notre âme par lesquelles S. Paul dit avoir été surtout en communication avec Dieu, Romains 1, 9, cf. 1 Thessaloniciens 5, 23 ; Jean 6, 64. Jusqu’alors le culte avait été extérieur, attaché à des localités spéciales ; il faut qu’il devienne intérieur avant tout, les restrictions locales cessant d’exister. « Nous étions allés au dehors, et nous avons été renvoyés à l’intérieur…. c’est dans ton cœur que tout doit se passer. S’il te faut quelque lieu élevé, quelque lieu saint, fais de toi‑même et intérieurement un temple au Seigneur. Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. Veux‑tu prier dans un temple ? Prie en toi‑même ; mais auparavant, sois le temple de Dieu ; car c’est dans son temple qu’il écoute ceux qui le prient », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean, 25. La préposition en marque fort bien l’atmosphère dans laquelle devra se mouvoir le culte perfectionné par Jésus. – 2° En vérité, par opposition à en apparence, symboliquement : ce qui veut dire que l’on n’offrira pas seulement au Seigneur des sacrifices figuratifs, à la façon des Juifs, mais la réalité, la victime par antonomase dont ils n’étaient que l’ombre. M. Reuss a bien raison de dire que « la déchéance de la Loi » est proclamée publiquement dans ce verset. Motif pour lequel la religion sera désormais ainsi transformée : Dieu ne veut plus d’autres adorateurs.

Jean 4.24 Dieu est esprit et ceux qui l’adorent, doivent l’adorer en esprit et en vérité. » – Et pourquoi Dieu cherche‑t‑il, pour ainsi dire avec empressement, des hommes qui l’honorent en esprit et en vérité ? Nous l’apprenons très nettement ici. – Dieu est esprit. Le texte grec le dit avec plus de concision et de vigueur. Rien de plus concluant que cette déduction. Dieu a une nature toute spirituelle ; à cette nature doivent correspondre les hommages qu’on lui rend. « Dieu est invisible, incompréhensible, non mesurable ; le Seigneur a dit que le temps était venu où Dieu devait être adoré non pas sur une montagne ou dans un temple. Car l’Esprit ne peut être circonscrit ou confiné ; il est partout présent dans l’espace et dans le temps, présent en plénitude en toutes conditions. C’est pourquoi, a‑t‑il dit, les vrais adorateurs sont ceux qui adorent en Esprit et en vérité », S. Hilaire, De Trinit. 2, 31. – Chacun sait le bruit que les protestants ont fait à propos de ces versets 23-24 et du culte catholique, lequel a‑t‑on osé prétendre, serait ici directement condamné, attendu qu’il se compose en grande partie de rites extérieurs. Mais les préjugés et la passion ont seuls pu aveugler nos adversaires jusqu’à ce point. Tant que l’homme n’aura pas changé de nature, tant qu’il sera composé d’un corps et d’une âme, son adoration devra nécessairement avoir quelque chose d’extérieur : il n’y a que les esprits purs qui puissent adorer d’une manière toute spirituelle. Ce que Jésus réprouve, c’est donc ou un culte purement extérieur, ou un culte limité à un sanctuaire unique. Au reste, les protestants n’ont‑ils pas aussi leurs temples et leurs cérémonies, le tout bien vide, hélas ! Tandis que, par le saint sacrifice de la messe et la présence réelle, la plus humble église catholique possède la religion en esprit et en vérité ? 

Jean 4.25 La femme lui répondit : « Je sais que le Messie, celui qu’on appelle Christ, va venir, lorsqu’il sera venu, il nous instruira de toutes choses. » – Assurément, la Samaritaine n’avait pas compris toute la portée des paroles de Jésus ; elle en sait du moins maintenant assez pour voir qu’elles annoncent de grandes réformes au point de vue du culte, et naturellement elle rattache ces réformes à la personne du Messie. Les Samaritains, en effet, attendaient comme les Juifs un Messie, qu’ils nommaient (ha‑Schâheb), (ha‑Thâheb), « celui qui revient » (d’après d’autres, « celui qui convertit »). Leurs descendants de Naplouse l’attendent encore sous l’appellation de El‑Muhdi, « le Guide ». Ils se le représentent surtout comme un prophète éminent, d’après Deutéronome 18, 15, et supposent qu’il rétablira en tous lieux la vraie foi. – Le Christ (…) nous instruira de toutes choses. Toutes choses dans le sens populaire de cette expression : tout ce qu’il nous importe de savoir sous le rapport religieux. Le verbe grec est fort bien employé ici, car il désigne proprement les nouvelles apportées par une personne qui revient.

Jean 4.26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui vous parle. » – Sublime révélation, qui forme le point culminant de tout l’entretien. La première parole de Jésus dans ce dialogue avait été « Donne‑moi à boire » (v. 7) ; la septième, quelques instants plus tard, est celle‑ci : « Je le suis ». Je suis moi‑même le Messie. Les rationalistes s’offusquent de cette marche rapide, et ils en tirent, mais de quel droit ? Des conclusions contre la véracité du récit. Jésus était maître de se manifester à l’heure choisie par lui, et cette humble femme, malgré sa misère morale antérieure, était maintenant bien préparée pour recevoir cette révélation. Les inconvénients, les dangers même qui portèrent en d’autres circonstances Notre‑Seigneur à tenir caché son caractère messianique (cf. Matth. 16, 20 ; Marc. 8, 30, et les commentaires) n’existaient pas alors en Samarie. – Sur les traditions grecques et latines relatives à l’histoire subséquente de la Samaritaine (on la nomme Photina), voyez le « Menaeum » grec au 26 février, les Bollandistes au 20 mars, Cornelius a Lapide, in Jean, 4, 7. Le martyrologe romain (20 mars) a simplement les lignes suivantes « A Photine la samaritaine, ses fils Joseph et Victor, et au duc Sébastien, morts en martyrs en confessant le Christ ».

Jean 4.27 Et à ce moment arrivèrent ses disciples et ils s’étonnèrent de ce qu’il parlait avec une femme, néanmoins, aucun ne dit : « Que demandez-vous ? » ou « Pourquoi parlez-vous avec elle ? »Et à ce moment arrivèrent ses disciples. Ils revenaient de Sichar, rapportant les provisions qu’ils étaient allés acheter (v. 9). – Et ils s’étonnaient. C’est bien l’imparfait qu’il faut lire, d’après les meilleurs manuscrits et non l’aoriste avec la Recepta. Ce changement de temps, est très expressif : l’aoriste raconte, l’imparfait peint. – Ils s’étonnaient… L’étonnement des disciples tenait à la sévérité des idées juives sur les relations extérieures des hommes avec les femmes. Le Talmud est très explicite à ce sujet. « Il ne faut pas parler avec une femme sur les places publiques, pas même avec votre propre épouse », Joma, fol. 240, 2. M. A. Weil, Juif, relève, en termes parfois trop cyniques (Moïse et le Talmud, Paris, 1864, p. 270 et ss.), le mépris que les vieux Rabbins témoignaient pour la femme. – Néanmoins, aucun ne dit… Trait délicat, qui montre combien les disciples respectaient leur Maître, et quelle haute idée ils avaient de lui, de sa conduite. – Que demandez-vous. Quel service demandez-vous à cette femme? Ils ne pensaient guère que c’était la foi de la Samaritaine que Jésus avait cherchée. D’après une conjecture bizarre de quelques auteurs (Alford, etc.), les disciples auraient adressé à l’interlocutrice même de Jésus cette première parole. – Ou pourquoi parlez-vous avec elle. Quel enseignement avez-vous à lui donner ?

Jean 4.28 La femme, alors, laissant là sa cruche, s’en alla dans la ville et dit aux habitants : – Comme au v. 3 ; voyez le commentaire. Ce détail, qui dénote évidemment un témoin oculaire, est tout à la fois pittoresque et significatif. Sa conversation avec Jésus étant ainsi interrompue, la Samaritaine s’éloigne ; mais elle est tellement émue, qu’elle oublie ce qu’elle était venue faire en ce lieu et laisse sa cruche auprès du puits. Elle possède maintenant au fond de son cœur une source d’eau vive (v. 14) ; que lui importe l’eau naturelle, même l’eau fournie par Jacob à son peuple (v. 12) ? Voyez S. Jean Chrysostome, Hom. 15 in Jean – S’en alla. On devine avec quelle joie et quel empressement. – Et dit aux habitants. C’est-à-dire, à tous les habitants de Sichar. Jésus lui avait dit (v. 16) : « Appelle ton mari », et voici qu’elle appelle toute la ville. Comme l’écrit très justement M. Schegg, t. 1, p. 251, l’arrivée soudaine des apôtres au moment le plus intéressant de l’entretien était une épreuve pour la Samaritaine : cette épreuve fut noblement surmontée. A quoi bon d’autres paroles ? Jésus n’en avait‑il pas dit assez pour démontrer ce qu’il attestait ?

Jean 4.29 « Venez voir un homme qui m’a dit ce que j’ai fait, ne serait-ce pas le Christ ? » – Comp. 1, 46, où nous avons vu S. Philippe conduire Nathanaël au Sauveur par les mêmes expressions. – Un homme qui m’a dit… Elle décrit Jésus par la circonstance qui l’avait le plus frappée, c’est-à-dire par son intuition prophétique. – Ce que j’ai fait. En mauvaise part : toutes mes fautes. En réalité, Jésus n’avait touché qu’à un point de la conduite de cette femme ; mais c’était un point essentiel, qui comprenait presque tout le reste. D’ailleurs l’hyperbole est bien naturelle en pareil cas. La confession publique de la Samaritaine a un caractère naïf et touchant ; elle est en conformité parfaite avec l’ensemble de l’entretien, durant lequel Photina nous est apparue vive, alerte, ayant toujours, sa pensée sur les lèvres. – Ne serait‑ce pas le Christ ? Elle n’éprouve personnellement aucun doute ; si elle présente sa pensée comme une simple conjecture, c’est par délicatesse, « pour que l’ignorance d’une femme ne risque pas de porter préjudice à une chose si importante », Maldonat ; voyez Euthymius. Elle ne veut pas affirmer d’une manière trop positive en face d’hommes qui n’ont pas encore vu et entendu comme elle ; toutefois, elle forme d’avance leur jugement par cette interrogation non moins habile que polie (placé en tête d’une question, ne suppose pas toujours une réponse négative.

Jean 4.30 Ils sortirent de la ville et vinrent à lui. Toute la ville est bientôt en émoi, et se dirige au plus vite vers le puits de Jacob, pour contempler le mystérieux étranger. Notez de nouveau ce changement de temps, qui met la scène sous nos yeux. L’aoriste indique une action immédiate et rapide ; l’imparfait, au contraire, un acte dont l’exécution demandait un certain temps. 

Jean 4.31 Pendant l’intervalle, ses disciples le pressaient, en disant : « Maître, mangez. » Cependant : Tandis que les choses se passaient ainsi à Sichar ; entre le départ de la Samaritaine et son retour avec ses compatriotes. – Les disciples le pressaient. Le narrateur nous ramène à Jésus et aux disciples. L’imparfait exprime la répétition, l’insistance. Voyant que Jésus semblait ne pas faire attention aux humbles mets étalés devant lui, plongé qu’il était dans ses réflexions, ils l’invitaient tour à tour respectueusement à manger.

Jean 4.32 Mais il leur dit : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. » Jésus va employer à leur égard son procédé favori : du sensible il les élèvera, comme il avait fait pour la Samaritaine, aux plus hautes régions du surnaturel. – J’ai à manger… Je n’ai pas besoin de la nourriture que vous m’offrez ; j’ai d’autres mets plus savoureux. De même qu’il avait oublié précédemment sa soif brûlante, de même il oublie sa faim et sa fatigue : la prochaine conversion de toute une ville suffit pour le nourrir en ce moment. Les Rabbins recommandent souvent d’associer aux repas des conversations saintes, portant sur des choses spirituelles : nul, mieux que Jésus, n’a donné l’exemple de cette pratique. Voyez, outre ce passage, Luc. 5. 29-39 et parall. ; 7, 36-50 ; 10, 38-42 ; 11, 37-50 ; 14, 1-24, etc.

Jean 4.33 Et les disciples se disaient les uns aux autres : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »Les disciples se disaient… A voix basse, sans doute, pensant n’être pas entendus de leur Maître. – Quelqu’un lui aurait‑il apporté... Les apôtres n’ont pas compris, et certes il leur était difficile de comprendre sur‑le‑champ ; leur Maître ne les avait‑il pas envoyés à Sichar dans le but exprès d’acheter des vivres ? « Y a‑t‑il rien d’étonnant à ce que cette femme n’ait pas compris de quelle eau il s’agissait, quand les disciples eux‑mêmes ne comprenaient pas de quelle nourriture le Sauveur leur parlait ? », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean. S. Jean raconte candidement ce quiproquo, auquel il prit part lui‑même. Apparaît dans ces choses la simplicité native de la vérité ; et on reconnaît facilement que l’écrivain rapporte des choses qui se sont passées en sa présence.

Jean 4.34 Jésus leur dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. – Jésus s’explique, comme il avait fait pour la Samaritaine ; c’est à une nourriture spirituelle qu’il pensait. Cette image exprime fortement la consolation intime, la pleine satiété que Notre‑Seigneur trouvait dans l’accomplissement de sa mission : il en oubliait ses fatigues et les nécessités les plus pressantes de la vie. – Faire la volonté… Les critiques hésitent entre les leçons du texte grec, qui sont appuyées à peu près également par les documents anciens. Le temps présent indiquerait la perpétuité de l’action : que je fasse et que je fasse encore à tout instant. – De celui qui m’a envoyé. C’est-à-dire : de Dieu, de mon Père, comme Jésus dit ailleurs. Cette locution est toujours solennelle, cf. 2, 17, etc. – D’accomplir son œuvre. Ici, le verbe grec est sans doute au subjonctif aoriste : l’acte est ainsi regardé d’avance comme accompli dans l’avenir, comme « la consommation finale de la tâche, qui n’aura lieu qu’au terme de l’obéissance incessante » (Godet). Jésus ne dit pas quelle est cette œuvre ; c’est, en général, la rédemption du genre humain ; en particulier, dans la circonstance présente, la conversion des Samaritains. Le divin Maître avait donc toujours sa vocation à la pensée, pour s’y conformer d’une manière intégrale : la volonté de son Père était toute chose pour lui. Cette admirable parole revient souvent sur ces lèvres dans le quatrième évangile, cf. 5, 30 ; 6, 38 ; 7, 18 ; 8, 50 ; 9, 4 ; 12, 49, 50 ; 14, 31 ; 15, 10 ; 17, 4.

Jean 4.35 Ne dites-vous pas vous-mêmes : Encore quatre mois et ce sera la moisson ? Moi, je vous dis : Levez les yeux et voyez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. – A l’idée qu’il vient d’énoncer, et, d’une manière générale, à l’ensemble de la situation dans laquelle il se trouvait alors, Jésus rattache quelques belles réflexions, portant sur l’avenir entier de son œuvre et sur la collaboration de ses disciples. Il ouvre à ces derniers un vaste et magnifique horizon. – Ne dites‑vous pas… Peut-être avaient‑ils réellement tenu ce langage ; plus probablement, Notre‑Seigneur le leur prête comme très naturel dans l’occasion : En voyant ces champs verdoyants, vous dites sans doute… – Encore quatre mois. « Un temps de quatre mois ». D’après un certain nombre de commentateurs (Maldonat, Grotius, Lücke, Tholuck, Alford, de Wette, etc.), ces paroles formaient un adage alors usuel en Palestine, pour signifier qu’une fois la semence confiée à la terre, il fallait attendre pendant quatre mois la récolte. Mais on leur objecte à bon droit qu’un proverbe de ce genre n’eût pas manqué de mentionner les semailles, et surtout, qu’entre cette opération, accomplie en octobre, et la moisson qui commence en Palestine vers la mi‑août, il existe un intervalle d’au moins cinq mois. Le mieux est donc, à la suite de S. Augustin et avec la plupart des exégètes, d’appliquer uniquement ce passage à la circonstance actuelle, et de dire qu’à la lettre quatre mois encore devaient s’écouler avant la moisson. Nous obtenons ainsi une précieuse donnée pour l’harmonie et la chronologie des évangiles. D’après ce qui a été dit ci‑dessus, c’est vers la seconde moitié de décembre que Jésus aurait séjourné en Samarie. Comme il était allé Jérusalem pour la Pâque précédente, 2, 13, par conséquent en avril, son séjour en Judée avait duré environ huit mois. – Je vous dis. Jésus oppose son propre dire à celui des disciples. Non. Il n’y a pas un aussi longtemps avant la prochaine récolte. La particule annonce, selon la coutume, un fait extraordinaire, surprenant. – Levez les yeux. Une autre introduction pittoresque à la pensée qui va suivre. Voyez de vos propres yeux si les choses ne sont pas telles que je les affirme. – Voyez les champs. La contrée si belle et si fertile qui les entourait. Comme alors, le fond de la vallée est couvert de champs cultivés, et de prairies de la verdure la plus fraîche et la plus éclatante. C’est comme un champ unique, que n’interrompent ni haies, ni murs, une vraie masse verdoyante qui ondule avec charmes. – Qui blanchissent déjà. L’expression est toute classique et d’ailleurs très exacte, car le blé blanchit quand il est sur le point de mûrir. Déjà contraste avec encore : cet adverbe étant placé à la fin de la phrase dans le texte grec, on l’a parfois rattaché dès l’antiquité à la proposition suivante (v. 35). Naturellement, c’est au figuré qu’il faut prendre cette parole de Jésus (contre Olshause, Caspari, etc., qui l’interprètent littéralement, et qui infèrent de là qu’on était alors en avril ou en mai). « Vous autres, vous comptez quatre mois jusqu’à la moisson (la moisson matérielle), moi je vous en montre une autre (une moisson mystique) qui a déjà blanchi et qui est toute prête », S. Augustin, Traité 15 sur Jean. « Ils voyaient effectivement alors les Samaritains accourir en foule vers lui ; leur volonté ainsi disposée et soumise, c’est ce qu’il appelle les campagnes blanches », S. Jean Chrysostome, Hom. 34. Jésus et ses disciples n’avaient plus qu’à prendre la faucille pour recueillir ces excellents épis. Fertile moisson assurément, mais elle présageait celle que les apôtres allaient bientôt faire dans le vaste champ du monde païen.

Jean 4.36 Le moissonneur reçoit son salaire et recueille du fruit pour la vie éternelle, afin que le semeur et le moissonneur se réjouissent ensemble. – Jésus continue sa belle allégorie. La suite générale des pensées est aisée à indiquer : Le champ est mûr pour la moisson (v. 35) ; soyez de zélés moissonneurs (cf. Joël, 4, 13), car vous trouverez dans ce rôle de très grands avantages. « Le Sauveur brûlait du désir d’accomplir son œuvre, et avait hâte d’envoyer des ouvriers recueillir cette moisson », S. Augustin. – Le moissonneur… Ce fait est vrai de ceux qui travaillent à la moisson des âmes, aussi bien que des moissonneurs ordinaires. Seulement, quelle récompense magnifique Dieu ne donnera‑t‑il pas aux hommes qui l’auront aidé à rentrer sa récolte spirituelle ! – Et recueille du fruit. Ce n’est pas dans des greniers temporels, où le grain se corrompt que les moissonneurs de Jésus placent les glorieuses gerbes recueillies péniblement, mais dans les magasins invisibles du ciel. Leur salaire consistera par conséquent en des biens éternels. Voyez Cornelius a Lapide et Maldonat. – Afin que le semeur. Dans le domaine matériel, l’action de semer et celle de moissonner sont souvent accompagnées de sentiments très divers. « On sème dans les larmes », à cause des risques redoutables que l’on encourt ; « on moissonne dans la joie », (Ps. 125, 5, 6), quand tout a réussi. Lorsqu’il s’agit du champ des âmes, la joie est commune et au semeur et au moissonneur, puisqu’ils se retrouvent dans le ciel pour posséder, ainsi qu’il vient d’être dit, une récompense qui n’aura pas de fin.

Jean 4.37 Car ici s’applique l’adage : Autre est le semeur et autre le moissonneur.Ici : Dans la moisson dont je parle. La particule car rattache ce verset à la seconde moitié du précédent, que Jésus se propose de développer et d’expliquer ; la distinction établie entre le semeur et le moissonneur va être plus fortement accentuée. – L’adage équivaut ici à proverbe, adage populaire. – Se vérifie : complètement, trouve son exacte application. – Le proverbe est ensuite cité. On le rencontre pareillement chez les classiques grecs. « Il n’a semblé être un homme que quand il a moissonné la récolte d’autrui ; maintenant les épis qu’il a amenés tout engerbés de là-bas, il les fait sécher et il veut les vendre », Aristophane, Les cavaliers, 391. Il exprime un fait qui se reproduit fréquemment dans la vie humaine, soit au propre, soit au moral.

Jean 4.38 Je vous ai envoyés moissonner ce que vous n’avez pas travaillé, d’autres ont travaillé et vous, vous êtes entrés dans leur travail. » – Application du proverbe aux disciples. Jésus « rend l’avenir présent d’une manière prophétique » : du reste, le rôle dont il parle était compris dans leur appel à l’apostolat. – Travaillé : Le verbe grec est très énergique. Il désigne un travail pénible. S. Paul aussi l’emploie pour exprimer les rudes labeurs de l’apostolat, 1 Corinthiens 15, 10, etc. – D’autres… C’étaient les prophètes, S. Jean‑Baptiste, N.-S. Jésus‑Christ lui‑même durant son ministère public. – Vous êtes entrés dans leur travail. Locution élégante et pittoresque, pour dire que, du moins en ce qui concernait l’évangélisation des Juifs, les apôtres n’auraient pas à exécuter les premiers travaux. Avant eux on avait labouré, ensemencé les champs : ils venaient joyeusement faire la moisson.

Jean 4.39 Or, beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus sur la parole de la femme qui avait rendu ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » – Nous sommes ramenés par cette transition aux versets 28-30. – Les mots crurent en Jésus (ils crurent à la dignité messianique de Jésus) expriment le premier degré et le premier motif de la foi des Samaritains. Cette promptitude à croire sur un simple témoignage fait l’éloge de leur esprit religieux ; mais nous les verrons s’élever beaucoup plus haut dans un instant.

Jean 4.40 Les Samaritains étant donc venus vers lui, le prièrent de rester chez eux et il y demeura deux jours.Les Samaritains… le prièrent. D’après le grec, comme au v. 31, pour marquer une pressante invitation. – De rester. Beau contraste avec la conduite des hiérarques de Jérusalem, 5, 10 et s., des habitants de Nazareth, Luc. 4, 29, et des Gadaréniens, Matth. 8, 34 et parall. Les Samaritains voulaient voir et entendre longuement Jésus. – Le divin Maître daigna accéder à leur requête : il y demeura deux jours.

Jean 4.41 Et un plus grand nombre crurent en lui pour l’avoir entendu lui-même. – Ce séjour produisit les plus heureux résultats. Un double progrès est ici constaté par le narrateur : le nombre des croyants s’accrut d’une manière notable, et la foi fut assise sur une base plus solide (à cause de sa parole, par opposition à sur la parole de la femme, v. 39). L’évangéliste ne mentionne aucun miracle ; il est probable que Jésus n’en accomplit aucun dans cette circonstance (S. Jean Chrysostome, Théophylacte, etc.) : raison de plus d’admirer la foi des Samaritains. La personne et la parole du Sauveur suffirent pour les attacher à lui.

Jean 4.42 Et ils disaient à la femme : « Maintenant ce n’est plus à cause de ce que vous avez dit que nous croyons, car nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. » – Trait magnifique pour conclure le récit. Les Samaritains font ressortir eux‑mêmes le caractère supérieur de leur foi (cf. v. 39 et 41). – A cause de ce que tu nous as dit. Plus haut, quand il avait été question du langage de Notre‑Seigneur, nous lisions une expression plus noble équivalant à discours. – Nous l’avons entendu nous‑mêmes. Auparavant leur connaissance était imparfaite ; désormais ils savent de source certaine, infaillible. – Il est vraiment le Sauveur du monde. C’est là un titre magnifique qu’ils décernent à Jésus (on ne le rencontre qu’ici et 1 Jean 4, 14). Ils ont compris par le ministère qu’il a bien voulu exercer auprès d’eux, peuple abhorré des Juifs, et ils décrivent à merveille par ces deux mots la catholicité de son œuvre : il est venu pour sauver le monde entier et pas seulement une nation privilégiée.

Jean 4, 43-54 = 

Jean 4.43 Après ces deux jours, Jésus partit de là pour se rendre en Galilée. – Dans le grec, avec l’article : les deux jours passés à Sichar (v. 40). – Et s’en alla. (Ces mots sont omis par le copte, le syriaque Cureton, Origène, etc.). Nous revenons ainsi au v. 3, où se trouve la même formule : le séjour à Sichar n’avait été qu’un épisode. Il est à remarquer qu’il n’est plus question des disciples jusqu’à 6, 3. Peut-être auront‑ils quitté Jésus à leur entrée en Galilée, pour rejoindre chacun sa famille.

Jean 4.44 Car Jésus avait déclaré lui-même qu’un prophète n’est pas honoré dans sa patrie. – Jean 4, 43-45. = Matth. 4, 12 ; Marc. 1, 14-15 ; Luc. 4, 14-15. Ces trois versets forment une sorte d’introduction, analogue à celles que nous avons rencontrées 2, 13, 23-25, 4, 1-4. Sur la très grande probabilité du parallélisme des quatre évangiles en cet endroit, voyez la note du v. 3. – Lui‑même. Il ressort de cette particule et aussi de tout l’agencement de la pensée (comp. les versets 43 et 45), que l’historien veut indiquer ici le motif spécial qui conduisait alors Jésus dans la province de Galilée. Ce motif est immédiatement condensé dans un proverbe placé sur les lèvres du Sauveur lui‑même : un prophète n’est pas honoré dans sa patrie. Mais y a‑t‑il vraiment là un lien logique? De ce qu’un prophète n’est pas honoré dans son propre pays, ne s’en suivait‑il pas, au contraire, que Jésus aurait dû tourner le dos à la Galilée ? On a essayé de résoudre la difficulté de plusieurs manières. 1° L’évangéliste désignerait la Judée par les mots « dans sa patrie » (Origène, Patrizi, Klofutar, Ebrard, Plummer, Westcott, Keil, etc.), et dès lors on comprendrait sans peine que, mal reçu dans cette province, Notre‑Seigneur eût cherché un refuge auprès des Galiléens. Mais, quoique Jésus fût né à Bethléem, c’est toujours la Galilée qui nous est présentée comme sa patrie dans l’Évangile, cf. 1, 45-46 ; 7. 41-42 ; Matth. 13, 54 ; Marc. 6, 1 ; Luc. 4, 16, 23. Et puis, malgré la haine naissante des prêtres et des pharisiens, n’avait‑il pas été, au fond, assez bien reçu en Judée? cf. 2, 23 ; 3, 22 ; 4, 1. 2° S. Cyrille d’Alexandrie, le Dr Klee, le P. Corluy, etc., sous‑entendent, en tête du verset : « et passant par Nazareth, il alla au‑delà ». 3° S. Jean Chrysostome, Euthymius, etc., supposent une ellipse analogue, mais qui se rapporterait à Capharnaüm, nommée par S. Matthieu (9, 1), la cité de Jésus. Ces deux opinions ont le tort de restreindre le sens du substantif « patrie », qui désigne une province d’après le contexte, et pas seulement une bourgade. 4° Selon d’autres (Gfroerer, Meyer, etc.), le sens serait que Jésus ne vint en Galilée que lentement et en hésitant, parce qu’il n’ignorait pas qu’il y serait mal vu. Mais la narration dit à peu près le contraire de cela. 5° Luthardt a trouvé une explication ingénieuse, mais forcée. Jésus, dit‑il, après avoir été si parfaitement accueilli en Samarie, passa en Galilée précisément pour y vivre oublié, tranquille ; il comptait sur la réalisation du proverbe cité. Les synoptiques, qui nous montrent Notre‑Seigneur déployant une grande activité dès son retour en Galilée, réfutent cette hypothèse. 6° Nous aurions ici une explication anticipée du fait signalé plus bas (v. 45) : « les Galiléens l’accueillirent, parce qu’ils avaient vu tout ce qu’il avait fait à Jérusalem ». Pour ces miracles opérés à Jérusalem, les Galiléens n’eussent témoigné aucun honneur à Jésus, conformément à l’adage populaire (Lücke, de Wette, Tholuck, Bisping, etc.). Ou, avec une nuance (Watkins), le Sauveur voulait expliquer ainsi pourquoi il n’ouvrait son ministère en Galilée qu’après avoir partiellement évangélisé la Judée et la Samarie. Il savait qu’aucun prophète n’est honoré de ses compatriotes : il apportait donc du dehors une réputation toute faite. Nous nous rangeons de préférence à cette dernière interprétation. Quant au proverbe même, Voyez la note sous Matthieu, 13, 57, et l’Evang. selon S. Marc, 6, 4. L’allusion de S. Jean aux récits des synoptiques est évidente ; mais il abrège et il généralise, et c’est pour cela que la pensée présente moins de clarté.

Jean 4.45 Lorsqu’il fut arrivé en Galilée, les Galiléens l’accueillirent, ayant vu tout ce qu’il avait fait à Jérusalem pendant la fête,Accueillirent désigne une réception enthousiaste. S. Luc l’a décrite plus au long, 4, 14-15 : « Alors Jésus retourna en Galilée… et sa renommée se répandit dans tout le pays. Et il enseignait dans leurs synagogues, et il était glorifié par tous ». – ayant vu tout ce qu’il… Ils avaient vu les signes, cf. 2, 23 et 3, 2.

Jean 4.46 car eux aussi étaient allés à la fête. Il retourna donc à Cana en Galilée, où il avait changé l’eau en vin. Or, il y avait un officier du roi dont le fils était malade à Capharnaüm.à la fête. Le mot grec désigne, comme d’ordinaire, la fête et son octave. Les Galiléens s’étaient trouvés à Jérusalem en même temps que Jésus. Ils y étaient venus en qualité de pieux pèlerins, pour célébrer, conformément à la loi (Deutéronome 16, 16), la Pâque dans le sanctuaire de Dieu. Voyez la note sous Luc, 2, 41. – Ce miracle ne doit pas être confondu avec la guérison de l’esclave du centurion, que relatent de concert S. Matthieu, 8, 5-13, et S. Luc, 7, 1-10. S. Irénée paraît déjà avoir identifié les deux faits (« puis il guérit le fils du centurion à distance, d’une simple parole, en disant : « Va, ton fils vit »), Contre les Hérésies 2, 22. Le même sentiment trouva quelques adeptes à l’époque de S. Jean Chrysostome et de S. Augustin ; fin XIXème siècle, il n’a été soutenu que par un très petit nombre d’exégètes (entre autres, Ewald, Semler, de Wette, Baur, quatre rationalistes). Voici en quels termes S. Augustin le réfutait : « Voyez la différence qui se trouvait entre eux. L’officier désirait voir le Sauveur descendre jusque dans sa maison : le centurion, de son côté, s’en disait indigne. A celui‑ci, Jésus disait : « J’irai et je le guérirai » et à l’autre : « Va, ton fils est guéri ». Il promettait de visiter l’un, et il guérissait l’autre d’une parole ; l’officier cherchait à lui arracher la faveur d’une démarche, le centurion s’en proclamait indigne », Traité 16 sur l’évangile selon S. Jean. Il serait aisé de multiplier les divergences. Ici la scène se passe à Cana, là à Capharnaüm ; ici le malade est le fils du suppliant, là son esclave ; ici la foi paraît avoir été imparfaite, là elle est d’une admirable vivacité, etc. Dans les deux cas, pourtant, le miracle fut opéré à distance ; mais c’est l’unique point de ressemblance. – Il retourna donc… Il est dans les habitudes de S. Jean de signaler, en même temps que le nom d’une personne ou d’une localité, quelque circonstance extraordinaire qui les a rendus à jamais célèbres dans l’Église (Trench), cf. 7, 50 et 19, 39 ; 1, 44 et 12, 21 ; 13, 23, 25 et 21, 20. D’ailleurs, pour Cana il s’agissait d’un miracle récent, qui vivait dans toutes les mémoires. – Il y avait un officier du roi. Le mot grec βασιλιϰός est formé de βασιλεύς, roi, et est souvent employé substantivement par Plutarque, Polybe et l’historien Josèphe, pour désigner des officiers ou fonctionnaires royaux. C’est ici (et au v. 49) le seul endroit du Nouveau Testament où il apparaît avec cette signification. S. Jérôme le traduit par « officier du palais ». Il désigne donc un officier civil ou militaire d’Hérode Antipas ; car, bien que ce prince ne fût que tétrarque, on continuait néanmoins à lui appliquer, dans le langage populaire, le titre de βασιλεύς, qui avait été celui de son père Hérode‑le‑Grand, cf. Matth. 14, 9 ; Marc. 6, 14. C’est sans la moindre preuve que plusieurs auteurs ont identifié notre βασιλιϰός à Chuza (Luc. 8, 3) ou à Manahen (Actes 13, 1). Ce détail nous introduit au cœur même du récit.

Jean 4.47 Ayant appris que Jésus arrivait de Judée en Galilée, il alla vers lui et le pria de descendre, pour guérir son fils qui était à la mort. – Le bruit du retour de Jésus, le grand thaumaturge, s’était immédiatement répandu dans toute la contrée. – Il alla vers lui. De Capharnaüm, où il avait sa résidence, l’officier royal vint rejoindre Notre‑Seigneur à Cana, sur le plateau de Galilée. – Le pria de descendre. Expression très exacte : entre Cana et Capharnaüm, la ville du lac, la différence d’altitude est de 400 mètres. – Son fils… était à la mort. Ce touchant détail explique l’insistance du pauvre père. La traduction littérale de la phrase grecque, serait « car il devait mourir ». Le malade était si bas, que, vu le cours ordinaire des choses, c’était pour lui une presque nécessité de mourir.

Jean 4.48 Jésus lui dit, « Si vous ne voyez des signes et des miracles, vous ne croyez pas. » – Jésus fait à l’officier une réponse bien sévère. Mais il procéda de la même façon en d’autres circonstances analogues (cf. Matth. 15, 23, 24 et parall. ; Matth. 17, 16 et parall.). Il aimait à susciter la foi des suppliants ; or, comme on l’a maintes fois répété à la suite de S. Jean Chrysostome et de S. Grégoire le Grand, celle du βασιλιϰός semble avoir été entachée de plus d’une imperfection. Cet homme croyait probablement, d’après le v. 49, que la présence de Jésus était nécessaire pour la guérison, que sa puissance ne s’étendait que sur les maladies et non sur la mort, etc. Au surplus, Notre‑Seigneur s’adresse moins au malheureux qu’à l’ensemble des assistants : c’est donc sur toute la foule que retombe le reproche. – Des signes et des miracles (Ce dernier mot n’est pas employé ailleurs par S. Jean). Deux substantifs souvent combinés dans le Nouveau Testament, pour représenter les miracles sous leurs aspects divers, cf. Matth. 24, 24 ; Marc. 13, 22 ; Act 2, 22, 43 ; 4, 30 ; 5, 12 ; 6, 8 ; 7, 36 ; 8, 13 ; 14, 3 ; 15, 12 ; Romains 15, 19 ; 2 Corinthiens 12, 12 ; Hébreux 2, 4, etc. « Le premier désigne le miracle relativement au fait du monde invisible qu’il manifeste ; le second le caractérise relativement à la nature extérieure dont il brave les lois ». Le premier suggère aux témoins du miracle une vérité supérieure garantie par lui ; le second s’en tient aux effets éclatants qui sont produits. Voyez la note sous Matth., début chap. 8. – Si vous ne voyez… vous ne croyez. « Les Juifs demandent des signes », dira pareillement S. Paul, 1 Corinthiens 1, 22. Déjà le v. 45 l’a insinué, à ces Galiléens il fallait des miracles avant tout ; pas de foi sans miracle ; voir d’abord et croire ensuite. Jésus préférerait au contraire la foi indépendamment des miracles : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », Jean 20, 29. Telle avait été celle des Samaritains, v. 39 et 41.

Jean 4.49 L’officier du roi lui dit : « Seigneur, venez avant que mon enfant meure. – Le suppliant, soutenu par l’amour paternel, ne se laisse pas rebuter, mais il renouvelle humblement sa requête ; d’un autre côté, il s’en tient aux mêmes expressions (cf. v. 47), supposant encore que la présence de Jésus était indispensable : il n’a pas su profiter complètement de la leçon. – Mon enfant. Le grec a le diminutif qui exprime si bien ici l’affection et la douleur du père, cf. Marc. 5, 23, 35. Le malade n’était d’ailleurs qu’un enfant. Jésus et le narrateur emploient un terme plus noble, (v. 47, 50, 53) ; les serviteurs, un mot familier (v. 51).

Jean 4.50 Va, lui répondit Jésus, ton enfant est plein de vie. » Cet homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et partit. Va, Répondit le divin Maître, accordant et refusant tout ensemble. Je ne t’accompagnerai pas à Capharnaüm ; néanmoins, ton fils est plein de vie. C’est-à-dire, il est sauvé, il est guéri. Voyez, v. 51 ; Isaïe 38, 1 ; 2 Rois 1, 2, la répétition de cet hébraïsme. – Cet homme crut. La conduite de Jésus était une épreuve, que l’officier subit noblement cette fois. Sur le champ, il crut et se mit en route. Notez encore la pittoresque variation des temps : il crut, ce fut l’affaire d’un instant ; et partit : son voyage devait durer plusieurs heures.

Jean 4.51 Comme il s’en retournait, ses serviteurs vinrent à sa rencontre et lui apprirent que son enfant vivait.Comme il s’en retournait. Pour la troisième fois nous avons cette locution si exacte. – Vinrent à sa rencontre. Les serviteurs s’étaient tout naturellement dirigés du côté de Capharnaüm après la guérison, afin d’apprendre plus promptement à leur maître l’heureuse nouvelle. – Son enfant vivait. D’après la Recepta, que ton fils vit.

Jean 4.52 Il leur demanda à quelle heure il s’était trouvé mieux et ils lui dirent : « Hier, à la septième heure, la fièvre l’a quitté. »Il leur demanda à quelle heure… C’est un contrôle assurément, mais qui provenait de la foi, non du doute. L’officier royal veut être à même de rattacher à Jésus, et à lui seul, la guérison de son enfant. – Il s’était trouvé mieux : gracieuse formule qu’Arien, Dissert. Epict. 3, 10, 13, place dans la bouche d’un médecin. Le détail hier semble tout d’abord assez étonnant, quoiqu’il y ait six ou sept heures de marche entre Cana et Capharnaüm. En effet, la septième heure, interprétée à la façon ordinaire des Juifs, équivaut à une heure de l’après‑midi : comment donc le maître et ses serviteurs ne se seront‑ils rencontrés que le lendemain, en supposant même que ces derniers se fussent seulement avancés à une petite distance de Capharnaüm ? Divers commentateurs profitent de cette difficulté pour faire prévaloir le système d’après lequel S. Jean compterait les heures d’après la mode romaine, non d’après celle des Juifs : dans ce cas, la septième heure correspondrait à sept heures du soir, et le mot hier s’expliquerait sans peine. Mais il n’est nullement démontré que ce système soit vrai (nous le discuterons plus tard ; voyez 1, 39 ; 4, 6 ; 19, 14, et les commentaires. D’autres, pour éliminer la difficulté, supposent, malgré le contexte (v. 50) et malgré les vraisemblances psychologiques, que le père passa la nuit à Cana ou dans quelque hôtellerie intermédiaire, et ne rentra chez lui que dans la matinée du jour suivant. La meilleure solution consiste à dire, avec la plupart des exégètes, que la rencontre du maître et des serviteurs n’eut lieu qu’après le coucher du soleil ; or, la journée juive commençant précisément le soir, à l’heure où cet astre disparaît à l’horizon, on pouvait dire sans qu’une nuit se fût nécessairement écoulée dans l’intervalle. – La fièvre l’a quitté. L’expression suppose une guérison complète et instantanée.

Jean 4.53 Le père reconnut que c’était l’heure à laquelle Jésus lui avait dit : « Ton fils est plein de vie » et il crut, lui et toute sa maison. – Après avoir consigné ce procès‑verbal du miracle (v. 51-52), l’évangéliste en expose le magnifique résultat. – Il crut. Plus haut (v. 50) l’officier royal avait cru à la parole de Jésus ; maintenant, s’élevant à un degré supérieur, il croit en sa dignité messianique. Tel est ici le sens de il crut. S. Jean aime à signaler le développement de la foi de ses personnages, cf. 1, 38, 41 ; 4, 39, 41, etc. – Et toute sa maison. C’est-à-dire, toute sa famille dans l’ancienne acception de ce mot (femme, enfants, serviteurs).

Jean 4.54 Ce fut le second miracle que fit Jésus en revenant de Judée en Galilée. – La phrase est étrange à première vue, mais la signification est claire d’après 2, 1 et ss. Deux fois déjà Jésus‑Christ était revenu de Judée en Galilée, et chacun de ses retours fut marqué par un grand miracle opéré à Cana. Heureuse bourgade, tant honorée. S. Jean tient à compléter les synoptiques, et à montrer que ce qui, dans leur narration, paraissait être le premier retour de Notre‑Seigneur en Galilée, était de fait le second. Voilà pourquoi il insiste sur ce détail.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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