CHAPITRE 5
Jean 5.1 Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem. – Après cela… C’est la circonstance de temps qui est surtout indiquée par cette première ligne. On a cru reconnaître une petite nuance dans l’emploi que fait S. Jean des deux formules chronologiques μετα τοΰτο (cf. 2, 12 ; 11, 7, 11 ; 19, 28, etc.) et μετα ταΰτα (au pluriel, cf. 3, 22 ; 5, 14 ; 6, 1 ; 13, 7 ; 19, 38 ; 21, 1, etc.). La première, qui est plus précise et plus serrée, exprimerait une relation assez étroite de succession, de dépendance entre les faits ; la seconde, plus vague et générale, n’indiquerait rien de semblable et se bornerait à coordonner les événements. Distinction que nous croyons exacte au fond, mais qu’il ne faudrait pas trop presser. – Il y eut une fête des Juifs. Maldonat écrivait avec un brin d’impatience : « Jean nous aurait épargné beaucoup de peine et d’effort, s’il avait ajouté un seul mot pour préciser de quelle fête des Juifs il s’agissait » (h. l.). Que dirait aujourd’hui ce grand et vénéré commentateur, si, après avoir lu quelques cents pages de plus sur la question, il la trouvait plus complexe et plus embrouillée que jamais ? Mais adorons plutôt les desseins mystérieux de l’Esprit‑Saint, qui n’a pas voulu qu’une seule ligne de la quadruple biographie de Jésus fût composée pour satisfaire notre curiosité. On a pourtant de la peine à retenir un regret ; car, de cette date dépend entièrement la chronologie de la vie publique de Notre‑Seigneur, et en même temps la fixation de l’époque de sa mort. Quoi qu’on fasse, l’on gagne ou l’on perd une année : d’un côté deux ans et demi pour le ministère public du Messie, de l’autre trois ans et demi. Le dissentiment est, du reste, non moins ancien que profond ; il existait au temps des premiers Pères, et il n’est pas possible qu’il puisse jamais cesser. Notre modeste et rapide explication s’occupera tour à tour du texte, des points de repère pour la fixation de la fête, des opinions. 1°) Le texte prête déjà matière à la discussion, à propos d’un détail minime en apparence, mais qui, selon divers auteurs, contribuerait grandement à trancher la question dans un sens ou dans l’autre. Il s’agit de savoir si la leçon primitive du grec était ή έορτή , LA fête, ou simplement έορτή (sans article), UNE fête. L’article est omis par Origène et par la plupart des manuscrits, notamment par A, B, D ; il existe au contraire en d’autres documents anciens et importants (les man. א, C, E, L, Δ, etc., et les versions égyptiennes). Les autorités diverses s’équilibrent à peu près ; aussi les meilleurs exégètes sont‑ils en désaccord, les uns supprimant l’article, les autres l’insérant au contraire. Il nous semble que les copistes l’auront plutôt ajouté qu’enlevé, dans l’espoir de faire disparaître l’obscurité du texte. Quelle serait en effet « la fête » par excellence, sinon la Pâque ? Ainsi raisonnent beaucoup d’auteurs anciens et modernes ; ils allèguent les passages suivants, où les solennités pascales sont désignées par l’expression ή έορτή : Matth. 26, 5 ; 27, 15 ; Luc. 2, 42 ; Jean 4, 45 ; 11, 56 ; 12, 12. Toutefois, ce raisonnement n’est pas nettement convaincant à nos yeux, attendu que dans tous les passages cités, le sens des mots ή έορτή est déterminé de la façon la plus claire par le contexte, qui nomme positivement la Pâque. D’où il résulte que même la présence de l’article nous apprendrait ici bien peu de chose (le manuscrit V ajoute των άζύμων ; un autre, désigné par le nombre 131, ajoute ή σκηνοπηγία : interpolations manifestes). 2°) Dans ce que nous appelons les points de repère il n’y a rien non plus de bien saillant pour dirimer la controverse, puisque les partisans de toute opinion y sont venus puiser tour à tour quelques unes de leurs preuves contradictoires. Voici du moins les principaux. a) Le récit de S. Jean signale deux dates fixes, soit avant, soit après notre passage : savoir, la première Pâque de la vie publique du Sauveur, 2, 23, et le miracle de la multiplication des pains, qui eut lieu à proximité d’une autre Pâque, 6, 4 (voyez la note critique rattachée à ce second texte). Entre ces deux Pâques aucune autre fête n’est signalée, sinon notre « fête des Juifs ». b) A la suite de la première de ces Pâques, Jésus quitta Jérusalem et demeura quelque temps en Judée (3, 12) ; assez longtemps, d’après l’ensemble de la narration, pour qu’aient pu se produire les événements qui suscitèrent la jalousie des disciples de Jean‑Baptiste et des Pharisiens. c) D’après 4, 45, quand Notre‑Seigneur rentra en Galilée, le souvenir des miracles qu’il avait opérés à Jérusalem pendant la Pâque précédente était encore très vivace chez ceux qui en avaient été témoins : ce qui suppose que l’intervalle mentionné plus haut, tout en ayant une certaine durée, n’avait pas été très considérable. d) La parole de Jésus, 4, 35, fut vraisemblablement prononcée au mois de décembre qui suivit la première Pâque. e) 5, 1-6, nous voyons les malades en plein air sous les portiques. f) Le ministère de S. Jean‑Baptiste, qui durait encore au chap. 3, vv. 26 et ss., a maintenant pris fin (cf. 5, 35). g) La tournure « il faisait cela le jour du sabbat », 5, 16, par laquelle le narrateur résume le motif de l’hostilité des Juifs contre Jésus, semble faire allusion aux épisodes réitérés que mentionnent les synoptiques (cf. Matth. 12, 1-8 ; Luc. 6, 6-11, et parall ) : elle supposerait donc aussi un intervalle de temps assez notable entre 4, 54 et 5, 1. h) D’un autre côté, d’après 6, 2 et s., on voit qu’au moment où Jésus revint à Jérusalem pour la fête des Tabernacles postérieure à la seconde Pâque directement nommée par S. Jean (6, 4), par conséquent huit ou neuf mois après cette même Pâque, les pèlerins ont encore très vivante à l’esprit la mémoire du miracle de Béthesda. Donc, il paraîtrait peu naturel de trop séparer cette fête inconnue et cette solennité des Tabernacles. Voilà les renseignements que fournit une lecture attentive des premières pages de S. Jean : n’y trouve‑t‑on pas aussi un peu le pour et le contre, ainsi que nous l’affirmions ? Ils ont du moins leur prix, et nous aurons l’occasion d’y revenir plus bas. 3°) Les opinions. Il en existe presque autant que de solennités religieuses chez les Juifs. Caspari est pour le Yôm Kippour, fête de l’Expiation ou du Grand Pardon, qu’on solennisait en octobre (voyez sa Chronolog.-géograph. Einleitung in das Leben J.-C., p. 112 et s.) ; Képler et le P. Pétau pour la Dédicace (décembre) ; Krafft, Ewald, Ebrard, les PP. Patrizi et Curci pour la fête des Tabernacles (septembre ou octobre) ; Westcott pour la fête dite des Trompettes (nouvelle lune de septembre), sous prétexte que la double idée de cette solennité, la création et la révélation de la loi, correspond très bien au discours subséquent de Jésus (vv. 19 et ss) ; S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d’Alexandrie, Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Erasme, etc., pour la Pentecôte (vers le mois de mai) ; Wieseler, Tholuck, Hug, A. Maier, Bisping, Schegg et un grand nombre d’autres, pour la fête des Purim ; S Irénée, Théodoret, Eusèbe, Lightfoot, Cornelius a Lap., Luc de Bruges, Calmet, Klee, Neander, Greswell, Grimm, M. Fouard, le P. Corluy, etc., pour la Pâque ; enfin quelques exégètes, et des meilleurs, désespérant d’arriver même à une simple probabilité, renoncent complètement à rien déterminer. Ce n’est pas ici le lieu de discuter tous ces systèmes ; nous nous bornerons à dire quelques mots des deux principaux, ceux qui concernent la Pâque et les Purim, car il méritent seuls d’attirer notre attention, les autres étant arbitraires pour la plupart ou ne pouvant concorder avec l’ensemble du récit. Cette dernière remarque s’applique à la Pentecôte, qui n’était distante de la Pâque que de cinquante jours ; or il est impossible de placer dans un intervalle si restreint tous les événements racontés dans les chap. 3 et 4. – La fête des Purim (ימיהפורים ), ou des Sorts, avait été instituée par les Juifs en reconnaissance de la manière providentielle dont ils avaient échappé aux projets sanguinaires d’Aman, cf. Esther 3, 7 ; 9, 24, etc. Elle avait lieu en mars, peu de semaines avant les solennités pascales. Sans doute, il n’était pas nécessaire de venir la célébrer à Jérusalem, pas plus que la Dédicace ; mais elle avait alors chez les Juifs une très grande importance et jouissait d’une extrême popularité (cf. Joseph., Ant. 11, 6, 13). Comme elle avait un caractère exclusivement israélite, S. Jean la supposait à bon droit inconnue de ses lecteurs – c’est pourquoi elle est la seule fête qu’il ne désigne pas nommément ; c’est pour le même motif que les anciens écrivains ecclésiastiques n’ont jamais pensé à elle, tandis que les commentateurs les plus récents, mieux au courant des usages judaïques, se sont fréquemment décidés en sa faveur. Il nous plairait vivement que ce sentiment fût certain, car la fête des Purim cadrerait au mieux avec les données chronologiques dont nous avons donné précédemment le résumé. Placée à dix ou onze mois de la première Pâque (avril à mars), elle laisse tout le temps nécessaire pour les faits racontés depuis cette époque ; séparée par quelques semaines seulement de la seconde Pâque (6, 4 et ss.), et par quelques mois de la fête des Tabernacles de la même année (7, 2 et ss.), elle s’harmonise très bien aussi avec les événements subséquents, lesquels, disions‑nous, ne semblent pas supposer un long intervalle. On a objecté, il est vrai, le mode souvent assez profane de sa célébration ; mais il est possible que les extravagances relatées à ce sujet dans le Talmud fussent de date plus récente : au reste, cela n’a rien de commun avec le voyage de N.-S. Jésus‑Christ et avec son apparition dans le temple. – Une objection distincte de celle‑là nous paraît beaucoup plus importante, si grave qu’elle suffit pour entraîner notre adhésion d’un autre côté : c’est le sentiment de S. Irénée, le plus ancien des Pères qui se soit occupé de cette question. Pour lui, il n’hésite pas à dire, que l’ ἑορτὴ τῶν Ίουδαίων était la Pâque. « Après quoi il monta une deuxième fois à Jérusalem pour la fête de la Pâque, et c’est alors qu’il guérit le paralytique qui gisait aux abords de la piscine depuis trente‑huit ans, en lui ordonnant de se lever, de prendre son grabat et de s’en aller », écrit‑il, Contr. Hær. 2 ; 22, cf. Theodoret, Comment. in Daniel 9. S’il s’est trompé sur l’ensemble de la vie publique de Notre‑Seigneur en l’allongeant outre mesure, l’erreur était plus difficile sur un détail particulier, dont la tradition devait avoir mieux conservé le souvenir, et qui se rattachait à un texte évangélique. Nous ne nions pas que cette solution ne laisse de sérieuses difficultés. Par exemple, S. Jean, qui nomme si exactement et si nettement les autres Pâques (cf. 2, 13 ; 6, 4 ; 11, 55), et même les autres fêtes moins importantes (7, 2 ; 10, 22), aura laissé cette solennité dans le vague ; sans qu’on puisse expliquer pourquoi. En outre, il mentionnerait deux Pâques coup sur coup, ici et 6, 4, et laisserait pour ainsi dire en blanc toute une année du ministère messianique de Jésus. Mais, sur ce second point, nous pouvons répondre que S. Jean suppose dans ses lecteurs la connaissance des trois premiers évangiles, où l’on trouve assez de faits à intercaler entre ces deux Pâques. D’ailleurs, nous ne parlons que d’une plus grande probabilité, puisque une décision certaine est et demeurera toujours impossible. – Jésus monta à Jérusalem. On ne saurait dire si Jésus vint seul ou accompagné de ses disciples, deux opinions qui ont été tour à tour soutenues. Nous avons eu occasion de le dire, ces voyages de Notre‑Seigneur à Jérusalem ont une importance capitale dans le quatrième évangile, où ils sont mis en relief avec une intention visible. C’est que la capitale juive fut le centre où se forma l’opposition au rôle messianique de Jésus, et qu’à chacun des séjours qu’y fit le divin Maître, elle alla toujours développant sa résistance contre lui. Chaque voyage du Sauveur à Jérusalem prépara donc la catastrophe finale, et marqua « un degré nouveau dans l’endurcissement des Juifs », comme aussi un nouveau degré dans la manifestation de sa propre mission et de sa divinité. On comprend, d’après cela, que ces voyages soient devenus le fil historique auquel S. Jean a rattaché son récit de la vie publique tel qu’il l’avait conçu.
Jean 5.2 Or, à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda et qui a cinq portiques. – Après la circonstance du temps, nous trouvons celle des lieux. De l’emploi du temps présent, ἔστιν, on a parfois tenté de conclure que le quatrième évangile aurait été écrit avant la ruine de Jérusalem ; mais l’argument n’est pas décisif. La piscine pouvait fort bien n’avoir pas été détruite par les Romains (le réservoir n’avait certainement pas disparu, et S. Jérôme, à la suite d’Eusèbe, parle des murs comme existant encore de son temps). Surtout le narrateur, à la façon de beaucoup d’autres anciens historiens, a pu simplement décrire le local tel qu’il existait au moment du fait raconté. – La piscine des brebis. Les meilleures autorités grecques ont ici une variante d’une certaine importance : ἐπὶ τῇ προβατιϰῇ, (littéral. : « super probatica », comme traduit Ammonius) ϰολυμβήθρα ; de sorte que l’adjectif est complètement isolé du substantif suivant, n’étant pas au même cas que lui. Après προβατιϰῇ on sous‑entend πύλῃ, porte, mot omis par ellipse, ou par suite d’une abréviation populaire dont on rencontre des exemples analogues chez les classiques, et l’on traduit : Il existe à Jérusalem, auprès de la porte probatique, une piscine… Telle est certainement la véritable interprétation, quoique plusieurs manuscrits lisent : ἐπὶ τῇ προβατιϰῇ ϰολυμβήθρα, auprès de la piscine probatique ; ou, comme la Vulgate : προβατιϰῇ ϰολυμβήθρα, une piscine probatique. Cette porte de l’antique Jérusalem nous est bien connue par l’Ancien Testament, où elle est trois fois mentionnée (Néhémie 3, 1, 32 ; 2, 39 : שער הצאן). Son nom lui venait des troupeaux de moutons qu’on introduisait fréquemment par elle dans la ville, et surtout dans le temple pour les sacrifices. La porte des Brebis était en effet située au N.-E. de Jérusalem, non loin de la porte actuelle de S. Etienne, par conséquent tout auprès du sanctuaire juif. C’était encore par là, au XIXème siècle, que les Bédouins amènaient aux habitants de Jérusalem les moutons engraissés dans les steppes du district oriental. L’expression προβατική n’apparaît qu’en cet endroit du N. T.. – Piscine (ϰολυμβήθρα, « où l’on se baigne »)… Ses restes furent découverts au XXème siècle. Elle mesurait 120 mètres sur 60, était entourée de 4 portiques et le 5ème portique la divisait en son milieu en 2 bassins. Située au nord du Temple de Jérusalem, elle était proche des ruines actuelles de la Basilique Sainte Anne. – Qui s’appelle : ἡ έπιλεγομένη (le manuscrit Sinaït. a seul τὸ λεγόμενον) : « surnommée », d’où il suit qu’elle avait eu à l’origine et qu’elle avait peut-être encore alors un autre nom. – En hébreu (έβραΐστι ; quatre autres fois dans le quatrième évangile : 19, 13, 17, 20 ; 20, 16 ; deux dans l’Apocalypse : 9, 11 ; 16, 16). L’hébreu parlé à cette époque n’était plus la langue de Moïse, de David et d’Isaïe ; mais un idiôme chargé d’aramaïsmes : le syro‑chaldéen, comme on le nomme souvent. – Au lieu de Bethsaida, la plupart des manuscrits grecs portent Béthesda (βηθεσδά), qui est la leçon probable ; Eusèbe écrit βηζαθά. On n’est pas d’accord sur l’étymologie et, partant, sur le sens de ce nom. On l’a fait dériver tantôt de Beth‑aschâda ( כית-אםטיו ), « lieu de l’effusion » ; tantôt de Beth‑estâv (ביתאסטיו), οϊκος στοης , « maison du portique » ; tantôt de Beth-zêtha (ביתזיתא), « maison des oliviers » (à cause de la colline située en face) ; tantôt, plus communément et à bien plus juste titre, de Beth‑chesdah (בית־חסזא), « maison de merci », soit que cette dénomination fît allusion à la miséricorde divine qui se manifestait miraculeusement à Béthesda (vv. 3 et s.), soit qu’elle caractérisât simplement l’œuvre bienfaisante de celui qui avait érigé les portiques dans l’intérêt des pauvres malades. Nulle part ailleurs il n’est question de la piscine de Béthesda dans les écrits juifs, sacrés ou profanes. – Qui a cinq portiques : c’est-à-dire cinq galeries couvertes, et disposées en croix avec un portique au centre sur la piscine, qui la divisait en deux bassins. La partie extérieure était sans doute complètement murée pour mieux abriter les infirmes.
Jean 5.3 Sous ces portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et de paralytiques. [Ils attendaient le bouillonnement de l’eau. – Sous ces portiques… Nous passons maintenant aux circonstances de personnes. – étaient couchés (κατέκειτο, l’imparfait de l’habitude et de la durée). Tout cela forme un tableau pittoresque, que le pinceau de Murillo a si bien reproduit. Voyez aussi la description d’anciennes peintures, sculptures, ou mosaïques représentant ce miracle, dans Rohault de Fleury, L’Évangile, Études iconograph. et archéologiq., t. 2, p.273 et s.,et dans Grimouard de S. Laurent, Guide de l’Art chrétien, t. 4, p. 227 et s. On a aussi de beaux tableaux de Carrache, de Jean Restout et d’Overbeck. – Un grand nombre de malades (των άσθενούντων) : terme général, qui est ensuite expliqué, développé par les trois expressions suivantes, lesquelles désignent des espèces particulières d’infirmités. La présence de l’article devant ce premier mot seul rend du moins ce sentiment très probable. – d’aveugles, de boiteux (κωλών) : ceux qui ont les jambes estropiées, les boîteux. – de paralytiques ( ξηρών ) Littéralement : les amaigris, c’est-à-dire les perclus et les paralytiques, cf. Matth. 12, 10 ; Luc. 6, 6, 8.
Jean 5.4 Car un ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine et agitait l’eau. Et celui qui y descendait le premier après l’agitation de l’eau, était guéri de son infirmité quelle qu’elle fût.] – L’évangéliste explique ce qu’il faut entendre par le « mouvement des eaux » qu’attendaient si impatiemment les malades rassemblés autour de la piscine. Mais quelles difficultés n’a pas suscitées son récit, qui paraît si simple au premier regard. Difficultés soit au point de vue du texte, soit sous le rapport de l’interprétation. – 1° Le texte est‑il authentique, ou bien n’avons‑nous ici, selon le mot de Meyer, qu’une «interpolation légendaire» ? Le verset entier a été omis par les manuscrits א, B, D, q, et par les versions de Memphis et de Thèbes ; il est marqué de l’obèle ou de l’astérisque, signe du doute ou du caractère apocryphe, en d’autres documents assez nombreux. Là où on le cite intégralement, il apparaît avec des variantes notables. Ces divers faits ont été cause que certains éditeurs renommés du Nouveau Testament grec, entre autres Alford, Tregelles, Tischendorf, MM. Westcott et Hort, l’ont éliminé comme une glose marginale insérée à tort dans le texte. « Cependant, allons‑nous répondre en empruntant les paroles d’un exégète ordinairement hostile à S. Jean, il y a aussi des arguments à faire valoir dans le sens opposé… II faut voir si l’ensemble du texte demande que les phrases suspectes (le v. 4 et les derniers mots du v. 3) y soient comprises, ou si l’on peut les omettre sans déranger le reste. Or, on voit plus loin (v. 7) que l’auteur parle de l’agitation de l’eau comme d’une chose connue de ses lecteurs ; il met dans la bouche du malade des paroles qui supposent que le lecteur sait déjà de quelle condition toute exceptionnelle dépendait la guérison. Nous demanderons donc si l’auteur, qui ailleurs explique à ses lecteurs des détails que tous les Juifs pouvaient savoir, et cela par la simple raison qu’il n’écrivait pas pour les Juifs, si l’auteur, disons‑nous, a pu supposer que des étrangers connaissaient la nature particulière de la source de Béthesda, si différente pourtant, par les phénomènes qu’elle présentait, de toutes les autres qui servaient alors à des bains hygiéniques ? Évidemment non. Il a dû donner des explications préalables, et le v. 7 reste inintelligible si l’on efface le 4e et la moitié du 3e. Nous admettons donc que le retranchement s’est fait après coup ». Reuss, La Théologie johannique, p.167. On ne saurait mieux raisonner « a priori » et d’après les motifs intrinsèques. Mais ce n’est pas tout : aux documents qui omettent ce texte, nous en pouvons opposer d’autres, plus nombreux encore, non moins anciens et non moins importants, qui le connaissent ; par exemple, Tertullien (De Baptism. c. 5) et tous les Pères, les manuscrits A, L, et la plupart des autres, grecs ou latins, la version italique, la Vulgate, dont personne ne méconnaît l’autorité, la première traduction syrienne, etc., etc. Notre passage remonte donc au moins au second siècle, et, dans les temps anciens comme maintenant, c’est la difficulté d’interprétation qui a occasionné sa suppression. – 2° Et cette autre difficulté, d’où provient‑elle à son tour ? Du fait extraordinaire, ou plutôt du grand miracle raconté au v.4. Exposons en effet le sens littéral des mots. Car un ange – le grec porte γάρ (car), c’est une explication que l’historien se propose de donner. du Seigneur n’existe nulle part dans le texte primitif. – Descendait à certains temps : mieux, en temps opportun ou à son heure (κατά καιρόν). Jointe à l’imparfait, cette formule désigne évidemment un phénomène qui se renouvelait de temps à autre ; par suite, une coutume, sans qu’il soit possible néanmoins de préciser la fréquence des « descentes » bienfaisantes de l’ange, non plus que l’origine du miracle. Rien n’indique dans le texte que le divin messager se manifestât souvent (quelques Pères restreignent ce fait aux grandes solennités) ou visiblement. Pour ce qui est du second point, il est beaucoup plus probable que l’ange demeurait invisible, sa présence n’étant signalée que par l’agitation des eaux (et agitait l’eau). – Et (ούν en conséquence) celui qui y descendait le premier… Le narrateur appuie évidemment sur cette circonstance, ό ούν πρώτοσ, pour montrer qu’à chaque fois la vertu miraculeuse des eaux ne s’étendait qu’à un seul malade, celui qui réussissait à se jeter le premier dans la piscine. – Était guéri, de son infirmité quelle qu’elle fût. Rien de plus net encore : quelle que fût la maladie, le résultat était infaillible, immédiat. Voilà bien le sens naturel des expressions : or, chacun voit que, d’après cette interprétation très simple, l’évangéliste raconte un grand miracle, ainsi qu’il a été dit plus haut. La tradition chrétienne a d’ailleurs ainsi compris la narration, et c’est avec peine que nous aurons à mentionner plus bas les hésitations et les commentaires embarrassés de plusieurs exégètes catholiques. – Quant aux rationalistes, ils nient carrément le miracle, suivis en cela par un grand nombre d’exégètes protestants, et ils échafaudent sur quelques données de l’antiquité tout un système d’explication, d’après lequel les choses se seraient passées de la façon la plus ordinaire et la plus naturelle. D’abord on nous cite l’ « Onomasticon » d’Eusèbe, où cet auteur dit en propres termes que la piscine de Béthesda avait par moments des eaux merveilleusement rouges (παραδοξως πεφοινιγμενον δείκνυσι το ύδωρ ; « les eaux étaient extrêmement rouges, comme si on y avait mêlé du sang », comme traduit S. Jérôme). On nous cite encore les vers suivants de Prudence, Apotheosis, 680 et ss., auxquels nous avons fait allusion plus haut (note du v. 2) : « Les eaux de Siloe coulent irrégulièrement ; le courant n’est pas continu, mais la piscine reçoit par intervalles de grandes quantités d’eau. Des groupes de malades attendant l’apparition de l’eau, dans l’espoir de laver leurs taches corporelles dans sa pureté. Ils attendent impatiemment le grondement qui annonce l’arrivée de l’eau, en restant assis sur le bord sec de la piscine ». Donc Béthesda ou Siloé était une source minérale et gazeuse, à jets intermittents, qui produisait ses effets les plus prompts et les plus sûrs au moment de chaque ébullition temporaire, et dont la vertu curative diminuait ensuite. « C’est ainsi, par exemple, dit Tholuck lui‑même, qu’il existe à Kissingen une fontaine gazeuse qui, après une agitation préalable, se met à couler chaque jour à peu près aux mêmes heures, et qui est surtout efficace quand a lieu l’échappement gazeux » (Comm. in h. l.). Mais le peuple tenait ces phénomènes pour miraculeux, et S. Jean aura purement et simplement accommodé son récit à cette interprétation populaire. D’une façon analogue, ajoute‑t‑on pour conclure, les grossiers habitants du village de Siloam attribuent les mouvements irréguliers de la fontaine de la Vierge à un dragon, qui tantôt retient, tantôt laisse couler les eaux. – Nous répondrons à ces différentes objections en rappelant les lignes si claires de l’évangéliste, qui, à la façon dont il expose le fait, en prend pour ainsi dire la responsabilité personnelle et exclut toute interprétation naturelle. Un seul malade est guéri, celui qui descend le premier dans le réservoir après chaque ébullition, et n’importe quel genre d’infirmité trouve un soulagement complet, immédiat : qu’on trouve à Jérusalem ou à Kissingen des sources ferrugineuses et gazeuses capables de pareils effets ! La couleur rouge dont parle Eusèbe n’y fait absolument rien ; quant à la description de Prudence, elle abonde en hyperboles, et n’a rien de commun avec le récit sobre et concret de S. Jean. – Entre ceux qui admettent franchement le miracle et ceux qui le rejettent franchement aussi, nous trouvons depuis quelques années une opinion mixte, qui a pour principaux adhérents le Dr Olshausen, protestant plongé dans le mysticisme, et plusieurs commentateurs catholiques, tels que MM. Bisping, A. Maier, tous les deux assez larges parfois, et même M. Schegg, si savant et d’ordinaire si solide. Suivant eux, ce n’est pas un miracle proprement dit qui est relaté au v. 4. L’écrivain sacré ne veut pas exprimer autre chose qu’un événement naturel, résultats des propriétés minérales et gazeuses de la piscine ; seulement, il s’exprime à la façon des Juifs (et plus tard des chrétiens), d’après lesquels une origine supérieure, un ange délégué par Dieu, existe à la base de tout phénomène sensible. A ce propos on mentionne de beaux passages des Saints Pères. « Toute chose visible en ce monde est sous la garde de quelque puissance angélique », S. Augustin, lib. 83 questions. c. 79. « Il existe neuf ordres d’anges… Les anges qui réalisent des choses admirables et opèrent des miracles d’une grande puissance appartiennent à l’ordre des Vertus », S. Gregoire le Grand, Homélie 34 in Evang. Ici encore la réponse est facile. Vous dites trop et vous ne dites pas assez : trop, car vous faites aux rationalistes une concession inutile ; pas assez, attendu que le texte demande davantage, un vrai miracle.
Jean 5.5 Là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans. – Après tous ces détails généraux et préliminaires, que les discussions entre exégètes ont si notablement et si péniblement allongés, nous arrivons directement au fait. –Là se trouvait un homme. Parmi tous les malades qui s’empressaient autour de la piscine, le narrateur mentionne à part celui que la Providence avait choisi pour en faire l’objet d’un nouveau miracle. Les mots trente‑huit ans ne désignent pas l’âge de l’infirme ; ils doivent être rattachés à malade (έν τηάσθενεία), et marquer le temps qu’avait duré la maladie. Trente‑huit ans, cela suppose un mal invétéré, incurable par les moyens humains ; ce qui met en relief la grandeur du miracle. Le caractère spécial de la maladie n’est pas déterminé ; du verset 8, on a conclu parfois, et assez légitimement, que c’était une paralysie au moins partielle (ξηρῶν du v. 3).
Jean 5.6 Jésus l’ayant vu gisant et sachant qu’il était malade depuis longtemps, lui dit : – L’ayant vu couché (κατακείμενον, comme au v. 3) : misérablement étendu sur son grabat, et à peu près sans espoir de guérison (v. 7). – Et sachant, γνούς. D’ordinaire, c’est le verbe οιδα qui est employé par l’évangéliste pour marquer la science surnaturelle de Jésus et son intuition divine (cf. 13, 1, 3, 7, etc), d’où l’on a quelquefois conclu qu’en cette circonstance le Sauveur aurait pris des informations au sujet du malade ; mais une pareille déduction est contraire à l’esprit du récit, car nous voyons plus loin (v. 14) que Jésus lisait au fond du cœur de l’infirme comme dans un livre ouvert, cf. 4, 18.
Jean 5.7 « Veux-tu être guéri ? » Le malade lui répondit : « Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine dès que l’eau est agitée et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. » – Veux‑tu être guéri ? Étrange question, ce semble : le malade n’était‑il pas précisément auprès de la piscine pour recouvrer la santé ? Et pourtant cette question a un but très accentué : Jésus voulait susciter l’attention du paralytique, faire naître en lui la foi et l’espérance, ainsi qu’en d’autres occasions analogues. Voyez S. Jean Chrysostome, Hom. 36 in Jean. C’est comme s’il lui eût dit : N’y a‑t‑il pas pour toi d’autre moyen d’être guéri que celui qui t’a manqué jusqu’ici ? Aussi use‑t‑il du verbe le plus expressif, θέλεις, qui indique une volonté bien arrêtée, au lieu d’employer βούλει, qui marque souvent une intention, une velléité. Cette première parole de Jésus au malade est donc simplement préparatoire. Nous en entendrons deux autres : un commandement (v. 8) et une exhortation (v. 14). – Le malade lui répondit (ο ασθενων cf. XI, 1). Il ne répond pas directement à la question de Jésus, mais bien à sa pensée telle que nous venons de l’exprimer. Notez l’appellation respectueuse Seigneur, κύριε, qu’il lui adresse tout d’abord. – Je n’ai personne. Parole si simple, et pourtant plus éloquente qu’un long discours. On ne saurait plus vivement décrire une détresse profonde et un complet abandon. Oui, il voulait la guérison, comme le manifestait sa présence auprès de la merveilleuse piscine ; mais la condition indispensable n’existait pas pour lui, d’après son naïf et douloureux commentaire. – Pour me jeter dans la piscine (ταραχθη comme au v. 4).Le verbe βάλλειν, jeter, dépeint d’une manière toute graphique le mouvement rapide qui était nécessaire pour profiter du céleste bienfait. – Pendant que j’y vais : sans aide, en me traînant péniblement et lentement. Il est touchant de lui entendre raconter sa navrante histoire sur un ton de grande résignation ; il avait dû lui‑même être profondément touché de voir un inconnu lui témoigner de l’intérêt. Mais sa misère va enfin cesser.
Jean 5.8 Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton brancard et marche. » – Voyez une parole identique dans S. Marc, 2, 9, mais prononcée en une occasion très différente. Elle se compose de trois ordres brefs, irrésistibles et dramatiques, qui marquent admirablement les trois phases de la complète guérison. – Lève‑toi, car le malade était couché. Prends ton brancard ; le substantif κράβαττος, que l’on dit être d’origine macédonienne, servait ordinairement à désigner les couchettes des pauvres, formées de lattes et de courroies, et recouvertes d’un mince matelas, cf. Marc. 2, 4 et ss. ; 6, 55 ; Actes 5, 15 ; 9, 33.
Jean 5.9 Et à l’instant cet homme fut guéri, il prit son brancard et se mit à marcher. C’était un jour de sabbat. – Et à l’instant… Jésus avait parlé avec un accent auquel il n’était pas possible de résister. La foi et l’obéissance du malade furent promptes et complètes, sa guérison aussi. – Il prit son brancard et se mit à marcher. Il y a dans cette répétition un écho manifeste du commandement de Jésus. « En rapportant un fait miraculeux, l’évangéliste répète les mêmes mots dont le Christ avait coutume de se servir quand il commandait à la maladie ou à l’infirmité, pour montrer qu’aucune parole du Christ n’était sans effet. Comme s’il disait : dit et fait », Maldonat. La différence des temps dans le texte grec mérite aussi notre attention : fut guéri est à l’aoriste, se mit à marcher à l’imparfait, parce que le premier de ces deux actes fut seulement l’affaire d’un instant, au lieu que le second eut une certaine durée. – C’était un jour de sabbat… Note importante pour la suite du récit ; nous allons passer du miracle à ses conséquences immédiates, vv. 10-18.
Jean 5.10 Les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : « C’est le sabbat, il ne t’est pas permis d’emporter ton brancard. » – Les Juifs dirent (l’imparfait de la réitération, de l’insistance)… Nous avons vu plus haut (cf. 1, 19 et le commentaire) que ce nom, dans le, quatrième évangile, désigne habituellement le parti hostile à Jésus parmi ses compatriotes. Des versets 15 et 33, il semblerait même résulter qu’ici il est question des membres du Sanhédrin, ou du moins de personnages importants (Rosenmüller). – Celui qui avait été guéri. ( τῷ τεθεραπευμένῳ. Au verset 13, nous trouverons un autre verbe à un autre temps, ίαθείς ). Les « Juifs » n’avaient pas été témoins de la guérison miraculeuse. Rencontrant tout à coup à travers la ville l’ancien paralytique chargé de son léger fardeau, ils lui rappellent, en tant que ministres théocratiques, un fait et un principe. – Un fait : C’est le Sabbat. Ils constatent que c’était une fête chômée. – Un principe : Il ne t’est pas permis… Ils avaient pour eux la lettre de la Loi, cf. Exode 23, 12 ; 31, 14 ; 35, 2-3 ; Nombres 15, 32 ; Néhémie 13, 15 ; Jérémie 17, 21. Conformément au langage rabbinique, cet homme agissait contre le trente‑neuvième des abôth, d’après lequel il était interdit, aux jours de sabbat, de porter un objet d’un endroit à un autre. Voyez la note sous Matthieu, 12, 2-3. « Si quelqu’un, disent les Rabbins, porte autant de paille qu’une vache en peut prendre dans sa bouche,… autant d’épis qu’en peut prendre un agneau, assez de feuilles d’ail ou d’oignon pour constituer la grosseur d’une figue, il viole la loi du sabbat. » Surenhusius, t. 2, p. 31, etc.
Jean 5.11 Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri m’a dit : Prends ton brancard et marche. » – Il leur répondit. Il a sa réponse toute prête, réponse très simple et parfaitement légitime. – Celui qui m’a guéri. (ὁ ποιήσας με ὑγιῆ). Combien ces mots disaient pour lui. Guéri d’un mal qui avait duré trente‑huit ans. – Il m’a dit. Lui, lui‑même. C’est là le mot important de la proposition. Sur cet emploi emphatique du pronom ἐϰεῖνος, si fréquent dans S. Jean, voyez la Préface, § 6, 2, cf. 1, 18, 33 ; 9, 37 ; 10, 1 ; 12, 48 ; 14, 21, 26, etc. On devine sans peine le sous‑entendu qui est caché sous ce rapprochement entre le miracle et l’ordre de Jésus. Celui qui a manifesté si visiblement son autorité divine en me guérissant n’était‑il pas en droit de me permettre d’emporter mon lit malgré le repos du sabbat ? « Celui qui m’a rendu la santé n’avait‑il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres? » S. Augustin d’Hippone Traité 17 in h. l. Les Rabbins l’enseignaient eux‑mêmes : « Si un prophète te dit de transgresser un article de la loi, écoute‑le, sauf s’il t’engage à l’idolâtrie ». Sanhédr, f. 90, 1.
Jean 5.12 Ils lui demandèrent : « Qui est l’homme qui t’a dit : Prends ton brancard et marche ? » – Ils lui demandèrent. Le dialogue se poursuit, aussi vivant dans la narration qu’il dut l’être dans la réalité. « Ils l’interrogent sur un ton menaçant » (Maldonat). – Qui est l’homme… Expression pleine de mépris : « l’homme ». De quel droit a‑t‑il pu te commander ce que Dieu défend ? – qui t’a dit… Tous les exégètes remarquent ici, et à juste titre, que la question est posée avec toute l’étroitesse habituelle des hiérarques juifs. Ces formalistes à outrance ne s’inquiètent en rien du grand miracle qui vient d’être opéré. Ce qui les frappe avant tout, c’est qu’un homme, peu importe qu’il fût thaumaturge, a osé dire à un autre homme en un jour de sabbat : Prends ton brancard et marche. Ils saisissent donc l’incident par son côté le plus défavorable, tandis qu’il était si noble et si relevé. Évidemment, ils se proposaient de faire un procès en règle à celui qui était « la cause de la cause », dès qu’ils le connaîtraient directement. Il est même probable qu’ils soupçonnaient quel était l’auteur de ce miracle, cf. 2, 23.
Jean 5.13 Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c’était, car Jésus s’était esquivé, grâce à la foule qui était en cet endroit. – Cet homme, depuis longtemps malade, habituellement sur son grabat auprès de la piscine de Béthesda, ne connaissait pas encore Jésus de vue. L’évangéliste ajoute un motif particulier d’une ignorance qui parait de prime abord assez extraordinaire : Jésus s’était esquivé… Le verbe grec ἐξένευσε, usité en ce seul endroit du Nouveau Testament, est tout à fait pittoresque. Quelques auteurs le rattachent à la racine νέω, suivant en cela l’exemple d’Hésychius (ἐϰνεύσας, ἐϰϰολυμβήσας), ce qui lui donnerait la signification de « nager, émerger », par suite « évader » ; mais il est préférable de le faire dériver de ἐϰ et νεύω, « je plie, je m’incline » ; il signifie alors proprement : « le corps incliné, la tête penchée », ainsi que cela arrive quand on veut sortir d’une foule pressée. – grâce à la foule. Les mots grecs correspondants ( ὄχλου ὄντος ἐν τῷ τόπῳ), qui sont au génitif absolu, peuvent désigner un motif ou un moyen. Dans le premier cas ils exprimeraient pourquoi Jésus s’échappa si rapidement après le miracle : il voulait éviter la foule ; dans la seconde hypothèse, qui nous paraît la plus vraisemblable, ils indiqueraient comment le Sauveur put aisément s’éloigner : il n’eut pour cela qu’à disparaître dans la masse du peuple.
Jean 5.14 Plus tard, Jésus le trouva dans le temple et lui dit : « te voilà guéri, ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire. » – Plus tard, μετὰ ταῦτα. Quelques jours plus tard, d’après divers exégètes. Comp. la note du v. 1. Mais le détail qui suit, Jésus le trouva (au présent, εὑρίσϰει ) dans le temple, semble mieux convenir au jour même de la guérison ; le paralytique, en effet, n’aura rien eu sans doute de plus pressé que d’aller remercier Dieu dans le temple. – Et lui dit : te voilà guéri… Jésus lui rappelle d’abord l’immense bienfait qu’il venait de recevoir ; de là il tire ensuite une grave conséquence pour sa vie morale. Ainsi fait le prêtre charitable et zélé : il n’oublie jamais de soigner les plaies de l’âme, quand il a conquis la confiance en pansant les blessures extérieures. – Ne pèche plus, µηκέτι ἁµάρτανε. Il suit évidemment de cette recommandation que la maladie avait été, dans le cas présent, un châtiment providentiel car Jésus établit une connexion étroite, celle qui unit l’effet à sa cause, entre les souffrances passées de l’infirme et ses fautes privées. La voix de sa conscience disait à ce dernier de quels péchés spéciaux il s’agissait. Néanmoins Notre‑Seigneur enseignera plus tard, 9, 1-3 (voyez le commentaire), que l’on jugerait d’une façon très téméraire si l’on regardait en toute occasion les peines et les souffrances comme un indice de culpabilité individuelle. – De peur qu’il ne t’arrive quelque chose..., χεῖρόν. Quelque chose de pire qu’une maladie de trente‑huit ans ! Oui, car la Justice de Dieu peut infliger pire. « Personne n’est si malheureux qu’il ne puisse devenir plus malheureux encore », Hengstenberg. Cette parole de Jésus s’applique au purgatoire et à l’enfer car on ne voit pas qu’il puisse subir pire ici bas que 38 ans paralysé sur une civière. Celui qui retombe dans le péché après avoir reçu de grandes grâces, devient passible de peines plus lourdes à cause de son ingratitude : comme le dit saint Pierre, dans sa seconde lettre, chap. 2, 21 En effet mieux valait pour eux n’avoir pas connu la voie de la justice, que de retourner en arrière, après l’avoir connue, en abandonnant la loi sainte qui leur avait été enseignée. En outre, après être retombé une première fois dans le péché, l’homme pèche ensuite plus facilement : Le dernier état de cet homme devient pire que le premier (Matthieu 12, 45.) ».
Jean 5.15 Cet homme s’en alla et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri. – Cet homme s’en alla. Sur le champ ; trait pittoresque. – Et annonça aux Juifs… Tout naturellement, les exégètes ont essayé de déterminer le mobile de ce prompt message. Quelques‑uns n’ont pas craint de voir ici un acte de profonde malice, une odieuse dénonciation ; mais rien absolument ne justifie dans le texte une pareille conjecture. On est allé, ce semble, trop loin aussi dans un sens opposé, quand on a fait du paralytique un courageux apôtre, comme s’il eût voulu directement convertir les Juifs à Jésus. Le plus naturel consiste à dire que cet homme, d’un naturel timide et simple (comparez l’aveugle‑né par mode de contraste, 9, 9-27), songea tout d’abord à porter aux hiérarques la réponse qu’il n’avait pu leur faire au premier moment, v. 12 : il se lavait ainsi de l’accusation qu’ils avaient lancée contre lui (v.10), et en même temps il dégageait la responsabilité de Jésus, dont l’autorité se trouvait attestée par un miracle éclatant. Remarquez, à ce point de vue, la manière délicate dont il annonça la chose : qui l’avait guéri (comme au v. 11). Les Juifs (v. 12) lui avaient demandé : « Qui est l’homme qui t’a dit : Prends ton brancard » ?
Jean 5.16 C’est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat. – C’est pourquoi, διὰ τοῦτο. Formule très souvent usitée dans le quatrième évangile.cf. v. 18 ; 6, 65 ; 7, 21-22 ; 8, 47 ; 9, 23 ; 10 ; 17 ; 12, 39 ; 13, 11 ; 15, 19 ; 16, 15, etc. Elle est plus expressive et plus explicite que le simple οὖν, que S. Jean emploie plus souvent encore. – Persécutaient, ἐδίωκον. Imparfait très significatif : poursuivre Jésus était leur acte permanent. Le verbe διωϰῶ est quelquefois une expression judiciaire qui équivaut à « chercher querelle », mais il a ici une signification plus générale et est pris en mauvaise part. – Parce qu’il faisait ces choses. Autre imparfait important, qui, ajouté au pluriel « ces choses », désigne plusieurs procédés analogues de la part de Jésus, une sorte de coutume. C’est sans doute une allusion aux autres miracles qu’il avait déjà opérés en des jours de sabbat, cf. Marc. 1, 21-28 ; Luc. 4, 31-37.
Jean 5.17 Mais Jésus leur dit : « Mon Père agit jusqu’à présent et moi aussi j’agis. » – N.-S. Jésus‑Christ, devant ces mêmes adversaires, s’était proclamé le maître du temple, 2, 17 ; il se présente maintenant devant eux comme le roi et le maître du sabbat. Et de quelle manière profonde il le fait. Comparez Matth. 12, 11 ; Luc. 13, 15 ; 16, 5, où il alléguait simplement comme excuse les nécessités de la vie quotidienne, et Marc.2 25, où s’élevant plus haut, il était loin d’atteindre la région supérieure dans laquelle nous allons le contempler. – Leur dit. Sur cet emploi tout hébraïque du verbe, Voyez la note sous Matthieu, 11, 24-25. En fait, Jésus répondait ici aux accusations des Juifs, v. 16. Quelques commentateurs nous transportent de nouveau, mais sans raison suffisante, à une époque distincte de celle qui a été marquée aux versets 1 et ss. – Mon Père. C’est-à-dire : Dieu, le Créateur souverain, ainsi qu’il sera nettement affirmé au verset suivant. Toute la réponse de Jésus est contenue en abrégé dans ces deux mots : Mon Père. Il va droit au cœur de la question, afin de trancher l’erreur des Juifs à la racine. On le regarde comme un homme ordinaire, mais il montrera qu’il a des droits supérieurs, inattaquables, en tant que Fils de Dieu. – Agit jusqu’à présent (ἕως ἄρτι) : Notez le temps présent, ici et à la fin du verset. C’est un fait toujours vrai : il n’y a pas de sabbat absolu pour Dieu. Depuis l’instant où il s’est mis à l’œuvre pour appeler le monde à la vie, il n’a pas cessé de travailler, d’agir, car il faut son action perpétuelle pour conserver et gouverner ses créatures physiquement et moralement. Bien des Juifs refusaient d’y croire, prenant à la lettre des passages tels que Genèse 2, 1-2 ; Exode 20, 8, desquels ils concluaient que Dieu était, depuis le septième jour, un spectateur inerte de la création. D’autres Juifs croyaient à cette activité, mais ils osaient en être scandalisés. Pourquoi Dieu n’observe‑t‑il pas le sabbat ? demandaient‑ils d’une manière insensée. Et on parvenait à peine à les calmer par cette réponse non moins triviale : Est‑ce qu’un homme n’a pas le droit de se promener dans sa maison le jour du sabbat ? Or, la maison de Dieu, c’est tout le royaume d’en haut (le ciel) et tout le royaume d’en bas (la terre). Voyez le traité Schemoth Rabba, 30. D’autres enfin disaient noblement, comme Philon, Legis Allegor, 1, 3 : « Dieu ne cesse jamais d’agir ; mais, de même que le feu a la propriété de brûler, et que la neige a celle d’être froide, de même, agir est la propriété de Dieu, et cela d’autant mieux qu’il est à l’origine de l’activité pour tous les autres ». – Et moi aussi. Moi, son Fils ; moi aussi, ϰαὶ étant en cet endroit une particule de comparaison. – J’agis. Comme mon Père céleste je suis perpétuellement actif, sans avoir à m’inquiéter des jours, ni d’une loi qui a été faite par moi, non pour moi. – L’argument est court, à la façon d’une prophétie ; mais il est si riche, et si fort, et si « incommensurablement profond! » (Godet). Aussi cette ligne est‑elle, pour ainsi dire, le texte qui sera développé dans le sermon de Jésus (vv. 19-47). Remarquez en outre le sentiment tout filial, tout dévoué, que le Sauveur manifeste ici pour son Père. Lui, travaillant, pourrais‑je demeurer en repos ? Non, car je me dois entièrement à son œuvre.
Jean 5.18 À cause de cela, les Juifs cherchaient encore avec plus d’ardeur à le faire mourir, parce que, non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son père, se faisant égal à Dieu. Jésus reprit donc la parole et leur dit : – À cause de cela, διὰ τοῦτο οὖν (il y a une emphase visible dans la place donnée à ces mots). Comment riposteront les Juifs à cet argument de Jésus ? Par un redoublement de haine et d’hostilité. – Ils cherchaient encore avec plus d’ardeur… (à l’imparfait) : preuve que le verbe « persécutaient » du v. 16 exprimait déjà des désirs et des tentatives de meurtre. « C’est là le fil sanglant que nous apercevons à travers toute cette partie du quatrième évangile (7, 1,19, 25 ; 8, 37, 40, 59 ; 10, 31 ; 11, 53 ; 12,10. » (Plummer, h. l.). – Parce que non content de violer le sabbat… ἔλυε, il dissolvait, il relâchait ; par conséquent, il tendait à abroger d’une manière générale. « Non content de » marque fort bien une gradation dans la prétendue faute ; à la violation du sabbat Jésus ajoutait, suivant eux, un crime autrement grand, celui de blasphème, qui ne méritait rien moins que la mort, cf. Lévitique 24, 16. – Il disait encore que Dieu était son Père (ἴδιον, « son propre », est plus expressif). Les Juifs avaient donc bien saisi la signification des paroles qu’ils venaient d’entendre. Jésus avait appelé Dieu « son Père » dans le sens strict, et non à la façon ordinaire des justes. S. Augustin disait, In evang. Jean Tract. 17 : « Voilà que les Juifs comprennent ce que ne comprennent pas les Ariens ». Comment les rationalistes peuvent‑ils refuser d’admettre, en face de pareilles assertions, que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ait réellement revendiqué la nature divine ? cf. 10, 30, 36. – Les mots se faisant égal à Dieu (ἑαυτόν, par opposition à Dieu) corroborent la pensée en la réitérant sous une forme plus nette encore. Se faisant l’égal de Dieu, c’est-à-dire, s’attribuant les mêmes opérations, les mêmes prérogatives, se mettant au même niveau que la divinité. – Jésus reprit donc la parole (οὖν) (les mots ὁ Ίησοῦς sont omis par quelques manuscrits )… Comme plus haut v. 17, Jésus répond aux pensées injustes des Juifs et à leurs poursuites haineuses.
Jean 5.19 « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père et tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement. – Discours d’une extrême importance, même dans le quatrième évangile où toutes les paroles de N.-S. Jésus‑Christ ont une si haute gravité. Pour la première fois, le Sauveur se met à parler longuement de lui‑même, et il résume tout son enseignement sur sa propre personne. Non seulement il est le Messie, mais il est Dieu. Nous avons ici un témoignage personnel de Jésus qui est sans parallèle dans l’histoire évangélique. Le calme du divin orateur est admirable, digne du Fils de Dieu. On dirait un fleuve qui roule tranquillement ses eaux claires comme un miroir. Le raisonnement est serré, vigoureux ; l’expression est parfois tellement concise, l’idée si relevée et si abstraite, qu’il faut une attention spéciale nour saisir l’enchaînement des preuves : mais on se plonge avec délices dans cet océan insondable. Jésus va démontrer aux Juifs qu’étant le Messie, le Fils de Dieu, il n’est pas un violateur du sabbat, ni un vulgaire blasphémateur, comme on l’en accusait. Sa thèse a deux parties égales : dans la première, vv. 19-30, il expose la nature et les prérogatives du Fils ; dans la seconde, vv. 31-47, il parle des témoignages rendus au Fils et de l’incrédulité des Juifs. – Première partie du discours, vv. 19-30. C’est aussi la plus importante des deux sous le rapport théologique. Elle commente les paroles du v. 17, qui lui servent de thème et de texte. La nature et les prérogatives du Fils sont expliquées dans une série d’affirmations solennelles, que la particule car, quatre fois répétée, unit ensemble comme les anneaux d’une chaîne. Les attributs du Fils sont envisagés d’abord relativement à Dieu, vv. 19-23, puis relativement aux hommes, vv. 24-29 ; le v. 30 est une récapitulation. Ou encore, les vv. 19 et 20 nous montrent la communauté d’opérations qui existe entre le Père et le Fils ; nous voyons ensuite, vv. 21-27, le Fils chargé par le Père de vivifier moralement ou de condamner les hommes (d’abord générale, vv. 21-23, l’idée se particularise aux vv. 24-27) ; enfin le Fils nous apparaît comme souverain Juge à la fin des temps, vv. 28 et29 ; après quoi, le v. 30 nous ramène au point de départ, l’identité d’action du Père et du Fils. Résumé: le Fils est égal au Père, le Fils est Dieu : voilà sa nature ; ses prérogatives sont d’agir en union avec Dieu, d’être aimé de Dieu, d’avoir droit aux honneurs divins, de procurer aux hommes la vraie vie, de juger et de condamner les pervers. – En vérité... A trois reprises nous entendrons cette majestueuse formule dans la première partie du discours (comp. les versets 24 et 25). Voyez 1, 50 et le commentaire. Ayant à proclamer des vérités si importantes, Jésus en appelle au témoignage de Dieu ; il donne pour garantie à sa parole l’infaillibilité absolue du Père. Remarquons‑le bien : Jésus ne conteste pas le moins du monde le sens que les Juifs ont donné à son assertion du v.17 (comp. le v. 18) ; il y revient au contraire pour l’accepter, le confirmer pleinement. – Le Fils ne peut rien faire. La pensée est énoncée négativement dans la première moitié du verset, et réitérée dans la seconde en termes positifs. « Il ne peut pas » : c’est une impossibilité radicale et absolue ; non assurément à cause des limites qui seraient imposées à l’activité du Fils, car elle n’en connaît d’aucune sorte, mais par suite de ses relations intimes avec le Père, cf. Hébreux 1, 3. Un homme ordinaire pourrait séparer sa volonté et ses opérations de la volonté et des opérations de Dieu ; le Fils jamais, vu qu’il n’est avec le Père qu’un seul et même Dieu. – Le Fils. Nuances intéressantes à signaler : plus haut, v. 17, Jésus avait parlé à la première personne, et il reprendra d’une manière habituelle le pronom je à partir du v. 30 ; au v. 25, il emploie l’expression complète, « Fils de Dieu » ; au v. 27 il se désigne comme le « Fils de l’homme ». On conçoit qu’au début du discours il ait évité de se mettre directement en scène, de crainte de soulever aussitôt les passions déjà si vives de ses auditeurs. – De lui‑même, άφ’ έαυτοῦ. Mots très importants dans ce passage : de lui‑même et contre la volonté du Père. C’est une expression propre à S. Jean. Voyez le verset 30 ; 7, 17, 28 ; 8, 28, 42 ; 9, 51 ; 14, 10 ; 15, 4 ; 16, 3. Sur l’objection que les Ariens tiraient autrefois de tout ce passage contre la divinité de N. S. Jésus‑Christ, voyez D. Calmet, Maldonat et les théologiens. Les « Unitariens », qui n’admettent qu’une seule personne divine, l’ont renouvelée fin XIXème siècle : il suffit de leur opposer les arguments par lesquels les Pères ont renversé l’arianisme. – mais seulement ce qu’il voit faire au Père (βλεπη). L’accent est ici sur Père, comme auparavant sur Fils. Ce que fait mon Père céleste, moi, son Fils, comment pourrais‑je ne pas l’opérer aussi ? Cette manière de parler ne désigne donc pas une imitation pure et simple, analogue à la conduite que les enfants tiennent souvent à l’égard de leurs pères ; c’est un anthropomorphisme, une métaphore, pour marquer une parfaite et intime connaissance des décrets de Dieu. – Tout ce que fait le Père, ᾃ γὰρ ἅν, toutes choses, quelles qu’elles soient. C’est la même pensée, exprimée d’une manière positive : non seulement l’amour filial met obstacle à ce que le Fils agisse par lui‑même, il le fait entrer directement dans l’œuvre de son Père (ίlle, ἐϰεῖνος) ; non seulement son action coïncide avec celle du Père, qu’elle imite, mais elle a en outre la même extension. – Le Fils aussi le fait pareillement. S. Cyrille d’Alexandrie. in h. l., lib. 2, c. 6, tire à merveille la conclusion théologique qui ressort de ces lignes si profondes : « Il peut accomplir tout ce que Dieu le Père peut accomplir, et il l’accomplit comme le Père lui‑même l’accomplit : Cela montre qu’ils sont de même nature… Donc, comme vrai Dieu engendré de Dieu le Père, Il dit qu’il peut accomplir toutes choses comme Lui ; qu’il jouit d’une puissance égale à celle du Père, en ayant en toutes choses la même Volonté que Lui ; et donc qu’il ne peut rien faire de lui‑même, si ce n’est ce qu’il voit faire au Père », cf. S. Augustin d’Hippone, In evang. Jean, h. l. Il y a donc une nécessité intrinsèque à ce que le Fils agisse en même temps et de la même manière que le Père, et cette nécessité s’appelle l’identité de nature. Ce verset 19 contient la clé de tout ce qui va suivre.
Jean 5.20 Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, qui vous jetteront dans l’étonnement. – Car le Père… Motif de la communauté d’opérations qui vient d’être signalée : c’est le lien d’amour qui unit le Père et le Fils. – Aime le Fils. D’ordinaire, l’affection de Dieu le Père pour son Fils, ou celle du Fils pour le Père, est marquée en grec par le verbe ἀγαπᾶν (cf. 3, 35 ; 10, 17 ; 14, 31 ; 15, 9 ; 17, 23, 24, 26), qui exprime ordinairement un sentiment plus relevé ; ici nous avons φιλεῖ, le verbe de la tendresse, de l’émotion. Le temps présent indique le caractère inaltérable, éternel de cette dilection. – On dit tout à ceux qu’on aime profondément : le Père, qui aime son Fils d’un amour unique, n’a pas de secrets pour lui : et (par suite de son affection) lui montre tout ce qu’il fait. « Montre » est en corrélation avec « voit » du verset précédent. C’est encore une image familière, empruntée aux communications intimes qui ont lieu ici‑bas entre les pères et leurs fils. – Mais, continue Jésus, l’avenir tient en réserve, sous ce rapport, des révélations supérieures à celles du passé, du présent : Il lui montrera des œuvres plus grandes. Le pronom lui, sur lequel repose la comparaison, désigne les grands miracles qu’avait opérés N.-S. Jésus‑Christ, et spécialement le dernier, occasion de ce discours ; ou mieux encore, toutes les œuvres communes au Père et au Fils depuis la création jusqu’au moment où le Sauveur parlait ainsi. Bientôt nous saurons ce qu’il faut entendre par « œuvres plus grandes ». Ἒργα est un mot cher à S. Jean pour dénoter les détails de l’œuvre de la rédemption par le Christ, cf. v. 16: 9, 4 ; 10, 25, 32, 37 ; 14, 11, 12 ; 15, 24. –qui vous jetteront dans l’étonnement (emphase : même vous) dans l’étonnement, l’admiration, θαυµάζητε. La conjonction ἵνα doit plus probablement se traduire ici par « de sorte que », car elle est synonyme de ωστε. Ιl n’est pas surprenant en soi que le Fils de Dieu fasse des miracles ; mais ceux qu’il accomplira seront si éclatants, que ses ennemis eux‑mêmes en seront émerveillés, ou plutôt stupéfaits, car tel est le sens de θαυμάζω dans ce passage.
Jean 5.21 Car, comme le Père ressuscite les morts et donne la vie, aussi le Fils donne la vie à qui il veut. – Car, comme… annonce de nouveau une explication. Ici et au v. 22, Jésus mentionne en termes généraux deux des « œuvres plus grandes » que son Père lui a donné pour mission d’exécuter ; il entrera ensuite sur elles dans des détails plus complets jusqu’à la fin de la première partie de son discours. – Première œuvre : la résurrection des morts. La manière dont le Père l’accomplit est décrite au moyen de deux verbes, qui en marquent les deux mouvements successifs. 1° le Père ressuscite, ἐγείρει ; littéralement : « il réveille ». La mort est tout d’abord chassée, 2° et donne la vie, ζωοποιεῖ ; une vie nouvelle est donnée, à l’état de mort succède celui de la reviviscence. –aussi (en corrélation avec « Car, comme ») le Fils donne la vie. Par abréviation, le second verbe seul est maintenant cité, mais c’est le plus important des deux – A qui il veut(scil. « au Fils ») est une note délicate à divers points de vue. D’abord, ces mots mettent en relief la toute‑puissance confiée au Fils par le Père : leurs volontés étant, du reste, identiques, ce que veut le Fils, le Père le veut aussi. En second lieu, ils montrent que le Fils n’exerce pas pour ainsi dire en aveugle, arbitrairement, ce sublime pouvoir de vivifier les morts ; car vouloir c’est choisir, et il ne peut choisir qu’avec une sagesse infinie. Enfin, hélas ! Ces mots déclarent que le Fils ne pourra exécuter envers tous les hommes son action vivificatrice ; car il en est qui « ne voudront pas », qui mettront obstacle, et c’est alors qu’il ne voudra pas lui‑même. Notez que les quatre verbes sont à l’indicatif présent, ce qui marque une puissance perpétuelle et permanente. Notez encore que la résurrection est, dans l’Ancien Testament, un attribut réservé exclusivement à Dieu : Deutéronome 32, 39 ; 1 Samuel, 2, 6 ; Tobie 13, 2 ; Sagesse 16, 13, etc. Les Juifs avaient inséré ce dogme dans leur symbole (13e article ; voyez le Précis élémentaire d’instruction morale et religieuse pour les jeunes Français israélites, 5e leçon). – Avant d’aller plus loin, nous avons à préciser le sens des expressions « vivifier, ressusciter » dans tout ce passage, en ce qui concerne le Fils. Il s’est formé en effet à leur sujet différentes opinions, et il n’est pas sans importance, pour la parfaite intelligence des vv. 21-27, de savoir au juste à quoi s’en tenir sur ce point. De quelle résurrection Jésus a‑t‑il donc voulu parler ici ? De la résurrection générale à la fin des temps, d’après S. Cyrille, Maldonat, etc. De la résurrection de Lazare, de la fille de Jaïre et du fils de la veuve de Naïm, au dire de S. Jean Chrysostome et de quelques autres exégètes. Enfin, de la résurrection spirituelle et mystique, d’après S. Augustin, le Ρ. Patrizi, Olshausen, Α. Maier, le Ρ. Corluy, etc. Nous adoptons sans hésiter ce dernier sentiment, qui paraît beaucoup mieux s’adapter soit aux expressions, soit à la pensée de Jésus. Dans cette série de versets (21-27), il parle au présent ; ou bien, au futur il ajoute un qualificatif (v. 25, « l’heure vient » ) pour montrer qu’il a en vue une action très prochaine ; plus loin (vv. 28 et 29), où tout le monde admet qu’il s’agit de la fin du monde, il emploie le futur. Ici, il met lui‑même des limites à la résurrection, comme nous l’avons insinué plus haut : « Il donne la vie à qui lui plaît » ; là, pas de limites, car tous les hommes sans exception seront ressuscités. Ces deux raisonnements, auxquels on ne saurait se soustraire, renversent l’opinion de S. Cyrille : quant à celle de S. Jean Chrysostome, elle est évidemment beaucoup trop restreinte pour épuiser la signification d’une parole qui est si vaste et si profonde dans ses conséquences.
Jean 5.22 Car le Père lui-même ne juge personne, mais il a donné au Fils le jugement tout entier, – Seconde œuvre supérieure du Fils : le jugement. – Une nouvelle connexion de pensées nous est annoncée par le « car » : au pouvoir de ressusciter correspond en effet celui de juger, que nous prendrons par conséquent au moral et au figuré dans cette même série de versets (22-27). – Car le Père lui-même ne juge personne… C’est-à-dire le Père seul, à l’exclusion du Fils. L’expression grecque κρίνειν réunit trois notions : juger, séparer, condamner. Ici, c’est la dernière qui prévaut, par opposition à vivifier, cf. 3,17 et 18. – Mais il a donné au Fils le jugement tout entier. C’est le Fils qui est chargé de juger les hommes au nom du Père et en son propre nom. Donc, à ce point de vue encore ils ont communauté et identité d’opérations. S. Jean se sert fréquemment du verbe « donner» pour désigner les prérogatives du Fils de Dieu, cf. v. 36 ; 3, 35 ; 6, 37, 39 ; 10, 29 ; 17, 2, 4, 22, etc. – Jésus avait affirmé plus haut, 3, 17, que « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour le sauver » ; se contredirait‑il actuellement ? Non certes, car il parlait seulement alors du but direct et immédiat de son Incarnation, lequel consiste dans le salut des hommes, mais qui n’exclut pas le droit et le pouvoir de condamner ceux qui rejetteront le salut.
Jean 5.23 afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé. – Ce verset se rattache étroitement aux deux qui précèdent ; il exprime la fin pour laquelle Dieu a confié au Fils la puissance judiciaire, savoir : afin que tous honorent le Fils ; les hommes seront amenés par là à reconnaître sa nature, et à lui adresser des hommages dignes de lui, l’adoration évidemment, d’après le contexte : comme (expression importante) ils honorent le Ρère. – Celui qui n’honore pas. Jésus reprend sa proposition, et il la retourne pour en déduire une grave conséquence. Refuser au Fils, c’est-à-dire à N.-S. Jésus‑Christ, les honneurs qui lui sont dus, c’est les refuser au Père ; de même que, d’après l’allusion contenue dans la proposition finale (qui l’a envoyé), on outrage un monarque en refusant d’honorer l’ambassadeur auquel il a confié une mission. L’expression « envoyer » est propre à S. Jean pour désigner une des relations spéciales qui existent entre le Père et le Fils, cf. 4, 34 ; 5, 29, 31 ; 6, 39 et 39 ; 7, 16, 28, 33 ; 8, 26, 29 ; 9, 4 ; 12, 44, 45 ; 13, 20 ; 15, 21 ; 16, 5, etc.
Jean 5.24 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et n’encourt pas la condamnation, mais il est passé de la mort à la vie. – La formule « qui l’a envoyé » nous a en quelque sorte transportés du ciel en terre, car elle ouvrait la période de l’Incarnation. Aussi passons‑nous maintenant (vv. 24-29) aux rapports directs du Fils avec l’humanité. Nous le voyons à l’œuvre : il vivifie, il juge. Lui‑même il nous apprend de quelle façon et envers qui il exerce ce double pouvoir. Les notions exprimées se particularisent ainsi de plus en plus. Après l’universelle communauté d’énergie et d’opérations attribuée au Père et au Fils (vv. 19 et 20), nous avons vu (vv. 21-23), mais d’une manière abstraite, deux points spéciaux de leur activité commune. Chacun de ces points spéciaux est maintenant repris en sous-œuvre, et étudié à part en deux phases distinctes de l’histoire des hommes : 1° la résurrection mystique et le jugement spirituel de l’humanité dans l’ère présente (vv. 24-27) ; 2° la résurrection et le jugement extérieurs, généraux à la fin des temps (vv. 28 et 29). Ces intuitions sublimes, présentées d’abord sous la forme la plus synthétique et la plus sommaire, se décomposent successivement en leurs éléments principaux, et finissent par apparaître sous la forme précise de faits concrets et distinctement analysés. – En vérité, en vérité, je vous le dis. Jésus met sous la sauvegarde de la divine infaillibilité (voyez la note du v. 19) une promesse magnifique, qu’il réalisera pour quiconque voudra remplir deux conditions très simples. – Celui qui écoute ma parole. C’est la première condition : écouter la parole, l’enseignement du Fils ; et, bien évidemment, s’y soumettre, y obéir d’une manière prompte et complète. – Deuxième condition : et qui croit en celui qui m’a envoyé ; c’est-à-dire, de l’effet remonter à la cause, de la parole du Fils remonter au Père qui la sanctionne ; en d’autres termes, croire à la mission de N.-S. Jésus‑Christ. – Quiconque réalisera cette double condition, pratiquer et croire (la morale et le dogme.), celui‑là a la vie éternelle :« il a », il la possède déjà dans son principe, en attendant le bienheureux achèvement du ciel. Sur cette vie éternelle, voyez 3, 15, 16, 36. – Et ne vient pas en jugement (encore le présent, έρχεται). Comme en plusieurs autres endroits, Jésus appuie sur l’idée, en la réitérant en termes négatifs. De ses deux attributs divins, vivifier et juger, il n’en exercera qu’un seul à l’égard de ses amis, puisque ce sont deux attributs contraires. – Mais il est passé : Quelle insistance étonnante mais consolante aussi. Nous avons maintenant le temps parfait : µεταβέβηκεν ; la promesse est d’un effet si sûr qu’on peut la regarder comme étant déjà réalisée, « certitude assurée d’une chose future », Ρatrizi. – Il est passé de la mort à la vie. De la mort spirituelle à une vie de même nature, cf. 1 Jean 3, 14. La mort physique qui interviendra plus tard, ne changera rien à ces relations, si ce n’est pour ce qui concerne les formes extérieures, et par conséquent secondaires, de l’existence.
Jean 5.25 En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’auront entendue vivront. – La formule En vérité… souligne une pensée plus particulière encore : Ce dont je parle s’effectue déjà pour un grand nombre. En effet l’heure vient, et elle est déjà venue ! Dès cet instant, il suffit de croire en moi et de vivre selon mes enseignements pour avoir part à la vie éternelle. – Les morts désigne les morts spirituels, ainsi qu’il a été dit. – Ceux qui l’auront entendue vivront. Le monde est semblable au moral à un vaste cimetière, où les hommes sont étendus sans vie à cause de leurs péchés ; mais la voix du Fils de Dieu retentit, et la vie pénètre à travers les appartements de la mort, et ceux qui entendent et qui obéissent sortent régénérés de leur tombeau.
Jean 5.26 Car, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même, – Car, comme… « comme » exprime ici comme plus haut (v. 21) une similitude de la dernière conséquence, qui se résout dans l’identité de nature pour le Père et pour le Fils. « Car » introduit une nouvelle explication : comment il suffira d’écouter la voix du Fils de Dieu pour revivre aussitôt. La réponse est très claire : le Fils possède en lui‑même la plénitude de la vie. – A la vie en lui‑même . C’est ce que nous appelions, dans l’explication du chap. 1, v. 4, être πηγὴ ζωης, une source de vie sans l’avoir reçue de personne, ce qui ne peut être vrai que de Dieu seul. – Ainsi il a donné au Fils… Le Fils pareillement, soit comme Verbe incréé, soit comme Verbe incarné, possède la vie dans son intégrité, d’où il suit qu’il peut aisément vivifier les morts. « Pour nous, si nous avons la vie, ce n’est pas en nous mais en notre Dieu ; tandis que le Père a la vie en lui et qu’en engendrant son Fils il lui a accordé d’avoir aussi la vie en soi, d’être lui‑même une source de vie à laquelle nous devons puiser, oui, d’avoir la vie en lui‑même, d’être lui‑même la vie. », S. Augustin, Serm. 127, 9. Énorme différence : nous ne possédons, nous, qu’une vie dérivée, qu’une vie de seconde main. Le Fils au contraire a, comme son Père, la vie en lui‑même (expression principale du verset).
Jean 5.27 Et il lui a aussi donné le pouvoir de juger, parce qu’il est Fils de l’homme. – Le pouvoir de juger. Pouvoir corrélatif à celui de vivifier, comme nous l’avons vu plus haut, v. 22 : un juge a pour rôle de discerner les bons qui méritent la vie et les méchants qui méritent la mort. Remarquons toutefois qu’après avoir assez longuement insisté sur son action vivificatrice (vv. 24-26), Jésus ne mentionne que d’une manière rapide ses droits judiciaires. – Parce qu’il est le Fils de l’homme. « Fils de l’homme », par opposition à « Fils de Dieu » (v. 25) ; c’est ici un synonyme de Messie, cf. 1, 51 ; 3, 13, 14 ; 6, 27, 53, 62 ; 14, 14 ; Apocalypse 1, 13. Voyez l’explication de ce nom dans l’Évangile selon S. Matth., 8, 20. L’article étant omis dans le texte grec, plusieurs commentateurs regardent ce titre comme le simple équivalent de « homo », membre de la famille humaine. Quoi qu’il en soit de ce détail, il est frappant de voir que celui qui se nommait le Fils de Dieu quand il parlait de résurrection, s’appelle simplement Fils de l’homme lorsqu’il est question de jugement. Le juge, en effet, comme le médiateur, comme le prêtre (cf. Hébreux 5, 1-3), semble devoir mieux remplir ses fonctions délicates quand il participe à la nature de ceux qu’il conduit à sa barre. Un Homme‑Dieu qui a souffert, qui a été tenté comme nous, qui connaît par expérience nos infirmités, sera donc excellemment pour nous un juge juste.
Jean 5.28 Ne vous en étonnez pas, car l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. – La vivification et le jugement accomplis d’abord par le Fils d’une manière successive et partielle, vont trouver maintenant leur achèvement dans une résurrection et un jugement qui auront un caractère universel. – Ne vous étonnez pas : de ce que je viens de vous expliquer. Et pourtant Jésus disait plus haut, v. 20 : « pour que vous soyez dans l’admiration ». Mais il va parler de merveilles plus étonnantes encore, qui susciteront à un degré supérieur l’admiration et l’étonnement. – Car l’heure vient. Quoique le verbe soit encore au présent (ἔρχεται), Notre‑Seigneur n’ajoute plus : « et elle est déjà venue » (cf. v. 25), parce que le fait qu’il va signaler ne devra pas s’accomplir immédiatement. – Tous : tous sans exception, les méchants aussi bien que les saints (« à qui il lui plaît », v. 21) ; nouvelle preuve qu’il n’est plus question de phénomènes spirituels et mystiques, mais des grandes assises de la fin des temps. – Ceux qui sont dans les tombeaux : dans leurs tombeaux de divers genres. – Entendront sa voix. Cette voix toute puissante les fera tous sortir du sommeil de la mort, et les appellera tous au jugement, cf. 1 Corinthiens 15, 54-55.
Jean 5.29 Et ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de condamnation. – Tous les hommes seront ressuscités, mais ils ne partageront pas le même sort. Comme dans le grand discours eschatologique conservé par S. Matthieu, 25, 32 et ss., nous voyons aussitôt l’humanité divisée en deux groupes distincts, dont l’un est destiné à la gloire éternelle, l’autre à une éternelle réprobation. – En sortiront. ‘Eκπορεύσονται, expression pittoresque ; littéralement : ils sortiront. Comme en des tableaux célèbres, on les voit s’échapper avec joie de leurs tombeaux. – Ceux qui auront fait le bien. C’est le motif de leur prédestination bienheureuse. – Pour une résurrection de vie. C’est leur magnifique récompense. « Résurrection de vie » est une ellipse pour : résurrection qui conduit à la vie (ζωῆς, au lieu de εἰς τὴν ζωήν). – Ceux qui auront fait le mal. Terrible contraste. Mais les damnés ne pourront attribuer qu’à eux‑mêmes leur triste sort. Pourquoi auront‑ils fait le mal ? Remarquez une petite nuance dans les verbes : ici πράξαντες ; là ποιήσαντες. Nous avions déjà plus haut, 3, 20 et 21, cette même distinction. Comp. Romains 1, 32 ; 7, 15,19 ; 13, 4. – La résurrection de condamnation : c’est-à-dire de damnation. Kρίσεως équivaut encore à εἰς τὴν κρίσιν.
Jean 5.30 Je ne peux rien faire de moi-même. Selon que j’entends, je juge et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. – Avant de passer à la seconde partie de son discours, Jésus résume et conclut la première. Au fond, il ramène ses auditeurs à la pensée par laquelle il avait inauguré le tout, v. 19. – Je ne peux rien faire… Jusqu’ici le divin orateur avait employé la troisième personne : ce Je est vraiment remarquable. C’est donc de lui‑même et pas d’un autre que Jésus avait parlé auparavant (cf. v. 17). Il s’identifie clairement avec celui qu’il a tour à tour appelé le Fils, le Fils de l’homme, le Fils de Dieu. – De moi‑même. De cette notion générale, Le Fils ne peut rien sans le Père, il tirera une conclusion particulière, directement en rapport avec ce qui vient d’être dit : Donc mon jugement sera juste. Rien sans le Père, la seule idée de filiation impliquant une certaine dépendance. – Selon que j’entends, je juge. « Entends » est ici l’équivalent de « voit » au v. 19, de « montre » au v. 20, et exprime également d’une manière figurée l’harmonie parfaite qui règne entre la volonté du Père et celle du Fils. – Et (par conséquent) mon jugement est juste. Même quand c’est un jugement de réprobation, car il est conforme aux intentions de Dieu, de ce Dieu qui est toute justice et toute vérité. – Pour qu’un jugement soit parfaitement équitable deux conditions sont requises : 1° une condition négative, qui est l’oubli du moi, et qu’on appelle l’impartialité ; Jésus la remplit : je ne cherche pas ma propre volonté (il désigne ici sa volonté humaine, sa volonté en tant que Fils de l’homme) ; 2° une condition positive, qui consiste dans un absolu dévouement à la volonté de Dieu, et Jésus la remplit encore : mais la volonté de celui qui m’a envoyé. – Quoique les évangiles synoptiques fassent rarement allusion aux relations qui règnent entre Dieu le Père et son Fils, voyez pourtant dans S.Matthieu, 11, 25-27, un passage analogue à celui‑ci (vv. 17-30).
Jean 5.31 Si c’est moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas véridique. – Deuxième partie du discours, vv. 31-47. De sa dignité sublime, Jésus passe très naturellement aux témoignages qui en démontrent la réalité, vv. 31-40 ; après avoir exposé à ses adversaires ce qu’il est relativement à Dieu, il leur dit ce qu’ils sont, eux, par rapport à lui, vv. 41-47. Donc deux subdivisions : 1° les témoignages, 2° les Juifs demeurent incrédules malgré ces témoignages. – Première subdivision : vv. 31-40. C’est Dieu lui‑même qui témoigne en faveur de Jésus, v. 32, et ce divin témoignage s’est manifesté de trois manières : par la voix de Jean‑Baptiste, vv. 33-35 ; par les œuvres de Jésus, vv. 36-38 ; par les écrits de l’Ancien Testament, vv. 39-40. – Si c’est moi qui rends témoignage. Les pronoms portent l’idée principale : moi, témoignant sur mon propre compte. On le voit, N.-S. Jésus‑Christ prévient une objection, celle‑là même que les Juifs ne tarderont pas à lui opposer, 8, 13 : « Tu te rends témoignage à toi‑même, ce n’est donc pas un vrai témoignage ». Nous voulons des preuves autres que votre témoignage personnel. Ces preuves, ils les auront. – Mon témoignage n’est pas véridique. Quelques‑uns traduisent comme s’il y avait une interrogation : Dans ce cas, mon attestation ne serait‑elle pas légitime et valide ? Mais il est mieux de conserver le sens affirmatif : Selon vous, dans ce cas, mon témoignage n’est pas véridique. C’est en effet un principe très universellement admis par les hommes, que l’on ne saurait être tout à la fois juge et témoin dans sa propre cause, notre nature faible et perverse nous portant trop aisément à nous favoriser nous‑mêmes. Le Talmud a plus d’un axiome sur ce poin : « Ceux qui portent témoignage d’eux‑mêmes ne sont pas crus », Chetuboth, f. 23, 2 cf. Halicoth Olam, c. 1. Le Sauveur consent, pour le moment, à se laisser appliquer ce principe (voyez 8, 14, où il le rejettera en se plaçant à un autre point de vue) : concession qui ne fera que mieux ressortir la vigueur de l’argumentation subséquente.
Jean 5.32 Il y en a un autre qui me rend témoignage et je sais que le témoignage qu’il me rend est véridique. – Proposition générale, qui sera ensuite développée de trois manières. – Il y en a un autre. Dans cet « autre » (par opposition au témoignage personnel de Jésus), plusieurs commentateurs anciens et récents ont vu S. Jean‑Baptiste, qui est mentionné aux versets suivants : c’est le sentiment de S. Jean Chrysost., de Théophylacte, d’Euthymius, de Grotius, d’Erasme, d’Ewald, etc. Mais nous croyons, à la suite du plus grand nombre des exégètes, et notamment de S. Cyrille, de S. Augustin, de Bède le Vénérable, de Patrizi, etc., que le contexte demande l’application du mot « autre » à Dieu le Père, cf. 8, 18. – Qui me rend témoignage, ὁ μαρτυρῶν (l’article désigne un témoin bien déterminé). Le verbe est au présent : ce qui ne saurait convenir au Précurseur dont le rôle était désormais achevé. Comparez le v. 33, où sa prédication est citée comme un fait accompli, et le v. 35, où Jésus parle de lui de façon à faire entendre qu’il avait quitté la scène évangélique. – Et je sais. Cette expression est solennelle. Je le sais avec certitude, moi qui ai la même nature et la même volonté que Dieu. Il s’agit ici d’une intuition supérieure ; plus loin, v. 42, le verbe ἔγνωϰα désignera une connaissance expérimentale. – Le témoignage qu’il me rend (ἡ µαρτυρία ἥν µαρτυρεῖ, répétition emphatique). Dieu ne peut rendre en effet qu’un témoignage absolument véridique. – Me, Moi. Ces mots reviennent trois fois de suite dans les versets 31 et 32. Comme tout est expressif dans ce divin langage.
Jean 5.33 Vous avez envoyé vers Jean et il a rendu témoignage à la vérité. – Le témoignage de Jean‑Baptiste, vv. 33-35. Jésus signale d’abord deux faits de date relativement récente : savoir, un acte de ses adversaires eux‑mêmes et un acte de S. Jean correspondant au leur. – Premier fait : vous (encore un pronom accentué) avez envoyé vers de Jean. Allusion évidente à 1, 19 et ss. Officiellement, en tant que membres du Sanhédrin, ils avaient envoyé une délégation à Jean‑Baptiste, prête à le reconnaître pour le Messie ou du moins à accepter son témoignage. – Second fait : Il a rendu témoignage à la vérité. Son rôle consistait à être un témoin (cf. 1, 7 et 8) ; il a été fidèle à ce rôle en disant la vérité : c’est-à-dire, en affirmant qu’il n’était pas le Messie, mais que je l’étais, moi, cf. 1, 26 et ss. Le Seigneur confond ses adversaires en leur opposant leurs propres paroles, leurs propres actes. Eux‑mêmes ils avaient cru pendant un temps à la mission divine du Précurseur, celui‑ci les avait renvoyés à Jésus comme au Christ promis.
Jean 5.34 Pour moi, ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage, mais je dis cela afin que vous soyez sauvés. – Pour moi… C’est une sorte de restriction en apparence, mais en réalité on peut dire que cette restriction a pour but de renforcer la preuve tirée du témoignage de Jean‑Baptiste. – Ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage. L’attestation d’un homme ordinaire, d’un homme en tant qu’homme. Un tel témoignage serait au‑dessous de la dignité du Messie ; il n’en a nul besoin et il ne l’accepterait à aucun prix, οὐ λαµϐάνω. Conclusion manifeste : donc Jean n’a pas parlé comme le premier venu et sans autorité, mais par l’inspiration du ciel et comme prophète ; c’est Dieu, par conséquent, qui avait témoigné en faveur de Jésus par la bouche du Précurseur. En effet, d’après le passage auquel nous venons de renvoyer le lecteur, 1, 7 et 8, Notre‑Seigneur ne saurait dire que le Christ peut se passer du témoignage de Jean‑Baptiste, puisque celui‑ci était précisément envoyé en qualité de témoin. – Mais je dis cela… Le pronom cela retombe sur la seconde moitié du v. 33. Si Jésus dit aux Juifs que Jean a rendu un témoignage fidèle à la vérité, c’est moins pour lui‑même que dans leur intérêt propre : afin que vous soyez sauvés ; il espère encore qu’ils finiront par se rallier à l’enseignement de cet homme de Dieu, qu’ils croiront au Messie.
Jean 5.35 Jean était la lampe qui brûle et luit, mais vous n’avez voulu que vous réjouir un moment à sa lumière. – Pour leur faciliter ce salut par la foi, Jésus fait un splendide éloge de S. Jean. – Jean était… L’imparfait, attendu que le Précurseur avait été emprisonné, sinon déjà mis à mort par Hérode Antipas ; la glorieuse lampe est maintenant éteinte. – La lampe. Belle et vivante image. Mais remarquons bien que l’on compare seulement Jean‑Baptiste à une lampe, λύχνος ,tandis que le Christ est appelé la lumière, φῶς, cf. 1, 7. Dans le texte grec, l’article (ὁ λύχνος) semble dire que S. Jean devait être, relativement au Messie, la lampe par antonomase destinée à éclairer pour les Juifs le chemin qui conduisait à leur Libérateur. Comp. 2 Samuel 21, 17, où David est appelé la lampe d’Israël, et surtout Ecclésiastique 48, 1, où il est écrit d’Élie, type du Précurseur : « Le prophète Élie se leva ensuite comme un feu, et sa parole brûlait comme une torche ». – Qui brûle et luit, ὁ καιόµενος ϰαὶ φαίνων : allumée et brillante. Ces épithètes ne font pas allusion à deux qualités distinctes de Jean‑Baptiste, car elles n’expriment qu’une seule et même idée : la lampe, une fois allumée, continue de luire jusqu’à ce qu’elle soit éteinte. – La fin du verset caractérise, et en même temps flagelle admirablement, la conduite qu’avaient tenue les hiérarques envers le Précurseur. – Et vous n’avez voulu… Aux si graves desseins que Dieu s’était proposés en envoyant Jean‑Baptiste, Jésus oppose les projets futiles et frivoles des Juifs. A ces hommes pleins de légèreté, le rôle de Jean n’avait fourni qu’une heure d’amusement. Quelle ironie, mais aussi quelle vérité historique dans ces mots vous réjouir un moment. « Pour un moment » : en effet, leur enthousiasme du premier moment avait été une émotion transitoire ; quand, au lieu d’une joie mondaine, ils ne trouvèrent que des reproches à recueillir auprès de Jean‑Baptiste (cf. Matth. 3, 7-12 et parall.), ils se mirent à le haïr de toute leur âme. ’Aγαλλιασθῆναι, « tressaillir d’allégresse », car ils pensaient que leurs vaines espérances messianiques allaient s’accomplir : ils allaient à l’austère Précurseur pour jouer autour de lui comme font les enfants autour du feu et de la lumière (à sa lumière). Comparez dans Ézéchiel, 33, 30 et suiv., une manière de faire analogue et non moins insensée.
Jean 5.36 Pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean, car les œuvres que le Père m’a données d’accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, me rendent témoignage, que c’est le Père qui m’a envoyé. – Témoignages que rendent à Jésus ses propres œuvres, vv. 36-38. Ce nouveau témoignage est encore plus fort que celui du Précurseur, car il est plus manifeste, plus à la portée de tous. – Moi est mis en opposition avec « vous » du verset précédent. – Un témoignage plus grand que celui de Jean. Il y a une grande emphase dans ces paroles, après ce qui avait été dit de S. Jean. – Car les œuvres (Jésus va prouver son affirmation) que le Père m’a données d’accomplir… D’après quelques rationalistes, ces « œuvres » consisteraient uniquement dans la doctrine de N.-S. Jésus‑Christ ; mais le mot ἔργα les réfute à lui seul, car il désigne plus que des discours. Les œuvres de Jésus, c’est tout l’ensemble de sa vie publique, car le mot est général ; mais ce sont plus particulièrement ses miracles, œuvre divine entre toutes les autres, et témoignage éclatant de sa mission, selon qu’il le dit lui‑même, cf. Matth. 11, 4-5. La circonstance « le Père m’a données… » nous ramène à nouveau aux vv. 19, 20, 30. – Les œuvres mêmes, αὐτὰ τὰ ἔργα. Jésus, et l’évangéliste à sa suite, appuie fortement sur cette pensée, soit ici, soit ailleurs, cf. 10, 25, 32 ; 14, 11 ; 15, 24. Et pourtant, nous ne trouvons qu’un petit nombre de miracles explicitement racontés dans le quatrième évangile : l’existence antérieure des synoptiques est visiblement supposée dans ces passages. – Me rendent témoignage : c’est évident, car le miracle, quand tout démontre qu’il vient du ciel, est comme la signature de Dieu attestant une mission particulière en ceux qui les opèrent.
Jean 5.37 Et le Père qui m’a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi. Vous n’avez jamais entendu sa voix, ni vu sa face. 38 Et vous n’avez pas sa parole demeurant en vous, parce que vous ne croyez pas à celui qu’il a envoyé. – Ces deux versets ne sont pas sans difficulté au point de vue de l’enchaînement des idées ; aussi les commentateurs en ont‑ils interprété les détails en sens très divers, selon la connexion qu’ils adoptaient. Pour les uns, il s’agit d’un nouveau témoignage rendu par Dieu à N.-S. Jésus‑Christ, notamment de la voix qui se fit entendre au baptême du Sauveur : « Tu es mon Fils bien‑aimé ; en toi je me suis complu », Luc. 3, 22, cf. Jean 1, 32-34. C’est l’opinion de S. Jean Chrysostome, de Jansénius, du P. Patrizi, etc. ; mais elle semble peu fondée. Selon d’autres (S. Cyrille, Théophylacte, Euthymius, Bède le Vénérable, etc.), dès maintenant Jésus aborderait le troisième témoignage, celui des Écritures. Nous préférons, avec S. Augustin, Maldonat, Hengstenberg, Bisping, etc., rattacher ces deux versets au 36e et les regarder comme un complément du second témoignage ; le contexte en effet nous y invite, puisque N.-S. Jésus‑Christ réitère ses dernières paroles, en disant : Le Père qui m’a envoyé… (comparez la fin du v. 36). Remarquez les changements de temps : « rendent témoignage ; rendu témoignage » ; les attestations du Père en faveur de son Fils avaient eu lieu dans le passé, et elles avaient encore lieu dans le présent. – Jésus s’interrompt pour reprocher rapidement aux Juifs leur incrédulité, en attendant qu’il en montre bientôt plus en détail, la culpabilité, les dangers (vv. 41 et ss.). Ces hommes pervers ne se sont laissé impressionner et convertir par aucun des moyens dont Dieu s’était servi pour faire pénétrer sa révélation jusqu’à eux. Le Sauveur va signaler trois de ces moyens, qui s’adressaient au sens de l’ouïe, au sens de la vue, au cœur ; qui sollicitaient par conséquent la conscience humaine de toutes manières, et par le dehors et par le dedans. — 1° Vous n’avez jamais entendu sa voix. Dieu leur avait parlé, il leur parlait encore par les œuvres de son Christ ; ils refusaient d’entendre ou de comprendre cette voix. – 2° Ni vu sa face (εῖδος). Dieu s’était en quelque sorte manifesté visiblement à leurs regards, en leur montrant non plus les vagues et mystérieuses théophanies de l’Ancien Testament, mais la douce et auguste face de son Fils (cf. 1, 14) ; ils fermaient volontairement les yeux pour ne pas voir. – 3° Et, vous n’avez pas sa parole… Dieu leur avait accordé de nombreuses révélations intérieures, frappant à la porte de leur cœur pour se faire ouvrir ; mais le divin langage n’avait atteint que la surface, il n’avait pas pris possession de ces âmes endurcies ; ou, comme le dit si fortement Jésus, il n’était pas demeuré en eux. Cette expression est propre à S. Jean dans ce sens, cf. 15, 7 ; 1 Jean 2, 14, 24 ; 3, 9, 12. – Parce que… Motif de ces trois refus impies : vous ne croyez pas à celui qu’il a envoyé (et ce celui était Dieu). Jésus ramène ainsi ses auditeurs à la parole du v. 36, au témoignage que Dieu lui rend par ses œuvres personnelles.
Jean 5.39 Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle, – Troisième témoignage rendu à N.S. Jésus‑Christ, vv. 39-40. C’est celui de la Bible, et, vu le caractère religieux et la science des auditeurs de Jésus, il est à coup sûr le plus frappant des trois, de sorte qu’il y a gradation ascendante dans cette série de témoignages. – Vous scrutez : Le grec έρευνᾶτε (quelques manuscrits ont έραυνᾶτε) peut se traduire par l’indicatif présent et par l’impératif, ce qui a occasionné de tout temps une petite divergence d’interprétation : c’est ainsi que S. Cyrille d’Alexandrie était pour la première opinion, S. Jean Chrysostome pour la seconde. Dans le premier cas, Jésus constaterait un fait ; dans le second, il donnerait un ordre. Les partisans de l’impératif allèguent le passage analogue, 7, 52 ; les autres, et à meilleur titre, s’appuient sur le contexte immédiat, « et vous ne voulez pas » (v. 40), qui dépend de « scrutez ». Vous étudiez les Écritures, et cependant, malgré leur témoignage si clair, vous refusez de croire en moi. D’ailleurs, il était très vrai que les Juifs lisaient sans cesse et scrutaient minutieusement leur Bible ; ils la disséquaient même pour y trouver les sens les plus divers et les plus étranges. Cette dissection laborieuse est fort bien exprimée par le verbe ἐρευνᾶν, l’équivalent du דרש hébreu (darasch, d’où vient le substantif midrasch מדרש, qui désigne les commentaires rabbiniques). Elle est également fort bien décrite, d’une part dans les livres de l’historien Josèphe (De Bello Jud. 2, 8, 14 ; Antiq. 17, 2, 4), où nous entendons les Pharisiens se vanter (« considérés comme les interprètes exacts des lois…, rattachant tout au destin et à Dieu »), d’autre part dans le « Dialogues avec Tryphon » de S. Justin (112, 4), qui reproche aux Juifs de scruter les minuties et de négliger les choses importantes (« pourquoi l’usage de tant de mesures de farine, de tant de mesures d’huile, dans les offrandes prescrites par la loi »). – Parce que vous pensez… Dans cette croyance ils ne se trompaient pas, quoique leur foi fût entachée de mille superstitions qui durent encore. –Trouver en elles la vie éternelle. Dieu l’avait dit par la bouche de Moïse, Lévitique 18, 5 : « Vous observerez mes décrets et mes ordonnances ; l’homme qui les mettra en pratique y trouvera la vie », cf. Romains 7, 12 ; 10, 5. Et les Rabbins l’ont aussi fréquemment répété : « Quiconque s’approprie les paroles de la Loi s’approprie la vie éternelle ». En effet, la sainte Écriture est la vie en tant qu’elle est un flambeau qui éclaire la foi et les mœurs : elle est surtout la vie parce qu’elle conduit au Sauveur : aussi est‑il vivement à regretter que les prêtres n’y viennent pas puiser, autant qu’aux anciens jours, de quoi vivifier, soit eux‑mêmes, soit les âmes qui leur sont confiées.
Jean 5.40 or, ce sont elles qui me rendent témoignage et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie. – Or ce sont elles … Résultat de toute enquête biblique conduite sérieusement et de bonne foi : qui me rendent témoignage (au présent, le témoignage demeurant perpétuel). N.-S. Jésus‑Christ est le centre des saints Livres, qui parlent de lui à tout instant, et en termes directs dans les prophéties messianiques, et au figuré par des types nombreux. Voyez l’indication des principaux passages dans la note sous Luc, 24, 27 ; dans Bacuez et Vigouroux, Manuel biblique, t. 2, p. 471 et ss. de la 3e édit., et dans Edersheim, The Life and Times of Jesus the Messiah, Londres 1883, t. 2, p. 707-738 (longue et curieuse liste des textes sacrés que les Rabbins appliquaient au Messie). – Tout ce verset démontre jusqu’à l’évidence l’inspiration des écrits de l’Ancien Testament, qui autrement ne formeraient qu’un livre humain, absolument incapable de rendre témoignage au Christ de la part de Dieu. – Et (et pourtant. malgré une attestation si céleste) vous ne voulez pas. Expression énergique et significative, qui rattache l’incrédulité des Juifs à leur volonté comme à sa cause morale. Ils comprenaient, mais ils ne voulaient pas se rendre à la vérité comprise : ils n’en étaient ainsi que plus coupables. – Venir à moi (à moi en tant que Messie) pour avoir la vie… Allusion à Isaïe 55, 3, et antithèse douloureuse avec l’idée qui précède (v. 39). Vous pensez à bon droit trouver la vie dans les Écritures ; or, elles vous disent de venir à moi qui vous donnerais cette vie, et vous refusez de venir.
Jean 5.41 Ce n’est pas que je demande ma gloire aux hommes. – Seconde subdivision de la deuxième partie du discours, vv. 41-47 : causes de l’incrédulité des Juifs et sa déplorable issue. Jésus va d’abord expliquer à ses auditeurs pourquoi ils s’obstinent à ne pas croire en lui malgré des témoignages si formels et si pleins d’autorité, vv. 41-44. Le v. 41 contient l’entrée en matière ; le suivant indique un premier motif d’incrédulité : les Juifs n’ aiment pas Dieu ; les deux autres indiquent un second motif : l’orgueil des hiérarques. – Ma gloire ( παρὰ, de la part de) aux hommes. Jésus réfute d’abord tacitement une nouvelle objection qu’auraient pu lui adresser ses adversaires. En parlant comme il vient de le faire, il n’a aucunement cédé à des préoccupations ambitieuses, à des visées de gloire personnelle. Qu’a‑t‑il besoin de cette pauvre gloire humaine, lui qui possède celle d’un « Fils unique du Père »(1, 14) ?
Jean 5.42 Mais je vous connais, je sais que vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu. – Mais je vous connais. Il retourne l’accusation contre eux. « Emphase est sur ce vous. Vous êtes tels que vous pensez que je suis. » Ἔγνωϰα au parfait est aussi très énergique : Je vous connais à fond, et je sais ce qui se passe en vous. – A ces hommes qui prétendaient être, et dans cet instant même (cf. v. 18), les soutiens de l’honneur et du culte divins, Jésus adresse le plus cinglant des reproches : Vous n’avez pas l’amour de Dieu… Et c’est de leur manque d’amour que provenait leur incrédulité.
Jean 5.43 Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas, qu’un autre vienne en son propre nom, vous le recevrez. – Le Sauveur motive son reproche : ils n’aiment pas Dieu, ils le démontrent eux‑mêmes en rejetant l’envoyé de Dieu. – Je suis venu au nom de mon Père (il en fournissait les preuves), et (le ϰαὶ du contraste tragique, comme au v. 40) vous ne me recevez pas. Les Juifs ne s’en tenaient pas à cette conduite indigne ; mais autant ils se montraient difficiles pour reconnaître l’autorité divine de Jésus, autant ils étaient faciles et coulants pour accepter de faux Christs, cf. Matth. 24, 24. – Cette antithèse est présentée de la façon la plus saisissante. – Si un autre ; n’importe lequel, le premier venu. – Vient en son propre nom (le grec insiste en mettant deux articles : ἐν τῷ ὀνόματι τῷ ἰδίῳ), tandis que Notre‑Seigneur était venu « au nom du Père ». – Vous le (ἐϰεἷνον en mauvaise part, et en avant de la proposition) recevez. Il est vrai que ces faux Messies flattaient les passions de leurs adhérents. – Chacun sait jusqu’à quel point ce langage de Jésus est historiquement exact : depuis le vrai Christ, on a compté jusqu’à soixante‑quatre Messies imposteurs, qui ont réussi a séduire un nombre plus ou moins considérable d’Israélites. Voyez Lémann, La question du Messie, Lyon, 1869, p. 22 et suiv., où l’on en signale nommément vingt‑cinq.
Jean 5.44 Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres et qui ne recherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ? – L’orgueil des hiérarques est une seconde cause de leur incrédulité. Nous avons ici la contre‑partie du v. 41. – Comment pouvez-vous croire… : avec emphase, comme plus haut. Étant tels que vous êtes, comment pourriez-vous arriver à croire. – Vous qui recevez votre gloire les uns des autres. Cet orgueil étouffe les germes de la foi semés divinement en eux. – Et (et par contre) qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu. Leur ambition est trop mesquine pour s’élever jusqu’à ces sphères supérieures ; ils ne pensent qu’à eux‑mêmes, et nullement à Dieu. – Seul, d’après la construction grecque (παρὰ τοῦ μόνου Θεοῦ), est une épithète pour relever l’unité de Dieu, cf. Deutéronome 6, 4 ; Jean 17, 13 ; Romains 16, 27 ; 1 Timothée 6, 15. Il faut donc traduire : la gloire qui provient du Dieu unique, et non : la gloire qui provient de Dieu seul.
Jean 5.45 Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserai devant le Père, votre accusateur, c’est Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. – Jésus va maintenant prophétiser aux hiérarques le terme affreux auquel aboutira leur incrédulité : la damnation, vv. 45-47. – Ne pensez pas que ce soit moi (pronom emphatique)… Il les avait attaqués vigoureusement dans les versets qui précèdent ; il leur annonce néanmoins qu’il ne se fera pas leur accusateur auprès de Dieu, son Père. C’est inutile, car un autre sera là pour les accuser. Cette image, toute dramatique, est empruntée à ce qui se passe dans les tribunaux humains, où l’on voit, entre le juge et l’accusé, l’accusateur officiel et l’avocat. Donc le défenseur manque ici. – Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. Le grec a ἠλπίϰατε, au parfait ; ce qui signifie : « en qui vous aviez mis toute votre espérance ». La pensée acquiert ainsi plus de force, quoique elle soit déjà bien énergique par elle‑même : Moïse, l’avocat né des Juifs, leur grand législateur et prophète, leur plus grand espoir après Dieu et le Messie, Moïse devenant la cause intermédiaire de leur condamnation.
Jean 5.46 Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu’il a écrit de moi. – Si vous croyiez à Moïse. Jésus a cité précédemment le témoignage de l’Écriture en général, il signale celui de Moïse en particulier pour appuyer la menace qu’il vient de proférer (car). – Vous me croiriez aussi. La particule ἄν du texte grec serait mieux traduite en cet endroit par « assurément, certainement » ; car elle n’exprime pas un doute, mais une chose qui doit s’accomplir, telle condition étant posée. – En moi. Tout vrai Juif devrait donc passer au christianisme par une transition toute naturelle. – Raison pour laquelle croire à Moïse, c’est croire à Jésus : parce qu’il a écrit de moi. En prononçant cette phrase courte, mais vigoureuse (les deux pronoms sont fortement accentués), Jésus avait surtout à la pensée la célèbre prophétie messianique du Deutéronome, 18, 15-19, sans écarter pourtant les autres passages du Pentateuque relatifs au Christ, soit directement, soit d’une manière typique.
Jean 5.47 Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? » – Conclusion douloureuse : si l’on croyait à Moïse, on croirait au Christ ; on n’accepte pas les paroles de Moïse, comment acceptera‑t‑on la parole de Jésus ? L’idée est concentrée dans une double antithèse : écrits, paroles ; ses, mes. Des écrits qui demeurent de simples paroles ; et principalement : Moïse dont l’autorité était reconnue depuis des siècles, Jésus qui avait récemment commencé à se manifester. – Remarquez le pas d’interrogation alarmant et solennel, la question désespérée qui clôt ce discours. Les Juifs ne répondent pas ; mais quelle réponse eussent‑ils pu faire ? Peut-être, d’ailleurs, « après ces paroles foudroyantes, Jésus s’éloigna‑t‑il du temple, laissant là les Pharisiens. Il leur fallut donc quelque temps pour sortir de leur stupéfaction. Aucun d’eux ne songea plus à l’homme qui avait été guéri le jour du sabbat ; ils avaient maintenant autre chose à méditer et à accomplir. – Voici, sur ce grand et beau discours, des appréciations en sens divers, émanées de deux coryphées du rationalisme ; l’une concerne le fond, l’autre la forme. Strauss, Vie de Jésus, trad. de E. Littré, t. 1, 2e part. p. 675 : « Il ne se trouve dans la teneur… rien qui fasse difficulté, rien que Jésus n’eût pu dire lui‑même, puisque l’évangéliste rapporte dans le meilleur enchaînement… des choses que, d’après les synoptiques aussi, Jésus s’est attribuées ». L’aveu a certes son prix. Quelle légèreté, au contraire, dans les lignes suivantes de M. Renan. « Le thème (le fond) peut n’être pas sans quelque (!!) authenticité ; mais, dans l’exécution la fantaisie de l’artiste se donne pleine carrière. On sent le procédé factice, la rhétorique, l’apprêt. » (Vie de Jésus, p. 78). Nos lecteurs ont‑ils remarqué rien de semblable dans ces lignes sublimes ? La vérité se défend suffisamment elle‑même, en face d’attaques si futiles, pour ne pas dire si dénuées de sens ?


