CHAPITRE 8
Jean 8.1 Jésus s’en alla sur la montagne des Oliviers. – Les versets 1 à 11 étant omis dans certains manuscrits, c’est ici le lieu de discuter la question controversée de leur authenticité. Nous signalerons les arguments défavorables avec autant de franchise et de loyauté que les arguments favorables, et nous verrons lesquels l’emportent dans la balance de la critique. Disons d’abord que la foi ne nous semble pas engagée en cette affaire. Sans doute, le concile de Trente (Session 4) a défini que la Bible Vulgate entière est authentique ; mais il ne semble pas que les Pères du Concile de Trente aient voulu désigner par ces mots une série quelconque de versets : ils avaient directement en vue les livres ou parties deutérocanoniques des Saintes Écritures que les protestants rejetaient comme apocryphes. Or, l’épisode de la femme adultère (8, 1-11) ne rentre pas dans cette catégorie. – Nous examinerons en premier lieu les arguments extrinsèques, en second lieu les arguments intrinsèques qui sont proposés soit par les adversaires, soit par les défenseurs de l’authenticité.
1. Les arguments extrinsèques consistent dans les manuscrits, les versions et les écrits des Pères.
1° Les manuscrits anciens les plus importants, c’est-à-dire les plus anciens, omettent complètement les douze versets dont nous parlons (א, A, B, C, L, T, X, Δ ; il est vrai que A et C sont incomplets et mutilés en cet endroit ; mais on a calculé que les pages disparues seraient insuffisantes pour contenir l’épisode). De nombreux manuscrits en écriture cursive (soixante environ) les ont pareillement omis ; de même une trentaine d’évangéliaires. Là où on les trouve, tantôt ils sont notés comme douteux au moyen de l’astérisque ou de l’obèle (par exemple dans E, M, S, Λ, II,) ; tantôt ils occupent des places extraordinaires (les minuscules 1, 19 et 20 les renvoient à la fin du quatrième évangile ; 13, 69, 124, 346 les insèrent après Luc 21, 38) ; toujours le texte en est très flottant et présente des variantes multiples : nouvelle preuve, assure‑t‑on, du peu de cas que l’on faisait de tout ce passage. – A cela que répondre ? Sans doute, parmi les manuscrits de premier ordre, nous n’en pouvons citer qu’un seul, le Codex D, qui contienne l’histoire de la femme adultère, et encore ne remonte‑t‑il qu’au 6ème siècle ; mais il est à peu près démontré qu’il est lui‑même une copie d’un texte très antique, du 3ème ou du second siècle (voyez des preuves dans Hug, Einleitung in die Schriften des N. Test., t. 1, p. 124 et ss. ; Études relig., philos., historiq., 1877, n° de février, p. 147 et ss.) : son autorité est donc réellement très sérieuse. D’autres manuscrits anciens contiennent aussi notre fragment (F, G, H, K, V, T, du 7ème au 9ème siècle). Quant aux « minuscules » nous en pouvons alléguer plus de trois cents. Plusieurs évangéliaires et livres liturgiques prescrivent la lecture de ces [onze] versets aux fêtes de quelques saintes pénitentes. Certes, tout cela vaut bien quelque chose. Et les manuscrits qui déplacent l’épisode ou qui le notent d’un signe quelconque sont‑ils donc si défavorables à l’authenticité ? Le fait de l’insertion n’est‑il pas le principal ? Même remarque pour L et Δ, qui laissent un espace blanc après 7, 52 ; les copistes montraient ainsi que l’omission leur causait une certaine répugnance. Les variantes du texte n’ont rien d’étonnant dans un pareil état de choses.
2° Les versions. Un fait analogue se reproduit ici, comme il est naturel de s’y attendre, les versions dépendant des manuscrits qui leur servirent de base. La Peschito et la traduction syriaque de Philoxène, le copte, l’arabe, l’arménien, le gothique, le sahidique et plusieurs manuscrits très anciens de l’Itala n’ont pas ce célèbre récit ; par contre on le trouve dans la Vulgate, dans la plupart des exemplaires de l’Itala, dans les versions persane, éthiopienne, syriaque de Jérusalem, etc.
3° Même phénomène encore pour les Pères ; leur autorité se contrebalance extérieurement, car si l’Orient est muet pendant un certain temps, l’Occident parle très haut en faveur de l’authenticité. Voici du reste la manière dont les voix se répartissent. Rien dans les écrits de Tertullien et de S. Cyprien, là même, nous dit‑on où ils auraient dû citer notre fragment s’ils l’eussent connu (Tertull. de Pudicit, 6 ; S. Cypr. Ep. 55) ; rien dans Origène, dans Théodore de Mopsueste, dans S. Jean Chrysostome, dans S. Cyrille d’Alexandrie, dans S. Basile, dans Nonnus, dans Théophylacte, quoique plusieurs d’entre eux aient commenté le quatrième évangile ; rien non plus dans les anciennes « Catenae » [chaînes] grecques. Euthymius (au 12ème siècle) explique ce passage, en ayant soin toutefois de dire qu’il manque dans les manuscrits les plus exacts ou qu’il y est marqué d’un obèle. D’autre part le recueil intitulé Constitutions apostoliques, qui date du 3ème siècle, mentionne en propres termes (2, 24, 4) le pardon accordé à la femme adultère. Non seulement S. Jérôme cite le morceau contesté, mais il a soin d’ajouter, Adv. Pelag. 2, 17 :« Dans plusieurs manuscrits grecs et latins de l’évangile de saint Jean, on trouve le récit de la femme adultère qui a été accusée devant le Seigneur ». On le trouve à la même époque dans les œuvres de S. Pacien (Ep. ad Sympr. 3a, n°2), de S. Augustin, de S. Ambroise, de S. Léon le Grand, de Jacques de Sarug (5ème siècle). Le silence des autres peut avoir été simplement accidentel : ainsi, S. Jean Chrysostome a omis de commenter le passage 7, 46-8, 21, et Théodore de Mopsueste ne nous a également laissé que des fragments de commentaires. Mais voici qui est tout à fait positif et significatif. La Providence a permis que S. Augustin et S. Ambroise, non contents de rendre témoignage à l’authenticité de cet épisode, indiquassent en outre le motif pour lequel un si grand nombre de documents l’ont éliminé. « Qui ne comprend pas que le mari doit pardonner ce qu’il voit que le Seigneur a pardonné. Mais cela, le sens des infidèles l’a en horreur. Au point que certains dont la foi est faible, ou qui sont plutôt des ennemis de la vraie foi, ayant peur, je crois, d’accorder à leurs femmes une impunité dans le péché, enlèvent de leurs Bibles l’indulgence dont a fait montre le Seigneur envers la femme adultère, comme s’il avait accordé la rémission du péché, quand il a dit : ne pèche plus désormais. » cf. S. Ambroise lettre 26, 2. L’omission provint donc, au début, de la crainte exagérée que les incrédules, ou les ignorants, et surtout les faibles, ne vinssent à abuser de cette histoire. Nicon, quoique venu beaucoup plus tard (13ème siècle), confirme le fait lorsqu’il reproche aux Arméniens d’avoir supprimé dans leurs traductions l’épisode en question. On comprend, après cela, que, dans certains manuscrits grecs, l’omission ne commence qu’à partir de 8, 3. – De tout ce qui précède, il résulte que « dès le 3ème et même dès le 2ème siècle, l’histoire de la femme adultère faisait partie de l’évangile de S. Jean ; que, vers le commencement du 6ème siècle au plus tôt, elle disparut peu à peu de la plupart des exemplaires grecs et de quelques exemplaires latins ; que plus tard, c’est-à-dire au 7ème siècle, on recommença à la reprendre, de manière qu’au 10ème siècle elle se retrouvât en possession de la place que lui avait autrefois assignée l’antiquité ecclésiastique ». Corluy, Études religieuses, 1. c., p. 153. Or, jamais une pareille réintégration n’a eu lieu pour un texte apocryphe une fois éliminé. Si les versets 7, 53-8, 11 furent rayés pendant quelque temps dans un certain nombre de manuscrits, ce n’est donc pas parce qu’on les croyait d’une autre main que celle de S. Jean.
2. Les arguments intrinsèques allégués par les adversaires de l’authenticité concernent le style et le sujet traité.
1° Le style de ce fragment, a‑t‑on dit, ne serait pas en rapport avec la manière habituelle de S. Jean comme écrivain. Les particules οὖν et ϰαὶ, si fréquentes partout ailleurs, sont à peine employées ici (une seule fois), et c’est δέ qui prend leur place (onze fois). Les autres expressions favorites de notre évangéliste feraient également défaut, tandis qu’on en trouve plusieurs autres dont il ne se sert jamais ou qu’en de rares circonstances (nous signalerons les principales dans le commentaire). Mais ces sortes d’arguments sont d’ordinaire très subjectifs, pour ne pas dire arbitraires ; aussi plusieurs des critiques qui rejettent ce passage comme apocryphe, ont‑ils avoué que beaucoup d’exemples cités ne prouvent absolument rien (voyez une bonne réfutation dans Patrizi, In Joannem comment., p. 94 et 95). Combien d’autres épisodes du quatrième évangile où l’on rencontre des mots qui ne reviennent plus ensuite !
2° A propos du sujet traité, nous avons d’abord à recueillir plusieurs aveux précieux, échappés à des auteurs qui traitent cette histoire d’apocryphe. « Malgré les difficultés archéologiques, le récit contient tant de choses conformes au caractère et à la conduite habituelles de Jésus, qu’on incline à le regarder comme un fragment de tradition orale, qui aura eu pour base un fait réel. » Lücke. « C’est un fragment de la tradition apostolique, de l’authenticité duquel personne n’eût jamais douté, si on l’avait trouvé dans un des évangiles synoptiques ». Keil. « Il porte tout à fait le cachet de la vérité intrinsèque, et ne présente pas la moindre trace d’une invention tardive ». Weiss‑Meyer. « C’est une portion authentique de l’histoire évangélique ». Plummer. On s’étonne, après cela, d’entendre formuler des objections. Voici les principales, avec l’indication de la réponse. – Première objection. L’épisode de la femme adultère rompt l’organisme des chap. 7 et 8, qui contiennent un sommaire perpétuel des discours de Jésus‑Christ durant la fête des Tabernacles. Réponse : l’épisode n’interrompt absolument rien, car il est placé au début d’une nouvelle journée, 8, 1-3, et ce n’est qu’après l’avoir raconté que l’évangéliste se met à résumer d’autres discours, 8, 12 et ss. – Deuxième objection. Le conflit entre Jésus et ses ennemis est devenu de plus en plusvif, au point que ceux‑ci ont voulu faire arrêter N. -S. ; ils ne sauraient donc être rentrés si promptement en rapports avec lui. Réponse : au contraire, le récit abonde en vérité psychologique. Les Pharisiens, frustrés dans leur espoir, 7, 40-53, font maintenant une démarche personnelle pour « tenter » Jésus (8, 6) ; leur conduite est très naturelle, et ils agiront de même aux derniers moments, alors que le conflit se sera bien autrement accentué, cf. Matth. 21, 23, et parall. – Troisième objection. Jamais, dans le quatrième évangile, les Juifs ne tentent Jésus en lui posant des questions légales. Réponse : Et qu’importe ? Qui avait interdit à S. Jean de citer un exemple de ce genre, si conforme à la conduite habituelle des Pharisiens ? cf. Matth. 22, 15, 34, etc.
Pour conclure cette longue mais nécessaire discussion, qu’on nous permette de donner la parole à un écrivain qui, le plus souvent, n’éprouve pas beaucoup de gêne relativement aux questions d’authenticité. S’il ne rejette pas notre épisode, c’est qu’il aura eu de fortes raisons pour cela. « Le récit de la femme adultère laisse place à de grands doutes critiques. Ce passage manque dans les meilleurs manuscrits ; je crois cependant qu’il faisait partie du texte primitif. Les données topographiques des versets 1 et 2 ont de la justesse. Rien dans le morceau ne fait disparate avec le style du quatrième évangile. Je pense que c’est par un scrupule déplacé, venu à l’esprit de quelque faux rigoriste, sur la morale en apparence relâchée de l’épisode, qu’on aura coupé ces lignes qui pourtant, vu leur beauté, se seront sauvées, en s’attachant à d’autres parties des textes évangéliques… On comprend en tout cas beaucoup mieux qu’un tel passage ait été retranché qu’ajouté. » E. Renan, Vie de Jésus, 13e édit., p. 500 et s. On voit par là si Tregelles, Tischendorf, MM. Westcott et Hort étaient en droit de retrancher nos douze versets du texte sacré, comme ils l’ont fait d’un trait de plume dans leurs éditions. – La particule grecque δὲ traduite ici par or rattache ce verset à 7, 43 ; aussi eût‑il été mieux de ne pas séparer des lignes si étroitement unies. – Jean 8. 1 Jésus s’en alla sur la montagne des Oliviers,cf. Matth. 21, 1 ; 24, 3, etc.). S. Jean ne mentionne le mont des Oliviers en aucun autre endroit de ses écrits. Sur cette colline célèbre, cf. commentaire S. Matth. 21, 1-2. Jésus allait en ce moment y chercher un refuge pour la nuit, cf. Luc. 21, 37 et le commentaire.
Jean 8.2 Mais, dès le point du jour, il retourna dans le temple et tout le peuple vint à lui. Et s’étant assis, il les enseignait. – Mais, dès le point du jour(La racine grecque est « je me lève matin »). C’était le lendemain du huitième jour de la fête, cf. 7, 37 et ss. – Il retourna dans le temple. L’adverbe de nouveau nous ramène à 7, 14 et 37. N.-S. Jésus‑Christ, lorsqu’il était à Jérusalem, passait la plus grande partie de ses journées dans le temple, priant et enseignant. – Et tout le peuple vint à lui.Trait non moins touchant que pittoresque. L’adjectif tout est accentué : toute la masse du peuple accourt auprès de Jésus, dès qu’elle l’aperçoit, pour goûter encore sa parole que personne ne se lassait d’entendre. – Et s’étant assis, il les enseignait.Autres détails très vivants. L’imparfait, à la suite du prétérit (« vint »), exprime la durée. Les évangélistes nous montrent souvent Jésus s’asseyant pour adresser la parole au peuple (cf. Matth. 5, 1 ; Marc. 9, 35 ; Luc. 5, 3, etc.) ; c’est l’attitude du maître qui enseigne avec autorité.
Jean 8.3 Alors les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère et l’ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : – Alors … lui amenèrent(transition )… Le Sauveur et son auditoire furent bientôt douloureusement troublés dans leur sainte occupation. – Les scribes (l’expression grecque n’est employée nulle part ailleurs par S. Jean ) et les Pharisiens… une femme surprise en adultère… prise sur le fait en grec – Et l’ayant fait avancer.C’est-à-dire, au milieu de cercle formé autour de Jésus par les auditeurs, de manière à attirer tous les regards sur cette malheureuse, qui était là, confuse, comme une pièce à conviction. Le tableau est graphique ; mais la conduite des Pharisiens et des Scribes était bien cruelle.
Jean 8.4 « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. » -Ils commencent par exposer le fait (verset 4) ; puis ils signalent le châtiment prescrit dans la loi mosaïque pour le crime en question ; enfin ils demandent à Jésus son propre sentiment (verset 5). – Maître : ils cherchent à s’attirer son attention bienveillante pour mieux dissimuler leurs perfides intentions, cf. Matth. 22, 16, 36 ; etc. – Cette femme (avec emphase dans le grec)a été surprise en flagrant délit…L’expression grecque si classique qui signifie étymologiquement « dans l’acte même », puis d’une manière générale « en flagrant délit », n’apparaît qu’en cet endroit du Nouveau Testament.
Jean 8.5 Or Moïse, dans la Loi, nous a ordonné de lapider de telles personnes. Vous donc, que dites-vous ? – Dans la loi(ils appuient sur ce mot)Moïse (ils appuient de nouveau sur le nom sacré du grand législateur)nous a ordonné de lapider de telles personnes: le mot grec est tout à fait dédaigneux : les misérables de cette catégorie. – De lapider.Ce supplice spécial n’est pas marqué en propres termes pour l’adultère dans les deux passages du Pentateuque auxquels les Scribes faisaient allusion, Lévitique 20, 10 et Deutéronome 22, 22 ; la mort pure et simple y est édictée. Néanmoins, il ressort évidemment des cas analogues signalés dans le contexte que le législateur avait eu en vue le lapidation. Lévitique 20, 2 et Deutéronome 22, 21, on condamne à cette peine la jeune fille qui n’a pas été trouvée vierge au jour de son mariage ; plus bas, Lévitique 20, 27 et Deutéronome 22, 23, la fiancée qui s’est laissée déshonorer dans une rue sans appeler à son secours est aussi condamnée à être lapidée : pour les époux adultères, mentionnés dans l’intervalle de ces deux cas, le supplice aura dû être le même « a fortiori ». On a donc affirmé sans raison, d’après un texte talmudique, que les adultères n’étaient pas lapidés, mais étranglés ; car Ézéchiel, 16, 38-48, suppose formellement le contraire. Peut-être le châtiment aura‑t‑il été mitigé plus tard, après l’époque de Notre‑Seigneur. – Vous donc : Lui Jésus, par opposition à Moïse et à sa législation.
Jean 8.6 C’était pour l’éprouver qu’ils l’interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus, s’étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt. – Ils l’interrogeaient ainsi… Encore une de ces notes précieuses dont S. Jean entrecoupe son récit pour interpréter certaines situations. – Pour l’éprouver: En quoi consistait précisément la « tentation », ou l’embûche tendue à N.-S. Jésus‑Christ ? D’après la plupart des anciens exégètes, les pharisiens et les Scribes supposaient avec assez de fondement que l’ « ami des publicains et des pécheurs » se montrerait moins sévère que Moïse, et alors ils l’accuseraient auprès du Sanhédrin comme un violateur de la loi (afin de pouvoir l’accuser). Les commentateurs modernes pensent que le jeu des interrogateurs était plus habile encore, et qu’en toute hypothèse Jésus devait tomber dans un piège : s’il renvoyait la coupable absoute, on le faisait condamner lui‑même par le grand Conseil ainsi qu’il vient d’être dit ; s’il la déclarait digne de mort, on le livrait à l’autorité romaine, qui avait retiré aux Juifs le droit d’exécuter les sentences capitales. Mais cette dernière conjecture nous paraît un peu compliquée et hors de la situation ; nous nous en tenons donc à l’opinion ancienne. – Mais Jésus…Pas plus qu’en vingt autres occasions semblables le divin Maître ne se laissera « tenter » par ses ennemis. Il use d’abord contre eux de l’arme la plus puissante en pareil cas, l’arme du silence. – S‘étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt.Délicieux tableau, quoique la circonstance soit si triste. On croirait voir chacun des gestes du Sauveur. Assis sur un de ces sièges peu élevés qu’affectionnent les Orientaux, il n’a qu’à s’incliner médiocrement pour atteindre le sol. L’imparfait marque la durée. – Sur la terre : sur la poussière qui recouvrait les dalles du parvis ou de la cour. Par cet acte, Jésus donnait à entendre à ses interrogateurs qu’il ne voulait pas entrer dans le détail de leur question, qu’il ne faisait pas même attention à ce qu’ils lui disaient. C’est en effet, comme maint exemple classique le prouve, le geste d’un homme qui s’absorbe ou feint de s’absorber dans ses pensées, et qui demeure étranger aux choses qui se passent autour de lui. « Sans prononcer une syllabe, en vous bornant à froncer les sourcils, en vous inclinant, ou en fixant les yeux sur le sol, vous pouvez déjouer des importunités fâcheuses », dit Plutarque, 2, 532, cf. Aristophane, Acharn. 31. Il écrivait les péchés de ceux qui l’interrogeaient, disait déjà S. Jérôme. [Écrivait-il les prénoms des femmes avec lesquelles les accusateurs furent eux-mêmes adultères ?].
Jean 8.7 Comme ils continuaient à l’interroger, il se releva et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » – Comme ils continuaient à l’interroger: formule énergique en grec, qui exprime une vive insistance. – Il se releva :il se redresse à demi, sans quitter son siège. – Et leur dit.Il daigne enfin parler, mais pour donner au cas de conscience une solution complètement inattendue. – Que celui de vous qui est sans péché.L’adjectif grec est d’un assez fréquent usage chez les classiques, mais on ne le rencontre qu’en cet endroit du Nouveau Testament. Il faut lui laisser son sens le plus général, et ne pas le restreindre, avec quelques commentateurs, aux péchés d’immoralité, ou plus exclusivement encore à l’adultère. – La première pierrefait allusion à une prescription mosaïque, en vertu de laquelle les accusateurs dont le témoignage avait fait prononcer contre quelqu’un la peine capitale, devaient assumer toute la responsabilité de la sentence en jetant eux‑mêmes la première pierre, cf. Deutéronome 17, 7 ; Actes 7, 58. – Lui jette.(avec un article en grec qui rend la scène graphique). Voilà la réponse du divin Maître, avec un art admirable sous l’apparence de la plus grande simplicité. Il laisse à la loi toute sa vigueur contre le crime, mais il dévoile aux Pharisiens leur profonde méchanceté : élevant en effet la question du domaine juridique à la sphère de la morale, il rappelle aux accusateurs, qu’à moins d’un rôle officiel ou d’autres circonstances spéciales, l’homme qui a conscience de sa propre culpabilité ne devrait pas condamner si aisément les autres, cf. Matth. 7, 1. « Cette voix est celle de la justice : la pécheresse est punie, mais pas par les pécheurs ; la loi est observée, mais pas par les prévaricateurs de la loi », S. Augustin. Veulent‑ils assumer toutes les conséquences de leur acte ? Qu’ils le montrent en agissant comme le leur demande Jésus.
Jean 8.8 Et s’étant baissé de nouveau, il écrivait sur la terre. – Il reprend sa première attitude, afin de bien faire voir qu’ils n’auront pas de lui d’autre réponse.
Jean 8.9 Ayant entendu cette parole, [et se sentant repris par leur conscience] ils se retirèrent les uns après les autres, les plus âgés d’abord, [puis tous les autres] de sorte que Jésus resta seul avec la femme qui était au milieu. – Quel autre merveilleux tableau. L’effet d’une aussi simple parole fut aussi puissant que rapide. C’est que, dit Shakespeare, « la conscience fait des lâches de nous tous ». – Ils se retirèrent l’un après l’autre(imparfait pittoresque en latin). Venus en masse et fièrement, car ils étaient sûrs de la victoire, ils s’esquivent maintenant un à un, battus et humiliés. – les plus âgés d’abord.Les plus âgés (non « les plus dignes », ainsi qu’on a parfois traduit) donnent l’exemple de la fuite, ils sont, grâce à leur expérience de la vie, les premiers à comprendre qu’ils se sont fourvoyés dans cette affaire, et qu’il vaut mieux ne pas se compromettre davantage. – Jésus resta seul,pas absolument seul, car le cercle d’auditeurs était là, tout haletant d’attention et d’intérêt ; mais seul relativement aux accusateurs qui avaient tous disparu. – Avec la femme qui au milieu.Elle est toujours à sa place, comme Jésus. “Il ne reste que deux choses : la misère et la miséricorde”, S. Augustin.
Jean 8.10 Alors Jésus s’étant relevé et ne voyant plus que la femme, lui dit : « Femme, où sont ceux qui vous accusaient ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ? » – Jésus, s’étant relevé. Il faisait ce mouvement pour la seconde fois, cf. verset 7. jetant un regard de compassion sur la malheureuse qui se tenait debout devant lui, il lui demanda, comme s’il ignorait ce qu’ils étaient devenus : où sont ceux qui vous accusaient ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ?– Personneest accentué : Quoi ! pas un seul ne vous a condamnée ?
Jean 8.11 Elle répondit : « Personne, Seigneur », Jésus lui dit : « Je ne vous condamne pas non plus. Allez et ne péchez plus. » – Personne, Seigneur.Les Pharisiens avaient en effet clairement fait voir, par leur prompte retraite, qu’ils renonçaient à poursuivre l’affaire. – Je ne vous condamne pas non plus.Avec une grande emphase sur « Moi ». Pourquoi, lui, la condamnerait‑il, alors que des juges si sévères n’avaient osé le faire, bien que la loi leur en donnât le droit ? – Allez et ne péchez plus.Il la congédie par cette parole, non sans une recommandation pressante : ne pèchez plus.Cf 5, 14. « Le Seigneur a donc condamné lui aussi, mais le péché, non l’homme », conclut à bon droit S. Augustin. Voyez Luc. 7, 48 et ss., où Jésus traite avec plus de bonté une autre pécheresse, qui était venue à lui poussée par des sentiments de repentir et de foi. Il n’y avait rien, dans ces paroles, qui pût offusquer les Novatiens les plus sévères, et les porter à supprimer de l’écrin évangélique cette perle d’un prix incomparable. – Plusieurs peintres ont été attirés par l’épisode que nous venons d’interpréter, et quelques‑uns d’entre eux en ont assez heureusement traduit les principaux détails, surtout la majesté de N.-S. Jésus‑Christ, sa hardiesse et son calme (le Bassan, le Titien, A. Carrache, Giogione, Rembrandt, Nicolas Poussin, Signol, etc).
Jean 8.12 Jésus leur parla de nouveau, disant : « Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. » – Jésus leur parla de nouveau.« de nouveau » nous ramène au verset 2 de ce chapitre : Jésus reprend sa prédication interrompue momentanément par l’épisode de la femme adultère. Le pronom « leur » désigne les auditeurs d’une manière générale ; d’après le contexte, c’étaient au fond les mêmes que les jours précédents, c’est-à-dire un mélange d’amis et d’ennemis, quoique ceux‑ci paraissent avoir formé l’élément dominant (cf. versets 13, 20, 21, 30, 31, 44, 48, 52, 59). – Je suis.Ces premières paroles de Jésus, énergiquement accentuées, seront aussi les dernières par lesquelles il terminera l’entretien, verset 58. – La lumière du monde.(en grec, la lumière par excellence du monde entier, et pas seulement de la nation théocratique). Admirable symbole du salut apporté à la terre par N.-S. Jésus‑Christ. Nous avons vu que le prologue était rempli de cette idée (1, 4-9), mais le divin Maître n’en avait pas fait encore un usage personnel. Du reste, l’Ancien Testament déjà comparait le Messie à une lumière éclatante (cf. Isaïe 9, 1-2 ; 42, 6 ; 49, 6 ; 50, 3, etc.), et c’est en s’appuyant sur les divines prophéties que les évangiles synoptiques appellent le début de son règne une belle et douce aurore (cf. Matth. 4, 14-16 ; Luc. 1, 78 ; 2, 32, etc). Le Talmud fait aussi le même rapprochement. « R. Biba Sangorius a dit : La lumière est le nom du Messie, comme il est dit dans Daniel 2, 22 ». Echah Rabbathi, f. 68, 4. Que si « le premier Adam était la lumière du monde », Hier. Schabbath, ch. 2, à plus forte raison le second Adam ou le Christ. – Celui qui me suit…Mais il faut que chacun s’approprie, individualise en quelque sorte la lumière qui brille pour tous. Et comment cela ? En suivant Jésus par la foi, de même qu’on marche à la lumière du soleil. Voyez dans l’Imitation de Jésus‑Christ, livre 1, ch. 1, un beau commentaire pratique de cette parole. – A suivre ainsi Jésus on obtient deux merveilleux avantages, qui sont exposés tour à tour en termes négatifs et positifs. Premier avantage : ne marchera pas dans les ténèbres.Les deux négations du texte grec appuient fortement sur la pensée : Il est impossible que… « marcher » représente très bien le douloureux pèlerinage de la vie. L’article devant le mot grec oppose les ténèbres morales du péché, de l’ignorance, à l’unique vraie lumière. – Avantage positif : mais (au contraire) il aura… Cette lumière précieuse, les amis de Jésus n’auront pas seulement le bonheur de la contempler, ils la posséderont en propre et l’auront toujours avec eux pour se faire guider par elle. – La lumière de la vie.« La vie était la lumière des hommes », était‑il dit plus haut, 1, 4 ; maintenant c’est la lumière qui est vie, qui communique la vie supérieure. Voyez, 6, 35 ; Apocalypse 21, 6 ; 22, 14, des locutions analogues : le pain de vie, l’eau qui donne la vie, l’arbre de vie. – De même que l’on avait rattaché le passage 7, 37 et 38 à un rite de la fête des Tabernacles, de même on attribue assez communément pour origine au noble témoignage que nous venons d’expliquer une autre cérémonie de la solennité. Tous les soirs de l’octave, ou du moins le soir du premier jour, on allumait dans le parvis des femmes quatre énormes candélabres d’or, hauts de cinquante coudées [22 mètres], dont les lumières jetaient sur la ville entière un éclat resplendissant. Les prêtres, les anciens du peuple et un grand nombre de simples Israélites, faisaient autour de ces luminaires gigantesques une procession aux flambeaux, en chantant joyeusement des chants sacrés. Ce rite rappelait la colonne de feu qui avait éclairé les Hébreux à travers le désert ; c’était en outre un type de l’illumination morale du monde par Israël, Isaïe 2, 2, etc ; Il est vrai que la fête était terminée depuis la veille, quand Jésus tint ce langage dans le temple ; mais les candélabres étaient encore debout, et l’allusion ne perdait rien de sa force.
Jean 8.13 Sur quoi les Pharisiens lui dirent : « Vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n’est pas digne de foi. » – Les Pharisiens lui dirent.A ce témoignage magnifique (verset 12) plusieurs Pharisiens, mêlés comme toujours à la foule (cf. 7, 12), opposent aussitôt la question préalable ; ils interrompent brusquement le Sauveur, l’empêchant de développer sa pensée. – Vous vous rendez témoignage à vous‑même. C’est un fait dont ils prennent acte ; puis ils en déduisent une conséquence, d’après un principe généralement admis et dont Jésus avait lui‑même antérieurement reconnu la vertu, 5, 31 : votre témoignage n’est pas digne de foi, juridiquement valable ; car « Faire son propre éloge est malséant », disaient les Latins. Le Talmud abonde en assertions semblables : « L’homme est partial en sa faveur », Sanhedr. Fol. 9, 2 ; « Personne ne peut être son propre garant », Mischna, Ketuboth, 2, 9 ; etc. Hommes de parti pris, qui se tenaient en pleine lumière du jour, mais qui voulaient une preuve formelle du lever du soleil.
Jean 8.14 Jésus leur répondit : « Quoique je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est véridique, parce que je sais d’où je suis venu et où je vais, mais vous, vous ne savez d’où je viens, ni ou je vais. – Réponse si vigoureuse, et si brillante d’à propos (versets 14-18). Jésus rejette d’abord (versets 14-16) purement et simplement le principe qu’ils ont allégué, car ce principe ne saurait s’appliquer à lui ; il prouve ensuite (versets 17-18) qu’en toute hypothèse il satisfait rigoureusement à la loi qui exige plusieurs témoins. – Quoique je me rende témoignage à moi‑même.Il reprend leurs propres paroles, en appuyant à son tour sur celles qu’ils avaient le plus accentuées : « à moi‑même ». Même quand il est personnel, son témoignage à lui est toujours parfait, conforme à la vérité objective (vrai est mis en avant de la proposition d’une manière emphatique). Est‑il besoin de dire qu’il n’y a pas la moindre contradiction entre cette phrase de N.-S. Jésus‑Christ et celle qu’il avait prononcée quelques mois auparavant devant un auditoire composé des mêmes éléments, 5, 31 ? Là, par une concession transitoire, Jésus daignait permettre qu’on jugeât son témoignage d’après les règles ordinaires ; ici au contraire, il se met à sa vraie place, qui est une place tout divine, et il nie majestueusement que ces règles puissent lui être applicables. Et il donne une preuve péremptoire qu’il ne saurait en être ainsi : Car je sais… Son argumentation repose sur l’union essentielle qu’il possède avec Dieu et sur la science adéquate qu’il a de cette union. Je sais est en effet un mot très important dans ce passage : à l’ignorance de ses adversaires (voyez la fin du verset), le Sauveur oppose ses profondes connaissances, la claire évidence dans laquelle il est plongé relativement à ce qu’il est et à ce qu’il affirme. – L’objet de sa toute science est double : 1° d’où je suis venu(au passé en grec, au moment de l’incarnation), c’est son origine céleste (cf. 5, 36 ; 7, 28, 29 ; 8, 42, etc.) ; 2° et où je vais(au présent en grec ; voyez 7, 3 et le commentaire), c’est sa divine destinée : parti du ciel, il y retourne. Ce qui revient clairement à dire : Je sais que je suis Dieu. Donc, puisqu’il est Dieu, non seulement il a le droit de se rendre témoignage à lui‑même, mais personne autre que lui n’est compétent pour témoigner à son sujet. Les hommes sont rarement impartiaux quand ils sont en cause, parce qu’ils se trompent ou parce qu’ils ont intérêt à tromper ; « La lumière fait voir les autres et soi‑même. La lumière se rend témoignage à elle‑même ; elle ouvre les yeux sains ; elle est à elle‑même son propre témoin », S. Augustin, Traité sur S. Jean 35, 4. – Mais vous , vous ne savez pas… Sur les deux mêmes points, les Pharisiens étaient dans une totale ignorance, ainsi que le démontrait leur conduite à l’égard de Jésus. De quel droit essayaient‑ils donc d’invalider son témoignage ? – D’où je viens…Il n’y a qu’un instant Jésus envisageait sa venue comme un fait accompli ; maintenant qu’il la considère relativement à ses ennemis qui ne la connaissent pas, il la sépare du domaine du temps, et il en parle au présent, d’une façon toute générale. C’est aussi en se plaçant au point de vue de leur ignorance qu’il emploie la particule disjonctive ni ; car bien loin de savoir l’une et l’autre de ces deux choses ils n’ont connaissance ni de l’une ni de l’autre.
Jean 8.15. – Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. – Après avoir repoussé le jugement des pharisiens, parce qu’il était entaché d’injustice, Jésus‑Christ signale la cause de leur erreur. – Vous (encore très fortement accentué) jugez selon la chair.L’idée de connaissance (verset 14) se transforme ici en notion de jugement ; mais ce sont des idées connexes, et qui ne connaît pas juge mal. « Selon la chair » signifie, comme au chap. 7, verset 24 (voyez la note), selon les apparences extérieures, par conséquent : d’une manière toute superficielle. Prenant Jésus pour un homme ordinaire, les Juifs devaient nécessairement se tromper dès lors qu’ils prétendaient l’apprécier. – Moi je ne juge personne.Il met sa conduite en parallèle avec la leur : eux qui jugent sans savoir ; lui qui a en mains tous les éléments nécessaires pour juger, et qui cependant s’abstient.
Jean 8.16 Et si je juge, mon jugement est véridique, car je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m’a envoyé.–Et si je juge…Par cette restriction, le Sauveur indique que sa dernière parole ne devait pas être prise dans un sens absolu. Il est juge, c’est un de ses glorieux privilèges (cf. 5, 22, 27) ; mais, il n’exercera ce rôle que plus tard, car actuellement, durant sa vie terrestre, il est avant tout Rédempteur (S. Jean Chrysostome ). Ou bien avec une nuance : quoiqu’il ait le droit de juger, il ne condamne directement personne, car le jugement s’opère de lui‑même (cf. 3, 18). Ou encore, d’après le contexte, et 5, 30 : quand il juge il n’est pas seul mais son Père prononce avec lui la sentence. – Mon jugement est véridique… Mon jugement est conforme à l’idée même de la justice, à son essence. – Car je ne suis pas seul… Et pourquoi son jugement est‑il essentiellement infaillible ? C’est que ce n’est pas un simple jugement individuel, mais un jugement auquel Dieu prend part en même temps que lui : mais moi et le Père qui m’a envoyé…cf. 5, 30 et le commentaire. « Ne juge pas seul, disent les Pirké Aboth, 4, 12, car personne ne peut juger seul sinon l’unique (Dieu) ».
Jean 8.17 Il est écrit dans votre Loi, que le témoignage de deux hommes est digne de foi.–Dans votre loi.Nouvelle direction de la plaidoirie du Sauveur. Il va prouver qu’il satisfait pleinement à la loi mosaïque qui réclamait plusieurs témoins. Le pronom « votre » n’est pas le moins du monde « antinomique », comme l’ont prétendu quelques rationalistes, d’après lesquels le quatrième évangile manifesterait des tendances hostiles au Judaïsme ; mais Jésus emploie et accentue ce pronom, parce que les Juifs prétendaient toujours prendre la loi pour base quand ils dirigeaient quelque attaque contre lui, et aussi parce qu’ils attachaient tant d’importance aux prescriptions mosaïques, cf. 7, 49 ; Romains 2, 17. – Il est écrit : c’est le seul endroit où S. Jean se serve de cette formule, par laquelle les autres livres du Nouveau Testament reproduisent d’ordinaire les citations bibliques. – Le témoignage de deux hommes…Le texte hébreu de Deutéronome 17, 6, porte « de deux témoins » ; mais Notre Seigneur fait à dessein ce léger changement pour donner plus de relief à l’argument. Si le témoignage de deux hommes est vrai, combien plus le mien et celui de mon Père, c’est-à-dire le témoignage de deux personnes divines. cf. 1 Jean 5, 9.
Jean 8.18 Or, je rends témoignage de moi-même et le Père qui m’a envoyé rend aussi témoignage de moi. »– Jésus présente explicitement ses deux témoins. Le premier, c’est lui‑même : Je rends témoignage de moi-même, s’écrie‑t‑il avec une majesté divine ; le second, c’est son Père céleste, qui l’a envoyé. Jésus lui‑même, par son enseignement et par tout l’ensemble de sa vie ; Dieu le Père, par les miracles qui attestaient si visiblement la mission du Sauveur, cf. 5, 36. – Ce verset est allégué à juste titre par les théologiens pour démontrer la distinction réelle des personnes divines dans la sainte Trinité. Mais prouve‑t‑il bien la thèse de Jésus ? En effet, Notre‑Seigneur annonce deux témoins, et finalement il n’en montre qu’un seul qui remplisse les conditions de la loi, puisqu’il s’appuie de nouveau sur son propre témoignage. Aussi faut‑il admettre que l’argumentation n’a de force complètement probante que pour ceux qui croyaient à la nature supérieure de N.-S. Jésus‑Christ. Les Pharisiens avaient du reste toute facilité pour comprendre et se convaincre à leur tour ; mais ils ne voulaient pas en user.
Jean 8.19 Ils lui dirent donc : « Où est votre Père ? » Jésus répondit : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père : si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. »–Ils lui dirent donc : Où est votre père ?Quelques commentateurs anciens et modernes supposent que les Juifs, en adressant cette question, pensaient à S. Joseph, qu’ils regardaient comme le père de Notre‑Seigneur selon la chair : hypothèse qui nous paraît très improbable. Non, les Pharisiens n’ignoraient pas que Jésus faisait allusion à Dieu lui‑même ; et c’est précisément pour cela qu’ils lui demandaient d’une manière ironique : Montre‑nous ton père, car ils savaient bien qu’il ne leur montrerait pas Dieu. Remarquez les termes de la question : Où est votre père ? et non pas : Quel est votre père ? – Jésus leur répondit :Jésus ne fait pas de réponse directe à ces incrédules, et pourtant ils leur donne tous les renseignements qu’ils désirent. – Vous ne connaissez ni moi…cf. verset 14, où cette ignorance avait été déjà reprochée aux Pharisiens. Voyez aussi, 7, 28, une concession contradictoire, mais faite ironiquement et dans un autre sens. – Si vous me connaissiez…S’ils le connaissaient selon sa véritable et divine nature, ainsi qu’ils le pouvaient d’après ses œuvres (5, 36) et son enseignement (7, 16-18), alors ils connaîtraient aussi son Père. « Car, il y a entre le Père et le Fils une relation mutuelle, et, en outre, l’identité de la nature divine (10, 30 ; 14, 7, 9-10 », Corluy, h.l.
Jean 8.20 Jésus parla de la sorte dans le parvis du Trésor, lorsqu’il enseignait dans le temple et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue.– Jésus parla de la sorte…Les récentes paroles de Jésus (versets 12-19) ont une telle importance aux yeux de l’évangéliste, qu’il croit devoir, par une de ces notes rapides dans lesquelles il excelle, indiquer le lieu où elles furent prononcées. – dans le parvis du Trésor.Sur cette expression voyez Marc. 12, 41 ; Luc. 21, 2, et nos commentaires. Elle ne désigne pas ici la chambre dans laquelle étaient enfermés les trésors du temple (cf. 1 Maccabées 14,. 49 ; 2 Maccabées 3, 6, 28, etc.), mais la partie spéciale du parvis des femmes où étaient suspendus les troncs destinés à recevoir les pieuses offrandes du peuple – lorsqu’il enseignait dans le temple, cf. verset 2. Le témoignage du Sauveur eut donc toute sorte de circonstances pour le rehausser : la sainteté du lieu, un nombreux auditoire, le rôle magistral de Jésus lui‑même. – Et personne ne mit la main sur lui,refrain historique, avec un certain accent de triomphe cf. 7, 30, 44. Cependant, sous le rapport extérieur, rien de plus facile aux Pharisiens que de mettre la main sur Notre‑Seigneur. Mais de nouveau la Providence veillait à l’immunité du Christ : parce que son heure n’était pas encore venue.Voyez la note de 7, 30.
Jean 8.21 Jésus leur dit encore : « Je m’en vais et vous me chercherez et vous mourrez dans votre péché. Où je vais, vous ne pouvez venir. » – Jésus leur dit encore(personne ne l’ayant arrêté)cf. 8, 12. Sans doute dans le même lieu, et devant le même auditoire (leur), et au même jour, après une courte interruption. – Je m’en vais, et vous me chercherez.Peu de jours auparavant, Jésus avait proféré ces mots lourds de menaces. Voyez 7, 33-34 et le commentaire. Mais il les reproduit avec plus de vigueur et de netteté. Bientôt il aura disparu, car il retournera vers son Père ; et alors on le cherchera (c’est l’expression principale) dans la souffrance et dans l’agonie, comme un Sauveur vivement désiré. – Et (malgré vos recherches) vous mourrez dans votre péché.Horrible résultat, expliqué en termes clairs et positifs (au lieu de et vous ne me trouverez pas, 7, 34). Ce sera trop tard alors, le temps de la grâce étant passé, et d’ailleurs ils ne chercheront pas le Christ avec un vif sentiment de foi, mais par un sentiment de désespoir. Mourir dans le péché équivaut à mourir sans contrition et sans pardon, dans l’impénitence finale. – Où je vais, vous ne pouvez venir.Le contraste des pronoms je, vous est plus que jamais accentué, pour bien mettre en relief l’idée d’une éternelle séparation. L’emploi du temps présent indique en effet une chose fixe, qui demeure.
Jean 8.22 Les Juifs disaient donc : « Est-ce qu’il va se tuer lui-même, puisqu’il dit : Où je vais, vous ne pouvez venir ? »– Les Juifs disaient donc(à cause de cette parole qui les avait profondément irrités)… – Est‑ce qu’il va se tuer…Voyez plus haut, 7, 35, l’hypothèse analogue que la même menace du Sauveur avait occasionnée ; celle‑ci est plus méchante encore. Comme on l’a dit, ces Pharisiens travestissent odieusement l’élément le plus sublime de l’Évangile. – Puisqu’il dit : Où je vais… D’après l’enseignement des Juifs, les suicidés étaient aussi coupables que les homicides, et la partie la plus sombre de l’enfer leur était réservée : « Ceux … dont les mains insensées se sont tournées contre eux‑mêmes, le plus sombre enfer reçoit leurs âmes, et Dieu, le père commun, venge sur leurs enfants l’offense des parents » (Josèphe, Guerre des Juifs Livre 3, 8, 5). Et l’on conçoit que les Pharisiens ne voulussent pas suivre Jésus jusque là.
Jean 8.23 Et il leur dit : « Vous, vous êtes d’en bas, moi, je suis d’en haut, vous êtes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce monde.– Et il leur dit. Jésus ne répond pas à ce grossier sarcasme, et il garde son calme majestueux ; mais il rétablit, par une antithèse saisissante, la vérité des faits. C’est pour des causes bien différentes de celle qu’ils ont indiquée que ses ennemis seront incapables de le suivre. – Première cause : la diversité d’origine. Eux et lui appartiennent à des sphères totalement distinctes. Ils sont, eux, d’en bas, et terrestres comme le lieu si bas si vil, si corrompu de leur origine, cf. 3, 6. Il est, lui, d’en haut, et aussi élevé au‑dessus d’eux que le ciel l’est au‑dessus de la terre, cf. 3, 31. – Deuxième cause : la diversité non moins saillante de leurs natures morales. Eux, ils sont de ce monde, et presque partout dans le quatrième évangile cette expression est prise en mauvaise part, pour marquer l’éloignement de Dieu, le siège et le centre du péché. Lui au contraire, il n’a rien de commun avec le monde : je ne suis pas … ; il y a plutôt entre le monde et lui une guerre à outrance.
Jean 8.24 C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés, car si vous ne croyez pas que je suis le Messie, vous mourrez dans vos péchés. »– Je vous ai dit(cf. verset 21) : à cause de leur origine et de leur nature si mauvaises, ils ne pourront échapper au péché, et ils mourront impénitents. – vous mourrez dans vos péchés. Plus haut nous lisions le singulier dans votre péché, parce que Jésus considérait le péché collectivement dans son affreux ensemble ; ici, le pluriel exprime les manifestations diverses du crime, ses actes spéciaux individualisés dans chaque homme. – Car si vous ne… Notre‑Seigneur explique sa pensée. Il n’était que trop en droit de parler comme il venait de le faire, car il ne restait à ses ennemis qu’une seule ressource pour obtenir le pardon de leurs péchés, et ils semblaient si peu disposés à en profiter. – si vous ne croyez pas que je suis le Messie. Cette unique ressource, c’était la foi à son caractère messianique.
Jean 8.25 « Qui êtes-vous ? » lui dirent-ils. Jésus leur répondit : « Absolument ce que je vous déclare. – Ils lui dirent : Qui êtes‑vous ?Ils durent appuyer avec dédain sur le pronom « vous ». Toi qui fais dépendre la rémission des péchés et le salut éternel de la croyance en ta mission, qui es‑tu donc ? – Jésus leur répondit : « Absolument ce que je vous déclare.Maldonat : « Je suis celui que je vous ai dit être, depuis le début ; que je vous dis toujours, que je vous ai toujours dit : le Christ ». Tholuck et d’autres se rangent à cette interprétation, dont on peut rapprocher le passage analogue de Plaute, Captiv. 3, 4, 91 : « Qui est donc celui‑ci ? Celui que je t’ai dit dès le début ». Autre interprétation : S. Cyrille, et fin XIXème siècle Fritzsche, Stier : « Je suis, depuis le début des choses, de la nature que je déclare être ». Autre interprétation : « Je suis tout à fait cela même que je déclare ». Comme si Jésus disait : Vous me demandez qui je suis. Mais rien de plus facile à connaître. Écoutez ma parole ; elle me révèle absolument, car je suis tout ce que renferment mes propres discours : ma personne est identique à ma doctrine. Ainsi donc, « il en appelle à ses témoignages comme à l’expression adéquate de son être. Ils n’ont qu’à sonder la série de ses déclarations sur lui‑même ; ils y trouveront l’analyse complète de son essence et de sa mission », Godet, h. l.
Jean 8.26 J’ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous, mais celui qui m’a envoyé est véridique et ce que j’ai entendu de lui, je le dis au monde. » – Après avoir ainsi nettement répondu à la question de ses adversaires, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ revient sur son assertion du verset 24, afin de légitimer le droit qu’il avait d’adresser aux Juifs de sévères reproches. – J’ai beaucoup de choses…en avant et au pluriel. Ce n’est seulement pas pour une chose, mais pour des fautes multiples qu’il peut les blâmer. – À dire de vous et à condamner en vous.Le second verbe explique le premier et en détermine le sens exact : parler d’eux, c’est les condamner aussitôt, tant leur conduite est manifestement coupable. – La particule adversative mais n’est pas sans quelque obscurité dans ce passage. D’après le sens le plus probable, Jésus opposerait vivement et fortement à l’incrédulité des Juifs le témoignage véridique de Celui qui l’a envoyé, par conséquent sa propre vérité. Même quand je parle contre vous je suis véridique, comme mon Père dont je consulte constamment la pensée . – Ce que j’ai entendu de lui, je le dis.Le pronom grec correspondant à ce que est très emphatique. Ce que j’ai vu, et seulement cela. – Je le dis au monde.Par cette dernière expression Notre‑Seigneur relève de nouveau l’universalité de son enseignement ; il prêche pour le monde entier et pas seulement pour les Juifs, cf. Matth. 28, 19-20. « Monde » n’est pas pris ici en mauvaise part, comme au verset 23.
Jean 8.27 Ils ne comprirent pas qu’il leur parlait du Père. – Douloureuse réflexion de l’évangéliste. Malgré tant de preuves ils ne comprirent pas, aveugles volontaires qu’ils étaient. – Qu’il leur parlait du Père.Court et saisissant commentaire de S. Jean : lorsque Jésus parlait de celui qui l’avait envoyé, il désignait clairement Dieu, dont il procédait par une génération éternelle.
Jean 8.28 Jésus donc leur dit : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez qui je suis et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ce que mon Père m’a enseigné. – Jésus donc leur dit.Parce que les Pharisiens n’avaient pas reconnu à son langage sa nature et sa mission divines, Jésus va leur indiquer des événements prochains qui leur dessilleront les yeux. – Lorsque vous aurez élevé…Nous avons vu plus haut (3, 14 ; voyez le commentaire, et comparez aussi 12, 32-33) que le Sauveur désigne par ce verbe son exaltation sur la croix. Il attribue sa mort aux chefs Juifs, dont elle fut l’œuvre en réalité, les Romains n’ayant joué dans le crucifiement de Jésus que le rôle de bourreaux secondaires, cf. Actes 3, 13-35. – Alors vous connaîtrez…met en contraste la science future des Pharisiens avec leur ignorance présente. – qui je suis: que je suis le Messie, le Fils de Dieu, cf. verset 24. Notre‑Seigneur désigne‑t‑il ici une connaissance pratique, basée sur la foi, en d’autres termes une conversion réelle ? Beaucoup d’exégètes l’ont admis, et ils allèguent le passage Luc 23, 48, où l’on voit en effet quelques Juifs croire en Jésus‑Christ immédiatement après sa mort ; mais il nous semble plus conforme à l’ensemble du contexte de laisser au verbe « connaître » sa signification générale : Malgré vous, et forcés par les événements, vous reconnaîtrez alors qui je suis, cf. 7, 33, 34 ; 8, 21. je ne fais rien de moi-même. – La fin du verset, de moi‑mêmedépend encore de connaîtrez– Je ne fais riencf. 5, 19. Nouvelle preuve de l’entière conformité qui existe entre la manière d’agir du Christ et celle de Dieu son Père. – Mais je dis ce que mon Père m’a enseigné, cf. 7, 16. « Ce que » est en corrélation avec « selon », et fortement accentué, comme au verset 26. De ses actes, accomplis en union avec Dieu, Jésus revient à sa prédication qui reflète intégralement la pensée divine. Mais il y a plus encore, ainsi que l’exprime si bien S. Augustin, Traité 40, 5 : Pour le Fils, être et savoir sont une seule et même chose : il tient donc la science de celui de qui il tient l’existence : il n’en a pas reçu, d’abord l’être, et ensuite le savoir ; mais, en l’engendrant il lui a communiqué la science, de la même manière qu’en l’engendrant il lui a communiqué l’existence ».
Jean 8.29 Et celui qui m’a envoyé est avec moi et il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît. »– Quelques commentateurs rattachent encore ce verset au verbe connaîtrez (verset 28) ; il est plus simple de commencer ici une nouvelle phrase. – Celui qui m’a envoyé… Le premier hémistiche (jusque après seul) concerne, d’après la majorité des anciens exégètes, l’union toute divine qui ne cessa d’exister entre le Père et le Verbe incarné. Même après les humiliations de ma naissance humaine, est avec moi, s’écrie le Logos en parlant de son divin Père : rien n’est changé dans nos relations intimes. – Il ne m’a pas laissé seul: la séparation que l’Incarnation semble avoir établie entre Dieu et son Fils n’est en effet qu’apparente. – Parce queintroduit la démonstration d’un autre genre d’union, l’union que Jésus en tant qu’homme a perpétuellement avec Dieu. – Je fais toujours ce qui lui plaît.Notre‑Seigneur dut appuyer sur tous les mots ; car ils ont tous ici une grande énergie, surtout fais toujours à la fin de la phrase. Quand on fait toujours ce qui plaît à quelqu’un, qu’on accomplit sa volonté dans les plus petits détails, cela ne prouve‑t‑il pas la plus parfaite harmonie ? Lebrun, dans son suave tableau de l’intérieur de Notre Seigneur Jésus‑Christ, composé sous la direction de M. Olier, a traduit admirablement cette pensée de jésus.
Jean 8.30 Comme il disait ces choses, beaucoup crurent en lui. – Comme il disait ces choses,et en vertu même de ses paroles. Le narrateur, qui avait mentionné quelques lignes plus haut un résultat bien triste, verset 27, en signale maintenant un second, de tout autre nature : beaucoup crurent en lui.Il use de l’expression la plus forte pour marquer la foi (voyez le verset suivant). Partout, dans cet évangile, on voit la double catégorie des croyants et des incrédules relativement à Notre Seigneur Jésus‑Christ, cf. Préface § 5.
Jean 8.31 Jésus dit donc aux Juifs qui avaient cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples,– Jésus dit donc…Malgré l’avis contraire de divers commentateurs, nous ne voyons pas de raison suffisante pour admettre ici un changement de temps ou de lieux. C’est la suite d’un seul et même épisode, cf. versets 2 et 12 . – Aux Juifs qui avaient cru en lui.Quoique légère, cette modification de la formule est significative, car c’est l’indice d’une foi moins énergique, cf. verset 30. Notez en outre le nom de Juifs donné à des hommes devenus croyants ; on ne trouve nulle part ailleurs cette association qui équivaut presque, dans le quatrième évangile, à « une contradiction dans les termes » (Plummer), puisque les croyants sont des amis de Jésus, tandis que, pour S. Jean, les « juifs » sont habituellement ses adversaires les plus acharnés. Du reste, dans toute la suite de l’entretien, ces Juifs devenus fidèles traitent Jésus en ennemi. Ils différaient donc des beaucoup mentionnés au verset précédent. En réalité ils avaient commencé à croire, mais ils retenaient encore la plupart de leurs anciens préjugés ; ils étaient tout ensemble des chrétiens et des Juifs, et c’est ce que l’évangile a ainsi délicatement exprimé. Notre Seigneur Jésus‑Christ essaie d’élever plus haut leur foi ; mais elle fléchit presque aussitôt et se brise, ne pouvant supporter l’épreuve à laquelle il la soumettait. – Si vous demeurez…La conjonction grecque indique que Jésus veut leur imposer une condition. Leur foi n’était qu’à son début, et, en cette matière, « il ne suffit pas de commencer » (Bengel) car tout dépend de la persévérance. A une émotion passagère le divin Maître oppose donc ce qu’il appelle d’une manière énergique et pittoresque « demeurer dans sa parole », y établir en quelque sorte un domicile perpétuel. L’expression est tout à fait dans le style du quatrième évangile (Préface, § 6, 2). – Dans ma parole.(avec emphase sur le pronom grec : « la doctrine qui est mienne »). La parole de Jésus a été la base de leur foi naissante, il faut qu’elle le demeure toujours. Voyez, 5, 38, une pensée analogue, avec un renversement des expressions : « vous n’avez pas sa parole demeurant en vous ». – Cette condition étant remplie, vous êtes vraiment mes disciples.Le mot « vraiment » est visiblement le mot principal : en toute vérité, d’une façon sérieuse, et pas seulement en apparence. Dans le grec, le verbe est au présent (de même dans quelques manuscrits de l’Itala) ; dès cet instant vous êtes des disciples parfaits, si vous êtes décidés à prendre totalement pour guide ma parole infaillible.
Jean 8.32 vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » – Autre avantage que leur procurera la doctrine de Jésus acceptée avec foi, pratiquée avec obéissance : vous connaîtrez la vérité… Ces hommes connaissaient déjà la vérité révélée dans l’Ancien Testament, mais c’était une vérité imparfaite ; de là l’emploi de l’article grec pour marquer la vérité complète, essentielle, qui est contenue dans l’enseignement de Jésus, ou plutôt qui est Jésus lui‑même, cf. verset 36 ; 14, 6. Nous aimons en effet à voir ici, à la suite de S. Cyrille et de S. Jean Chrysostome, la vérité concrète et vivante, plutôt que la vérité abstraite, envisagée en général (S. Augustin, Bède le Vénérable, Rupert de Deutz, etc.). – Et la vérité vous rendra libres.Les heureux effets vont se multipliant, grandissant. C’est le quatrième qui est mentionné depuis le verset 31 : le début de la foi, la croyance affermie qui demeure, le progrès dans la connaissance de la vérité, une sainte et glorieuse liberté. Bientôt (versets 34-36) nous apprendrons plus complètement en quoi consiste la liberté promise par Jésus comme une récompense de la foi.
Jean 8.33 Il lui répondirent : « Nous sommes la race d’Abraham et nous n’avons jamais été esclaves de personne, comment dites-vous : Vous deviendrez libres ? – Ils lui répondirent…Le sujet clairement indiqué par le récit est les Juifs qui avaient cru en lui du verset 31. Ces disciples imparfaits sont déjà blessés par la réflexion cependant si encourageante du Seigneur Jésus. La vérité vous délivrera. Ils n’étaient donc pas libres, d’après lui. Cela suffit pour surexciter leur orgueil national, et faire reprendre le dessus aux sentiments hostiles qu’ils venaient à peine de dominer et de refouler. – Le lecteur supposera aisément avec quelle fierté ils durent s’écrier : Nous sommes les descendants d’Abraham; fierté jusqu’à un certain point légitime, puisque Abraham et sa descendance avaient été particulièrement bénis du ciel. – Ils ajoutent, en accumulant les négations : et (en conséquence de notre glorieuse naissance) nous n’avons jamais été esclaves de personne.Ils croient que Jésus leur parle de liberté sous le rapport politique, et la servitude politique n’était‑elle pas incompatible avec leur titre de descendants d’Abraham ? Mais, comme la passion les aveugle de nouveau (cf. 7, 52), et quel pouvoir illimité a l’esprit humain de se faire illusion. Ils oubliaient tout à la fois l’esclavage de leurs pères en Égypte, l’oppression si humiliante que les Philistins et les Cananéens avaient fait sentir à Israël au temps des Juges, la captivité de Babylone, le joug des Grecs, et surtout le joug de Rome, qui en ce moment même pesait si douloureusement sur leurs têtes. « La Judée fut la partie la plus méprisable des esclaves des Assyriens, des Mèdes et des Perses », écrit d’eux Tacites avec une mordante ironie, Hist. lib. 5. Voilà bien ces hommes dont l’historien Josèphe disait à son tour, Ant. 18, 1, 6 : « Ils ont une passion inébranlable pour la liberté, et ils maintiennent que Dieu est leur seul gouverneur et maître ». C’était un principe de l’école pharisaïque que « tous les Israélites sont des enfants de rois » (Sabbath, f. 67, a), et aujourd’hui encore, chaque Israélite répète à sa prière du matin cette bénédiction : « Soyez loué (Seigneur) de ce que vous ne m’avez pas créé esclave ». L’erreur historique où tombaient alors les interlocuteurs de Jésus a paru impossible à quelques exégètes modernes (Tholuck, J. P. Lange, etc.) ; aussi a‑t‑on pensé qu’ils songeaient seulement à revendiquer la liberté de droit, en vertu de laquelle ils demeuraient un peuple libre malgré les circonstances extérieures, et pas la liberté de fait ; mais cette interprétation est forcée et peu rationnelle. – Comment dites‑vous …Le souvenir de sa parole les révolte. Ne sommes‑nous pas libres suffisamment ?
Jean 8.34 Jésus leur répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque se livre au péché est esclave du péché.– Jésus leur répondit…Non, ils ne le sont pas, dira Jésus dans sa réponse (versets 34-36), et il le démontrera clairement. – En vérité, en vérité je vous le dis. Par cette formule solennelle, qui équivaut à un serment (« ces paroles sont un jurement », S. Augustin d’Hippone, Traité sur S. Jean 41, 3), le Sauveur amène ses auditeurs au vrai point de vue de la question. Ils pensent à un esclavage politique, tandis qu’il pensait, lui, à des chaînes autrement honteuses et lourdes. – Quiconque se livre au péché. Expression opposée à « faire la vérité » (3, 21), et à « faire la justice » (1 Jean 2, 29 ; 3, 7). Quiconque est accentué : tout homme sans exception, fût‑il Israélite. La tournure grecque, « commettant », désigne très bien l’habitude du péché, une vie passée dans le mal. – Est esclave du péché.C’est là le plus dégradant de tous les esclavages, cf. Proverbes 5, 22 ; Romains 6, 16 et ss. ; 7, 14 et ss. ; 2 Pierre 2, 19. « O la misérable servitude. Le plus souvent, quand les hommes ont de méchants maîtres, ils cherchent à se vendre : non qu’ils ne veuillent avoir aucun supérieur, mais parce qu’ils désirent en changer. Mais l’esclave du péché, quelle ressource a‑t‑il à sa disposition ? Qui peut‑il appeler à son secours ? Devant qui porter ses plaintes ? A quel maître se vendre ? Parfois, l’esclave d’un homme, fatigué des exigences exorbitantes de son maître, trouve le repos dans la fuite. Mais où peut fuir l’esclave du péché ? Partout où il dirige sa course, il se trouve avec lui. Une conscience mauvaise n’échappe jamais à elle‑même… », S. Augustin d’Hippone, Traité sur S. Jean 41, 4). Vérité si manifeste, que les païens eux‑mêmes l’ont souvent et énergiquement exprimée. « D’autant de maîtres que de vices », disait un proverbe romain. « Seul est libre celui qui n’est soumis à aucune domination, et qui n’est l’esclave d’aucune cupidité », Cicéron.
Jean 8.35 Or, l’esclave ne demeure pas toujours dans la maison, mais le fils y demeure toujours.– Quand on est tombé dans cette misérable servitude, il reste pourtant un espoir de délivrance, qui n’est autre que Jésus lui‑même (versets 35-36). Notre Seigneur énonce cette consolante vérité, d’abord au moyen d’un fait général qui sert de transition (verset 35), puis par une application directe de ce fait (verset 36). – Le fait consiste en un exemple emprunté à la vie civile : Or l’esclave… C’est-à-dire, tout esclave en général, et pas seulement l’esclave du péché. – Ne demeure pas toujours dans la maison…cf. 14, 2 ; Hébreux 3, 6. Sans droits reconnus, les esclaves étaient complètement livrés aux caprices de leurs maîtres, qui pouvaient les donner, les vendre, les échanger, les expulser quand bon leur semblait. Pas de domicile permanent pour ces malheureux. – Mais le fils…Tout fils en général, par opposition à l’esclave. Ce serait une erreur de restreindre ici l’expression, pour ne l’appliquer qu’au Fils de Dieu. – Y demeure toujours.En sa qualité d’héritier, le fils demeure toute sa vie dans la maison paternelle. Et c’est ainsi que s’étaient passées les choses sous la tente d’Abraham lui‑même, pour Isaac, le vrai fils, et pour Ismaël, l’enfant de l’esclave, cf. Genèse 21, 10 et ss. ; Galates 4, 22-31.
Jean 8.36 Si donc le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres.– Jésus applique maintenant à sa propre personne et aux Juifs cette vérité universelle. – Si donc (déduction) le fils vous affranchit.Ici, nous croyons qu’il est préférable de ne voir dans « le fils » que Notre Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu par conséquent, l’auteur unique de toute émancipation morale. – Vraiment.Fortement accentué, oppose la vraie liberté à celle que les Juifs se vantaient si faussement de posséder (verset 33). « Liberté pleine et parfaite », dit S. Augustin. Au lieu de l’adverbe grec qu’il emploie si fréquemment, S. Jean se sert ici de « réellement », cf. Luc. 23, 47 ; 24, 34 ; 1 Timothée 5, 3, 5 et 15. – Serez … libres.Des « affranchis » dans la plus noble des significations. « En effet, la loi de l’esprit de vie t’a libéré dans le Christ Jésus de la loi du péché et de la mort », Romains 8, 2.
Jean 8.37 Je sais que vous êtes enfants d’Abraham, mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne pénètre pas en vous.– Jésus revient à l’objection de ses interlocuteurs (verset 33), pour la réfuter encore d’une autre manière. Laissant de côté les notions corrélatives de liberté et d’esclavage dont il avait fait un si frappant usage (versets 31-36), il passe à l’idée connexe de filiation. Par une série d’arguments irréfutables, il démontre aux Juifs de plus en plus irrités que, bien loin d’être les enfants d’Abraham et de Dieu, ils sont au contraire les fils du démon, versets 37-47. – Je sais que vous êtes enfants d’Abraham. Jésus leur concède ce privilège, mais uniquement sous le rapport extérieur, et dans le sens étroit auquel ils s’arrêtaient eux‑mêmes. Soit, vous êtes, historiquement et naturellement, les descendants d’Abraham ; mais vous n’êtes pas plus que cela. « Pour être postérité d’Abraham, ils n’en sont pas tous les enfants », Romains 9, 7. – Mais…Le Sauveur fait immédiatement une grave restriction. La preuve que vous n’êtes pas les vrais fils d’Abraham, c’est que vous cherchez à me faire mourir, cf. 7, 1, 25, 30, 32, etc. Et Jésus indique le motif de leur haine cruelle et homicide :parce que ma parole ne pénètre pas en vous.Littéralement : « ma parole ne prend pas en vous », comme nous disons en français ; mais la locution équivalente du grec a plus de force encore, le verbe signifiant plutôt « pénétrer ». Donc, « mon langage ne fait pas de progrès en vous ». La divine doctrine est en effet un germe déposé dans les cœurs, pour qu’il y croisse à la façon du sénevé dont Notre Seigneur Jésus‑Christ raconte ailleurs l’intéressante histoire.
Jean 8.38 Moi je vous dis ce que j’ai vu chez mon Père et vous, vous faites ce que vous avez vu chez votre père. » – Et pourquoi les Juifs, après avoir reçu la parole du Sauveur (verset 31), ne lui laissaient‑ils pas gagner en eux le moindre espace ? C’est à cause de la différence fondamentale qui régnait entre eux et Jésus‑Christ. Remarquez, dans ce verset et les suivants, l’opposition perpétuelle et saisissante des pronoms « je » et « vous », déjà mentionnée antérieurement, et le fréquent parallélisme, soit des pensées, soit des expressions. – Moi, je vous dis ce que j’ai vu chez mon Père, désignerait collectivement toutes les choses saintes, et sublimes, et parfaites, que Jésus contemplait auprès de son Père céleste, réunies dans une adorable unité. – Ce que j’ai vuConcept tout à fait caractéristique du quatrième évangile, cf. 3, 11, 32 ; 5, 19.- Je dis : il proclamait cela et seulement cela, ainsi qu’il l’a déjà dit à plusieurs reprises, cf. 5 et 7, en plusieurs endroits. – Vous,antithèse pleine de vie. – Vous faites ce que vous avez chez en votre père.La multiplicité des choses mauvaises qu’ils ont contemplées à leur tour auprès de leur père. Ceux des Juifs qui étaient assoiffés de domination charnelle, matérielle, sur les païens et refusaient de reconnaître le Messie, avaient le démon pour père ; ils avaient entendu ses suggestions malsaines. – Vous faites.Est aussi un changement notable. En parlant de lui‑même, Jésus avait dit : je déclare et j’annonce ce que je vois auprès de mon Père ; car la prédication formait la partie centrale de sa vie publique. Maintenant il fait allusion aux œuvres malignes et perfides de ses ennemis : voilà pourquoi il dit : vous faites. – Quelques auteurs anciens et modernes traitent le verbe faire comme un impératif, ce qui est possible grammaticalement ; dans ce cas c’est Abraham qui serait désigné par Jésus comme un modèle : Vous aussi, imitez votre Père et ses œuvres excellentes. Mais le contexte (cf. verset 44) montre que Jésus avait en vue le démon comme le père de ces Juifs là au point de vue moral [nous nous opposons à toute interprétation antisémites des Évangiles]. « Un peu auparavant, il a parlé d’Abraham, mais comme source de leur existence charnelle, et non comme modèle de leur vie spirituelle ; il nommera leur autre père, celui qui ne les a pas engendrés, celui qui ne les a pas faits hommes, mais dont ils étaient les fils, sinon en tant qu’hommes, du moins en tant qu’hommes méchants ; sinon en tant que sa descendance, du moins en tant que ses imitateurs. » S. Augustin, Traité 42, 2 sur S. Jean.
Jean 8.39 Ils lui répondirent : « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit : « Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham. – Ils lui répondirent. Ils ont compris que Jésus a parlé d’un père différent d’Abraham ; mais, n’ayant pas d’autre réponse à donner, ils se contentent de réitérer leur première assertion (verset 33), en insistant sur leur glorieuse origine : Notre père, c’est Abraham. – Jésus leur dit.Le Sauveur aussi revient sur son affirmation antérieure (verset 37), pour la développer et la mieux démontrer. Sa parole revêt ici la forme d’un vrai syllogisme, dont le verset 39 contient la majeure, et le verset 40 la mineure. Les enfants d’Abraham doivent agir comme ce saint patriarche ; or, vous cherchez à me donner la mort, ce qu’Abraham n’eût jamais fait… – Si vous étiez enfants d’Abraham(plus haut, versets 33 et 37, nous lisions « semen : semence »), vous feriez les œuvres d’Abraham. Tel père, tel fils. C’est du moins ce qui devrait être, quand le père est si recommandable qu’Abraham l’avait été. Jésus rappelle aux Juifs ce principe moral, pour en tirer une triste conclusion.
Jean 8.40 Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Ce n’est pas ce qu’a fait Abraham. Vous faites les œuvres de votre père. » – Mais maintenant…De ce bel idéal qu’il vient de leur proposer, Notre‑Seigneur passe à la réalité des choses, qui contrastait si vivement avec la conduite du père des croyants : vous cherchez à me faire mourir. – Et pour établir leur crime dans un relief plus saisissant encore, il indique l’unique raison qui a suscité contre sa propre personne leur haine mortelle : moi, un homme qui vous ai dit la vérité.Voilà tout son crime ; il leur a dit la vérité en toute franchise. – Et cette vérité qui aurait pu leur faire tant de bien, elle était aussi sainte qu’authentique dans sa source : que j’ai entendue de Dieu. Il y a une forte gradation dans ce reproche : Vous, les prétendus fils d’Abraham, me tuer, moi qui vous dis la vérité, la vérité que j’ai puisée en Dieu. « Elle monte la prière, elle monte de plus en plus », Grotius. Remarquez aussi l’expression si humble, ἄνθρωπον, « homme », par laquelle Jésus définit l’un des côtés de sa nature ; c’est l’unique fois qu’il parle ainsi de lui . – Celaest en avant d’une manière très emphatique : ce meurtre de la pire espèce. – Abraham (votre père.) ne l’a pas fait.Quelle énergique litote. Abraham n’a pas été homicide. Vous faites les œuvres de votre père. – Vousest également très accentué : vous qui prétendez être les fils d’Abraham, mais qui ne l’êtes pas en réalité. – Faites les œuvres de votre père. Leur vrai père, en effet, c’est le démon, comme Jésus l’a déjà insinué, verset 38, et comme il va le déclarer plus formellement encore, verset 44.
Jean 8.41 Ils lui dirent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution, nous avons un seul Père, qui est Dieu. » – Ils lui dirent. Ils parlent avec une indignation croissante, car ils soupçonnent maintenant quel est le père dont l’on prétend qu’ils descendent au moral. Eux aussi, ils se mettent à tenir un langage figuré, et ils ne revendiquent plus seulement Abraham, mais Dieu lui‑même, pour père. – Nous ne sommes pas nés de la prostitution… Il n’existe pas le plus léger motif de supposer qu’il y avait, sous cette vive dénégation, une accusation tacite et ignoble lancée contre Notre Seigneur Jésus‑Christ. Le secret de sa naissance miraculeuse avait été admirablement gardé, et tout le monde lui donnait S. Joseph pour père (cf. Luc. 4, 22 et parall.) ; plus tard seulement, quand ils eurent entendu parler de son incarnation, les Juifs inventèrent cette grossière injure qu’ils ont si souvent répétée, cf. Origène, Contr. Cels. 1, 32. D’après le contexte, les interlocuteurs de Jésus prennent ici prostitution comme synonyme d’idolâtrie, acception que ce mot a si fréquemment dans l’Ancien Testament, cf. Exode 34, 15-16 ; Lévitique 17, 7 ; Juges 2, 17 ; 2 Rois 9, 22 ; Ps. 72, 27 ; Isaïe 1, 21 ; Jérémie 3, 1, 9, 20 ; Ézéchiel 16, 15, et surtout Osée 2, 4, 5. – Nous avons un seul père, Dieu.Dans le grec, avec l’article, l’unique vrai Dieu. Noble prétention, et fondée jusqu’à un certain point, ainsi que le prouvent les passages Deutéronome 32, 6 ; Isaïe 23, 9 ; 64, 8 ; Malachie 2, 19, où Dieu daigne lui‑même s’appeler le père d’Israël.
Jean 8.42 Jésus leur dit : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens et je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé. – Et pourtant Jésus doit la détruire encore, de même qu’il a renversé la première. La preuve très catégorique qu’ils ne sont pas les fils de Dieu, c’est qu’ils ne l’aiment pas, lui qui est le « Fils de Dieu » par antonomase, cf. 15, 23 ; 1 Jean 5, 1. – Vous m’aimeriez: il leur serait impossible de n’avoir pas ce sentiment au plus profond de leur cœur, car l’amour règne entre les enfants d’un même père (c’est de Dieu que je suis sorti). – Je suis sorti et que je viens. Locution solennelle, qu’on ne retrouve qu’une autre fois dans la bible, 16, 28. Le premier verbe exprime l’origine divine de Jésus‑Christ ; le second, son apparition historique en tant qu’Homme‑Dieu. S. Augustin en donne un très beau commentaire : « Il en est donc venu comme Dieu, comme son égal, comme son Fils unique, comme Verbe du Père ; et le Verbe est venu vers nous ; parce qu’il s’est fait chair pour habiter parmi nous. Son avènement, c’est son humanité ; sa permanence ; c’est sa divinité », Traité sur S. Jean, 42, 8. – Je ne suis pas…Jésus explique plus complètement sa venue mystérieuse en ce monde : elle est divine tout aussi bien que sa nature, car ce n’est pas de lui‑même qu’il est venu. – C’est lui qui m’a envoyé.Notre‑Seigneur se présentait donc à la fois comme le Fils et comme l’ambassadeur du Très‑Haut.
Jean 8.43 Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez entendre ma parole. – Les choses étant ainsi, demande‑t‑il maintenant à ses auditeurs, pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ?L’équivalent grec de « langage », désigne le langage considéré dans son expression extérieure, cf. 4, 42 ; Matth. 26, 73 (« Certainement tu es aussi de ces gens‑là car ton accent te fait reconnaître. »), etc. – Comment donc ne reconnaissent‑ils pas l’accent tout divin de Jésus ? Il va le leur dire lui‑même : Parce que vous ne pouvez…Simple impossibilité morale, assurément, et dont ils sont entièrement responsables. « Ils ne peuvent pas parce qu’ils ne veulent pas », S. Jean Chrysostome. – Entendre ma parole.L’organe de l’ouïe mystique leur manque, et ils ne comprennent pas la prédication du Sauveur.
Jean 8.44 Le père dont vous êtes issus, c’est le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été homicide dès le commencement et n’est pas demeuré dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, car il est menteur et le père du mensonge. – Jésus‑Christ finit par dire ouvertement à ses interlocuteurs juifs ce qu’il leur avait laissé entrevoir d’une manière implicite aux versets 38 et 41 : ils ne sont ni enfants d’Abraham, ni enfants de Dieu, mais fils du démon. – Le père dont vous êtes issus, c’est le diable.Le langage n’est pas moins expressif que la pensée. On ne pouvait adresser à des descendants d’Abraham, à des membres de la nation théocratique, un blâme plus sévère, cf. 1 Jean 3, 8, 10. Le gnostique Héracléon, voulant trouver ici un appui pour son système, rattacha autrement le second génitif au premier, de manière à pouvoir traduire : Vous descendez du père du diable ; d’où il concluait que les Juifs et le démon n’avaient pas été créés par Dieu, mais par le mauvais principe. Nous n’aurions rien dit de cette aberration étrange, si un rationaliste, Hilgenfels, ne l’eût rééditée, cf. Die Evangelien nach ihrer Entstehung und geschicht. Bedeutung, 1854, p. 289. – Et par suite. Jésus rattache naturellement leur conduite à leur origine : celle‑ci est la meilleure explication de celle‑là. – Vous voulez accomplir les désirs de votre père : les passions violentes ; spécialement, d’après le contexte, la haine homicide et l’envie.Les Juifs ne se contentent pas d’agir à l’instar du démon leur père ; ils l’imitent avec un plein consentement : ses exemples funestes ont toute leur sympathie – Il a été homicide (expression grecque qu’on ne rencontre nulle part ailleurs) dès le commencement.C’est-à-dire, dès l’apparition de l’homme sur la terre, aussitôt que l’homicide fut possible. Le démon, en effet, par ses insinuations perfides, a causé la désobéissance d’Adam et d’Eve, d’où est résultée la mort pour tout le genre humain, cf. Genèse 3 ; Sagesse 2, 23-24 ; Romains 5, 12 ; Apocalypse 12, 9 ; 20, 2. Les écrits rabbiniques sont pareillement remplis de cette idée : « L’antique serpent, qui a tué Adam », Sohar Chadasch. Etc. Aussi est‑ce à tort qu’on a parfois appliqué ce dire de Jésus au meurtre de Caïn, cf. 1 Jean 3, 12. Notez l’imparfait de la continuité : l’homicide a toujours fait partie de la nature morale de Satan. Un rapprochement se fait de lui‑même : il n’est pas étonnant que les fils du démon entretiennent aussi des désirs meurtriers, cf. verset 40. – Et n’est pas demeuré dans la vérité(sans article dans le grec). Autre trait caractéristique du diable : il ne s’est pas tenu ferme dans la sphère de la vérité. Ces mots contiennent une allusion évidente à la chute de Satan, comme l’admettent tous les commentateurs catholiques, cf. Jude, v.6. Du reste, tout ce passage est justement classique en théologie : Notre Seigneur Jésus‑Christ n’a rien dit de plus net ni de plus formel sur le chef des démons. – Parce qu’il n’y a pas de vérité (encore sans article : il n’y a pas de vérité) en lui.C’est la même pensée, exprimée en termes positifs et plus énergiques. – Lorsqu’il profère le mensonge…Jésus tire la conséquence des paroles qui précèdent. Un être qui est sorti de la vérité, ment d’une façon perpétuelle, et, quand il ment, il est tout à fait dans son rôle : il dit ce qu’il trouve en lui‑même(expression grecque très forte) cf. 1, 11 ; 2 Corinthiens 3, 5. – Car il est menteur et le père du mensonge.Cette répétition de la même pensée a quelque chose de saisissant.
Jean 8.45 Et moi, parce que je vous dis la vérité, vous ne me croyez pas. – Du père, Jésus‑Christ revient aux enfants, qui ne valaient guère mieux. – Et moi,est une antithèse emphatique. – Quand je dis la vérité, vous ne me croyez pas.Remarquez le ton tragique. D’ordinaire, on croit un homme véridique ; mais les Juifs, fils du menteur par excellence, refusaient naturellement toute créance à Jésus, quoique tout attestât sa véracité.
Jean 8.46 Qui de vous me convaincra de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? – Absolument et fièrement, Notre‑Seigneur proteste contre leur manière d’agir, et il revendique un privilège que personne autre n’a jamais songé à s’arroger. – Qui de vous me convaincra de péché ? Qui d’entre vous pourra prouver que j’ai péché ? Défi vraiment divin et quoique Jésus eût en face de lui des ennemis si acharnés, aucun d’eux n’osa relever le gant. Et pourtant, sa vie était publique et connue de tous. « Jour et nuit, dans les situations les plus diverses, on pouvait l’observer et l’épier, ce que ses adversaires ne manquèrent pas de faire ; malgré cela, personne ne pouvait le convaincre d’un seul péché… En d’autres circonstances, ils l’avaient accusé, mais par derrière, d’être un gourmand, un violateur du sabbat et un révolutionnaire. Pourquoi donc en ce moment aucun de leurs anciens griefs ne leur vint‑il à l’esprit ? C’est qu’ils n’osaient le faire en face même de Jésus, auquel il aurait été si facile de retourner leurs accusations contre eux avec une puissance écrasante ». Schegg, h. l. Il faut laisser au mot « péché » toute son étendue : on enlèverait à la pensée presque toute sa force si on le restreignait au mensonge. – Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Pourquoi le traiter, lui si saint et si divinement parfait, comme le dernier des menteurs ? Voyez, 7, 18, la connexion intime qui existe entre l’innocence et la vérité, le mensonge et le péché.
Jean 8.47 Celui qui est de Dieu entend la parole de Dieu, c’est parce que vous n’êtes pas de Dieu que vous ne l’entendez pas. » – Après une courte pause, durant laquelle il attendit vainement leur réponse, Jésus reprit, se chargeant d’indiquer lui‑même le vrai motif de leur conduite si indigne à son égard : Celui qui est de Dieu,Celui dont l’être tout entier dérive de Dieu ; c’est-à-dire, le Sauveur lui‑même, en tant que vrai Fils de Dieu, cf. verset 23 ; 3, 31 ; 15, 19 ; 17, 14, 16 ; 18, 36, 37. – Entend la parole de Dieu(il écoute avec foi et obéissance, comme au verset 43) : et tel était bien le cas pour Notre Seigneur Jésus‑Christ , cf. 3, 34 ; 7, 16 ; 8, 26 ; 17, 8. – Après le principe, l’application : C’est parce que vous n’êtes pas de Dieu que vous ne l’entendez pas. Cette conséquence était indéniable. Donc Jésus leur a une fois de plus démontré qu’ils ne sont pas les vrais enfants de Dieu, parce qu’ils refusent d’écouter l’envoyé du ciel.
Jean 8.48 Les Juifs lui répondirent : « N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain et que vous êtes possédé d’un démon ? » – Les Juifs lui répondirent.Ils n’ont cependant rien de sérieux à répondre ; c’est pourquoi ils recourent à la réplique des gens grossiers et vulgaires, l’injure. – N’avons‑nous pas raison de dire(cf. 5, 17). L’emploi du présent semble marquer que l’outrage en question était fréquemment sur leurs lèvres. – Que vous êtes un Samaritain.Un suprême dédain est indiqué soit par ce pronom répété à la fin de la phrase, soit par l’épithète de Samaritain, dont nous avons vu précédemment tout le caractère odieux. Voyez la note de 4, 9. – Et que vous êtes possédé d’un démon ?Comparez 7, 20 et le commentaire. Dans leur haine aveugle, ils en viennent jusqu’à traiter de possédé du démon Notre Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu.
Jean 8.49 Jésus répondit : « Il n’y a pas en moi de démon, mais j’honore mon Père et vous, vous m’outragez. – Jésus répondit.Il se défend, mais avec un calme tout divin. Laissant de côté la première partie de l’injure (« vous êtes un Samaritain »), il se borne à protester contre la seconde, qui était plus odieuse et plus opposée à sa sainteté. – Il n’y a pas en moi de démon.Tout au contraire (mais), de parole et d’action il honore le Seigneur (au présent de la durée), tandis qu’ils osent eux‑mêmes occupés à déshonorer Dieu en maltraitant son envoyé (vous, vous m’outragez ; encore au présent dans le texte grec).
Jean 8.50 Pour moi, je n’ai pas souci de ma gloire : il est quelqu’un qui en prend soin et qui fera justice. – Après cette assertion majestueuse (verset 49) Jésus fait un nouvel appel à la foi des Juifs, d’abord sous la forme d’une menace implicite (verset 50), puis au moyen d’une attrayante promesse (verset 51). – Pour moi. L’antithèse se prolonge et se perpétue, comme nous l’avons dit, jusqu’à la fin du chapitre. – Je n’ai pas souci de ma gloire.Ses adversaires l’injurient et cherchent à lui enlever son honneur. S’il s’en plaint, ce n’est pas qu’il tienne à la gloire. Cherchez en effet ce souci dans la vie de Notre Seigneur Jésus‑Christ. – il est quelqu’un qui en prend soin. C’est à Dieu, évidemment, que Jésus fait allusion. Pourquoi le Christ s’inquiéterait‑il de sa gloire personnelle ? Il sait que son Père s’en occupe, et cela lui suffit. – Et qui fera justice.(même construction au participe présent). Résultat de la divine enquête : le Seigneur prononcera comme un juge suprême entre les parties intéressées, Jésus‑Christ et les Juifs, et il condamnera ces derniers, qu’il trouvera grièvement coupables. L’idée de condamnation n’est ici qu’implicite ; néanmoins elle n’en paraît que plus terrible. C’était un glaive perpétuellement suspendu sur la tête des ennemis de Jésus. Un jour le glaive tomba et les mit en pièces.
Jean 8.51 En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » – En vérité, en vérité, je vous le dis.Mais le bon Maître a aussi de douces promesses, dont il annonce l’infaillible accomplissement par sa formule habituelle. Aux yeux des croyants (verset 30) et des demi‑croyants (verset 31) et des incrédules qui l’entouraient, il fait briller les précieux avantages de la foi et de l’obéissance à ses paroles. – Si quelqu’un (il n’y a pas d’exception) garde ma parole.Locution très fréquente dans les écrits de S. Jean : versets 52, 55 ; 14, 23 ; 15, 20 ; 174, 6 ; Apocalypse 3, 8, 10. Comparez les expressions analogues : 14, 15, 21 ; 15, 10 ; 1 Jean 2, 3, 4, 5 ; 3, 22, 24 ; 5, 2, 3 ; Apocalypse 12, 17 ; 14, 12 et 14, 24 ; Apocalypse 22, 7, 9 etc. Garder, non seulement au fond du cœur comme un trésor enfoui, mais comme une règle perpétuelle de conduite. – Il ne verra jamais la mort : en grec avec deux négations pour mieux marquer la certitude. L’expression grecque n’existe pas ailleurs dans le Nouveau Testament. Elle dit plus que les deux locutions analogues « il ne verrait pas la mort » (Luc. 2, 26 ; Hébreux 11, 5 ; le « ne pas voir la mort » du Ps. 89, 49) et « tu ne peux m’abandonner au séjour des morts » (Actes 2, 27, 31 ; 13, 35), car elle suppose une contemplation prolongée et une pleine expérience de la mort. – Jamais.Il ne mourra jamais, cf. 11, 26 et le commentaire. Quelques‑uns traduisent à tort : Il ne mourra pas pour toujours. Sans doute il faudra passer par la mort, puisque c’est un châtiment universel ; mais le bonheur éternel lui succédera si promptement, qu’on ne fait d’elle pour ainsi dire aucun compte : car celui qui marche du côté du soleil n’aperçoit pas l’ombre qui est derrière lui.
Jean 8.52 Les Juifs lui dirent : « Nous voyons maintenant qu’un démon est en vous. Abraham est mort, les prophètes aussi et vous, vous dites : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. – Les Juifs lui dirent… Réponse bien rude après un si touchant appel ; aussi ceux qui la font reçoivent‑ils sans détour le nom de Juifs, cf. verset 31 et la note. Interprétant la promesse de Jésus comme si elle concernait la mort physique, ils sont heureux de trouver dans la puissance qu’il prête à sa parole la confirmation de leur récente injure, verset 48. – Maintenant.Ils appuient sur ce mot. Précédemment ils n’avaient énoncé qu’une hypothèse ; actuellement le doute n’est plus permis, ils ont une complète certitude. Au verset 48 ils se contentaient de dire : « N’avons‑nous pas raison ». – Qu‘un démon est en vous .A moins de subir une influence démoniaque, pourrait‑il soutenir une assertion contredite par l’expérience non interrompue de l’humanité depuis la création ? – En preuve de cette expérience, l’orgueil théocratique leur suggère surtout l’exemple d’Abraham, le fondateur de la nation juive, et l’exemple des prophètes : Abraham est mort…L’aoriste grec nous ramène d’une façon pittoresque au moment même où mourait ce grand et saint personnage ; le parfait aurait exprimé l’état de mort. – vous dites.Le pronom est tout à fait dédaigneux, et la formule entière introduit bien la conclusion par l’absurde que tirent ici les Juifs. – Si quelqu’un.Ils citent textuellement les paroles de Jésus. Tous, en effet, goûteront la mort, même les plus fidèles amis du Sauveur ; mais, ainsi qu’il a été dit, tous ne la « contempleront » pas. Sur cette expression pittoresque, qui revient assez souvent dans le Targum et les écrits rabbiniques. Voyez Matth. 16, 18 et le commentaire ; Hébreux 2, 9.
Jean 8.53 Êtes-vous plus grand que notre père Abraham, qui est mort ? Les Prophètes aussi sont morts, qui prétendez-vous être ? » – Les ennemis de Jésus insistent sur leur argument du précédent verset. Est‑ce qu’il penserait à s’attribuer à lui‑même la vie éternelle ? – Êtes‑vous…Avec un redoublement de mépris et de haine (Tu n’es pourtant pas… ?) – Plus grand que notre père Abraham qui est mort ?Et Jésus serait plus grand qu’Abraham, s’il lui était donné d’échapper personnellement à la destinée fatale qui atteignit le père des croyants aussi bien que les hommes ordinaires. Voyez, 4, 12, un rapprochement analogue établi par la Samaritaine entre Notre Seigneur et Jacob. – Les Prophètes aussi sont morts.La construction est irrégulière mais cela est en parfaite harmonie avec l’émotion du langage. – Qui prétendez-vous être ?Autre parole de souverain mépris. Elle est bien dans le style du quatrième évangile, cf. 5, 18 ; 10, 33 ; 19, 7, 12 ; 1 Jean 1, 10.
Jean 8.54 Jésus répondit : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien, c’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites qu’il est votre Dieu,– Jésus répondit.C’est une apologie directe que Notre Seigneur entreprend. Il réplique d’abord (versets 54-55) à l’accusation de vaine gloire qui était contenue dans les dernières paroles de ses interlocuteurs : Qui prétendez-vous être ?Puis (verset 56) il démontre qu’il est véritablement supérieur à Abraham. – Si je me glorifie moi‑même. L’accent est sur « moi‑même ». Si je cherche moi‑même à « me faire » quelque chose, comme vous le prétendez. Dans ce cas, en tant qu’il est homme et d’après ce qui se passe habituellement chez les hommes, qui essaient personnellement de se faire valoir, sa gloire se réduirait à rien. – C’est mon Père qui me glorifie.Tout son honneur venait de Dieu même, ainsi qu’il l’avait déjà dit quelques lignes plus haut, verset 50. Son père, en effet, le glorifiait de mille manières, attestant à chaque pas son origine et sa mission divine. La tournure grecque marque très bien la continuité. – Lui dont vous dites qu’il est votre Dieu.L’ironie perce à travers cette formule, qui, en outre, relève la forme du témoignage rendu à Notre Seigneur Jésus‑Christ par son père. Quel est celui qui me glorifie ? Précisément ce Dieu auquel vous prétendez être unis par des liens si étroits.
Jean 8.55 et pourtant vous ne le connaissez pas, mais moi, je le connais et si je disais que je ne le connais pas, je serais menteur comme vous. Mais je le connais et je garde sa parole. – Et pourtant vous ne le connaissez pas.Quelle différence entre leurs prétentions (vous dites) et la réalité. Jésus ne pouvait adresser au peuple de la vraie religion et du vrai Dieu un plus dur reproche. Mais le Talmud est là pour prouver que le reproche était fondé : la théologie rabbinique abondait en idées fausses, injurieuses à la nature et aux attributs de Dieu. – Mais je le connais.Leur ignorance rappelle au Sauveur sa science si parfaite, sur laquelle il insiste pendant quelques instants. Le mot grec utilisé ici, Οἶδα, exprime une connaissance intuitive et parfaite ; un autre mot aurait indiqué le savoir progressif que procurent l’étude, ou l’expérience, ou une révélation partielle, cf. 17, 25. – Et si je disais que je ne le connais pas, je serais menteur comme vous.Jésus revient à ses paroles antérieures, verset 44, pour grouper en un faisceau, à la fin des discours, les principales accusations qu’il avait lancées contre les Juifs. Quelle noble énergie de langage. – Mais je le connais.Répétition emphatique. – Et je garde sa parole, cf. verset 29. Jésus fait pour son Père ce qu’il demande aux âmes fidèles de faire relativement à lui‑même (15, 10 ; 17, 11, 18). Sur l’expression, voyez la note du verset 51.
Jean 8.56 Abraham votre père, a tressailli de joie de ce qu’il devait voir mon jour, il l’a vu et il s’est réjoui. »– Notre Seigneur montre d’un mot combien il est supérieur à Abraham, cf. versets 52 et 53. – Abraham, votre père. Il avait contesté ce titre au point de vue moral, versets 39 et 40 ; il l’admet sous le rapport extérieur et historique, pour renforcer sa démonstration. Abraham, dont vous vous vantez d’être les fils, cf. versets 33, 37, etc. – A tressailli.le mot grec correspondant est une expression très énergique. Voyez Luc. 1, 47 et le commentaire. – de ce qu’il devait voir mon jour… Votre père a tressailli d’allégresse en vue de voir… C’était une allégresse anticipée, dont le but, l’objet était de contempler de ses propres yeux le jour du Christ. On conçoit que cette magnifique perspective ait d’avance rempli le cœur d’Abraham des plus suaves délices. – Mon jour. il ne faut pas seulement entendre tel ou tel jour isolé de la vie de Notre Seigneur Jésus‑Christ ; par exemple son Incarnation ou sa Passion (S. Jean Chrysostome) ; c’est un terme collectif, qui désigne la période entière de son apparition et de sa manifestation parmi les hommes (S. Cyrille), cf. 17, 22. C’est la grande et glorieuse époque du salut, vers laquelle tout convergeait dans l’Ancien Testament. Les Rabbins la nommaient aussi « jours du Messie ». – Il l’a vu… Le souhait si ardent d’Abraham a eu sa pleine réalisation. Mais quand et de quelle manière ? Les exégètes ont de tout temps discuté sur ce point, sans pouvoir arriver à se mettre d’accord. D’après Jansénius (qui est, croyons‑nous, le créateur de cette opinion), Maldonat, Cornelius a Lap., et un certain nombre d’auteurs, c’est seulement après sa mort, et du sein des limbes où il prenait encore part aux destinées joyeuses ou tristes de sa nation (cf. Luc. 16, 12 et ss.), qu’Abraham aurait assisté à la vie de Notre Seigneur Jésus‑Christ. Mais le verbe « a vu » paraît demander plus que cela. Nous croyons, avec les pères et la majorité des commentateurs anciens et modernes, que le Sauveur fait ici allusion à un événement qui se passa du vivant même d’Abraham, cf. Hébreux 11, 13. Toutefois, un nouvel embarras surgit pour déterminer l’événement spécial auquel il a pensé. Presque tous les passages messianiques de l’histoire du Père des croyants ont été allégués : sa vocation et la promesse qu’en lui seraient bénies toutes les générations de la terre, Genèse 12, 1-3 ; l’apparition célèbre des trois anges, parmi lesquels aurait été Dieu lui‑même ou le divin Logos, Genèse 18 ; la naissance d’Isaac, en qui Abraham aurait contemplé par la foi le Messie, son descendant, Genèse 21, 1 et ss. ; le sacrifice d’Isaac, acte d’obéissance héroïque qui fut récompensé par les plus glorieuses promesses, Genèse 22, 1-18. Le mieux serait peut-être de réunir ensemble tous ces faits, dont la masse forme un brillant panorama de la vie future du Christ, au propre et au figuré. Chose étonnante, le Targum de Jérusalem (in Genèse 15) et les écrits talmudiques supposent qu’Abraham eut des visions divines, qui lui manifestèrent l’avenir entier de ses enfants jusqu’au jour du Messie inclusivement. – Et il s’est réjoui.Il se réjouit, ses aspirations les plus intimes étant satisfaites. Le verbe marque une joie calme, qui pénètre l’âme, mais qui ne se manifeste pas nécessairement au dehors.
Jean 8.57 Les Juifs lui dirent : « Vous n’avez pas encore cinquante ans et vous avez vu Abraham. » – Les Juifs lui dirent.Les Juifs ont compris que Jésus avait été contemporain du fait cité par lui ; mais de là découlait une conséquence étrange, qu’ils lui objectent avec indignation. – Vous n’avez pas encore cinquante ans.S. Jean Chrysostome et quelques rares manuscrits ont lu « quarante » ; mais c’est une correction évidente, pour diminuer le nombre des années, que plusieurs avaient trouvé trop considérable. A cette époque, en effet, le Sauveur n’avait pas trente‑cinq ans (voyez, dans notre Introduction générale aux SS. Évangiles, le chapitre consacré à la chronologie). Toutefois, si les Juifs citent un chiffre si élevé, ce n’est pas, comme on l’a dit, parce que Jésus paraissait âgé d’environ cinquante ans, et moins encore parce qu’il avait en réalité cet âge (ainsi que l’ont pensé S. Irénée, Contre les Hérésies 2, 22, 5, et fin XIXème siècle Bunsen, Keim, etc.). C’est un nombre rond, représentant la moyenne générale de la vie humaine et la maturité (Nombres 4, 39 ; 8, 24 et s.). Il équivaut, d’après l’excellente interprétation de Grotius, à cette autre proposition : « Vous n’avez pas un demi‑siècle ». Qu’importaient quelques années de plus ou de moins, relativement aux vingt siècles qui s’étaient écoulés depuis Abraham ? – Et vous avez vu Abraham ?Notre Seigneur avait dit : « Abraham a vu mon jour ». Ses ennemis retournent la phrase, pour conclure plus aisément que lui aussi avait dû voir Abraham et vivre de son temps. Ils ne se trompaient pas.
Jean 8.58 Jésus leur répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fut, je suis. » – En vérité, en vérité, je vous le dis.C’est pour la troisième fois que nous lisons ces mots depuis le verset 31 (cf. versets 33 et 51) ; ils avaient rarement introduit une affirmation aussi solennelle, aussi décisive. – Avant qu’Abraham fût.Littéralement en grec « avant qu’il devînt », avant sa naissance. – Je suis.Changement remarquable d’expressions et de temps. “Reconnaissez le Créateur, et discernez la créature”, dit admirablement S. Augustin. Il y a en effet dans ces mots si simples toute la différence qui sépare Dieu de l’homme. Il fut un temps où Abraham n’existait pas ; un jour, il « devint », il naquit. Rien de semblable pour Notre Seigneur Jésus‑Christ : il « est » d’une manière permanente, éternelle ; donc il est Dieu, cf. 1, 1, 6. Voyez au Ps. 89, 2, une antithèse identique : « Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi, tu es Dieu ». N’ajoutons rien, la parole de Jésus est aussi claire que possible, et son auditoire en saisit toute la portée.
Jean 8.59 Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter, mais Jésus se cacha et sortit du temple. – Ils prirent des pierres…Dans un paroxysme de rage ils s’élancent sur lui comme sur un blasphémateur, pour le lapider sommairement, cf. Lévitique 24, 16. – Des pierres.Les « armes de la foule » (Bengel) furent le dernier argument des Juifs contre Jésus. Le temple d’Hérode était toujours en construction, et les pierres ne manquaient pas dans les cours. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, 17, 9, 3, mentionne une lapidation qui eut pareillement lieu, cf. 2 Chroniques 24, 21. – Mais Jésus se cacha.D’après Euthymius et d’autres exégètes, Notre Seigneur se serait rendu invisible par un miracle de sa toute‑puissance. Nous préférons prendre le texte évangélique à la lettre, avec S. Jean Chrysostome et S. Augustin : « En tant qu’homme, il se sauve des pierres » : c’est plus humble, mais aussi plus conforme à la situation et à la conduite de Jésus en d’autres circonstances analogues, cf. 5, 13 ; 12, 36, etc. Notre Seigneur se perdit sans doute dans la foule, et il lui fut ensuite aisé de disparaître. – Et sortit du temple.


