CHAPITRE 9
Jean 9.1 Jésus vit, en passant, un aveugle de naissance. – S. Justin fait deux allusions manifestes à la guérison de l’aveugle‑né : Apol. 1, 22 et C. Tryph. 69. – Il y a d’abord d’assez long préliminaires, vv. 1-5, puis le fait est raconté, vv. 6 et 7. Jésus vit, en passant. – Il est probable qu’il y eut quelque intervalle entre la tentative ratée de lapidation de Jésus et la rencontre de l’aveugle de naissance. – Jésus vit. Ce dut être un regard particulier et prolongé, puisque l’attention des disciples fut aussitôt suscitée. Jésus ne contemplait jamais avec indifférence les misères humaines, et, dans cet aveuglement, il voyait l’objet spécial des miséricordes et de la gloire de son Père. – Un aveugle de naissance. Notez cette circonstance, qui n’est pas mentionnée pour les cinq autres guérisons d’aveugles opérées par Notre‑Seigneur (Matth. 9, 27, 31 ; 12, 22 ; 20, 30 ; 21, 14 ; Marc. 8, 22-26) ; elle a pour but de relever la grandeur du miracle. Ainsi qu’il sera dit plus bas (v. 32) en termes exprès, « Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance ». D’après le v. 8, le pauvre infirme était assis et mendiait.
Jean 9.2 « Maître, lui demandèrent ses disciples, est-ce que cet homme a péché, ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » – lui demandèrent ses disciples. Vingt exemples analogues en font foi : c’était la coutume des disciples d’interroger familièrement leur Maître toutes les fois qu’ils voulaient élucider un point obscur. Souvent leurs questions furent bien étranges, et tel est précisément le cas ; Jésus répondait toujours avec la plus grande bonté, et profitait de ces diverses occasions pour éclairer leurs intelligences, mais encore et surtout pour améliorer leurs cœurs. – Maître, qui a péché… ? Ils n’éprouvent pas le moindre doute à ce sujet : un péché, évidemment un péché grave, a dû être commis, puisque le châtiment est là sous leurs yeux, si terrible et si manifeste : pour qu’il soit né aveugle (dans le texte grec, ἵνα exprime un résultat direct, voulu de Dieu). Tel avait été déjà le raisonnement des amis de Job : Tu es un grand coupable malgré tes protestations d’innocence ; autrement Dieu ne t’aurait pas traité de la sorte (voyez Vigouroux, Manuel biblique, t.2, p.220 et ss de la 3e édit.). C’est là, du reste, un préjugé populaire qu’on rencontre dans tous les temps et dans toutes les contrées. Jésus l’avait antérieurement réfuté devant les siens, car il était très commun chez les Juifs d’alors. Luc. 13, 1-4. Les païens de l’île de Malte, quand ils virent S. Paul, à peine sauvé du naufrage, mordu par une bête venimeuse, ne manquèrent pas de penser aussi qu’il avait gravement offensé les dieux, Actes 28, 4. C’est le dogme de la rétribution poussé jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes ; car, s’il est vrai d’affirmer que tous les maux dont nous souffrons ici bas ont eu le péché pour cause, on tomberait fréquemment en d’étranges erreurs si l’on préférait faire des applications individuelles de ce principe. Il existe une chaîne qui unit les crimes des hommes et leurs calamités, mais ses anneaux ne sont pas visibles à nos regards. – Cet homme, ou ses parents ? Alternative non moins singulière que la supposition à laquelle elle sert de développement. Pour les péchés des parents, passe encore, attendu que le Seigneur menace expressément dans les saints Livres de visiter les iniquités des pères sur leurs enfants (cf. Exode 20, 5, etc.) ; mais comment les disciples pouvaient‑ils admettre que la culpabilité personnelle du mendiant avait été la vraie cause de son malheur, puisqu’ils le représentent eux‑mêmes comme aveugle de naissance ? On a fait plusieurs hypothèses pour expliquer le langage des apôtres. 1° Ils auraient cru d’une manière plus ou moins vague à la préexistence des âmes, ou à la métempsycose, doctrine dont on trouve des traces chez les écrivains juifs de leur temps (Josèphe, Philon, les Rabbins. Etc.) : on conçoit alors des péchés commis dans une existence antérieure et châtiés pendant la vie subséquente. Toutefois, il est peu probable que les disciples, simples hommes du peuple, soient entrés dans ces raffinements théologiques qui ne devaient guère franchir les murs des écoles. 2° Ils auraient eu à la pensée, d’après d’autres exégètes, une anticipation des fautes de la part de Dieu. Prévoyant que cet homme l’offenserait un jour gravement, Dieu l’aurait puni d’avance en le faisant naître aveugle. Mais cela aussi paraît trop recherché. 3° On a supposé, à la suite d’Euthymius, que les disciples plaidaient le faux pour savoir le vrai. Quelqu’un a péché, voulaient‑ils dire au fond ; qui est‑ce donc, vu que ce ne peut être ni lui ni ses parents ? La simplicité du récit et la réponse de Jésus s’opposent à cette solution. 4° Prenant pour base Genèse25, 22 (la lutte de Jacob et d’Ésaü dans le sein de leur mère) et Ps. 50, 7 (« Moi, je suis né dans la faute »), divers Rabbins ont émis l’opinion que les enfants étaient capables de commettre des péchés personnels même avant leur naissance. Cette théorie semble s’adapter pour le mieux à la question des apôtres, et en donner la clef. Le mendiant avait pu naître aveugle en punition de ses fautes, puisqu’il avait pu commettre des fautes. Telle est l’explication la plus commune. – On s’est demandé aussi comment les apôtres pouvaient savoir que la cécité était « de naissance » ? La réponse est cette fois plus facile. Ils le surent ou par le propre récit de l’aveugle ou par la rumeur, son histoire étant connue des habitants de Jérusalem qui le voyaient depuis longtemps à la même place.
Jean 9.3 Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. – Jésus répondit. Le Sauveur va corriger doucement, quoique très catégoriquement, l’erreur des siens. – Ni lui… ni ses parents. Il passe sans peine entre les « cornes » du dilemme, aucune des deux hypothèses n’étant correcte ; il nie qu’il existe, dans le cas présent, une connexion particulière entre l’infirmité et le péché, soit de la part de l’aveugle, soit de la part des parents. C’est ailleurs qu’il faut chercher la solution du problème, comme il va le dire bientôt. Évidemment, a péché doit être restreint au point litigieux, c’est-à-dire, « pour qu’il soit né aveugle ». Οὐ παντελῶς ἀναμαρτήτους αὐτούς φησιν, ἀλλʹὅσον εἰς τὸ τυφλωθῆναι αὐτόν, Euthymius. – Mais c’est pour que…(nouvel ἵνα, qui correspond à celui du v.2, et qui indique le vrai but providentiel, au lieu de celui qui avait été mentionné d’une manière erronée) les œuvres de Dieu soient manifestées… Oui, Dieu a permis qu’il naisse aveugle dans une intention spéciale, mais intention toute d’amour et de salut (οὐ ϰολαστιϰῶς ἀλλʹ οἰϰονομιϰῶς, dit encore fort bien Euthymius), puisque ce qui semblait n’être de prime‑abord qu’un affreux malheur pour cet homme, devait faire de lui un instrument (en lui) grâce auquel brilleraient du plus vif éclat les œuvres de Dieu, et notamment la bonté divine, la puissance divine, qui allaient opérer le miracle. Voyez dans les Homélies clémentines (19, 22), qui datent de la moitié du second siècle, une allusion très nette à ce passage. Comparez aussi la parole analogue prononcée par N.-S. Jésus‑Christ durant la maladie de Lazare, 11, 4. – Les disciples, assurément, n’avaient pas songé à ce côté de la question. Et pourtant il n’est pas rare que Dieu permette les épreuves de ses amis pour tirer sa gloire au moins de leur généreuse résignation. Quel noble encouragement à la patience.
Jean 9.4 Il faut, tandis qu’il fait jour, que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé, la nuit vient, où personne ne peut travailler. – Il faut, tandis qu’il fait jour, que je fasse les œuvres… Ces œuvres de Dieu qu’il vient de signaler, cette manifestation brillante des attributs de son Père, Jésus les rattache maintenant à sa propre personne et à sa mission sur la terre. C’est par mon intermédiaire, s’écrie‑t‑il dans la pleine conscience de son rôle, que tout cela doit s’accomplir. – les œuvres de celui qui m’a envoyé. Chrysostome : « Il faut que je me manifeste moi-même et que je fasse des œuvres qui puissent montrer que je fais les mêmes choses que le Père, non les mêmes œuvres, mais les œuvres mêmes du Père, pour employer une expression signifiant la plus grande similitude à dire qu’elles n’ont pas la moindre dissemblance avec celles du Père. » – tandis qu’il fait jour. Jésus appelle jour le temps désormais si limité de son ministère public et de sa vie, cf. v.5. Or, c’est durant le jour qu’on travaille (cf. Ps. 103, 23), et l’on travaille avec d’autant plus d’activité que l’ouvrage presse davantage et que la fin de la journée approche. – La nuit vient : l’opposé du jour, par conséquent la mort du Seigneur Jésus. Cette métaphore existe dans toutes les langues ; il n’est donc pas nécessaire de supposer avec Rosenmüller, Scholia in h.l., que « C’était peut-être déjà le crépuscule, et la nuit allait bientôt arriver » et que Jésus tira de là « l’occasion de dire cette phrase ». – où personne ne peut travailler. Aucun homme, pas même N.-S. Jésus‑Christ en ce qui concernait la partie directement personnelle de son ministère. De tout ce verset l’on peut rapprocher un intéressant passage du Pirkè Aboth, 2, 19 : « Rabbi Tarphon dit : Le jour est court, et la tâche est grande, et les ouvriers sont paresseux, et la récompense est considérable, et le maître de la maison est puissant ».
Jean 9.5 Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » – Tant que je suis dans le monde. Jésus se rappelle qu’il n’a plus que peu de temps à demeurer sur la terre. – Je suis la lumière du monde, cf. 1. 4 et ss. ; 8, 12 (9, 39). Sublime parole, que le Sauveur réitéra plusieurs fois pour la mieux inculquer. Hélas. « la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie », 1, 5.
Jean 9.6 Ayant ainsi parlé, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, puis il l’étendit sur les yeux de l’aveugle et lui dit : – Ayant ainsi parlé. Après ces préliminaires (vv. 1-5), Jésus passe au miracle, qui est dramatiquement quoique succinctement raconté (vv. 6 et 7). – Le rôle du thaumaturge consiste dans trois actes et dans une parole. Premier acte : il cracha à terre ; second acte : il fit de la boue avec sa salive ; troisième acte : il l’étendit sur les yeux de l’aveugle (quelques manuscrits ont ἐπέθηϰεν, « posa » au lieu de ἐπέχρισεν). C’est là, il faut l’avouer, un étonnant moyen de guérison. Ne dirait‑on pas que Jésus ferme et scelle d’abord les yeux qu’il veut ouvrir ? Cependant, en deux autres circonstances (Marc. 7, 33, pour un sourd‑muet, et Marc. 8, 22-26, pareillement pour un aveugle) nous le voyons employer un peu de salive pour opérer de grands miracles. D’un autre côté, nous savons, soit par les classiques latins (Pline, Hist.nat. 28, 7 ; Tacite, Hist. 4, 8 ; Suétone, Vespas. 7), soit par les Rabbins, que la salive d’un homme à jeun et même la boue était alors regardées comme des remèdes pour les yeux malades. Mais il est bien évident que ce n’est pas à cause de leur vertu curative, vraie ou supposée, que N.-S. Jésus‑Christ fit usage de ces deux substances. Ce n’est pas un peu de terre mêlée de salive qui eût pu rendre la vue à un aveugle‑né. Quels motifs spéciaux le guidaient ? Tantôt il guérit par un seul contact ou même par une seule parole, et que tantôt il use de tel élément ou de tel geste. Jésus agissait probablement ainsi pour faciliter l’acceptation par l’aveugle-né du miracle : même s’il est en soi irrationnel de penser que de la boue puisse aider au miracle des yeux, cela peut faciliter l’accueil du miracle. On se souvient qu’à Nazareth, les gens par leur manque de foi, diminuèrent en nombre les miracles que Jésus put faire chez eux. Par ailleurs, plusieurs Pères y voient plutôt un symbole lié à la création de l’homme. S. Irénée a là-dessus un beau passage : « L’écriture dit que Dieu prit du limon de la terre et façonna l’homme. C’est pourquoi le Seigneur cracha sur la terre, en fit de la boue et l’appliqua sur les yeux. Il montra ainsi comment avait été faite la première création, et manifesta à ceux qui étaient capables de le comprendre, la main de Dieu qui avait formé l’homme du limon ». Cf S. Jean Chrysostome Hom. in h.l., et Prudence. Apotheosis, 689 et ss. Jésus aurait donc complété à l’égard de l’aveugle l’acte du Créateur, et par un procédé semblable.
Jean 9.7 « Va, lave-toi dans la piscine de Siloé, mot qui se traduit : Envoyé. » Il partit, se lava et s’en retourna voyant clair. – Va. C’est la parole à la suite des actes, et encore a‑t‑elle pour but de prescrire un nouvel acte, mais qui émanera cette fois de l’infirme lui‑même, et non de Jésus. – Lave‑toi. Cela aussi est un symbole, comme l’évangéliste va le dire, et nullement un remède direct, cf. 2 Rois 5, 10. La tradition populaire et légendaire qui attribue, à Jérusalem, une influence heureuse aux eaux de Siloé pour les maladies des yeux, est probablement née de ce miracle. – Dans la piscine de Siloé (εἰς τὴν xολυμδήθραν, à la piscine, au réservoir). La piscine de Siloé est une des rares localités de Jérusalem sur la situation desquelles il existe un accord parfait entre les topographes. La tradition est d’ailleurs claire et certaine à son sujet : avec les détails donnés par l’historien Josèphe, par l’itinéraire du Pèlerin de Bordeaux, par S. Jérôme et par la longue chaîne des auteurs plus récents, il faudrait que l’erreur fût volontaire pour être possible. Le réservoir est situé à peu près en face du village qui porte le même nom, à l’angle S.E. de la ville sainte, « au pied du mont Moriah », suivant l’expression de S. Jérôme, et à l’entrée de la vallée de Tyropéon. Elle est depuis longtemps à ciel ouvert ; toutefois, on y voit encore plusieurs tronçons d’antiques citernes. Ses dimensions sont environ 15 mètres pour la longueur, 5m. de large, et autant pour la profondeur. Elle n’est jamais remplie ; elle ne contient même d’ordinaire que quelques dizaines de centimètres d’eau. Cette eau venait autrefois de plusieurs directions, comme le montrent des conduits souterrains découverts ; mais aujourd’hui le réservoir n’est plus alimenté que par la fontaine dite de la Ste Vierge (comp. le commentaire de 5, 2), située plus au Nord. Son aspect n’est au reste rien moins que romantique, tant elle s’est détériorée dans la suite des siècles ; mais ce n’en est pas moins une relique vénérable, chère aux Juifs (à cause des passages Isaïe 8, 6, et Néhémie 3, 15), aux musulmans et aux chrétiens. Son nom apparaît dans le texte grec sous la forme euphonique de Siloam (Σιλωάμ ; cf. Luc. 12, 4), également employée par les Septante, Flavius Josèphe (qui a pourtant aussi Σιλώα et Σιλόϰ), et les anciens écrivains de l’Église grecque. – Le narrateur interprète ce nom, d’origine hébraïque, à l’intention de ses lecteurs non‑juifs : mot qui se traduit : Envoyé. Mais il se proposait surtout d’indiquer par là-même le motif spécial pour lequel Jésus voulut que la guérison de l’aveugle ne fut complète qu’après un lavage opéré avec les eaux de Siloé, cf. S. August., In Evang. Jean tract. 44, et S. Jean Chrysost., Hom. 57 in Jean En effet, le mot שלוה (Schiloah ; voyez Isaïe, 8, 6) peut très légitimement se traduire par le passif, comme s’il équivalait au participe שלוה (Schaloah) ; il n’a pas nécessairement ici la signification active que lui donnent Roediger et d’autres auteurs. Or, Jésus étant l’envoyé de Dieu par excellence, le « grand apôtre » de notre religion (Hébreux 3, 11), il existait entre lui et la fontaine de Siloé un rapport prophétique et mystique, que S. Jean signale parce qu’il avait occasionné cette circonstance particulière du miracle. Au lieu de ce sens supérieur, relevé, qui est communément admis, Euthymius et Nonnus dans les temps anciens, fin XIXème siècle Bisping, A. Marie, etc., en proposent un autre qui est presque trivial. « Envoyé », d’après eux, représenterait l’aveugle envoyé par Jésus à Siloé. Il n’est pas sans intérêt d’ajouter que la piscine de Siloam jouait alors un rôle important dans le culte juif, durant l’octave de la fête des Tabernacles : chaque matin, on allait en procession solennelle y puiser de l’eau pour le service du Temple, cf. Mischna Yucca, 4, 5, 9, 10. – Il partit, se lava. L’infirme s’en va plein de foi et de docilité ; comme tant d’autres aveugles, il connaissait suffisamment les rues pour pouvoir exécuter cet ordre. – et s’en retourna voyant clair.. Où alla‑t‑il ? Le texte ne le dit pas d’une manière expresse. Chez lui, ce semble, d’après le v. 8 (« voisins ») ; au reste, Jésus ne lui avait pas dit de revenir, et s’en était aussitôt allé lui‑même (cf. v. 35). Selon d’autres, il s’agirait de sa place habituelle, auprès de laquelle il pouvait espérer rencontrer son libérateur. On devine les sentiments de joie qui l’animaient : tout un monde nouveau s’était ouvert à lui. Mais les évangélistes ne s’arrêtent pas à ces détails et s’en vont toujours droit aux faits.
Jean 9.8 Les voisins et ceux qui l’avaient vu auparavant demander l’aumône, disaient : « N’est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ? » 9 Les uns répondaient : « C’est lui, » d’autres : « Non, mais il lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est moi. » – Les voisins... Des voisins, avec qui l’on a de si fréquents rapports, remarquent un changement – Et ceux qui l’avaient vu… Ces mots désignent une autre catégorie de personnes qui connaissaient aussi fort bien l’aveugle : depuis longtemps on l’avait vu mendier à tel endroit de la ville, son infirmité et la pauvreté des siens l’ayant réduit à ce triste sort. – N’est‑ce pas .. Il résulte de ce tour interrogatif donné à la question que ceux qui la posaient éprouvaient des doutes sérieux, et d’ailleurs bien naturels, sur l’identité du mendiant. « Les yeux ouverts avaient modifié le visage », écrit S. Augustin avec autant de délicatesse que de vérité ; il en faut beaucoup moins pour transformer l’expression d’une physionomie. – Qui était assis et mendiait. Trait pittoresque, surtout dans le grec, où les verbes sont au participe présent (ό ϰαθήμενος ϰαὶ προσαιτῶν), comme si l’aveugle occupait encore cette place où on l’avait si longtemps et si souvent contemplé. Sur cette posture habituelle des pauvres aveugles, voyez Matth. 20, 30. – D’autres… C’est bien lui, disent les uns ; mais l’opinion négative est pareillement représentée : il lui ressemble ; il n’y a là qu’une ressemblance de hasard, ce n’est pas le même homme. – Mais lui… Quant à lui, il tranche fièrement la difficulté, et certes il en avait le droit : oui, c’est bien moi.
Jean 9.10 Ils lui dirent donc : « Comment tes yeux ont-ils été ouverts ? » 11 Il répondit : « Un homme, celui qu’on appelle Jésus, a fait de la boue, il l’a étendue sur mes yeux et m’a dit : Va à la piscine de Siloé et lave-toi. J’y ai été et, m’étant lavé, j’ai retrouvé la vue. – Comment tes yeux… ? L’identité une fois constatée, on veut savoir de quelle manière a été opérée la guérison : c’est la question du mode après celle du fait. – Il répondit : un homme… Le mendiant raconte purement et simplement ce qu’il connaît du miracle. D’après le grec, le pronom ἐϰεῖνος devrait plutôt se rattacher au verbe ἀπεϰρἱθη ; il désignerait par conséquent l’aveugle. Les articles placés devant ἄνϐρωπος et devant λεγόμενος d’après les meilleurs manuscrits, mettent suffisamment en relief la personne du thaumaturge. Notez la manière dont la foi de cet homme va toujours s’accentuant et grandissant. Ici, il ne connaît Jésus que par son nom célèbre et il semble s’être peu inquiété de la mission que le Sauveur pouvait bien remplir ; plus loin, v.17, il le regarde comme un prophète ; puis quelque temps après, v.33, il ira jusqu’à dire que Jésus vient de Dieu ; enfin, v.38, il l’adorera sous le titre de Fils de Dieu. – A fait de la boue. Dans son rapport, il omet naturellement le premier acte de Jésus, « il crachat » (v.6), dont il n’avait pas été témoin. Il ignorait de quelle façon avait été produite la boue mise sur ses yeux. – Va à la piscine de Siloé. – J’y ai été et, m’étant lavé, j’ai retrouvé la vue. Le récit de l’aveugle ne nous fait connaître sa guérison instantanée. ἀνέδλεψα signifie « voir de nouveau », ce qui est exact si l’on se place à un point de vue général. Pausanias, Messen. 4, l’emploie d’une manière identique, cf. l’Évangile de Nicodème, chap. 6 (ap. Thilo, Codex apocr. p. 558).
Jean 9.12 Où est cet homme ? » lui dirent-ils. Il répondit : « Je ne sais pas. » – Troisième question, à laquelle le mendiant ne peut répondre que par un simple : Je ne sais pas.
Jean 9.13 Ils menèrent aux Pharisiens celui qui avait été aveugle. – Nous passons à la seconde partie de l’enquête (voyez la note du v.8), dans laquelle nous distinguerons trois phases : l’aveugle subit un premier interrogatoire de la part des Pharisiens, vv. 13-17 ; ses parents sont examinés à leur tour, vv. 18-23 ; il comparaît lui‑même de nouveau devant ses juges, vv. 24-34. La beauté, la vie et la véracité de la narration s’accentuent de plus en plus. – Ils menèrent… Les Pharisiens sont mentionnés d’une manière générale, comme parti, cf. 1, 24. Mais, naturellement, ils ne furent représentés ici que par quelques membres de la secte. Pourquoi l’aveugle fut‑il conduit devant eux par ses voisins ? Ces derniers étaient‑ils, comme on l’a supposé, de farouches zélotes, ou même des espions qu’on avait lancés contre Jésus, et qui, pour donner plus de force à leur dénonciation, amenaient avec eux leur pièce à conviction ? Rien de cela ne ressort du récit, qui ne nous montre en ces hommes aucune disposition malveillante. Il faut donc dire simplement qu’émerveillés du miracle, ils s’en vont, emmenant avec eux celui qui en avait été l’objet, auprès de leurs docteurs révérés, pour leur exposer le cas, et sans doute pour avoir leur appréciation sur un phénomène religieux si remarquable.
Jean 9.14 Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait ainsi fait de la boue et ouvert les yeux de l’aveugle. – C’était un jour de sabbat. Note rétrospective du narrateur, pleine d’importance pour la suite du récit, ainsi qu’on le verra dès l’ouverture de l’enquête (v.16). Au premier regard, l’imparfait « était » pourrait faire croire, et c’est l’opinion de plusieurs auteurs, que les détails racontés dans les versets 13-41 n’eurent pas lieu le même jour que le miracle ; mais l’enchaînement des divers faits démontre que tout se passa en une seule journée. Cf vv. 1, 6, 7, 8, 12, 13, 14. L’imparfait est mis par rapport à l’écrivain. – Fait de la boue. La narration appuie sur cet acte qui, au point de vue pharisaïque, était particulièrement scandaleux en un tel jour. « Faire de la boue avec de la salive est une manière de pétrir, et par conséquent une action contraire au sabbat, suivant l’idée des Juifs » Calmet, h.l. Voyez la note sous Matthieu, 12, 10-12. D’après le traité Schabbath, fol. 108, 2, faire une onction sur un seul œil avec de la salive constituait une violation du repos sabbatique ; or Jésus était allé bien au‑delà. – Les évangiles signalent sept miracles opérés le samedi par Notre‑Seigneur (Matth. 12, 9 ; Marc. 1, 21 ; Marc. 1, 29 ; Luc. 13, 14 ; Luc. 14, 1 ; Jean 5, 10 ; Jean 9, 6) : deux seulement de ces miracles, le second et le troisième, ne furent pas attaqués comment attentatoires à la sainteté du Décalogue.
Jean 9.15 A leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait retrouvé la vue et il leur dit : « Il m’a mis sur les yeux de la boue, je me suis lavé et je vois. » – lui demandèrent… On comprend que, pour porter un jugement plus sûr, les Pharisiens voulussent avoir une connaissance personnelle des faits : voilà pourquoi, ne se contentant pas du rapport des voisins, ils interrogent l’infirme lui‑même. – Comment il avait retrouvé la vue. C’est le mode du miracle qui attire tout d’abord l’attention de ces hommes pointilleux. Ils supposaient sans doute, d’après les événements antérieurs (cf. Jean v. 9 et ss.), que Jésus avait traité librement leurs prescriptions relatives au sabbat et qu’ils pourraient s’en prévaloir contre lui. – Il leur dit… Le mendiant recommence sa petite histoire du v. 11 ; mais il est remarquable qu’il la rend encore plus concise, car il ne raconte cette fois ni que Jésus a fait lui‑même la boue appliquées ensuite sur ses yeux (il m’a mis de la boue…, ni qu’il l’a envoyé se laver à Siloé (je me suis lavé). Il trouve étrange, évidemment, qu’on le presse ainsi de questions sur le fait le plus simple. Comparez le v. 27, où son impatience éclate totalement.
Jean 9.16 Sur cela, quelques-uns des Pharisiens disaient : « Cet homme n’est pas envoyé de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat. » D’autres disaient : « Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ? » Et la division était entre eux. – Quelques‑uns…disaient. Tableau dramatique, comme aux vv. 8 et 9. Les Pharisiens se mettent à discuter entre eux sur la personne du Thaumaturge. Deux opinions contradictoires se font jour, selon les deux points de vue distincts auxquels se placent les enquêteurs. Les uns jugent d’après leurs superstitions sabbatiques, et, considérant que Jésus les a négligées (il n’observe pas le sabbat), ils induisent de là qu’il ne saurait être de Dieu (notez de nouveau le dédaigneux ουτος, hic, cf. 3, 26 ; 6, 42, 52 ; 7, 15, 35, 49 ; 12, 34), par conséquent que le miracle provient du démon, s’il n’est pas une complète imposture. La loi avant tout. Tel est leur raisonnement. Il n’y a pas de miracle qui puisse tenir contre elle (cf. Reuss, La théologie johannique, p.27). Et, par un tel sophisme, ces esprits étroits, prétendent imposer des limites à Dieu, le maître du sabbat, sur son propre terrain. – D’autres… Les autres prennent au contraire le miracle pour base de leur appréciation. Voilà, disent‑ils, un homme qui accomplit des actes évidemment merveilleux (de tels miracles au pluriel ; le plus récent leur rappelle tous les autres, que chacun connaissait à Jérusalem) ; il n’est pas possible que ce soit un homme pécheur, attendu que, en règle générale, Dieu ne communique pas sa puissance miraculeuse, surtout à un pareil degré, à ses ennemis les pécheurs. De grands péchés et de grands miracles s’excluent ordinairement (cf. Ribet, La mystique divine distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines, t. 3, p. 59 et ss.). La violation du sabbat de la part de Jésus n’est qu’apparente, et elle a dû être autorisée par Dieu. Ceux qui argumentaient avec tant de justesse étaient timides, par malheur (cf. 3, 1, 2 ; 12, 42), et ils n’osaient qu’insinuer faiblement leurs convictions : cela ressort avec netteté de la forme interrogative qu’ils emploient (comment pourrait‑il…) au lieu d’une affirmation énergique. – Conclusion : Et la division était entre eux, aucun des deux partis n’ayant réussi à faire prévaloir ses idées, cf. 7, 43 ; 10, 19.
Jean 9.17 Ils dirent donc de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, de ce qu’il t’a ouvert les yeux ? » Il répondit : « C’est un prophète. » – Ils dirent donc de nouveau… Après ce petit épisode, ils reviennent au mendiant, dans l’espoir d’obtenir de lui quelques informations nouvelles. – Et toi : ils appuient sur ce pronom ; toi qui dois être renseigné là-dessus mieux que tout autre, quelle est ton opinion personnelle ? – La suite de la phrase, que dis tu de lui, c-à-d. : quelle conclusion tires‑tu de là à son sujet ? – C’est un prophète (προφήτης ἐστίν). Sans hésiter, il affirme, comme autrefois la Samaritaine, que Jésus est un prophète et, à ce titre, doué du pouvoir d’opérer des miracles. Ce mendiant est admirable de bon sens et de courage ; il saura bientôt le prouver mieux encore.
Jean 9.18 Les Juifs ne voulurent donc pas croire que cet homme eut été aveugle et qu’il eût retrouvé la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir les parents de celui qui avait retrouvé la vue. – Les Juifs ne voulurent donc pas croire. La particule οὖν rattache le doute des Pharisiens que l’aveugle‑né venait de porter sur Jésus. De cette opinion si favorable ils conclurent qu’il y avait eu une entente préalable entre le thaumaturge et le mendiant. – Les Juifs : au lieu de « les Pharisiens » (vv. 13, 16), et de même plus bas, v.22, pour désigner ceux d’entre les Pharisiens qui nous sont apparus tout à l’heure comme hostiles à N.-S. Jésus‑Christ, cf. 1, 19 et le commentaire. – Jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir… Non qu’ils soient revenus ensuite à de meilleurs sentiments ; mais « jusqu’à » est employé ici, comme tant d’autres passages de la Bible, pour marquer ce qui eut lieu jusqu’à une date déterminée, sans rien préjuger de l’avenir. Voyez la note sous Matthieu, 1, 25. Ce fut par suite de leur incrédulité que les Juifs firent comparaître devant eux les parents de l’aveugle : ils comptaient bien que la fausseté du miracle serait mise en lumière par cet autre interrogatoire. – Qu’il eût retrouvé la vue, en grec ἀναβλέπω.
Jean 9.19 Ils leur demandèrent : « Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? » – Ils leur demandèrent… Les juges posent coup sur coup aux parents trois questions : Est‑ce là votre fils ? Est‑il vrai qu’il soit né aveugle ? Comment voit‑il actuellement ? Les deux premières sont réunies en une seule phrase : Est‑ce là… né aveugle ? La locution que vous dites est étonnante, puisque les parents n’ont encore rien dit. Elle équivaudrait à ceci, d’après quelques exégètes : Votre fils, sur la cécité duquel vous allez nous donner des renseignements.
Jean 9.20 Ses parents répondirent : « Nous savons que c’est bien là notre fils et qu’il est né aveugle, 21 Mais comment il voit maintenant, nous l’ignorons et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Interrogez-le lui-même, il est assez grand, lui-même parlera de ce qui le concerne. » – Ses parents répondirent. Ils font preuve, dans leur réponse, de faiblesse et de ruse tout ensemble. Ainsi qu’il peut arriver quand on est intimidé par des juges puissants (cf. v.22) et ils ne consentent à dire que des choses incapables de les compromettre. – Est‑ce votre fils ? Oui, c’est notre fils. Était‑il vraiment aveugle de naissance ? Oui, il est né aveugle. Il n’y avait aucun risque à affirmer ces deux faits, aussi les parents parlent ; mais, dès qu’ils voient une apparence de danger, ils se taisent, et à leur savons antérieur ils opposent deux ignorons énergiques (remarquez l’emphase du pronom nous la seconde fois). – Comment il voit maintenant… Que pourrions‑nous savoir de ça ? Nous n’assistions pas à la scène. C’est ainsi qu’ils déclinent toute responsabilité, ou plutôt qu’ils la rejettent sur leur fils, en ajoutant : interrogez-le (avec emphase sur « lui‑même » : C’est lui qu’il faut interroger). Après tout, il est assez grand (ἠλιϰία, c.-à-d., la maturité convenable ; par conséquent : lui-même parlera de ce qui le concerne (ils appuient encore sur le pronom). Du reste, l’aveugle montrera bien qu’il n’avait pas besoin d’avocat : en réalité il saura parler de lui‑même à merveille.
Jean 9.22 Ses parents parlèrent ainsi, parce qu’ils craignaient les Juifs. Car déjà les Juifs étaient convenus que quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ serait exclu de la synagogue. – Ses parents parlèrent ainsi… L’évangéliste intercale une note. vv. 22-23, pour expliquer cette singulière conduite des parents. Ils craignaient les Juifs, dit‑il, et ce qu’il ajoute montre bien que leurs craintes n’étaient pas vaines, sans objet. – Car les Juifs étaient déjà convenus…(répétition emphatique de ce nom). Le verbe grec συνετέθειντο (convenir) n’est employé qu’en deux autres occasions du N. Testament : Luc. 22, 5, à propos de l’infâme contrat de Judas avec les Sanhédristes, et Actes 23, 20, pour désigner le complot formé par les Juifs en vue d’assassiner S. Paul. Il indique un échange préalable d’idée sur un point donné et une sorte d’arrangement officieux, non toutefois un décret officiel et solennel. Cette convention, qui datait d’un certain temps (ἤδη), s’était peu à peu ébruitée dans la ville. – Quiconque reconnaîtrait Jésus... Naguère déjà cette question avait été soulevée et débattue publiquement à Jérusalem, 7, 26 et ss. : Jésus n’est‑il pas le Messie ? Bien plus : Les hiérarques ne l’ont‑ils pas reconnu en cette qualité ? – Exclu de la synagogue (ἀποσυνάγωγος) : ces mots désignent ce que nous appellerions en langage chrétien l’excommunication, cf. 12, 42 ; 16, 2 ; Matth. 18, 17 ; Luc. 6, 22 (ἀφορίζειν, séparer), etc. Elle existe encore chez les Juifs, et l’on voit souvent les Rabbins en user à la manière des Pharisiens, comme d’un moyen d’intimidation.
Jean 9.23 C’est pourquoi ses parents dirent : « Il est assez grand, interrogez-le. » – Le narrateur reproduit, en l’abrégeant, la pensée du v. 22, afin de mieux attirer l’attention du lecteur sur les odieuses machinations des ennemis de N.-S. Jésus‑Christ.
Jean 9.24 Les Pharisiens firent venir une seconde fois l’homme qui avait été aveugle et lui dirent : « Rends gloire à Dieu. Nous savons que cet homme est un pécheur. » – Les Pharisiens firent venir… C’est la troisième phase de l’enquête (vv. 24-34). L’aveugle guéri, qui n’avait pas assisté à l’interrogatoire de ses parents, est de nouveau appelé et entendu. Les deux tentatives précédentes ont échoué, mais les ennemis de Jésus voudraient à tout prix réussir. Quelle scène. Les juges jouent le rôle le plus pitoyable, ils veulent contraindre l’aveugle à mentir à sa conscience. A toutes leurs sollicitations, le pauvre homme répond avec fermeté qu’il sait bien une chose, c’est qu’il était aveugle et que maintenant il voit. On dire ce qu’on voudra, on ne fera pas que ce qui est ne soit pas. Les juifs, battus, humiliés, couvriront leur défaite par un acte d’injustice et de violence. – Rends gloire à Dieu. Feignant d’avoir découvert dans leur entrevue avec les parents de quoi confondre Jésus et ses adeptes, les juges adjurent solennellement l’aveugle, par cette formule majestueuse, de dire enfin la vérité, toute la vérité. Souviens‑toi que Dieu te contemple, et honore‑le en étant sincère. Être sincère, c’était, à leur point de vue, accuser Jésus d’imposture. Ils abusent ainsi de ce qu’il y avait de plus sacré pour effrayer le mendiant. Conduite habile, introduction spécieuse mais indigne. Quelques exégètes traduisent : C’est à Dieu, pas à Jésus, que tu dois rapporter la gloire de ta guérison. Toutefois, le passage Josué 7, 19 (« Mon fils, glorifie le Seigneur, Dieu d’Israël, et rends‑lui grâce ; révèle‑moi ce que tu as fait, ne me cache rien ») leur donne tort en déterminant la vraie signification de la formule. – Nous savons. Nous, docteurs attitrés de la religion juive ; nous, dont l’autorité ne saurait être mise en question. Ils parlent comme s’ils possédaient la science absolue. – Cet homme (avec dédain) est un pécheur. Et un grand pécheur, puisqu’il ose enfreindre le sabbat (v.16) ; non pas un prophète, ainsi que tu le prétends sottement.
Jean 9.25 Celui-ci répondit : « S’il est un pécheur, je l’ignore, je sais seulement que j’étais aveugle et qu’à présent je vois. » – Répartie vraiment inimitable, tant elle a de finesse et de spontanéité. – S’il est un pécheur, je l’ignore. Certes, le mendiant est loin de concéder que Jésus soit un pécheur (cf. vv. 30-33) ; mais il prononce ces premiers mots à la façon d’un « soit, passons », parce qu’il ne voulait pas entrer avec ses juges dans une discussion théologique où ils auraient pu l’embarrasser. Cela n’est pas de ma compétence, semble‑t‑il dire. Pour le moment, il s’en tient donc au fait personnel, extérieur, manifeste, de sa guérison ; plus tard il argumentera sur ce fait. – Je sais seulement. Il oppose sa science à la leur («nous savons»). Elle ne porte que sur un point, mais ce point est indiscutable : j’étais aveugle (le participe ὤν du texte grec peut se traduire ou par le présent : étant aveugle de naissance, ou par le passé : ayant été aveugle, et qu’à présent je vois. Cette logique était irrésistible, et aucune témoignage ne valait celui‑là. Remarquez le beau contraste que le mendiant établit entre les douloureuses ténèbres de ses années passées et la joyeuse lumière de sa vie actuelle. On sent en outre, à travers ses paroles, quelque chose de la vigueur avec laquelle il dut les prononcer. Voyez, Marc. 10, 20 et Luc. 10, 42, un usage analogue de « une chose », pour dénoter une chose importante qui exclut toutes les autres.
Jean 9.26 Ils lui dirent : « Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? » – Embarrassés par la riposte inattendue de l’aveugle, les juges, soit pour gagner du temps et ne sachant plus que dire, soit parce qu’ils espéraient découvrir quelques contradictions dans un nouveau récit, reviennent encore sur les modalités du miracle (cf. v.15)
Jean 9.27 Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit et vous ne l’avez pas écouté : pourquoi voulez-vous l’entendre encore ? Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses disciples ? » – Je vous l’ai déjà dit… La patience échappe visiblement au mendiant. Non seulement il est fatigué de toutes ces questions et contre‑questions, mais il en comprend la portée, et sa nature droite, loyale, s’indigne du jeu misérable des Pharisiens ; aussi refuse‑t‑il avec vivacité de leur servir d’instrument. – vous ne l’avez pas écouté. Dans le grec, au contraire, ϰαὶ οὐϰ ἡϰούσατε, « et vous n’avez pas entendu » (la négation est certainement authentique). Ils avaient entendu, mais leurs préjugés les faisaient agir comme si le sujet était pour eux tout à fait neuf. Il n’est pas nécessaire de donner, avec divers commentateurs, un tour interrogatif à la pensée (N’avez-vous donc pas entendu ?) ; il serait plus imparfait encore de prendre le verbe dans le sens de faire attention, car alors il aurait coup sur coup deux significations différentes. (Vous n’avez pas été attentifs ; pourquoi donc voulez-vous entendre de nouveau mon récit ?). – Est‑ce que… (μὴ ϰαί, cf. 4, 29 ; 7, 67 ; 6, 35, 52, etc. Sans doute vous ne songez pas…!) vous aussi… : même vous. comme tant d’autres l’ont déjà fait. L’aveugle avait appris par la voix publique que des disciples assez nombreux s’étaient attachés à son bienfaiteur ; mais il comprenait fort bien, par ce qui venait de se passer dans son double interrogatoire, que le Pharisiens détestaient Notre‑Seigneur : aussi une telle supposition revêt‑elle sur ses lèvres le caractère de la plus mordante ironie.
Jean 9.28 Ils le chargèrent alors d’injures et dirent : « C’est toi qui es son disciple, pour nous, nous sommes les disciples de Moïse. – Les Juifs sont blessés au vif. A bout d’arguments ils ont recours à l’injure. L’expression grecque correspondante n’apparaît qu’ici dans les évangiles, et seulement en trois autres passages du Nouveau Testament (Actes 23, 4 ; 1 Corinthiens 4, 12 ; 1 Pierre 2, 23) ; elle a une grande énergie. – Les pronoms toi, nous, accentuent la pensée, d’abord d’une manière méprisante, puis sur un ton superbe(de même « nous » et « celui‑ci » au v. 29). – C’est toi qui es son disciple, lequel fait, suivant eux, impliquait la plus noire des apostasies, l’abandon de Moïse lui‑même.
Jean 9.29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, nous ne savons d’où il est. » – Ils développent et motivent ici leur assertion récente, en appuyant de nouveau dans les termes les plus orgueilleux (nous savons, nous ne savons pas) sur leur science soi‑disant infaillible. – Dieu a parlé à Moïse : λελάληϰεν au parfait, pour exprimer que les révélations faites par le Seigneur à Moïse étaient et demeuraient complètes. – Mais celui‑ci… d’où il est. Nous ignorons, en conséquence, s’il a des pouvoirs particuliers, et de qui il les tient. C’était une façon négative de dire que Jésus n’était certainement pas l’envoyé de Dieu. Voyez, 7, 27, une déclaration toute contraire, mais faite à un autre point de vue. Déjà, dans la synagogue de Capharnaüm, 6, 31 et 32, les Juifs avaient établi un rapprochement entre Notre‑Seigneur et Moïse, de manière à relever celui‑ci aux dépens de Jésus. Ils ont toujours été, du reste, si fiers de leur grand législateur.
Jean 9.30 Cet homme leur répondit : « Il est étonnant que vous ne sachiez pas d’où il est et cependant il m’a ouvert les yeux. – Cet homme (ὁ ἄνθρωπος, avec l’article seulement) leur répondit. Cette fois c’est par tout un petit discours que le mendiant réplique (vv. 30-33). Leur passion si évidente transforme son courage en hardiesse. Comme sa dialectique écrasera la leur. – Il est étonnant : c’est précisément en cela que consiste LA merveille. – A son tour le mendiant oppose deux choses l’une à l’autre ; l’assertion par laquelle ses juges prétendent ignorer la source des pouvoirs de Jésus (vous ne sachiez pas…), et sa propre guérison (il m’a ouvert…). Elles lui paraissent à bon droit inconciliables.
Jean 9.31 Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il exauce. – Nous savons. Ceci encore déborde d’ironie. Nous autres, gens du peuple, tout illettrés que nous sommes, nous avons pourtant notre petite science. (allusion piquante au « nous savons » des vv. 24 et 29). Elle nous dit que Dieu n’exauce pas les pécheurs ; par contre, que si quelqu’un l’honore (θεοσεδής, ici seulement dans le N.T.)…, c’est celui‑là qu’il exauce. Vérité générale, incontestable, mentionnée à plusieurs reprises par les auteurs inspirés, cf. Job. 27, 8 et 9 ; Ps. 65, 18, 19 ; Proverbes 15. 29 ; Isaïe 1, 1-15, etc. L’aveugle‑né envisage ici le miracle comme une réponse faite par Dieu à une prière spéciale du thaumaturge, et il affirme que d’ordinaire le Seigneur n’adresse cette réponse qu’à ses amis.
Jean 9.32 Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. – La démonstration du mendiant guéri forme un parfait syllogisme. Nous avons eu la majeure au v. 31 : Dieu n’exauce pas les pécheurs, mais seulement ceux qui l’honorent et accomplissent sa volonté. Voici maintenant la mineure : or il a exaucé Jésus, comme le prouve le miracle inouï qui vient d’être accompli en moi. La conclusion est au v. 33 : Donc Jésus est l’ami de Dieu et nullement un pécheur. – Jamais. La locution ἐϰ τοῦ αἰῶνος n’apparaît qu’en cet endroit des livres sacrés ; mais nous trouvons ailleurs ἀπʹαἰῶνος (Luc. 1. 70 ; Actes 3, 21 et 15, 18) et ἀπὸ τῶν αἰώνων (Colossiens 1, 26). – On n’a entendu dire… Nulle part l’Ancien Testament ne signale de guérison d’aveugles, à plus forte raison d’aveugles de naissance. Le mendiant fait ressortir par ce détail la grandeur du miracle dont il avait lui‑même été l’objet.
Jean 9.33 Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » – Si cet homme n’était pas de Dieu (παρὰ θεοῦ, cf. 1, 6)… Les Pharisiens étaient tombés dans deux erreurs grossières relativement à N.-S. Jésus‑Christ. Ils avaient prétendu, v.16, qu’il ne tenait de Dieu aucun pouvoir ; bien plus, v. 24, qu’il était ouvertement un pécheur. Cette dernière calomnie a été réfutée au v. 31 ; la première l’est ici même. – Il ne pourrait rien faire : ou du moins, d’après le contexte, un pareil miracle. Jamais l’argument tiré des miracles pour démontrer la mission divine et l’autorité de Jésus n’a été présenté avec plus de logique et de force. cf. 3, 2, la déduction de Nicodème analogue à celle du mendiant.
Jean 9.34 Ils lui répondirent : « Tu es né tout entier dans le péché et tu nous fais la leçon ? » Et ils le chassèrent. – L’enquête se termine par un coup de violence sous lequel se dissimule l’impuissance des juges. Mais que pouvaient‑ils bien répondre à une argumentation si serrée ? – Né tout entier dans le péché (notez ce pluriel, mis en avant de la phrase) (ὅλος, d’après tout ton être).., cf. v. 2 et le commentaire. De plus en plus aveuglés par la colère, ils lui jettent à la face son ancien malheur comme une marque évidente de crimes nombreux et signalés. – Et tu nous fais la leçon : toi, réprouvé, maudit, tu oses nous faire la leçon, à nous les docteurs de la nation. Les orgueilleux Pharisiens ne toléraient pas la moindre contradiction, ils méprisaient tous ceux qui n’étaient pas de leur parti (cf. 7, 49), et voici qu’un tel homme se permettait de les instruire. – Ils le le chassèrent(ἐξέδαλον αὐτὸν ἔξω). Incapables de le réfuter, non seulement ils l’insultent mais ils le frappent de leurs foudres. Il est probable en effet que ces dernières paroles du récit désignent l’excommunication proprement dite, cf. 3 Jean 10, où le verbe εϰβαλλεῖν est précisément usité dans ce sens ; les classiques l’emploient de même pour signifier l’exil. Toutefois, des commentateurs assez nombreux allèguent que l’aveugle n’était pas directement tombé sous la menace des Juifs (v. 22), puisqu’il n’avait pas confessé le caractère messianique de Jésus ; en outre, que la locution diffère notablement de celle du v. 22 (« chassé de la synagogue ») : d’où ils concluent qu’il s’agit d’une simple, quoique brutale expulsion « du lieu où ils se trouvaient » (Maldonat, cf. S. Jean Chrysostome, in h.l., etc.). Si l’on ne peut trancher d’une manière absolue cette petite question, qui a divisé les exégètes, on peut du moins affirmer avec M. Schegg qu’en toute hypothèse c’était bien une sorte d’excommunication « de fait ».
Jean 9.35 Jésus apprit qu’ils l’avaient ainsi chassé et l’ayant rencontré, il lui dit : – Jésus apprit… « L’évangéliste parle du Christ comme s’il n’était qu’un homme, dit très à propos Maldonat, parce que dans cette action il s’est comporté comme un homme, comme nous l’observons en plusieurs endroits ». Le récit ne détermine pas le temps ; mais il est vraisemblable que cette nouvelle scène ne fut pas séparée des précédentes par un bien long intervalle. – Et l’ayant rencontré. L’expression suppose des recherches préalables, tout aimables de la part du divin Maître, mais il voulait récompenser son confesseur courageux, et, par un bienfait autrement grand que celui de la vue, le dédommager des outrages dont on l’avait accablé.
Jean 9.36 « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit : « Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » – Crois‑tu… ? Toi, du moins, quoique tant d’autres demeurent incrédules. – Au Fils de l’homme. Chrysostome (hom. 59 sur S. Jean.) « Dieu se plaît à honorer surtout ceux qui sont couverts d’outrages pour avoir rendu témoignage à la vérité et confessé Jésus-Christ. C’est ce qui se vérifie dans cet aveugle. Les Juifs le chassent du temple, et le Maître du temple le rencontre, et l’accueille avec bonté, comme le président des combats accueille celui qui a courageusement combattu et mérité la couronne. « Jésus apprit qu’ils l’avaient ainsi chassé ; et, l’ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous au Fils de Dieu ? » [la Vulgate énonce : « Fils de Dieu »] Le récit de l’évangéliste nous fait voir que Jésus était venu exprès pour lui parler. Or, il l’interroge, non pour apprendre ce qu’il ignorait, mais pour se faire connaître à lui, et lui montrer la grande estime qu’il fait de sa foi ; et il semble lui dire : Ce peuple m’a outragé, mais peu m’importe ; je n’ai à cœur qu’une seule chose, c’est de vous inspirer la foi : mieux vaut un homme faisant la volonté de Dieu, que dix mille impies. » – Qui est‑il, Seigneur ? L’aveugle guéri contemplait alors Jésus pour la première fois : il le reconnut à sa voix. – Afin que je croie en lui. Sa bonne volonté est parfaite et admirable. Il suppose que son bienfaiteur est étroitement uni à Dieu en tant que thaumaturge, connaît le Messie alors attendu de tout le monde, et va le lui manifester ; mais il ne songe pas que Jésus est en personne ce Messie.
Jean 9.37 Jésus lui dit : « Tu l’as vu et celui qui te parle, c’est lui-même. » – Le bon berger daigne se révéler complètement à cette chère brebis : Tu l’as vu… Il y a dans ces mots une allusion évidente et affectueuse au miracle des vv. 6 et 7. C’est grâce à lui que tu peux jouir de sa vue. – Celui qui te parle, c’est lui-même. Déjà, 4, 26, Jésus avait employé cette formule pour se manifester à la Samaritaine.
Jean 9.38 « Je crois, Seigneur » dit-il et il se prosterna devant lui. – Acte de foi non moins beau que simple et concis. Puis, l’adoration suit spontanément la connaissance ; en effet, ajoutant aussitôt le geste à la parole, il se prosterna. L’expression grecque (προσεϰύνησεν) n’apparaît qu’en trois passages du quatrième évangile (cf. 4, 20-24 ; 12, 20), et toujours c’est pour marquer un culte rendu à Dieu. Cependant, par elle‑même, elle ne désigne pas l’adoration dans le sens strict, mais un baiser envoyé avec la main en signe d’hommage ; puis, par extension de l’idée, la prosternation selon la mode orientale. Cas de prosternation signifiant une adoration au sens absolu : Exode 34,8 ; Josué 23, 7). Pour les détails iconographiques qui concernent la guérison de l’aveugle‑né, voyez Rohault de Fleury, l’Évangile, t. 2, p.44 et ss. On cite aussi un beau tableau de Lesueur. D’après une antique tradition, S. Sidoine, successeur de S. Maximin sur le siège épiscopal d’Aix, et venu de Palestine en Provence avec S. Lazare, ses sœurs et ses nombreux compagnons, ne serait autre que l’aveugle guéri à Siloé, cf. Cornélius a Lap., h. l., et Faillon, Monuments inédits sur l’apostolat de Ste Marie‑Madeleine en Provence, t. 1, p.761 et ss.
Jean 9.39 Alors Jésus dit : « Je suis venu dans ce monde pour un jugement, afin que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles. » – Parole tout à la fois consolante et terrible, par laquelle N.-S. Jésus‑Christ rattache son rôle entier de Messie au miracle récemment accompli. Il expose la signification mystique de la guérison : il y a d’autres yeux qu’il est venu guérir ; hélas ! il en est aussi pour lesquels le résultat de son Incarnation sera la plus plus affreuse cécité. C’est bien à tort qu’on a parfois séparé cet épisode (vv. 39-41) de la scène qui précède, car il lui est intimement lié de toutes façons. Jésus ne s’adresse plus à l’aveugle prosterné à ses pieds, mais à toute l’assistance. – Pour un jugement. Dans le grec, εἰς ϰρίμα : expression que S. Jean emploie seulement en cet endroit. C’est encore une nuance de ϰρίσις (V, 22, 24, 27, 30, etc.). Par ce dernier terme, il faut entendre l’acte même de juger ; le ϰρίμα est le résultat final de la ϰρίσις, la décision, le jugement (bon ou mauvais, favorable ou défavorable) qui est la conséquence de cet acte, cf. Matth. 7, 2 ; Marc. 12, 40 ; Romains 2, 2, 3, etc. Quoique Jésus ne soit pas directement venu pour juger les hommes, mais tout au contraire pour les sauver, 3, 17 ; 8, 15, son séjour parmi eux opérait néanmoins un jugement inévitable. Les méchants se séparaient des justes, la foi et l’incrédulité étaient manifestées, cf. 3, 19 ; Luc. 2, 34 ; mais en réalité chacun était jugé par sa propre conduite envers N.-S. Jésus‑Christ. – Je (pronom très accentué) suis venu dans ce monde. Locution animée de S. Jean, cf. 8, 23 ; 11, 9 ; 12, 25, 31 ; 13, 1 ; 16, 11 ; 18, 36 ; 1 Jean 4, 17. Ce monde, tel que nous le voyons encore, avec son étonnant mélange de bien et de mal. – Afin que ceux qui ne voient pas… Langage métaphorique qui est très clair d’après le contexte. Jésus explique dans quel but (ἵνα) il s’est incarné. La terre était remplie d’aveugles beaucoup plus à plaindre que celui qui avait recouvré naguère la vue auprès de la piscine de Siloé : à ceux‑là également il apportait le bienfait de la pleine lumière (voient), βλέπωσιν). C’était la masse ignorante, la foule des petits et des humbles qui n’avaient qu’une connaissance imparfaite de Dieu et de ses volontés, cf. 7, 49 ; Luc. 10, 21 ; Matth. 11, 25 ; 12, 31-32. – Et que ceux qui voient... Il y a un changement significatif dans l’expression. Jésus ne dit pas « ne voient pas » mais « deviennent aveugles » ; ce qui est beaucoup plus énergique, car cela marque la privation des organes mêmes. Ces croyants rendus aveugles, ce sont évidemment, d’après l’ensemble de l’évangile, les Pharisiens et les docteurs orgueilleux.
Jean 9.40 Quelques Pharisiens qui étaient avec lui, lui dirent : « Sommes-nous, nous aussi des aveugles ? » – Quelques pharisiens(le grec ajoute ταῦτα, « ces ») qui étaient avec lui. Ils étaient avec lui, non en qualité de disciples, comme on l’a quelque fois affirmé, mais parce qu’ils s’étaient mêlés à la foule pour épier sa conduite et ses paroles, cf. 7, 32 et le commentaire. – Lui dirent. Ils soupçonnaient, et à bon droit, que Jésus avait voulu parler d’eux, quoiqu’il ne les eût pas désignés directement. – Sommes-nous…aveugles… ? Le pronom est très emphatique. Nous, les plus éclairés et les plus saints de la nation. Aussi emploient‑ils la formule qui suppose une réponse négative : μὴ ϰαὶ ἡμείς… Tu ne voudrais certainement pas dire que nous aussi nous sommes aveugles ? cf. v. 27 ; 6, 68, etc. Tes paroles ne s’adressent qu’au peuple.
Jean 9.41 Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché, mais maintenant vous dites : Nous voyons, votre péché demeure. » – Jésus leur répondit. Cette fois, c’est pour eux spécialement qu’il va parler, et non pour l’assistance en général, comme au v. 39. – Si vous étiez des aveugles. La cécité est un mal affreux, et pourtant, plût à Dieu qu’ils fussent vraiment aveugles relativement à Jésus, à son origine, à son rôle. Alors, en effet, ils seraient excusables de ne pas voir : vous n’auriez pas de péché, cf. 15, 22. – Mais maintenant introduit une antithèse frappante. – Vous dites. C’est le mot important de la phrase. Vous affirmez vous‑mêmes que vous jouissez pleinement de la vue. Ils sont ainsi leurs propres juges. – Nous voyons. Cette citation de leur langage sous la forme directe est vivante et pittoresque. Votre péché demeure. Mot terrible, répété emphatiquement à la fin de la phrase. Leur péché demeure, et demeurera toujours, car ils ne se convertiront pas. Le cas de ces aveugles était donc désespéré.


