CHAPITRE 14
Marc 14, 1‑2. Parall. Matth. 26, 3‑5 ; Luc 22, 1‑2.
Mc14.1 La Pâque et les Azymes devaient avoir lieu deux jours après et les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient les moyens de se saisir de Jésus par ruse, afin de le faire mourir. — Deux jours après… C’est‑à‑dire le surlendemain. Ce qui va suivre se passait donc le 12 nisan, le mardi de la Semaine Sainte. — C’étaient la Pâque et les Azymes. La fête par excellence du Judaïsme, la grande solennité nationale et religieuse des Hébreux. Sur l’origine des mots Pâque et Azymes, voyez commentaire de S. Matthieu, 26, v.1 et v.17. On s’est parfois demandé pour quel motif S. Marc a réuni ces deux noms, la Pâque et les Azymes, alors que l’un ou l’autre eût parfaitement suffi. Plusieurs exégètes, restreignant le sens de « Pâque » de manière à ne lui faire désigner ici que l’agneau pascal, ont supposé que l’Évangéliste avait surtout en vue le repas légal du 14 nisan, qui se trouverait ainsi désigné par ses deux mets principaux, l’agneau et les pains azymes. Mais cette raison nous parait peu convaincante, puisque, dans ce passage, il est question de la solennité considérée dans son ensemble, et pas seulement de la Cène. Peut‑être la formule « Pâque et Azymes » (פסח והמעות) était‑elle parfois employée à l’époque de Notre‑Seigneur pour dénommer la Pâque. Mais il nous semble plus probable que S. Marc n’a voulu associer ces deux noms techniques qu’afin de montrer à ses lecteurs d’origine païenne qu’ils indiquent une seule et même fête. Cf. Luc 22, 1. — Les princes des prêtres et les scribes cherchaient… S. Matthieu, dont la narration est plus complète, nous montre les Sanhédristes se réunissant en séance solennelle chez Caïphe, le prince des prêtres, et tenant une consultation en règle sur le sujet en question. S. Marc note du moins clairement le but de leurs efforts, se saisir de Jésus… — Nous avons fait remarquer en expliquant le passage parallèle de S. Matthieu, 26, 4, que l’expression « par ruse » ne retombe que sur « se saisir », et pas sur « afin de le faire mourir ». La principale difficulté consistait en effet à se saisir de la personne de Jésus. Une fois arrêté, les Sanhédristes sauront bien se défaire de lui, soit juridiquement, soit au besoin en recourant au poignard d’un tueur.
Mc14.2 « Mais, disaient-ils, que ce ne soit pas pendant la fête, de peur qu’il n’y ait du tumulte parmi le peuple. » — Pas pendant la fête ; c’est‑à‑dire pendant les huit jours que durait la fête. Les Sanhédristes reculaient ainsi d’une grande semaine et au‑delà l’arrestation de Jésus. — De peur qu’il n’y ait de l’agitation… Cf. l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 5. Vu les dispositions favorables du peuple pour Jésus, un soulèvement était fort à craindre si l’on ne procédait avec la plus grande prudence dans cette affaire délicate. C’est pourquoi les membres du grand Conseil, malgré leur désir de se débarrasser au plus vite de leur ennemi, sont unanimes pour retarder de quelques jours l’exécution de leurs noirs projets de vengeance. Sur le motif qui annula bientôt cette résolution, voyez notre commentaire sur Matth. 26, 5.
Marc 14, 3‑9.Parall. Matth. 26.6‑13 ; Jean 12.1‑11.
Mc14.3 Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme entra pendant qu’il se trouvait à table. Elle tenait un vase d’albâtre plein d’un parfum de nard pur d’un grand prix et ayant brisé le vase, elle répandit le parfum sur sa tête. — Comme Jésus était à Béthanie. Ce dîner que Jésus prit à Béthanie chez Simon le Lépreux se fit six jours avant la Pâque… S. Jean l’a rapporté en son lieu, Jean 12, 1 ; mais les autres évangélistes l’ont mis ici par récapitulation, pour faire connaître la cause de la trahison de Judas. — Simon le lépreux. Personnage inconnu, qui était évidemment un disciple de Notre‑Seigneur. — Une femme entra. C’était celle qui avait eu le bonheur de s’entendre dire par Jésus quelque temps auparavant : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas ôtée ». Luc 10, 42. — Un vase d’albâtre plein d’un parfum précieux. S. Marc, de même que S. Jean, a nettement indiqué la nature du parfum répandu par Marie sur la tête du Sauveur. Le nard, mentionné à deux reprises dans le Cantique des Cantiques (1, 12 ; 4, 13-14) était une huile aromatique, fabriquée avec les racines, les feuilles ou l’épi de la plante du même nom [Nardostachys jatamansi, de la famille des Valérianées, De Candolle.], qui croît, ou plutôt que l’on cultive en grand dans les Indes. Dioscorides [lib. 1, c. 72.] en fait ressortir la grande valeur. Ce parfum était si estimé des anciens, qu’Horace, on le sait, allait jusqu’à promettre à Virgile un tonneau entier de bon vin pour une petite fiole de nard [Cf. Horace, Carmina 4, 12, 16 et 17.]. « Pur », authentique, par opposition à frelaté. La fraude allait grand train sur cette matière précieuse, comme nous le raconte Pline l’Ancien [Histoire naturelle, 12, 26.], en parlant du « Pseudonard ». — Ayant rompu le vase. Détail pittoresque, propre à S. Marc. Le goulot étroit du vase n’aurait pas permis au parfum de s’échapper assez vite : Marie le brise sans hésiter, sacrifiant tout ensemble le contenant et le contenu dans sa sainte prodigalité.
Mc14.4 Plusieurs de ceux qui étaient là exprimèrent leur mécontentement : « Pourquoi perdre ainsi ce parfum ? — À l’instigation de Judas, cf. Jean 12, 4, plusieurs disciples se permirent de blâmer, non seulement au fond de leur cœur, en eux‑mêmes, mais aussi ouvertement et à voix haute, la conduite de Marie.
Mc14.5 On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers et les donner aux pauvres. » Et ils se fâchaient contre elle. — On pouvait vendre ce parfum plus de trois cents deniers. Ces Galiléens, positifs et pratiques comme le sont d’ordinaire les gens de la campagne, ont eu le temps déjà de calculer la valeur du parfum. On aurait pu, s’écrient‑ils, le vendre 300 deniers et au delà, c’est‑à‑dire le salaire de 300 journée d’un ouvrier agricole. — Et les donner aux pauvres. « L’amour des pauvres fut le prétexte dont on se servit pour condamner la piété de cette femme, qu’on appelait indiscrète » [Jacques‑Bénigne Bossuet, Méditation sur l’Évangile, Dernière Semaine 8e jour.]. — ils se fâchaient contre elle. Expression énergique, qui marque ordinairement une indignation extrême. Ce trait est propre à S. Marc.
Mc14.6 Mais Jésus dit : « Laissez-la, pourquoi lui faites-vous de la peine ? C’est une bonne action qu’elle a faite à mon égard. — Le Sauveur protesta avec bonté, mais aussi avec fermeté, contre cette conduite injuste de ses Apôtres. Du reste, comme le dit Bossuet, l. c., leurs insolents discours n’attaquaient pas seulement la femme dont ils accusaient la profusion, mais encore leur Maître, qui l’admettait. — une bonne œuvre… Jésus a rarement loué d’une manière si illimitée les hommages dont sa divine personne a été l’objet sur la terre.
Mc14.7 Car vous avez toujours les pauvres avec vous et toutes les fois que vous voulez, vous pouvez leur faire du bien, mais moi, vous ne m’avez pas toujours. — Quand vous voudrez, vous pourrez… S. Matthieu et S. Jean ont omis cette belle parenthèse, par laquelle Jésus exhorte indirectement les siens à la charité envers les pauvres. — Moi, vous ne m’aurez pas toujours. Allusion délicate à sa mort prochaine. — On l’a dit avec beaucoup de justesse, ce verset contient les titres de noblesse de l’art chrétien, qui renouvelle de mille manières pour Notre‑Seigneur Jésus‑Christ l’acte généreux de la sœur de Lazare.
Mc14.8 Cette femme a fait ce qu’elle a pu, elle a d’avance embaumé mon corps pour la sépulture. — Ces paroles sont également propres à S. Marc. Quel éloge sous la forme la plus simple. — Elle a d’avance embaumé mon corps… Par cette onction respectueuse, Marie avait rendu d’avance au corps sacré de Jésus les honneurs funèbres. C’est ainsi qu’un acte qui n’avait en soit rien d’extraordinaire, était devenu, à cause des circonstances particulières où se trouvait Jésus, profondément significatif. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 12.
Mc14.9 Je vous le dis, en vérité, partout où sera prêché cet évangile, dans le monde entier, on racontera aussi ce qu’elle a fait, en mémoire d’elle. » — Partout où sera prêché cet Évangile… Après avoir loué sans réserve l’action de Marie et après en avoir expliqué le sens prophétique, le Sauveur lui accorde, dès ici‑bas, une grande récompense. La pieuse amie de Jésus, en rendant un hommage public à Celui dont elle et les siens avaient reçu tant de bienfaits, s’élevait à son insu un monument éternel de gloire.
14, 10-11. Parall. Matth. 26, 14‑16 ; Luc 22, 3‑6.
Mc14.10 Or, Judas l’Iscariote, l’un des Douze, alla vers les Princes des prêtres pour livrer Jésus. — Judas… l’un des douze. C’était, remarque saint Augustin, « un des douze, quant au nombre, mais non quant au mérite ; par l’apparence, mais non par la vertu ; quant à la société extérieure, mais non par les liens de l’esprit ; par la réunion des corps, mais non par l’union des cœurs » [Tractatus 41 in Jean]. C’est pourquoi il ne rougit pas de livrer son Maître. « Venu au repas pour espionner son Pasteur, tendre des pièges à son Sauveur et vendre son Rédempteur », comme le dit encore saint Augustin [bid. Tractatus 55], il s’en va de lui‑même, par le libre choix de son âme criminelle, tendre la main aux Sanhédristes et conclure avec eux le marché le plus infâme qui ait jamais eu lieu sur la terre. Quel contraste entre l’acte de Marie et la démarche de Judas. Et ce qui rend le contraste plus frappant, c’est que ce fut précisément l’action si noble et si affectueuse de Marie qui mit le comble à la haine de Judas. Sur les mobiles de cette trahison, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 15. La démarche du traître eut lieu, selon toute vraisemblance, le soir du Mardi saint, peu de temps après le complot du Sanhédrin (v. 1).
Mc14.11 Après l’avoir entendu, ils furent dans la joie et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer. — Après l’avoir entendu, ils se réjouirent. S. Matthieu n’avait pas mentionné ce trait caractéristique. On comprend sans peine que la proposition du Judas ait rempli le cœur des Sanhédristes d’une joie infernale. On l’a vu, vv. 1 et 2, ils étaient réellement inquiets sur l’issue d’une entreprise qu’ils croyaient hérissée de difficultés, même de dangers, et voici qu’un des amis les plus intimes de Jésus se chargeait de lever tout obstacle. — « Et ils convinrent de lui donner trente pièces d’argent », dit S. Matthieu. C’est pour cette misérable somme que l’avare Judas vendit son Maître. — Et il cherchait une occasion favorable… Devenu l’agent des Princes des prêtres, le traître guette le moment favorable de tomber sur sa proie. L’arrestation, en effet, ne pouvait guère avoir lieu à Béthanie, où Jésus comptait un si grand nombre d’amis dévoués.
Marc 14, 12‑25. Parall. Luc 22.3‑6.
Marc 14, 12‑16. Parall. Matth. 26, 15‑19 ; Luc 22, 7‑13.
Le récit de S. Marc est le plus vivant et le plus complet des trois : un seul détail y est omis, le nom des deux disciples chargés de préparer la cène.
Mc14.12 Le premier jour des Azymes, où l’on immolait la Pâque, ses disciples dirent à Jésus : « Où voulez-vous que nous allions vous préparer ce qu’il faut pour manger la Pâque ? » — Le premier jour des Azymes. C’est‑à‑dire dans la journée et probablement dès le matin du 14 nisan, qui tombait un jeudi cette année‑là. Voyez la note chronologique insérée dans notre Évangile selon S. Matthieu, 26, 17. — Où on immolait la Pâque. Le sujet est « les Juifs », sous‑entendu à la façon hébraïque. La Pâque a évidemment le sens de victime pascale. Ce petit détail d’archéologie est omis par S. Matthieu : il eût été fort inutile pour ses lecteurs d’origine juive. — Où voulez‑vous que nous allions vous préparer… ? Les Apôtres rappellent familièrement à leur Maître qu’il est temps de faire les préparatifs nécessaires pour la célébration de la cène légale, et ils lui demandent spécialement ses intentions touchant le choix d’un local convenable.
Mc14.13 Et il envoya deux de ses disciples et leur dit : « Allez à la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau, suivez-le, — Et il envoya deux de ses disciples : « Pierre et Jean », dit S. Luc. Jésus les envoie à Jérusalem, à la ville, où devaient avoir lieu l’immolation et la manducation de l’agneau pascal. — Vous rencontrerez un homme… Ainsi qu’on l’admet communément, Jésus, au lieu de nommer directement le propriétaire de la maison où il désirait faire la Pâque, employa cette circonlocution mystérieuse afin de cacher à Judas jusqu’au soir le lieu de la réunion. Si le traître eût connu d’avance ce local, il n’eût pas manqué d’avertir les Sanhédristes pendant la journée, et on serait venu arrêter Notre‑Seigneur avant que « son heure » fût venue, avant qu’il eût laissé à son Église, dans la sainte Eucharistie, le gage de l’amour le plus parfait et la plus précieuse bénédiction. — Portant une cruche d’eau. Signe très distinctif, qui rendait cet homme facile à reconnaître, même au milieu de la foule nombreuse qui remplissait alors la capitale juive. Le mot grec traduit par cruche signifie proprement un vase de terre cuite : il s’agit donc d’une de ces grandes urnes en terre que les Orientaux portaient sur la tête. Ce serviteur devait‑il se trouver là en vertu d’un arrangement concerté d’avance entre Jésus et le maître de la maison ? ou bien est‑ce la Providence elle‑même qui devait le placer sur le chemin des deux Apôtres pour leur servir de guide, de sorte que Jésus eût été vraiment prophète en tenant ce langage ? Les deux sentiments ont été soutenus ; le premier nous paraît néanmoins difficilement admissible. Les Évangélistes racontent visiblement un fait surnaturel.
Mc14.14 et là où il entrera, dites au propriétaire de la maison : Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? — Là où il entrera. Le langage de S. Luc est plus précis : « suivez‑le dans la maison où il entrera ». — Propriétaire de la maison. Ce devait être un disciple, assurément, ainsi qu’il ressort du contexte et surtout du mot Maître. — Où est la salle... Le mot grec (cf. Luc 22, 11) signifie lieu de repos, appartement où le voyageur se repose quelques instants.
Mc14.15 Et il vous montrera un grand cénacle meublé et tout prêt : faites-nous là les préparatifs. » — Et il vous montrera une grand cénacle meublé… S. Matthieu a omis tous ces détails ; S. Luc les rapporte dans les mêmes termes que notre Évangéliste. Le cénacle, ou, d’après le grec, la chambre haute qui devait être cédée aux disciples, est décrite en deux mots par Jésus : grande, elle avait de grandes dimensions. Ce qui suppose qu’elle faisait partie d’une maison riche et considérable ; meublé, elle était munie de tapis, de divans, par conséquent déjà préparée pour le repas.
Mc14.16 Ses disciples partirent et allèrent à la ville et ils trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et ils préparèrent la Pâque. — La narration est pittoresque et rapide. Elle est en même temps très circonstanciée, à la manière de S. Marc.
Marc 14, 17‑21. Parall. Matth. 26, 20‑26 ; Luc 22, 13, 21‑23 ; Jean 13, 1‑30.
Mc14.17 Sur le soir, Jésus vint avec les Douze. — Le narrateur nous transporte tout à coup au soir du jeudi saint, et il nous montre Jésus faisant son entrée avec les Douze dans la salle du festin. Les deux Apôtres désignés pour faire les préparatifs de la Pâque avaient sans doute rejoint leur Maître dans l’après‑midi.
Mc14.18 Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient, Jésus dit : « Je vous le dis en vérité, un de vous me trahira, celui qui mange avec moi. » — Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient. Marc condense dans ces quelques paroles les nombreuses cérémonies de la cène pascale, sur laquelle il n’avait pas à s’étendre. On en trouvera la description abrégée dans l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 20. Sur la manière dont les Juifs célèbrent la Pâque, fin XIXème, début Xxème siècle voyez Stauben [Daniel Stauben, Scènes de la vie juive en Alsace, Paris, 1860, pp. 98 et ss. et Coypel [Édouard Coypel, Le Judaïsme, Esquisse des mœurs juives, pp. 231 et ss.]. — Vers la fin du repas légal, Jésus, d’une voix émue, prédit tout‑à‑coup aux siens que l’un d’eux se disposait à le trahir. Les mots qui mange avec moi sont emphatiques. En tous lieux, mais surtout en Orient, l’action de prendre un repas en commun établit une certaine union entre les convives. Trahir quelqu’un avec qui l’on a mangé est donc une circonstance aggravante. Mais, sur les lèvres de Jésus et relativement à Judas, cette phrase était beaucoup plus significative encore ; car elle revenait a dire : Je vais être livré à mes ennemis par l’un de mes plus intimes amis.
Mc14.19 Et ils se mirent à s’attrister et à lui dire l’un après l’autre : « Est-ce moi ? » — Ils se mirent… à lui dire l’un après l’autre. Cette dernière expression (Cf. Jean 8, 9 ; Romains 12, 15) est très pittoresque. — Mais pourquoi tous les Apôtres adressaient‑ils cette question à Jésus ? C’est que, répond délicatement Théophylacte, bien qu’ils se sentissent étrangers à la coupable intention dont avait parlé leur Maître, ils croyaient cependant beaucoup plus à Celui qui connaît le cœur de tous, qu’ils ne croyaient à eux‑mêmes.
Mc14.20 Il leur répondit : « C’est un des Douze, qui met avec moi la main dans le plat. — Jésus réitère sa triste prédiction, en la rendant encore plus précise. C’est ainsi qu’il dit un des douze, au lieu de « un de vous », qu’on aurait pu appliquer aux disciples en général. — Qui met avec moi la main dans le plat… Ces mots sont également plus expressifs que le simple « qui mange avec moi » du v. 18. Nous avons montré, en expliquant le passage parallèle de S. Matthieu (26, 23), qu’ils ne désignaient pas ouvertement Judas.
Mc14.21 Pour le Fils de l’homme, il s’en va, ainsi qu’il est écrit de lui, mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme est trahi. Mieux vaudrait pour cet homme qu’il ne fût pas né. » — Pour le Fils de l’homme… mais malheur… Énumération des deux pensées contenues dans ce verset, pour montrer le rapport qui existe entre elles. C’est comme s’il y avait : Sans doute il a été décrété, prophétisé, que le Fils de l’homme serait trahi par l’un des siens ; et pourtant, malheur à l’homme qui doit remplir l’office de traître. — Mieux vaudrait. « Jésus ne dit pas : Il vaudrait mieux absolument ; car, par rapport au conseil de Dieu, et au bien qui revient au monde de la trahison de Judas, il faut bien qu’il vaille mieux qu’il ait été ; mais la puissance de Dieu n’empêche ni n’excuse la malice de cet homme… Il vaudrait mieux pour cet homme qu’il n’eût jamais été, puisqu’il est né pour son supplice, et que son être ne lui sert de rien que pour rendre sa misère éternelle » [Jacques‑Bénigne Bossuet, Méditation sur l’Évangile, Dernière semaine, 20e jour.]. Cette menace terrible était un dernier appel de Jésus au cœur de Judas. « On annonce la peine, pour que celui que la pudeur n’a pas vaincu, l’annonce des supplices le corrige ». Saint Jérôme. Mais elle demeura sans effet.
Marc 14, 22‑25. Parall. Matth. 26, 26‑29 ; Luc 22, 15‑20; 1Corinthiens 11, 23‑25. Pour l’explication détaillée, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 26. Le récit de S. Marc ressemble en effet beaucoup à celui du premier synoptique.
Mc14.22 Pendant le repas, Jésus prit du pain et après avoir prononcé une bénédiction, il le rompit et le leur donna, en disant : « Prenez, ceci est mon corps. » — Pendant le repas. Cet épisode commence de la même manière que le précédent. Cf. v. 18. L’Évangéliste a voulu montrer par là l’union étroite des deux cènes : la seconde fut comme la continuation de la première, qu’elle devait désormais remplacer. « Après en avoir fini avec les cérémonies de la Pâque ancienne, Jésus passe à la nouvelle. C’est‑à‑dire qu’à la chair et au sang de l’agneau, il a substitué le sacrement de son corps et de son sang ». Bède le Vénérable. — Jésus prit du pain ; l’un des pains azymes qui étaient placés en face de lui sur la table. — L’ayant béni, il le rompit. Cette cérémonie n’avait lieu d’ordinaire qu’au commencement du repas : en la renouvelant ici, Jésus indiquait qu’il passait à un second festin. — Ceci est mon corps. Jésus ne dit pas Ce pain, mais Ceci, ce que je vous offre. « Mon corps », mon propre corps. « Par le nom du corps, dans les paroles du Christ, ce n’est pas toute la substance de l’homme que l’on désigne, comme quelques‑uns l’ont compris faussement. Mais une autre partie de la substance, matérielle et solide, qui n’est pas seulement distincte de l’âme, mais aussi du sang. Car la consécration du sang se fait séparément avec des paroles particulières ». [Guillaume Estius, Commentaria in 1 Corinthiens 11, 24.]
Mc14.23 Il prit ensuite la coupe et, ayant rendu grâces, il la leur donna et ils en burent tous. 24 Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, répandu pour la multitude. — Jésus transforme le vin en son sang de même qu’il avait changé le pain en son corps. Les mots et ils en burent tous sont propres à S. Marc. Ils sont placés en cet endroit par anticipation ; car certainement le Sauveur ne fit pas circuler la coupe entre les mains des Apôtres avant de l’avoir consacrée. — Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance. Les Apôtres comprirent de quelle alliance il s’agissait, car jusqu’alors il n’y en avait pas eu d’autre que celle du Sinaï. Les jours étaient venus où devait s’accomplir l’oracle célèbre de Jérémie, 31, 31 et ss. : « Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. Ce ne sera pas comme l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte ». — Pour la multitude. Autres traductions : pour beaucoup ou pour un grand nombre… Hélas, s’écrie saint Jérôme, ce sang divin ne purifie pas tous les hommes. — « Chrétien, te voilà instruit ; tu as vu toutes les paroles qui regardent l’établissement de ce mystère. Quelle simplicité. quelle netteté dans ces paroles. Il ne laisse rien à deviner, à gloser… Quelle simplicité encore un coup, quelle netteté, quelle force dans ces paroles. S’il avait voulu donner un signe, une ressemblance toute pure, il aurait bien su le dire… Quand il a proposé des similitudes, il a bien su tourner son langage d’une manière à le faire entendre, en sorte que personne n’en doutât jamais : Je suis la porte ; Je suis la vigne… Quand il fait des comparaisons, des similitudes, les évangélistes ont bien su dire : Jésus dit cette parabole, il fit cette comparaison. Ici, sans rien préparer, sans rien tempérer, sans rien expliquer, ni devant, ni après, on nous dit tout court : Jésus dit : Ceci est mon corps ; Ceci est mon sang ; mon corps donné, mon sang répandu ; voilà ce que je vous donne… Ô mon Sauveur, pour la troisième fois, quelle netteté, quelle précision, quelle force. Mais en même temps, quelle autorité et quelle puissance dans vos paroles.… Ceci est mon corps ; c’est son corps : Ceci est mon sang ; c’est son sang. Qui peut parler en cette sorte, sinon celui, qui a tout en sa main ?… Mon âme, arrête‑toi ici, sans discourir : crois aussi simplement, aussi fortement que ton Sauveur a parlé, avec autant de soumission qu’il fait paraître d’autorité et de puissance… Je me tais, je crois, j’adore : tout est fait, tout est dit » [Jacques‑Bénigne Bossuet, loc. cit., 22e jour.].
Mc14.25 Je vous le dis, en vérité, je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. » — Je ne boirai plus… Parole solennelle, qui ouvre un double horizon, le premier très rapproché, le second très lointain. Jésus ne boira plus de vin sur la terre ; c’est dire qu’il va bientôt mourir. Il en boira plus tard dans le ciel avec ses Apôtres, d’une manière mystique : c’est annoncer son triomphe et la consommation de son royaume dans les splendeurs de l’éternité. On le voit, le verbe boirai est pris successivement en deux acceptions distinctes : la première fois au propre, la seconde fois au figuré, pour désigner les délices du ciel. — Des mots je ne boirai plus, faut‑il conclure que Jésus, avant de faire passer à ses disciples la coupe qui contenait le vin transsubstantié, y avait le premier trempé ses lèvres, et, par analogie, qu’il avait de même communié sous les espèces du pain ? Des auteurs importants l’ont pensé, en particulier S. Jean Chrysostome [Homilia 82 in Matth.], saint Augustin [De Doctrina christiana, 2, 3.], saint Jérôme [Ad Hedibiam, quæst. 2.], saint Thomas d’Aquin [Summa Theologica, 3, q. 84, a. 4.]. « Il est le convive et le festin, celui qui mange et qui est mangé ». Malgré le profond respect que nous avons pour ces grands savants et ces grands saints, nous nous permettons avec plusieurs exégètes et théologiens des divers temps, d’adopter l’opinion contraire. Il nous semble en effet que l’acte ainsi attribué au Sauveur répugne à l’idée de la communion, qui suppose l’union de deux êtres au moins. En outre, la phrase « Je ne goûterai plus du fruit de la vigne », non seulement ne suppose pas d’une manière nécessaire que Jésus ait bu à la coupe qu’il faisait circuler pour la dernière fois, mais elle devient au contraire plus claire, plus rigoureusement exacte, s’il s’abstint d’y toucher. Comme le père de famille, dont Notre‑Seigneur jouait alors le rôle, buvait toujours le premier quelques gouttes des différentes coupes pascales, par ces paroles, le Sauveur s’excusait en quelque sorte de ne pas prendre sa part de ce calice. Buvez tous ; pour moi je ne boirai plus de vin ici‑bas : cependant je partagerai avec vous la coupe délicieuse du paradis.
Marc 14, 26‑31.Parall. Matth. 26, 30‑35 ; Luc 22, 31‑34 ; Jean 13, 36‑38.
Mc14.26 Après le chant de l’hymne, ils s’en allèrent au mont des Oliviers. — Après avoir dit l’hymne. Ces mots représentent ici la prière d’action de grâces après le repas, spécialement celle qu’on récitait à la fin de la cène légale et qui portait le nom de Hallel, הלל, louange. — Sur le mont des Oliviers. Ce n’était pas vers le sommet de cette montagne que Jésus et les siens se dirigeaient alors, mais seulement vers sa base, à l’endroit où elle émerge du profond ravin où coule le Cédron.
Mc14.27 Alors Jésus leur dit : « Je serai pour vous tous, cette nuit, une occasion de chute, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. — C’est la première des prédictions. Elle annonce aux onze Apôtres demeurés fidèles la honteuse attitude qu’ils prendront bientôt à l’égard de leur Maître. Ils ne le trahiront pas comme Judas ; du moins ils l’abandonneront lâchement ; ils s’enfuiront comme de timides brebis dès que leur Pasteur aura été frappé, ainsi qu’il était écrit dans la prophétie de Zacharie, 13, 7.
Mc14.28 Mais, après que je serai ressuscité, je serai à votre tête, en Galilée. » — Seconde prédiction : Jésus ressuscitera, et, après son triomphe, il ira attendre ses Apôtres en Galilée. Comme la bonté de Notre‑Seigneur éclate dans ces paroles. Car, pour que les disciples ne pensent pas qu’il serait offensé par leur infidélité qu’il avait prédite, au point de ne leur laisser aucun espoir de retourner en grâce avec lui, il leur prédit également qu’il reviendrait à la vie avec eux.
Mc14.29 Pierre lui dit : « Quand vous seriez pour tous une occasion de chute, vous ne le seriez jamais pour moi. » — Pierre ne peut supporter, pour ce qui le concerne, l’idée d’une si lâche désertion. Il proteste donc avec énergie de sa fidélité à toute épreuve. — Quand vous seriez pour tous… je ne le serai pas. Quelle vigueur dans ces paroles. Mais en même temps quelle présomption.
Mc14.30 Jésus lui dit : « Je te le dis, en vérité, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq ait chanté deux fois, trois fois tu me renieras. » — En vérité, je te le dis. Jésus connaît mieux son disciple que son disciple ne se connaît lui‑même. Aussi annonce‑t‑il à Pierre, avec une douloureuse assurance, et c’est là notre troisième prédiction, qu’avant peu il l’aura renié trois fois. — Le pronom tu est emphatique : Jésus l’oppose au « je ne le serai pas » du verset précédent. Oui, toi‑même, toi en personne. — Aujourd’hui, pendant cette nuit. Tout est nettement déterminé. Aujourd’hui, car, chez les Juifs, les jours se comptaient du soir au soir, et la nuit du jeudi au vendredi était déjà assez avancée. — Avant que le coq ait chanté deux fois. « deux fois » est un détail propre à S. Marc : notre Évangéliste le tenait sans doute de saint Pierre lui‑même. Nous en verrons plus bas la réalisation parfaite. Cf. vv. 68 et 72. Jésus signale ce trait comme une circonstance aggravante ; car l’Apôtre, ainsi averti, aurait dû se tenir davantage sur ses gardes et revenir à résipiscence dès le premier chant du coq. Il ne le fit pas, soit par faiblesse, soit plutôt par inattention. — À cette prédiction, si simple et si claire, on a parfois opposé le texte suivant du Talmud (Bava Kama, cap. 7), d’après lequel, nous dit‑on, il ne devait pas y avoir de coqs à Jérusalem : « Les prêtres ne nourrissent pas de coqs à Jérusalem, comme objet de culte, ni par toute la terre d’Israël ». — « Il avait été interdit aux Israélites de nourrir des coqs à Jérusalem. Car les Israélites y avaient mangé le chair des sacrifices… On avait coutume de faire du fumier avec les poulets. Ce fumier attirait les reptiles, et en le mangeant ils pouvaient polluer les lieux saints ». Cela étant, on a pris le coq dans un sens figuré, et on lui a fait désigner tantôt le « Trompette » romain qui annonçait les heures au son du clairon, tantôt les gardes de nuit qui les proclamaient à haute voix pour les Juifs, comme cela se pratique encore dans plusieurs contrées. Mais ce sont là des subtilités inacceptables. Il y avait certainement des coqs à Jérusalem, tout comme ailleurs. Elle est mémorable l’histoire du coq lapidé sur sentence du Sanhédrin, pour avoir tué un bébé. Hieros. Erubin, f. 26, 1. On peut donc prouver par le Talmud même qu’il y avait des coqs à Jérusalem. Supposé que les habitants juifs eussent eu quelque scrupule à en élever, la garnison romaine ne se serait nullement gênée à cet égard. Au reste, la touchante comparaison dont Jésus s’était servi peu de jours auparavant afin de marquer la tendresse qu’il éprouvait pour Jérusalem, prouve suffisamment que les habitants de la capitale, auxquels il s’adressait alors, connaissaient les mœurs des Gallinacés, par conséquent que ces volatiles ne leur étaient pas étrangers.
Mc14.31 Mais Pierre insistait encore plus : « Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. » Et tous dirent de même. — Pierre insistait. Bien loin d’avoir été ramené à des sentiments plus humbles par cette prophétie de son Maître, Pierre ose donner à Jésus un formel démenti, en protestant de plus en plus fort de son attachement inaltérable. Encore plus : dans le grec, un mot rare ayant le sens de « abondamment, démesurément ». — Quand il me faudrait mourir avec vous. Le vaillant apôtre est prêt, dit‑il, à répandre pour Jésus jusqu’à la dernière goutte de son sang. Comment donc serait‑il capable de le renier ? Hélas. « L’oiseau qui n’a pas encore de plumes s’efforce de voler. Mais le corps alourdit l’âme, de sorte que la crainte du Seigneur est surpassée par la crainte humaine de la mort » [Pseudo Hieronymous, ap. Caten. D. Thom.].
Marc 14, 32‑42. Parall. Matth. 26, 36‑46 ; Luc 22, 39‑46 ; Jean 18.1.
Mc14.32 Ils arrivèrent à un domaine appelé Gethsémani et il dit à ses disciples : « Asseyez-vous ici pendant que je prierai. » — Voyez la description du jardin de Gethsémani dans l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 36. On a souvent établi d’ingénieuses comparaisons entre ce douloureux jardin et les ombrages du paradis terrestre. Ici un bonheur sans mélange, là d’affreuses angoisses ; mais ici le péché avec ses châtiments divers, et là la vie spirituelle rendue à l’humanité :
L’ancien jardin a apporté la mort,
Là où la faute est apparue.
Ce nouveau jardin apporte la vie,
Là où, pendant la nuit,
Jésus est demeuré en prière
Hymn. Laud, pro Fest. Orat. D. N. J. C.
Mc14.33 Et ayant pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, il commença à sentir de la frayeur et de l’angoisse. — À peine entré avec ses trois disciples privilégiés dans la partie la plus reculée du jardin, Jésus commença à être saisi de frayeur et d’angoisse. Saisi d’angoisse est commun aux deux premiers Évangélistes. Cf. Marc 9, 15. Tel est le début de la Passion proprement dite de Notre‑Seigneur. Quelle horrible agonie.
Mc14.34 Et il leur dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort, restez ici et veillez. » — Mon âme est triste… « Je ne crains pas de vous assurer qu’il y avait assez de douleur pour lui donner le coup de la mort… La seule douleur de nos crimes suffisait pour… épuiser sans ressource les forces du corps, en renverser l’économie, et rompre enfin tous les liens qui retiennent l’âme. Il serait donc mort, il serait mort très certainement par le seul effort de cette douleur, si une puissance divine ne l’eût soutenu pour le réserver à d’autres supplices » [Jacques‑Bénigne Bossuet, 1er Sermon pour le Vendredi Saint]. — Restez ici, et veillez. S. Matthieu ajouté « avec moi ». Peut‑être avons‑nous ici la seule requête personnelle que Jésus ait jamais adressée à ses amis. Hélas. elle ne fut pas exaucée, comme nous l’apprend la suite du récit.
Mc14.35 S’étant un peu avancé, il se jeta contre terre et il priait que cette heure, s’il se pouvait, s’éloignât de lui. — Et s’étant un peu avancé. Le divin agonisant cherche pour quelques instants une solitude complète, afin d’épancher librement son cœur devant son Père céleste. — Il priait : imparfait qui indique une prière prolongée. — Pour que, s’il était possible… S. Marc a seul spécifié d’une manière indirecte l’objet de la supplication du Sauveur, avant d’en citer directement, la formule. Heure doit s’entendre, comme on le voit par le contexte, des souffrances et de la mort réservées à Jésus. Cf. Jean 12, 24. Notre‑Seigneur désirait donc, en tant qu’homme, que cette heure terrible passât sans l’atteindre.
Mc14.36 Et il disait : « Abba, Père, tout vous est possible, éloignez de moi ce calice, cependant, non pas ma volonté, mais la vôtre. » — Abba, Père. Le mot araméen Ἀϐϐᾶ, אב) אבא, Ab, en hébreu), propre à notre Évangéliste, nous rappelle les locutions analogues Ephpheta, Talitha koumi, etc., que S. Marc s’était complu à insérer dans son récit telles que Jésus les avait prononcées. Saint Paul l’emploie deux fois dans ses Lettres, cf. Romains 8, 15 ; Galates 4, 6, et il a soin, lui aussi, d’en donner immédiatement la traduction, Père. C’est de là que sont venus les substantifs « Abbas », abbé. — Tout vous est possible. Il y a, s’il est permis de parler ainsi, un grand art dans cette prière du Sauveur. Après avoir lancé vers le ciel une appellation de vive tendresse, Mon Père, elle rappelle à Dieu que tout lui est possible, qu’il sait atteindre ses fins de mille manières, qu’il peut par conséquent éloigner du suppliant la coupe amère qui le menace : de là ces mots pressants, éloignez ce calice… Elle se termine pourtant par un acte d’entier abandon à la volonté du Père tout‑puissant, Jésus s’abandonne entièrement à ce qu’il a décidé en tant que Dieu : non pas ce que je veux [en tant qu’homme], mais ce que vous voulez, c’est à dire ce que je veux en tant que Dieu. Sur l’importance dogmatique de ce passage, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 39.
Mc14.37 Il vint ensuite et trouva ses disciples endormis et il dit à Pierre : « Simon, tu dors. Tu n’as pu veiller une heure. 38 Veillez et priez afin que vous n’entriez pas en tentation. L’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible. » — Il vint vers les disciples, et il les trouva endormis. « Ils commencent à se séparer de Jésus dans la prière, ceux qui vont s’en séparer dans sa Passion : il prie, mais eux ils dorment ». Saint Jérôme. C’était la réalisation de la parole d’Isaïe, 63, 3 : J’ai foulé seul le pressoir ; il n’y a personne pour le fouler avec moi. — Et il dit à Pierre : Simon, tu dors ? D’après S. Matthieu, le reproche de Jésus retombait simultanément sur les trois Apôtres : « vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ? » Ici, il est adressé tout spécialement à saint Pierre, qui avait fait naguère de si magnifiques promesses. Qu’est devenu son courage ? Le nom de « Simon », que Jésus lui donne dans cette circonstance, est de mauvais augure. C’est le nom de l’homme faible et naturel, tandis que Pierre était l’appellation de l’homme surnaturel, confirmé en grâce à la Pentecôte, du fondement inébranlable de l’Église du Christ. — L’esprit est généreux, mais la chair est faible. Comme l’a dit le livre de la Sagesse, 9, 15 : « car le corps, sujet à la corruption, appesantit l’âme et sa demeure terrestre accable l’esprit aux pensées multiples ». Mais ce que les Saints Livres appellent la « chair » produit des effets encore plus fâcheux que le corps : c’est contre la chair que viennent se briser les meilleures résolutions de notre esprit. Tel était le cas pour S. Pierre, S. Jacques et S. Jean.
Mc14.39 Et, s’éloignant de nouveau, il pria, disant les mêmes paroles. 40 Puis, étant revenu, il les trouva encore endormis, car leurs yeux étaient appesantis et ils ne savaient que lui répondre. — S’en allant de nouveau, il pria… Jésus, délaissé même par ses meilleurs amis, va se consoler, se réconforter de nouveau dans la prière. Puis, il revient auprès des trois Apôtres ; mais cette fois encore il les trouve profondément endormis. Comme au moment de la Transfiguration, Marc 9, 4, et Luc 9, 32, ils étaient en proie à un sommeil extraordinaire ; aussi leurs réponses étaient‑elles confuses, embarrassées, ainsi qu’il arrive aux personnes qu’on vient subitement réveiller : ils ne savaient que lui répondre. Ce dernier trait ne se trouve que dans le second Évangile.
Mc14.41 Il revint une troisième fois et leur dit : « Dormez, maintenant et reposez-vous. C’est assez. L’heure est venue, voici que le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. 42 Levez-vous, allons, celui qui me trahit est près d’ici. » — Il revint une troisième fois. S. Marc ne mentionne pas en termes exprès la troisième prière de Jésus ; mais il la suppose implicitement en disant que Notre‑Seigneur rejoignait ses disciples pour la « troisième fois ». La tentation de Gethsémani, de même que celle du désert, Matth. 4, 1 et ss., se composa donc de trois assauts consécutifs, victorieusement repoussés par le Sauveur. — Dormez maintenant et reposez‑vous. Jésus, n’ayant plus besoin de consolations humaines, accorda aux siens, par ces paroles, quelque temps de repos. Puis, quand approcha l’heure de la trahison, il les éveilla en disant : C’en est fait... La Vulgate a très bien traduit le verbe grec, qui signifie : C’est assez de sommeil. vous avez suffisamment dormi. et non, comme le veulent quelques exégètes « [mon angoisse] s’éloigne », ou bien : « Assez veillé. je n’ai plus besoin de vous ». Entre ce mot, qui est une particularité de S. Marc, et reposez‑vous, il faut admettre une pause plus ou moins longue. — Celui qui me trahit est proche. Dans le texte grec, nous avons deux fois le présent au lieu du futur. En effet, l’affreux mystère de la trahison de Judas était déjà en plein cours d’exécution. Bellini, fra Angelico, Carlo Dolci, Schidone, Murillo, le Pérugin ont admirablement reproduit cette scène douloureuse.
Marc 14, 43‑52. Parall. Matth. 26, 47‑56 ; Luc 22, 47‑53 ; Jean 18, 2‑11.
Mc14.43 Au même moment, comme il parlait encore, arrive Judas, l’un des Douze et avec lui une grande troupe, armée d’épées et de bâtons, envoyée par les Princes des prêtres, par les Scribes et par les Anciens. — Comme il parlait encore. Les trois synoptiques commencent par cette formule leur récit de l’arrestation du Sauveur. — arrive Judas... Depuis sa sortie du cénacle, cf. Jean 13, 30, le traître n’était pas resté inactif. Il était allé immédiatement auprès de ses nouveaux maîtres, auxquels il s’était si honteusement vendu, et il en avait obtenu la nombreuse escorte avec laquelle nous le voyons en ce moment pénétrer dans le jardin de Gethsémani. — L’un des douze fait mieux ressortir encore le caractère ignominieux de la trahison de Judas. Cf. v. 10. — Envoyée par les grands prêtres… C’est‑à‑dire « de la part » du grand Conseil. S. Marc nomme ici très distinctement les trois classes qui composaient le Sanhédrin.
Mc14.44 Le traître leur avait donné ce signe : « Celui que j’embrasserai, c’est lui, saisissez-le et emmenez-le sous bonne garde. » — Le mot signal ne se rencontre que dans ce passage du Nouveau Testament. Judas ne prévoyait pas que Jésus se présenterait de lui‑même à ses ennemis : de là ce signe conventionnel, destiné à empêcher toute méprise. — Emmenez‑le sous bonne garde. S. Marc a seul noté cette pressante recommandation du traître. Judas, on le voit, prend toutes les précautions nécessaires pour exécuter son contrat honteux. Connaissant par expérience la puissance de Jésus, craignant aussi quelque résistance de la part des disciples, il fait appel à toute l’attention et à toute l’énergie de sa bande sinistre.
Mc14.45 Dès qu’il fut arrivé, s’approchant de Jésus, il dit : « Maître » et il l’embrassa. — Dès qu’il aperçoit Jésus, il va droit à lui, et, d’après le texte grec, lui dit deux fois de suite avec une affectation hypocrite : Ῥαϐϐί, Ῥαϐϐί. Cependant, plusieurs témoins anciens ont « salut, Rabbi », comme la Vulgate et comme S. Matthieu. — Il l’embrassa. Cet infâme baiser, par lequel Judas espérait en vain tromper son Maître, a inspiré à divers peintres, notamment à Duccio, à Giordano, H. Flandrin et à Ary Scheffer, de beaux tableaux, dans lesquels ils se sont complu à faire contraster la physionomie si douce, si aimante et si divine de Jésus avec les traits vulgaires, cruels et sataniques de Judas. Le verbe grec traduit ici par donna un baiser est très expressif. Cf. Matth. 26, 49 et le commentaire ; Luc 7, 36, 45 ; 15, 20 ; Actes 20, 37.
Mc14.46 Les autres jetèrent les mains sur lui et l’arrêtèrent. 47 Un de ceux qui étaient là, tirant l’épée, en frappa le serviteur du grand prêtre et lui enleva l’oreille. — Ces versets racontent le fait même de l’arrestation du Sauveur et une tentative isolée de l’un des disciples pour délivrer Jésus. — Ils mirent les mains sur Jésus. Cette formule indique des procédés violents, qui étaient d’ailleurs parfaitement dans les mœurs des hommes qu’on avait donnés pour séides à Judas. On comprend qu’en voyant ces mains brutales saisir le corps sacré de son Maître bien‑aimé, saint Pierre, car c’est lui qui est désigné par les mots Un de ceux qui étaient présents (cf. Jean 18, 10), n’ait pu réprimer un mouvement d’indignation, et qu’au risque de tout perdre en voulant tout sauver, il ait blessé d’un coup d’épée le serviteur du grand‑prêtre qui accompagnait Judas.
Mc14.48 Jésus, prenant la parole, leur dit : « Vous êtes venus comme à un brigand, avec des épées et des bâtons pour me prendre. 49 Tous les jours j’étais parmi vous, enseignant dans le temple et vous ne m’avez pas arrêté, mais c’est afin que les Écritures s’accomplissent. » — Jésus… leur dit, c’est‑à‑dire à la troupe de ses adversaires. S. Marc ne mentionne pas le reproche adressé par Jésus à son trop ardent défenseur. Cf. Matth. 26, 52‑54. — Comme contre un brigand… Le divin Maître relève avec force le caractère odieux de son arrestation : on est venu le surprendre comme un voleur, à la faveur des ténèbres de la nuit. Il relève aussi l’inconséquence qui se manifeste dans la conduite des Sanhédristes : Tous les jours j’étais au milieu de vous… Mais il se soumet à tout, parce qu’il le permet comme Dieu et les a annoncées depuis longtemps dans les Livres sacrés : c’est pour que les Écritures soient accomplies. Cette dernière phrase est elliptique. Il est aisé de la compléter en ajoutant : « que tout cela s’est fait ». Cf. Matth. 26, 56.
Mc14.50 Alors tous ses disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite. — La prophétie de Jésus relativement à Judas s’est accomplie ; celle qu’il faisait quelques instants après touchant ses onze autres disciples se réalise également. Ils prennent la fuite dès qu’ils voient que leur Maître renonce à résister. Tous est emphatique. Tous, même S. Pierre, même S. Jacques et S. Jean.
Mc14.51 Un jeune homme le suivait, couvert seulement d’un drap, on se saisit de lui, 52 mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu. — Voici un petit épisode des plus intéressants et propre au second Évangile. Indépendamment de l’intérêt que S. Marc porte d’une manière générale à tout ce qui est pittoresque, dramatique, il est aisé de découvrir, d’après le contexte, le motif spécial qui lui a fait insérer ce curieux détail dans sa narration. Luc de Bruges, et nos autres exégètes catholiques à sa suite, l’ont fort bien indiqué : « Marc raconte cette histoire d’un adolescent, pour nous montrer quelle était la rage des ennemis du Christ, avec quelle licence et barbarie ils se comportaient, avec quelle violence inhumaine, quelle férocité et quelle absence de pudeur, eux qui ont arrêté, sans le connaître, un adolescent accouru sur les lieux, misérable et en robe de nuit, du seul fait qu’il semblait sympathique au Christ, et qui ne put échapper de leurs mains et s’enfuir qu’en restant tout nu » [Franciscus Lucas Brugensis (Fr. Luc), h. l.]. — Un jeune homme. Quel était ce jeune homme ? Se demandent tout d’abord les exégètes. Et, n’ayant là‑dessus aucune donnée certaine, ils donnent un libre cours à leur imagination. D’après Ewald, ce mystérieux jeune homme ne serait autre que Saul, le futur saint Paul. Plusieurs auteurs anglais, en particulier M. Plumptre, veulent que ce soit Lazare, l’ami de Jésus et le ressuscité de Béthanie. D’autres commentateurs opinent en faveur de quelque esclave attaché à la garde et à la culture du domaine de Gethsémani. Tel est le sentiment de M. Schegg et du P. Patrizi. « Cette chose défend de douter que cet adolescent n’ait été le seul à échapper à la surveillance des gardiens de la maison. Il a été tiré de son sommeil par le vacarme, s’est levé de son lit, et, recouvert d’un seul drap, il est accouru rapidement sur les lieux ». Théophylacte croit que c’était le fils du propriétaire du cénacle : mais il lui fait faire un bien long chemin et en un costume étrange. Quelques Pères ont nommé divers Apôtres, par exemple, S. Jean [S. Jean Chrysostome, Homilia in Psaume 13 ; Saint Ambroise de Milan, Enarratio in Psaume 36 ; Saint Grégoire, Moralia, xiv, 24.], ou saint Jacques‑le‑Mineur [Saint Épiphane, Panarion, 87, 13.]. Mais ceux qui pensent que cet adolescent a été un quelconque des douze disciples, ne se rendent pas suffisamment compte qu’ils ont tous, cette nuit‑là, mangé avec le Christ ; qu’ils sont tous allés dans le jardin avec lui, à l’exception de Judas, lequel était déjà rendu là où il voulait aller. Aucun des douze n’a donc pu être recouvert d’un seul drap, pour couvrir sa nudité. D’après une opinion qui réunit un assez grand nombre d’adhérents, notre jeune homme serait S. Marc en personne. En effet, nous dit‑on, 1° il est seul à raconter ce trait ; 2° il résidait à Jérusalem (voyez la Préface, § 1, 1) ; 3° les détails qu’il fournit sont tellement circonstanciés qu’ils ne peuvent guère venir que d’un témoin oculaire ; 4° l’Évangéliste S. Jean se met plusieurs fois indirectement en scène, d’une manière tout‑à‑fait analogue à celle‑ci. Tout ce qu’on peut affirmer de certain, c’est que cet « adolescent » demeurait dans le voisinage de Gethsémani. Peut‑être était‑il disciple de Jésus dans le sens large de cette expression : de là son intérêt pour le divin prisonnier. Mais peut‑être aussi était‑ce simplement la curiosité qui servit de mobile à une démarche d’où faillirent découler pour lui des conséquences si fâcheuses. — Couvert seulement d’un drap. Le mot « sindon », σινδών, désignait chez les anciens une grande pièce d’étoffe de lin ou de coton, qui servait tantôt de vêtement de dessous, tantôt de vêtement de dessus [Cf. Anthony Rich, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, p. 586.]. Ici, il représente évidemment, d’après le v. 52, une sorte de couverture de nuit dans laquelle le jeune homme s’était enveloppé avant de sortir pour reconnaître la cause du bruit qui l’avait réveillé. Il n’avait pas d’autre vêtement. — Lui, rejetant le drap, s’enfuit nu… Se dégageant lestement, le héros de cette aventure lâcha son « sindon », qu’il laissa entre les mains des sbires ; puis il s’enfuit, la pudeur le cédant à l’effroi.
Marc 14, 53‑65.Parall. Matth. 26, 57‑68 ; Luc 22, 54‑65 ; Jean 18, 19‑23.
Mc14.53 Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre, où s’assemblèrent tous les Princes des prêtres, les Scribes et les Anciens. — Ils emmenèrent Jésus. « L’évangéliste avait raconté plus haut comment le Seigneur avait été capturé par les serviteurs des prêtres. Il commence maintenant à raconter comment il a été, dans la maison du prince des prêtres, condamné à mort ». Gloss. — Chez le grand prêtre. S. Luc dit avec plus de précision : « ils l’emmenèrent dans la maison du grand prêtre ». Le prince des prêtres était alors Caïphe. — Où s’assemblèrent… Nous avons indiqué dans notre Évangile selon S. Matthieu, 26‑57, le motif pour lequel le Sanhédrin (les prêtres, les scribes et les anciens) se réunit alors chez Caïphe et non pas au Gazzith, qui était le local ordinaire des assemblées officielles. — La première partie d’une des récentes prophéties de Jésus est maintenant accomplie : « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres, et aux scribes, et aux anciens ». Marc 10, 33.
Mc14.54 Pierre le suivit de loin, jusque dans l’intérieur de la cour du grand prêtre et s’étant assis près du feu avec les serviteurs, il se chauffait. — Note destinée à préparer le récit d’événements ultérieurs. Cf. vv. 66‑72. — Pierre le suivit de loin. « La peur repousse, mais la charité attire », dit délicatement saint Jérôme : voilà pourquoi saint Pierre, après avoir repris un peu de sang‑froid à la suite des incidents de Gethsémani, d’une part se mit à suivre son Maître, mais, d’autre part, ne le suivit que de loin, l’affection et la crainte tirant chacune de leur côté.
Mc14.55 Cependant les Princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mourir et ils n’en trouvaient pas. — Les princes des prêtres et tout le conseil… Après cette courte digression, l’Évangéliste nous ramène à la scène principale, qui se passait dans l’intérieur du palais. — Cherchaient un témoignage contre Jésus… La phrase exprime une recherche anxieuse et pressante. À toute force, les Sanhédristes voulaient un témoignage qui leur permît de décréter la mort de leur ennemi avec une apparence de justice. Une base de condamnation était en effet nécessaire ; autrement, quel prétexte allégueraient‑ils à Pilate pour obtenir de lui l’exécution de la sentence ? Comment se justifieraient‑ils devant le peuple, pour qui Jésus était encore un favori ?
Mc14.56 Car plusieurs déposèrent faussement contre lui, mais les dépositions ne s’accordaient pas. — Ce verset explique les derniers mots (« ils n’en trouvaient pas ») du précédent. Ce n’étaient donc pas les témoignages qui manquaient contre Jésus : à défaut de vrais, on en forgeait de faux, et en grand nombre. Il fallait bien que les prophéties de l’Ancien Testament s’accomplissent : « contre moi se sont levés de faux témoins injustes », Psaume 26, 12 ; mais, comme l’ajoutait le poète sacré, « l’iniquité a menti contre elle‑même ». De là cette réflexion de l’Évangéliste : les témoignages ne s’accordaient pas. Les témoignages étaient par là‑même invalidés, et des juges, même peu scrupuleux, ne pouvaient en tirer parti.
Mc14.57 Enfin quelques-uns se levant, portèrent contre lui ce faux témoignage : 58 « Nous l’avons entendu dire : Je détruirai ce temple fait de main d’homme et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme. » 59 Mais sur cela même leurs témoignages ne s’accordaient pas. — Quelques‑uns, se levant… S. Marc relève ici l’une, peut‑être la principale, des accusations mensongères lancées contre Notre‑Seigneur. Au lieu du vague « Quelques‑uns », nous lisons dans S. Matthieu, « deux faux témoins » : deux témoins seulement, juste le nombre requis, par la loi. — Nous l’avons entendu, s’écrient ces malheureux avec emphase ; nous l’avons entendu de nos propres oreilles : circonstance qui accroît la force de leur témoignage, et que S. Marc a seul exposée. L’antithèse ce temple, fait de main d’homme, … j’en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d’homme est une autre particularité de son récit. Cette déposition était capitale. « On sait combien le peuple juif était jaloux de la gloire du Temple. Pour avoir annoncé prophétiquement que Dieu réduirait un jour le Temple au même état que Silo et qu’il en ferait un désert, Jérémie (26, 6, 19) avait failli être lapidé par les prêtres et par le peuple ; et s’il échappa à une mort certaine, il le dut à l’intervention de puissants seigneurs attachés à la cour. L’accusation formulée contre Jésus par les deux témoins était donc de la plus haute gravité » [Augustin Lémann, Valeur de l’Assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus‑Christ, Lyon, 1876, p. 76.]. Mais, ajoute notre Évangéliste (et lui seul encore a noté ce trait), leurs témoignages ne s’accordaient pas. Les deux témoins, comme cela s’est toujours pratiqué, avaient comparu l’un après l’autre devant le tribunal ; le second, sans s’en douter, avait donc contredit sur quelque point important le rapport du premier. L’accusation tombait par conséquent d’elle‑même.
Mc14.60 Alors le grand prêtre se leva et venant au milieu, il interrogea Jésus, disant : « Ne réponds-tu rien à ce que ces hommes déposent contre toi ? » — Et pourtant Caïphe ne veut pas qu’elle tombe tout à fait. De là cette démarche, inouïe de la part d’un juge suprême, que nous lui voyons faire actuellement. — Se leva et venant au milieu. Construction elliptique, pour « se levant et venant au milieu de l’assemblée ». Le grand‑prêtre se lève, quitte sa place, et s’avance jusqu’auprès de l’accusé, qui se tenait debout au milieu de la salle. La seconde partie de ce trait si graphique est propre à S. Marc. — Ne réponds-tu rien… « Autant Jésus persistait à ne pas répondre aux faux et aux indignes témoins, autant le grand prêtre, emporté par la colère, le provoque à répondre, pour qu’il trouve, dans une parole quelconque, un motif d’accusation ». Bède le Vénérable. L’interrogatoire des témoins n’a fourni aucun résultat : mais, en répondant à leurs dépositions, quelque fausses qu’elles fussent, Jésus se compromettra peut‑être. C’est pour cela que Caïphe le presse de parler.
Mc14.61 Mais Jésus garda le silence et ne répondit rien. Le grand prêtre l’interrogea de nouveau et lui dit : « Es-tu le Christ, le Fils de celui qui est Béni ? » — Jésus garda le silence, et ne répondit rien. C’est là une des répétitions emphatiques et pittoresques qui sont à l’ordre au jour dans le second Évangile. Cf. Préface, § 7. Le silence du Sauveur a inspiré à saint Jérôme une belle réflexion : « Le Christ qui se tait, dit‑il, absout Adam qui s’excuse ». Cf. Genèse 3, 10 et ss. Qu’importe du reste aux bourreaux, dit quelque part Tacite, la défense de leur victime ? — Le grand prêtre l’interrogea de nouveau. La première question ayant été rendue vaine par le silence inattendu de l’accusé, Caïphe lui en adressa brusquement une autre : Es‑tu le Christ, le Fils de celui qui est Béni ? Cette fois, la demande était posée sur un terrain brûlant, et le souverain‑prêtre, comme nous le voyons par le récit de S. Matthieu, 26, 63, avait pris ses précautions pour qu’elle ne demeurât pas sans réponse ; il l’avait introduite en effet par une formule solennelle qui devait forcer Jésus de prendre la parole : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire… » L’épithète béni est propre à S. Marc. Le substantif Dieu manque dans le texte grec, où on lit simplement : « le fils du Béni par excellence ». Les Rabbins emploient de la même manière l’expression הברוך.
Mc14.62 Jésus lui dit : « Je le suis et vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir environné des nuées du ciel. » — Je le suis, répond clairement Jésus. Oui, je suis le Messie, le Fils de Dieu. Autrefois, il avait accepté la parole enflammée de saint Pierre : « Tu es le Christ fils du Dieu vivant », Matth. 16, 46 ; naguère encore, Marc 11, 9, 10, il agréait comme un hommage légitime les Hosanna du peuple : mais ici il y a quelque chose de plus. C’est lui‑même qui proclame bien haut, devant l’autorité suprême des Juifs en fait de religion, en réponse à une question officielle, son caractère messianique et sa divine filiation. Écoutons‑le, adorons‑le. — Et vous verrez le Fils de l’homme… Le Sauveur complète et confirme son Je le suis de tout à l’heure. L’avenir, dit‑il à ses juges, vous montrera que j’ai parlé selon la vérité. Maintenant, je vous apparais sous un extérieur humilié, comme Fils de l’homme ; mais un jour vous me verrez trôner comme Fils de Dieu à la droite de mon Père. Ainsi donc, Jésus ne revendique pas seulement la dignité messianique : il promet d’en exercer les fonctions. Voyez l’explication détaillée de ces paroles dans l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 59.
Mc14.63 Alors le grand prêtre déchira ses vêtements et dit : « Qu’avons-nous donc besoin de témoins ? 64 Vous avez entendu le blasphème, qu’en pensez-vous ? » Tous prononcèrent qu’il méritait la mort. — Caïphe a atteint son but : il a réussi à faire parler l’accusé, et à le faire parler dans le sens désiré par toute l’assemblée. Désormais, il n’y a plus qu’à tirer parti d’un aveu aussi formel, et ce sera chose facile : mais le président sait faire les choses en acteur consommé. Une feinte colère lui avait fait quitter précédemment son fauteuil, v. 60 ; un zèle non moins hypocrite pour la gloire de Dieu le porte maintenant à déchirer ses vêtements en signe de deuil, comme s’il venait d’entendre le plus effroyable blasphème. Lorsque, quelques semaines plus tôt, il prononçait au sujet de Jésus cette parole célèbre : « il vaut mieux pour vous qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas », Jean 11, 50 (cf. le v. 54), il ne se doutait guère qu’il était prophète ; il ne se doutait pas davantage qu’il accomplissait une action prophétique quand il mettait en pièces le devant de sa tunique, et c’était pourtant là un frappant symbole, comme l’ont enseigné les Pères. « Déchire ton vêtement, ô Caïphe. s’écrient MM. Lémann, résumant l’enseignement patristique, le jour ne se passera pas que le voile du Temple ne soit déchiré aussi, en signe, l’un et l’autre, que le sacerdoce d’Aaron et le sacrifice de la loi de Moïse sont abolis, pour faire place au sacerdoce éternel du Pontife de la Nouvelle Alliance » [Augustin Lémann, l. c., p. 83. Cf. Origène, Saint Jérôme de Stridon, Théophylacte, Euthymius et Saint Thomas d’Aquin, in Matth. 26, Saint Léon‑le‑Grand, sur la Passion du Seigneur, sermo 6.]. — Ses vêtements : ce mot est justement au pluriel (cf. Matthieu), car, d’après le précepte des Rabbins, ce n’était pas seulement le vêtement supérieur qu’on devait déchirer en pareil cas, mais tous les vêtements, la chemise seule exceptée. Les riches portaient habituellement plusieurs tuniques superposées. — Vous avez entendu le blasphème. Au geste, Caïphe joint la parole pour accabler l’accusé. « À quoi bon un plus long interrogatoire ? Vous avez pu le constater par vous‑mêmes, c’est un blasphème manifeste qu’il vient de prononcer ». — Tous le condamnèrent… La seconde partie de la prophétie de Jésus à laquelle nous faisions allusion plus haut s’accomplissait tout aussi exactement que la première : « ils le condamneront à mort », Marc 10, 33. « Tous » : tous les membres présents. Preuve que le Sanhédrin ne se trouvait pas alors au complet, car Nicodème et Joseph d’Arimathie n’auraient certainement pas voté la mort de Jésus. Peut‑être n’avaient‑ils pas été convoqués ; ou du moins ils n’assistaient pas à la séance.
Mc14.65 Et quelques-uns se mirent à cracher sur lui et, lui voilant le visage, ils le frappaient du poing, en lui disant : « Devine » et les gardes le rouèrent de coups. — Détails horribles, qui constituent au point de vue juridique une véritable énormité. Tandis que partout, sinon parfois chez les peuplades barbares, les condamnés à mort sont respectés, depuis leur sentence jusqu’à leur exécution, comme une chose sacrée, Jésus se vit, sous les yeux des Sanhédristes qui laissèrent faire, l’objet des traitements les plus indignes. La haine sauvage de la soldatesque chargée de garder Notre‑Seigneur s’étale avec toute sa fureur dans la description vivante de S. Marc. Notons en particulier le à lui voilant le visage, que S. Matthieu n’avait pas mentionné, et qui aide à mieux comprendre la suite de la scène : Prophétise. Devine qui t’a frappé. — Admirons l’adorable patience de Jésus devant ces outrages sanglants. Son amour pour nous le soutenait.
Marc 14, 66‑72. Parall. Matth. 26, 69‑75 ; Luc 22, 55‑62 ; Jean 18, 15‑18 ; 18, 25‑27.
Mc14.66 Pendant que Pierre était en bas, dans la cour, il vint une des servantes du grand prêtre, — L’Évangéliste revient maintenant sur ses pas (cf. v. 54), pour signaler une autre tragédie lugubre, qui se passait à peu près en même temps que la précédente, et qui réalisait aussi une prophétie antérieure de Jésus. Cf. v. 30. — En bas, dans la cour. S. Matthieu dit : « dehors, dans la cour ». Mais les deux descriptions sont exactes car le portique du temple (atrium) était à l’extérieur si on porte les yeux sur la partie plus intérieure des édifices, et au‑dessus, si on regarde en haut, à l’endroit où un escalier montait. Jésus était « à l’intérieur, et en haut » ; saint Pierre « à l’extérieur, et en bas ». — Il vint une des servantes… Sur la vraie manière de compter les trois reniements de saint Pierre, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 26, 69.
Mc14.67 et voyant Pierre qui se chauffait, elle le regarda et lui dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus de Nazareth. » — La servante aperçut d’abord saint Pierre qui se chauffait auprès du feu ; puis, frappée dès ce simple coup d’œil de son visage morne, de sa contenance grave, qui contrastaient avec l’attitude des serviteurs et des soldats, elle se mit à le contempler attentivement. S. Marc distingue très bien ces deux regard distincts, l’un rapide et à demi inconscient, « ayant vu », l’autre attentif et prolongé, « elle le regarda ».
Mc14.68 Mais il le nia, en disant : « Je ne sais, ni ne comprends ce que tu veux dire. » Puis il s’en alla, gagnant le vestibule et le coq chanta. — Mais il le nia. Ce second regard, et la question qui le suivit suffirent pour troubler le timide Pierre, au point de lui arracher un premier reniement. — Je ne sais pas et ni ne comprends ce que tu veux dire. Comme sa négation est accentuée. (Elle est spéciale à S. Marc sous cette forme). L’Apôtre ne renie pas formellement son Maître, il affecte seulement de ne pas comprendre de quoi ni de qui il est question. — Et le coq chanta. Trait propre à S. Marc.
Mc14.69 La servante l’ayant aperçu de nouveau, se mit à dire aux assistants : « Voilà un de ces gens-là. » — La servante. Néanmoins, cette manière de parler n’indique pas nécessairement que ce fût la même femme qu’au v. 66. Elle désigne la servante, quelle qu’elle fût, auprès de laquelle saint Pierre se trouva quand il se fût écarté du foyer. En effet, nous savons, d’après S. Matthieu et S. Jean, qu’il s’agit d’« une autre servante ». — Voilà un de ces gens-là. Formulé avec dédain. Il fait partie de leur bande. C’est‑à‑dire, c’est un des disciples de Jésus.
Mc14.70 Et il le nia de nouveau. Un peu après, ceux qui étaient là dirent à Pierre : « Tu es certainement des leurs, car tu es Galiléen. » — Il le nia de nouveau. L’imparfait du texte grec original indique une dénégation prolongée. — tu es Galiléen, nous avons vu dans le premier Évangile (Matth. 26, 73 et le commentaire) que les habitants de la Galilée trahissaient leur origine par leur accent.
Mc14.71 Alors il se mit à faire des imprécations et à dire avec serment : « Je ne connais pas l’homme dont vous parlez. » — Ce dernier reniement est le plus triste et le plus grave des trois. Pierre, pour rendre ses protestations plus énergiques, leur associa des anathèmes et des serments ; en outre, cette fois, il affirme très directement qu’il ne connaissait pas Jésus, ce Jésus à qui il disait naguère : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ». Il l’appelle cet homme, prenant soin d’ajouter : dont vous parlez, comme s’il n’eût jamais entendu parler de Jésus avant que les servantes et les serviteurs de Caïphe le lui nommassent. Ces derniers mots sont une particularité de S. Marc.
Mc14.72 Et aussitôt, pour la seconde fois, le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq ait chanté deux fois, trois fois tu me renieras » et il se mit à pleurer. — S. Marc, seul, nous l’avons vu, v. 30, avait mentionné deux chants successifs du coq dans la prédiction de Jésus. — Le premier chant était probablement passé inaperçu, mais le second produisit une réaction dans le cœur de saint Pierre : il se souvint, les paroles de son Maître lui revinrent subitement à la pensée, et alors, reconnaissant toute l’étendue de sa faute, il se mit à pleurer. D. Théophylacte traduit comme s’il y avait : « ayant jeté son manteau sur sa tête, il pleura ». Luc 22, 62 : « Et étant sorti de la maison, Pierre pleura amèrement. ». — On a de remarquables compositions du Poussin, de Valentin, de Stella, sur les différentes scènes du reniement de saint Pierre. Carlo Dolci a immortalisé à sa manière les larmes du prince des Apôtres dans son tableau connu sous le nom de « saint Pierre pleurant ».


