CHAPITRE 15
Marc 15, 1. Parall. Matth. 27, 1‑2 ; Luc 23, 1 ; Jean 18, 28.
Mc15.1 Dès le matin, sans retard, les Princes des prêtres tinrent conseil avec les Anciens et les Scribes et tout le Sanhédrin. Et après avoir lié Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. — Dès le matin. Indique avec quelle hâte et quelle détermination les princes des prêtres, les scribes et les pharisiens ont entrepris la condamnation du Christ. — Tinrent conseil. Cette séance, distincte de celle qui avait eu lieu pendant là nuit, Marc 14, 55 et ss., devait, d’une part, corriger ce qu’il y avait eu de défectueux, d’après la loi juive, dans une sentence nocturne (voyez Matth. 27, 1 et le commentaire) ; d’autre part, permettre aux Sanhédristes de se concerter sur la manière dont ils accuseraient Jésus devant Pilate. — Avec les Anciens et les Scribes et tout le Sanhédrin. Expression évidemment emphatique, puisque les trois catégories du Sanhédrin ont été mentionnées auparavant. S. Marc seul a pris soin de noter que cette seconde assemblée fut plénière. — lié Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Comme les Juifs n’avaient plus alors l’exercice de la justice vindicative, ni le droit de faire mourir un homme, mais seulement de lui faire son procès, et de le juger suivant leur loi, ils amènent eux‑mêmes Jésus à Pilate, gouverneur de la province au nom des Romains, le priant, qu’étant jugé digne du dernier supplice selon leur loi, il lui plût de le condamner et de le faire exécuter. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 1. Le nom complet de Pilate, cet homme sinistre dont la mémoire restera à tout jamais associée au plus grand crime commis sur la terre, était « Pontius Pilatus ». Cf. Matth. 27, 2. S. Marc ne mentionne que le surnom, qui était sans doute plus usité que le nom. Il ne signale pas le titre de Pilate parce que c’était un point d’histoire romaine que ses lecteurs connaissaient parfaitement. — En conduisant le Sauveur au prétoire, les Sanhédristes réalisaient sans le savoir une partie de sa prophétie à laquelle nous avons déjà fait plusieurs fois allusion : « ils le livreront aux païens », Marc 10, 33. Ils livraient Jésus aux Romains ; mais leur tour viendra bientôt d’être livrés eux‑mêmes par Dieu entre les mains de ces ennemis de leur nation.
Marc 15, 2‑5. Parall. Matth. 27, 11‑14 ; Luc 23, 2‑5 ; Jean 18, 29‑38.
Mc15.2 Pilate l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui répondit : « Tu le dis. » — Es‑tu le roi des Juifs ? C’était la seule, ou au moins la principale des accusations qui pouvait intéresser Pilate ; car, pour le blasphème, par exemple, qui avait été le seul motif de la condamnation prononcée par les prêtres, cela ne le regardait pas. À son égard, il ne s’agissait que de savoir si Jésus était un séditieux, et un homme qui cherchât à se faire un parti, et à se faire déclarer roi. En arrivant auprès de Pilate, les Sanhédristes avaient donc accusé Jésus d’un délit politique, d’un crime de lèse‑majesté. — Tu le dis. Ce que tu dis est vrai ; il en est comme tu le dis. Cette manière de répondre affirmativement à une question est, aujourd’hui encore, usitée en Syrie. Elle n’a pas le sens ambigu que lui prête Théophylacte, lorsqu’il la commente en ces termes : « En lui disant : c’est toi qui le dis, il lui répond avec beaucoup de sagesse. Car il n’a pas dit : je ne le suis pas, ni non plus : je le suis. Mais il employa une formule intermédiaire, quand il lui a répondu : tu le dis. Car on peut le comprendre aussi de la façon suivante : je suis ce que tu dis ; ou encore, cela, moi je ne le dis pas, c’est toi qui le dis » [Théophylacte, Enarratio in Evangelii, Matth. 27, 2.].
Mc15.3 Comme les Princes des prêtres portaient contre lui diverses accusations, — S. Jean, 18, 30, et S. Luc, 23, 5, ont conservé quelques‑unes des accusations que les Sanhédristes portaient contre Jésus. « ils insistaient, en disant : Il soulève le peuple, en enseignant par toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici ».
Mc15.4 Pilate l’interrogea de nouveau, disant : « Tu ne réponds rien ? Vois de combien de choses ils t’accusent. » 5 Mais Jésus ne fit plus aucune réponse, de sorte que Pilate était dans l’étonnement. — Pilate qui déjà s’intéresse à l’accusé et voudrait lui sauver la vie, le presse de se défendre, espérant bien qu’un homme en qui se manifeste une telle dignité renversera sans peine les allégations évidemment passionnées des Sanhédristes. Mais Jésus ne fit plus aucune réponse, se contentant du « Tu le dis » prononcé quelques instants auparavant. Le Sauveur se tait ; il est prêt à subir, par amour pour nous, le sort qu’on lui destine ; il ne veut rien faire pour écarter la coupe amère de sa Passion.
Marc 15, 6‑15. Parall. Matth. 27, 15‑26 ; Luc 23, 17‑25 ; Jean 18, 39–19.1.
Mc15.6 Cependant, à chaque fête de Pâque, il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils demandaient. 7 Or, il y avait dans la prison le nommé Barabbas, avec les séditieux ses complices, pour un meurtre qu’ils avaient commis dans la sédition. — Avant d’arriver à la scène principale, l’Évangéliste note deux faits préliminaires, destinés à orienter le lecteur sur la suite de l’incident. Le premier fait, v. 6, consiste en une coutume ayant force de loi d’après laquelle, à l’occasion de la Pâque, le gouverneur romain devait mettre en liberté un prisonnier juif, que le peuple se chargeait lui‑même d’indiquer. Voyez, sur cet usage, l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 15. — Second détail préliminaire, v. 7. Il y avait précisément alors dans la prison du prétoire « un prisonnier célèbre » (Matthieu), nommé Barabbas, dont S. Marc caractérise très nettement la conduite criminelle, afin de mieux faire ressortir le contraste qui va suivre (v. 11). 1° dans la prison (…) avec les séditieux. C’était un de ces nombreux sicaires qui s’insurgeaient fréquemment alors contre l’autorité romaine, surtout depuis que Pilate se faisait comme un plaisir de blesser les sentiments religieux et nationaux des Juifs. 2° Pour un meurtre qu’ils avaient commis. À la révolte il avait joint l’homicide. Ses mains étaient souillées de sang. Voilà l’homme qu’on va bientôt préférer à Jésus.
Mc15.8 La foule étant montée se mit à réclamer ce qu’il leur accordait toujours. — Après ce petit préambule S. Marc reprend le fil du récit. — La foule, étant montée. Indiquerait que la foule se rendit au prétoire de toutes les parties de la ville, ou bien gravit le Lithostrotos (cf. Jean 19, 13) qui servait de tribunal au gouverneur. — Se mit à réclamer ce qu’il leur accordait toujours. Construction elliptique, pour « se mit à réclamer qu’il leur accorde comme d’habitude ». La foule réclame donc à grands cris l’exercice de son privilège habituel.
Mc15.9 Pilate leur répondit : « Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? » 10 Car il savait que c’était par envie que les Princes des prêtres l’avaient livré. — Voulez‑vous que je vous délivre… ? Cette demande du peuple coïncidait trop bien avec les désirs les plus intimes du gouverneur, pour qu’il hésitât un seul instant à l’exaucer. Saisissant ce moyen inattendu qui lui était offert de sauver Notre‑Seigneur, il suggère aussitôt à la multitude l’idée de lui appliquer l’amnistie. Par les mots le roi des Juifs, il espérait peut‑être susciter davantage la pitié du peuple : Ne vous laissez‑vous pas toucher par l’état misérable de cet homme qui dit être votre roi ? On leur a donné parfois, mais à tort, un sens ironique. — Car il savait... Le cours même des débats avait révélé à Pilate que c’était par envie que les chefs du parti sacerdotal (leur mention en cet endroit est propre à S. Marc) voulaient à tout prix se défaire de Jésus. Voilà pourquoi, sans engager sa responsabilité, il essayait de s’appuyer sur la foule pour leur arracher leur victime.
Mc15.11 Mais les Pontifes excitèrent le peuple, afin d’obtenir qu’il leur relâchât plutôt Barabbas. — Les prêtres comprirent la manœuvre du « Procurator », et ils s’empressèrent de la déjouer en excitant eux‑mêmes le peuple contre Jésus. L’interruption produite dans l’audience par l’arrivée du messager de la femme de Pilate (cf. Matth. 27, 19, 20) leur accorda quelques minutes dont ils profitèrent habilement pour arriver à leurs fins sataniques. — Excitèrent. L’expression correspondante du texte grec est d’une grande énergie. On ne la trouve qu’ici et dans Luc 23, 5. Elle désigne des efforts vigoureux, opérés en vue d’agiter une réunion d’hommes en soulevant leurs plus mauvaises passions. — Qu’il délivrât plutôt Barabbas… « plutôt », de préférence. Les prêtres représentaient sans doute au peuple que Barabbas était, après tout, un valeureux champion de la nationalité juive contre l’oppression romaine, un zélote plein de patriotisme, et, qu’à ce titre, c’était à lui qu’on devait donner la préférence.
Mc15.12 Pilate, reprenant la parole, leur dit : « Que voulez-vous donc que je fasse de celui que vous appelez le roi des Juifs ? » 13 Ils crièrent de nouveau : « Crucifiez-le. » — Nous avons ici un exemple de la manière dont S. Marc abrège et condense les faits. Il passe sous silence, parce qu’elles étaient contenues en germe dans les deux lignes qui précèdent (v. 11), une question de Pilate et une réponse de la foule. Nous trouvons l’une et l’autre dans le premier Évangile, Matth. 27, 21 : « Lequel des deux voulez‑vous que je vous délivre ? Ils dirent : Barabbas ». Quoique déçu dans son espérance, Pilate cherche encore à sauver Jésus, en demandant au peuple : Que ferai‑je donc au roi des Juifs ? Ou, d’après une leçon très accréditée : Que ferai‑je à celui que vous dites être le roi des Juifs ? Il pensait obtenir, pour Jésus comme pour Barabbas, un vote d’élargissement. — Crucifie‑le. Telle fut la sentence barbare prononcée par la foule. Elle choisit, pour son Messie, le plus atroce et le plus ignominieux des supplices romains. On voit jusqu’à quel point les prêtres avaient réussi à la fanatiser.
Mc15.14 Pilate leur dit : « Mais quel mal a-t-il fait ? » Et ils crièrent encore plus fort : « Crucifiez-le. » — Mais quel mal a‑t‑il fait ? Tout entier aux moyens ingénieux, Pilate tâche d’attirer l’attention de la multitude sur l’innocence de celui dont elle demandait impitoyablement la mort. Mais une populace ameutée, avide de sang, s’inquiète bien de l’innocence de ceux qu’elle égorge. « Les Juifs, cédant à leur folie, ne répondent pas à la question de leur gouverneur ». — Et ils criaient encore plus fort : Crucifie‑le, « Pour que s’accomplisse cette parole de Jérémie (c. 12) : mon héritage est devenu comme un lion dans la forêt : ils ont donné de la voix contre moi ». Bède le Vénérable. — Saint Pierre reprochera plus tard aux Juifs, Actes 3, 13‑15, leur conduite : « Jésus,… vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie ». Ces ennemis de Jésus ne se doutaient guère alors qu’eux‑mêmes ou leurs enfants expieraient bientôt sur la croix le crucifiement de Jésus. Un grand nombre de Judéens en effet furent condamnés à ce supplice par les Romains, durant la guerre qui mit fin à la nation théocratique [Cf. Flavius Josèphe, Bellum Judaicum, 6, 28.].
Mc15.15 Pilate, voulant satisfaire le peuple, leur délivra Barabbas et après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour être crucifié. — Pilate a fait preuve assurément de quelque justice dans la scène qui précède ; mais il n’a résisté que trop mollement à la foule, et maintenant il n’est plus maître de la situation. À Césarée déjà, comme le raconte Josèphe [Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 4, 3, 1.], il avait appris dans une circonstance analogue jusqu’où pouvait aller l’obstination d’un attroupement israélite. Il cède donc lâchement aux deux volontés qui avaient été exprimées devant lui : il met Barabbas en liberté et condamne Jésus au supplice de la croix. « Tu iras à la croix », telle était, dans sa concision toute romaine, la sentence du juge en pareil cas. — Les mots voulant satisfaire le peuple montrent le but que se proposait le Procureur en décrétant ce supplice pour Jésus. Il voulait se débarrasser d’une foule devenue menaçante, relever par cette concession sa popularité depuis longtemps ébranlée. Il est vrai qu’il sacrifiait pour cela un innocent. Mais un gouverneur romain, et surtout un Pilate, n’y regardait pas de si près. — Après avoir fait flageller Jésus : voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 26. Nous avons dit (ibid.) que, dans l’intention de Pilate, la flagellation devait être une sorte de compromis destiné à calmer les désirs sauvages du peuple et à épargner la vie de Jésus. Mais, cet expédient ayant échoué comme les autres, ce ne fut en réalité qu’une cruauté inutile. Il servit du moins à réaliser la prophétie de Jésus, « ils le flagelleront », Marc 10, 33, et à nous mériter un surcroît de grâces. — Sur la flagellation du Christ, le saint Suaire de Turin fournit des informations historiques importantes et émouvantes.
Marc 15, 16‑19. Parall. Matth. 27, 27‑30 ; Jean 19, 2‑3.
Mc15.16 Les soldats conduisirent Jésus dans l’intérieur de la cour, c’est-à-dire dans le prétoire et ils convoquèrent toute la cohorte. — Les soldats… Le contexte indique qu’il s’agit des soldats romains. Cf. Matth. 27, 27, « les soldats du gouverneur ». Quand Jésus eut été condamné à mort par le Sanhédrin, les serviteurs du grand‑prêtre se mirent à l’accabler d’outrages. Cf. Marc 14, 63. La soldatesque impériale agit de même à son égard, quand Pilate eut ratifié la sentence du grand Conseil. — Dans l’intérieur de la cour. La scène à laquelle nous venons d’assister s’était passée dans la cour extérieure du palais qui servait de résidence à Pilate, et qui portait le nom de prétoire selon la coutume romaine ; celle du couronnement d’épines aura lieu dans la cour intérieure, avec laquelle la caserne était sans doute en communication. — Ils convoquèrent toute la cohorte. La cohorte formait la dixième partie de la légion, et comprenait de cinq à six cents hommes. Le « Procurateur » de Judée avait six cohortes à sa disposition : cinq d’entre elles étaient stationnées à Césarée de Palestine ; la sixième restait à Jérusalem.
Mc15.17 Et l’ayant revêtu de pourpre, ils ceignirent sa tête d’une couronne d’épines qu’ils avaient tressée. — Ils le revêtent d’un manteau rouge. « Comme on avait appelé Jésus le roi des Juifs, et que le crime que lui avaient reproché les Scribes et les prêtres était d’avoir voulu usurper le pouvoir sur le peuple d’Israël, les soldats en font le sujet de leurs dérisions, et c’est pour cela que, le dépouillant de ses habits, ils le revêtent de la pourpre, distinction des anciens rois ». Bède le Vénérable. D’après la relation plus exacte de S. Matthieu, 27, 28 (voyez le commentaire), c’est d’une chlamyde, d’un de leurs manteaux écarlates, que les soldats revêtirent Notre‑Seigneur. Les anciens auteurs ne se piquent pas d’une parfaite exactitude lorsqu’il s’agit des couleurs : ils confondent souvent les nuances voisines. C’est pour cela que S. Marc et S. Jean appellent « vêtement pourpre » ce que S. Matthieu nomme « un manteau rouge ». Cf. saint Augustin [De Consensu Evangelistarum, l. 3, c. 9.]. — Une couronne d’épines. La dérision sera complète : au simulacre d’un vêtement royal, on ajoute celui du diadème royal.
Mc15.18 Puis ils se mirent à le saluer : « Salut, roi des Juifs. » — Salut, roi des Juifs. De même la Recepta. Mais, d’après de nombreux manuscrits (A, C, E, F, G, etc.), la leçon authentique parait avoir été : « Salut, toi qui es le roi des Juifs ». Cette seconde locution est plus énergique, par conséquent plus outrageante.
Mc15.19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils crachaient sur lui et, fléchissant les genoux, ils lui rendaient hommage. — Ils lui frappaient la tête avec un roseau. Nous savons par S. Matthieu, 27, 29, que ce roseau avait d’abord été placé en guise de sceptre dans la main droite du Sauveur. — Crachaient… adoraient. Remarquez ces imparfaits qui indiquent la répétition, la multiplication des insultes, chacun des soldats de la cohorte voulant jouer son rôle dans cette scène affreuse. Ainsi, se réalisait une autre partie de la prophétie de Jésus : « ils l’insulteront, et cracheront sur lui, », Marc 10, 34. — La dérision du Christ et le couronnement d’épines ont inspiré des œuvres magistrales à Schidone, au Guide, à Valentin, à Luini, à Titien, à Rubens. L’attitude vraiment royale de Jésus y a été en général bien reproduite.
Marc 15, 20‑22. Parall. Matth. 27, 31‑33 ; Luc 23, 36‑32 ; Jean 19, 2‑3.
Mc15.20 Après s’être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier. — Quoique déjà rassasié d’opprobres, comme l’avait prédit Isaïe, Jésus n’a pas encore vidé la coupe jusqu’à la lie. Il lui faut encore gravir péniblement le Calvaire et y subir par amour pour nous une mort cruelle. C’est pourquoi ils l’emmenèrent pour le crucifier, afin que s’accomplit encore la prédiction du Sauveur : « ils le feront mourir », Marc 10, 34. Ils le font sortir d’abord du prétoire, puis de la ville ; car, chez les anciens, les exécutions avaient lieu en dehors de l’enceinte des cités. Cf. Matth. 27, 32 et l’explication. C’est aussi en vertu d’une coutume soit romaine, soit orientale, que nous voyons le supplice suivre d’aussi près la sentence.
Mc15.21 Un certain Simon de Cyréne, le père d’Alexandre et de Rufus, passant par là en revenant des champs, ils le réquisitionnent pour porter la croix de Jésus, — Ils réquisitionnent… Voir, sur ce mot, l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 41. — Simon de Cyrène. Ce surnom de Cyrénéen indique‑t‑il que Simon habitait la Cyrénaïque, et qu’il ne se trouvait en ce moment à Jérusalem qu’à l’occasion de la Pâque ? ou bien signifie‑t‑il que le porte‑croix de Jésus était simplement originaire de cette province, et que son domicile actuel était depuis un certain temps fixé dans la capitale juive ? Le détail qui suit, revenant des champs, commun à S. Marc et à S. Luc, rend la seconde opinion très vraisemblable. En effet, il paraît supposer ou que Simon possédait aux environs de Jérusalem une propriété de laquelle il revenait en ce moment, ou, d’après le sens plus ordinaire du mot ἀγρος (champ), qu’il avait sa résidence accoutumée à la campagne, à quelque distance de la ville. Le vague un certain montre qu’il n’était pas connu des lecteurs de S. Marc ; mais, d’un autre côté, les mots père d’Alexandre et de Rufus, propres à notre Évangéliste, annoncent que les deux fils du Cyrénéen étaient non seulement des chrétiens, mais des chrétiens célèbres dans l’Église de Rome, pour laquelle était spécialement composé le second Évangile. Il est même probable qu’Alexandre et Rufus étaient eux‑mêmes alors, ou du moins avaient été autrefois domiciliés à Rome ; car parmi les salutations personnelles qui terminent la lettre de saint Paul aux Romains, nous trouvons la suivante, Romains 16, 13 : « Saluez Rufus, choisi par le Seigneur, et sa mère qui est aussi la mienne ». Or, on admet communément que le Rufus de saint Paul et celui de S. Marc sont identiques. Cette opinion se rencontre déjà dans l’écrit apocryphe intitulé « Actes d’André et de Pierre ». Rien ne prouve au contraire qu’il faille confondre l’autre fils de Simon avec le personnage du même nom mentionné d’une manière peu honorable en divers endroits du Nouveau Testament. Cf. Actes 19, 33 ; 1Timothée 1, 20 ; 2Timothée 4, 14. Détail curieux : de ces trois noms que nous trouvons dans une famille juive contemporaine de Notre‑Seigneur, le premier seul (Simon) était juif. Le second (Alexandre) était grec, le troisième (Rufus) était latin. Ce simple fait suffit pour montrer jusqu’à quel point le Judaïsme tendait à se désagréger, pour devenir cosmopolite. — Porter la croix de Jésus. « Tout vice, écrit Plutarque, porte son propre tourment, de même que tout criminel porte sa propre croix » [Plutarque, De sera numinis vindicta, 9.]. Cf. Artemidorus [Artemidorus Daldianus, Oneirocritica, 2, 61.]. Aussi Notre‑Seigneur porta‑t‑il lui‑même pendant un certain temps sa croix sur ses épaules. Si les soldats l’en déchargèrent avant la fin du pénible trajet, ce fut assurément parce que, épuisé de fatigue et de douleur, il n’avait plus la force de traîner son pesant fardeau. C’est pour cela qu’au moment où le convoi sortait de la ville (Cf. Matth. 27, 32) par la « Porte judiciaire » de la tradition, les bourreaux, rencontrant Simon le Cyrénéen, l’obligèrent de porter la croix à la place de Jésus. Du reste, le but principal était atteint, puisque le divin condamné avait eu l’humiliation de traverser, avec l’instrument de son supplice sur le dos, les rues alors si populeuses de Jérusalem, et de recevoir mille outrages.
Mc15.22 qu’ils entraînent au lieu-dit Golgotha, ce que l’on traduit : lieu du Crâne. — Golgotha. Sur le nom et l’emplacement du Golgotha, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 33. — « Ce serait un beau problème résolu, de retrouver à Jérusalem le Chemin que Jésus a parcouru, arrosé de son sang pendant sa Passion. Malheureusement les traditions relatives à la Voie douloureuse sont presque modernes ; c’est‑à‑dire que les stations désignées aujourd’hui n’ont été définitivement arrêtées qu’au moyen âge. Les seuls points fixes sont le prétoire, qui certainement était situé dans la tour Antonia, le Calvaire et le tombeau : tout le reste est conjectural. Les transformations profondes et successives qu’a subies la Ville sainte rendent presque impossible de reconnaître exactement la ligne parcourue ; on se perd dans un dédale de constructions modernes qui empêchent de l’aborder. Au point de vue de la foi une approximation est tout à fait suffisante » [Charles Rohault de Fleury, Mémoire sur les Instruments de la Passion, p. 280 et s.]. La « Via crucis », telle que les pèlerins la suivent à Jérusalem depuis plusieurs siècles, s’étend sur environ 500 mètres et est marquée par neuf des quatorze stations du chemin de croix. Les cinq dernières stations sont à l’intérieur de l’église du Saint-Sépulcre. Sa direction générale est de l’Est à l’Ouest, entre la porte saint Étienne et le couvent latin. « Il y a, dit un auteur protestant, quelque chose qui impressionne vivement dans cette rue sombre, avec ses passerelles voûtées, ses taches d’ombre et de lumière, et ses pierres vénérées autour desquelles on aperçoit toujours quelques petits groupes de pèlerins ». La partie de la Voie douloureuse qui monte au Saint‑Sépulcre d’une manière assez abrupte a un cachet tout à fait pittoresque. — Parmi les chefs‑d’œuvre presque innombrables qu’a produits la représentation intégrale ou partielle du Chemin de la Croix, bornons‑nous à signaler un tableau de Titien, image saisissante du Christ portant sa croix et ayant autour du cou une corde tirée par un personnage ignoble et le « Spasimo » de Raphaël. « Le mélange de souffrance et de pitié dans le regard du Christ, quand il s’affaisse sous sa croix, et qu’il dit aux filles de Jérusalem de ne pas pleurer sur lui, donne à cette partie du tableau une force d’attraction qui semble avoir été calculée pour provoquer un élan d’amour ou de contrition » (Rio).
Marc 15, 23‑37. Parall. Matth. 27, 34‑50 ; Luc 23, 33‑46 ; Jean 23, 18‑30.
Mc15.23 Et ils lui donnaient à boire du vin mêlé de myrrhe, mais il n’en prit pas. — Ce verset raconte l’un des préliminaires du supplice de Jésus. Quand l’auguste victime fut arrivée chancelante sur le Golgotha, en vertu d’un ancien usage juif on lui offrit, tout à la fois pour la fortifier et pour la rendre moins sensible aux horribles souffrances du crucifiement, un breuvage que S. Matthieu (27, 34, voyez le commentaire) appelle « vin mêlé de fiel », mais que S. Marc désigne plus exactement par les mots vin mêlé de myrrhe, c’est‑à‑dire un mélange de vin et de myrrhe. On sait que les anciens recherchaient ce mélange à cause de son goût aromatique très prononcé [Cf. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 14, 15] ; mais, de plus, ils le regardaient comme un puissant narcotique [Dioscorides, 1, 77.], et c’est pour ce motif que, d’après l’opinion généralement suivie, des personnes dévouées l’offrirent à Jésus. — Mais il n’en prit pas. Le Christ, en effet, devait mourir vivant, et non pas endormi. Néanmoins, comme le dit S. Matthieu, Jésus consentit à prendre quelques gouttes du vin myrrhé.
Mc15.24 L’ayant crucifié, ils se partagent ses vêtements, tirant au sort ce que chacun en prendrait. — L’ayant crucifié. Quelles souffrances dans ce seul mot. « Mes Frères, je vous en conjure, soulagez ici mon esprit ; méditez vous‑mêmes Jésus crucifié, et épargnez‑moi la peine de vous décrire ce qu’aussi bien les paroles ne sont pas capables de vous faire entendre : contemplez ce que souffre un homme qui a tous les membres brisés et rompus par une suspension violente ; qui, ayant les mains et les pieds percés, ne se soutient plus que sur ses blessures, et tire ses mains déchirées de tout le poids de son corps entièrement abattu par la perte du sang ; qui, parmi ses excès de peine, ne semble élevé si haut, que pour découvrir de loin un peuple infini, qui se moque, qui remue la tête, qui fait un sujet de risée d’une extrémité si déplorable » [Jacques‑Bénigne Bossuet, 4e sermon pour le Vendredi saint, Édit. de Versailles, t. 3, p. 488.]. — Pour toutes les questions relatives à la croix et au crucifiement, nous renvoyons le lecteur à notre Évangile selon S. Matthieu, 27, 35 et au livre du Docteur Pierre Barbet, La Passion de Jésus Christ selon le chirurgien, éditions Médiaspaul, ISBN 2-7122-0049-7. Nous invitons les lecteurs à chercher sur l’Internet, les photos de face et de profil du Crucifix du Docteur Charles Villandre, chirurgien et sculpteur qui présente le crucifix qui se rapproche le plus de la vérité historique. Au point de vue artistique, on pourrait remplir un volume si l’on voulait décrire tout ce que le crucifiement de Jésus a produit de remarquable en fait de tableaux, de gravures et de sculptures. Avec la crèche, c’est la croix qui a le plus inspiré les grands maîtres le tous les temps. Les œuvres de Duccio, de Bernardino Luini, de Cavallini, de Lorenzetti, d’Avanzi, de Ferrari, de Véronèse, du Pérugin, de Rubens, de fra Angelico, nous plaisent entre toutes. — Ils partagèrent ses vêtements… Valentin et Lebrun ont bien reproduit cette scène. Les licteurs ou soldats qui remplissaient l’office de bourreaux avaient droit aux vêtements des suppliciés. Les dés à jouer, que tout guerrier romain portait habituellement sur lui, servirent à déterminer le lot de chacun des quatre exécuteurs.
Mc15.25 Il était la troisième heure lorsqu’on le crucifia. — Trait propre à S. Marc. La troisième heure des anciens équivaut environ à 9 h du matin. Comme d’après S. Jean, 19, 14, Jésus se trouvait encore au prétoire vers la sixième heure, on a souvent pensé, à la suite de saint Jérôme, que l’adjectif « troisième » de notre texte devait être une erreur de copiste pour « sixième » ; mais nous verrons plus tard que S. Jean avait adopté une numération spéciale. Il n’y a donc rien à changer.
Mc15.26 L’inscription indiquant la cause de sa condamnation portait : « Le roi des Juifs. » — L’inscription… « Titulus », ἡ ἐπιγραφὴ, tels étaient bien les mots techniques de la Grèce et de Rome pour désigner la planchette sur laquelle on écrivait le motif de la condamnation des crucifiés, et qu’on attachait au sommet de la croix. Voyez Matth. 27, 37 et le commentaire. — Le roi des Juifs. Des quatre inscriptions qui nous ont été conservées dans les saints Évangiles, celle de S. Marc est notablement la plus courte. Elle indique seulement la nature du crime, imputé à Jésus. Peut‑être était‑ce l’inscription latine.
Mc15.27 Ils crucifièrent avec lui deux brigands, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. 28 Ainsi fut accomplie cette parole de l’Écriture : « Et il a été mis au rang des malfaiteurs. » — Ils crucifièrent avec lui… C’était, on le devine aisément, pour humilier davantage Notre‑Seigneur Jésus‑Christ qu’on avait crucifié auprès de lui deux scélérats de la pire espèce. En les plaçant l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, comme des assesseurs, on jouait encore sur son titre de roi ; car, dans cette situation, ils semblaient se tenir à côté de son trône à la façon de deux premiers ministres. — Ainsi fut accomplie cette parole de l’Écriture… Notre Évangéliste, tout à fait au début de son récit, 1, 2 et ss., a déjà signalé à propos du Précurseur la réalisation des prophéties de l’Ancien Testament. — Il a été rangé parmi les criminels… Cette prophétie est extraite d’Isaïe 53, 12. Les anciens Juifs l’entendent du Messie. Saint Philippe, dans les Actes, 8, 32‑33, lui en fait aussi l’application. Et Jésus‑Christ lui‑même dans S. Luc, 22, 37, avait averti qu’il fallait qu’on en vît l’application dans sa personne.
Mc15.29 Les passants l’insultaient, en hochant la tête et disant : « Ah, Toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, 30 sauve-toi toi-même et descends de la croix. » 31 Les Princes des prêtres aussi, avec les Scribes, le raillaient entre eux et disaient : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même. 32 Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. » Ceux même qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient. — S. Marc passe au récit navrant des outrages dont les Juifs n’eurent pas honte d’abreuver le divin Crucifié. Les détails qu’il donne à ce sujet diffèrent à peine de ceux que nous avons lus dans S. Matthieu. Il distingue, lui aussi, trois classes d’insulteurs : les passants, vv. 29 et 30, les Sanhédristes, vv. 31 et 32a, et les voleurs 32b. Il abrège un peu, selon sa coutume : mais il a aussi plusieurs petits traits originaux, par exemple, le pittoresque entre eux du v. 31, et les mots afin que nous voyions du v. 32. — Cette affreuse scène montre jusqu’à quel point allait la haine des ennemis de Jésus : elle est du reste très conforme aux mœurs de l’Orient, où l’on ne craint pas d’insulter les condamnés à mort jusque sur le gibet où ils agonisent.
Mc15.33 La sixième heure étant arrivée, les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. — Les ténèbres se répandirent sur toute la terre. Trois heures déjà s’étaient écoulées depuis que Jésus avait été attaché à la croix. Cf. v. 25. Vers midi (sixième heure), le ciel se voila tout à coup d’une manière mystérieuse et surnaturelle (voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 45), comme pour n’être pas témoin des souffrances et de la mort du Christ. Ces ténèbres, qui enveloppèrent non seulement la ville déicide, mais la Palestine entière et probablement une partie considérable du vieux monde, toute la terre, persévérèrent jusqu’au dernier soupir de Jésus.
Mc15.34 Et à la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte : « Éloï, Éloï, lama sabacthani. » Ce qui se traduit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » — Et à la neuvième heure. À trois heures de l’après‑midi. C’est alors qu’on offrait dans le temple le sacrifice du soir. À ce moment suprême, l’agonie de Jésus expirant atteignit son plus haut degré. Délaissé de son Père céleste, de même qu’il était délaissé des hommes, Notre‑Seigneur prononça d’une voix forte ce texte des Psaumes : Eloï, Eloï, lamma sabacthani. Cf. Matth. 27, 46 et l’explication. Dans le premier Évangile, nous lisions « Eli » (אלי) au lieu de « Eloï » (אלהי). S. Marc a conservé la forme araméenne, qui fut vraisemblablement celle dont le divin Maître se servit. Quelles angoisses dans cette exclamation déchirante.
Mc15.35 Quelques-uns de ceux qui étaient là, l’ayant entendu, disaient : « Voyez, il appelle Élie. » 36 Et l’un d’eux courut emplir une éponge de vinaigre et l’ayant mise au bout d’un roseau, il lui donna à boire, en disant : « Laissez, voyons si Élie viendra le faire descendre. » — il appelle Élie. Notre Évangéliste raconte presque dans les mêmes termes que S. Matthieu l’incident auquel donna lieu le cri de détresse poussé par Jésus. Le dernier trait, laissez, voyons…, a néanmoins reçu dans sa narration une forme spéciale. En effet, tandis que c’est à une personne animée d’un certain sentiment de compassion à l’égard de Jésus qu’il fait dire : Laissez. voyons si Élie viendra l’aider à descendre, S. Matthieu prête cette réflexion à toute l’assistance : « Mais les autres disaient : Laisse, voyons si Élie viendra le délivrer. ». Mais qui donc prononça en réalité cette parole ? « De là nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage », répond fort bien saint Augustin [De Consensu Evangelistarum, Livre 3, c. 17]. En combinant les deux récits, on obtient un tableau vivant de la surexcitation créée au pied de la croix par le cri du Sauveur. — Notons encore, d’un côté l’expression viendra le faire descendre, plus pittoresque que le « viendra le sauver » du premier Évangile ; d’un autre côté, la description aussi rapide que dût l’être le fait lui‑même. C’est bien là le style de S. Marc.
Mc15.37 Mais Jésus, ayant jeté un grand cri, expira. — Ce cri poussé d’une voix forte était le cri d’un vainqueur plutôt que celui d’un agonisant. Jésus expira donc dans la plénitude de sa liberté, et non comme une victime de la sentence terrible qui a condamné tous les hommes à la mort.
Marc 15, 38‑41. Parall. Matth. 27, 51‑56 ; Luc 23, 47‑49.
Mc15.38 Et le voile du sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas. — « Après avoir raconté la passion et la mort du Christ, l’évangéliste continue avec ce qui est arrivé après la mort du Seigneur », Glossa ordinaria. S. Marc, comme S. Matthieu, mentionne trois sortes d’incidents ; mais il abrège considérablement le premier car, se contentant de parler du voile du temple, il ne dit rien du tremblement de terre, des rochers fendus, des morts ressuscités. — Premier fait : Le voile du temple se déchira en deux. Ce fut là certainement un éclatant prodige et un profond symbole. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 51. Grâce à la mort de Jésus, il n’y a désormais plus de barrière entre Dieu et les hommes. La porte du royaume des cieux est largement ouverte. Le voile qui séparait les deux parties du temple nommées Saint et Saint des Saints était magnifique : il était composé en grande partie de pourpre et d’or ; des Chérubins brodés le recouvraient presque en entier.
Mc15.39 Le centurion qui se tenait en face de Jésus, voyant qu’il avait expiré en jetant un tel cri, dit : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu. » — C’est le second fait. S. Marc, dans la relation qu’il en donne, a plusieurs particularités intéressantes. D’abord, il emploie pour désigner le centurion un mot latin grécisé, κεντυρίων, tandis que les deux autres synoptiques se servent de l’expression classique ἐκατόνταρχος (chef de cent hommes) : de même aux vv. 44 et 45 (voir la Préface, § 4, 3). En second lieu, il est seul à noter un trait pittoresque, qui était en face de Jésus, d’où il ressort que le centurion avait parfaitement vu et entendu. En troisième lieu, il signale explicitement le dernier cri du Sauveur comme la cause de l’étonnement du centurion, voyant qu’il avait expiré en jetant un tel cri. Cet homme de guerre, qui avait sans doute assisté à un grand nombre d’agonies, ne se souvenait pas d’avoir jamais été témoin d’un pareil fait. Dans ce cri, d’autant plus extraordinaire que les crucifiés mouraient presque toujours d’étouffement, suite à la tétanie des membres, ils ne pouvaient plus pousser sur leurs jambes pour reprendre leur respiration, il vit donc quelque chose de surnaturel : puis, l’associant à la conduite si noble de Jésus, à sa patience, aux ténèbres mystérieuses, etc., il en vint jusqu’à formuler ce jugement intérieur : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. C’est la seconde conversion opérée par le Christ mourant : la première avait été celle du bon larron.
Mc15.40 Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin, entre autres Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joseph et Salomé, 41 qui le suivaient déjà et le servaient lorsqu’il était en Galilée et plusieurs autres qui étaient montées à Jérusalem avec lui. — Des femmes qui regardaient de loin. Ces mots font tableau, de même que « qui était en face» au verset précédent. — Comme S. Matthieu, S. Marc signale à part trois des saintes amies de Jésus, les plus connues sans doute et les plus dévouées. Mais il y a quelque chose de spécial dans sa mention des deux dernières. 1° Au nom de Jacques, fils de Marie, il ajoute l’épithète le Mineur, pour le distinguer de l’Apôtre saint Jacques dit le Majeur. D’où provenait ce surnom ? Suivant les uns de la taille, suivant d’autres de la jeunesse relative du fils de Marie ; on a dit aussi qu’il se l’était lui‑même imposé par modestie. 2° S. Marc désigne la mère des enfants de Zébédée par son nom de Salomé. Cf. Matth. 27, 56. — Qui le suivaient déjà et le servaient… L’Évangéliste condense dans ces quelques paroles une longue série de services généreux et dévoués. Cf. Luc 8, 1‑3. Remarquez l’emploi de l’imparfait. — Plusieurs autres encore, qui étaient montées à Jérusalem avec lui… Ces saintes femmes n’ont pas voulu se séparer de leur Maître : elles l’ont suivi jusqu’à la mort.
Marc 15, 42‑47. Parall. Matth., 27, 57‑61 ; Luc 23, 50‑56 ; Jean 19, 38‑42.
Mc15.42 Le soir étant venu, comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, — Nous trouvons dans ce verset deux circonstances de temps, relatives, la première, le soir venu, à l’heure du jour vers laquelle se passèrent les faits qui vont être racontés, la seconde, c’était… la veille du sabbat, au jour lui‑même. C’était un jour de « Parascève », c’est‑à‑dire de Préparation ; or, comme l’indique ensuite S. Marc pour ses lecteurs non‑juifs, ce mot technique équivaut à « avant‑sabbat », par conséquent, à « veille du sabbat ». C’est donc le vendredi qu’on désignait ainsi dans le Judaïsme. Cf. Matth. 27, 62. Mais, comme le sabbat approchait (comp. Luc 23, 54 et le commentaire) lorsqu’on procéda à l’ensevelissement du Sauveur, et comme, d’un autre côté, les jours commençaient chez les Juifs au coucher du soleil, la vague formule Le soir étant venu doit indiquer les dernières heures du vendredi, de trois à six heures environ. — Ces renseignements de l’Évangéliste ont pour but d’expliquer pourquoi Joseph d’Arimathie et les autres amis de Jésus se hâtèrent de l’ensevelir. Une grande diligence était nécessaire, puisqu’on ne pouvait disposer que d’un temps peu considérable avant l’ouverture du repos sacré.
Mc15.43 arriva Joseph d’Arimathie : c’était un membre du grand conseil fort considéré, qui attendait, lui aussi, le royaume de Dieu. Il était allé avec courage auprès de Pilate, demander le corps de Jésus. — Joseph d’Arimathie. On ajoute au nom de Joseph celui de sa patrie, pour le distinguer de ses homonymes évangéliques. Sur la situation probable d’Arimathie, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 27, 57. — Membre du grand conseil. On admet communément (cf. Luc 23, 50, 51 et l’explication) que ce mot signifie dans le Nouveau Testament « assesseur du grand sanhédrin ». Joseph était donc l’un des 70 membres du sanhédrin juif. — Qui attendait, lui aussi… expression emphatique. Lui aussi, comme saint Siméon, comme sainte Anne, comme tant d’autres Juifs pleins de foi, « il attendait le royaume de Dieu », c’est‑à‑dire l’avènement du Messie et de son règne mystique. Cela marque une attente anxieuse, constante et fidèle. Mais, voici que les pieux désirs de Joseph ont été satisfaits : le royaume de Dieu est arrivé pour lui. À en croire une tradition vénérable, ce noble personnage, devenu plus tard missionnaire, aurait évangélisé la grande Bretagne, et construit à Glastonbury, comté de Somerset, le premier oratoire chrétien de l’Angleterre [Acta Martyrum, 2, 507 et ss. ; François Giry, Vie des Saints, 3, 328‑331.]. Une autre tradition, qui présente moins de garanties, le range parmi les 72 disciples. — Le courage d’aller chez Pilate. Il fallait en soi un courage réel pour faire alors ouvertement une démarche favorable à Jésus ; en second lieu parce que, jusqu’à cet instant, Joseph était demeuré disciple secret du divin Maître « par crainte des Juifs », Jean 19, 38. Mais la croix du Sauveur l’a transformé en héros. Sa timidité antérieure disparaît complètement, et il s’approche sans crainte de Pilate pour lui demander le corps de Jésus.
Mc15.44 Mais Pilate, surpris qu’il fût mort si tôt, fit venir le centurion et lui demanda s’il y avait longtemps que Jésus était mort. 45 Sur le rapport du centurion, il accorda le corps à Joseph. — Pilate, surpris… Détail propre à S. Marc. Les crucifiés demeuraient ordinairement un jour et demi, deux jours, parfois même trois jours sur la croix avant d’expirer. Aucun organe essentiel n’étant lésé en eux, la vie ne les quittait qu’avec lenteur. Cela dépendait que la hauteur où les pieds étaient cloués : plus les jambes étaient à plat et moins le crucifié pouvait pousser sur elles pour reprendre son souffle et se maintenir en vie. Plus les crucifiés étaient cloués les jambes pliées et plus le supplice était long et abominables. Ils brisèrent les jambes des deux larrons pour les empecher de reprendre leur souffle et ainsi les condamner à une mort par étouffement plus rapide. Donc Pilate fut étonné. De là l’enquête qu’il fit faire auprès du centurion de garde. — Il accorda le corps. Dans le texte grec, le verbe signifie proprement « donner en présent, donner d’une manière gratuite ». Il n’était pas rare que les magistrats romains ne consentissent que moyennant une somme considérable à livrer aux parents ou aux amis les corps des suppliciés, pour qu’on leur accordât une sépulture honorable [Cf. Cicéron, Verrines, v, 45 ; Justin (Marcus Junianus Justinus), 9, 4, 6.] : Pilate se montra généreux et ne demanda rien. C’est sans doute ce que notre Évangéliste a voulu exprimer par ce verbe.
Mc15.46 Alors Joseph, ayant acheté un linceul, descendit Jésus, l’enveloppa du linceul et le déposa dans un tombeau, taillé dans le roc, puis il roula une pierre à l’entrée du tombeau. — Après avoir raconté les préliminaires de la sépulture de Jésus, l’Évangéliste passe au fait même de l’ensevelissement. — Ayant acheté un linceul est une particularité de S. Marc. C’est au sortir du prétoire que Joseph alla acheter le sindon, c’est‑à‑dire une grande pièce d’étoffe destinée à servir de linceul à Jésus. — Descendit Jésus : expression classique pour indiquer l’action de descendre de la croix les corps des crucifiés. — Le déposa dans un tombeau, « un tombeau neuf », ajoute S. Matthieu, 27, 60 (voyez le commentaire). Ainsi s’accomplissait un oracle célèbre d’Isaïe, 53, 9 : On lui a donné son tombeau avec les méchants et dans sa mort il est avec le riche, alors qu’il n’a pas commis d’injustice et qu’il n’y a pas de fraude dans sa bouche. — Les grands maîtres ont souvent pris ce verset pour thème de leurs magnifiques développements. 1° Descente de croix : Schidone, fra Bartolomeo, Andrea del Sarto, Raphaël, Jouvenet, Lesueur, Bourdon, B. Luini, Antonio Razzi, Giotto, fra Angelico, Rubens, etc. 2° Le Christ porté au tombeau : Schidone, Titien. 3° L’ensevelissement : le Bassan, Rosso, Van der Werff, Pinfuricchio, Raphaël, etc.
Mc15.47 Or Marie-Madeleine et Marie, mère de Joseph, observaient où on le déposait. — L’épisode de la sépulture se termine, dans les deux premiers Évangiles, comme celui du crucifiement. Cf. vv. 40 et 41 ; Matth. 17, 55, 56, 61. De part et d’autre nous voyons, à l’arrière‑scène du tableau, les saintes femmes debout, et pourtant attentives à ce qui se passait autour d’elles : elles ne quitteront le Calvaire que lorsque les restes précieux de Jésus auront été mis dans le tombeau, et encore ne sera‑ce qu’avec l’intention de revenir au plus tôt. C’est pour cela qu’elles regardaient où on le déposait.


