L’Évangile selon Saint Marc commenté verset par verset

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CHAPITRE 3

Marc 3, 1‑6. Parall. Matth. 12, 9‑14 ; Luc 6, 6‑10.

Mc3.1 Jésus étant entré une autre fois dans la synagogue, il s’y trouvait un homme qui avait la main desséchée. — Dans cet épisode, comme dans celui qui précède, nous voyons Jésus ramener le sabbat à son véritable esprit, de même qu’il avait fait un peu plus haut pour le jeûne. Cf. Marc 2, 18‑22. Ce n’était pas sans besoin, car peu de lois avaient été autant torturées par les Pharisiens, et par là même autant éloignées des intentions que Dieu s’était proposées en les instituant. — Jésus entra de nouveau dans la synagogue. « De nouveau » nous reporte au v. 21 du chap. 1, où nous avions déjà vu le Sauveur entrer dans une synagogue pour y opérer un grand miracle. Au point de vue chronologique, Luc 6, 6, a ici une note importante : « Il arriva, un autre jour de sabbat ». D’après le récit de S. Marc, on pourrait croire que l’incident qui va suivre eut lieu le même jour que celui des épis. — Une main desséchée. Cette expression désigne une paralysie locale, qui privait le pauvre infirme de l’usage de sa main. Jéroboam avait été miraculeusement atteint d’un mal semblable pour sa conduite sacrilège. Cf. 1 Samuel 13.4.

Mc3.2 Et on l’observait pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat, afin de pouvoir l’accuser. — On l’observaient. « les scribes et les pharisiens », ajoute S. Luc, 6, 7. Le verbe est pris en mauvaise part (ils l’observaient de côté), comme il ressort du contexte. Cf. Luc 20, 20 ; Ac 9, 24. En soi, le verbe grec signifie simplement « diriger les yeux avec curiosité » ; dans le cas présent, les Pharisiens observent parce qu’ils épient. — Pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat. D’après les prescriptions imposées par les Docteurs de la Loi, à part le cas d’extrême urgence, toute opération médicale était sévèrement interdite aux jours de sabbat. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 12, 10. Jésus se montrera‑t‑il docile aux traditions ? Ses adversaires espèrent bien que non, car ils sont désireux de trouver contre lui quelque grave motif d’accusation : afin de l’accuser. Voilà leur but unique bien marqué.

Mc3.3 Jésus dit à l’homme qui avait la main desséchée : « Tiens-toi là debout au milieu », — Les regards scrutateurs de ses ennemis n’épouvantent pas Jésus. Au contraire, pour mieux attirer l’attention de toute l’assemblée, d’une voix ferme il commande à l’infirme de se placer au centre de la synagogue. Le divin Thaumaturge veut le grand jour pour ses actions.

Mc3.4 puis il leur dit : « Est-il permis le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver la vie ou de l’ôter ? » Et ils se taisaient.Puis il leur dit, au présent, de même dans les vv. 3 et 5. S. Marc raconte la scène d’une façon vivante et dramatique : on croirait encore y assister. — Est‑il permis… D’après S. Matthieu, ce seraient les Pharisiens qui auraient eux‑mêmes demandé à Jésus : Est‑il permis de guérir en un jour du Sabbat ? L’accord se fait aisément entre les deux narrations, si l’on admet que le Sauveur répondit à leur question par une contre‑question analogue. Il employait volontiers cette tactique pour mettre dans l’embarras ses interrogateurs insidieux. Mais la contre‑question est arrangée de telle sorte qu’elle résout vraiment le problème proposé. — De faire du bien ou du mal . Dilemme habile, proposé sous une forme abstraite : bien faire ou mal faire en général, ou mieux encore, faire du mal ou du bien. — De sauver la vie ou de l’ôter. C’est la même alternative, exprimée sous la forme concrète, et plus directement appliquée à la situation actuelle. L’hébreu נפש, ne désigne pas ici l’âme proprement dite, mais la vie, toute créature vivante. « Ôter », en grec ἀποκτεῖναι, tuer. Jésus va faire le bien et sauver ; les Pharisiens et les Scribes, en ce même jour (Cf. v. 6), vont former de noirs projets d’homicide. Qui d’entre eux profanera le Sabbat et son repos ? Ainsi donc, d’après la vigoureuse argumentation du divin Maître, bien faire et mal faire sont des choses générales, indépendantes des circonstances de temps ; guérir est une bonne œuvre, qui convient très bien pour un jour sanctifié. « S’il est permis de faire le bien en un jour de sabbat, c’est en vain que vous m’épiez ; si cela est défendu, alors Dieu transgresse ses propres lois, puisque, même aux jours de Sabbat, il permet au soleil de se lever, à la pluie de tomber, à la terre de porter des fruits » (Chaîne grecque sur S. Marc.). — Mais ils se taisaient. Ils sont saisis entre les tenailles du dilemme, et, pour éviter de se compromettre en répondant, ils préfèrent garder un humiliant silence qui les condamne. S. Marc a seul noté ce trait saisissant. — Voir dans S. Matthieu, 12, 41-42, un argument « ad hominem » adressé par Jésus aux Pharisiens.

Mc3.5 Alors, les regardant avec colère et attristé de l’aveuglement de leur cœur, il dit à cet homme : « Étends ta main. » Il l’étendit et sa main redevint saine. — Toute la première moitié de ce verset contient de nombreux détails particuliers à S. Marc. — les regardant. Jésus embrasse tous ses ennemis, l’un après l’autre, dans ce regard noble et ferme, devant lequel leurs propres yeux durent se baisser humblement. Notre Évangéliste aime à décrire les regards de Jésus. Cf. Marc 3, 34 ; 5, 32 ; 10, 23 ; 11, 44. — avec colère... Il aime à décrire aussi les sentiments humains qui agitaient son âme. Il signale ici un mouvement de sainte colère. C’est le seul endroit des Évangiles où il est dit que le Sauveur ait été ému par cette passion. Ou plutôt, comme s’exprime Fr. Luc, « La colère est en nous une passion ; dans le Christ, elle était une action. En nous, elle surgit spontanément, mais le Christ, lui, la suscite. En jaillissant en nous, elle trouble les autres puissances du corps et de l’âme ; et elle ne peut pas être réprimée par le libre arbitre. Excitée par le Christ, elle meut ce qu’il veut qu’elle meuve, et elle ne trouble rien. Elle s’apaise ensuite par l’action de sa volonté ». En effet, « Les sens corporels (du Christ) étaient pleins de vigueur, sans la loi du péché ; et la vérité de ses affections était soumise à la modération qu’apportaient la déité et sa raison » [Saint Léon Ier le Grand, Lettre 11.]. En Jésus, tout était pur et parfait. — Attristé. Étrange association, ce semble : la tristesse et la compassion unies à la colère. Et pourtant l’expérience, aussi bien que la psychologie, justifie ce mélange de sentiments qui ne sont en aucune façon contradictoires. Jésus s’irrite contre le péché, il s’apitoie sur les pécheurs ; ou bien, sa colère ne dure qu’un instant, une vive et perpétuelle sympathie la remplace aussitôt. — De l’aveuglement de leur cœur. Le substantif grec πωρώσις désigne plutôt l’endurcissement que la cécité du cœur : πωρόω signifie même pétrifier. Cf. Marc 6, 52 ; 8, 46 ; Jean 12, 40 ; 2Corinthiens 3, 14. Une haine implacable contre Jésus avait endurci le cœur des Pharisiens. — Étends ta main : le récit est aussi rapide que les faits. Jésus avait déjà opéré d’autres prodiges en des jours de Sabbat. Cf. Marc 1, 21‑29. Il en opérera d’autres encore, Jean 5, 9 ; 9, 14 ; Luc 13, 14 ; 14, 1. Ses ennemis ne lui pardonneront jamais cette sainte liberté ; aussi les Évangiles apocryphes nous les montrent‑ils lançant contre Jésus, à l’époque de son jugement, cette accusation avec une insistance particulière.

Mc3.6 Les Pharisiens, étant sortis, allèrent aussitôt s’entendre contre lui avec les Hérodiens, pour tâcher de le perdre.Les pharisiens, étant sortis, tinrent aussitôt… Mais dès aujourd’hui nous les voyons, emportés par leur rage fanatique, ourdir les plus noirs complots. « aussitôt » : ils ne perdent pas un instant ; la haine qui les aiguillonne les rend prompts à agir. — Avec les Hérodiens. Sur le caractère et les tendances de ce parti, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 22, 15. C’étaient les « conservateurs‑libéraux » du temps. Ils formaient un parti beaucoup plus politique que religieux : or, précisément au point de vue politique, la popularité croissante de Jésus pouvait les effrayer, d’autant mieux que la résidence du tétrarque Hérode Antipas était non loin de là, à Tibériade. De là leur alliance avec les Pharisiens, quoique les deux sectes fussent entre elles aussi peu homogènes que le blanc et le noir. — pour tâcher de le perdre. L’alliance est conclue dans ce but : la clause en sera fidèlement exécutée des deux côtés, car, pendant la Semaine Sainte, Marc 12, 13, nous trouverons les parties contractantes agissant de concert pour perdre Jésus. Le détail de cette convention inique est propre à notre Évangéliste.

Marc 3, 7‑12. Parall. Matth. 12, 5‑21 ; Luc 6, 17‑19.

Mc3.7 Jésus se retira vers la mer avec ses disciples et une foule nombreuse le suivit de la Galilée, de la Judée, 8 de Jérusalem, de l’Idumée et d’au-delà du Jourdain. Ceux des environs de Tyr et de Sidon, ayant appris les choses qu’il faisait, vinrent aussi à lui en grande foule.Jésus se retira avec ses disciples vers la mer. « Mais Jésus, le sachant, s’éloigna de là », lisons‑nous dans Matth. 12, 15. C’est donc la connaissance des projets sanguinaires des Pharisiens, v. 6, qui engagea le Sauveur à se retirer, par mesure de prudence, dans les solitudes qui environnent le lac. Voyez Marc 1, 35 et le commentaire. Toutefois, comme l’avait dit le Prophète, Isaïe 35, 1, « Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent. Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose ». Voici que le désert s’anime et se peuple sous l’influence de l’affection qu’on porte à Jésus. — Une foule nombreuse le suivit. Cette foule, attirée, dit le v. 8, par la renommée des œuvres de Notre‑Seigneur, vient de toutes les régions de la Palestine : les habitants du Nord (de la Galilée, proche de Tyr et Sidon) se rencontrent auprès de Jésus avec ceux de l’Est (au‑delà du Jourdain) et du Sud (la Judée, Jérusalem), même du Sud le plus lointain (l’Idumée), de manière à former, répète l’Évangéliste avec une certaine emphase, une immense multitude. — La ville de Jérusalem, bien qu’elle fût comprise dans la Judée, est nommée à part à causée son importance spéciale. Les mots « au‑delà du Jourdain » représentent la province de Pérée dans son étendue la plus vaste. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 19, 1. L’Idumée faisait alors partie de l’état juif, auquel elle avait été incorporée par les princes Asmonéens : ses habitants avaient dû adopter le culte mosaïque. Elle était gouvernée par Arétas, beau‑père du tétrarque Hérode. C’est la seule fois que son nom apparaît dans les écrits du Nouveau Testament. Nous devons à S. Marc de contempler les descendants d’Ésaü réunis, malgré des haines invétérées, aux fils de Jacob aux pieds du Christ. D’après cette énumération, une seule province, la Samarie, n’était pas représentée auprès de Jésus : cela provenait de la profonde antipathie qui séparait les Samaritains des Juifs. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 5.

Mc3.9 Et il dit à ses disciples de tenir toujours une barque à sa disposition, afin qu’il ne fût pas pressé par la foule.Une barque. En grec et en latin un diminutif : une petite barque, une nacelle. Voilà la flotte de Jésus. — Il dit … de lui tenir prête… c’est‑à‑dire « il ordonna ». Ordre aussi intéressant en lui‑même que dans son but. H. Étienne, donne la définition suivante du verbe employé ici dans le texte grec primitif : « Avec patience et persévérance, j’insiste, je m’acharne, ou je répète la même chose régulièrement et fréquemment ». Ce que Jésus demandait, c’était donc que la barque en question fût mise en réserve pour son usage, et qu’elle fût constamment à sa disposition au bord du lac. Grâce à ce moyen, il pouvait, d’une part, s’échapper de temps en temps et gagner les solitudes de l’Est, d’autre part, prêcher plus à l’aise de cette chaire improvisée, sans être trop pressé par la foule. — On a fait observer que Notre‑Seigneur semble avoir aimé les lacs et les montagnes, les deux spectacles de la nature qui renferment le plus de beautés et qui parlent le plus aux âmes vives et délicates.

Mc3.10 Car, comme il guérissait beaucoup de gens, tous ceux qui avaient quelque mal se jetaient sur lui pour le toucher.Il en guérissait beaucoup. Il paraît y avoir eu dans la Vie publique du Sauveur des périodes plus spécialement consacrée aux miracles, d’autres en grande partie réservées à la prédication, quoique régulièrement ces deux choses fussent unies de manière à s’appuyer l’une l’autre. L’époque actuellement décrite par S. Marc fut un temps de nombreux prodiges. — Tous… se jetaient sur lui ; littéralement, au point qu’on tombait sur lui. Trait tout à fait graphique, qui reproduit la scène sous nos yeux. — Pour le toucher. Motif de cet empressement, des pauvres malades. Et le bon Jésus se laissait faire. — Quelque mal, en grec μάστιγας, des fouets, des coups de fouet. Ce mot, de même que l’hébreu שוט R 1 1 Rois 12, 11, désigne au figuré toute sorte de souffrances physiques. Cf. v. 29, 34 ; Luc 7, 21. Son emploi dans cette acception provenait de l’antique croyance que les maladies étaient toujours des châtiments divins.

Mc3.11 Les esprits impurs, en le voyant, se prosternaient devant lui et s’écriaient : « Vous êtes le Fils de Dieu »,Les esprits impurs… se prosternaient. Quel beau et frappant contraste. Les malades se jettent sur Jésus afin d’obtenir leur guérison ; les possédés se prosternent devant lui, reconnaissant, son caractère messianique, et le conjurant sans doute, comme en d’autres circonstances, de les laisser en paix. Remarquez qu’on parle des esprits immondes comme s’ils n’eussent fait qu’une seule et même chose ; avec les malheureux dont ils s’étaient emparés. Voyez notre commentaire sur S. Matthieu. — En le voyant indique un fait habituel et constant.

Mc3.12 mais il leur défendait avec de grandes menaces de faire connaître qui il était.Le Fils de Dieu, c’est‑à‑dire le Messie en tant qu’il était censé avoir avec Dieu les relations les plus étroites, il n’est pas probable que ce titre eût, dans la bouche des démons, le sens strict de « Fils naturel de Dieu ». — Il leur défendait, avec de sévères menaces… Nous avons recherché plus haut [cf. Marc 1.35 et la note] les motifs pour lesquels Jésus‑Christ imposait ainsi le silence aux démons, S. Matthieu, dans le passage parallèle, Matth. 12, 17‑21, relève une belle prophétie d’Isaïe que Jésus réalisait à cette époque de la façon la plus parfaite.

Marc 3, 13‑19.Parall. Matth. 10, 2‑4 ; Luc 6, 12‑16.

Mc3.13 Étant monté ensuite sur la montagne, il appela ceux que lui-même voulut et ils vinrent à lui.Étant monté ensuite sur la montagne. La montagne témoin du choix des douze Apôtres fut très probablement celle de Kouroun‑Hattin, dont le lecteur trouvera la description dans l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 1. Elle était située à une courte distance du lac, qu’elle surplombe de son double sommet. L’article du texte grec suppose qu’il s’agit d’une montagne célèbre dans la contrée. C’est donc là que Jésus, après une prière mystérieuse et une veille solitaire, Luc 6, 12, choisit parmi ses disciples, déjà nombreux, douze hommes spéciaux, destinés à un rôle supérieur, et dont il voulait dès lors faire l’éducation en vue de leur destinée si importante pour son œuvre. — Il appela : il proclama sans doute leurs noms devant l’assistance, les désignant un à un et les groupant à ses côtés. Ce fut un moment bien solennel : il est solennellement décrit dans la narration pourtant bien simple de notre Évangéliste. — Ceux que lui‑même voulut. Mot de la plus haute gravité, qui dénote de la part de Jésus un choix tout à fait libre, quoique basé sur les plans éternels de Dieu. Il appela ceux qu’il voulut. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis », dira‑t‑il plus tard aux Douze, Jean 15, 16. Les Apôtres eux‑mêmes ne furent donc pour rien dans leur vocation, de même que leurs successeurs à divers degrés, Évêques ou Prêtres, ne doivent être pour rien dans la leur. « On ne s’attribue pas cet honneur à soi‑même, on est appelé par Dieu, comme Aaron ». Hébreux 5, 4. Non, personne, pas même le Christ, continue le grand Apôtre : « Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui‑même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit… Tu es prêtre de l’ordre de Melchisédek pour l’éternité ». — Et ils vinrent à lui. Voilà donc le cercle intime des Douze définitivement constitué ; les vocations antérieures dont les membres du Collège apostolique avaient été l’objet n’étaient que des degrés préliminaires et préparatoires à la grande installation faite en ce moment par Jésus.

Mc3.14 Il en établit douze pour les avoir avec lui et pour les envoyer prêcher, 15 avec le pouvoir de guérir les maladies et de chasser les démons. — Dans ces deux versets, S. Marc détermine avec beaucoup de clarté l’office et le rôle des Apôtres. — Il en établit douze… La première note de l’Évangéliste est donc relative au nombre des Apôtres. Ce fut un nombre mystique : douze Apôtres, de même qu’il y avait eu douze patriarches. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 2. — Pour les avoir avec lui. Second renseignement de S. Marc, relatif à l’un des principaux rôles des élus de Jésus : les Apôtres devaient vivre habituellement auprès du Maître, pour être témoins de sa prédication, de ses miracles, de sa conduite, et pour recevoir sa formation directe. Cf. Actes 1, 21. — Et pour les envoyer prêcher… Troisième renseignement, qui détermine une autre fonction apostolique. Apôtre signifie envoyé : les Douze seront, comme leur nom l’exprime, les ambassadeurs de Jésus, ses légats à ses côtés ; il les enverra porter, d’abord dans la Palestine, puis sur toute la terre, la bonne nouvelle du salut. — Et il leur donna le pouvoir… Pour que ses Apôtres fussent capables d’exercer avec plus d’autorité le ministère de la prédication, Jésus les munit de pouvoirs extraordinaires, surnaturels, qui seront comme leurs lettres de créance. Ces pouvoirs ne diffèrent pas de ceux que nous avons vu le Sauveur lui‑même exercer à différentes reprises d’après le récit évangélique. Ils sont de deux sortes : l’un permettra aux Apôtres de guérir les maladies, par l’autre ils pourront d’un mot expulser les démons.

Mc3.16 A Simon il donna le surnom de Pierre,  — Après avoir signalé les pouvoirs conférés par Jésus à ses Apôtres, l’Évangéliste donne la liste complète des Douze, que nous nous contenterons de parcourir rapidement. On trouvera dans notre commentaire sur S. Matthieu, 10, 2‑4, d’assez nombreux détails sur les nomenclatures du même genre renfermées dans les écrits du Nouveau Testament, sur leur organisation intérieure, sur chaque Apôtre en particulier et sur l’ensemble du collège apostolique. — Simon… La liste commence d’une façon assez extraordinaire au point de vue du style. Quelques manuscrits grecs ont la variante « le premier, Simon », qui semble être un emprunt fait à Matth. 10, 2. — Le nom de Pierre. Jusqu’ici, S. Marc a toujours donné au prince des Apôtres son nom primitif de Simon ; désormais il l’appellera Pierre. Cette dénomination symbolique, qui fit de Simon le roc inébranlable sur lequel Jésus devait fonder son Église, avait été promise au fils de Jona dès sa première entrevue avec Notre‑Seigneur, Jean 1, 42 ; mais il ne la reçut d’une manière définitive que durant la dernière période de la Vie publique, Matth. 16, 18.

Mc3.17 puis il choisit Jacques, fils de Zébédée et Jean, frère de Jacques, auxquels il donna le surnom de Boanergès, c’est-à-dire, fils du tonnerre,Jacques, fils de Zébédée, ou saint Jacques le Majeur, le seul Apôtre dont le Nouveau Testament raconte la mort, Actes 12, 2. — Jean, le disciple que Jésus aimait, cf. Jean 13, 23 ; 19, 26, et celui des Douze qui vécut le plus longtemps. — il donna le surnom… Trait spécial à S. Marc. Ainsi donc, le Sauveur avait imposé des surnoms mystérieux à ses trois disciples privilégiés. — Boanergès. Ce mot n’a pas peu embarrassé les anciens philologues et commentateurs, qui ne trouvaient rien, dans la langue hébraïque, qui lui correspondit exactement. Ils le croyaient donc plus ou moins corrompu par son vêtement grec ou par les copistes. « Les fils de Zébédée ont été appelés fils du tonnerre. Non pas comme la plupart pensent : Boanerges, mais comme on le lit, après correction : Benereem » [Saint Jérôme de Stridon, in Danielem, c. 2.]. Et ailleurs : « En hébreu benereem : fils du tonnerre, lequel mot, par corruption, est habituellement écrit boanerges » [Saint Jérôme de Stridon, Liber interpretationis nominum Hebraicorum.]. Mais, quoique l’expression hébraïque la plus usitée pour désigner le tonnerre soit en effet רעם, rehem, il en existe deux autres plus rares et poétiques, רגש, réghesch, et רגז, reghez (Cf. Job 37.2), qui ont le même sens (comparez le chaldéen et l’arabe) et qui auront pu servir l’une ou l’autre à former le surnom des fils de Zébédée. Il est vrai que בני־רנש, B’nè‑réghesch, ou בני־רגז, B’nè‑reghez, diffèrent encore de Boanerges ; mais l’accord devient aussi parfait que possible si l’on se souvient que, d’après la prononciation araméenne et galiléenne, le Scheva simple, ou e muet, devenait régulièrement oa. De la sorte nous obtenons, avec רגש, Bouné‑réghesch ; avec רגז, Boané‑reghez, et cette dernière expression est tout à fait identique au grec Βοανεργές. — C’est‑à‑dire, Fils du tonnerre, c’est‑à‑dire « tonitruants » ; en effet, dans les langues sémitiques, en unissant les mots בן, בר, à un substantif, on forme l’adjectif ou le nom concret correspondant. Mais quelle est la signification de cet étrange surnom ? Disons d’abord que Jésus, en l’imposant à Jacques et à Jean, ne songeait nullement à leur infliger une censure, ainsi qu’on l’a souvent répété à la suite d’Olshausen. Les anciens avaient mieux compris cet acte du divin Maître. « Il appelle les fils de Zébédée ainsi parce qu’ils devaient répandre sur toute la terre les ordonnances grandioses et sublimes de la divinité » [S. Jean Chrysostome ap. Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea in marcum.]. C’est donc un éloge délicat que Jésus adresse ainsi aux deux frères, une magnifique prophétie qu’il fait à leur sujet. Les classiques emploient aussi le mot tonnerre comme symbole d’une éloquence irrésistible. Pour Columelle, Démosthène et Platon sont des « tonnants ». Il est probable cependant que Jésus‑Christ, par ce surnom, faisait en même temps allusion au caractère ardent, au zèle entreprenant des fils de Zébédée, zèle et caractère dont on aperçoit quelques traces dans les Évangiles. Cf. Luc 9, 54 ; Marc 9, 38 ; 10, 37. L’épithète de Boanergès étant collective et ne pouvant servir à désigner isolément les deux frères, on conçoit qu’elle n’ait pas fait d’autre apparition dans le récit évangélique.

Mc3.18 André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Zélé,André. Tandis que S. Matthieu, 10, 2‑4, et S. Luc, 6, 11‑16, associent les Apôtres deux à deux, S. Marc les mentionne simplement les uns à la suite des autres, en séparant leurs noms par une conjonction. Saint André ferme ici le premier des trois groupes apostoliques : nommé aussitôt après son frère dans les listes du premier et du troisième Évangile, il n’occupe dans celle du second que le quatrième rang. Cf. Actes 1, 13. — Philippe… S. Philippe, qui entendit le premier retentir à ses oreilles la belle parole « Suis‑moi », Jean 1, 43, bien qu’il n’ait reçu que plus tard l’appel proprement dit du Christ, S. Barthélemy que l’on confond généralement avec le bon Nathanaël, Jean 1, 45 et ss., S. Matthieu qui ne diffère pas du publicain Lévi, cf. Marc 2, 14, et S. Thomas, nommé en grec Didyme, Jean 11, 16 ; 21, 2, constituent le second groupe. — Le troisième se compose de S. Jacques le Mineur (fils d’Alphée), de Thaddée, nommé encore Lebbée et plus communément S. Jude, de Simon le Cananéen, c’est‑à‑dire le Zélote, enfin du traître, auquel un verset spécial a été réservé.

Mc3.19 et Judas Iscariote, qui le trahit.Judas, l’homme de Carioth (Voyez Matth. 10, 4 et le commentaire), clôt ignominieusement la liste, de même que Simon‑Pierre l’ouvrait glorieusement. — Qui le trahit. Cette note infamante est presque toujours ajoutée à son nom dans l’Évangile, comme une juste et perpétuelle flétrissure. Origène, ne pouvant s’expliquer le mystère de la vocation de ce misérable traître, imagina qu’il n’avait pas été réellement appelé par Jésus comme les autres Apôtres, mais qu’il s’ingéra de lui‑même dans le collège apostolique, où il fut seulement toléré. Cette singulière opinion se trouve réfutée par le texte formel que nous lisions plus haut, v. 13, et qui s’applique à Judas tout aussi bien qu’aux autres : « il appela à lui ceux que lui‑même voulut ». Si l’on s’étonne d’abord que Jésus ait pu choisir un traître pour le placer parmi ses Apôtres, on n’a qu’à se souvenir qu’il « ne l’avait pas choisi pour être un traître et qu’il lui avait donné toutes les grâces nécessaires pour répondre à sa vocation. Le Sauveur voulait nous apprendre qu’on peut se perdre dans les vocations les plus saintes, et qu’en permettant le mal, la Sagesse divine devait en tirer un plus grand bien et le faire servir à sa gloire » [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, 5e édit., t. 2, p. 496.].

Marc 3, 20‑35. Parall. Matth. 12, 24‑50 ; Luc 11, 15‑32 ; 8, 19‑21.

Mc3.20 Ils revinrent à la maison et la foule s’y assembla de nouveau, de sorte qu’ils ne pouvaient pas même prendre leur repas.Ils revinrent. Jésus avec ses proches, c’est‑à‑dire avec les douze Apôtres qu’il venait de se choisir. — à la maison. C’était probablement à Capharnaüm. — La foule s’y assembla. La scène racontée dans Marc 2, 2 se renouvelle une seconde fois, quoique d’une manière beaucoup plus pénible pour Jésus et pour ses disciples. Cette fois, en effet, le concours dura si longtemps, que le Sauveur et les Apôtres, attentifs aux besoins de la multitude qui, accourait sans cesse, n’avaient pas même le temps de penser aux leurs. Quelle force dans ces mots : de sorte qu’il ne pouvait pas prendre leur repas. Il est peu de détails aussi expressifs dans toute l’histoire évangélique, et c’est à S. Marc que nous devons cette ligne qui en vaut mille. — D’après le récit de notre Évangéliste, il semble que ce fait eut lieu immédiatement après le choix des douze Apôtres ; mais, si nous ouvrons une Concorde évangélique, nous voyons qu’il existe en cet endroit du second Évangile une lacune considérable. En effet, entre les deux événements, doit se placer le Discours sur la Montagne, que S. Marc passe entièrement sous silence. Cf. Matth. 5–7 ; Luc 6, 20 et ss. Mais nous avons vu dans la Préface, § 7, qu’il s’inquiète beaucoup plus des actes que des discours : de là cette importante omission. « En grande partie d’ailleurs, dit très bien M. Bougaud, le Sermon sur la Montagne est juif. Il traite de l’infériorité de la Loi, de la perversité des commentaires qu’y avaient joints les Pharisiens, et du couronnement de cette Loi en Jésus‑Christ : toutes choses que les Romains n’étaient pas préparés à comprendre » [Émile Bougaud, Jésus‑Christ, 2e édit., p. 79 et ss.]. Les points de morale universelle et éternelle que contient aussi ce discours, tels que « le sacerdoce qui est le sel de la terre, la lumière qu’il ne faut pas mettre sous le boisseau, la main droite qu’il faut couper si elle devient un scandale, l’unité et l’indissolubilité du mariage, la pureté du cœur, la prière, le pardon des injures », sont signalés en divers endroits par S. Marc, Jésus étant revenu plusieurs fois sur ces enseignements pleins de gravité.

Mc3.21 Ce que ses parents ayant appris, ils vinrent pour se saisir de lui, car ils disaient : « Il a perdu la tête. » — Ici encore, nous avons une note propre à S. Marc, note bien étrange, assez obscure, et différemment interprétée par les commentateurs. — Ses parents ayant appris. Qu’est‑ce à dire, les siens ? Le texte grec est assez ambigu et pourrait, au besoin, désigner les disciples, comme le veulent divers exégètes. Néanmoins, la plupart des versions anciennes et des critiques supposent à bon droit qu’il s’agit des parents du Sauveur. En araméen, le mot cousin n’existe pas. Pour désigner les cousins, on dit « ses frères ». — Vinrent. D’où viennent‑ils ? Selon les uns, de Capharnaüm, où ils se seraient fixés en même temps que Jésus ; plus probablement, selon les autres, de Nazareth, où nous retrouverons bientôt les « frères » de Notre‑Seigneur. Marc 6, 3. Cf. Marc 1, 9. — Pour se saisir de lui. Cette expression ne peut avoir qu’un sens : se saisir de lui bon gré mal gré, le contraindre de les accompagner, et l’empêcher de se montrer en public. — Car ils disaient… C’est ici surtout qu’existent les divergences signalées plus haut. — Indiquons‑en d’abord la cause principale, en empruntant des paroles très sensées de Maldonat : « Ce passage pose quelque difficulté à la piété, car chaque personne a en horreur non seulement de croire et de penser que les parents du Christ aient dit ou aient pensé qu’il était fou. Un zèle pieux a fait rejeter à certains le sens propre de ces mots ; d’autres cherchèrent des interprétations qui semblaient moins rebutantes à la piété. Je ne serais pas surpris qu’en en cherchant de pieuses, ils en aient trouvé de fausses ». Ce « je ne serais pas surpris… » est un pur euphémisme. Les fausses hypothèses, qui se sont multipliées depuis le temps de Maldonat, portent déjà sur le sujet de « disaient ». Malgré la grammaire et la logique, on l’a tour à tour appliqué aux hommes en général (Rosenmüller), à quelques Juifs envieux (Euthymius), aux disciples de Jésus (Schœtten, Wolf), aux messagers qui seraient allés avertir les parents du Sauveur (Bengel), etc. — Toutefois, on a erré davantage encore sur le sens du mot grec ἐξέστη, que notre Vulgate a traduit par il a perdu l’esprit. D’anciens auteurs, mentionnés par Euthymius, lui donnaient la signification de « il s’en est allé ». Selon Kuinœl, il équivaut à « il est extrêmement las » ; d’après Grotius, il représente un évanouissement momentané ; d’après Griesbach et Valer, il désigne une apparence d’insanité, produite par un excès de fatigue. Schœttgen et Wolf lui conservent bien sa vraie signification de « il a perdu l’esprit » ; mais ce seraient, suivant eux, les disciples qui auraient appliqué ce jugement au peuple. etc. etc. Nous sommes heureux de voir que ces interprétations erronées sont pour la plupart le fait d’auteurs protestants, tandis que nos exégètes catholiques, anciens et modernes, ont presque toujours bien traduit et bien commenté le verbe [Voyez les commentaires de Bède le Vénérable, de Théophylacte, de Corneille de la Pierre, de Franç. Luc, de Noël Alexandre, de Jansénius, de MM. Schegg, Reischl, Bisping, etc.]. ‑ Cf. Ac 26, 24 ; 2Co 5, 13. Les proches du Sauveur affirmaient donc ouvertement qu’il avait perdu l’esprit, qu’il était devenu insensé par suite de son enthousiasme religieux. Quelque surprenante que paraisse d’abord leur conduite, elle devient plus explicable si l’on se rappelle une grave déclaration de l’évangéliste S. Jean. « Car ses frères non plus ne croyaient pas en lui », écrit‑il du Sauveur, en parlant d’une époque un peu plus tardive, Jean 7, 5. En ce moment, leur incrédulité commence. Ils ne se rendent pas compte de la nature et du rôle de Jésus : l’agitation qui se fait autour de son nom les inquiète ; à plus forte raison se troublent‑ils en pensant aux nombreux ennemis qu’il s’est suscités, et dont la haine pourra retomber sur toute sa famille. C’est alors qu’ils formulent le jugement odieux qui nous a été conservé par S. Marc. Rien n’empêche du reste d’admettre, à la suite de quelques exégètes, qu’ils avaient au fond de bonnes intentions, et, qu’en se montrant au dehors si sévères pour leur parent, ils se proposaient de l’arracher par‑là même plus commodément aux dangers dont ils le savaient entouré. Hâtons‑nous d’ajouter que tous les proches de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ne participèrent pas à cette appréciation, et qu’on ne saurait, sans blasphème, ranger sa très sainte Mère parmi ceux qui avaient de lui une telle opinion.

Mc3.22 Mais les scribes, qui étaient venus de Jérusalem, disaient : « Il est possédé de Béelzéboul et c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. »Les scribes qui étaient venus de Jérusalem… Ces Scribes étaient‑ils les mêmes que ceux dont il a été question dans la guérison miraculeuse du paralytique, Marc 2, 6, cf. Luc 5, 17 ? Ou bien formaient‑ils une nouvelle députation ? Les deux hypothèses sont soutenables. Quoi qu’il en soit, ce sont des ennemis déclarés de Jésus. Une malice infâme les anime contre lui : il leur suffit d’ouvrir la bouche pour le montrer. — Disaient : Il est possédé de Béelzéboul… D’après Matth. 11, 22 et s., cf. Luc 10, 14, le Sauveur avait guéri en leur présence un possédé qui était sourd et muet. Bien loin de voir, comme la foule, le doigt de Dieu dans ce prodige, ils osent profiter de cette occasion pour formuler contre le Thaumaturge la plus noire calomnie : Il est possédé de Béelzéboul, et c’est au nom du prince des démons qu’il expulse les démons. C’est ainsi que, ne pouvant nier la réalité de ses miracles, ils font du moins tous leurs efforts pour amener le peuple à croire qu’ils sont impurs et même sataniques dans leur source. M. Schegg cite fort à propos en cet endroit les deux proverbes : « Calomnier audacieusement enfonce toujours ses clous solidement. Le glaive coupe, la calomnie sépare les amis ». — Sur le nom de Béelzéboul, appliqué au prince des démons, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 10, 25. M. Reuss propose une nouvelle étymologie, savoir les mots syriaques « Beël debôbo », maître de l’inimitié, c’est‑à‑dire l’ennemi par excellence [Édouard Reuss, Histoire évangélique, p. 282.]. Nous nous en tenons à celle que nous avons précédemment adoptée. — L’expression « Il est possédé de Béelzéboul » est spéciale à S. Marc : elle a une très grande énergie, et désigne une alliance intime de Jésus avec l’esprit mauvais.

Mc3.23 Jésus les appela et leur dit en parabole : « Comment Satan peut-il chasser Satan ?Les appela. Jésus, attaqué dans sa sainteté, relève aussitôt le gant : il ne pouvait pas permettre que de pareilles accusations demeurent sans réplique. Il commence donc une habile et vigoureuse plaidoirie, que nous avons étudiée à fond dans le premier Évangile. S. Marc, selon sa coutume, ne nous en donne qu’un résumé rapide, bien qu’il ait très exactement reproduit les principaux arguments. — Leur dit en paraboles. Il faut prendre ici le mot parabole dans le sens large, comme synonyme de figure, comparaison. Les images abondent en effet dans l’apologie du Sauveur. Cf. vv. 24, 25, 27. « Il appelle paraboles des morales tirées de comparaisons : celle d’un royaume divisé ou d’une maison divisée, d’un homme fort qui abat une maison » [Thomas Cajetan, Evangelia cum Commentariis, Marci, c. 3.]. Le même auteur donne ensuite une excellente division du discours de Jésus tel que nous le lisons dans S. Marc. « La première raison qui prouve qu’il ne chasse pas les démons par Béelzéboul se tire de l’intérêt qu’aurait le démon à le faire. En concluant à l’invraisemblance, il dit que les démons travailleraient à la destruction de leur propre règne, si l’on acceptait cette hypothèse insoutenable. Comment alors ce règne se maintiendra‑t‑il ? Aucun tyran ne s’efforce de détruire son royaume ; il s’évertue plutôt à conserver son propre bien. La deuxième raison il la tire de lui‑même, à savoir qu’il chasse les démons par la main de Dieu. C’est une preuve induite de l’effet, ou du fruit, introduite toutefois du vocabulaire guerrier ». — Comment Satan peut‑il… C’est la première preuve ; elle va jusqu’à la fin du v. 26, et démontre l’absurdité de l’accusation portée contre Jésus : Ce que vous affirmez est tout simplement une impossibilité. Vous prétendez que je chasse les démons parce que je suis de connivence avec Béelzéboul, leur chef ; mais cela revient à dire que Satan est en guerre ouverte avec lui‑même, ce qui ne saurait être, car le démon ne luttera jamais contre le démon. La phrase « comment… peut‑il… » ne se trouve que dans notre Évangile.

Mc3.24 Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne saurait subsister, 25 et si une maison est divisée contre elle-même, cette maison ne saurait subsister. — À l’appui de cette assertion, Notre‑Seigneur apporte deux faits évidents empruntés l’un à la politique, v. 24, l’autre à la vie de famille, v. 25. — Si un royaume est divisé contre lui‑même. Un royaume divisé par des guerres intestines est un royaume ruiné. Satan ne l’ignore pas, et il se donnerait bien garde de partager ainsi son empire en accordant à quelqu’un, contre ses propres sujets, un pouvoir qui deviendrait bientôt désastreux pour l’enfer. — Et si une maison est divisée contre elle‑même… ; à part maison au lieu de royaume, les mots sont tout à fait les mêmes qu’au v. 24. C’est donc une histoire identique : maison divisée, maison ruinée, comme maint exemple historique le démontre.

Mc3.26 Si donc Satan s’élève contre lui-même, il est divisé, il ne pourra subsister et sa puissance touche à sa fin.Si donc Satan... Conclusion manifeste qui ressort des deux faits d’expérience signalés plus haut. Royaume divisé, royaume ruiné ; famille divisée, famille ruinée : par comparaison, Satan divisé, Satan ruiné : c’en est fait de lui et de sa puissance. Quelle simplicité, et pourtant quelle force d’argumentation.

Mc3.27 Nul ne peut entrer dans la maison du fort et enlever ses meubles, si auparavant il ne l’enchaîne et alors il pillera sa maison. — Nous passons à la seconde preuve, qui consiste en un nouvel exemple familier. Un guerrier armé de pied en cap monte la garde à l’entrée de sa maison. Pour qu’on y pénètre et qu’on la pille, que faudra‑t‑il ? Il faudra vaincre tout d’abord et garrotter le propriétaire vigilant et robuste. Mais, cela fait, on en sera le maître absolu. Or, des deux guerriers de cette parabole, l’un représente Satan, l’autre est Jésus lui‑même ; la maison avec les objets qu’elle renferme figure les possédés que Jésus délivre du joug honteux des démons. La conclusion est claire, bien qu’elle ne soit pas exprimée : Donc, Jésus est plus fort que Satan ; par conséquent, il n’a rien à recevoir de lui.

Mc3.28 En vérité, je vous le dis, tous les péchés seront remis aux enfants des hommes, même les blasphèmes qu’ils auront proférés. 29 Mais celui qui aura blasphémé contre l’Esprit-Saint n’obtiendra jamais de pardon, il est coupable d’un péché éternel. » — Après avoir ainsi réfuté leur accusation aussi insensée qu’injurieuse, le divin Maître donne aux Pharisiens un avertissement des plus graves : Prenez bien garde à la faute que vous commettez en osant me calomnier ainsi : c’est un de ces péchés que la miséricorde de Dieu, pour infinie qu’elle soit, ne saurait pardonner. — En vérité, je vous le dis : formule par laquelle Jésus aimait à attirer l’attention sur quelque point important de ses discours. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 18. — Tous les péchés seront remisLes pécheurs contrits et humiliés, quels qu’aient été leurs méfaits, n’ont qu’à se présenter au divin tribunal : ce n’est pas un Juge sévère, mais un Père aimant, qui recevra ces prodigues. « Lavez‑vous, purifiez‑vous, ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien : recherchez le droit, mettez au pas l’oppresseur, rendez justice à l’orphelin, défendez la cause de la veuve… Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront aussi blancs que neige. S’ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme de la laine ». Isaïe 1, 16‑18. — Péché représente le genre ; blasphème une espèce particulière, en vue du crime impardonnable qui va être nommé. — Celui qui aura blasphémé contre l’Esprit‑Saint. Sur la nature de ce péché, voir Matth. 12, 31 et notre commentaire. Le blasphème contre l’Esprit‑Saint est moins un acte qu’un état peccamineux, dans lequel on persévère sciemment et volontairement : c’est pour cela qu’il ne saurait être pardonné, le pécheur n’offrant pas les dispositions requises. — Sera coupable d’un péché éternel… Ces mots qui terminent le v. 29 n’ont été conservés que par S. Marc. Ils forment une confirmation énergique de la pensée précédente : Non, les blasphémateurs impies du Saint‑Esprit n’obtiendront jamais de pardon, mais ils expieront éternellement leur faute. Cet emploi d’une proposition affirmative à la suite d’une proposition négative, pour répéter la même idée en la renforçant, est quelque chose de tout à fait oriental. — Un péché éternel. Un péché éternel est celui qui ne sera jamais pardonné, pour lequel, par conséquent, on subira un châtiment éternel.

Mc3.30 Jésus parla ainsi, parce qu’ils disaient : « Il est possédé d’un esprit impur. » — S. Marc fait ici une réflexion qui lui est propre, et il la fait en termes elliptiques. Il faudrait, pour que la pensée fût complète : « Il parlait ainsi parce qu’ils disaient… » L’Évangéliste se propose donc d’indiquer brièvement le motif qui inspirait à Jésus un langage si sévère. — Il est possédé d’un esprit impur. En proférant ces affreuses paroles, les Pharisiens commettaient précisément, ou du moins ils couraient le risque de commettre le péché irrémissible : c’est pourquoi le Sauveur, toujours charitable, les avertissait du grand danger dans lequel ils étaient tombés au point de vue de leur salut.

Mc3.31 Sa mère et ses frères étant venus, ils se tinrent dehors et l’envoyèrent appeler. 32 Or le peuple était assis autour de lui et on lui dit : « Votre mère et vos frères sont là dehors, qui vous cherchent. »Cependant, ce qui rattache l’incident actuel au v. 21. Marie accompagne les proches de Jésus ; mais il est inutile de répéter qu’elle n’entrait nullement dans leurs vues. — Se tinrent dehors. S. Luc (8, 19) dit pourquoi ils restèrent ainsi en dehors de la maison où se trouvait alors Notre‑Seigneur (cf. v. 20) : « ils ne pouvaient l’aborder, à cause de la foule ». — Ils l’envoyèrent appeler. C’est là encore un de ces détails précis qui n’existent que dans le second Évangile. Il en est de même du suivant, qui est si pittoresque : le peuple était assis autour de lui

Mc3.33 Il répondit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » 34 Puis, promenant ses regards sur ceux qui étaient assis autour de lui : « Voici, dit-il, ma mère et mes frères.Qui est ma mère… ? Par cette question, Jésus a pour but d’attirer l’attention de la foule sur la parole qu’il va prononcer. Cela fait, il jette sur tous ceux qui l’entourent un regard plein d’affection et de douceur, promenant ses regards ; puis il s’écrie : Voici ma mère.… Il n’y a eu que Jésus au monde pour tenir un pareil langage. — La mention du regard est spéciale à S. Marc : S. Matthieu, 12, 49, avait signalé un autre geste du Sauveur : « Et étendant sa main sur ses disciples ». C’est ainsi que les Évangélistes se complètent, tout en gardant une parfaite indépendance. — Au lieu de la leçon promenant ses regards sur ceux qui étaient assis autour de lui, qui a été suivie par la Vulgate et qu’on lit dans plusieurs manuscrits (B, C, L, Sinait. ; etc.), le grec ordinaire porte simplement promenant ses regards.

Mc3.35 Car quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère. » — Jésus explique son assertion si extraordinaire du verset précédent. Ce que l’identité du sang produit entre les proches, l’accomplissement parfait de la volonté divine l’opère entre tous les hommes sans distinction. C’est un lien qui les unit beaucoup plus étroitement les uns aux autres, et au Seigneur Jésus, que celui de la maternité, de la fraternité proprement dite. « Il ne dit pas cela en reniant sa mère, mais en montrant qu’elle n’est pas digne d’honneur uniquement pour l’avoir enfanté, mais à cause des autres vertus dont elle était douée ». Euthymius. De la sorte, Marie était donc deux fois la mère de Jésus. — Ces paroles et cette conduite du Sauveur enseignent admirablement au prêtre ce qu’il doit être dans ses relations de famille. Mais, il y a là aussi pour lui un grand sujet de consolation, très bien exprimé dans les réflexions suivantes de Bède le vénérable : « Il y a là de quoi s’étonner grandement. Comment celui qui fait la volonté de Dieu peut‑il être appelé la mère du Christ ?… Mais il nous faut savoir que si l’on devient le frère et la sœur de Jésus en croyant, on devient sa mère en prêchant. Car c’est comme s’il enfantait le Seigneur celui qui le fait entrer dans le cœur de l’auditeur. Il devient donc sa mère, si, par sa voix, il engendre l’amour du Seigneur dans l’esprit du prochain » [Bède le vénérable, In Marci Evangelium expositio, lib. 1, c. 3.].

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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