L’Évangile selon Saint Marc commenté verset par verset

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CHAPITRE 4

Les paraboles du royaume des cieux.

Malgré la réserve extraordinaire de notre Évangéliste toutes les fois qu’il s’agit de rapporter les discours du Sauveur, il fait néanmoins deux exceptions à la règle qu’il s’était imposée d’omettre presque entièrement les paroles pour aller droit aux actes. Nous trouvons ici même la première de ces exceptions : la seconde viendra au chap. 13. Elles s’imposaient pour ainsi dire d’elles‑mêmes à l’écrivain sacré ; car il fallait bien, d’une part, qu’il signalât l’enseignement de Jésus sous la forme de paraboles, et comment le signaler sans en donner quelques exemples ? Il fallait, d’autre part, qu’il transmît à ses lecteurs les graves prophéties du Sauveur relatives à la fin du monde. Néanmoins, même dans ces deux cas, il demeure fidèle à son rôle de celui qui met en abrégé. Ainsi, pour ce qui regarde les Paraboles du royaume des cieux, au lieu d’en citer jusqu’à sept, comme S. Matthieu, il se contente d’en relater trois, celle du Semeur, celle du champ de blé et celle du grain de sénevé. Et pourtant, selon sa coutume, tout en donnant si peu, il a su être original, puisque la parabole du champ de blé ne se rencontre nulle part ailleurs. Du reste, sa concision ne l’empêche nullement d’être complet jusqu’à un certain point, car ces paraboles nous représentent le royaume messianique dans ses phases principales et sous ses traits essentiels, comme on le verra par le commentaire.

Marc 4, 1‑9. Parall. Matth. 13, 1‑9 ; Luc 8, 4‑8.

Mc4.1 Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer. Une si grande foule s’assembla auprès de lui, qu’il monta et s’assit dans la barque, sur la mer et toute la foule était à terre le long du rivage.Il se mit de nouveau à enseigner… La mise en scène est décrite dans ce premier verset d’une manière graphique, digne de S. Marc. « De nouveau », parce qu’à plusieurs reprises déjà, Marc 2, 13 ; 3, 7, l’Évangéliste avait montré le divin Maître enseignant au bord du lac. « Il se mit », car à peine l’orateur avait‑il pris la parole, qu’il se fit autour de lui un immense concours de peuple (une foule nombreuse se rassembla autour de lui) qui l’obligea d’interrompre momentanément son discours, afin de prendre quelques mesures, de manière à n’être pas trop comprimé par la foule. La Recepta et la plupart des anciens témoins se traduisent par « une grande multitude s’étant assemblée auprès de lui ». Plusieurs manuscrits importants (B, C, L, Δ) portent « une foule nombreuse se rassemble ». Cette variante a nos préférences, soit parce qu’elle est plus conforme au style de S. Marc où l’emploi du temps présent est si fréquent, soit parce que les deux autres synoptiques parlent aussi d’un rassemblement très considérable « des foules nombreuses s’assemblèrent autour de lui », Matth. 13, 2 ; « comme une grande foule s’était assemblée, et qu’on accourait des villes auprès de lui », Luc 8, 4. — De sorte qu’il monta dans une barque. Dans le grec avec l’article, pour montrer qu’il s’agit d’un bateau bien déterminé : c’était sans doute celui que Jésus s’était réservé précédemment, Marc 3, 9, pour les occurrences de ce genre. — Et s’assit, sur la mer. Comme tout est gracieux et populaire dans l’enseignement de Jésus. Comp. l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 1. — Toute la foule était à terre, au bord de la mer. Ces mots font tableau, et nous montrent le nombreux auditoire groupé sur le rivage et tourné du côté du lac, tandis que l’Orateur était assis dans sa barque à quelque pas de la rive.

Mc4.2 Et il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles et il leur disait dans son enseignement :Il leur enseignait… D’après Matth. 12, 1, ce discours fut prononcé par Notre‑Seigneur le même jour que son apologie contre les Pharisiens (Marc 3, 22 et ss.). Quel contraste entre les deux scènes et les deux modes d’enseignement. — Beaucoup de choses en paraboles. Dans notre commentaire sur S. Matthieu, 13, 1, nous avons donné de longs détails sur les paraboles de Jésus : nous y renvoyons le lecteur. Clément d’Alexandrie définit la parabole : « Cette forme de langage, qui n’indique pas l’objet lui‑même, mais le montre à travers un léger déguisement, conduit l’intelligence au sens propre et véritable ; ou, si l’on veut, la parabole est une manière de parler qui nomme sous d’autres mots le mot propre, dans l’intérêt de notre instruction » [Clément d’Alexandrie, Stromates, ch. 15.].

Mc4.3 « Écoutez. Le semeur sortit pour semer.Écoutez. Le Sauveur commence la série de ses paraboles relatives au royaume des cieux par cette apostrophe vive et solennelle, qui n’a été conservée que par S. Marc. Écoutez. Ce mot n’était pas de trop en pareille circonstance, puisque Jésus allait employer un discours voilé, figuré, dont l’intelligence présenterait de grandes difficultés. — Le semeur sortit pour semer. Après nous avoir mis en quelque sorte sous les yeux l’auditoire et le Prédicateur, v. 1, après avoir précisé le genre d’enseignement adopté par ce dernier, v. 2, l’Évangéliste signale trois des paraboles proposées ce jour‑là même par Jésus. La première, celle du Semeur, décrit les débuts pénibles du royaume de Dieu sur la terre : mille difficultés l’environnent alors, et empêchent son avènement dans un grand nombre de cœurs. La seconde parabole, celle du champ de blé, montre comment, en dépit de ces difficultés, le royaume messianique se développe et croît sûrement, quoique d’une manière lente et silencieuse. La troisième enfin, celle du sénevé, nous présente l’empire du Christ, le Semeur par excellence, parvenu à une merveilleuse diffusion et presque à un établissement parfait. 

Mc4.4 Et comme il semait, des grains tombèrent le long du chemin et les oiseaux vinrent et les mangèrent.Tandis qu’il semait. À partir de ce verset jusqu’à la fin du huitième, il existe une coïncidence presque verbale entre le récit de S. Marc et celui de S. Matthieu. Il n’y a guère que trois variantes principales à signaler dans notre Évangéliste : 1° il parle de la semence au singulier, tandis que S. Matthieu emploie constamment le pluriel ; 2° il ajoute, v. 7, les mots « et elle ne donna pas de fruit » ; 3° les verbes « qui montait et croissait » du v. 8 sont de même une particularité de sa narration. — Le long du chemin. « Ce n’est pas intentionnellement que le semeur dépose sa semence au bord du chemin et dans un sol pierreux. C’est une conséquence indirecte de la volonté du semeur d’ensemencer la totalité du champ ». Cajetan. 

Mc4.5 D’autres tombèrent sur un sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre, ils levèrent aussitôt, parce que la terre était peu profonde. 6 Mais le soleil s’étant levé, la plante, frappée de ses feux t n’ayant pas de racine, sécha. 7 D’autres grains tombèrent parmi les épines et les épines montèrent et les étouffèrent et ils ne donnèrent pas de fruit. — Voyez l’explication détaillée dans l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 7. — Dans les épines, probablement le Nabk ou Nébek, plante épineuse qui abonde en Palestine et en Syrie. — Montèrent et l’étouffèrent. S. Matthieu avait exprimé la même idée avec une nuance. Le mot de S. Marc indique mieux que la croissance des épines et le dépérissement de la bonne semence furent deux faits simultanés. — Et elle ne donna pas de fruit. Jésus n’avait rien dit de semblable pour les deux premières parties de la semence, parce qu’il était bien évident qu’elles ne pouvaient rien produire, vu les conditions dans lesquelles les semailles avaient eu lieu. Mais, cette fois, on aurait pu s’attendre à des fruits nombreux, la graine ayant d’abord crû à merveille ; c’est pour cela que la stérilité est signalée en termes exprès.

Mc4.8 D’autres tombèrent dans la bonne terre, montant et croissant, ils donnèrent leur fruit et rapportèrent l’un trente pour un, l’autre soixante et l’autre cent. »Une autre partie tomba. Théophylacte décrit fort bien les quatre destinées si différentes du grain jeté par le Semeur. Une première partie ne germa pas même ; une autre leva, mais pour périr aussitôt ; la troisième partie germa, grandit, mais demeura stérile ; la quatrième seule fut féconde. On obtient donc ainsi une belle gradation, où l’on voit agir trois causes de stérilité, une seule de fertilité. — Du fruit qui montait et croissait, Cf. v. 4. Le mot « fruit » ne désigne pas les grains, dont il ne sera question qu’un peu plus bas, mais l’épi qui les contient, et dans lequel ils se formeront et mûriront peu à peu. Les classiques l’emploient également dans ce sens [Cf. Homilia 2. 1, 156 ; Xenophon, de Venaticus, 5, 5.]. « Qui montait », par opposition aux grains pour lesquels il n’y avait pas même eu de germination. « Et croissait », par opposition aux grains qui n’avaient eu qu’une croissance temporaire : on voit l’épi qui sort de sa gaine, qui s’allonge, et qui grossit. — Un grain rapporta trente, … un autre cent. On lit dans plusieurs manuscrits « jusqu’à trente, jusqu’à soixante, jusqu’à cent » ; et ailleurs, « en trentaines, en soixantaines… » Il est moralement impossible de dire quelle dut être la forme primitive du texte. L’emploi de « en » semble plus conforme au style biblique. — S. Matthieu, 13, 8, dans son énumération, était allé du plus grand nombre au plus petit : « cent pour un, d’autres soixante, d’autres trente » ; S. Marc suit l’ordre contraire, qui est plus naturel et plus expressif. D’après ces chiffres, la quantité totale de la semence se divise donc, relativement au produit, en deux parts très distinctes, dont l’une fut tout à fait stérile, l’autre plus ou moins féconde. Dans chacune de ces parts, on distingue ensuite trois degrés soit de stérilité soit de succès.

Mc4.9 Et il ajouta : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende.Et il ajouta. « En disant cela, il criait », dit S. Luc, 8, 8, employant une expression très énergique. La parabole achevée, Jésus prononça donc à haute voix les paroles qui suivent. — Que celui qui a des oreilles pour entendre… Des oreilles pour entendre. Formule solennelle, que les trois synoptiques mentionnent ici de concert : Jésus la prononça en six occasions différentes : Matth. 11, 15 ; 13, 43 ; Marc 4, 9 ; 4, 23 ; 7, 16 ; Luc 14, 35. Elle est citée huit fois dans l’Apocalypse : 2, 7, 11, 17, 29 ; 3, 6, 13, 22 ; 12, 9. — Le mot « pour entendre » est important : car, si tous les hommes ont des oreilles au physique, combien en sont dépourvus au moral ? « Plusieurs n’ont pas d’oreilles intérieures pour écouter les divines harmonies ».

Marc 4, 10‑12. Parall. Matth. 13, 10‑17 ; Luc 8, 9‑10.

Mc4.10 Lorsqu’il se trouva seul, ceux qui l’entouraient, avec les Douze, l’interrogèrent sur les paraboles.Lorsqu’il se trouva seul. Seul, לבדד des Hébreux. Les détails qui vont suivre, jusqu’au v. 25, sont donc racontés ici par anticipation. D’après l’ordre chronologique, leur vraie place serait entre les vv. 34 et 35. En effet, Jésus ne fut seul qu’à la fin de la journée, lorsqu’il eut achevé sa prédication et congédié le peuple. Comp. Matth. 13, 10-36, et le commentaire. Néanmoins, l’ordre logique demandait que le lecteur apprît immédiatement le motif pour lequel Jésus‑Christ avait tout à coup transformé sa méthode d’enseignement, et que la parabole du semeur fût aussitôt suivie de son interprétation. — Ceux qui l’accompagnaient avec les Douze. S. Marc, à qui ce trait est spécial, suppose ainsi qu’outre les Apôtres il y avait alors auprès du Sauveur un certain nombre d’autres disciples. L’entourage intime de Jésus est surpris de voir que, contrairement à ses habitudes antérieures, il a employé d’une manière continue le langage figuré, et tous voudraient connaître le motif de cette innovation extraordinaire. — Les paraboles. La leçon la plus accréditée du texte grec (manuscrits B, C, L, Δ, et plusieurs versions anciennes) semble être « les paraboles » au pluriel ; ce qui est d’ailleurs plus naturel, puisque, d’après ce que nous venons de dire, la question des disciples, adressée seulement le soir à Jésus devait avoir un sens général et concerner toutes les paraboles du royaume des cieux. Cf. Matth. 13, 10.

Mc4.11 Il leur dit : « A vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais pour eux, qui sont dehors, tout est annoncé en paraboles,A vous a été donné. Dans sa réponse, Jésus établit une distinction entre ceux qui croient en lui et les âmes incrédules. Aux premiers, qui sont désireux de connaître la vérité et qui prennent les moyens d’y parvenir, tout est révélé sans restriction ; les autres n’ont pas le même bonheur, mais c’est leur faute. À « vous », mis en avant avec emphase pour désigner tous les vrais disciples, présents et absents, le Sauveur oppose « ceux qui sont dehors », les personnes en dehors du cercle ami qui formait alors l’Église primitive. Cette expression énergique est propre à notre Évangéliste ; S. Paul l’emploiera plus tard à différentes reprises pour représenter les païens. Cf. 1Corin. 5, 12,13 ; Coloss. 4, 5 ; 1Thessa. 4, 2. Jésus partage ainsi les Juifs en deux catégories, selon la nature des relations qu’ils avaient avec sa personne divine. — Le mystère (S. Matthieu et S. Luc emploient le pluriel « mystères ») désigne une série de vérités obscures ou ignorées jusqu’alors, spécialement les vérités évangéliques, et à la connaissance desquelles les hommes n’ont pu arriver qu’en vertu d’une révélation divine (« a été donné »). — Du royaume de Dieu précise la nature des mystères dont parle Jésus. Le royaume messianique, comme tout autre royaume, a ses secrets d’État, que le Prince ne confie qu’à ses fidèles. Quant aux ennemis ou aux indifférents, on ne les leur mentionne que sous l’enveloppe et le voile des paraboles, en paraboles, de crainte qu’ils ne les profanent ou n’en abusent. — Tout se passe en paraboles, c’est‑à‑dire « tout est représenté ». Cf. Hérod. 9, 46.

Mc4.12 afin qu’en regardant de leurs yeux ils ne voient pas, qu’en entendant de leurs oreilles ils ne comprennent pas : de peur qu’ils ne se convertissent et n’obtiennent le pardon de leurs péchés. » — Après l’indication préliminaire contenue dans le v. 11, Jésus entre au cœur même de sa réponse, et indique aux Apôtres la vraie cause pour laquelle il enseigne maintenant sous la forme de paraboles. S. Matthieu cite d’une manière beaucoup plus complète les paroles de Notre‑Seigneur. Mth.13.13 : C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu‘en voyant, ils ne voient pas, et qu’en entendant, ils n’entendent ni ne comprennent. » ; voyez Matth. 13, 12‑15 et le commentaire : S. Marc en donne du moins un bon résumé ; sous une forme saisissante. — Afin que.  — Bien que S. Marc ne mentionne pas le nom du prophète Isaïe, dont Jésus citait ici les paroles (Voyez S. Matthieu l. c. et Isaïe 6, 8‑10 :9 Il dit : « Va et dis à ce peuple : Entendez et ne comprenez pas, voyez et n’ayez pas l’intelligence. 10 Appesantis le cœur de ce peuple et rends dures ses oreilles et bouche-lui les yeux, en sorte qu’il ne voie pas de ses yeux et n’entende pas de ses oreilles et qu’il ne se convertisse pas et ne soit pas guéri. », il est aisé de reconnaître le passage prophétique sous cette forme condensée. « Quand Dieu dit à Isaïe : aveuglez le cœur de ce peuple, ce n’est pas que celui qui est la bonté et la sainteté même puisse avoir aucune part à la malice de l’homme : mais il prédit l’effet que la prédication de sa parole doit produire dans le cœur des juifs, comme s’il lui disait : éclairez ce peuple, faites-lui entendre ma volonté ; mais la lumière que vous lui présenterez ne servira qu’à l’aveugler davantage. Il se bouchera les oreilles et il fermera les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, et que son cœur ne se convertisse. C’est pourquoi l’on peut dire dans ces rencontres, que toute la gloire est due à Dieu et la confusion à l’homme ; parce que Dieu ne tend qu’à éclairer l’homme et à le guérir et que l’homme au contraire s’endurcit le cœur par les mêmes choses qui auraient dû le porter à se convertir. Ainsi lorsque l’œil qui est gâté par une mauvaise humeur, s’expose au soleil, il en devient encore plus malade. Et alors on n’accuse pas le soleil de cet effet si mauvais ; mais on l’attribue à l’indisposition de l’œil. »  Cf. Isaïe traduit en françois avec une explication tirée des saints Pères et des Auteurs Ecclésiastiques, par Mr Le Maistre de Sacy prêtre, Bruxelles, p.49, édité par Eugène Henry Fricx, imprimeur de sa Majesté Impériale et Catholique, vis à vis de l’Église de la Madeleine, MDCCXXIV [1724]. Avec Approbations [catholiques] et Privilège de sa Majesté. « Marc s’inspire ici d’Isaïe 6, 9-10, d’après le texte araméen (Targum), qui annonçait l’échec du prophète dont la prédication devait aggraver le péché du peuple endurci. Ce texte a été repris dans l’Église primitive à propos de l’échec de la mission chrétienne auprès du peuple juif, dont l’endurcissement apparaissait ainsi annoncé par les prophètes et compris dans le dessein de Dieu (Jean 12,39-41 ; Actes 28, 26-28). La phrase inspirée d’Isaïe est ici introduite par un pour que qui exprime non pas quelque volonté de Jésus de cacher son message et d’empêcher ceux du dehors de se convertir, mais la conformité de son échec avec l’Écriture et le plan mystérieux de Dieu. La raison dernière de ce plan n’est pas donnée (voir Romains 11, 7-16.29-32) et l’idée du dessein de Dieu ne veut en rien atténuer la responsabilité de l’homme (…) » ; cf. La Bible Notes Intégrales Traduction Œcuménique, notes sur Marc 4, 12, p.2177, Paris, co-édition : Cerf – Biblio, 12ème édition, 2012. Sur la remarquable variante de S. Matthieu, voyez le commentaire de Matth. 13, 11. — N’obtiennent le pardon de leurs péchés. Voilà donc une partie du peuple qui est exclue du salut, parce qu’elle l’a elle‑même rejeté. S. Chrysostome : Ils voient donc, et ne voient pas ; ils entendent et ne comprennent pas. C’est à la grâce de Dieu qu’ils doivent de voir et d’entendre ; mais ce qu’ils voient ils ne le comprennent pas, parce qu’ils repoussent cette grâce, ils ferment leurs yeux, ils feignent de ne pas voir, ils résistent à la parole sainte ; ainsi, bien loin que le spectacle qu’ils ont sous les yeux et la prédication qu’ils entendent leur obtienne le changement de leur vie coupable, ils n’en deviennent au contraire que plus mauvais. Théophile : Dieu accorde la lumière et l’intelligence à ceux qui les demandent, mais il laisse les autres dans leur aveuglement, pour ne pas avoir à châtier plus rigoureusement des hommes qui, comprenant leurs devoirs, ont refusé de les accomplir . S. Augustin (quest. sur l’Evang.) (Quest. 14 sur St. Matth.) : ce sont leurs péchés qui les ont privés du don de l’intelligence. 

Marc 4, 13‑20. Parall. Matth. 13, 18‑23 ; Luc 8, 11‑15.

Mc4.13 Il ajouta : « Vous ne comprenez pas cette parabole ? Comment donc entendrez-vous toutes les paraboles ?Il ajouta… Les formules de ce genre indiquent habituellement dans le second Évangile un changement plus ou moins considérable de sujet. Jésus passe en effet à une autre pensée. Répondant d’une manière directe à la question de ses disciples, v. 10, il leur explique la première parabole. — Vous ne comprenez pas cette parabole ? Cette exclamation n’exprime pas, comme on l’a dit, un reproche sévère, mais une sorte de surprise et d’étonnement. Vous devriez comprendre, vous à qui les mystères du royaume ont toujours été révélés. — Comment donc entendrez-vous… S. Marc seul a conservé ces paroles du Sauveur. La parabole du Semeur était la première de celles que Jésus avait proposées sur le royaume des cieux, et contenait jusqu’à un certain point la clef des autres ; si les disciples ne l’ont pas saisie, comment auront‑ils compris les suivantes ? « Il dit cela, observe Euthymius, pour les rendre plus attentifs, les éveiller ». Ce mot de Jésus jette de vives clartés sur l’état actuel de ses meilleurs disciples ; ce sont des écoliers lents à saisir les choses ; ils ont du moins la bonne volonté de s’instruire et ils prennent le bon moyen d’arriver à la lumière.

Mc4.14 Le semeur sème la parole.Le semeur sème… Pour le commentaire de la Parabole du Semeur, vv. 14‑20, de même que pour son exposé, vv. 3‑8, il existe entre les trois Évangiles synoptiques une coïncidence remarquable : et pourtant chacun des écrivains sacrés fait preuve, par quelques nuances dans les détails, d’une complète indépendance. Nous engageons le lecteur à faire cette intéressante comparaison. — Le Semeur de la Parabole représente d’abord Notre‑Seigneur Jésus‑Christ : Comme le Christ est à la fois le Médecin et la médecine, le Prêtre et l’hostie, le Rédempteur et la rédemption, le Législateur et la loi, le Portier et la porte, de la même façon il est le Semeur et la semence. Il figure aussi les Apôtres et tous leurs successeurs. Le plus humble prêtre qui, devant le plus humble auditoire, prêche la parole de Dieu, sème le bon grain dans les âmes, il sème la parole. S. Pierre et S. Jean signalent aussi le rapport qui existe entre la semence et la prédication. Cf. 1Pierre 1, 23 ; 1 Jean 3, 9. Du reste les auteurs classiques ont très souvent comparé la parole en général au rôle du semeur [Voyez Hugo Grotius, Annotationes in Novum Testamentum, in h. l.].

Mc4.15 Ceux qui sont sur le chemin, ce sont les hommes en qui on sème la parole et ils ne l’ont pas plus tôt entendue, que Satan vient et enlève la parole semée dans leur cœur. — De même que la graine, dans la parabole, a eu quatre destinées différentes, Jésus distingue de même, dans l’application, quatre sortes d’âmes relativement à la prédication de la parole divine. — 1° Ceux qui sont sur le chemin. Jésus mentionne en premier lieu les cœurs endurcis, sur lesquels la parole divine ne produit pas la moindre impression. « Le chemin est un cœur meurtri et brisé par l’assaut continuel des mauvaises pensées » [Bède le Vénérable, Homilie, 3, 35.]. Quoique le succès de la semence dépende jusqu’à un certain point de la manière dont le semeur l’aura jetée en terre, il dépend surtout de la nature du terrain sur lequel elle tombe. La même chose a lieu au spirituel : les fruits de la parole de Dieu sont attachés avant tout aux dispositions des auditeurs.

Mc4.16 Pareillement, ceux qui reçoivent la semence en un sol pierreux, ce sont ceux qui, dès qu’ils entendent la parole, la reçoivent avec joie, 17 mais il n’y a pas en eux de racines, ils sont inconstants : que survienne la tribulation ou la persécution à cause de la parole, ils succombent aussitôt. — 2° Pareillement. Après les cœurs endurcis dans lesquels le bon grain ne pénètre pas même, il y a les cœurs superficiels qui le reçoivent, il est vrai, mais qui ne lui permettent pas de se développer. — Ils ne durent qu’un temps : « ils croient pour un temps, et au moment de la tentation ils se retirent », dit S. Luc, Luc 8, 13. — Lorsqu’il survient une tribulation. Le mot tribulation, dérivé de « tribulum », machine à triturer le blé, fait image et exprime énergiquement l’effet des afflictions que Dieu envoie aux hommes pour les éprouver. — Ils sont aussitôt scandalisés « Ils se heurtent en quelque sorte contre la sainte parole et tombent par terre, comme celui qui donne contre une pierre ou un bois » [Dom Augustin Calmet, Commentaire littéral sur S. Marc, h. l.]. Et le scandale a lieu immédiatement, au premier choc, comme l’exprime l’adverbe favori de notre Évangéliste, aussitôt.

Mc4.18 Ceux qui reçoivent la semence dans les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, 19 mais les sollicitudes du monde et la séduction des richesses et les autres convoitises entrant dans leurs cœurs, étouffent la parole et elle ne porte pas de fruit. — 3° Il en est d’autres… Ce sont les cœurs dissipés, qui reçoivent d’abord la bonne semence et lui permettent de croître pendant quelque temps, mais qui la laissent étouffer ensuite par leurs nombreuses passions. — Les sollicitudes du monde. Jésus désigne par là tous les soucis mondains qui, d’après l’étymologie du mot grec μέριμναι (de μερίς, part), divisent un homme en plusieurs parties, le remplissent par conséquent de distractions fatales à la parole divine qu’il a entendue. On connaît le mot de Catulle : « Malheureuse, la déesse d’Eryx, enfonçant dans ton sein les épines de la douleur, t’a livrée à des tourments éternels…» (Poème Carmen 64). — la séduction des richesses. Après le genre, « les soucis du monde », nous trouvons plusieurs espèces, dont l’une consiste dans les richesses si trompeuses de ce monde. Les autres sont indiquées en bloc par l’expression et les autres convoitises, ou plus clairement, d’après le texte grec, les passions relatives aux autres points, par exemple l’ambition, la volupté, etc. Ce trait est spécial à S. Marc. — Entrant dans leurs coeurs : tout cela entre dans le cœur, et étouffe la parole qui y avait pénétré auparavant.

Mc4.20 Enfin ceux où la semence tombe en bonne terre, ce sont ceux qui entendent la parole et la reçoivent et produisent du fruit, trente, soixante et cent pour un. » — 4° Enfin. La semence céleste, si malheureuse jusque‑là, trouve pourtant des cœurs bien disposés, dans lesquels elle produit des fruits plus ou moins abondants, selon que le sol spirituel a été plus ou moins parfaitement préparé. Ce bon résultat fait oublier au prédicateur de l’Évangile tous ses insuccès antérieurs. « Que ni la peur des épines, ni une voie rocailleuse ou raboteuse ne nous terrifie donc pas, nous. Nous parviendrons un jour à ne semer la parole de Dieu que dans la bonne terre. Homme, reçois la parole de Dieu, que tu sois stérile ou fécond. Je répandrai moi, la semence, toi pense à la façon dont tu l’accepteras. » [Saint Augustin d’Hippone, De quarta feria, c. 2.]. — Les Rabbins, comme Jésus, divisaient en quatre catégories les auditeurs de la parole céleste. Leur classification est d’une curieuse originalité : « Parmi ceux qui écoutent les sages, il en est de quatre espèces, l’éponge, l’entonnoir, le filtre et le crible. L’éponge s’empare de tout ; l’entonnoir laisse échapper par un bout ce qu’il reçoit de l’autre ; le filtre abandonne la liqueur et ne garde que la lie ; le crible rejette la paille pour ne garder que le froment ».

Marc 4, 21‑25. Parall. Luc 8, 16‑18.

Mc4.21 Il leur dit encore : « Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour la mettre sur le chandelier ? — « Il est facile de voir que les choses qui suivent, que Marc a assemblées en un tout, ne concordent pas avec celles qui précèdent, ni même entre elles. Mais… je pense que celles‑là correspondent avec celles qui précèdent ». Grotius, car ces lignes sont de lui, a parfaitement raison. Les vv. 21‑25 ne sont pas le moins du monde une pure intercalation de hasard ou de fantaisie. S. Marc et S. Luc les placent en cet endroit, parce que les pensées qu’ils contiennent furent réellement exprimées par Jésus après l’explication de la parabole du semeur, il est vrai que S. Matthieu les cite ailleurs, comme une partie intégrante du Discours sur la Montagne, ou de l’instruction pastorale adressée aux Douze (cf. Matth. 5, 15 ; 7, 2 ; 10, 26) ; mais rien n’empêche que le Sauveur n’ait prononcé plusieurs fois, en diverses circonstances, ces proverbes, qui contenaient des enseignements d’une grande importance. En tout cas, il cadrent bien ici avec le contexte, comme le montrera le commentaire. D’un autre côté, ils s’enchaînent l’un à l’autre et s’expliquent mutuellement. — Il leur dit. Voyez le v. 13 et l’explication. Le pronom ne désigne que les disciples, et ne saurait s’appliquer à tout l’auditoire décrit au commencement du chapitre, v. 1 ; la suite des faits suppose que Jésus est seul avec les siens. Cf. v. 10. — Est‑ce qu’on apporte la lampe… La lampe qui brûle de l’huile (par opposition à la chandelle ou la bougie) était faite généralement de terre cuite ou de bronze, avec une poignée d’un côté et de l’autre un bec pour la mèche, et au centre un orifice servant à verser l’huile dans la lampe… Il y avait bien des formes et des modèles différents de lampes ; suivant la nature des matériaux dont elles étaient faites, et le goût de l’artiste qui mettait ces matériaux en œuvre ; mais, quel que fût leur degré d’ornementation, quelque enrichies qu’elles pussent être d’accessoires et de détails capricieux, elles conservaient généralement… la forme caractéristique d’un vase en forme de bateau ». — Sous le boisseau. Le boisseau était une mesure romaine équivalant à peu près à notre décalitre. — Ou sous le lit. Le texte grec désigne pas le lit proprement dit, mais le lit‑siège, qui ne servait que pour les repas. Du reste, l’idée serait la même dans les deux cas. Ainsi donc, personne ne songe à placer une lampe allumée sous un boisseau ou sous un lit : ce serait une absurdité. — N’est‑ce pas pour la mettre sur le chandelier. Chandelier ou lampadaire, pied de lampe portatif, sur lequel on plaçait une lampe à huile. Ces pieds étaient quelquefois faits en bois (Petronius, Satiricon, 95, 6) ; mais la plupart du temps ils étaient en métal (Cicéron, Verrines, 2, 4, 26), et destinés à être placés sur quelque autre pièce du mobilier… Ils devaient se mettre sur une table ou reposer sur le sol ; dans ce cas, ils étaient d’une hauteur considérable, et consistaient en une tige haute et élancée, imitant la tige d’une plante ; ou bien encore c’était une colonne effilée, surmontée d’un plateau rond et plat sur lequel la lampe était placée. Il y avait aussi le candélabre à suspension, qu’on attachait au plafond ou à la muraille ; voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 5, 15. — Maintenant, que signifie ce proverbe à la place que lui assigne S. Marc ? Simplement, que les mystères du royaume des cieux ne sont pas destinés à demeurer cachés. Jésus les communique à ses disciples pour que ceux‑ci les prêchent un jour sur les toits ; car la vérité ne doit pas et ne peut pas rester sous le boisseau.

Mc4.22 Car il n’y a rien de caché qui ne doive être révélé, rien ne se fait en secret qui ne doive venir au jour. — Même pensée exprimée d’une autre manière : Bien que je vous aie fait part de ces explications dans le secret, il faudra que vous les proclamiez ensuite publiquement en tous lieux, car ma volonté est qu’elles soient partout divulguées. Dans le v. 21, Jésus s’était servi d’une comparaison familière ; ici il emploie une forme paradoxale : ces deux façons donnent beaucoup de relief à l’idée.

Mc4.23 Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende. » 24 Et il ajouta : « Prenez garde à ce que vous entendez. Selon la mesure avec laquelle vous aurez mesuré, on vous mesurera et on y ajoutera encore pour vous.Et il ajouta. Elle est familière à Marc cette transition par laquelle il réunit divers sermons et diverses parties de sermon. — Prenez garde à ce que vous entendez. Comme Jésus insiste sur la nécessité de l’attention. Ne venait‑il pas, au verset précédent, de répéter la formule déjà employée un peu plus haut, v. 9 ? Cf. v. 3. Mais ce qu’il dit est de la dernière importance pour les siens. « Il avait prédit que ses actions et ses paroles devaient être divulguées et mises en lumière en leur temps. Et comme, dans ce passage, son intention était que cela se ferait pas les disciples, il les avertit sérieusement d’écouter sa doctrine attentivement et soigneusement ». Fr. Luc. — On vous mesurera… Le Sauveur, motive sa pressante invitation, et indique en même temps quelle grande récompense il tient en réserve pour les prédicateurs zélés de la parole divine. « Autant nous apportons à ceux qui sont capables d’accueillir la grâce, autant nous puisons une grâce d’inondation ». S. Cyprien. Si les membres de l’Église enseignante sont attentifs à l’Évangile, ils sauront mieux le faire goûter aux fidèles, et plus leur zèle aura été actif, plus leur couronne sera belle dans le ciel. Employons donc de larges mesures, puisqu’elles serviront un jour à fixer notre part de gloire et de bonheur et d’amour.

Mc4.25 Car on donnera à celui qui a déjà et à celui qui n’a pas, même ce qu’il a, lui sera ôté. » — Quatrième proverbe, qui appuie et développe le troisième de même que le second (v. 22) avait prouvé et expliqué le premier (v. 21). Sa signification est claire, et justifiée par mille faits d’expérience journalière. Voyez l’explication du premier Évangile, Matth. 13, 12. Quand on applique des proverbes à la chose dont on parle, pour répondre à des besoins d’enjolivement ou de rhétorique plutôt que pour la rendre plus certaine et plus indubitable, il ne faut pas exiger une traduction littérale, mais se contenter d’un sens général qui correspond à cette chose. D’après cette règle, voici quel nous semblerait être le sens spécial du proverbe dans notre verset : Quiconque est attentif croît chaque jour dans la connaissance des divins mystères et devient plus capable de la communiquer aux autres ; celui qui est inattentif oublie tout, car il perd bientôt le peu qu’il possédait. Avis aux prêtres qui seraient tentés de négliger l’étude de la parole de Dieu et de la théologie.

Mc4.26 Il dit encore : « Il en est du royaume de Dieu comme d’un homme qui jette en terre de la semence. Comme nous l’avons dit, cette petite parabole du champ de blé n’a été conservée que par S. Marc, circonstance qui lui prête un intérêt particulier. Les commentateurs de l’école de Strauss ont bien essayé de la confondre avec la parabole de l’ivraie, Matth. 13, 24‑30, que notre Évangéliste ou la tradition auraient défigurée ; mais la différence des deux pièces est trop palpable pour que des critiques sérieux, sans préjugés, puissent jamais songer à admettre leur identité primitive. — Il disait aussi. Cf. v. 24. Nous reprenons la suite du discours, qui avait été interrompu après le v. 9, car le récit de S. Matthieu, 13, 31, 36, suppose clairement que la parabole du grain de sénevé, racontée par S. Marc après celle‑ci (cf. v. 30 et ss.), fut prononcée devant le peuple. — Il en est du royaume de Dieu. Le royaume messianique, dans l’ensemble de ses phases terrestres et avant d’arriver à sa consommation dans le ciel (cf. v. 29), a une ressemblance frappante avec le fait décrit par Jésus dans les lignes qui suivent. — Comme un homme jette en terre de la semence… Quel est cet homme ? C’est à coup sûr Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, qu’on a si justement appelé le divin Semeur. Il est venu sur la terre, et il a répandu abondamment, surtout pendant sa Vie publique, la semence par excellence, de laquelle devait sortir son royaume.

Mc4.27 Il dort et il se lève, la nuit et le jour et la semence germe et croît, sans qu’il sache comment.Il dorme et il se lève… Quand un agriculteur a confié son grain à la terre, il revient chez lui et se livre à ses occupations habituelles, abandonnant le reste aux forces mystérieuses de la nature et aux soins de la divine Providence. Il a fait tout ce qu’il a pu pour là réussite de son opération : le reste n’est plus son affaire. Il attend donc patiemment que la germination, puis la croissance, puis la maturité, aient lieu, sans aller comme les enfants remuer la terre de temps à autre, pour voir si les graines émettent un germe et des racines. — La nuit et le jour. Cette petite description est vivante et pittoresque. Naturellement, « nuit » retombe sur le verbe « dorme », « jour » sur « se lève ». — La semence germe et croît… Tandis que le semeur vaque a ses autres travaux, la graine qui semble pourtant inactive, est l’objet d’opérations aussi multiples qu’admirables. Doucement échauffée par les forces fécondantes du sol, humectée par la rosée ou par les pluies, elle éclate, émet en haut et en bas de petits organes qu’elle tenait soigneusement cachés dans son sein ; bientôt elle finit par percer le sol. — Sans qu’il sache comment. Assurément, le semeur n’est pas demeuré indifférent au sort du grain qu’il avait jeté en terre. Il y a souvent pensé avec le plus vif intérêt ; néanmoins, à part une protection générale qui ne va pas bien loin, tout ce qui advient après les semailles est placé en dehors de son contrôle, comme aussi en dehors de sa science. Mais ce trait peut‑il bien s’appliquer au Christ ? Plusieurs auteurs, croyant qu’il était impossible de le concilier avec les perfections de sa nature divine, ont pensé à tort que la parabole ne le désignait nullement, et ils en on aussitôt restreint l’application aux Apôtres et aux autres prédicateurs de l’Évangile. D’autres ont supposé que les détails contenus dans ce verset ne sont que des ornements accessoires, une sorte de draperie extérieure, et qu’ils n’ont aucune importance relativement à l’idée‑mère. Mais tout ne peut‑il pas s’expliquer sans exagération d’aucun genre ? Jésus a semé, comme nous le disions en commençant, tant qu’il a vécu sur la terre : il posait ainsi les fondements de son royaume. Quand le moment fixé par son Père fut venu, il est remonté au ciel, pour n’en redescendre visiblement qu’à la fin du monde, quand il faudra faire la moisson universelle. Entre ces deux époques, malgré l’assistance qu’il donne perpétuellement à la divine graine, il ressemble à un agriculteur ordinaire, qui la laisse croître d’elle‑même à travers mille chances bonnes et mauvaises. C’est en ce sens qu’il paraît dormir, ignorer.

Mc4.28 Car la terre produit d’elle-même du fruit : d’abord de l’herbe, puis un épi et l’épi ensuite s’emplit de froment.Car la terre produit d’elle‑même. « D’elle-même » est le mot important du récit. Il exprime admirablement bien la spontanéité avec laquelle le sein de la terre fait fructifier les semences qu’on lui confie. Aussi les classiques grecs et le juif Philon l’emploient‑ils dans le même sens que notre Évangéliste, pour montrer qu’après les semailles la terre agit indépendamment de l’homme et de sa coopération. On ne le rencontre qu’en un seul autre endroit du Nouveau Testament, Actes 12, 10. — D’abord l’herbe, ensuite l’épi… Belle gradation, copiée d’après nature et qui nous montre les trois principaux états par lesquels passent les céréales et tous les autres végétaux du même genre, entre le temps des semailles et celui de la moisson. Il y a d’abord l’enfance représentée par le frais gazon qui sort de terre, la jeunesse que figure l’épi sortant vigoureux de sa gaine, enfin la maturité, l’état parfait. Car, d’après le vieux proverbe. « la nature ne fait rien par saut ». Il en est de même dans le règne spirituel.

Mc4.29 Et quand le fruit est mûr, aussitôt on y met la faucille, parce que c’est le temps de la moisson. »Et quand le fruit est mûr. La Peschito syriaque traduit : « Quand les fruits donneront grassement du retour », et la version de Philoxène : « Lorsque le fruit sera parfait ». Le récit suppose donc que le blé est parfaitement mûr et qu’il est temps de le moissonner. — Aussitôt on y met la faucille, latinisme de S. Marc, ou plutôt hébraïsme de Jésus lui‑même. Cf. Joël 3 13 Mettez la faucille car la moisson est mûre (…) ; שלחו מגל. La faucille est mentionnée encore dans un autre passage du Nouveau Testament, que nous citons en entier parce qu’il peut nous aider à mieux comprendre celui‑ci ; « Et je vis : et voilà une nuée blanche et, assis sur la nuée, quelqu’un de semblable au Fils de l’homme, ayant sur sa tête une couronne d’or, et en sa main une faux tranchante. Et un… ange sortit du temple, criant d’une voix forte à celui qui était assis sur la nuée ; Lance ta faux et moissonne, car l’heure de moissonner est venue, parce que la moisson de la terre est sèche. Et celui qui était assis sur la nuée jeta sa faux sur la terre, et la terre fut moissonnée ». Apocalypse 14, 14‑16. Dans notre parabole, comme dans ces lignes de l’Apocalypse, la moisson représente donc l’époque de la fin du monde. Voici maintenant la signification générale de cette gracieuse histoire de la semence qui croît secrètement. On peut sans doute l’appliquer à chaque âme individuelle et à l’influence qu’y exerce la parole divine prêchée par les ministres de l’Évangile. Alors la morale serait : « Moi (Paul), j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance », 1Corinth. 3, 6. Le prédicateur sème le bon grain, mais ce n’est pas lui qui le fait germer. Qu’il n’ait donc pas de préoccupation humaine au sujet de son développement : qu’il évite de s’inquiéter outre mesure, de s’impatienter, si la croissance n’est pas aussi rapide qu’il le souhaiterait, car « la semence se développe à son insu ». Ce premier sens est évidemment contenu dans la parabole, et il est à coup sûr très consolant pour nous, puisqu’il nous montre l’énergie secrète, énergie pourtant très réelle, de la parole divine, qui lui fait produire des effets merveilleux quoique invisibles. Toutefois, on doit admettre aussi un autre sens plus universel, qui répond directement aux intentions premières de Jésus. En effet, puisque cette parabole est rangée parmi celles qui traitent du royaume des cieux, il est manifeste par là‑même qu’elle doit s’appliquer avant tout à l’Église, à l’empire messianique considéré dans son ensemble. À ce point de vue, ainsi qu’il a été dit dans la note du v. 26, c’est par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même que la semence a été jetée : c’est par lui que la moisson sera faite à la fin des temps. Entre ces deux époques, le grain qui représenta l’Évangile se développe lentement, d’une manière indépendante de l’action humaine ; mais il se développe sûrement, il a ses évolutions successives, ses progrès magnifiques, qui font que l’Église du Christ, d’abord semblable à l’humble gazon qui sort timidement du sol, devient ensuite peu à peu un riche épi, qui se courbe sous le poids du blé qu’il contient. Ainsi comprise, cette parabole ajoute réellement une idée neuve aux sept autres (Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 52), et c’est pour cela que l’Esprit Saint nous l’a conservée par l’intermédiaire de S. Marc.

Marc 4, 30‑32. Parall. Matth. 13, 31‑32 ; Luc 13, 18‑21.

Mc4.30 Il dit encore : « A quoi comparerons-nous le royaume de Dieu ? Ou par quelle parabole le représenterons-nous ?À quoi comparerons‑nous… par quelle parabole… Ces formules sont destinées tout à la fois à relever l’attention des auditeurs et à ménager une transition entre deux idées distinctes. Elles étaient fréquemment employées par les Rabbins. — La parabole précédente nous avait révélé la croissance imperceptible du royaume des cieux sur la terre, les révolutions intérieures produites par l’Évangile, soit dans le monde en général, soit dans chaque âme en particulier. Celle‑ci nous fait assister à ses progrès extérieurs et visibles.

Mc4.31 Il est semblable à un grain de sénevé qui, lorsqu’on le sème en terre, est la plus petite de toutes les semences qu’il y ait sur la terre, 32 et lorsqu’on l’a semé, il monte et devient plus grand que toutes les plantes potagères et il étend si loin ses rameaux, que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter sous son ombre. » — Voyez les détails dans l’Évangile selon S. Matthieu, 13, 32. S. Marc, bien que son récit soit conforme aux deux autres, a quelques petites variantes qui lui sont propres. Il dit que la graine fut semée dans la terre ; S. Matthieu et S. Luc ont employé des expressions moins vagues : « dans son jardin », « dans son champ ». En revanche, il exprime par deux traits pittoresques le merveilleux développement de la plante ; d’une part pousse de grandes branches ; de l’autre les oiseaux viennent se réfugier sous son ombre. — « La graine de moutarde est au premier abord petite, sans intérêt, sans saveur ni odeur : Mais avoir germé en terre, aussitôt elle dégage une odeur, une âcreté, et on s’étonne qu’une si petite graine puisse contenir un si grand feu. De même il semble au premier abord que la foi chrétienne soit faible, petite et vile, ne révélant pas sa puissance, sans orgueil, sans grâce. » [Saint Augustin d’Hippone, Sermo 87, Appendix.]. Les Pères aiment en général à relever, à propos de cette parabole, la vertu âcre et brûlante de la graine de moutarde [Cf. Tertullien, Adversus Marcionem, 4, 30.]. Néanmoins ce n’est pas sur ce point spécial que Jésus appuie dans sa comparaison, mais sur l’énorme différence qui existe entre une si petite graine et la plante vigoureuse qu’elle produit. Le divin Maître aurait pu choisir d’autres graines, celle du cèdre par exemple et signaler des disproportions encore plus étonnantes ; toutefois il convenait mieux à son but de signaler l’un des végétaux les plus insignifiants. — Voir dans Didron l’usage fréquent que l’art chrétien a fait de cette parabole [Adolphe Napoléon Didron, Iconographie chrétienne, p. 208.]. Supposant avec justesse que le grain de sénevé symbolisait Jésus lui‑même, du sein duquel était sortie peu à peu l’Église entière, on se plaisait autrefois à représenter « le Christ dans un tombeau : de sa bouche sort un arbre sur les branches duquel sont les Apôtres ».

Marc 4, 33‑34. Parall. Matth. 13, 34‑35.

Mc4.33 Il les enseignait ainsi par diverses paraboles, selon qu’ils étaient capables de l’entendre. — S. Marc, de même que S. Matthieu, rattache à la parabole du grain de sénevé une réflexion générale, dans laquelle il fait ressortir la coutume que prit alors Notre‑Seigneur d’enseigner sous forme de paraboles. Seulement, tandis que le premier Évangéliste, après avoir signalé cette circonstance, montre le rapport qu’elle avait avec une prophétie de l’Ancien Testament, le nôtre établit un contraste entre l’enseignement public de Jésus et son enseignement privé. Les deux narrations se complètent ainsi l’une l’autre. — De nombreuses paraboles de ce genre… S. Marc insinue par là‑même qu’il n’a communiqué à ses lecteurs qu’un simple extrait très abrégé des paraboles du Sauveur. — Il les enseignait : « les» désigne la masse du peuple : cela ressort très clairement du v. 34, où ce même pronom est mis en opposition avec « ses disciples ». — Selon qu’ils étaient capables de l’entendre. « On explique ceci de deux manières. Selon qu’ils pouvaient l’entendre, c’est‑à‑dire, selon leur portée. Jésus‑Christ se proportionnait à la capacité de ses auditeurs, se rabaissant à leur peu d’intelligence pour leur être utile, et prenant ses paraboles des choses communes et triviales. D’autres l’expliquent dans un sens tout contraire : il leur parlait suivant leur disposition, il leur découvrait les vérités comme ils étaient dignes de les écouter. Leur orgueil, leur peu de docilité ne méritaient pas d’être mieux traités, ni de recevoir une plus grande intelligence » [Dom Augustin Calmet, Commentaire littéral sur S. Marc.]. L’exégète dit ensuite, en parlant du second sentiment : « C’est la vraie explication de cet endroit ». Nous le croyons comme lui d’après le contexte, puisque Jésus a dit nettement plus haut, vv. 11 et 12, que la nouvelle forme donnée à son enseignement avait un caractère pénal.

Mc4.34 Il ne leur parlait pas sans paraboles, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.Il ne leur parlait pas sans paraboles. Expression très énergique : il ne faudrait cependant pas en trop presser la signification, car, selon la juste remarque de D. Calmet, l.c., toutes les fois qu’il s’agissait de vérités pratiques et morales, le divin Maître employait toujours un langage clair et simple. Il semble donc qu’il est bon de restreindre au dogme, et plus spécialement au royaume des cieux, à l’établissement de l’Église, la note de l’écrivain sacré. — Mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples… D’après les manuscrits B, C, L, Δ, le texte, qui semble authentique, joue sur les mots d’une manière intéressante : en particulier à ses disciples particuliers. — Il expliquait tout. Ici encore, le texte grec emploie une expression qui mérite d’être signalée, qu’on peut traduire par « il résolvait comme une énigme », qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament. Mais S. Pierre, dans sa seconde Lettre, 2Pierre 1, 20, ayant à parler de l’interprétation, fait précisément usage d’une expression semblable. Les critiques n’ont pas manqué de relever ces deux expressions pour montrer les ressemblances de style qui existent entre l’Évangile selon S. Marc et les écrits de S. Pierre.

Marc 4, 35‑40.Parall. Matth. 8, 23‑27 ; Luc 8, 22‑25.

Mc4.35 Ce jour-là, sur le soir, il leur dit : « Passons à l’autre bord. »Ce jour-là. Tandis que les deux autres synoptiques ne signalent que d’une manière très vague la date de ce prodige, S. Marc la précise avec une grande netteté. C’était le jour même où Jésus s’était défendu contre les Pharisiens de chasser les démons grâce au concours de Belzébuth, Marc 3, 20 et ss., le jour même où il avait inauguré son enseignement sous la forme de paraboles, Marc 4, 1 et ss. Cette journée avait été fatigante pour le divin Maître ; néanmoins, le soir venu, il dit à ses disciples : Passons sur l’autre bord, allons de l’autre côté du lac. Jésus étant auprès de Capharnaüm quand il donna cet ordre, et Capharnaüm étant situé sur la rive occidentale, cela revenait à dire : Allons sur la rive orientale, en Pérée. Ce fut là un voyage célèbre, accompagné de toute espèce de miracles, bien qu’il n’ait duré qu’un jour et une nuit. Jésus y trouva l’occasion de manifester sa puissance divine de quatre manières différentes. Il montra d’abord qu’il était le roi de la nature, Marc 4, 35‑40 ; il se révéla ensuite tour à tour comme roi des esprits, Marc 5, 1‑20, comme roi des corps et comme roi de la mort et de la vie, Marc 5, 21‑43.

Mc4.36 Ayant renvoyé la foule, ils prirent avec eux Jésus, tel qu’il était, dans la barque et d’autres petites barques l’accompagnaient.Et ayant renvoyé la foule. Les disciples congédient doucement la foule, en lui disant que le Maître va partir. Cela fait, ils l’emmenèrent … tel qu’il était c’est‑à‑dire, sans aucune préparation pour le chemin.  Le départ fut donc immédiat. Du reste, Jésus était déjà tout embarqué d’après Marc 4, 1. Plus loin, Marc 6, 8, nous verrons le Sauveur recommander à ses Apôtres de se mettre en route sans aucun préparatif, quand ils entreprendront leurs premières missions : il commence par prêcher d’exemple. — Et d’autres petites barques l’accompagnaient… Ces autres barques, qui se mirent à la suite de celle qui portait Jésus, contenaient des disciples désireux de ne pas se séparer du Sauveur. La petite flottille fut probablement dispersée par l’orage, car, au débarquement, Jésus parait avoir été seul avec les Apôtres.

Mc4.37 Alors il s’éleva un tourbillon de vent impétueux qui poussait les flots contre la barque, de sorte que déjà elle s’emplissait d’eau.Et il s’éleva un tourbillon… Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 8, 24. La description de la tempête est encore plus vivante dans le récit de S. Marc que dans les deux autres : surtout d’après le texte grec, où plusieurs des verbes sont au temps présent. Il désigne une de ces violentes tempêtes qui se déchaînent en un clin d’œil sur le lac de Gennésareth, les gorges voisines servant comme de couloirs pour amener le vent des montagnes. 

Mc4.38 Lui cependant était à la poupe, dormant sur le coussin, ils le réveillèrent et lui dirent : « Maître, n’avez-vous pas de souci que nous périssions ? »Lui (…) dormant… Comme S. Marc à bien noté toutes les circonstances. S. Matthieu et S. Luc se contentent de mentionner le sommeil de Jésus ; mais, à ce fait principal, notre évangéliste a ajouté deux traits particuliers qui font revivre pour nous la scène entière. Il signale d’abord la partie de la barque où se trouvait Jésus : c’était la poupe qui est habituellement réservée aux passagers dans les bateaux de petite dimension, parce que le tangage s’y fait moins sentir. Il décrit ensuite l’attitude du divin Maître : il dormait à la poupe, sur un coussin, en grec avec l’article : le coussin qui se trouvait dans la barque. Jésus, fatigué par ses travaux de la journée, a appuyé sa tête sur un coussin, et il s’est bientôt endormi. Michælis a supposé sans la moindre raison que le Sauveur s’était chargé du gouvernail, mais que le sommeil l’avait tout à coup gagné parmi ses fonctions de pilote. Jésus dormait pendant l’orage, Jonas aussi ; de là le rapprochement suivant établi par S. Jérôme, Comm, in Matth. 8, 34 : « Nous lisons le type de ce signe dans Jonas, quand il était en sécurité lorsque les autres périssaient ; quand il dormit et se releva. Et quand par le pouvoir et le mystère de sa passion, il libéra ceux qui se levaient. » [Saint Jérôme de Stridon, Comm. in Matth., 8, 34.]. Autre réflexion intéressante : ceci est le seul passage évangélique dans lequel nous voyons Jésus en train de dormir. Il est important de noter les circonstances dans lesquelles on le trouve faisant ou subissant quelque chose d’humain. Nous aimons à nous rappeler encore l’interprétation mystique de quelques Pères, d’après laquelle le coussin de Jésus n’est autre que le bois sacré de la croix, sur lequel il s’endormit pendant sa Passion. Satan profita de ce sommeil pour susciter une tempête terrible contre l’Église naissante ; mais Jésus s’éveilla par la Résurrection, et fit immédiatement cesser l’orage. — Ils le réveillèrent. Les disciples, se croyant perdus, ont recours à Celui dont ils connaissent déjà la toute‑puissance. — Maître, n’avez-vous pas de souci que nous périssions… Ce cri indique de la part de ceux qui le poussaient un mouvement d’impatience causé par l’imminence du péril : S. Marc seul nous l’a conservé sous cette forme caractéristique. D’après S. Matthieu, les Apôtres auraient dit : « Seigneur, sauvez‑nous, nous périssons » ; d’après S. Luc, plus simplement encore : « Maître, nous périssons. ». On le voit, ce ne sont pas uniquement des variantes dans les paroles, mais de vraies divergences dans le ton, dans les sentiments. Il est probable que les trois phrases furent prononcées en même temps, chaque disciple parlant alors d’après le sentiment qui dominait en lui.

Mc4.39 Jésus étant réveillé tança le vent et dit à la mer : « Tais-toi, calme-toi. » Et le vent s’apaisa et il se fit un grand calme. — Quelle majesté dans cette attitude de Jésus. Quelle majesté dans ses paroles. Tais‑toi, calme‑toi, s’écria‑t‑il, parlant à la mer et employant deux verbes synonymes pour imprimer plus d’énergie à son commandement. S. Marc signale seul les paroles du Thaumaturge. Remarquons la gradation qui existe dans les ordres du Sauveur : il commence par menacer le vent, qui était cause de la tempête ; il impose ensuite silence aux flots courroucés, les réprimandant comme un maître fait ses écoliers rebelles. Il y a là deux belles personnifications des forces de la nature. — Et le vent cessa : dans le grec, ἐκόπασεν, mot extraordinaire, qui n’est employé qu’à trois reprises dans le Nouveau Testament (ici, Marc 6, 51 et Matth. 14, 32) et qui indique un repos provenant d’une sorte de lassitude. — Il se fit un grand calme : le verbe grec correspondant s’applique spécialement au calme de la mer et des lacs. Le vent s’est soumis à la parole toute‑puissante de Jésus : les flots obéissent à leur tour, et, contrairement à ce qui se passe d’ordinaire en pareil cas, reprennent aussitôt un équilibre parfait. Quand Jésus guérissait les malades, il n’y avait pas de convalescence ; quand il apaise une tempête, il l’arrête brusquement sans transition.

Mc4.40 Et il leur dit : « Pourquoi êtes-vous effrayés ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Et ils furent saisis d’une grande crainte et ils se disaient l’un à l’autre : « Qui donc est celui-ci, que le vent et la mer lui obéissent ? » — Les disciples méritaient aussi des reproches : Jésus les leur adresse pour leur instruction — N’avez‑vous pas encore la foi ? La Recepta porte : Comment n’avez‑vous pas la foi ? Mais les manuscrits B, D, L, Sinaiticus, ont la variante « pas encore », que les versions copte et italique ont lue de même que la Vulgate. « Si les disciples avaient eu la foi, ils auraient été persuadés que Jésus pouvait les protéger, quoique endormi ». Théophylacte. — Et ils furent saisis d’une grande crainte… Dans le texte grec, ces mots commencent un nouveau verset, qui est le 41e du chapitre 4. — La crainte envahit une seconde fois l’âme des Apôtres, mais c’est une crainte d’un autre genre : précédemment, v. 38, ils avaient eu peur de l’orage qui menaçait de les engloutir ; maintenant, le miracle si éclatant de Jésus les remplit d’un effroi surnaturel et, se faisant part de leurs impressions, ils se demandent les uns aux autres : Quel est donc celui‑ci… Précédemment, Marc 1, 27, après la guérison d’un démoniaque, les assistants s’étaient écriés : « Qu’est‑ce que ceci ? ». Aujourd’hui, l’attention est plutôt dirigée sur la personne même de Jésus : Que doit être celui qui opère de tels prodiges ? — Tertullien, adv. Marc 4, 20, rapproche ce miracle de plusieurs passages prophétiques : « Quand Jésus traverse, le psaume trouve son accomplissement : Le Seigneur, dit‑il, est sur les grandes eaux. Quand il calme les eaux de la mer, se réalise ce qu’avait dit Habacuc : dispersant les eaux sur son chemin (Hab 3, 15). Quand la mer en vient aux menaces, c’est Nahum qui se voit approuvé : menaçant la mer, dit‑il, et l’asséchant Nah 1, 4). Et aussi quand il était incommodé par les vents » [Tertullien, Adversus Marcionem, 4, 20.].

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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