Notre-Dame de Guadalupe protège les pauvres

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Marie métisse du Tepeyac, étoile de la nouvelle évangélisation.

Le 12 décembre 1531, sur la colline du Tepeyac près de Mexico, Marie apparaît à Juan Diego, un Indien nahua récemment converti. Elle lui demande qu’on construise un sanctuaire sur ce lieu. Ce qui pourrait passer pour une légende locale devient l’un des événements fondateurs de l’évangélisation des Amériques. Aujourd’hui encore, des millions de pèlerins montent au Tepeyac pour confier à Notre-Dame de Guadalupe leurs détresses et leurs espérances. Cette Marie aux traits métis rappelle que Dieu se fait proche de chaque culture.

Notre-Dame de Guadalupe protège les pauvres

Une apparition qui bascule l’histoire du Nouveau Monde

Juan Diego naît vers 1474 à Cuauhtitlan, à vingt kilomètres au nord de Tenochtitlan, capitale aztèque. Il appartient au peuple nahua. La conquête espagnole bouleverse son monde en 1521. Hernán Cortés détruit Tenochtitlan et impose la domination coloniale. Les Indiens subissent massacres, épidémies, esclavage. Leur religion ancestrale est interdite. En 1524, douze frères franciscains arrivent pour évangéliser. Juan Diego reçoit le baptême vers 1525 et prend un nom chrétien.

Le samedi 9 décembre 1531, Juan Diego marche vers Mexico pour assister à la messe. À l’aube, il passe devant la colline du Tepeyac, ancien lieu de culte de la déesse Tonantzin. Il entend un chant d’oiseaux extraordinaire, puis une voix de femme l’appelle par son nom. Il monte et découvre une jeune femme rayonnante. Elle se présente comme la Mère du vrai Dieu. Elle lui demande de dire à l’évêque Juan de Zumárraga qu’elle veut qu’on construise un temple sur cette colline, où elle écoutera les plaintes et consolera les souffrances de son peuple.

Juan Diego se rend chez l’évêque. Zumárraga l’écoute avec politesse mais ne le croit pas. Le dimanche 10 décembre, Juan Diego retourne au Tepeyac. Marie l’envoie de nouveau chez l’évêque. Cette fois, Zumárraga demande un signe. Le lundi 11 décembre, Juan Diego ne peut revenir : son oncle Juan Bernardino tombe gravement malade. Le mardi 12 décembre, Juan Diego part chercher un prêtre pour les derniers sacrements. Pour éviter la Dame, il contourne la colline. Mais elle vient à sa rencontre. Elle lui dit de ne pas s’inquiéter, que son oncle est déjà guéri. Elle l’envoie cueillir des fleurs au sommet du Tepeyac.

C’est l’hiver, la terre est sèche et froide. Juan Diego trouve pourtant des roses de Castille en pleine floraison, espèce inconnue au Mexique. Il les cueille dans son tilma, manteau de fibre d’agave. Marie arrange les fleurs et lui dit de ne les montrer qu’à l’évêque. Juan Diego arrive chez Zumárraga et ouvre son tilma. Les roses tombent. Mais sur le tissu apparaît l’image de Marie : visage métis, manteau bleu étoilé, robe rose, mains jointes, debout sur un croissant de lune porté par un ange.

L’évêque tombe à genoux. Il fait construire une première chapelle au Tepeyac. L’image de Notre-Dame de Guadalupe y est portée en procession solennelle le 26 décembre 1531. Les conversions d’Indiens se multiplient. Entre 1531 et 1541, neuf millions d’autochtones demandent le baptême. L’historien mérite nuance : les conversions sont rarement libres sous la colonisation. Mais l’image mariale offre aux Indiens une médiation symbolique pour entrer dans la foi chrétienne sans renier totalement leur identité.

Juan Diego consacre le reste de sa vie au service du sanctuaire. Il vit dans une petite maison près de la chapelle, accueille les pèlerins, témoigne de sa rencontre. Il meurt le 30 mai 1548, à l’âge de soixante-quatorze ans. Son oncle Juan Bernardino confirme avoir été guéri miraculeusement le 12 décembre 1531 et avoir vu Marie, qui lui révèle son nom : elle veut être invoquée sous le titre de Guadalupe.

L’Église étudie ces événements avec prudence. Une enquête canonique se tient en 1666. Jean-Paul II béatifie Juan Diego en 1990 et le canonise en 2002. Notre-Dame de Guadalupe est proclamée patronne du Mexique en 1737, de l’Amérique latine en 1910, de toutes les Amériques en 1945 par Pie XII. Le 12 décembre devient fête liturgique obligatoire sur tout le continent américain en 1999. Jean-Paul II visite cinq fois le sanctuaire et y dépose son exhortation apostolique Ecclesia in America en 1999. François célèbre la fête en 2013 et souligne que Marie s’est faite proche de ses enfants avec un visage métis et des vêtements aux motifs indigènes.

Le tilma miraculeux et les codes aztèques

Les historiens identifient trois strates dans le récit de Guadalupe : les faits établis, les ajouts symboliques, la portée théologique. La tradition repose sur le Nican Mopohua, récit nahuatl rédigé vers 1556 par Antonio Valeriano, lettré indien formé par les franciscains. Ce texte présente les apparitions selon une structure narrative typique des codex aztèques : répétitions ternaires, dialogues formels, symboles cosmiques.

Le tilma de Juan Diego existe toujours. Il est exposé dans la basilique moderne de Guadalupe. Ce tissu végétal ordinaire, fibre d’agave, devrait se décomposer en vingt ans. Il a plus de quatre cent quatre-vingt-dix ans. L’image n’a jamais été retouchée ni restaurée. Des analyses scientifiques sont menées en 1751, 1787, 1946, 1979. Aucune trace de pinceau, d’esquisse préparatoire ou de liant n’est détectée. En 1936, le chimiste Richard Kuhn, futur prix Nobel, examine des fibres : aucun colorant connu. En 1979, des chercheurs découvrent dans les yeux de Marie des reflets humains miniatures, comme si l’image captait la scène de décembre 1531.

Ces éléments alimentent la foi populaire mais restent discutés. Des experts soulignent que les techniques d’analyse de l’époque ne permettaient pas toutes les identifications. D’autres notent que le tilma a été verni au dix-huitième siècle, ce qui complique les études. L’Église ne se prononce pas officiellement sur le caractère miraculeux du tissu. Elle affirme la réalité des apparitions sans trancher sur les détails matériels.

La symbolique de l’image parle aux Aztèques. Le manteau bleu turquoise est couleur du dieu Ometeotl. Les étoiles suivent la constellation du ciel de décembre 1531. La robe rose représente la terre fertile. Le croissant de lune rappelle le dieu Quetzalcoatl. L’ange porteur évoque les divinités intermédiaires du panthéon nahua. Les mains jointes sont geste de prière chrétienne, mais aussi posture d’offrande aztèque. Marie n’est pas enceinte : une ceinture noire à nœud indique la grossesse selon les codes vestimentaires nahuas. Cette image est un catéchisme visuel qui intègre signes chrétiens et symboles autochtones.

Le nom « Guadalupe » intrigue. Aucune Guadalupe n’existe au Mexique avant 1531. L’hypothèse dominante propose une déformation de Coatlaxopeuh, mot nahuatl signifiant « celle qui écrase le serpent ». Quand Juan Bernardino raconte sa vision, les Espagnols auraient entendu « Guadalupe », sanctuaire marial célèbre en Estrémadure. Cette identification crée un pont : les conquistadors reconnaissent leur Vierge espagnole, les Indiens entendent un nom qui résonne avec leur langue et évoque la victoire sur les forces du mal.

Les historiens débattent sur l’origine de l’image. Certains suggèrent qu’un artiste indien, formé par les missionnaires, a peint le tilma pour favoriser l’évangélisation. D’autres maintiennent l’origine miraculeuse. Ce qui demeure indiscutable : cette image a permis le dialogue entre deux mondes après une conquête sanglante. Elle a offert aux vaincus une dignité symbolique. Elle a montré que Marie adoptait les traits de chaque peuple.

La légende s’enrichit de prodiges. En 1791, un ouvrier renverse de l’acide nitrique sur le tilma lors d’un nettoyage du cadre. Le tissu devrait brûler. Seule une tache jaune apparaît, qui s’estompe avec les années. En 1921, un anarchiste cache une bombe dans un bouquet déposé devant l’image. L’explosion détruit l’autel, tord un crucifix de bronze, brise les vitraux. Le tilma reste intact. Ces événements sont documentés et alimentent la vénération populaire.

L’Église catholique accepte ces récits comme partie de la tradition pieuse sans les ériger en dogmes. Elle invite à distinguer le noyau historique fiable – apparitions à Juan Diego, impact sur l’évangélisation, dévotion séculaire – des embellissements légendaires qui expriment la foi du peuple. Ce qui compte : Marie se révèle comme mère des pauvres, défenseure des opprimés, étoile qui guide vers le Christ.

Marie se fait proche de toute culture

Notre-Dame de Guadalupe révèle un aspect essentiel du mystère marial : Marie accompagne l’Évangile dans chaque culture. Elle ne vient pas imposer une piété européenne. Elle adopte les codes vestimentaires, les symboles, le paysage des Nahuas. Son visage métis dit que Dieu respecte l’identité de chaque peuple.

Cette proximité combat deux tentations opposées. D’abord, le mépris des cultures locales au nom d’une foi unique. Ensuite, le relativisme qui dissout l’Évangile dans les traditions sans transformation. Marie à Guadalupe montre la voie : elle s’incarne dans une culture précise mais pointe vers le Christ universel. Elle console les Indiens sans les enfermer dans leur passé. Elle honore leurs symboles tout en les orientant vers la nouveauté chrétienne.

Jean-Paul II nomme cette attitude « inculturation ». L’Évangile doit prendre chair dans chaque civilisation. Il respecte ce qui est bon dans les traditions humaines. Il purifie ce qui s’oppose à la dignité de la personne. Marie modèle cette inculturation : elle parle nahuatl à Juan Diego, elle choisit des roses castillanes inconnues au Mexique, elle combine manteau azur aztèque et prière chrétienne.

Cette leçon dépasse le seizième siècle mexicain. Aujourd’hui, les migrations mélangent les cultures. Les identités se fragmentent. Les peurs de l’autre nourrissent replis et conflits. Notre-Dame de Guadalupe invite à reconnaître la valeur de chaque héritage culturel sans absolutiser aucun. Elle encourage le métissage qui enrichit sans effacer. Elle rappelle que l’Église est catholique, c’est-à-dire universelle : aucun peuple ne peut prétendre monopoliser la foi.

Le visage métis de Marie annonce aussi la vocation des pauvres. Les Indiens du seizième siècle subissent exploitation, humiliation, mort. Marie ne leur apporte pas richesse ou pouvoir. Elle leur offre dignité et espérance. Elle leur dit qu’ils comptent aux yeux de Dieu. Elle fait d’un homme simple, Juan Diego, le messager d’un projet divin. Cette préférence pour les petits traverse l’Évangile. « Mon âme exalte le Seigneur, il renverse les puissants et élève les humbles » (Lc 1, 46.52).

Prière

Marie de Guadalupe, mère du vrai Dieu, tu es venue sur la colline du Tepeyac pour consoler un peuple brisé par la conquête et la souffrance. Tu as parlé la langue des pauvres, tu as adopté leur visage, tu les as appelés tes enfants bien-aimés. Apprends-nous à reconnaître ta présence dans les cultures différentes de la nôtre, dans les visages que nous croisons chaque jour et qui nous interrogent.

Donne-nous ton regard maternel pour accueillir l’étranger sans peur, pour respecter les traditions sans les juger hâtivement, pour chercher dans chaque rencontre une occasion de découvrir la bonté de Dieu. Toi qui as fait fleurir des roses en plein hiver, fais surgir en nous l’espérance quand tout semble stérile, la confiance quand l’avenir inquiète, la générosité quand l’égoïsme tente.

Garde-nous de mépriser les petits, les exclus, ceux qui ne parlent pas notre langue ou ne partagent pas nos codes. Rappelle-nous que Jésus a choisi de naître pauvre à Bethléem, de vivre caché à Nazareth, de mourir abandonné sur la croix. Aide-nous à défendre la dignité de chaque personne, spécialement celle des migrants, des indigènes, de tous ceux que les puissants ignorent.

Étoile de la nouvelle évangélisation, montre-nous comment annoncer l’Évangile sans violence ni mépris. Que notre foi respecte la liberté, qu’elle dialogue avec intelligence, qu’elle serve avec humilité. Comme tu as envoyé Juan Diego porter ton message à l’évêque, envoie-nous témoigner de ton Fils dans nos familles, nos quartiers, nos lieux de travail.

Obtiens-nous la grâce de l’unité dans la diversité. Que les chrétiens des Amériques, d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Océanie forment un seul peuple malgré leurs différences de langue, de rite et de culture. Que ton manteau étoilé nous rappelle que nous sommes tous enfants d’un même Père, appelés à vivre en frères sous ta protection maternelle.

Aujourd’hui, alors que tant de peuples souffrent d’injustice, de violence et d’exclusion, intercède pour nous. Que ta présence au Tepeyac en 1531 continue d’inspirer tous ceux qui luttent pour la paix, la justice et la réconciliation. Marie de Guadalupe, guide-nous vers ton Fils Jésus, lui qui est venu pour que tous aient la vie en abondance. Amen.

À vivre

  • Prier un « Je vous salue Marie » en pensant à une personne d’une culture différente, pour demander à Marie de bénir sa route et de nous aider à mieux la comprendre.
  • Poser un geste concret d’accueil : inviter un voisin migrant à partager un café, soutenir une association qui aide les réfugiés, apprendre quelques mots d’une langue étrangère.
  • Lire Luc 1, 46-55 (le Magnificat) pendant dix minutes et relever une phrase qui rejoint notre situation personnelle, en particulier l’attention de Dieu aux humbles.

Le Tepeyac et les sanctuaires du monde

La basilique Notre-Dame de Guadalupe à Mexico accueille vingt millions de pèlerins par an. Elle est le lieu marial le plus visité au monde après Lourdes. L’ancienne basilique, construite en 1709, s’enfonce dans le sol marécageux. Une nouvelle basilique moderne est inaugurée en 1976. Conçue par l’architecte Pedro Ramírez Vázquez, elle peut abriter dix mille personnes. Le tilma de Juan Diego y est exposé derrière un vitrage blindé, au-dessus du maître-autel. Des tapis roulants permettent aux fidèles de passer devant l’image sans arrêter le flux.

Le Tepeyac surplombe Mexico du haut de ses cent trente mètres. Avant 1531, les Aztèques y vénéraient Tonantzin, déesse mère. Des fouilles archéologiques ont révélé des vestiges de temples précolombiens. Cette continuité de lieu sacré facilite le passage symbolique d’une religiosité à l’autre. Les Indiens continuent à monter la colline, mais pour honorer Marie.

Une chapelle du Cerrito marque l’endroit exact où Marie serait apparue. Les pèlerins la gravissent à genoux le 12 décembre. Des marchands vendent médailles, images, cierges. L’atmosphère mêle ferveur et folklore. Des danseurs aztèques exécutent des rituels préhispaniques devant le parvis, tam-tams et plumes de perroquet, en hommage à la Vierge. Cette syncretisme déroute certains observateurs mais témoigne de l’enracinement populaire du culte.

Les reliques associées sont rares. Le corps de Juan Diego repose sous l’autel de l’ancienne basilique. Aucune relique de contact avec Marie n’est revendiquée : le tilma suffit. Des répliques de l’image circulent dans toute l’Amérique latine. Beaucoup de familles mexicaines possèdent une reproduction chez elles. L’iconographie de Notre-Dame de Guadalupe inspire peintures, sculptures, fresques. Diego Rivera, muraliste athée, la représente dans ses œuvres comme symbole identitaire mexicain.

Le culte se diffuse hors du Mexique dès le dix-huitième siècle. Des sanctuaires dédiés à Notre-Dame de Guadalupe apparaissent aux États-Unis, au Canada, en Amérique du Sud. L’immigration latino-américaine en Europe apporte la dévotion. Une statue de Notre-Dame de Guadalupe trône à la basilique de Fourvière à Lyon, offerte par la communauté mexicaine de France. Cette présence manifeste l’universalité de Marie.

Les papes visitent régulièrement le Tepeyac. Jean-Paul II y va en 1979, 1990, 1999, 2002. Benoît XVI en 2002. François prévoit d’y retourner mais reporte à cause de sa santé. Ces pèlerinages pontificaux soulignent l’importance du sanctuaire pour l’Église universelle. Le Mexique compte quatre-vingt-dix pour cent de catholiques, proportion en baisse mais encore élevée. Notre-Dame de Guadalupe structure l’identité religieuse nationale.

La fête du 12 décembre mobilise tout le pays. Des processions partent de villages lointains et convergent vers Mexico. Certains pèlerins marchent plusieurs jours. Les messes se succèdent jour et nuit. Des chants mariaux en nahuatl résonnent. Les autorités civiles ferment des routes. L’événement dépasse le cadre religieux et devient manifestation culturelle et sociale.

En 1999, Jean-Paul II établit que le 12 décembre soit fête liturgique obligatoire dans toutes les Amériques. Il dépose au Tepeyac l’exhortation apostolique Ecclesia in America, fruit du synode continental de 1997. Il présente Notre-Dame de Guadalupe comme « étoile de la première et de la nouvelle évangélisation ». Cette formule synthétise le rôle historique et actuel de Marie dans la transmission de la foi sur le continent américain.

Liturgie

  • Lectures : Zacharie 2, 14-17 (Dieu vient habiter au milieu de son peuple) ; Psaume 44 (cantique nuptial du roi) ; Luc 1, 26-38 (Annonciation) ou Luc 1, 39-47 (Visitation).
  • Chant d’entrée : La Guadalupana (cantique mexicain traditionnel) ou Marie, tendre Mère (thème de la proximité maternelle).
  • Prière universelle : Intentions pour les peuples américains, les migrants, les peuples autochtones, l’unité de l’Église dans la diversité des cultures.
  • Offertoire : On peut présenter des symboles liés aux cultures indigènes (maïs, tissage) pour signifier l’offrande de toute la création.
  • Chant de communion : Ave Maria de Guadalupe ou un cantique marial en langue locale.
  • Bénédiction finale : Invocation à Marie pour qu’elle protège et guide les fidèles vers son Fils Jésus.
Équipe Via Bible
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