Imaginez-vous sur les hauteurs de Bkerké, ce lundi 1er décembre 2025. La nuit commence à tomber sur les collines dominant la Méditerranée. Vous êtes parmi 15 000 jeunes, drapeaux du Vatican et du Liban en main, attendant l’arrivée d’un homme en blanc. L’ambiance est électrique. Des chants résonnent, des smartphones s’illuminent dans l’obscurité. Et puis, il arrive. Le pape Léon XIV, dans sa papamobile, fendant cette marée humaine avec un sourire qui dit : « Je vous vois, je vous comprends, et surtout, je crois en vous. »
Ce n’est pas une simple visite pastorale. C’est un moment charnière pour toute une génération libanaise qui refuse de baisser les bras malgré la guerre, la crise économique et l’exil qui guette. En quelques heures à peine, ce premier pape américain de l’histoire a réussi à rallumer une flamme qu’on croyait éteinte.
Une rencontre historique dans un liban meurtri
Le contexte d’une visite qui ne pouvait plus attendre
Commençons par planter le décor. Le Liban que découvre Léon XIV n’est pas celui des cartes postales. C’est un pays à bout de souffle. Depuis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth le 4 août 2020, le pays n’a jamais vraiment retrouvé son équilibre. Cette catastrophe qui a fait 235 morts et détruit des quartiers entiers reste une plaie béante dans le cœur des Libanais.
Mais ce n’est pas tout. Le pays traverse une crise économique sans précédent. La livre libanaise s’est effondrée, l’épargne des citoyens a fondu comme neige au soleil, et les services de base – électricité, eau, santé – fonctionnent à peine. Ajoutez à cela les bombardements israéliens quasi-quotidiens, malgré un cessez-le-feu signé en novembre 2024 avec le Hezbollah, et vous comprenez pourquoi tant de jeunes Libanais rêvent de partir.
C’est dans ce contexte tendu que le pape américain – car oui, Léon XIV est le premier pape originaire des États-Unis – a décidé de faire du Liban la deuxième étape de son premier voyage apostolique, après la Turquie où il a participé aux célébrations du 1700e anniversaire du concile de Nicée.
Bkerké, un lieu hautement symbolique
Le choix de Bkerké pour cette rencontre avec la jeunesse n’est pas anodin. Perché à 200 mètres d’altitude, surplombant la baie de Jounieh, ce site abrite depuis 1830 le siège du patriarcat maronite. C’est le cœur spirituel de la plus grande communauté chrétienne du Liban.
La route qui y mène serpente entre les pins, accrochant au passage des paysages à couper le souffle. Mais ce jour-là, c’est une tout autre ascension qui s’est produite : celle de l’espoir dans le cœur de milliers de jeunes venus des quatre coins du Liban, mais aussi de Syrie, d’Irak, d’Égypte, de Chypre et même d’Australie.
Dès la fin d’après-midi, ils étaient là, massés contre les barrières blanches, brandissant leurs drapeaux, leurs téléphones levés pour immortaliser l’instant. L’atmosphère était survoltée, presque festive, contrastant avec la gravité de la situation que vit le pays.
Un accueil délirant pour un message d’espoir
Quand la papamobile est finalement apparue dans la nuit tombante, ce fut l’explosion de joie. Le pape, debout dans son véhicule ouvert, saluait la foule qui scandait son nom. Une marée de drapeaux jaunes et blancs du Vatican se mêlait aux rouges et blancs du Liban. Les flashs des smartphones créaient une constellation de lumières.
Le patriarche Béchara Raï accompagnait le souverain pontife, symbole de cette alliance entre l’Église universelle et l’Église maronite locale. Les deux hommes avançaient lentement au milieu de cette jeunesse en liesse, prenant le temps de regarder les visages, de capter ces regards qui disaient : « Nous avons besoin de vous, nous avons besoin d’être vus. »
Rita, 25 ans, résume parfaitement le sentiment général : « Je viens pour être témoin d’un événement historique. Il a choisi de s’adresser à nous, et nous devons l’écouter. Nous sommes la nouvelle génération, c’est sur nous que l’avenir du Liban repose. »
Une journée chargée de sens et de symboles
Mais revenons un peu en arrière. Cette rencontre à Bkerké n’était que le point d’orgue d’une journée riche en symboles. Le matin même, Léon XIV s’était rendu à Annaya pour prier sur la tombe de saint Charbel Makhlouf, ce moine ermite mort en 1898 et dont la sainteté attire croyants et non-croyants de toutes confessions.
Ensuite, direction Harissa et son majestueux sanctuaire Notre-Dame du Liban, où il a rencontré évêques, prêtres et agents pastoraux. Là encore, le bain de foule a été impressionnant, avec des centaines de religieux agitant leurs smartphones dans une ambiance qu’on pourrait presque qualifier de rock star.
L’après-midi, c’était la place des Martyrs à Beyrouth qui l’accueillait pour une rencontre œcuménique et interreligieuse. Le choix de ce lieu, chargé d’histoire et symbole des luttes pour la liberté au Liban, n’était pas innocent. Face aux leaders des différentes communautés religieuses du pays, le pape a appelé à combattre l’intolérance et à promouvoir la coexistence pacifique.
Et pour couronner le tout, il a planté un olivier – symbole de paix commun aux trois religions monothéistes – avant de s’envoler vers Bkerké pour cette rencontre tant attendue avec la jeunesse.
Des jeunes déterminés à croire en l’avenir
Anthony et Maria : la résilience après l’explosion
Avant que le pape ne prenne la parole, quatre jeunes ont été choisis pour témoigner. Leurs histoires résument à elles seules le calvaire d’une génération entière.
Anthony et Maria ont ouvert le bal en évoquant l’explosion du port de Beyrouth. Vous vous souvenez probablement de ces images terrifiantes du 4 août 2020 qui ont fait le tour du monde. Une déflagration d’une puissance inouïe, des quartiers entiers soufflés, des milliers de blessés, des vies brisées.
« La souffrance fut immense », ont-ils confié. Mais voilà le truc avec les Libanais : ils ont cette capacité incroyable à transformer le désespoir en action. « Sous les décombres, quelque chose d’inattendu a émergé : la solidarité, l’unité et un sentiment civique renouvelé. »
Et ils ne parlent pas en l’air. Ces jeunes ont retroussé leurs manches. Ils ont déblayé les rues, réparé les maisons endommagées, accompagné les blessés, soutenu les traumatisés. Et le plus beau dans tout ça ? Soudain, la communauté d’origine – maronite, chiite, sunnite, druze, orthodoxe – n’avait plus d’importance. Tous étaient libanais. Tous étaient unis.
C’est ça, la vraie leçon : dans les pires moments, l’humanité ressort parfois plus belle qu’avant. Ces jeunes ont prouvé qu’au-delà des divisions confessionnelles qui minent leur pays, ils sont d’abord et avant tout des citoyens solidaires.
Elie : rester malgré tout
Puis vint le tour d’Elie. Son témoignage, plus intime, résonne avec la réalité de tant de jeunes Libanais. Il a parlé de cette petite voix intérieure qui lui murmure sans cesse : « Pars. Sauve-toi. Va chercher ailleurs un avenir meilleur. »
« Le Liban ne m’a jamais offert de garanties, pas même le confort de savoir de quoi demain serait fait. L’effondrement économique m’a dépouillé », a-t-il confié avec une franchise désarmante.
Vous imaginez vivre dans un pays où vos économies se sont évaporées du jour au lendemain ? Où l’électricité ne fonctionne que quelques heures par jour ? Où même acheter du pain devient un défi ? C’est la réalité quotidienne de millions de Libanais.
Mais Elie a fait un choix : rester. Non pas par masochisme ou par manque d’opportunités ailleurs. Non, il reste parce qu’il croit que « les difficultés ne sont pas une invitation à fuir, mais un appel à réfléchir avec plus de lucidité, à aimer avec plus de courage et à agir pour le changement, même au prix d’un moindre confort. »
Ce témoignage est puissant car il touche au cœur du dilemme de toute une génération. D’un côté, l’attrait légitime d’une vie meilleure à l’étranger. De l’autre, l’attachement viscéral à cette terre, à cette culture, à cette identité libanaise si riche et si complexe.
Le défi de la fuite des cerveaux
Et Elie n’est pas un cas isolé. Des dizaines de milliers de jeunes Libanais ont quitté le pays ces dernières années. Médecins, ingénieurs, enseignants, entrepreneurs – toute une génération de talents s’envole, drainée par la crise économique et l’instabilité politique.
C’est ce qu’on appelle la « fuite des cerveaux », et c’est un phénomène qui saigne littéralement le Liban. Chaque jeune diplômé qui part, c’est un espoir en moins pour rebâtir le pays. C’est une compétence perdue. C’est un futur qui s’éloigne.
Le pape Léon XIV l’a bien compris. Sa venue, c’était justement un message à ces jeunes tentés par l’exil : « Vous comptez. Votre pays a besoin de vous. Et surtout, vous avez en vous la force de changer les choses. »
Stéphanie : un message de reconnaissance
Stéphanie Nasr, 25 ans, guide touristique, a parfaitement résumé ce que cette visite représentait pour la jeunesse libanaise. « Bien sûr, c’est un message de paix, mais c’est aussi une reconnaissance de toute la résilience qu’on a montrée et de la solidarité que le Liban et les jeunes ont affiché ces dernières années. »
Le mot clé ici, c’est « reconnaissance ». Ces jeunes ne demandent pas la charité. Ils ne veulent pas qu’on les plaigne. Ce qu’ils veulent, c’est qu’on reconnaisse leurs efforts, leur courage, leur ténacité face à l’adversité.
Ils veulent qu’on leur dise : « On vous voit. On sait ce que vous traversez. Et on croit en votre capacité à transformer cette épreuve en opportunité. »
Et c’est exactement ce que le pape est venu faire.
Le message d’espoir du pape : changer le cours de l’histoire
« Assalamu lakum » : commencer par la paix
Quand Léon XIV a pris la parole, il a commencé par quelque chose de simple mais de profondément symbolique. En arabe, il a lancé : « Assalamu lakum ! » – « La paix soit avec vous ! »
Ce geste n’est pas anodin. En s’adressant aux jeunes dans une langue locale, même brièvement, le pape montrait qu’il n’était pas juste de passage. Il reconnaissait leur culture, leur identité. Il se mettait à leur niveau.
La paix, justement, c’est le fil rouge de toute sa visite au Liban. Dans un pays multiconfessionnel où chrétiens et musulmans doivent cohabiter, où les tensions politiques se superposent aux divisions religieuses, où les bombardements rappellent quotidiennement la fragilité de la situation, la paix n’est pas un vœu pieux. C’est une nécessité vitale.
« Vous avez le temps » : l’atout de la jeunesse
Le discours du pape, prononcé en anglais, s’est fait tour à tour encourageant et exigeant. Il a d’abord reconnu ce que ces jeunes possèdent de plus précieux : le temps.
« Il y a en vous une espérance, un don qui semble désormais nous échapper, à nous les adultes. Vous, vous avez le temps ! Vous avez plus de temps pour rêver, organiser et accomplir le bien. »
C’est une vérité qu’on oublie trop souvent quand on est jeune et qu’on a l’impression que tout est urgent. Mais le pape, avec sa perspective de dirigeant spirituel mondial, rappelle que la jeunesse est une force en soi. Pas juste parce qu’on est plein d’énergie, mais parce qu’on a devant soi des décennies pour construire, pour transformer, pour améliorer.
L’enthousiasme pour changer l’histoire
Et puis est venue la phrase qui a marqué tous les esprits, celle qui fait les gros titres : « Vous avez l’enthousiasme nécessaire pour changer le cours de l’histoire ! »
Arrêtons-nous un instant sur cette déclaration. Le pape ne dit pas « peut-être que vous pourrez améliorer les choses ». Non, il affirme que ces jeunes ont la capacité de changer le cours de l’histoire. Rien de moins.
C’est un pari énorme sur cette génération. C’est un vote de confiance absolu. Et c’est exactement ce dont ces jeunes avaient besoin : qu’une figure d’autorité morale mondiale leur dise : « Oui, vous pouvez. Oui, vous allez y arriver. »
L’enthousiasme, c’est cette énergie positive qui nous pousse à agir malgré les obstacles. C’est ce qui fait qu’on se lève le matin avec l’envie de faire bouger les lignes. Et le pape leur dit : gardez-le précieusement, cet enthousiasme, car c’est votre arme la plus puissante.
De la racine du cèdre à la sève de l’espoir
Le pape a ensuite utilisé une métaphore profondément ancrée dans l’imaginaire libanais : le cèdre. Cet arbre majestueux est le symbole du Liban, il figure même sur son drapeau.
« Puisez dans les racines du cèdre l’engagement de ceux qui servent le pays, et qui ne s’en servent pas pour leur intérêt personnel », a-t-il lancé, prenant au passage une pique à peine voilée contre les élites politiques corrompues qui ont ruiné le pays.
Et il a continué : « Soyez la sève d’espérance que le pays attend ! »
Cette image est belle et puissante. La sève, c’est ce qui nourrit l’arbre, ce qui le fait vivre, ce qui lui permet de grandir. En d’autres termes, ces jeunes ne sont pas juste l’avenir du Liban – ils en sont la force vive actuelle.
S’ancrer dans le Christ pour construire la paix
Évidemment, en tant que chef spirituel, Léon XIV n’a pas omis la dimension religieuse de son message. Mais il l’a fait de manière inclusive et constructive.
« Lui, le Vivant, est le fondement de notre confiance ; Il est le témoin de la miséricorde qui rachète le monde de tout mal. C’est toujours en Lui et par Lui que nous avons la paix. »
Même pour les jeunes moins pratiquants ou de confessions différentes présents ce soir-là, le message reste pertinent : ancrez-vous dans quelque chose de plus grand que vous-mêmes, que ce soit une foi, des valeurs, un idéal.
Et le pape a insisté sur une formule : passer du « moi » au « toi » pour arriver au « nous ». En d’autres termes, sortir de l’individualisme pour construire ensemble. C’est exactement ce dont le Liban a besoin : moins d’égoïsme communautaire, plus de solidarité nationale.
« Projeter ensemble un avenir de paix et de développement”
Le message du pape n’était pas juste spirituel ou philosophique. Il était aussi très concret. Il a appelé les jeunes à « projeter ensemble un avenir de paix et de développement ».
Le mot « projeter » est important. Il implique une action volontaire, une planification, une vision. Ce n’est pas « espérer passivement » que les choses s’améliorent. C’est se retrousser les manches et construire activement cet avenir.
Et l’accent mis sur « ensemble » est crucial dans un pays aussi fragmenté que le Liban. Le développement ne viendra pas d’une seule communauté qui réussit au détriment des autres. Il viendra d’un effort collectif, transcommunautaire, où chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Le soutien de l’Eglise universelle
Avant de conclure, le pape a voulu que ces jeunes sachent une chose essentielle : ils ne sont pas seuls.
« Soyez assurés du soutien de toute l’Église dans les défis décisifs de votre vie. »
C’est une promesse de présence, d’accompagnement. L’Église catholique, avec ses 1,3 milliard de fidèles à travers le monde, se tient aux côtés de ces quelques millions de Libanais qui luttent pour leur survie et leur dignité.
Ce n’est pas rien, quand on se sent abandonné par ses propres dirigeants politiques, de savoir qu’une institution millénaire vous soutient et croit en vous.
Au-delà des mots : les gestes symboliques
Mais le pape n’est pas venu qu’avec des discours. Plus tôt dans la journée, lors de la rencontre interreligieuse sur la place des Martyrs, il avait planté un olivier.
Ce geste simple mais puissant parlait à toutes les traditions présentes. L’olivier est vénéré dans le christianisme, le judaïsme et l’islam. Il symbolise la réconciliation, la paix, la prospérité.
En plantant cet arbre, Léon XIV posait un acte concret d’espoir. Cet olivier grandira, s’enracinera, produira des fruits – tout comme, espère-t-on, les graines de paix semées lors de cette visite.
In premier voyage apostolique lourd de sens
Il faut souligner que cette visite au Liban faisait partie du tout premier voyage apostolique de Léon XIV. Son prédécesseur, le pape François, avait déjà planifié ce déplacement pour célébrer les 1700 ans du concile de Nicée en Turquie, mais c’est Léon XIV qui a concrétisé ce projet.
Le fait qu’il ait choisi d’y inclure le Liban – et d’y consacrer trois jours entiers – envoie un message clair : ce pays compte. Ces chrétiens d’Orient, dont la présence remonte aux origines mêmes du christianisme, comptent. Cette jeunesse meurtrie mais déterminée compte.
Pour son premier grand voyage international, un pape pourrait choisir des destinations plus faciles, plus sûres, plus prestigieuses. Léon XIV a préféré aller là où on a le plus besoin de lui. C’est tout à son honneur.
La réaction des autorités et jours fériés
D’ailleurs, les autorités libanaises ont bien compris l’importance de cette visite. Elles ont proclamé deux jours fériés pour l’occasion. Imaginez : dans un pays en crise économique profonde, on décide de mettre l’économie en pause pour accueillir le pape.
C’est dire à quel point ce moment était considéré comme crucial. Ce n’était pas juste une visite protocolaire. C’était un événement national, un moment de rassemblement dont le pays avait désespérément besoin.
Le président Joseph Aoun, premier chef d’État chrétien à la tête d’un pays majoritairement musulman, a reçu le pape dès son arrivée à Beyrouth. Tous les leaders politiques et religieux se sont mobilisés. Même ceux qui d’habitude s’opposent sur tout ont trouvé un terrain d’entente : honorer cette visite papale.
L’impact sur le dialogue interreligieux
Nayla Tabbara, présidente d’Adyan – une ONG qui travaille depuis 2006 au rapprochement entre les communautés – a souligné que cette rencontre « met en évidence le fait que le Liban a une grande expérience dans le dialogue interreligieux ».
Et c’est vrai. Malgré toutes ses difficultés, le Liban reste un modèle unique au Moyen-Orient : un pays où musulmans et chrétiens cohabitent, se mélangent, se marient parfois, partagent des quartiers, des écoles, des lieux de travail.
Ce modèle est fragile, certes. Il a été mis à rude épreuve par la guerre civile de 1975-1990, puis par les crises successives des dernières décennies. Mais il tient bon. Et la visite du pape est venue rappeler pourquoi ce modèle vaut la peine d’être préservé : parce que la diversité est une richesse, pas une menace.
Les défis qui restent à relever
Bien sûr, un discours papal, aussi inspirant soit-il, ne va pas régler d’un coup de baguette magique les problèmes du Liban. Les jeunes qui étaient à Bkerké ce soir-là vont se réveiller le lendemain face aux mêmes défis : l’électricité qui manque, les pénuries, l’inflation galopante, le chômage, les tensions régionales.
Mais ce que cette rencontre leur a apporté, c’est quelque chose de peut-être plus précieux à long terme : la conviction qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ont une valeur, qu’ils peuvent faire la différence.
Le père Farid Saab, responsable du service communication du diocèse maronite de Beyrouth, qui assistait à la rencontre, a parlé de l’impact émotionnel profond sur les participants. On voyait des larmes, des sourires, des visages transfigurés par l’émotion et l’espoir retrouvé.
Pourquoi ce message résonne particulièrement aujourd’hui
Dans un monde où les jeunes se sentent souvent impuissants face aux crises globales – climat, économie, conflits – le message du pape Léon XIV offre un antidote puissant : l’action collective guidée par des valeurs.
Il ne leur dit pas « tout ira bien magiquement ». Il leur dit « vous avez ce qu’il faut pour que tout aille mieux, à condition de vous y mettre ensemble et de ne pas perdre votre enthousiasme en route ».
C’est un message d’empowerment, comme disent les anglophones. Un message qui redonne du pouvoir d’agir à ceux qui se sentaient démunis.
Les prochaines étapes de la visite
Cette rencontre à Bkerké n’était d’ailleurs que l’avant-dernier jour de la visite papale. Le mardi 2 décembre, Léon XIV devait encore visiter l’hôpital de la Croix à Jal el Dib, puis se recueillir en silence sur le site de l’explosion du port de Beyrouth.
Ce moment de prière silencieuse était particulièrement attendu. Trois ans et quatre mois après la catastrophe, la vérité sur les causes de l’explosion n’a toujours pas été établie. Les familles des victimes réclament justice. Le pape, par sa présence, allait leur montrer que leur douleur n’est pas oubliée.
Enfin, une grande messe sur le front de mer de Beyrouth devait conclure cette visite historique. Des dizaines de milliers de fidèles étaient attendus pour cette célébration finale, face à cette Méditerranée qui représente à la fois l’ouverture du Liban vers le monde et son histoire millénaire de carrefour des civilisations.
Ce que nous pouvons tous apprendre de cette rencontre
Vous n’avez pas besoin d’être libanais, chrétien ou même croyant pour tirer des leçons de cette rencontre à Bkerké.
La première leçon, c’est que dans les moments les plus sombres, la solidarité humaine peut accomplir des miracles. Rappelez-vous Anthony et Maria qui ont parlé de cet élan de solidarité après l’explosion du port. Quand tout s’effondre, c’est notre humanité commune qui devient notre plus grande force.
La deuxième leçon, c’est que rester et se battre pour améliorer sa communauté, même quand partir serait plus facile, est un choix courageux qui mérite d’être célébré. Elie nous l’a rappelé : parfois, la vraie héroïsme n’est pas dans les grandes actions spectaculaires, mais dans la décision quotidienne de ne pas abandonner.
La troisième leçon, c’est que les jeunes ont un pouvoir immense qu’on sous-estime trop souvent. Ils ne sont pas « l’avenir » dans le sens où il faudrait attendre qu’ils grandissent. Ils sont déjà acteurs du présent, capables de changer les choses maintenant, avec leur énergie, leur créativité, leur vision neuve.
Et si on appliquait ça ailleurs ?
Pensez à votre propre situation. Peut-être que vous ne vivez pas dans un pays en guerre ou en crise économique majeure. Mais vous faites peut-être face à d’autres défis : une entreprise en difficulté, une communauté divisée, un projet qui semble impossible.
Le message du pape Léon XIV s’applique tout autant : vous avez en vous l’enthousiasme nécessaire pour changer le cours de l’histoire. Pas l’histoire mondiale peut-être, mais l’histoire de votre famille, de votre quartier, de votre organisation.
Commencez par passer du « moi » au « nous ». Au lieu de vous demander « qu’est-ce que je peux gagner ? », demandez-vous « qu’est-ce qu’on peut construire ensemble ? ». Cette simple bascule de perspective peut tout changer.
Entourez-vous de gens qui, comme ces jeunes à Bkerké, refusent le cynisme et le défaitisme. Cherchez ceux qui, malgré les difficultés, gardent leur capacité à rêver, à planifier, à agir.
Et surtout, rappelez-vous que vous n’avez pas besoin d’être parfait pour commencer. Ces jeunes Libanais ne sont pas des surhommes. Ils sont comme vous et moi, avec leurs doutes, leurs peurs, leurs moments de découragement. Mais ils ont fait le choix de ne pas se laisser définir par ces difficultés.
L’héritage de cette soirée à Bkerké
Des années plus tard, ceux qui étaient présents à Bkerké ce 1er décembre 2025 se souviendront de cette soirée comme d’un tournant. Le moment où un pape américain, fraîchement élu, est venu leur dire ce que leurs propres dirigeants politiques avaient échoué à leur transmettre : vous comptez, vous êtes capables, et votre pays a besoin de vous.
Certains de ces jeunes deviendront peut-être les futurs leaders du Liban – en politique, en affaires, dans la société civile, dans l’Église. D’autres resteront des citoyens ordinaires mais engagés. Tous auront été marqués par ce message d’espoir et de responsabilité.
Et qui sait ? Peut-être que dans dix ou vingt ans, quand le Liban aura surmonté ses crises actuelles – car il les surmontera, il l’a déjà fait par le passé – on se souviendra de cette visite papale comme d’un catalyseur, un moment où une génération a décidé de prendre son destin en main.
Le Liban, symbole d’une lutte universelle
En fin de compte, ce qui rend cette histoire si puissante, c’est qu’elle dépasse largement les frontières du Liban. Ce petit pays méditerranéen de 5,8 millions d’habitants devient le symbole d’une lutte universelle : celle de la jeunesse mondiale face à un monde en crise.
Partout sur la planète, les jeunes générations héritent de problèmes qu’elles n’ont pas créés : réchauffement climatique, dettes publiques colossales, inégalités croissantes, conflits sans fin. Et partout, elles sont tentées soit par la résignation, soit par la fuite.
Le message de Bkerké, c’est qu’il existe une troisième voie : l’engagement collectif guidé par l’espoir et l’action concrète. Pas un optimisme naïf qui nierait les difficultés, mais une détermination lucide à construire malgré tout.
Votre patrie – quelle qu’elle soit – fleurira à nouveau
Le pape l’a d’ailleurs dit aux jeunes : « Votre patrie fleurira à nouveau ». Ce n’est pas une promesse en l’air. C’est un rappel historique. Le Liban a traversé des épreuves terribles par le passé – guerres, occupations, crises – et il en est toujours sorti.
Cette résilience n’est pas automatique. Elle ne vient pas de la géographie ou du hasard. Elle vient des gens qui, génération après génération, ont refusé d’abandonner. Elle vient de jeunes comme ceux de Bkerké qui, malgré tout, choisissent de croire et d’agir.
Et cette leçon vaut pour n’importe quel pays, n’importe quelle communauté. Votre « patrie » – qu’elle soit géographique, professionnelle ou communautaire – peut refleurir si vous et d’autres comme vous décidez de la faire refleurir.
Un dernier mot sur l’enthousiasme
Terminons sur ce mot que le pape a tant mis en avant : l’enthousiasme. Étymologiquement, « enthousiasme » vient du grec « enthousiasmos », qui signifie « transport divin » ou « inspiration divine ».
Autrement dit, l’enthousiasme, ce n’est pas juste être content ou excité. C’est être habité par quelque chose de plus grand que soi. C’est cette énergie qui nous pousse à nous dépasser, à tenter l’impossible, à refuser le statu quo.
Les jeunes de Bkerké ont reçu l’autorisation, l’encouragement même, de garder précieusement cet enthousiasme. Dans un monde adulte souvent cynique, où on vous répète que « ce n’est pas possible », « ça a toujours été comme ça », « tu comprendras quand tu seras plus vieux », c’est un cadeau inestimable.
Et la bonne nouvelle ? Cet enthousiasme, vous pouvez le cultiver, le protéger, le nourrir. Comment ? En vous entourant de gens inspirants. En célébrant les petites victoires. En gardant vivante votre capacité à vous émerveiller. En refusant de laisser les échecs étouffer votre envie d’essayer à nouveau.
Cette soirée à Bkerké restera dans les annales comme un moment où un leader spirituel mondial a choisi de croire en la jeunesse plutôt que de la sermonner. Où il a choisi l’encouragement plutôt que la leçon de morale. Où il a choisi de leur dire « vous pouvez » plutôt que « vous devez ».
Le pape Léon XIV n’a pas résolu les problèmes du Liban en une soirée. Mais il a fait quelque chose de peut-être plus important : il a rallumé une flamme d’espoir dans le cœur de milliers de jeunes. Et qui sait ce que ces jeunes, armés de cet enthousiasme et de cette conviction, accompliront dans les années à venir ?
Comme l’a dit Rita, 25 ans : « Nous sommes la nouvelle génération, c’est sur nous que l’avenir du Liban repose. » Et grâce à ce moment à Bkerké, ces jeunes savent maintenant qu’ils ne portent pas ce poids seuls. Le monde les regarde. L’Église les soutient. Et surtout, ils se soutiennent les uns les autres.
L’histoire jugera si cette génération aura effectivement réussi à « changer le cours de l’histoire » de leur pays. Mais une chose est certaine : après cette nuit de décembre 2025 sur les hauteurs de Bkerké, ils ont au moins la conviction qu’ils en sont capables. Et parfois, c’est cette conviction-là qui fait toute la différence.

