Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains
Frères,
Transmettez mes salutations à Prisca et Aquilas, mes collaborateurs en Jésus Christ, eux qui ont exposé leur vie pour sauver la mienne ; je ne suis d’ailleurs pas le seul à leur être redevable, toutes les communautés des nations le sont également. Saluez aussi l’Église qui se réunit chez eux.
Saluez mon cher Épénète, qui fut le premier converti au Christ dans la province d’Asie. Saluez Marie, qui a beaucoup œuvré pour vous. Saluez Andronicos et Junias, qui sont de ma famille. Ils ont partagé ma prison. Ce sont des apôtres réputés ; ils appartenaient même au Christ avant moi.
Saluez Ampliatus, qui m’est cher dans le Seigneur. Saluez Urbain, notre collaborateur dans le Christ, ainsi que mon cher Stakys.
Saluez-vous les uns les autres d’un saint baiser. Toutes les Églises du Christ vous saluent.
Moi aussi, Tertius, qui ai mis cette lettre par écrit, je vous salue dans le Seigneur. Gaïus vous salue, lui qui m’accueille et reçoit toute l’Église. Éraste, l’administrateur des finances de la ville, ainsi que notre frère Quartus, vous saluent.
À Celui qui a le pouvoir de vous affermir selon l’Évangile que j’annonce en proclamant Jésus Christ : révélation d’un mystère tenu secret depuis les temps les plus anciens, mystère désormais dévoilé et porté à la connaissance de toutes les nations par les écrits des prophètes, selon le commandement du Dieu éternel, pour les conduire à l’obéissance de la foi — au Dieu unique et sage, par Jésus Christ, à lui soit la gloire pour l’éternité. Amen.
Le baiser de paix : vivre la gratitude fraternelle de l’Évangile
Fraternité en actes et mémoire des visages
Dans un monde souvent anonyme, où les relations humaines se réduisent parfois à des échanges fonctionnels, Paul nous offre un tableau de noms, de visages, d’affection et de travail partagé. Derrière les salutations du dernier chapitre de sa Lettre aux Romains, nous découvrons un Évangile vécu dans le concret : une communauté tissée de liens personnels et spirituels, où le baiser de paix n’est pas symbole convenu, mais signe vivant d’une fraternité enracinée dans le Christ.
Cet article s’adresse à celles et ceux qui cherchent à redonner chair à la vie communautaire chrétienne. À travers la lecture de ce texte, nous explorerons comment la salutation fraternelle devient chemin de sainteté, mémoire partagée et annonciation de la paix de Dieu.
- Contexte et sens du salut paulinien
- Le cœur du message : la communion des saints dans l’ordinaire
- Trois axes de déploiement : mémoire, service, lien sacramentel
- Tradition et spiritualité du baiser de paix
- Pistes de méditation communautaire
- Conclusion et pratiques concrètes
Contexte
La Lettre aux Romains clôture sa longue argumentation doctrinale par un passage inattendu : une suite de salutations personnelles. Après avoir présenté la justification par la foi, expliqué le rôle d’Israël, exhorté à la charité fraternelle, Paul consacre son dernier chapitre à nommer un par un ceux qui ont rendu cette foi visible.
Ce geste n’est pas anecdotique. Il s’inscrit dans une tradition scripturaire où la mémoire des compagnons de Dieu traverse les âges : Noé et ses fils, Abraham et ses serviteurs, David et ses guerriers, Marie et ses proches. Dans chaque cas, la relation humaine manifeste une alliance vivante. La conclusion de Romains reprend ce motif : la théologie descend dans la chair, dans les relations concrètes, dans la gratitude exprimée.
Prisca et Aquilas, artisans du cuir exilés de Rome, apparaissent ici comme des figures de la collaboration apostolique. Ils ont déjà croisé Paul à Corinthe et à Éphèse, et leur maison est devenue un lieu d’Église domestique. Cette mention nous plonge dans la réalité d’un christianisme en diaspora, où les croyants se réunissent dans des foyers. À travers eux, Paul montre comment la foi devient hospitalité.
Chaque nom cité – Épénète, Marie, Andronicos, Junias, Ampliatus, Urbain, Stakys – compose une mosaïque de fraternité. Certains ont souffert avec lui, d’autres ont donné leur peine ou ouvert leurs portes. Tous incarnent la foi par le corps : par le travail, la présence, le risque, l’accueil. Le passage se conclut sur ces mots : « Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix ». Cette formule, présente dans d’autres lettres pauliniennes, était à la fois prière et geste. Elle unissait ceux qui allaient communier, comme le signe visible de l’unité à restaurer avant la cène.
Dans le contexte romain du Ier siècle, ce geste contrariait les distinctions sociales : le maître embrassait l’esclave, l’homme saluait la femme, le juif accueillait le païen. La salutation devenait alors proclamation d’un monde nouveau. C’est pourquoi Paul ajoute : « Toutes les Églises du Christ vous saluent ». Il ne s’agit pas seulement d’un remerciement, mais de l’annonce que la fraternité chrétienne a déjà commencé à transformer les rapports humains.
Analyse
L’idée directrice de ce passage réside dans le lien entre mémoire et unité. Pour Paul, la foi n’est pas une idée individuelle, mais un tissu relationnel. Le salut en Jésus-Christ prend forme dans la gratitude exprimée et la reconnaissance des autres. Nommer, saluer, embrasser : ce sont des actes de théologie incarnée.
Le paradoxe du texte apparaît alors : la lettre la plus doctrinale de Paul se ferme sur la plus concrète des scènes. Après avoir parlé de grâce, il parle de visages. La foi sans relation devient théorie ; la charité vécue transforme la doctrine en vie. L’Évangile se conclut par des prénoms, comme pour dire que le Royaume se joue dans l’interpersonnel.
Le « baiser de paix » n’est donc pas un ornement rituel, mais un langage théologique : il unit la parole et le geste. Ce baiser entre croyants annonce déjà la réconciliation universelle promise par Dieu. Dans la liturgie, il précède la communion ; dans la vie, il précède toute œuvre commune. « Saluez-vous » devient un commandement d’incarnation : reconnaître en l’autre la présence du Christ.
Spirituellement, ce passage appelle à une double conversion : accueillir la mémoire de ceux qui ont compté pour notre foi, et devenir à notre tour porteurs de paix. Dans chaque communauté, dans chaque relation, Paul nous invite à une gratitude active : celle qui fait exister l’autre par la parole et par le regard.

La fraternité comme mémoire vivante
Paul ne transmet pas simplement des salutations ; il réveille la mémoire collective. Les noms qu’il égrène sont les pierres vivantes du premier Évangile. La foi chrétienne ne naît pas d’un système, mais d’un réseau de fidélités. Souvenons-nous : dans les Actes, l’Esprit descend sur des personnes rassemblées, non sur des individus isolés. Romains 16 en est l’écho silencieux.
Nommer, c’est reconnaitre. Dans nos relations quotidiennes, combien de prénoms oublions-nous ? Paul nous rappelle que la foi se tisse dans le souvenir du bien reçu. « Ils ont risqué leur tête » : il ne s’agit pas d’exploits, mais d’amitié courageuse. La gratitude paulinienne devient ici un acte prophétique : contre l’amnésie moderne, elle inscrit la mémoire dans la foi.
Dans une paroisse, cette attitude peut prendre corps par des gestes simples : remercier publiquement un bénévole, citer dans une homélie les témoins discrets, entretenir la mémoire des anciens. Chaque communauté a ses Prisca et ses Aquilas. En faire mémoire, c’est faire Église.
Le service fraternel comme lieu de grâce
« Compagnons de travail » : Paul ne glorifie pas des hiérarchies, mais une collaboration. Ce service partagé est le visage concret de la grâce. Dans le christianisme primitif, chacun recevait une mission selon ses dons : accueillir, enseigner, soutenir, écrire. L’apôtre ne parle jamais de perfection morale, mais de labeur pour le Royaume.
La grâce ne supprime pas l’effort ; elle le transfigure. Le travail pour le Christ devient le lieu où la paix se manifeste. « Saluez Marie, qui s’est donné beaucoup de peine » : cette phrase ordinaire dit toute la beauté de la foi laborieuse. Servir, c’est aimer par les mains.
Dans la vie chrétienne contemporaine, cette dynamique peut s’incarner dans le service bénévole, la vie associative, ou simplement l’attention quotidienne portée aux proches. Le baiser de paix devient alors motivation : si je sers, c’est pour transmettre cette paix.
Le baiser de paix, sacrement du lien
Paul conclut : « Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix ». Ce geste, repris par la tradition liturgique, n’a rien d’anecdotique. Il exprime une théologie de l’unité. Dans l’Église antique, il précédait la communion pour que nul ne s’approche du Corps du Christ en état de division.
Cette salutation corporelle signifiait : « Je reconnais en toi un frère réconcilié ». Le baiser de paix était à la fois pardon, accueil et communion. Par lui, les distinctions sociales s’effaçaient ; les différences de culture devenaient richesse. C’est ainsi que Paul clôt sa lettre : le mystère de la foi se manifeste dans un geste ordinaire.
À notre époque, redonner sens à ce signe implique de raviver la culture du contact vrai : savoir regarder, sourire, écouter, pardonner avant de communier. Le baiser de paix n’est pas réservé à la messe ; il devient un style de vie, une manière d’habiter les relations.
Héritage et tradition spirituelle
Les Pères de l’Église ont beaucoup commenté cette salutation. Saint Augustin y voyait un sceau d’unité, un avant-goût de la paix céleste. Saint Jean Chrysostome rappelait que, sans réconciliation préalable, ce geste devenait mensonge. La liturgie occidentale en a conservé l’esprit, même si le baiser s’est progressivement symbolisé par une accolade, une main tendue ou un signe du regard.
Dans la spiritualité bénédictine, la paix mutuelle précède tout travail communautaire. « Que la paix soit avant tout », disait la Règle. De même, dans la tradition franciscaine, le salut « Pax et bonum » reprend cet élan paulinien : chaque rencontre devient lieu d’Évangile.
Aujourd’hui encore, nombre de mouvements spirituels s’inspirent de ce geste pour redonner à la fraternité une expression concrète : dans la vie monastique, les communautés de base, les fraternités laïques. Le baiser de paix reste pour tous un défi : comment offrir une paix vraie, quand le monde valorise la distance et la méfiance ?
Chemin de paix : étapes pour vivre la salutation fraternelle
- Faire mémoire. Évoquer chaque jour une personne qui a soutenu notre foi.
- Exprimer la gratitude. Dire « merci » explicitement à ceux qui œuvrent dans l’ombre.
- Réconcilier. Chercher le pardon avant la prière commune.
- Honorer les visages. Apprendre les prénoms, regarder l’autre avec douceur.
- Servir. Transformer la paix reçue en gestes concrets de disponibilité.
- Prier pour les absents. Porter ceux qui nous ont quittés dans la prière du souvenir.
- Transmettre. Enseigner aux enfants la valeur spirituelle de la salutation et du respect.
Conclusion
La fraternité chrétienne ne se proclame pas ; elle se vit dans les gestes les plus simples. À travers ces salutations finales, Paul révèle le cœur même de l’Évangile : une humanité réconciliée où chaque visage devient signe de Dieu. Le baiser de paix, loin d’être un rite, est un engagement intérieur. C’est l’acte par lequel nous confessons que la paix du Christ a déjà commencé parmi nous.
Dans un temps de divisions, cette page de Romains nous exhorte à reconstruire les liens : nommer les visages, bénir la mémoire, accueillir la paix et la faire circuler. Ainsi s’accomplit la promesse de Paul : la gloire du seul Dieu, vécue dans la simplicité d’une salutation entre frères.
Pratiques pour incarner le message
- Tenir un carnet de gratitude spirituelle hebdomadaire.
- Offrir chaque dimanche un mot de reconnaissance à un membre de la communauté.
- Pratiquer la réconciliation personnelle avant l’Eucharistie.
- Poser un geste de paix authentique chaque jour, même symbolique.
- Lire en famille ou en groupe le chapitre 16 de Romains.
- Redécouvrir la salutation chrétienne « La paix du Christ ».
- Servir ensemble une cause commune comme signe de paix en action.
Références
- Lettre de saint Paul aux Romains, chap. 16.
- Actes des Apôtres, chap. 18 : Priscille et Aquilas à Corinthe.
- Saint Augustin, Sermons sur la paix du Christ.
- Saint Jean Chrysostome, Homélies sur les Romains.
- Règle de saint Benoît, chap. 72 : De la bonne ferveur.
- François d’Assise, Salutation de la vertu de paix.
- Liturgie romaine : rite du baiser de paix avant la communion.


