CHAPITRE 11
Mc11, 1-11. Parall. Matth. 21, 1‑11 ; Luc 19, 29‑44 ; Jean 12, 12‑19.
Mc11.1 Comme ils approchaient de Jérusalem, aux environs de Betphagé et Béthanie, vers la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, — Comme ils approchaient. Notre Évangéliste, de même que S. Matthieu, abandonne ici l’ordre réel des faits, pour suivre l’ordre logique : il place, lui aussi, l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem immédiatement après le départ de Jéricho, qui avait été déjà, nous l’avons vu, une marche triomphale. Cf. Marc 10, 46. S. Jean nous dira clairement, Jean 12, 1‑19, qu’avant de pénétrer dans la capitale juive, le Sauveur s’arrêta pendant au moins une nuit, probablement même pendant un jour et deux nuits, chez ses amis de Béthanie ; Lazare, Marthe et Marie. C’est de leur maison, hospitalière que nous le voyons en ce moment sortir pour son triomphe. — Jérusalem et Béthanie. Ce n’est pas sans surprise qu’on lit ici le nom de Jérusalem avant celui de Béthanie ; car, le voyageur qui va de Jéricho à la Ville sainte rencontre nécessairement Béthanie sur sa route avant d’arriver au terme de son voyage. Il faudrait donc, d’après la topographie, « Béthanie et Jerusalem ». S. Marc se serait‑il rendu coupable d’une erreur géographique ? Pas le moins du monde. Mais, suivant de nouveau l’ordre des idées, il signale d’abord, comme point principal, le but vers lequel se dirigeait Notre‑Seigneur ; ensuite, il mentionne la station intermédiaire, près de laquelle se firent les premiers préparatifs du triomphe. Trois localités sont citées : Jérusalem est désigné comme le but final du voyage de Jésus. Ces deux villages étaient situés à peu de distance l’un de l’autre, et seulement à une demi‑heure de Jérusalem, du côté de l’Orient.
Mc11.2 en leur disant : « Allez au village qui est devant vous, dès que vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel nul homme ne s’est encore assis : détachez-le et amenez-le-moi. — Allez au village qui est devant vous. D’après le récit de S. Matthieu, ce hameau, qui se dressait en face de Jésus et de ses deux envoyés, ne différait vraisemblablement pas de Bethphagé. — Vous trouverez un ânon attaché. Le premier Synoptique faisait dire à Jésus : « vous trouverez une ânesse liée, et son ânon avec elle » : S. Marc, S. Luc et S. Jean parlent seulement de l’ânon. Où se trouve la vérité ? des deux côtés à la fois. En effet, dit saint Augustin, « Dès lors que deux choses ont pu avoir lieu en même temps, il n’y a plus d’objection à faire si l’un raconte la première et l’autre la seconde ; à plus forte raison si l’un raconte l’une des deux et l’autre toutes les deux à la fois » [De Consensu Evangelistarum, l. 2, c. 66.]. Néanmoins, la relation de S. Matthieu, étant la plus complète, est par là même la plus exacte. Dans les trois autres Évangiles, il n’est pas question de l’ânesse, parce que ce ne fut pas elle, mais l’ânon, qui servit de monture à Jésus : S. Matthieu la mentionne, en partie parce que Notre‑Seigneur avait commandé qu’on l’amenât, en partie afin de rendre plus évidente la réalisation de la prophétie de Zacharie, qu’il cite un peu plus bas. — Sur lequel nul homme ne s’est encore assis… S. Luc note aussi ce détail, qui avait bien son importance ; car, soit chez les Juifs [Cf. Nombre 19, 2 ; Deutéronome 21, 3 ; 1Samuel 6, 7.], soit chez les païens [voyez Ovide, Métamorphoses, 3, 12.], on employait de préférence à des usages sacrés les animaux qui n’avaient encore rendu aucun service profane. Il convenait que la monture pacifique du Christ, au jour de son triomphe, n’eut jamais porté d’autre cavalier.
Mc11.3 Et si quelqu’un vous dit : Que faites-vous ? Répondez : Le Seigneur en a besoin et aussitôt il va le renvoyer ici. » — Que faites‑vous ? De même S. Luc « Pourquoi le déliez‑vous ? » Ce langage direct est beaucoup plus vivant que le « Et si quelqu’un vous dit quelque chose » de S. Matthieu. — Le Seigneur en a besoin. En tant que Messie, Jésus était le souverain Seigneur et Maître de toutes choses : il jouissait du droit de réquisition, dont il usait ici pour la première fois. — Aussitôt il va le renvoyer ici. Par ces mots, le Sauveur prédit qu’au seul nom « Le Seigneur » (avec l’article) le propriétaire de l’animal se prêtera aussitôt au dessein des Apôtres. Quelques auteurs, déroutés par l’adverbe aussitôt, donnent à tort une autre signification à ce passage. Suivant eux, ces mots ne contiendraient pas une prédiction de Jésus, mais la suite de la communication qu’il chargeait ses envoyés d’adresser au maître supposé récalcitrant de l’ânon : « Dites que le Seigneur en a besoin, et qu’il le renverra bientôt là‑bas ». Cette interprétation nous paraît manquer de grandeur, surtout dans la circonstance où se trouvait Jésus. — Μ. Reuss, bien que rationaliste à ses heures, fait ici une remarque très juste, qu’on nous permettra de citer : « Le récit de la mission des deux disciples doit faire sur le lecteur l’impression d’un double miracle, d’après l’intention même des narrateurs. Jésus sait, sans l’avoir vu, qu’un âne se trouve attaché à une porte, à l’entrée même du village ; il voit que cet âne n’a jamais encore servi de monture à qui que ce soit ; il prédit, non seulement que le propriétaire trouvera à redire à ce qu’on le détache, ce qui était bien naturel, mais que cette seule parole : Le Seigneur en a besoin, suffira pour lever toute difficulté. Si l’on voulait dire que Jésus avait pris d’avance ses mesures, et retenu l’âne de concert avec le propriétaire, cela reviendrait à l’accuser d’avoir joué la comédie devant ses disciples, qui auraient sans doute raconté le fait dans des termes très différents s’ils avaient eu connaissance d’un pareil arrangement préalable. Mais ils nous le représentent comme voyant à distance et comme exerçant une influence surnaturelle sur la volonté d’autrui » [Édouard Reuss, Histoire évangélique, p. 549.]. Voyez dans Stanley [Arthur Penrhyn Stanley, Sinai and Palestine, 2e éd., p. 190.], une curieuse légende musulmane touchant l’ânon qui servit au triomphe de Jésus.
Mc11.4 S’en étant allés, les disciples trouvèrent un ânon attaché à une porte, en dehors, au tournant du chemin et ils le détachèrent. 5 Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : « Que faites-vous de détacher cet ânon ? » 6 Ils répondirent comme Jésus le leur avait commandé et on les laissa faire. — Description très détaillée et très précise, qui nous permet de suivre dans leur mission les deux ambassadeurs de Jésus, et d’assister à l’accomplissement intégral des prédictions que nous venons d’entendre. Les traits si minutieux et si pittoresques du v. 4, ils trouvèrent l’ânon attaché à une porte, en dehors, au tournant du chemin, appartiennent en propre à S. Marc, d’où l’on a parfois conclu que saint Pierre, la source ordinaire de notre Évangéliste, était l’un des envoyés. — Quelques uns de ceux qui étaient là. Autre trait propre à S. Marc. De même, au v. 6, on les laissa faire. Ces hommes aussi, qu’ils fussent ou ne fussent pas les disciples de Jésus, le regardaient donc comme un roi puissant, qui avait le droit de tout commander, de tout exiger.
Mc11.7 Et ils amenèrent l’ânon à Jésus et ils mirent dessus leurs manteaux et Jésus s’y assit. — ils mirent leurs manteaux. Les amples manteaux à couleur éclatante que les Orientaux portent ordinairement par‑dessus leur tunique convenaient parfaitement pour ce dessein.
Mc11.8 Un grand nombre étendirent leurs manteaux le long de la route, d’autres, ayant coupé des branches d’arbres, en jonchèrent le chemin. — Beaucoup étendirent leurs manteaux… L’exemple des deux disciples est bientôt imité par la foule. De même que les disciples, par honneur pour Jésus, s’étaient servis de leurs vêtements pour orner la monture de son triomphe, de même la foule emploie les siens pour tapisser le chemin par lequel il devait passer. Ainsi avaient fait antérieurement les Juifs de Suze pour le célèbre Mardochée [Cf. Targum Esther, 8, 15.] ; ainsi avaient fait les soldats persans pour Xerxès au moment où ce prince allait franchir l’Hellespont [Herodotus, 7, 54]. Voyez d’autres traits analogues dans l’explication de l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 8.— D’autres coupaient des branches. Il est à remarquer qu’au lieu du mot κλάδοι, employé dans le passage parallèle de Matth. 21, 8, nous trouvons ici une expression spéciale, στοιϐάδες, qui ne désigne pas simplement des branches, mais les parties les plus feuillues et les plus tendres des rameaux, par conséquent les parties les plus en rapport avec la destination qu’on avait en vue. — D’arbres. Les champs qui environnaient Jérusalem étaient remplis d’oliviers, de palmiers, de dattiers et autres arbres semblables. — « Avant d’avoir été corrompue, la multitude savait comment se comporter envers le Christ. Voilà pourquoi chacun honora Jésus selon sa capacité propre » [Saint Jérôme de Stridon, in Matth., 21.].
Mc11.9 Et ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient, criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! — Le cortège entoure Jésus de toutes parts. Comme un triomphateur, le divin Maître s’avance au milieu de cette procession glorieuse. — Hosanna. Sur ce mot hébreu, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 9. Contre sa coutume, S. Marc n’en donne pas la traduction ; mais les chrétiens de Rome en devaient connaître la signification, car Hosanna, de même que les expressions analogues Amen, Alléluia, s’était introduit de bonne heure dans la liturgie de l’Église du Christ.
Mc11.10 Béni soit le règne de David notre père, qui va commencer ! Hosanna au plus haut des cieux ! » — Béni soit le règne de David… Souhait d’heureuse bienvenue, adressé à Jésus au moyen de paroles inspirées. Cf. Ps 118, 26. — À ce souhait qui concernait la personne du Messie, S. Marc en ajoute un autre, qu’on trouve seulement dans sa rédaction, et qui était relatif au royaume du Christ : Béni soit le règne de David…. La manière dont le peuple caractérisait ce royaume est significative. Notre père David : c’était le royaume de David continué, restauré, transfiguré par le plus illustre de ses descendants. Voilà le pendant de la parole de l’Ange : « le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin ». Luc 1, 32. Voilà Jésus ouvertement acclamé par la multitude comme le Roi‑Messie. — Hosanna au plus haut des cieux. Gloire à Dieu qui trône au plus haut des deux. Du Messie, la foule remonte à celui qui l’envoie, pour le remercier de ce que les temps si ardemment désirés soient enfin accomplis.
Mc11.11 Et il entra à Jérusalem, dans le temple et ayant observé toutes choses, comme déjà l’heure était avancée, il s’en alla à Béthanie avec les Douze. — Jésus entra à Jérusalem dans le temple. S. Marc ne dit rien d’une scène touchante que nous trouverons dans Luc 19, 41‑44 ; il ne dit rien non plus de l’émoi que l’entrée solennelle de Jésus suscita dans Jérusalem, Matth. 21, 10, 11. Il préfère, et ce trait a une signification profonde, conduire immédiatement la procession triomphale à son terme, dans le temple. C’est donc droit au temple que Jésus se fit escorter par le peuple. On ne le mène pas sur une place publique comme un tribun vulgaire, ni à un palais comme un roi ordinaire ; on le mène au temple de Dieu. C’est là en effet sa résidence en tant que Messie. Comme ce détail nous fait bien voir la nature toute religieuse de l’ovation qu’on venait de lui décerner. S. Marc nous l’a seul conservé. — Ayant observé toutes choses. Autre trait caractéristique et spécial. On en a parfois méconnu la portée, par exemple Bède le Vénérable, qui suppose que le Sauveur, en jetant ainsi les yeux de tous côtés, voulait voir « si quelqu’un lui offrirait l’hospitalité. ». Non, le véritable sens est à la fois et plus simple et plus noble. Ce regard provient de l’œil du Maître. Arrivé à son palais messianique, Jésus inspecte toutes choses à la façon d’un roi : il contemple les désordres qu’il reviendra châtier le lendemain. — Comme déjà l’heure était avancée… La marche triomphale et l’inspection du Sauveur avaient rempli une grande partie de la journée. — Il s’en alla à Béthanie. Pourquoi Jésus ne passa‑t‑il pas la nuit à Jérusalem, au milieu de ce bon peuple ? On le conçoit sans peine. Il n’avait pas que des amis dans la capitale juive ; il y avait aussi des ennemis nombreux, puissants, acharnés à sa perle. Le séjour de la ville sainte n’eut donc pas été sûr pour lui. C’est pourquoi nous le verrons chaque soir chercher un refuge à Béthanie, jusqu’à la nuit du Jeudi saint.
Marc 11, 12‑14. Parall. Matth. 21, 18‑19.
Mc11.12 Le lendemain, après qu’ils furent sortis de Béthanie, il eut faim. — Le lendemain. C’est‑à‑dire le lundi de la Semaine Sainte, l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem ayant eu lieu un dimanche, d’après l’opinion commune des exégètes, la chronologie de S. Marc est ici d’une précieuse clarté. Il distingue très nettement trois séjours de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ dans le temple, durant cette grande et dernière semaine : 1° le séjour qui suivit immédiatement l’entrée triomphale, vv. 1‑11 ; 2° le séjour du lundi saint, qui fut marqué par l’expulsion des vendeurs, vv. 12‑19 ; 3° le séjour du mardi saint, durant lequel Jésus lutta si vigoureusement contre ses adversaires, vv. 20 et ss. — ils furent sortis. Le Sauveur, en compagnie des douze Apôtres, sortait de Béthanie pour retourner à Jérusalem. — Il eut faim. Sur la nature de cette faim matinale de Jésus, voyez l’Évangile selon saint Matthieu, Matth. 21, 18. Divers hérétiques ont prétendu qu’elle n’exista pas en réalité, mais que Notre‑Seigneur la simula pour donner plus commodément une leçon à ses disciples. Nous admettons qu’elle fut tout à la fois véritable, naturelle et providentielle.
Mc11.13 Apercevant de loin un figuier couvert de feuilles, il s’avança pour voir s’il n’y trouverait pas quelque fruit et s’en étant approché, il n’y trouva que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues. — Apercevant de loin un figuier. « De loin » est une particularité de S. Marc. Dans cette région, si fertile en figuiers que Bethphagé (« la maison des figues ») en tirait son nom, Jésus aperçut donc à quelque distance un de ces arbres tout couvert de feuilles, bien que la saison fût encore peu avancée. Il était peut être d’une espèce plus précoce, ou bien il jouissait d’une meilleure exposition que les autres. — Il alla voir s’il y trouverait quelque chose. — En faisant remarquer que ce n’était pas la saison des figues », S. Marc voulait indiquer que la démarche du Sauveur n’était pas fondée sur l’époque de l’année où l’on se trouvait alors, mais sur quelque autre circonstance propre à l’arbre en question. Celle circonstance a été mentionnée plus haut : Le figuier avait des feuilles. Le figuier émettant ses fruits avant ses feuilles, une plante de cette espèce qui attirait l’attention des passants par la précocité de son feuillage, les invitait par là‑même à venir chercher sur lui un fruit rafraîchissant.
Mc11.14 Alors il dit au figuier : « Qu’à jamais personne ne mange plus de ton fruit. » Ce que ses disciples entendirent. — Il dit. Jésus traite cet arbre trompeur comme un être doué d’intelligence ; bien plus, en le maudissant, il le traite en être moral, libre et responsable. Il y a là évidemment un symbole. En effet, dit Eusèbe d’Emèse, « Le Seigneur ne fait jamais rien sans raison. Quand il semble agir pour rien, c’est là le signe d’une grande chose ». Dans ce fait extraordinaire, qui n’a pas son parallèle dans la vie du Sauveur, nous devons donc voir, suivant l’heureuse expression de Bède le Vénérable, une parabole de choses ; autrement, il n’aurait pas de raison d’être, et serait incompréhensible pour nous. « L’Évangéliste dit positivement que ce n’était pas le moment des figues ; le Sauveur toutefois en cherchait sur cet arbre pour apaiser sa faim. Mais quoi. le Christ ignorait‑il ce que savait un paysan ? Le Créateur de ces arbres méconnaissait‑il ce que savait le jardinier ? Il faut donc reconnaître qu’en cherchant des fruits sur cet arbre pour apaiser sa faim, il voulait faire entendre qu’il avait faim d’autre chose et qu’il cherchait une autre espèce de fruits. On le vit de plus maudire ce figuier qu’il trouva couvert de feuilles mais sans aucun fruit, et cet arbre se dessécha. Or comment avait‑il démérité en ne portant pas de fruits [Saint Augustin d’Hippone, Sermon 98.] ? » Il est des hommes dont la stérilité est volontaire, et la volonté les rendant inféconds, ils sont coupables de ne pas l’être. Ils sont comme des arbres chargés de feuilles et dénués de fruits, certains juifs se vantaient de posséder la loi sans en faire les œuvres. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 19. Dieu ne disait‑il pas déjà, par l’intermédiaire du prophète Michée, 7, 1-2, en parlant du peuple théocratique : « Hélas pour moi ! Je suis comme au temps des récoltes d’été, comme au grappillage des vendanges : plus une grappe à manger, plus de ces figues précoces que j’aime tant. ». — Qu’à jamais personne ne mange plus de ton fruit… Accumulation emphatique. Cette forme de la sentence est spéciale à S. Marc. Nous lisions dans S. Matthieu : « Que jamais aucun fruit ne naisse de toi ». — Et ses disciples entendirent. Ce trait est également propre au second Évangile. Il a pour but de préparer la suite du récit, vv. 20 et 21.
Marc 11, 15‑19. Parall. Matth. 21, 12‑17; Luc 19, 45‑48.
Mc11.15 Ils arrivèrent à Jérusalem. Jésus étant entré dans le temple, se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le temple et il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des colombes, — Ils arrivèrent à Jérusalem. Quittant le figuier maudit, Jésus poursuit sa marche vers Jérusalem, passant ainsi du type à l’antitype, du symbole à la chose signifiée. À peine arrivé dans le temple, nous le voyons accomplir un nouvel acte judiciaire, non moins terrible que le précédent. Par un coup éclatant d’autorité, il rend à la maison de Dieu le calme, le silence, l’honneur dont on l’avait dépouillée par d’étonnants abus. Ce que nous appelons le Temple de Jérusalem était loin de ressembler à nos églises actuelles. Il se composait de parties très distinctes, dont la principale, qui formait le sanctuaire proprement dit, n’était accessible qu’aux seuls prêtres. Autour du sanctuaire il y avait plusieurs cours, que des clôtures de divers genre séparaient les unes des autres : c’étaient 1° le parvis des prêtres, où l’on offrait les sacrifices, 2° la cour dite d’Israël ; 3° ce qu’on appelait la cour des femmes ; enfin 4° en communication avec les rues avoisinantes, la cour des Païens, où les païens eux‑mêmes pouvaient pénétrer. C’est dans cette cour, entourée de magnifiques galeries, la plus extérieure et la plus vaste de toutes, qu’eut lieu la scène qui va suivre. — Jésus… se mit à chasser ceux qui vendaient… En soi, l’existence d’un marché à l’entrée du temple, pour faciliter aux personnes pieuses, et plus spécialement aux pèlerins venus de loin, l’emplette des objets nécessaires pour les sacrifices qu’ils voulaient offrir au Seigneur, n’avait rien que de légitime et même de louable. C’est donc l’abus, et non la chose même, que Jésus réprouve par ses actes et par ses paroles. Or l’abus était manifeste, palpable. Au lieu d’un marché pacifique, on avait un bruyant bazar, une foire perpétuelle ; de plus, les pèlerins étaient odieusement rançonnés par les marchands, qui étaient souvent des prêtres, ou du moins les employés des prêtres. On en vint jusqu’à vendre une colombe au prix exorbitant d’un denier d’or. — Les tables des changeurs… Pour tous ces détails, nous renvoyons à l’Évangile selon S. Matthieu, 21, 12.
Mc11.16 et il ne laissait personne transporter quoi que ce soit à travers le Temple. — Et il ne laissait personne… Voici encore un trait des plus intéressants, qui est propre à S. Marc. Cette interdiction du Sauveur suppose un autre genre de liberté que les Juifs de son temps s’étaient permise à l’égard du temple. Après avoir transformé les cours intérieures en un lieu de trafic, ils en avaient fait encore un passage public et profane, qu’ils traversaient sans gêne, chargés de toute sorte d’objets, pour s’épargner un détour dans les rues de la ville. — À travers le temple. Ce second abus concernait donc pareillement les cours, et non le sanctuaire. — Les Rabbins insistent sur les règles que l’on devait observer dans le Temple : mais il paraît par l’Évangile que les lois étaient fort mal gardées. Ils disent donc qu’il n’est pas permis d’y entrer, pas même dans le parvis des Païens, avec son bâton, ses souliers, sa bourse, ou ses pieds crottés, ou avec de l’argent dans un mouchoir, ou avec une besace, ou d’y cracher, ou d’en faire un lieu passager, etc… Tout cela est fort beau en théorie ; mais il en faudrait montrer la pratique ». Wetstein et Lightfoot citent tout au long dans leurs Recueils les décrets talmudiques à ce sujet. Megilla, f. 28, 1, nous lisons l’ordonnance suivante : « Que personne ne fasse de la synagogue dévastée un raccourci ». Et Josèphe ne dit‑il pas, dans les mêmes termes que S. Marc : « Il n’est même pas permis d’apporter un vase dans le temple » [Flavius Josèphe, Contra Apionem, 2, 8.].
Mc11.17 Et il enseignait, en disant : « N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. » — Le verbe enseignait, mis à l’imparfait, a fait croire à plusieurs exégètes que les paroles attribuées à Notre‑Seigneur seraient simplement le résumé d’un discours qu’il aurait prononcé après l’expulsion des vendeurs. Opinion assez peu vraisemblable. — N’est‑il pas écrit… ? Le Sauveur justifie par deux paroles inspirées, Isaïe 56, 7 et Jérémie 7, 11, l’action de zèle à laquelle il venait de se livrer. Le temple était une maison de prière ; mais on l’avait honteusement changé en un antre de brigands : Jésus, en vertu de ses droits messianiques, l’a purifié, lui a rendu sa destination première. — Pour toutes les nations. S. Marc a seul cité ces mots du texte d’Isaïe. Ils convenaient d’autant mieux, que la scène se passait dans une cour ouverte aux païens aussi bien qu’aux Juifs.
Mc11.18 Ce qu’ayant entendu, les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient les moyens de le faire périr, car ils le craignaient, parce que tout le peuple admirait sa doctrine. — Ce verset décrit l’impression que produisit sur les hiérarques juifs la nouvelle de ce qui avait eu lieu dans le temple. Leur haine contre Jésus ne connut plus de bornes, quand ils apprirent que leur adversaire était venu agir en maître et en réformateur sur leur propre terrain. « Au tribunal, on déteste celui qui réprimande, et l’homme intègre dans sa parole, on le hait » [Amos 5, 10.]. — Ils le craignaient. Une seule chose les empêcha d’exécuter sans délai les projets homicides qu’ils avaient depuis longtemps formés à son égard : c’était la crainte que le peuple, charmé par ses divines leçons et visiblement passionné pour lui, ne s’insurgeât contre quiconque tenterait de lui faire quelque mal. Cf. Luc 19, 48. De là leur grand embarras et leurs délibérations pour savoir comment le faire mourir.
Mc11.19 Le soir étant venu, Jésus sortit de la ville. — L’emploi de l’imparfait semble insinuer que l’Évangéliste veut parler ici d’un fait qui se passa non seulement le soir du lundi saint, mais encore les deux jours suivants. Telle est même la seule interprétation permise si nous lisons avec Tischendorf « toutes les fois que » au lieu de « quand ».
Marc 11, 20‑26.Parall. Matth. 21, 20‑22.
Mc11.20 Or, en repassant de grand matin, les disciples virent le figuier desséché jusqu’à la racine. — De grand matin. C’était le matin du mardi saint. Cf. v. 12 et le commentaire. Jésus et les Douze revenaient de Béthanie à Jérusalem. Cf. v. 27. — Virent le figuier, desséché. La veille au soir, en se rendant de la capitale à leur tranquille retraite, les Apôtres n’avaient pas remarqué le merveilleux effet de la parole de Jésus, soit qu’il fît déjà nuit, soit qu’ils soient passés par un autre chemin. Deux ou trois routes distinctes conduisent aujourd’hui de Jérusalem à Béthanie. — Jusqu’à la racine : détail pittoresque, spécial à S. Marc, pour signifier que le figuier était totalement desséché.
Mc11.21 Et Pierre, se ressouvenant, dit à Jésus : « Maître, voilà que le figuier que vous avez maudit a séché. » — Autre détail spécial, que notre évangéliste tenait assurément de saint Pierre lui‑même. S. Matthieu, bien que témoin oculaire du fait, attribue d’une manière générale la réflexion qui suit à tous les Apôtres, Matth. 20, 20. Saint Pierre donc, à la vue de cet arbre dont les feuilles, si fraîches la veille, retombaient tristement le long des rameaux, se souvint de la malédiction que Jésus avait lancée contre lui, et il se hâta, en termes vifs et naïfs tout ensemble, d’attirer l’attention du Sauveur sur ce prodige. — Voilà que est une exclamation de surprise, d’admiration.
Mc11.22 Jésus leur répondit : « Ayez foi en Dieu. — Notre‑Seigneur profite de cette réflexion pour donner aux siens une leçon importante sur la puissance irrésistible de la foi, surtout de la foi dans la prière. S. Marc nous communique cette leçon avec plus d’ampleur et d’une manière plus complète que S. Matthieu.
Mc11.23 Je vous le dis, en vérité, si quelqu’un dit à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer et s’il ne doute pas dans son cœur, mais qu’il croie que ce qu’il dit arrivera, il le verra s’accomplir. — En vérité. Notre‑Seigneur commence par garantir au nom de l’éternelle vérité l’exactitude du fait qu’il va signaler. — si quelqu’un dit… Ce fait est assurément bien extraordinaire. Un chrétien quelconque qui dit à une montagne : Jette‑toi dans la mer, et qui voit son ordre immédiatement obéi. Une condition est pourtant exigée : s’il ne doute pas dans son cœur, mais qu’il croit... Saint Jacques semble commenter cette promesse quand, parlant de la prière, il écrit, Jacques 1, 6 : « Qu’il demande dans la foi sans hésiter. Car celui qui hésite est semblable au flot de la mer que le vent agite et fait tourbillonner ». L’idée d’hésitation, de défiance, est très bien rendue dans le texte grec par un verbe dont la signification primitive indique des jugements portés en divers sens, un va et vient perpétuel de l’esprit qui ne sait se fixer.
Mc11.24 C’est pourquoi, je vous le dis, tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez que vous l’obtiendrez et vous le verrez s’accomplir. — tout ce que vous demanderez dans la prière… Si vous pouvez être certains d’obtenir par une prière pleine de foi la puissance d’accomplir les miracles les plus étonnants, à plus forte raison obtiendrez‑vous toutes les autres choses que vous demanderez au Seigneur. — Vous le verrez s’accomplir. Cette leçon est très expressive : la prière du chrétien est à peine formulée qu’elle est déjà exaucée.
Mc11.25 Lorsque vous êtes debout pour faire votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. — Souvent il arrive que, malgré une foi très vive, on n’obtient pas les grâces demandées au Seigneur. C’est qu’on n’est pas en règle avec ses frères, qu’on nourrit au fond du cœur quelque sentiment peu charitable. Telle est la liaison des idées. — S. Marc mentionne seul en cet endroit les pensées contenues dans les vv. 25 et 26 ; S. Matthieu les passe sous silence, sans doute parce qu’il les avait déjà citées dans le Discours sur la Montagne, Matth. 6, 14-15. Elles durent revenir plus d’une fois sur les lèvres du Sauveur. — Debout pour prier. Les Juifs se tenaient habituellement debout pour prier. Cf. 1Samuel 1, 26 ; Matth. 4, 5 ; Luc 18, 11. De là le nom de מעמדות, « stations », qui servait souvent chez eux à désigner les prières, et que notre langage liturgique leur a emprunté. Parfois néanmoins ils priaient à genoux, 1 Rois 8, 54 ; Daniel 6, 10, ou prosternés, Josué 7, 6 ; 1 Rois 18, 42. — Pardonnez. Le verbe grec a le sens de : remettez, renvoyez, relâchez : Belle expression pour indiquer le pardon généreusement accordé.
Mc11.26 Si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. » — Si vous ne pardonnez pas… C’est la même idée, présentée sous une forme négative. « Terrible sentence. » s’écrie la Glose.
Marc 11, 27‑33. Parall. Matth. 21, 23‑27 ; Luc 20, 1‑8.
Mc11.27 Ils arrivèrent de nouveau à Jérusalem. Pendant que Jésus se promenait dans le temple, les Princes des prêtres, les Scribes et les Anciens s’approchèrent de lui, — De nouveau fait allusion aux deux entrées des jours précédents, vv. 11 et 15. Nous sommes encore dans la matinée du mardi de la Semaine Sainte. Cf. v. 20 — Comme Jésus se promenait dans le temple. Ce détail pittoresque est propre à S. Marc. Il nous montre Jésus, entouré des siens, se promenant sous les vastes galeries de la cour des Païens, et se mêlant aux groupes du peuple ; S. Matthieu, 21, 23, ajoute que le Sauveur ne tarda pas à prendre la parole pour enseigner la foule. — Les princes des prêtres, les scribes et les anciens. Dans cette nomenclature, nous reconnaissons les noms des trois Chambres qui formaient le Sanhédrin. Ceux qui s’approchent en ce moment de Jésus viennent donc à lui avec un mandat officiel, comme délégués de la Cour suprême des Juifs. Leur but est manifeste : ils veulent engager avec leur ennemi un combat à mort, trouver une occasion de l’arrêter et de le perdre, malgré sa popularité. La narration claire et rapide de S. Marc nous permet d’assister aux diverses péripéties de cette lutte.
Mc11.28 et lui dirent : « Par quel pouvoir faites-vous ces choses ? Qui vous a donné pouvoir de les faire ? » — La bataille s’engage par une escarmouche livrée sur le terrain des pouvoirs de Notre‑Seigneur : Par quelle pouvoir… « Qui êtes‑vous donc pour faire des choses semblables ? Est‑ce que vous vous établissez docteur ? Vous consacrez‑vous prince des prêtres ? » Théophylacte. — Faites‑vous ces choses. Ces « choses » désignent les divers actes que le Sauveur s’était permis d’accomplir dans le temple depuis la journée du dimanche, spécialement l’expulsion des vendeurs. C’est une double question que les Sanhédristes posent ici à Jésus : 1° Avez‑vous des titres personnels qui vous permettent d’agir comme vous le faites ? Êtes‑vous prophète, par exemple ? 2° A défaut de titres semblables, qui vous a conféré un pouvoir légal ?
Mc11.29 Jésus leur dit : « Je vous ferai, moi aussi, une question, répondez-moi et je vous dirai par quel pouvoir je fais ces choses. 30 Le baptême de Jean, était-il du ciel ou des hommes ? Répondez-moi. » — Les délégués du Grand‑Conseil pensaient bien que Jésus serait incapable de fournir une réponse satisfaisante à ces demandes, qu’ils lui adressaient avec une certaine apparence de droit. Avec quelle noble simplicité il déjoue leurs manœuvres. — Je vous ferai, moi aussi, une question. On prétend lui faire subir un interrogatoire ; c’est lui au contraire qui va en imposer un aux orgueilleux personnages qu’il a en face de lui. — Le baptême de Jean… Jésus aurait pu demander d’une manière générale : D’où provenait la mission de Jean ? Il préféra mentionner la cérémonie qui résumait si bien le ministère du Précurseur, qui avait même valu à Jean son surnom célèbre de Baptiste. Cf. Marc 1, 4.
Mc11.31 Mais ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion : « Si nous répondons : Du ciel, il dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui. 32 Si nous répondons : des hommes. » Ils craignaient le peuple, car tous tenaient Jean pour un véritable prophète. — Ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion ; mieux, « entre eux ». La réponse était donc bien difficile, puisqu’elle exigeait une consultation en règle. Elle était aisée en soi ; mais, d’une part, la conduite antérieure des Sanhédristes à l’égard de Jean‑Baptiste, de l’autre la crainte de blesser la foule en parlant d’une manière défavorable de celui qu’elle vénérait comme un saint, plaçait nos Docteurs dans une cruelle perplexité. — ils craignaient le peuple, changement de personnes qui donne à la pensée un tour vif et saisissant. Il arrive plusieurs fois aux écrivains sacrés de passer ainsi du langage direct à l’indirect. Cf. Marc 2, 10 ; Matth. 9, 6 Luc 5, 24.
Mc11.33 Ils répondirent donc à Jésus : « Nous ne savons. Et moi, dit Jésus, je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses. » — Les Sanhédristes mentent pour cacher leur embarras ; ils ne se reconnaissent pas froussards ouvertement et perdent par là‑même le droit d’avoir une réponse de Notre Seigneur. S’ils sont incapables de porter un jugement sur le ministère de S. Jean, ils sont incapables aussi de juger la mission de Jésus. En outre, ce que le Sauveur a fait n’a pas besoin de justification ; la nature de ses œuvres montre qu’elles proviennent d’une source divine. Au reste, dit un ancien, « obligés d’instruire celui qui cherche la vérité, nous pouvons renverser par un raisonnement vigoureux quiconque essaie de nous tendre un piège ». C’est précisément ce que nous avons vu faire à Jésus : d’un seul coup, il a déchiré le filet du sophisme.


