L’Évangile selon Saint Marc commenté verset par verset

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CHAPITRE 8

Seconde multiplication des pains. Marc 8, 1‑9. Parall. Matth. 15, 32‑38.

Les narrations de S. Matthieu et de S. Marc, se suivent ici presque mot pour mot. Néanmoins celle de notre Évangéliste est un peu plus longue, parce qu’elle contient quelques détails particuliers, dont voici les principaux : v. 1, « la foule… n’avait pas de quoi manger » ; v. 3, « quelques‑uns d’entre eux sont venus de loin » ; v. 7, « quelques petits poissons ; il les bénit aussi ».

Mc8.1 En ces jours-là, comme il y avait encore une grande foule qui n’avait pas de quoi manger, Jésus appela ses disciples et leur dit :En ces jours‑là. C’est‑à‑dire, d’après les antécédents (cf. Marc 7, 31), durant le séjour que Notre‑Seigneur Jésus‑Christ fit auprès du lac de Tibériade après son retour des régions phéniciennes. — encore nous reporte à la première multiplication des pains, opérée quelques mois auparavant aux environs de Bethsaïda‑Julias, Marc 6, 35‑43. — La foule était de nouveau nombreuse. Cette foule nombreuse avait été attirée par les miracles récents du Sauveur. Cf. Matth. 15, 30, 31. — il y avait encore une grande foule qui n’avait pas de quoi manger. Le peuple manquait de vivres parce que, rassemblé depuis déjà trois jours (v. 2) auprès de Jésus, il avait consommé toutes les provisions dont il s’était muni.

Mc8.2 « J’ai compassion de ce peuple, car voilà trois jours déjà qu’ils ne me quittent pas et ils n’ont rien à manger.J’ai compassion. Le verbe grec correspondant désigne toujours une très vive émotion. Presque toutes les fois que nous l’entendons prononcer par le bon Pasteur, nous apprenons aussitôt après que les pauvres brebis qui excitaient sa compassion reçurent de lui quelque merveilleux secours. Cf. Marc 1, 41 ; Matth. 9, 37 ; 14, 14 ; 20, 34 ; etc, — Ils sont avec moi. Dans le grec, littéralement, « ils restent auprès de moi ».

Mc8.3 Si je les renvoie dans leur maison sans nourriture, ils tomberont de défaillance en chemin, car plusieurs d’entre eux sont venus de loin »Et si je les renvoie à jeun… D’après S. Matthieu, 15, 32, Jésus aurait dit avec plus de force : « je ne veux pas les renvoyer à jeun ». C’était une hypothèse à laquelle son divin cœur ne voulait pas même s’arrêter un instant. Pouvait‑il exposer ce bon peuple qui, par amour pour lui, avait oublié ses nécessités matérielles, à faire une longue route à jeun, avant d’atteindre un domicile qui était lointain pour plusieurs ? Sans compter que, dans celle foule, il y avait des femmes et des enfants. Cf. Matth. 15, 48. — Ce court préambule nous montre que les deux multiplications des pains eurent lieu dans des circonstances à peu près identiques. Sur la distinction réelle des deux miracles, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, Matth.15, 33, et Dehaut [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, t. 3, pp. 51 et 52.].

Mc8.4 Ses disciples lui répondirent : « Comment pourrait-on trouver ici, dans un désert, assez de pain pour les rassasier ? » — Au lieu de la réponse pleine de foi qu’on aimerait à entendre sortir de la bouche des Apôtres, Jésus en reçoit une qui fait justement dire à Victor d’Antioche : « Les disciples semblaient manquer d’intelligence : après les premiers miracles, ils avaient encore peu de confiance dans la puissance du Seigneur ». Hélas. tant d’autres hommes semblent n’acquérir aucune expérience au contact journalier des choses divines. Du reste, le Sauveur leur reprochera bientôt, v. 17, d’avoir l’intelligence encore aveugle. — Dans le désert : plus clairement, loin de tout lieu habité. Cf. Marc 6, 32 et l’explication.

Mc8.5 Et il leur demanda : « Combien avez-vous de pains ? » Ils dirent : « Sept. » 6 Alors il fit asseoir la foule par terre, prit les sept pains et, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples pour les distribuer et ils les distribuèrent au peuple. — Sans tenir compte de la réponse des Douze, Jésus se contente de leur demander s’ils ont quelques pains à leur disposition. Il agissait ainsi, dit saint Rémi, « Ils répondirent sept, parce que, moins ils seraient nombreux, plus éclatant et plus mémorable serait le miracle » [Saint Rémi apud Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea in marcum, 8. « S’il les interroge, ce n’est pas qu’il ignorât lui‑même ce qu’ils avaient de pains, mais il voulait que leur réponse, en constatant le petit nombre de pains qu’ils avaient, rendit le miracle plus digne de foi et plus éclatant. »]. Le même auteur remarque, à propos des mots s’asseoir par terre : « Dans la multiplication précédente, on nous dit qu’ils s’étaient assis dans l’herbe ; mais ici sur la terre » [Saint Rémi apud Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea in marcum, 8. « Lors de la première multiplication des pains, il la fit asseoir sur le gazon, ici il la fait asseoir sur la terre. »]. Cette nuance a sa valeur pour la distinction des deux faits. — Et les donna :  Cf. Marc 6, 41, et la note correspondante.

Mc8.7 Ils avaient en outre quelques petits poissons, après avoir prononcé une bénédiction, Jésus les fit aussi distribuer. —  Cette bénédiction est désignée dans le texte primitif par le verbe εὐλογήω (louer, bénir) ; celle du pain, v. 6, par εὐχαριστέω (rendre grâces). Ces deux expressions sont d’ailleurs identiques. Cf. Matth. 26, 26 ; Luc 22, 17.

Mc8.8 Ils mangèrent et furent rassasiés et l’on emporta sept corbeilles des morceaux qui restaient. 9 Or ceux qui mangèrent étaient environ quatre mille. Ensuite Jésus les renvoya. — Détails qui servent à montrer la grandeur du prodige. — Sept corbeilles. S. Marc, comme S. Matthieu, donne ici aux corbeilles le nom de σπύριδες. Lors de la première multiplication des pains, il les avait désignées par celui de κόφινοι. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 15, 37. — Il les renvoya. Les pasteurs des âmes, ainsi que le font observer ici les moralistes, ne doivent renvoyer leurs peuples qu’après leur avoir fourni, à l’exemple de Jésus, une nourriture substantielle et abondante. Autrement, combien seraient saisis de défaillance sur le long et pénible chemin de la vie, et ne pourraient parvenir au salut. — D’après saint Augustin [Sermo 81.], et saint Hilaire [in Matth., 15.], les convives du premier de ces festins miraculeux représenteraient les Juifs, tandis que ceux du second seraient la figure des Païens. « Comme la première foule qu’il a nourrie correspondait à celle des croyants Juifs, celle‑ci se rapporte au peuple des Païens ». Ce sont les mots venus de loin, Marc 8, 3, qui ont suggéré cette ingénieuse distinction, les païens, pour venir à Jésus, ayant besoin de faire au moral une route plus longue que les Juifs.

Le signe du ciel et le levain des Pharisiens. Marc 8, 10‑21. Parall. Matth. 16, 1‑12.

Mc8.10 Il monta aussitôt dans la barque avec ses disciples et vint dans le pays de Dalmanutha.Montant dans une barque. Dans le grec, « la » barque avec l’article : la barque qui était habituellement à la disposition de Jésus. Le Sauveur se hâte de sortir aussitôt après son miracle (aussitôt), pour ne pas fournir au peuple l’occasion de nouvelles tentatives enthousiastes, procédant de fausses idées messianiques [360]. — Il alla dans le pays de Dalmanutha. Au lieu de ce nom propre, qu’on ne rencontre nulle part dans l’Ancien Testament, ni dans les écrits de Josèphe, S. Matthieu mentionnait celui de Magedan d’après la Vulgate, de Magdala d’après le texte grec. C’est sans doute pour rendre la concorde plus facile que plusieurs Pères latins et divers manuscrits grecs ont également écrit, dans le présent passage de S. Marc, les uns « Magedan », les autres Μαγδαλά. Mais Δαλμανουθά est certainement la leçon authentique. Où placer la localité ainsi désignée ? Comment établir l’accord entre nos deux Évangélistes ? Certains font de Dalmanoutha un village situé à peu de distance de Magdala, dans la plaine de Gennésareth, et dont le nom se serait perdu depuis l’époque de Jésus. D’après cette hypothèse, la conciliation entre S. Matthieu et S. Marc est aisée : le premier évangéliste aura mentionné la ville principale, près de laquelle Jésus vint débarquer ; le second, avec sa précision accoutumée, la localité moins connue dont le Sauveur foula tout d’abord le sol après être sorti de son embarcation. En somme, comme le disait déjà saint Augustin, c’est la même région qu’ils auront désignée sous deux noms différents (Saint Augustin d’Hippone, De Consensu Evangelistarum, L’accord entre les Évangiles, l. 2, c. 5.).

Mc8.11 Survinrent les Pharisiens, qui commencèrent à discuter avec lui, lui demandant, pour l’éprouver, un signe du ciel.Les pharisiens survinrent, et se mirent à discuter. En grec, συζητεῖν, c’est‑à‑dire : 1‑faire des recherches et 2‑discuter. La forme la plus ancienne de la dispute se faisait par des interrogations. Voilà pourquoi on dit disputer pour discuter. — L’objet de la discussion est ensuite clairement indiqué : lui demandant un signe du ciel. En quoi consistait ce signe du ciel qui, suivant les traditions juives, devait inaugurer le règne du Messie ? On ne saurait le dire au juste. En ce que Jésus fît pleuvoir la manne, répond Bède le Vénérable ; en ce qu’il arrêtât le soleil ou la lune, fît tomber la grêle et changeât l’état de l’atmosphère, écrit Théophylacte. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 1. Quoi qu’il en soit, ce signe opéré par le Sauveur devait être, selon la pensée des Pharisiens, une légitimation péremptoire de son caractère messianique. Ou plutôt, il n’eût rien légitimé à leurs yeux, comme le montre une réflexion significative de l’Évangéliste : pour le tenter. Leur but secret était d’humilier, de confondre Notre‑Seigneur, nullement de s’assurer de la divinité de sa mission. N’avaient‑ils pas déjà toutes les preuves désirables ? Cette tentation, par son objet, rappelle celle du désert. Cf. Matth. 4, 1 et ss. De nouveau l’on presse Jésus de recourir à des prodiges éblouissants pour montrer qu’il est le Christ attendu.

Mc8.12 Jésus ayant poussé un profond soupir, dit : « Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? Je vous le dis, en vérité, il ne sera pas donné de signe à cette génération. »ayant poussé un profond soupir. La première réponse du divin Maître est un profond soupir qu’arrache à son Cœur sacré l’incrédulité des Pharisiens. Précieux détail, dont nous sommes redevables à S. Marc. Le verbe composé ἀναστενάξας, qu’on ne trouve qu’en cet endroit du Nouveau Testament, signifie d’après toute sa force : « gémir, pousser des gémissements ». — Pourquoi cette génération… Nouveau trait particulier à notre Évangile. Il est vrai qu’ensuite S. Marc abrégera notablement l’épisode, ne citant que le sommaire des paroles de Jésus, sans mentionner le « signe de Jonas », et le blâme énergique tiré des pronostics du beau et du mauvais temps. Cf. Matth. 14, 2‑4 et le commentaire. Mais nous savons qu’il aime mieux dépeindre les situations que citer au long les discours. Cette est emphatique : Cette génération infidèle, en faveur de laquelle Jésus a déjà fait tant de miracles. — Demande : elle cherche un nouveau prodige, en sus de tous ceux qu’elle a reçus. — En vérité, je vous le dis. C’est un serment, comme l’indique cette grave formule, que le Sauveur va maintenant prononcer. Il atteste, au nom de la véracité divine, qu’il ne donnera pas aux Pharisiens le signe éclatant qu’ils désirent. — Un signe, le signe spécial qu’ils désiraient. Jésus n’abaissera pas sa puissance miraculeuse pour produire des actions d’éclat.

Mc8.13 Et les laissant, il remonta dans la barque et passa à l’autre bord.Les laissant. « Le Seigneur renvoie les Pharisiens comme incorrigibles ; il faut insister là où il y a espoir de guérison, mais ne pas s’arrêter là ou le mal est irrémédiable », Théophylacte. — Il remonta dans la barque. Sur la rive orientale, ou mieux encore au N.‑E. du lac, puisque nous trouverons bientôt, v. 22, Jésus à Bethsaïda‑Julias. C’est une des prudentes « retraites » du Sauveur. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 5.

Mc8.14 Or les disciples avaient oublié de prendre des pains, ils n’en avaient qu’un seul avec eux dans la barque.Or les disciples avaient oublié. Cf. v. 40. Cet oubli était providentiel, car il allait servir à donner aux Apôtres une notion plus vraie de la toute‑puissance de Jésus. Il se conçoit du reste sans peine au moment d’un départ précipité. — Ils n’avaient qu’un seul pain. S. Marc est seul a faire cette restriction, qui dénote sa parfaite exactitude, en même temps qu’elle rappelle la source précieuse à laquelle il avait puisé tant de détails particuliers.

Mc8.15 Jésus leur donna cet avertissement : « Gardez-vous avec soin du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode. » — Tandis que la barque flottait sur les eaux du lac, Jésus fit une grave recommandation à ses disciples. Gardez‑vous avec soin du levain des pharisiens et du levain d’Hérode. Par cette expression figurée, il désignait, ajoute S. Matthieu, 16, 12, la doctrine et les idées perverses des sectaires. En effet, « Le levain a une puissance telle que, s’il est mêlé à la farine, ce qui paraissait petit grossit rapidement, et communique sa saveur à l’ensemble. Il en est ainsi de la doctrine hérétique. Si elle te lance sur la poitrine la moindre étincelle, une grande flamme se développe rapidement, et prend possession de tout l’homme ». À ce commentaire vigoureusement tracé, on reconnaît le grand saint Jérôme [In Matth. 16.]. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 6. C’est à cause de ces qualités pénétrantes et envahissantes du levain que les hommes doivent, surtout lorsqu’il s’agit du domaine moral, veiller avec le plus grand soin sur son action. Les Juifs, quand ils faisaient disparaître le levain de leurs maisons la veille de la Pâque, devaient prendre les précautions les plus minutieuses pour n’en pas laisser une seule parcelle [Cf. Exode 12, 15] : c’est avec un zèle semblable que les Apôtres devaient repousser loin d’eux le levain pharisaïque ou hérodien. Notons ici une nouvelle nuance dans les récits évangéliques. « Matthieu dit : le levain des Pharisiens et des Sadducéens. Marc : des Pharisiens et des Hérodiens. Mais Luc : des Pharisiens seulement. Les trois évangélistes ont nommé les Pharisiens, comme étant les plus importants. Matthieu et Marc ont différé sur ceux qui sont secondaires. Mais Marc a eu raison de nommer les Hérodiens, que Matthieu avait gardés pour la fin de son récit » [S. Jean Chrysostome, ap. Caten.]. Peut‑être serait‑il plus exact de dire que, les principes d’Hérode et ceux de la secte Sadducéenne étant à peu près les mêmes, les expressions « ferment des Hérodiens » et « ferment des Sadducéens » ne différaient guère l’une de l’autre.

Mc8.16 Sur quoi ils faisaient réflexion entre eux, disant : « C’est que nous n’avons pas de pains. » — Cette réflexion du Maître causa une vive agitation parmi les disciples. Les voilà tout troublés parce que, l’idée du levain réveillant dans leur esprit celle du pain, ils se rappellent qu’ils n’ont pas pris de provisions. Ils se préoccupent d’un morceau de pain, à côté de Celui qui a pu, de rien, nourrir de nombreuses multitudes.

Mc8.17 Jésus connaissant leur pensée, leur dit : « Pourquoi vous entretenez-vous de ce que vous n’avez pas de pains ? N’avez-vous encore ni sens ni intelligence ? Votre cœur est-il encore aveuglé ? 18 Avez-vous des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ? Et n’avez-vous pas de mémoire ? 19 Quand j’ai rompu les cinq pains entre les cinq mille hommes, combien avez-vous emporté de corbeilles pleines de morceaux ? » Ils lui dirent : « Douze. » 20 Et quand j’ai rompu les sept pains entre les quatre mille hommes, combien de paniers pleins de morceaux avez-vous emportés ? » Ils lui dirent : « Sept. » 21 Il leur dit : « Comment ne comprenez-vous pas encore ? » connaissant leur pensée. Ce manque de foi méritait un blâme : Jésus le leur adresse à l’instant. Le récit de S. Marc est, ici encore, plus vivant et plus complet que celui de S. Matthieu. Il se compose d’une longue série de questions (huit ou neuf, selon qu’on place une virgule ou un point d’interrogation à la fin du v. 18) qui se succèdent coup sur coup avec une grande rapidité. D’abord, les pauvres disciples demeurent tout à fait muets. Puis, vers la fin, vv. 19 et 20, les demandes sont suivies d’une réponse ; c’est un vrai dialogue qui s’engage entre Jésus et les Douze sur les événements antérieurs. Enfin l’interrogatoire se termine au v. 21 par une dernière question qui revient au point de départ : Comment se fait‑il que vous ne compreniez pas encore ? « Mais alors ils comprirent, ajoute S. Matthieu, 14, 12, que Jésus ne parlait pas d’un levain matériel ». — La gradation contenue dans les vv. 17 et 18 est vraiment remarquable. L’erreur singulière des Apôtres provient donc d’abord de ce qu’ils n’ont pas suffisamment réfléchi à la puissance du Sauveur : ce manque de réflexion les a empêchés de comprendre. Du reste, comment auraient‑ils compris ? Leur cœur était endurci, leurs yeux aveuglés, leurs oreilles sourdes : en un mot, toutes les grandes ouvertures par lesquelles la connaissance entre habituellement dans un homme étaient obstruées chez eux. Bien plus, ils avaient même perdu la mémoire des plus récents prodiges de leur Maître. Était‑il donc étonnant que les choses les plus évidentes leur échappent ?

Guérison d’un aveugle à Bethsaïda. Marc 8, 22‑26.

Mc8.22 Ils arrivèrent à Bethsaïde et on lui amena un aveugle qu’on le pria de toucher. à Bethsaïde. Le P. Patrizi et plusieurs autres commentateurs supposent qu’il s’agit ici de la Bethsaïda occidentale ; mais, des versets 10 et 13 de ce chapitre, il ressort très clairement que Jésus et les siens avaient franchi le lac de l’Ouest au Nord‑Est et ne pouvaient se trouver alors qu’à Bethsaïda‑Julias. Voyez Marc 6, 45 et l’explication. — S. Marc a seul raconté la guérison miraculeuse que le Sauveur opéra en ce lieu. Elle rappelle vivement à l’esprit, par tous ses détails, une autre cure analogue que Jésus avait récemment accomplie et dont le récit était déjà propre à S. Marc. Cf. Marc 7, 31‑37. L’aveugle, comme le sourd‑muet, sera conduit à l’écart par le Thaumaturge et guéri d’une manière lente et graduelle. Les motifs qui inspirèrent à Jésus cette méthode extraordinaire furent sans doute les mêmes dans les deux cas : défaut de foi suffisante dans le patient, désir d’éviter l’enthousiasme populaire [Cf. Théophylacte, Euthymius, Luc de Bruges, in h. l.]. — On lui amena un aveugle. À la façon orientale, le narrateur rapproche les uns des autres, sans aucune indication, des verbes qui n’ont pas le même sujet, laissant au lecteur le soin d’établir les distinctions nécessaires. C’est Jésus qui arrive à Bethsaïda suivi des siens ; c’est le peuple qui amène l’infirme. — On le priait de le toucher. Cf. Marc 7, 30, et le commentaire. « Sachant que le toucher du Seigneur pouvait rendre la vue à un aveugle, comme il guérissait un lépreux », écrit Bède le Vénérable.

Mc8.23 Prenant la main de l’aveugle, Jésus le conduisit hors du bourg, lui mit de sa salive sur les yeux et, lui ayant imposé les mains, lui demanda s’il voyait quelque chose. Ayant pris la main de l’aveugle. Détail pittoresque, comme tous les suivants. La gradation qui forme le caractère principal de ce miracle est nettement accentuée dans le récit : Jésus prend familièrement la main de l’aveugle, il le conduit hors du bourg, il lui fait une onction sur les yeux avec de la salive, il lui impose les mains une première fois, il lui demande ce qu’il ressent, il lui fait une seconde imposition des mains. Alors seulement la guérison est complète. Qu’on aime à se représenter par la pensée ce beau tableau : Notre‑Seigneur se faisant, selon les expressions de S. Jean Chrysostome, « la route et le guide du pauvre aveugle », puis, à sa suite, les disciples et les amis de l’infirme, l’accompagnant en silence.

Mc8.24 L’aveugle leva les yeux et dit : « Je vois les hommes qui marchent, semblables à des arbres. » L’aveugle leva les yeux : geste bien naturel dans la circonstance. L’aveugle lève la tête et les yeux afin d’expérimenter s’il pourrait voir quelque chose. — Ses paroles sont plus naturelles encore : Je vois les hommes marcher, semblables à des arbres. Il voyait, mais imparfaitement. À ses yeux encore à demi voilés, les figures qui s’agitaient alentour apparaissaient vagues et confuses. Elles ressemblaient à des arbres quant à la taille ; mais leur mouvement lui montrait que c’étaient des hommes. « Ceux dont la vue est encore obscure distinguent quelques formes de corps qui se détachent sur les ombres, mais ils ne peuvent pas saisir les contours : c’est ainsi que, pendant la nuit ou dans le lointain, les arbres apparaissent indéterminés, en sorte que l’on ne sait pas si c’est un arbre ou un homme ». Bède le Vénérable Il suit de cette comparaison, selon la juste remarque de F. Luc, que cet homme n’avait pas toujours été frappé de cécité : autrement, il lui aurait été bien difficile de tenir un pareil langage, et d’établir aussitôt un rapprochement entre des formes qui lui eussent été jusqu’alors inconnues. 

Mc8.25 Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux et il le fit regarder. Alors il fut si bien guéri, qu’il voyait distinctement toutes choses. — Quand Jésus eût imposé une seconde fois ses mains divines sur les yeux de l’aveugle, la vue redevint parfaite en un moment ; « bien et fixement », disent les meilleurs manuscrits grecs, suivis par les versions copte et éthiopienne. Le manuscrit D a « il commença à voir », comme la Vulgate. La Recepta porte : « et (Jésus) le fit regarder ». — La fin du verset montre jusqu’à quel point la guérison était complète : il voyait toutes choses distinctement. Le texte grec signifie littéralement : « il voyait très clairement et de loin ».

Mc8.26 Alors Jésus le renvoya dans sa maison, en lui disant : « Va dans ta maison, sans entrer dans le bourg, ni parler de ceci à personne du bourg. » — Le miracle une fois accompli, Jésus recommande à l’aveugle, comme il avait auparavant recommandé au sourd‑muet, Marc 7, 36, de garder le silence sur le miracle dont il venait d’être l’objet. — Dans sa maison. Sa maison, qu’il lui dit de gagner à l’instant, était située en dehors de Bethsaïda, puisqu’il pouvait y arriver, d’après le contexte, sans entrer dans cette ville.  — La défense de Jésus fut‑elle observée cette fois ? L’Évangéliste ne le dit pas. Il est probable que non, comme on l’a vu dans des cas semblables.

Confession de saint Pierre, Marc 8, 27‑30.

Parall. Matth. 16, 13‑20 ; Luc 9, 18‑21.

Mc8.27 De là, Jésus se rendit avec ses disciples dans les villages qui entourent Césarée de Philippe et sur le chemin il leur fit cette question : « Qui dit-on que je suis ? » — Jésus  sortit de Bethsaïda, v. 12, pour aller plus au Nord en remontant le cours du Jourdain. Après avoir traversé une contrée qui s’est toujours fait remarquer par son aspect calme et solitaire, il arriva sur le territoire et auprès des villages qui dépendaient de la riche Césarée. Cette ville, alors surnommée « de Philippe » en l’honneur du tétrarque, fils d’Hérode‑le‑Grand et frère d’Antipas, qui l’avait embellie, a mérité, par sa situation ravissante. Derrière le village, en face d’une large grotte creusée par la nature, une rivière s’élance du sein de la terre : c’est la source supérieure du Jourdain. Des inscriptions et des niches sculptées dans le rocher parlent des antiques hommages rendus en ces lieux à Baal et à Pan. Sur ce terrain qui appartint longtemps aux faux dieux, Jésus fera proclamer sa divinité par les siens. — Il interrogeait ses disciples sur le chemin. « Sur le chemin » est un trait propre à S. Marc. La scène grandiose qui va suivre ne se passa donc pas pendant une halte, mais tandis que le Sauveur s’avançait avec les Douze sur la route de Césarée. — Qui dit‑on que je suis ? Il y a plus d’emphase dans la question telle que l’a conservée S. Matthieu, 16, 13 ; « Que disent les hommes qu’est le Fils de l’homme ? ». S. Luc, 9, 18, écrit, à peu près comme notre Évangéliste : « Les foules, qui disent‑elles que je suis ? ». Jamais encore Jésus n’avait demandé aux Apôtres d’une façon si catégorique et si solennelle ce qu’on pensait de sa personne.

Mc8.28 Ils lui répondirent : « Jean-Baptiste, d’autres, Élie, d’autres, un des prophètes. — La réponse des Douze nous fait connaître les bruits qui avaient cours dans le peuple au sujet de Notre‑Seigneur. La divergence des opinions était grande. — 1° Jean‑Baptiste. Nous avons vu que c’était le sentiment bien arrêté d’Hérode Antipas, Marc 4, 14-16. — 2° Élie. On pensait que ce prophète, enlevé mystérieusement sur un char de feu, était revenu ici‑bas sous les traits de Jésus. — 3° L’un des prophètes. Ceux qui craignaient de trop s’engager en s’arrêtant à un nom précis avaient du moins recours à cette hypothèse générale. Voyez Marc 6, 15, où nous avons déjà trouvé la seconde et la troisième opinion mentionnées à côté de celle d’Antipas. S. Matthieu en ajoute une quatrième : « les autres, Jérémie ». « Frappés de l’éloquence toute divine du Sauveur, de sa sagesse, de ses vertus, de son zèle, des œuvres merveilleuses qu’il semait partout sur ses pas, les Juifs étaient bien forcés de reconnaître que ce n’était pas un homme ordinaire, que c’était un prophète suscité de Dieu ; mais, dominés par l’autorité des Scribes et des Pharisiens, aveuglés par leurs préjugés,… ils avaient peine à reconnaître le Messie libérateur dans l’humble fils du charpentier, qui ne prêchait que le mépris des richesses,… se dérobait obstinément aux ovations et aux honneurs » [Pierre Auguste Théophile Dehaut, l’Évangile expliqué, défendu, 5e édit. t. 3, p. 69.].

Mc8.29 Mais vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Vous êtes le Christ. »Mais vous. Il interroge, lui qui sait toutes choses ; mais ne fallait‑il pas que ses disciples les plus intimes expriment sur lui de meilleures idées que la foule [Victor d’Antioche, Pensée.] ? C’est leur sentiment personnel qu’il désire leur entendre formuler maintenant d’une manière explicite. — Pierre, répondant. « Jésus interroge les disciples… Comment donc Pierre est‑il la bouche des apôtres ? Ils avaient tous été interpellés, puisque tous avaient été interrogés. Mais c’est lui seul qui a répondu » [Victor d’Antioche]. Hâtons‑nous d’ajouter que cet empressement du prince des Apôtres n’avait alors rien de naturel : il provenait de sa foi, de son amour, et de l’inspiration divine. Cf. Matth. 16, 17. — Vous êtes le Christ. Voilà la glorieuse « confession » de saint Pierre : elle est prompte, précise, vigoureuse. Vous êtes le Christ, le Messie promis à nos pères, ὁ Χριστός, par excellence. Et pourtant, il y manque quelque chose, du moins dans les rédactions de S. Marc et de S. Luc : ce sont les paroles si importantes par lesquelles le fils de Jona compléta sa profession de foi : le Fils du Dieu vivant. Voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 16. Mais nous avons à signaler ici une omission autrement étonnante de la part de S. Marc. Comment se fait‑il que Marc, le rapporteur des paroles de Pierre, ait totalement passé sous silence la promesse solennelle par laquelle Jésus, répondant à son apôtre, récompensa sa foi en lui conférant la plus haute dignité qui ait jamais existé, en l’établissant Chef visible de l’Église ? Cf. Matth. 16, 18-19. Cette étrange réserve de notre Évangéliste avait déjà frappé les Pères et les exégètes des premiers siècles. Ils ont aussi trouvé la vraie réponse : « Quand Marc arriva à ce moment historique où Jésus a interrogé ses disciples sur ce que disaient les hommes de lui et sur l’opinion que ses disciples avaient de lui, et quand il ajouta que Pierre avait dit qu’il était le Christ, il ne rapporta pas les paroles que lui avait dites Jésus… Car il n’était pas présent à cet entretien ; et Pierre ne jugea pas équitable de confirmer par son propre témoignage les paroles que Jésus lui avait alors adressées. C’est avec raison que Pierre a considéré devoir taire ce que même Marc a laissé de côté » [Eusèbe de Césarée, Démonstration Évangélique, l. 3, c. 5.]. « Matthieu rapporte cet épisode avec plus d’exactitude. Car Marc, pour ne pas sembler parler en faveur de son maître Pierre, s’est satisfait d’un exposé succinct, et a omis un compte rendu plus détaillé de l’événement », Victor d’Antioche. Ou encore : « Ce que le Seigneur répondit à la confession de Pierre, et la manière dont il le proclama bienheureux, toutes ces choses sont omises par S. Marc, qui ne voulait pas paraître les dire par complaisance pour saint Pierre, son maître » [Théophylacte, h. l. Cf. S. Jean Chrysostome, Homilia in Matth., 16, 24]. Certains protestant admettent ces raisons. Que saint Pierre ait pu se passer d’un témoignage écrit, favorable à sa primauté, et cela précisément dans son Évangile et auprès de lecteurs romains, c’est un fait qui prouve combien grande et puissante était la réalité de cette primauté, et avec quelle solidité elle s’était établie dans la conscience de l’Église.

Mc8.30 Et il leur défendit sévèrement de dire cela de lui à personne.Et il leur défendit sévèrement ; mot expressif, destiné à montrer l’insistance avec laquelle Jésus appuya sur cet ordre. — De dire cela de lui à personne, ou plus clairement, d’après S. Matthieu, « il ordonna à ses disciples de ne dire à personne qu’il était Jésus, le Christ ». Au reste, quelques manuscrits contiennent ces dernières paroles. L’interdiction devait durer jusqu’après la Résurrection du Sauveur. Sur ses motifs, voyez l’Évangile selon S. Matthieu, 11, 21.

La croix pour le Christ. Marc 8, 31‑33. Parall. Matth. 16, 21‑23 ; Luc 9, 22.

Mc8.31 Alors il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffrît beaucoup, qu’il fût rejeté par les Anciens, par les Princes des prêtres et les Scribes, qu’il fût mis à mort et qu’il ressuscitât trois jours après. il commença à leur enseigner. Les deux verbes semblent avoir été choisis à dessein par l’Évangéliste. D’une part en effet Jésus « commençait » vraiment à parler aux siens de sa Passion et de sa mort, en ce sens que c’était la première nouvelle claire et officielle qu’il leur en donnait ; de l’autre, « l’enseignement » qu’il va leur fournir sur ce point sera complet. Il retracera dans les termes les plus précis : 1° la nécessité ou était le Christ de souffrir et de mourir pour le salut des hommes : il fallait, nécessité inhérente à son rôle tel qu’il avait été prédit depuis longtemps par les Prophètes ; 2° le tableau général de la Passion : que le Fils de l’homme souffrît beaucoup ; 3° le tableau détaillé de cette même Passion, et en particulier deux scènes spéciales : a) les outrages, qu’il fût rejeté que Jésus recevra du Sanhédrin juif, nettement désigné par ses trois chambres, les anciens, la chambre des notables, la chambre des princes des prêtres, les scribes, la chambre des Docteurs ; b) la douloureuse Consommation de ce drame inique, qu’il fût mis à mort ; 4° l’issue glorieuse de la Passion : qu’il ressuscitât après trois jours (plus clairement, d’après S. Matthieu, « le troisième jour » ; S. Marc emploie une locution familière aux Hébreux [Cf. Deutéronome 14, 28 ; 26, 12 ; 1Samuel 20, 12 ; 5, 19 ; 1Rois 20, 29 ; Esther 4,16.]. Voila le vrai Christ des Prophètes, cf. Isaïe 8, mis en contraste avec la fausse représentation que s’en faisait la foule, que s’en faisaient même les Apôtres, comme le montrera l’incident qui va suivre.

Mc8.32 Et il leur dit ces choses ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à le reprendre.Et il leur dit ces choses ouvertement. Ouvertement, sans réticence et sans mystère : allusion aux indications énigmatiques et obscures que Jésus avait autrefois données sur sa Passion. Cf. Jean 2, 19 ; 3, 12‑16 ; 4, 47‑51 ; Matth. 9, 15. Ce détail est émis par les deux autres Synoptiques. — Pierre, le tirant à part. S. Matthieu emploie la même expression, qui signifie : prendre quelqu’un par la main ou par les vêtements pour l’entretenir en particulier. — Se mit à le reprendre. Saint Pierre ne peut supporter l’idée qu’un sort si humiliant, si funeste, soit réservé à son Maître. Ne consultant que son bon cœur et sa vivacité naturelle (« Pierre, toujours bouillant de zèle, est le seul parmi tous les disciples qui ose ici discuter avec son maître », S. Jean Chrysostome), il ose réprimander le Sauveur au sujet des choses qu’il venait de leur prédire : « A Dieu ne plaise, Seigneur ; cela ne vous arrivera pas. » Matth. 16, 22. Qu’était devenue sa noble foi de tout‑à‑l’heure ? Mais, disent les anciens exégètes, son amour ardent l’excuse jusqu’à un certain point : « Il s’adresse par ces paroles à l’affection et au désir de l’amant », Bède le Vénérable. Au reste, jusqu’alors «  Il n’avait pas reçu la révélation de la passion du Seigneur. Car il avait appris que le Christ est le Fils de Dieu, mais pas encore ce qu’était le mystère de la croix et de la résurrection » [Catenæ Græcorum Patrum in Novum Testamentum, h. l.]. Voilà pourquoi « ce même Pierre qui avait si bien reconnu la vérité en confessant la grandeur du Sauveur du monde, ne la peut plus souffrir dans ce qu’il déclare de sa bassesse » [Jacques‑Bénigne Bossuet, Panégyrique de saint Pierre, Œuvres, Édit. de Versailles, t. 16, p. 237.].

Mc8.33 Mais Jésus, s’étant retourné et ayant regardé ses disciples, réprimanda Pierre, en disant : « Arrière Satan car tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes. » — Lui, se retournant… Jésus s’arrête tout‑à‑coup (cf. v. 27, « en chemin »). Puis, se retournant vers les Douze, qui marchaient sans doute respectueusement derrière lui, il jette sur eux un de ces regards pénétrants que S. Marc aime tant à noter. Il ne contemple pas seulement le coupable, mais la troupe entière des disciples ; car ils partageaient tous assurément les idées de saint Pierre, et ils étaient prêts à répéter son assertion. Néanmoins, ses paroles de blâme (il réprimanda) ne retombent directement que sur Simon. — Arrière Satan… Comme Jésus traite sévèrement celui qui voudrait le détourner de sa Passion et de sa mort. « Voyez quelle opposition. Là (Matth. 16, 17‑19) il dit : Bar‑jona, fils de la colombe ; ici, Satan. Là il dit : Tu es une pierre sur laquelle je veux bâtir ; ici : tu es une pierre de scandale pour faire tomber » [Jacques‑Bénigne Bossuet, l. c., p. 238.]. Mais quelle opposition aussi dans la conduite de l’Apôtre. Là il avait pensé, compris, goûté les choses de Dieu ; ici il avait parlé comme un homme naturel, auquel la souffrance fait horreur ; il avait dit au Christ qu’il n’était pas bon de souffrir et de mourir pour la rédemption de l’humanité.

La croix pour les chrétiens Marc 8, 34‑39. Parall. Matth. 16, 24‑28 ; Luc 9, 23‑27.

Mc8.34 Puis, ayant appelé le peuple avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix et me suive. — « Après que le Seigneur eut montré à ses disciples le mystère de sa passion et de sa résurrection, il les exhorta, eux et la foule, à le suivre dans l’exemple de sa passion ». Ces paroles de Théophylacte expriment très bien la transition qui existe entre les deux paragraphes. — Ayant appelé à lui la foule. Trait propre à S. Marc. S. Luc paraît toutefois supposer que Jésus avait alors d’autres auditeurs que les disciples. Cf. Luc 9, 23. Une foule nombreuse avait donc rejoint le Sauveur jusque dans ces parages lointains. Elle était demeurée à l’écart durant toute la scène qui précède : le divin Maître l’appelle pour lui faire entendre un des plus grands principes du Christianisme. — Si quelqu’un veut me suivre. Dans S. Matthieu et S. Luc, nous lisons des variantes traduites par : « si quelqu’un veut marcher à ma suite ». Nous citons ces légères variantes comme un modèle de l’indépendance des écrivains évangéliques. — Qu’il renonce à lui‑même exprime un renoncement entier à ce que l’homme a de plus cher, le moi. L’égoïsme, le culte de la personnalité propre, est donc un vice tout‑à‑fait anti‑chrétien. — Qu’il porte sa croix. S. Marc n’avait pas encore mentionné le nom alors infamant, mais désormais glorieux de la croix. Toute l’assistance dut frémir en entendant ce langage si opposé aux idées de la chair et du monde. Mais elle aurait été vivement consolée, si elle avait pu comprendre le sens des mots qu’il me suive. Nous, qui le comprenons tout entier, suivons avec amour le divin Crucifié. — Voyez l’explication détaillée de ce verset et des suivants dans l’Évangile selon S. Matthieu, 16, 24‑28. Les deux Évangélistes citent en des termes à peu près identiques les paroles de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ.

Mc8.35 Car celui qui veut sauver sa vie, la perdra et celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile, la sauvera. — Le Christ  nous fait comprendre ce qu’il prescrit pour marcher à sa suite. Il faut suivre Jésus, dût‑on pour cela perdre la vie ; car, la perdre, c’est la gagner. On la perdra dans le temps, mais on la gagnera pour l’éternité. Notre‑Seigneur joue, on le voit, sur le double sens du substantif ψύχη, âme et vie. Perdre sa vie pour moi, dit‑il, c’est sauver son âme. — Les mots et de l’Évangile sont propres à S. Marc. — La sauvera est une expression plus claire que le « la trouvera », de S. Matthieu.

Mc8.36 Que servira-t-il à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? 37 Car que donnera l’homme en échange de son âme ? — Second argument : Suivre Jésus, malgré l’attrait du monde et de ses faux biens. — Dans le verset qui précède, l’idée de perdre était opposée à celle de sauver ; ici, nous voyons en regard l’un de l’autre un bénéfice et un détriment. Le profit consiste dans l’acquisition du monde entier, par hypothèse ; le détriment, dans la damnation éternelle. Y a‑t‑il équilibre entre ces deux choses ? Les biens du monde sont‑ils assez précieux pour que l’on consente à se damner en vue de les acquérir ? Assurément non, comme l’indique le v. 37. Supposé qu’un mondain ait sacrifié le bonheur céleste en échange des jouissances d’ici‑bas, avec quoi pourra‑t‑il le racheter ? Vous avez une maison ; vous la vendez, et vous en recevez le prix : il vous sera loisible ensuite de la racheter en livrant un « contre‑prix ». Pour l’âme il n’y a pas de rançon possible après cette vie. 

Mc8.38 Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aussi rougira de lui, lorsqu’il viendra dans la gloire de son Père avec les anges saints. » — Troisième argument : Suivre Jésus, en foulant aux pieds tout respect humain. La rédaction de S. Matthieu ne mentionne pas ici cette pensée : mais on la trouve dans S. Luc, 9, 26. — Jésus suppose donc, et hélas. il ne suppose pas à tort, qu’il y aura des hommes qui rougiront de lui et de sa doctrine par respect humain. Comment traitera‑t‑il ces lâches ? Leur appliquant la peine du talion, il rougira d’eux à son tour. Mais, tandis qu’ils auront refusé de le reconnaître au milieu de cette génération, c’est‑à‑dire dans ce monde corrompu, dont ils auront redouté les vains jugements, lui il les reniera au jour du jugement dernier, en face de Dieu son Père et de toute la cour céleste. — « Génération », de même que son équivalent hébreu דור, désigne ici une époque quelconque et tous ceux qui y vivent. Victor d’Antioche donne une excellente interprétation des épithètes adultère et pécheresse : « Si on appelle adultère une femme qui fut à un autre homme, l’âme qui a abandonné sont vrai époux divin, et qui n’a pas observé ses commandements est appelée elle aussi adultère et pécheresse ». Comparez du reste Isaïe 54, 5 ; Jérémie 31, 32 ; Malachie 2, 11 ; Hébreux 12, 8, etc. — La fin du verset fait allusion au second et glorieux avènement du Christ. — Le Fils de l’homme, au lieu du simple « Je » que l’on attend d’après la construction de la première partie de la phrase, est emphatique et majestueux.

Bible de Rome
Bible de Rome
La Bible de Rome réunit la traduction révisée 2023 de l’abbé A. Crampon, les introductions et commentaires détaillés de l’abbé Louis-Claude Fillion sur les Évangiles, les commentaires des Psaumes par l’abbé Joseph-Franz von Allioli, ainsi que les notes explicatives de l’abbé Fulcran Vigouroux sur les autres livres bibliques, tous actualisés par Alexis Maillard.

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