Pape du IVe siècle confronté aux divisions théologiques et linguistiques, Damase Ier trace une voie de réconciliation par la parole. Face aux ariens qui nient la divinité du Christ, il défend la foi de Nicée tout en commandant à Jérôme la première grande traduction latine de la Bible. Poète et pasteur, il réorganise le culte des martyrs dans les catacombes romaines et grave sur les murs des vers qui chantent encore la foi. Sa mémoire, célébrée le 11 décembre, rappelle que l’unité de l’Église passe par la clarté de la doctrine et la beauté du témoignage.

Rome, 366. L’élection pontificale vire à l’émeute. Deux camps s’affrontent dans les basiliques, chacun avec son candidat. Damase, fils de prêtre et clerc romain depuis l’enfance, sort vainqueur d’un scrutin contesté qui laisse des morts dans les rues. Son pontificat de dix-huit ans transformera cette violence fondatrice en œuvre d’unité doctrinale et liturgique. Il défend la foi trinitaire, commande la Vulgate à Jérôme, restaure les catacombes et compose des épigrammes qui font entrer la poésie latine dans la liturgie. Aujourd’hui, à l’heure où les divisions traversent encore l’Église et où la compréhension des textes bibliques reste un enjeu pastoral majeur, Damase rappelle qu’unifier ne signifie pas uniformiser, mais offrir un socle commun de doctrine claire et une langue accessible à tous.
Un clerc romain face aux divisions de l’Empire
Damase naît vers 305, fils d’Antoine, prêtre attaché à la basilique Saint-Laurent de Rome. La tradition rapporte qu’il grandit dans le clergé, formé aux rites latins et aux textes grecs qui circulent encore dans les communautés chrétiennes d’Italie. En 366, à la mort du pape Libère, deux factions s’affrontent. Damase, soutenu par le clergé romain majoritaire, est élu. Son rival Ursin rassemble une minorité qui refuse sa légitimité. Des affrontements sanglants éclatent dans la basilique Sainte-Marie du Transtévère. Les sources parlent de cent trente-sept morts. L’empereur Valentinien Ier intervient, exile Ursin et confirme Damase. Cette violence initiale marque son pontificat d’une ombre que lui reprochent ses adversaires. Mais Damase ne gouverne pas en autocrate. Il convoque des synodes, consulte les évêques, écrit des lettres doctrinales claires.
L’arianisme domine encore une partie de l’Orient. Cette hérésie, condamnée au concile de Nicée en 325, nie la divinité pleine du Christ et réduit le Fils à une créature supérieure. Des empereurs ariens règnent, des évêques vacillent. Damase répond par la fermeté doctrinale. En 380, il réunit à Rome un synode qui réaffirme le Credo de Nicée et condamne toute ambiguïté sur la Trinité. Il soutient Athanase d’Alexandrie, exilé cinq fois pour sa défense de la foi orthodoxe. Il envoie des légats en Orient pour encourager les communautés fidèles. Son action diplomatique porte fruit : l’édit de Thessalonique, promulgué par Théodose en 380, fait du christianisme nicéen la religion officielle de l’Empire. Damase ne triomphe pas par les armes, mais par la cohérence de sa parole et la stabilité de son siège.
Parallèlement, un autre défi se pose : la langue liturgique. Le grec, longtemps dominant dans les communautés chrétiennes de Rome, cède la place au latin populaire. Les fidèles ne comprennent plus les textes lus à la messe. Les traductions latines anciennes, disparates et parfois fautives, sèment la confusion. Damase prend une décision audacieuse : confier à Jérôme, son secrétaire, la révision complète des Écritures. Jérôme, érudit formé en Gaule et en Orient, maîtrise l’hébreu et le grec. En 382, Damase lui commande d’abord une révision des Évangiles, puis des Psaumes, puis de l’Ancien Testament entier. Naît ainsi la Vulgate, Bible latine qui deviendra la référence de l’Église occidentale pour plus de mille ans. Damase ne verra pas l’œuvre achevée, Jérôme la terminera après sa mort. Mais l’impulsion vient du pape, qui comprend que l’unité passe par une Parole accessible et fiable.
Damase réorganise aussi le culte des martyrs. Rome compte des dizaines de catacombes où reposent Pierre, Paul, Laurent, Agnès, Sébastien et tant d’autres témoins de la foi. Depuis les persécutions de Dioclétien, ces lieux sont à l’abandon, leurs galeries effondrées, leurs fresques effacées. Damase lance un vaste chantier de restauration. Il fait déblayer les passages, renforcer les voûtes, créer des chapelles souterraines autour des tombes vénérées. Il compose lui-même des épigrammes latines qu’il fait graver sur des plaques de marbre. Ces inscriptions, courtes et rythmées, racontent la vie des martyrs, célèbrent leur courage, invitent les pèlerins à la prière. Une quarantaine d’entre elles subsistent encore aujourd’hui. Leur style mêle sobriété classique et ferveur chrétienne. Damase devient ainsi le premier pape poète, celui qui fait entrer la littérature latine dans la liturgie et la dévotion populaire.
Il n’oublie pas les vivants. Il institue des processions vers les tombeaux, fixe des dates de fête pour les martyrs, encourage la construction de basiliques au-dessus des catacombes. La basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, agrandie sous son pontificat, abrite désormais le tombeau de l’apôtre. La basilique Saint-Laurent reçoit une crypte monumentale. Damase veut que le culte des martyrs ne soit pas un vestige archaïque, mais un pilier vivant de la foi communautaire. Il lie ainsi mémoire et présent, passé héroïque et espérance actuelle.
À soixante-dix-neuf ans, Damase meurt le 11 décembre 384. Il avait prévu son tombeau près des catacombes de Calixte, mais refuse d’y être inhumé pour ne pas « profaner les cendres des saints ». Il se fait enterrer dans une petite église voisine, auprès de sa mère et de sa sœur. Sur sa pierre tombale, une dernière épigramme proclame sa foi en la résurrection : « Celui qui marche sur les eaux fera se dresser Damase de ses cendres. » Ce pape controversé à ses débuts laisse une œuvre immense : une Église unifiée doctrinalement, une Bible traduite pour le peuple, un culte des martyrs renouvelé, une poésie liturgique qui chantera la foi pendant des siècles.
Le poète des catacombes et la mémoire vivante
Le fait historique le plus solidement attesté reste l’œuvre épigraphique de Damase. Les inscriptions qu’il compose et fait graver dans les catacombes témoignent d’une volonté pastorale précise : rendre les martyrs présents aux fidèles par la parole poétique. À l’entrée de la crypte de Saint-Sébastien, il écrit : « Tu qui viens chercher les corps de Paul et Pierre, sache qu’ici reposent les saints. » Chaque vers guide le pèlerin, contextualise le lieu, invite à la prière. Damase n’invente rien, il rapporte la tradition orale et la fixe dans le marbre. Il distingue clairement ce qui est attesté de ce qui relève de la légende pieuse, sans pour autant disqualifier cette dernière.
La légende la plus connue concerne le tombeau de Pierre. Des traditions divergentes circulent : certains placent le corps sous la basilique vaticane, d’autres évoquent un transfert temporaire dans les catacombes de Saint-Sébastien pendant les persécutions. Damase tranche en poète, pas en historien. Il compose une épigramme qui honore les deux lieux sans trancher : « Ici, Pierre et Paul ont reposé ensemble. » Il ne dit pas « sont enterrés », mais « ont reposé », laissant ouvert le débat savant tout en affirmant la vénération légitime. Cette prudence pastorale traverse toute son œuvre épigraphique. Il ne manipule pas la mémoire, il la respecte et la célèbre.
Un autre récit légendaire entoure sa relation avec Jérôme. Selon certaines vies de saints médiévales, Damase aurait eu une vision lui ordonnant de confier la Bible à Jérôme. Aucune source contemporaine ne mentionne ce songe. Le vrai récit est plus sobre : Damase connaît les talents de Jérôme, apprécie ses lettres exégétiques, lui confie d’abord la révision des Évangiles comme test. Satisfait du résultat, il étend la commande. Pas de miracle, mais un discernement pastoral. La légende viendra plus tard amplifier ce choix en vision céleste. Damase lui-même n’aurait sans doute pas validé cette surinterprétation.
La portée symbolique de son œuvre dépasse son siècle. En organisant le culte des martyrs, il invente une forme de catholicisme romain où passé et présent dialoguent constamment. Les catacombes deviennent des lieux de mémoire active, non des musées. Les épigrammes créent une « liturgie de la pierre », où l’écrit complète le rite oral. La Vulgate offre un texte commun à toute l’Église latine, permettant une théologie unifiée et une prédication cohérente. Sans Damase, la fracture linguistique entre grec et latin aurait peut-être divisé l’Église plus tôt. Sa prudence doctrinale face à l’arianisme évite aussi les excès répressifs. Il condamne l’erreur, mais accueille ceux qui reviennent à la foi orthodoxe. Ce style pastoral, ferme mais miséricordieux, préfigure la méthode des grands conciles œcuméniques ultérieurs.
Message spirituel
Damase nous enseigne trois vertus essentielles pour aujourd’hui. D’abord, la clarté doctrinale au service de l’unité. Dans un temps où les opinions divergent sur tout, y compris dans l’Église, il rappelle qu’une foi commune exige des mots précis et partagés. Cela ne signifie pas imposer un jargon clérical, mais traduire la vérité révélée en langue accessible. L’Évangile de Matthieu rapporte la promesse du Christ : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Cette présence se communique par la Parole proclamée, comprise, priée. Damase incarne cette mission de passeur de sens.
Ensuite, le respect de la mémoire et des saints qui nous ont précédés. Les catacombes restaurées par Damase ne sont pas des monuments historiques, mais des lieux de communion vivante avec les témoins de la foi. Saint Paul écrit aux Hébreux : « Entourés d’une telle nuée de témoins, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » (He 12,1). Damase met en pratique cette communion des saints en rendant présents, par la poésie et la liturgie, ceux qui ont donné leur vie pour le Christ. Il nous invite à ne pas être des chrétiens amnésiques, coupés de nos racines.
Enfin, l’audace créative dans l’évangélisation. Commander une nouvelle traduction de la Bible, composer des vers pour les tombeaux, organiser des processions populaires : Damase innove constamment. Il ne sacralise pas les formes anciennes au point de les figer. Il adapte, traduit, embellit, sans trahir le dépôt de la foi. Une image concrète résume son action : celle du calligraphe qui copie un texte ancien sur un parchemin neuf. Le contenu reste identique, mais l’écriture se renouvelle pour que chaque génération puisse lire. Voilà ce que Damase fait pour l’Église du IVe siècle, et ce qu’il nous appelle à faire pour la nôtre : transmettre fidèlement en parlant la langue de notre temps.
Prière
Seigneur Dieu, tu as suscité saint Damase pour guider ton Église dans un temps de divisions et de recherche d’unité. Il a défendu la foi en ta Trinité sainte, il a offert ta Parole traduite pour que tous puissent te connaître, il a honoré la mémoire des martyrs pour que leur témoignage inspire les vivants. Accorde-nous, par son intercession, la grâce de tenir ferme dans la foi sans durcir nos cœurs, de proclamer ta vérité avec clarté sans mépriser ceux qui cherchent, de vénérer tes saints sans oublier les pauvres d’aujourd’hui.
Donne-nous la sagesse de Damase face aux débats qui traversent nos communautés. Qu’aucune querelle de mots ne brise la communion que tu veux pour nous. Fortifie les traducteurs, les exégètes, les catéchètes qui peinent à rendre ta Parole accessible dans un monde saturé de messages contradictoires. Qu’ils trouvent les mots justes, les images parlantes, les chemins pédagogiques qui ouvrent les Écritures aux plus humbles.
Apprends-nous aussi à célébrer nos témoins, les martyrs d’hier et d’aujourd’hui, ceux qui ont donné leur vie dans les arènes romaines comme ceux qui meurent encore pour ton nom dans le silence médiatique. Que leur exemple nous arrache à la tiédeur et nous lance sur les routes de la mission. Que la beauté de la liturgie, la justesse des textes, la profondeur de la prière nous unissent par-delà nos différences culturelles ou générationnelles.
Enfin, Seigneur, que nous portions tous un peu de l’esprit poétique de Damase. Qu’il nous inspire des mots de louange, des chants simples, des gestes rituels qui honorent ta présence sans les enfermer dans des formules mortes. Fais de nous des artisans d’unité, des bâtisseurs de ponts entre passé et présent, des gardiens fidèles de ta Parole. Par Jésus, le Christ notre Seigneur. Amen.
À vivre
- Lire un passage de la Vulgate (ou de votre traduction biblique habituelle) en remerciant Dieu pour les traducteurs qui ont permis l’accès aux Écritures dans votre langue.
- Visiter une église ou un lieu de mémoire chrétienne (même virtuellement) et prier pour les martyrs et saints qui ont témoigné de la foi dans votre région.
- Partager une citation biblique ou un verset avec quelqu’un qui cherche du sens, en prenant le temps d’expliquer simplement ce qu’il signifie pour vous.
Mémoire
Rome conserve plusieurs traces matérielles de l’action de Damase. Les catacombes de Saint-Calixte, situées le long de la voie Appienne, abritent encore une trentaine d’épigrammes damassien nes gravées dans le marbre. La crypte des papes, restaurée sous son pontificat, présente des inscriptions en lettres « damassiennes », un style calligraphique élégant créé par son graveur Furius Dionysius Filocalus. On peut y lire : « Ici reposent les corps de nombreux saints. Damase l’atteste. » L’humilité du propos contraste avec la majesté du lieu.
La basilique Saint-Laurent-hors-les-Murs conserve la mémoire du lien entre Damase et la paroisse de son père. Une tradition rapporte que Damase y officiait comme diacre avant son élection. Le tombeau du martyr Laurent, orné sous son pontificat, attire toujours les pèlerins. Une chapelle latérale honore la famille de Damase, notamment sa sœur Irène, consacrée à Dieu, dont il compose une épigramme funéraire touchante : « Elle vécut dans la chasteté, servit les pauvres, reposa dans la paix du Seigneur. »
La basilique Saint-Paul-hors-les-Murs garde une inscription damasienne sur le tombeau de l’apôtre Paul. Elle évoque le voyage de Paul vers Rome, son martyre sous Néron, son influence sur l’Église naissante. Damase situe toujours les saints dans leur contexte historique, refusant l’anecdote pieuse détachée du réel. Cette rigueur historique fait de lui un précurseur de l’hagiographie critique.
À Sainte-Agnès-hors-les-Murs, une épigramme célèbre raconte le martyre de la jeune vierge romaine. Damase insiste sur son jeune âge, sa beauté refusée aux prétendants, son choix radical du Christ. Le ton reste sobre, évitant le pathos. Cette retenue stylistique caractérise tout son corpus épigraphique. Il cherche à émouvoir, mais par la vérité du témoignage, pas par l’enflure rhétorique.
Le tombeau personnel de Damase se trouvait dans une église aujourd’hui disparue, près de la voie Ardéatine. Des fouilles au XIXe siècle ont retrouvé des fragments de sa pierre tombale avec l’épigramme finale : « Celui qui marche sur les eaux, qui redonne la vie aux germes morts des semences, qui a pu délier les liens de la mort, fera se dresser Damase de ses cendres. » Cette profession de foi en la résurrection clôt dignement une vie consacrée à proclamer le Christ vivant.
En France, quelques paroisses portent le nom de Saint-Damase, notamment en Provence et en Languedoc, régions où la romanité chrétienne s’est solidement implantée. Ces dédicaces rappellent l’influence de la papauté romaine dans la structuration des Églises locales. Damase y est souvent représenté en pape écrivain, tenant un rouleau ou un codex, symbolisant son rôle dans la transmission des Écritures.
La fête liturgique de saint Damase, fixée au 11 décembre, date de sa mort, s’est longtemps célébrée avec solennité à Rome. Le Martyrologe romain actuel le mentionne parmi les papes dont l’action a marqué durablement la vie de l’Église. Des reliques mineures (fragments d’os, étoffes funéraires) circulent dans quelques sanctuaires italiens, mais sans culte populaire notable. Damase reste davantage une référence savante qu’un saint de dévotion de masse, ce qui correspond paradoxalement à son caractère : il préférait l’efficacité discrète aux démonstrations spectaculaires.
Liturgie
- Lectures proposées: Sagesse 7,7-14 (Sagesse du gouvernement) ; Psaume 111 (Heureux l’homme qui craint le Seigneur) ; Matthieu 23,8-12 (Le plus grand sera votre serviteur)
- Psaume responsorial: Psaume 111 – « Heureux qui craint le Seigneur, qui aime entièrement sa volonté ! »
- Chant d’ouverture: Te Deum laudamus – hymne traditionnelle d’action de grâces souvent attribuée à l’époque de Damase
- Chant de communion: Panis angelicus ou un chant marial sobre évoquant la Parole transmise
- Oraison collecte: « Dieu éternel, tu as donné à ton Église le pape saint Damase pour qu’il raffermisse la foi et organise le culte des martyrs ; accorde-nous, par son intercession, de persévérer dans la vraie foi et d’honorer dignement tes saints. »
- Prière sur les offrandes: « Seigneur, que ces dons offerts en mémoire de saint Damase nous obtiennent la grâce de défendre la vérité avec courage et de célébrer ta gloire avec beauté. »


